Peut-on parler de « valeurs sémantiques » du gérondif ?
p. 91-116
Texte intégral
1. Introduction1
1Différentes valeurs sémantiques sont attribuées au gérondif, parmi lesquelles la simultanéité, le moyen, la cause, la concession, la manière, la condition, l’opposition, etc., le nombre et la qualification de ces « valeurs » étant variables selon les auteurs. Force est de constater que les critères sur lesquels repose la classification ne sont pas toujours clairement explicités, et que les notions évoquées ne sont pas toujours précisément définies, ce qui peut conduire des auteurs différents à attribuer une valeur sémantique différente à un même exemple. Ainsi, le proverbe :
(1) C’est en forgeant qu’on devient forgeron.
2est cité par Riegel et al. (1994 : 510) pour illustrer la « valeur causale » du gérondif, et par Chevalier et al. (1988 : 375) pour illustrer la « simultanéité ». À l’inverse, une même forme gérondive associée à un même prédicat verbal peut se voir attribuer différentes valeurs selon le temps grammatical auquel est conjugué le verbe fléchi. Ainsi, en (2) peuvent être distinguées une valeur de moyen ou de cause en (a), de condition en (b) et d’hypothèse en (c) :
(2) a. Il a réussi en travaillant.
b. Il réussirait en travaillant.
c. Il aurait réussi en travaillant.
3alors que la ralation entre le prédicat au gérondif (désormais Vger) et le prédicat à temps fini (désormais Vconj) semble strictement analogue, les effets de sens conditionnel ou hypothétique résultant du temps grammatical de Vconj.
4Dès lors, plusieurs questions se posent : comment est établie l’interprétation de la relation Vger-Vconj ? Quelles relations sémantiques peuvent être exprimées ? Ces différentes « valeurs » sont-elles corrélées les unes aux autres ? Si oui, comment les articuler ?
5Je soutiendrai ici l’hypothèse selon laquelle le gérondif n’exprime par lui-même aucune valeur sémantique spécifique. Vger entre dans une relation de dépendance syntaxiquement orientée par rapport à Vconj (cf. Kleiber, 2006, 2007a et b ; Fasciolo, 2007), et l’attribution d’un sens à cette relation2 résulte d’inférences reposant pour l’essentiel sur nos connaissances du monde, compte tenu du sémantisme des prédicats en jeu. Je montrerai également que la temporalité ne correspond pas à une valeur première du gérondif, mais au contraire à une relation assignée par défaut, quand nos connaissances du monde nous interdisent d’inférer d’autres relations. Puis je proposerai une définition des principales notions sémantiques évoquées pour décrire le gérondif, et je montrerai que les effets de sens associés à Vger ne peuvent pas être décrits en termes de catégories distinctes. Dans le cadre de cette étude, seules les formes gérondives postposées sont prises en considération. Quand Vger occupe une position initiale détachée, entrent en jeu des facteurs discursifs et informationnels dont il ne sera pas traité ici.
2. Le gérondif a-t-il une (ou des) « valeur(s) » sémantique(s) fondamentale(s) ?
2.1. Quelques propositions d’analyse
6Trois propositions d’analyse seront évoquées : l’hypothèse traditionnelle selon laquelle le gérondif possède une valeur intrinsèquement temporelle, à partir de laquelle s’articulent les autres valeurs ; l’hypothèse inverse, soutenue par Kleiber (2007a et b), selon laquelle la temporalité à l’œuvre dans les formes gérondives est une conséquence de leur valeur circonstancielle ; l’hypothèse évoquée en note par Grevisse (1986) et développée par Halmøy (2003) et Fasciolo (2007) selon laquelle le gérondif ne marque par lui-même aucune relation sémantique spécifique3.
7L’hypothèse d’une valeur initialement temporelle du gérondif, largement répandue, apparaît sous la plume de nombreux auteurs4 :
Il [= le gérondif] marque une relation temporelle, à laquelle s’ajoutent selon le cas des nuances de moyen ou de manière, de concession et souvent de cause. (Nazarenko, 2000 : 114)
8Pour décrire cette valeur temporelle supposée commune à tous les emplois du gérondif, les notions de « concomitance » (Le Goffic, 1993), de « simultanéité » (Riegel et al., 1994) ou de « recouvrement temporel » (Rihs, à paraître) sont généralement avancées :
Il [= le gérondif] marque un procès concomitant et annexe par rapport au procès principal. La concomitance peut avoir une valeur essentiellement temporelle [...] ou se charger d’autres valeurs selon la place du gérondif et du contexte (en particulier le temps du verbe principal, à travers lequel le gérondif s’interprète). (Le Goffic, 1993 : 435)
Le gérondif a les mêmes valeurs aspectuelles et temporelles que le participe présent : il indique un procès en cours de réalisation, simultané par rapport au procès exprimé par le verbe principal (Il travaille en chantant) [...]. Il équivaut à un adverbe et assume la fonction d’un complément circonstanciel de manière, de moyen, de temps, de cause, de condition ou d’opposition selon sa relation avec le reste de la phrase. (Riegel et al., 1994 : 342)
Le gérondif impose le recouvrement temporel des procès, « l’extension de la dénotation temporelle des prédicats au gérondif » permettant de rendre compte d’apparents contre-exemples5. (Rihs, à paraître)
Kleiber (2007a et b) prend le contre-pied de cette hypothèse :
L’abandon du trait de simultanéité comme caractère intrinsèque du gérondif fait que la valeur temporelle (simultanéité ou antériorité) découle de l’interprétation circonstancielle construite par l’association intégrative et non pas l’inverse. On n’a pas affaire à deux actions temporellement simultanées qui sont mises ensemble et qui donnent ensuite lieu à une interprétation circonstancielle, mais au schéma inverse : c’est l’intégration à une place circonstancielle d’une prédication dans une autre pour former une seule prédication qui fait émerger en même temps la dimension temporelle de simultanéité ou non. La simultanéité est ainsi une conséquence de l’emploi – elle émerge en même temps que l’emploi – et non la source des emplois. (Kleiber, 2007b : 117-118)
L’auteur illustre son propos par l’exemple suivant :
(3) Marie est partie en pleurant.
9pour lequel « l’interprétation la plus accessible [...] est celle de la manière6 » (ibid. : 118) et souligne que « l’établissement de cette interprétation s’accompagne de celle de simultanéité, puisque celle-ci lui est consécutive » (ibid. : 118). Si j’adhère à deux des hypothèses majeures développées par Kleiber (2007 a et b), à savoir l’analyse syntaxique de Vger 7 d’une part, le constat de l’impossibilité d ’ inférer tous les effets de sens liés à la présence de Vger d’une relation initialement temporelle d’autre part (cf. infra, 2.3.), ma position sera plus nuancée sur le dernier point, dans la mesure où certains cas de concomitance ne permettent pas d’établir entre Vconj et Vger une relation autre que temporelle8 (cf. infra, 2.2.). En d’autres termes, si, sur le plan syntaxique, Vger peut globalement être analysé comme un circonstant, sur le plan sémantique en revanche, la « simultanéité » n’est pas nécessairement la conséquence d’une valeur circonstancielle autre, la « circonstance » en question pouvant relever de la seule temporalité.
10Je développerai ici l’hypothèse selon laquelle le gérondif ne possède aucune valeur sémantique spécifique :
On dit souvent [...] que le gérondif marque ici le temps, là la cause ailleurs encore l’opposition ou la condition, tout cela sans changer de forme. Cela prouve donc que le gérondif ne suffit pas à indiquer ces différentes valeurs et donc qu’il n’en indique en soi aucune. C’est le contexte, la situation qui font établir entre les faits une relation logique qui n’est pas exprimée grammaticalement. (Grevisse, 1986 : 1648)
Le gérondif en soi, qui garde toujours la même forme [en V-ant] est non marqué quant aux effets de sens, même s’il est clair [...] qu’il en favorise certains et qu’il en bloque d’autres. (Halmøy, 2003 : 87)
Le lien de subordination non-complétive gérondive [doit être considéré] comme un moule syntaxique, vide, où des concepts sont coulés. Contrairement à ce que cette analogie peut amener à penser, ces concepts ne sont pas une matière informe, mais ils sont structurés par des relations logiques fondamentales et indépendantes de la langue. (Fasciolo, 2007 : 128)
11En d’autres termes, la présence d’un gérondif n’indique rien d’autre que le fait qu’une relation doit être établie entre les deux procès décrits, Vger étant « subordonné » à Vconj (cf. Halmøy, 2003 ; Kleiber, 2006, 2007a et b ; Fasciolo, 2007). Comme le souligne Halmøy (2003), l’interprétation de cette relation repose sur des paramètres divers :
C’est le rapprochement du sémantisme des deux verbes en jeu et de leurs expansions qui permet d’envisager un certain éventail d’effets de sens, l’interprétation de la relation ne pouvant se faire qu’a posteriori. D’autres éléments du contexte linguistique et situationnel (ou pragmatique) peuvent contribuer à l’interprétation du sémantisme de la construction (ibid. : 88).
12Il existe certes quelques indices linguistiques permettant de guider l’interprétation de la relation entre Vger et Vconj (cf. infra, 2.2. et 3.), mais celle-ci repose pour l’essentiel sur des facteurs extralinguistiques, en l’occurrence la mise en relation du contenu sémantique des prédicats utilisés avec les connaissances que nous avons du monde dans lequel nous vivons (cf. Kleiber, 2006 : 128-129). Dans cette optique, les relations temporelles entre Vger et Vconj ne seront pas considérées comme étant premières, mais au contraire comme étant établies par défaut, quand aucune autre relation ne peut être instaurée entre les deux procès : la mise en relation temporelle correspond en effet à la relation minimale qui peut être effectuée entre deux procès.
13Dans la suite de cette section, je décrirai les deux types de relations exclusivement temporelles qui peuvent unir Vger et Vconj (cf. 2.2.), puis je montrerai que tous les effets de sens attribués au gérondif ne sont pas inférables à partir de ces relations temporelles (cf. 2.3.).
2.2. Des relations temporelles établies par défaut : la localisation et la concomitance
14Vger permet d’établir deux types de relation temporelle : soit Vger constitue un repère temporel permettant de situer Vconj dans le temps :
(4) a. Je faisais la sieste en rentrant du collège, le soir, lorsque mes gardes du corps étaient là. (Bouloque, Mort d’un silence)
b. Croisé Genet ce matin en allant chez Gallimard, rien eu envie de lui demander. (Guibert, Le Mausolée des amants) c. N’oublie pas de fermer les volets en partant.
soit Vger décrit un procès concomitant à Vcon9 :
(5) a. Et tu regardes dans la glace en te disant : « C’était toi ». (Morgiève, Ton corps)
b. Je conduisais en racontant mes infortunes. (Mréjen, L’Agrume)
c. laisser place à l’espoir, fou, lui aussi, que nous pourrions être civilisés tout en restant sauvages ! (Pontalis, Traversée des ombres)
Plusieurs caractéristiques permettent de les distinguer :
15– i) Une forme gérondive constituant un repère temporel est mieux à même de répondre à une question introduite par Quand ? :
(6) a. Quand faisais-je la sieste ? En rentrant du collège.
b. * Quand conduisais-je ?/En racontant mes infortunes.
16– ii) Les prédicats téliques constituent plus aisément un repère temporel que les prédicats atéliques. En effet, caractérisés par une borne finale inhérente, les prédicats téliques délimitent facilement un intervalle temporel. Les verbes de déplacement sont particulièrement fréquents (cf. (4)), mais d’autres prédicats téliques peuvent être utilisés10 :
(7) Pierre, qui avait appris le latin au séminaire, m’inscrit d’autorité dans la section rosa-la rose, ce dont je me féliciterais plus tard en passant ma licence d’histoire [...]. (Winock, Jeanne et les siens)
17Les états au gérondif paraissent en revanche peu aptes à constituer des repères temporels (cf. (5c)). Cependant, aucune partition entre le repérage temporel et la concomitance ne peut être établie sur la base de la félicité ou de l’atélicité du prédicat au gérondif : un prédicat atélique peut constituer un repère temporel, la concomitance n’excluant pas la localisation temporelle :
(8) Mes gardes du corps restaient avec moi en attendant le retour de mes parents [...]. (Bouloque, Mort d’un silence)11
18– iii) Sur le plan informationnel, les Vger qui indiquent une concomitance entre deux procès font partie du rhème tandis que les Vger qui constituent un repère temporel, sans être à proprement parler thématiques, décrivent une information connue, ou du moins facilement accessible12. Le caractère thématique de Vger de concomitance peut être mis en évidence par les enchaînements discursifs. Dans l’exemple (9a), la suppression de Vger ne provoque pas l’inacceptabilité de l’énoncé (cf. (9b)) :
(9) a. Pour un week-end, je suis partie à Châteauroux avec Sophie et Maeva. Je conduisais en racontant mes infortunes. Elles se regardaient silencieusement et n’osaient rien me dire, elles avaient l’air gêné. (Mréjen, L’Agrume)
b. Pour un week-end, je suis partie à Châteauroux avec Sophie et Maeva. Je conduisais. Elles se regardaient silencieusement et n’osaient rien me dire, elles avaient l’air gêné.
mais la gêne des passagères ne peut être imputée qu’à une raison déjà connue du lecteur, ou qui sera explicitée ultérieurement. Le Vger en (9a) fait donc bien partie du rhème, dans la mesure où il contient des informations nécessaires à la bonne interprétation du cotexte subséquent.
19– iv) Contenant des informations connues, ou du moins facilement accessibles, les Vger qui constituent un repère temporel occupent très facilement une position initiale détachée, i. e. la position thématique par excellence13 :
(10) a. En allant chez Gallimard, j’ai croisé Genet.
b. En rentrant du collège, je faisais la sieste.
20Faisant partie du rhème, les Vger de concomitance occupent plus difficilement une position initiale détachée :
(11) a.?? En racontant mes infortunes, je conduisais.
b. En conduisant, je racontais mes infortunes14.
21L’acceptabilité est en revanche totale lorsqu’un Vger de concomitance est précédé par tout :
(12) Tout en racontant mes infortunes, je conduisais.
22Dans ce cas, la présence de tout permet de réfuter un topos implicite selon lequel un même sujet ne serait pas apte à réaliser deux actions de façon concomitante (cf. Halmoy, 2003 : 135-138). En outre, en position initiale détachée, tout + Vger est nécessairement thématique (cf. Halmoy, 2003 : 128), d’où la bizarrerie de (9c) :
(9) c.?? Pour un week-end, je suis partie à Châteauroux avec Sophie et Maeva. Tout en racontant mes infortunes, je conduisais. Elles se regardaient silencieusement et n’osaient rien me dire, elles avaient l’air gêné.
23– v) Seuls deux procès concomitants autorisent la présence de tout (cf. Halmoy, 2003 : 131), d’où l’incongruité des exemples en (13) :
(13) a.?? Je faisais la sieste tout en rentrant du collège.
b.?* N’oublie pas de fermer les volets tout en partant15.
24Plus généralement, tout est incompatible avec un Vger de repérage temporel (cf. Halmoy, 2003 : 130) :
(14) a.?* J’ai croisé Genêt tout en allant chez Gallimard.
b.?* Mes gardes du corps restaient avec moi tout en attendant le retour de mes parents.
25– vi) À l’inverse, un marqueur argumentatif comme même semble exclusivement compatible avec un Vger de repérage temporel :
(15) a. Je faisais la sieste même en rentrant du collège.
b. Je racontais mes infortunes même en conduisant.
c.?* Je conduisais même en racontant mes infortunes.
26– vii) Lorsque les procès décrits par Vger et Vconj sont concomitants, la construction est le plus souvent « réversible » (cf. Halmøy, 2003 : 101-104), ce qui peut provoquer des modifications sémantiques (ibid.). Deux cas de figure doivent être distingués :
a) Un des deux prédicats peut facilement constituer un repère temporel :
(16) a. Elle l’acheta en se disant que, si elle n’en avait pas l’usage, elle pourrait le revendre avec un bon bénéfice. (Grenier, Andrélie)
a’. Elle se dit en l’achetant qu’elle pourrait le revendre.
b. Je le suivais et attendais en lisant L’Illustration. (Grenier, Andrélie)
b’. Je lisais L’Illustration en attendant (son retour).
27Dans ce cas, soit Vger indique une simple concomitance (cf. (16a) et (16b)), soit, il constitue un repère temporel (cf. (16a’) et (16b’)).
b) Il arrive qu’aucun des deux prédicats ne permette d’établir un repère temporel :
(17) a. laisser place à l’espoir, fou, lui aussi, que nous pourrions être civilisés tout en restant sauvages ! (Pontalis, Traversée des ombres) a’, nous pourrions rester sauvages tout en étant civilisés.
ou que les deux procès soient susceptibles de le faire :
(18) a. L’Adagio d’Albinoni quej’écoutais avec ma sœur aînée en lisant La Machine à explorer le temps [...]. (Morgiève, Ma vie folle)
a’. J’écoutais l’Adagio d’Albinoni en lisant La Machine à explorer le temps.
a”. Je lisais La Machine à explorer le temps en écoutant l’Adagio d’Albinoni.
28Dans ce cas, la modification sémantique résulte du fait que le procès décrit par Vconj est situé à l’avant-plan et celui décrit par Vger à l’arrière-plan.
29La construction n’est cependant pas toujours réversible. En (19) :
(19) a. Il est mort en dormant.
a’. * Il (a dormi + dormait) en mourant.
30Pour des raisons pragmatiques extralinguistiques, mourir peut difficilement être envisagé comme un repère temporel permettant de localiser dormir16, ni constituer l’arrière-plan de dormir.
31– viii) Enfin, la négation est tout à fait compatible avec Vger indiquant la concomitance :
(20) a. Monter tout un système de recherche en ne sachant pas très bien ce que l’on cherche [...] c’est vraiment ardu. (Duneton, cit. Halmoy, 2003 : 150)
b. Écrivez directement à la troisième personne, sans en-tête ni signature, et si possible en n’inscrivant rien au verso. (Elle, cit. Halmoy, 2003 : 150)
32Dans ce cas, sans Vinf se substitue sans difficulté à Vger (cf. Halmøy, 2003 : 150). La présence d’une négation est en revanche exclue dans le cas de la localisation temporelle :
(21) a. * Je faisais la sieste en ne rentrant pas du collège.
b. * Mes gardes du corps restaient avec moi en n’attendant pas le retour de mes parents.
c. * Ferme les volets en ne partant pas.
ce qui n’est pas spécifique au gérondif. En effet, comme le montre Le Draoulec (1998) :
La négation d’un événement17 ne donne ni un événement ni un état, mais un fait et ne permet pas d’obtenir de temps de référence défini. Pour cette raison, elle ne satisfait pas aux exigences de localisation d’une subordonnée temporelle. La seule façon d’admettre une négation d’événement dans une subordonnée temporelle est donc de fournir autrement (par ajout d’une locution adverbiale) le temps de référence requis, ou encore d’affaiblir les exigences de localisation temporelle en faisant passer au premier plan un autre type de relation (causale, concessive). (Ibid. : 274)
33En d’autres termes, la présence d’une négation avec un prédicat d’accomplissement ou d’achèvement est possible, mais elle interdit d’interpréter Vger comme un repère temporel. De fait, en (22a) seule une interprétation causale est possible :
(22) a. J’ai croisé Genet en n’allant pas chez Gallimard.
34L’inférence causale est facilitée par l’ordre arrière-plan/avant-plan18, et donc, par l’antéposition de Vger :
(22) b. En n’allant pas chez Gallimard, j’ai croisé Genet.
35En revanche, si la négation porte sur Vconj, Vger peut sans difficulté constituer un repère temporel :
(23) a. Je ne siffle pas en travaillant. (Levé, Autoportrait)
b. « Va prévenir ton père que c’est prêt », n’insiste pas ma mère en posant les coquillettes sur la table de la cuisine. (Bouillier, Rapport sur moi)
36Malgré l’existence de critères permettant de distinguer les Vger de localisation temporelle des Vger de concomitance, il ne s’agit pas de deux classes totalement distinctes, dans la mesure où un Vger concomitant à Vconj peut servir à le localiser temporellement19. Cependant, la concomitance et la localisation ne présentent pas les mêmes possibilités inférentielles. La concomitance, par exemple, permet certaines inférences (la concession et la manière notamment) et en interdit d’autres (en particulier, la condition et l’hypothèse). La section suivante précise le lien entre ces relations temporelles et les autres effets de sens attribués au gérondif.
2.3. Tous les effets de sens sont-ils inférables de ces relations temporelles ?
37Il s’agit là d’une question cruciale, dans la mesure où y répondre permettra de déterminer si les relations temporelles entre Vger et Vconj doivent être analysées comme correspondant à des valeurs sémantiques fondamentales du gérondif, ou si au contraire elles sont établies par défaut, quand aucune autre relation n’est inférable.
38Les « valeurs logiques » attribuées au gérondif présentent la caractéristique commune de reposer sur des relations temporelles sous-jacentes. Décrivant la relation de causalité, Nazarenko (2000 : 42) écrit :
Les relations causales sont inscrites dans le temps. Pour le sens commun, une cause, qui est antérieure logiquement à son effet, ne peut pas lui être postérieure temporellement. Plusieurs schémas temporels sont possibles : la cause peut être strictement antérieure ; elle peut débuter avant l’effet et se poursuivre tout ou partie de la durée de l’effet ; la cause et l’effet peuvent être simultanés. Mais la cause ne peut pas débuter après l’effet.
39Des relations temporelles analogues sont sous-jacentes au moyen20 : pour qu’un procès puisse être interprété comme le moyen de parvenir à la réalisation d’un autre, il ne doit pas lui être postérieur. La même logique élémentaire permet de conclure que si la réalisation d’un procès est une condition nécessaire à la réalisation d’un autre, alors il lui est nécessairement temporellement antérieur21. Dans le même ordre d’idée, si un procès « qualifie » le déroulement d’un autre22, alors les deux procès sont nécessairement concomitants.
40Les relations temporelles décrites ci-dessus autorisent certaines inférences. En particulier, la concomitance permet d’inférer des relations de concession (cf. (24a)), de manière (cf. (24b)), de cause (cf. (24c)) et de moyen (cf. (24d)) :
(24) a. De son côté, le R.P.R. s’inquiète de certaines dispositions du décret, tout en approuvant ses principes, (cit. Morel, 1996 : 86)
b. La jeune fille sort de chez elle en courant et l’embrasse fougueusement. (Brochet, Trajet d’une amoureuse éconduite)
c. Quel que soit le sujet abordé, je ramenais la discussion à ma question : pourquoi Bruno n’appelle-t-il pas ? Je l’entretenais de la disparition de l’Agrume en espérant vaguement qu’elle aurait une réponse. (Mréjen, L’Agrume)
d. Mon père animait la soirée en jouant de la batterie dans un petit orchestre de jazz constitué de condisciples en droit. (Bouiller, Rapport sur moi)
41La localisation temporelle permet d’inférer une relation causale (cf. (25a)), voire conditionnelle (cf. (25b)) :
(25) a. Les enfants cessèrent de bavarder en apercevant l’instituteur, (adapté de Kleiber, 2007a : 98)
b. N’oublie pas de fermer la fenêtre en partant.
42Il semble cependant que certaines inférences (en particulier celles ayant trait au moyen) ne soient pas nécessairement établies à partir d’un Vger de localisation ou de concomitance. Cette particularité résulte de la conjonction de plusieurs facteurs. En premier lieu, les Vger permettant une inférence de moyen correspondent le plus souvent à des prédicats atéliques tandis que les Vger de localisation correspondent le plus souvent à des prédicats téliques. Un Vger télique permettant une inférence de moyen autorise également une interprétation alternative de localisation temporelle :
(26) J’ai appris la mort de Bruno en achetant le journal, je ne savais pas qu’il était malade. (Guibert, Le Protocole compassionnel)
43Dans cet exemple, Vger reçoit une interprétation soit strictement temporelle (répondant à la question Quand P ?), soit relevant du moyen (répondant à la question Comment P ?)23, à la différence de l’inférence causale illustrée en (25a), dans le cas de laquelle les interprétations temporelle et causale ne sont pas exclusives l’une de l’autre. L’interprétation/moyen/en (26) ne semble donc pas corrélée stricto sensu à la localisation temporelle.
44Quand un prédicat atélique permet de localiser temporellement Vconj, les deux procès sont généralement concomitants (Mes gardes du corps restaient avec moi en attendant mes parents). Le moyen peut certes être inféré à partir de procès concomitants (cf. (24d)), mais dans ce cas, Vger ne constitue pas un repère temporel. On peut d’ailleurs noter que lorsqu’elle permet une inférence de moyen, la construction Vconj + Vger n’est pas réversible (ce qui résulte du fait que la relation est orientée, au sens d’Halmøy, 2003) :
(27) * Mon père jouait de la batterie dans un petit orchestre de jazz en animant la soirée.
que tout est exclu (cf. Halmoy, 1990 : 182 et 2003 : 130) :
(28) * Mon père animait la soirée tout en jouant de la batterie dans un petit orchestre de jazz constitué de condisciples en droit.
et que la négation de Vger n’admet pas la glose par sans Vinf (cf. Halmøy, 2003 : 149) :
(29) Mon père animait la soirée en n’arrêtant pas de faire le pitre.
De plus, les procès décrits peuvent ne pas être strictement concomitants24 :
(30) a. Je fracture aussi les portières des voitures du parking de l’avenue
Marceau. Éclate les pare-brise en faisant simplement tomber sur eux un marron. (Bouiller, Rapport sur moi)
b. Quand le vermicellier Goriot fit fortune en fournissant les armées républicaines, un modeste officier de l’armée d’Italie inspirait une passion à la mère de Fabrice, qui naît peu après. (Lucot, Frasques)
45Plus généralement, comme le montre Rihs (à paraître), ce n’est pas la notion de concomitance (ou de simultanéité) au sens strictement temporel qui est pertinente pour décrire ce type d’exemple, mais bien le fait que des « procès apparemment successifs » désignent en fait « deux phases d’un même événement », celui décrit par Vconj. Dans les exemples précédents, le procès décrit par Vger est inclus dans la phase préparatoire du procès décrit par Vconj.
46Ces quelques exemples semblent indiquer que les relations temporelles ne constituent pas les « valeurs » premières du gérondif et qu’elles sont au contraire établies par défaut. Dans la seconde partie de cet article, je décrirai ces différentes inférences en fonction des notions sémantiques en jeu, que je tenterai de définir le plus précisément possible.
3. Les principaux effets de sens
47Parmi les divers effets de sens susceptibles d’être attribués à la relation Vger-Vconj, je retiendrai la cause, le moyen, la concession et la manière. L’hypothèse et la condition seront conçues comme étant inférées à partir du moyen.
3.1. La cause
48Une relation causale peut être inférée à partir d’un Vger constituant un repère temporel (cf. 25a) ou à partir d’une relation initiale de type « moyen » :
(31) a. Il a redécouvert la saveur des aliments en arrêtant de fumer. (cit. Rihs, à paraître)
49La différence entre ces deux types d’inférence causale peut être mise en évidence par le fait que Vger constitue une réponse appropriée à une question en quand dans le premier cas, en comment dans le second :
(32) a.? Quand cessèrent-ils de bavarder ? En apercevant l’instituteur.
a’. * Comment cessèrent-ils de bavarder ? En apercevant l’instituteur.
b. Comment a-t-il retrouvé l’odorat ? En arrêtant de fumer.
b”. * Quand a-t-il retrouvé l’odorat ? En arrêtant de fumer.
50Je traiterai dans cette section des inférences causales établies à partir d’un Vger de repérage temporel25, et dans la suivante des relations parfois inextricables entre la cause et le moyen.
51L’expression de la cause par Vger est évoquée par Nazarenko (2000), selon qui :
le gérondif ressortit donc de l’ensemble des relations de circonstance, [...] notion floue qui recouvre un grand nombre de valeurs sémantiques, celles-ci étant déterminées par le contexte et par la nature des faits décrits par l’énoncé, (ibid. : 114).
52À la différence de parce que, Vger ne pose pas une relation causale. Dès lors se pose la question de savoir s’il existe des critères qui permettraient de distinguer les Vger de localisation temporelle qui autorisent une inférence causale de ceux qui l’interdisent, ou, à défaut, des contextes qui facilitent l’inférence causale26.
53Pour préciser la « notion de causalité », Nazarenko (2000 : 5-6) utilise six « caractéristiques » principales27. La causalité serait caractérisée par l’existence d’une « contrainte temporelle », d’une possibilité de « généralisation en loi causale », « la contrefactivité », « l’approximation », la « subjectivité » et l’aptitude à répondre à une question introduite par Pourquoi ?28. La « contrainte temporelle » correspond au fait que pour qu’une inférence causale à partir d’un Vger de localisation soit possible, le procès décrit par Vconj ne doit pas être postérieur à celui décrit par Vger, ce qui, concernant l’interprétation du gérondif, n’est pas spécifique de l’inférence causale. La « généralisation en loi causale »29 peut être formulée en termes de topoï, ces « principes généraux qui servent d’appui au raisonnement, mais qui ne sont pas le raisonnement » (Anscombre, 1995 : 39). Pour l’exemple (31a), on peut restituer un topos de forme Quand les enfants aperçoivent leur instituteur, il est fréquent qu’ils cessent de parler. De même, en (33) :
(33) Accablement en relisant la première partie, qui me semble assez mauvaise, confuse : dépomographier tout ça ? nettoyer chaque phrase ? (Guibert, Le Mausolée des amants)
on peut formuler un topos du type Plus un écrit est mauvais, plus sa relecture est susceptible de provoquer l’accablement de l’auteur. L’inférence causale est en outre facilitée lorsque la « contrefactivité »30 est associée à la possibilité de généraliser en « loi causale », ce qui est le cas dans les exemples précédents. Mais ni la contrefactivité, ni la généralisation en loi causale ne sont nécessaires pour qu’une inférence causale soit établie :
(34) je suis allé aux urgences et l’infirmière m’a dit en regardant la radiographie de mon crâne qu’on voyait bien que j’étais jeune. (Morgiève, Ma vie folle)
De plus, la contrefactivité n’impose pas une interprétation causale. En (35) :
(35) Croisé Genet ce matin en allant chez Gallimard, rien eu envie de lui demander. (Guibert, Le Mausolée des amants)
il est vraisemblable que le narrateur n’aurait pas rencontré Genet en n’allant pas chez son éditeur, mais il semble difficile de considérer le fait d’aller chez Gallimard comme étant la cause stricto sensu de la rencontre. Se rendre chez un éditeur constitue tout au plus une circonstance qui favorise la rencontre d’écrivains.
54La notion d’« approximation »31 n’est pas utilisable ici. Celle de « subjectivité »32 ne l’est guère davantage, mais elle est intéressante dans la mesure où elle attire l’attention sur le fait qu’il n’est pas possible de distinguer deux classes de Vger, les uns purement temporels, les autres purement causaux33. Comme l’indique Nazarenko (2000) :
Dans la mesure où l’homme a une propension naturelle à chercher les causes de ce qu’il observe, il suffit souvent en effet que deux propositions soient placées dans une relation de succession temporelle, qu’elles soient coordonnées ou corrélées, ou encore que l’une soit donnée comme la circonstance de l’autre, pour qu’on y voit une relation de cause à effet. (Ibid. : 149)
55De fait, de très nombreux exemples permettent une inférence causale, dont la responsabilité incombe au seul lecteur :
(36) a. J’ai pleuré en lisant Perfecto de Thierry Fourreau. (Levé, Autoportrait)
b. Je m’arrêtai en la voyant. (Mathews, Ma vie dans la CIA)
c. Je tremblais en la voyant approcher. Partager le même air qu’elle me suffoquait. (Bouillier, Rapport sur moi)
De plus, le scripteur lui-même n’est pas toujours à même de trancher :
(37) J’ai marché dans Paris, partout dans Paris, j’ai appris et récité des poèmes en marchant, j ’ai marché en récitant et composant dans Paris, partout, n’importe où dans Paris, aux confins de Paris, composé et recomposé sur les restes d’une décomposition antérieure. Ai-je composé parce que je marchais, ai-je marché parce que j’apprenais, composais, marmonnais en récitant de la poésie ? Quoi qu’il en soit, je marchais. Je marchais et je me souvenais, je composais et lisais et apprenais et me récitais de la poésie. (Roubaud, Poésie : récif)
56Cet exemple évoque la possibilité d’une inférence de type causal, et indique que seule la relation temporelle est certaine.
57Il n’existe donc pas de critères permettant d’identifier une relation causale, mais des contextes qui en facilitent l’inférence : la possibilité de « généraliser en loi causale », la « contrefactivité », et aussi, comme signalé plus haut, la négation de Vger (cf. (22a)) et/ou son antéposition (cf. (22b)). Le gérondif ne favorise d’ailleurs pas particulièrement l’inférence causale. En effet, si le fait de pleurer ou de tousser peuvent être explicitement présentés comme étant la cause d’un départ (cf. Il est parti parce qu ’il pleurait, Il est sorti parce qu ’il toussait), ce type d’interprétation n’est pas particulièrement saillant avec l’emploi de Vger (cf. Il est parti en pleurant ; Il est sorti en toussant).
58Enfin, tout Vger empêche d’établir une inférence causale (cf. Halmoy, 1990 : 182 et 2003 : 130) :
(38) L’infirmière m’a dit, tout en regardant la radiographie de mon crâne, qu’on voyait bien que j’étais jeune.
et la négation de Vger ne peut être glosée par sans Vinf (cf. Halmøy, 2003 : 149).
3.2. Le moyen
59Selon Van de Velde (2009a : 55-58), le moyen est analysable comme un « constituant d’action préalable », un « acte accompli pour parvenir à une fin », ce que montre, dans le cas de l’interrogatif comment, la glose en faire pour 34 :
(39) a. « La princesse retrouva le prince charmant. » Comment ? Réponses : 1. Grâce au magicien/2. En le rejoignant sur son fidèle destrier/3. En fuyant à travers la forêt /4. Autres (préciser) (Boulouque, Mort d’un silence)
a’. Comment la princesse fera-t-elle pour retrouver le prince charmant ?
60Cette définition explique le rôle prépondérant du gérondif dans l’expression du moyen : l’action étant prototypiquement exprimée par un verbe, il n’est guère surprenant que le gérondif, forme verbale, en soit un des modes d’expression privilégiés. Elle permet également de lever l’apparent paradoxe évoqué ci-dessus à propos de l’analyse proposée par Rihs (à paraître), qui indique que des « procès apparemment successifs » désignent en fait « deux phases d’un même événement ». Elle souligne enfin les proximités entre le moyen et la finalité (cf. la glose en faire pour), la fin corrélée au moyen n’étant pas toujours un but mais pouvant être un terme (cf. Van de Velde, 2009, qui illustre ce second cas de figure par Comment as-tu enfoncé ton aile avant droite ?). La finalité étant elle-même très proche de la causalité (cf. Nazarenko, 2000 : 26-28), il n’est pas non plus surprenant qu’il soit parfois difficile (voire impossible) de trancher entre la cause et le moyen, d’autant que les relations temporelles sous-jacentes sont strictement identiques. Nos connaissances du monde jouent un rôle non négligeable dans l’interprétation. En (40) :
(40) Il a pris du poids en mangeant davantage.
selon que le référent du sujet syntaxique est convalescent et amaigri ou au contraire qu’il a tendance à l’embonpoint, en d’autres termes, selon qu’il a ou non besoin de prendre du poids, la relation entre Vger et Vconj sera interprétée comme relevant du moyen ou de la causalité. En (41) :
(41) a. Il a redécouvert la saveur des aliments en arrêtant de fumer. (cit. Rihs, à paraître)
b. Il a fait de substantielles économies en arrêtant de fumer.
le fait que l’arrêt du tabac soit plus facilement motivé par des considérations financières que par le plaisir de redécouverte de saveurs gustatives exerce manifestement une influence sur l’interprétation : si une inférence causale est possible dans les deux cas, une inférence de type /moyen/semble plus probable en (41b) qu’en (41a). Nos connaissances du monde interviennent également pour évaluer si l’interprétation de Vger comme repère temporel est ou non plus probable que l’interprétation alternative de moyen (cf. supra (26)), et rares sont les exemples dans lesquels, comme en (42), seule l’interprétation/moyen / est disponible :
(42) a. quand elle décidait de confectionner un plat à sa façon : écrevisses si nous revenions de la pêche, et il fallait, de façon barbare, leur arracher le boyau en tirant sur le telson, la lame médiane de la nageoire caudale, avant de les jeter dans l’eau bouillante ; [...] (Grenier, Andrélie)
b. Plichkine pourrait très bien choisir de faire sortir sa carte en la cachant dans le tissage d’un tapis local. (Mathews, Ma vie dans la CIA)
61L’interprétation conditionnelle et/ou hypothétique des formes gérondives repose sur une relation initiale de moyen35, les parentés entre la cause, la finalité et la condition étant étroites (cf. Nazarenko, 2000 : 15-37). Dans le cas de l’hypothèse ou de la condition cependant, le procès décrit par Vger est nécessairement antérieur à celui décrit par Vconj. Outre le temps grammatical de Vconj (cf. supra, (2)), d’autres facteurs favorisent une inférence conditionnelle, parmi lesquels la distance temporelle entre les procès décrits, l’antéposition de Vger, l’utilisation d’un modal, etc. :
(43) a. On évitera les embouteillages en partant tôt.
a’. En partant tôt, on évitera les embouteillages.
b. Je pourrai aller au spectacle demain en travaillant ce soir.
b’. En travaillant ce soir, je pourrais aller demain au spectacle (cit. Chevalier et al., 1988 : 375)
62Enfin, certains indices linguistiques caractérisent les interprétations / moyen / et apparentées (cause, hypothèse et/ou condition). Comme il a été indiqué précédemment, la permutation des prédicats à temps fini et au gérondif est exclue (cf. (27)), la présence de tout bloque ce type d’inférences (cf. (28)) et la négation de Vger n’autorise pas la glose en sans Vinf (cf. (29)), ce qui provient du fait qu’il s’agit de relations logiquement orientées (cf. Halmøy 2003). Enfin, des marqueurs argumentatifs comme rien que, autrement que, non seulement... mais (encore) sont tout à fait compatibles avec cette interprétation :
(44) a. Et le faucon de l’imaginaire m’y projetait, rien qu’en tournant les pages. (Roubaud, Poésie : récif)
b. Que puis-je faire à Paris sinon y travailler pour gagner ma vie autrement qu’en écrivant ? (Guibert, Le Mausolée des amants)
c. et même si je n’avais pas les moyens de me payer les tapis que j’aimais – les vrais – je continuai à m’instruire à leur sujet. Je fis cela non seulement en bouquinant mais en visitant régulièrement une boutique de la rue de Miromesnil, dans le VIIIe. (Mathews, Ma vie dans la CIA)
63L’interrogation en comment n’est pas spécifique, puisque la réponse obtenue, outre le moyen, la cause et la condition, peut également dénoter la manière (cf. Kleiber, 2007a : 95).
3.3. La concession
64La concession logique est décrite par Morel (2000 : 6-9) comme l’ association à une proposition p d’une autre proposition q qui ne lui est normalement pas associée. La concession logique fait donc intervenir un topos selon lequel (si + quand) p, -q, et pose que p et q se déroulent conjointement. Avec l’emploi d’une forme gérondive, la relation concessive n’est pas posée, mais inférée par le biais de la restitution d’un topos, Quand on se sépare peu de temps après le mariage, on ne reste généralement pas très amis en (45a), Quand on sait qu ’une chose est impossible, on ne l’espère pas en (45b) :
(45) a. Ils ont fini par se marier ; peu de temps après ils vivaient séparés, tout en restant très amis. (Mathews, Ma vie dans la CIA)
b. J’espérais toujours que la situation changerait, tout en sachant que c’était impossible. (Mathews, Ma vie dans la CIA)
65Comme le montrent les exemples précédents36, le détachement et la présence de tout facilitent l’inférence concessive. Cependant, la possibilité de construire un topos de forme si p, -q, le détachement, et/ou la présence de tout ne constituent pas des critères suffisants pour établir une inférence concessive, et il n’est pas toujours possible de trancher entre une interprétation de concomitance temporelle et une interprétation concessive :
(46) a. Je me suis approchée du bloc en ayant peur qu’il puisse me voir de ses fenêtres. (Mréjen, L’Agrume)
b. Je dus lui expliquer que je cherchais des coccinelles pour un tournage, en me gardant de lui décrire l’action. (Mréjen, L’Agrume)
c. laisser place à l’espoir, fou, lui aussi, que nous pourrions être civilisés tout en restant sauvages ! (Pontalis, Traversée des ombres)
66En d’autres termes, il ne suffit pas d’une opposition entre les deux propositions pour inférer une relation concessive, et, comme dans le cas de la cause, l’inférence est à la charge de l’interlocuteur. De plus, en dehors de la force du topos (i.e. du consensus plus ou moins grand avec lequel il est admis), il ne semble pas exister de critères linguistiques permettant de distinguer ces deux interprétations. Si l’interrogation en comment « ne semble pas appropriée pour la concession » (Kleiber, 2007a : 95), elle ne l’est pas davantage pour la concomitance. En outre, la présence de tout, possible seulement pour ces deux interprétations, est fréquemment associée à la réfutation d’un topos (cf. Halmoy, 1990 ; 2003 : 125-139), par exemple celui selon lequel il serait impossible de faire deux choses en même temps (cf. (47a) et (47b)), d’entreprendre une activité nouvelle sans abandonner une activité ancienne (cf. (47c)), etc., sans pour autant nécessairement provoquer une inférence concessive :
(47) a. chez lui, où il bénéficie de repas diététiquement préparés par Marie-Adèle, sa gouvernante cuisinière, et boit de l’Apollinaris, tout en surveillant le comportement de ses disciples. (Roubaud, La Bibliothèque de Wartburg : version mixte)
b. J’ai donc préparé l’année de propédeutique (l’équivalent du DEUG) à la Sorbonne, tout en suivant les cours d’hypokhâgne au Centre d’enseignement par correspondance [...]. (Winock, Jeanne et les siens)
c. Il travaille alors pour d’importants producteurs internationaux, tout en poursuivant ses travaux personnels, qui préfigurent le style des vidéo-clips. (Levé, Journal)
3.4. La manière
67La manière se distingue des notions précédemment décrites, dans la mesure où il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une relation logique entre deux propositions.
68Halmøy (2003 : 104-105) propose une définition très étroite des formes gérondives exprimant la manière :
le couple VR-SG37 n’exprime qu’une seule action. Il y a donc là encore un seul agent et coïncidence totale des deux prédicats. Le SG est intraprédicatif, et son verbe est en relation d’hyponymie avec le VR. Dans cette configuration, les VR sont de deux types : verbes de déplacement/ mouvement et verbe de dire, le gérondif dans les deux cas précisant la « manière » dont s’effectue le procès principal, (ibid. : 104)
69Kleiber (2006, 2007a) semble au contraire en avoir une conception très large et il pose l’axiome suivant :
Si une activité X est une manière possible d’une activité Z, alors X au gérondif ne peut être repère temporel pour Z, comme Z au gérondif peut l’être pour X. (Kleiber, 2007a : 123)
70En d’autres termes, si Vger dénote la manière dont s’est déroulé Vconj, l’inversion des prédicats à temps fini et au gérondif aboutit à un repérage temporel :
(48) a. Il a répondu en bégayant.
a’. Il a bégayé en répondant.
71Malheureusement, la réciproque (chaque fois que l’inversion des prédicats à temps fini et au gérondif aboutit à un repère temporel, la forme gérondive initiale dénote la manière) n’étant pas vraie (cf. (49)), la constatation strictement exacte de Kleiber ne permet pas d’identifier avec certitude une forme gérondive exprimant la manière :
(49) a. Il est parti en promettant de revenir. (Mréjen, L’Agrume)
a’.? Il a promis de revenir en partant.
a”. En partant, il a promis de revenir.
72La question de l’expression de la manière par le gérondif ne pouvant être résolue en si peu d’espace, je me contenterai de présenter ici quelques éléments de réflexion. Pour caractériser la notion de manière, je partirai de la définition de Sechehaye (1926), reprise par Nilsson-Ehle (1941 : 29) :
La manière est [...] l’idée de la qualité appliquée à des idées essentiellement verbales : elle est la qualité du procès.
73En d’autres termes, un complément de manière qualifie le déroulement du procès décrit par le prédicat verbal auquel il est incident, et, de même qu’une épithète adjectivale crée une sous-classe au sein de la classe dénotée par le nom qu’elle affecte, un complément de manière crée un sous-type de procès par rapport au procès décrit par le verbe qu’il modifie (cf. Golay, 1959). Dès lors, il devrait suffire que Vger qualifie le déroulement du procès décrit par Vconj pour que lui soit attribuée une valeur de manière, et si (50a) et (50b) expriment bien la manière, on ne voit pas pourquoi (50c) ne l’exprimerait pas :
(50) a. Il s’éloigne (lentement + hâtivement).
b. Il s’éloigne sans se hâter
c. Il s’éloigne en se hâtant.
74Il faut d’ailleurs souligner qu’à la différence de langues comme l’anglais (cf. Guimier, 1996) ou le suédois (cf. Fohlin, 2008), le français ne permet pas de construire d’adverbe de manière à partir d’un participe passé ou d’un participe présent. Un énoncé comme (51a) étant inacceptable, seul le recours au gérondif permet d’exprimer la même idée (cf. (51b)) :
(51) a. * Il la regarde souriamment.
b. Il la regarde en souriant38.
75Comme dans le cas de la concession, toute la difficulté va consister à évaluer si Vger qualifie le déroulement du procès décrit par Vconj, ou s’il s’agit de deux actions concomitantes. En (51) :
(52) Il conduit en téléphonant39.
du point de vue référentiel, le fait de téléphoner a nécessairement des répercussions sur le déroulement du procès, en l’occurrence la conduite. Il semble cependant que du point de vue linguistique, conduire en téléphonant soit perçu plutôt comme la concomitance de deux activités, que comme une « manière de conduire », ce qu’indique la possibilité de faire précéder la forme gérondive par tout :
(53) Il conduit tout en téléphonant.
(54) a. Elle est partie en courant.
a’. * Elle est partie tout en courant.
76La difficulté à circonscrire les formes gérondives dénotant la manière est redoublée par le fait qu’outre la réalisation du procès, un complément de manière peut également porter40 sur un des actants du prédicat (cf. Van de Velde, 2009b). J’évoquerai ici le seul cas généralement décrit par les termes « d’adverbe de manière orienté vers le sujet » (cf. notamment Molinier et Lévrier, 2000 : 117-146) : bien que syntaxiquement incident au verbe, l’adverbe de manière peut sémantiquement porter sur le sujet :
(55) Max regardait anxieusement l’écran.
= Max était anxieux (en regardant l’écran).
(cit. Molinier et Lévrier, 2000 : 118)
77Dès lors, tout Vger dénotant l’état d’esprit du sujet syntaxique de Vconj peut potentiellement être interprété comme dénotant la manière :
(56) a. une petite fille dont elle connaissait la famille se roulait par terre sur le trottoir en hurlant. (Grenier, Andrélie)
b. et, comme au ralenti, je la voyais s’avancer en souriant vers moi, me passer les bras autour du cou et me dire qu’elle m’aimait. (Bouillier, Rapport sur moi)
c. Elle fit non de la tête en soupirant. (Mathews, Ma vie dans la CIA)
d. J’envoyai la dépêche en tremblant. (Bouillier, Rapport sur moi)41
78Il en est de même pour les Vger dérivant l’attitude du sujet de Vconj :
(57) a. Un peu à l’écart, une paire de mocassins havane, le soulier de gauche monté sur le droit, comme ceux des adolescents en classe quand ils réfléchissent sur leur copie en tortillant leurs jambes. (Emaux et Marie, L’Usage de la photo)
b. En retrait, mon père écoute en se mordillant la lèvre inférieure, le coude appuyé sur le chapiteau de la cheminée. (Bouillier, Rapport sur moi)
79Du fait que toute activité est potentiellement susceptible de donner des informations sur – et donc de qualifier – son agent (ne serait-ce que parce qu’il l’accomplit), il est par conséquent difficile de distinguer clairement la concomitance de deux actions de la qualification d’une action (ou de son agent) par une autre action :
(58) Je conduisais en racontant mes infortunes. (Mréjen, L’Agrume)
80Il faut en outre noter qu’à la différence des autres « compléments de manière », une forme gérondive ne peut compléter un prédicat qui exige ce type de complément :
(59) a. Il se comporte (intelligemment + avec sagesse + en héros + comme un lâche).
b. * Il se comporte (en pleurant + en luttant).
ce qui résulte du fait que Vger occupe nécessairement une position non argumentale (cf. Kleiber, 2007a ; Fasciolo, 2007).
4. Conclusion
81Une forme gérondive ne possède en elle-même aucune valeur sémantique spécifique. Elle entretient avec un prédicat verbal à temps fini une relation de dépendance syntaxique, laquelle indique qu’une relation doit être établie entre les deux procès décrits. L’attribution d’un sens à cette relation repose partiellement sur des indices linguistiques et sur le sens lexical des prédicats utilisés, mais elle résulte pour l’essentiel de la confrontation du contenu sémantique des procès décrits et de connaissances extralinguistiques relatives au monde dans lequel nous vivons. Le gérondif se distingue des subordonnées dites circonstancielles par la rareté des indices linguistiques contribuant à l’interprétation. En effet, l’interprétation d’une subordonnée circonstancielle est guidée par le sens du morphème introducteur (cf. Halmøy, 2003 : 89), la présence d’un sujet syntaxique nécessairement exprimé et par les indications temporelles et aspectuelles fournies par le temps grammatical auquel est conjugué le verbe de la subordonnée. Ces différents éléments font défaut dans le cas du gérondif : sauf à analyser en comme une préposition (cf. notamment Franckel, 1989 et Kindt, 1999), le morphème introducteur est dépourvu de sens, le gérondif n’a pas de sujet syntaxique42, et il s’agit d’une forme verbale non finie, l’opposition aspectuelle entre la forme simple et la forme composée étant fort peu usitée (cf. Grevisse, 1986)43. L’interlocuteur dispose de très peu d’éléments linguistiques sur lesquels fonder l’interprétation, d’où le recours à ses connaissances extralinguistiques.
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Notes de bas de page
1 Mes remerciements à D. Stosic pour sa relecture minutieuse d’une version antérieure de cette étude et pour ses remarques pertinentes.
2 Comme le souligne Halmøy (2003 : 87), « ce n’est pas le gérondif seul, mais la construction gérondive (CG), c’est-à-dire la relation qui s’instaure entre le gérondif (SG) et le verbe régissant (VR), avec ses expansions éventuelles » qui reçoit un sens.
3 Pour d’autres hypothèses, cf. Franckel (1989) ou Kindt (1999).
4 Gettrup (1972) développe également l’hypothèse d’une valeur essentiellement temporelle du gérondif. Cf. notamment : « la thèse soutenue dans cette section est conforme au point de vue traditionnel selon lequel le gérondif peut être interprété comme un adverbial de temps qui indique la simultanéité. Selon ma terminologie, c’est un repère temporel » (ibid. : 226). L’auteur distingue très précisément le « sens temporel » du gérondif (qui permet de localiser temporellement Vconj) d’un autre emploi dans lequel le gérondif indique une « circonstance concomitante ». À l’exception de la relation causale, dont Gettrup indique qu’elle ne peut pas être clairement distinguée du « sens temporel » (ibid. : 222-223), le lien éventuel entre les différentes « valeurs » du gérondif est peu étudié par l’auteur, qui indique toutefois : « Je rappelle qu’un gérondif temporel n’admet pas de zone intermédiaire entre les deux actions verbales (mais je ne prétends pas que cette restriction vaille pour tous les emplois, cf. En partant à sept heures, tu arriveras à midi) » (ibid. : 231). Cette dernière remarque laisse supposer que pour Gettrup, les différents effets de sens attribués au gérondif ne sont pas tous dérivés d’une valeur initialement temporelle.
5 Je reviendrai plus bas (2.3. et 3.2. notamment) sur cette analyse, très utile pour décrire un nombre important d’emplois du gérondif.
6 Kleiber utilise une définition très large du « complément de manière » au gérondif. Sur ce point, cf. infra, 3.4.
7 « Le statut syntaxique “adverbial” ou de complément circonstanciel du syntagme gérondif fait que l’association ne se réalise pas entre éléments de même niveau, mais entraîne clairement une dépendance de l’un par rapport à l’autre. Il s’agit ainsi de l’intégration d’une prédication dans l’autre et non d’une simple association de même niveau » (Kleiber, 2007a : 120).
8 Ce que note néanmoins Kleiber (2006 : 130).
9 Cette bipartition des relations temporelles correspond globalement à la distinction établie par Gettrup (1972) entre le « sens temporel » et la « circonstance concomitante ». Je préfère éviter le terme de circonstance, qui, en raison de la notion traditionnelle de « complément circonstanciel », peut prêter à confusion.
10 Ce que soulignent également Gettrup (1972) et Kleiber (2006). Halmøy (2003 : 92) relève cette caractéristique à propos des Vger en position initiale détachée constituant un « repère temporel ou [un] cadre », et note également la proportion importante des verbes de déplacement. Il en est de même dans l’interprétation temporelle des « circonstancielles » en comme (sur ce point, cf. Moline, 2006).
11 Ce type d’exemple pose problème à Gettrup (1972). À propos de (i) : « Le “Cap Saint-Jean” était amarré le long du wharf en attendant son chargement. (Robbe-Grillet, La Jalousie) », l’auteur écrit : Mais (i) pose des problème. Encore une fois, il faut se poser la question : repère temporel ou circonstance concomitante ? [...]. À la vérité, je ne considère pas (i) comme constituant un repère temporel. C’est ici que la position entre en ligne de compte. En postposition, la valeur d’information du syntagme est égale, sinon supérieure, à celle du syntagme verbal fini. Logiquement, c’est une coordination » (ibid : 248).
12 « Il semble en effet normal que seule de l’information acquise puisse servir comme ancrage temporel » (Herslund, 2003). Cf. également Gettrup (1972 : 217 sq.) à propos des différences entre Je chante en me rasant et Je me rase en chantant, ainsi que Kleiber (2006 : 125-127), qui nuance quelque peu ce point de vue.
13 Cette configuration est extrêmement fréquente. Halmøy (2003 : 92-94) lui accorde un statut à part.
14 (11a) présente une meilleure acceptabilité que (11b), dans la mesure où Vger s’interprète alors comme un repère temporel.
15 (13a) est meilleur que (13b), parce qu’un contexte dans lequel le sujet syntaxique de Vconj fait effectivement la sieste (métaphoriquement ou non) pendant le trajet du retour est facilement imaginable.
16 En mourant permet de localiser d’autres types de procès : (ii) [...] vous qui savez si l’on souffre en mourant [...] (Havet, Journal : 1919-1924).
17 Les événements correspondent aux accomplissements et aux achèvements.
18 Cf. Moline (2006).
19 Cf. Gettrup (1972 : 246) : « il faut [...] renoncer à établir une distinction tranchée entre repère temporel et circonstance concomitante ».
20 Pour une définition plus précise de cette notion, cf. infra, 3.2.
21 Cf. la notion de relation orientée dans Halmoy, 2003 : 89 sq.
22 Il s’agit là d’une définition possible de la manière. Pour davantage de précisions, cf. infra. 3.4.
23 La notion d’élargissement pragmatique développée par Rihs (à paraître) s’avère particulièrement pertinente pour décrire ce type de cas.
24 Ce que constate également Kleiber (2007b : 119) à propos de l’exemple (iii) : (iii) Amstrong a gagné la course en roulant comme un fou pendant les vingt premiers kilomètres.
25 Une inférence causale peut également être établie à partir de deux procès concomitants (cf. supra (24c)). Dans ce cas, Vger ne permet de répondre ni à une question en Quand P ?, ni à une question en Comment P ?. Ce point ne sera pas développé plus avant ici, ce qui ne modifie en rien la description proposée.
26 La question se pose en termes similaires (mais pas strictement identiques) dans le cas de l’interprétation des propositions « circonstancielles » introduites par comme. Sur ce point, cf. Moline (2006).
27 L’auteur semble assez pessimiste sur la possibilité même de définir cette notion, puisqu’elle écrit : « À défaut de parvenir à une définition de la causalité, on peut en cerner les principales caractéristiques » (ibid. : 5).
28 Cette caractéristique ne sera pas utilisée ici, dans la mesure où seule une proposition débutant par parce que est susceptible de répondre à une question introduite par Pourquoi (cf. Pourquoi les enfants se turent-ils ?/ (* En apercevant l’instituteur + Parce qu ’ils aperçurent l’instituteur)).
29 « Une relation causale renvoie à une relation générale, souvent appelée « loi causale », bien qu’il soit parfois difficile d’identifier celle-ci avec précision ou de comprendre en quoi une relation particulière se généralise en loi causale » (ibid. : 5).
30 Ce que constate également Gettrup (1972 : 241).
31 Cette glose n’est pas possible lorsque comment interroge sur la manière.
32 Ou, plus rarement, de repérage temporel, cf. supra (25b).
33 Cf. également ceux donnés dans Morel (2000 : 86).
34 Cette glose n’est pas possible lorsque comment interroge sur la manière.
35 Ou, plus rarement, de repérage temporel, cf. supra (25b).
36 Cf. également ceux donnés dans Morel (2000 : 86).
37 VR= verbe régissant ; SG = syntagme gérondif.
38 En (iv) : « Il la regarde (, ) souriant », ce n’est pas l’action de sourire qui est qualifiée, mais le référent du sujet syntaxique.
39 Mes remerciements à I. Behr pour cet exemple.
40 Sur la différence entre portée et incidence, cf. notamment Guimier (1996 : 3-4).
41 Cf. également Il se rase en chantant, commenté par Gettrup, 1972 et par Kleiber, 2006.
42 L’agent de Vger est le plus souvent, mais pas systématiquement (cf. L’appétit vient en mangeant), co-référent au sujet syntaxique de Vconj. Sur ce point, cf. Halmøy, 2003 : 109-123.
43 Sur ce point, cf. țenchea (2006 : 59-71).
Auteur
Université Lille Nord de France, F-59000 Lille, France ; ULCO, HLLI, F-62200 Boulogne-sur-Mer, France.
Université du Littoral – Côte d’Opale, HLLI-CERCLE EA 4030
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