« Autour du verbe » ou la question de la complémentation verbale
p. 125-136
Texte intégral
Introduction
1Le verbe, comme le nom ou l’adjectif peut faire l’objet d’au moins trois types de définitions1 :
une première, sémantique et logique, s’appuie sur le type de référence construite. Le lexème est saisi hors contexte et donc hors de ce qu’il est convenu d’appeler ses propriétés linguistiques ;
une seconde approche, syntaxique se concentre sur le régime du verbe et sa syntagmatique ;
(3) enfin une troisième aborde le lexème par ses propriétés morphologiques, en particulier flexionnelles.
2Ces trois approches sont plus complémentaires que concurrentes. Toutefois, une tradition linguistique et grammaticale veut qu’elles ne soient pas convoquées ensemble mais privilégie, au choix, l’une sur les autres. Nous faisons ici le choix de privilégier l’axe syntaxique. En effet, il semble que dans les manuels scolaires2, cet aspect syntaxique concernant le verbe et ses compléments soit fluctuant.
3La présente étude s’intéressera donc à la définition syntaxique du verbe et plus particulièrement à la notion de « complément ».
4Notre article s’organise en quatre grands points : une première partie sera consacrée à la terminologie (abondante) dans ce domaine et nous tenterons de clarifier les choses, une seconde partie où nous verrons comment les manuels scolaires traitent ces notions, une troisième partie fera l’inventaire des tests disponibles et nous verrons en quoi ces critères sont insuffisants pour distinguer des comportements syntaxiques différents.
1. Terminologie
5Le terme de « complément » est apparu (remplaçant celui de « complétude » et de « complémentation »), avec sa formulation grammaticale, dans l’Encyclopédie, au milieu du XVIIIe siècle, à l’article Gouverner ; mais l’article décisif est celui de Régime (le rédacteur en est Beauzée, successeur de Du Marsais, mort au milieu de la tâche) :
il paroît par l’examen exact des différentes phrases où les Grammairiens latins parlent de Régime, qu’ils entendent par ce terme la forme particulière que doit prendre un complément grammatical d’un mot en conséquence du rapport particulier sous lequel il est envisagé. Ainsi, le Régie du verbe actif, relatif est, dit-on, l’accusatif, parce qu’en latin le nom ou le pronom, qui en est le complément objectif grammatical, doit être l’accusatif...
tandis qu’en français, Mes enfants restent mes enfants que l’on dise Mes enfants arrivent, Arrivent mes enfants, Je vois mes enfants, Je pense à mes enfants, etc. D’où la nécessité de recourir aux critères sémantique et syntaxique et ce, d’autant que dans l’Encyclopédie méthodique, Du Marsais offre une définition de complément qui met en relief ces critères :
on doit regarder comme complément d’un mot ce qu’on ajoute à ce mot (nécessité du critère syntaxique) pour en déterminer la signification (critère sémantique) de quelque manière que ce puisse être. On remarque ainsi le passage d’un système de relations mécaniques, fondé sur les différences de formes, à un système de relations sémantiques, relativement indépendant des formes. (Chevalier, 1994 : 84)
6Les concepts se complètent les uns les autres pour arriver à une proposition complète. La notion de complément est ici élaborée. La syntaxe devient de plus en plus autonome, c’est-à-dire qu’elle se dissocie de la morphologie. De ce fait, les critères mis en place ne permettent pas à eux seuls de différencier les différents statuts de mes enfants après le verbe.
7Le mot circonstanciel apparaît dans Les vrais Principes de la Langue Françoise de 1747. En effet, l’Abbé Girard va identifier le circonstanciel dans l’ablatif donnant lieu à un circonstanciel-adverbe qu’il définit ainsi : « on appelle circonstanciel, l’adverbe ou ce qui commute avec lui » et qui se reconnaît à ce qu’il « peut répondre aux principales questions : quand ? comment ? où ? d’où ? par où ? pour quel motif »3 (critère formel retenu par les grammaires dites traditionnelles et les manuels scolaires). Le critère de commutation mis en relief par la définition permet de dégager des compléments (direct et indirect : critère distributionnel) et des subordonnées (déterminatives ou explicatives : critère logique). Ainsi, au sein des compléments, des distinctions vont-elles être faites : R. Pellerey le met en évidence par la présentation de la première grammaire d’analyse qui, selon lui, est totalement propositionnelle et fonctionnelle, dont l’auteur est U. Domergue4 (à partir de Domergue, on recommence à séparer le domaine de la logique du domaine grammatical : cela correspond au paradigme contemporain). Il est vrai que U. Domergue va distinguer plusieurs types de compléments et ce, parce que les mots sont classés selon la quantité de sens qu’ils apportent à la proposition par le biais de leur fonction relationnelle. Il distingue donc des compléments qui sont « nécessaires grammaticalement » à la correction de l’énoncé (c’est-à-dire nécessaires au sens comme le sont le sujet et le verbe) et d’autres qui ne sont que « nécessaires logiquement » et qui n’affectent pas la grammaticalité de la phrase par leur disparition (c’est-à-dire qu’ils sont nécessaires seulement au sens logique et non au sens grammatical). « Les premiers seront nommés compléments prochains, les seconds compléments éloignés », (ibid. p. 10). Ainsi pendant longtemps circonstanciel va s’opposer à essentiel.
8La linguistique structurale, et plus précisément générativiste, privilégiant les propriétés syntaxiques, va progressivement imposer une nouvelle répartition des compléments distinguant entre compléments de verbe, dit « essentiels », et compléments de phrase dits « inessentiels » (ces derniers doivent être assimilés, à tort, aux anciens compléments circonstanciels tandis que les premiers le sont aux anciens compléments d’objet, direct et indirect).
9La grammaire traditionnelle établit une distinction entre les compléments essentiels et les compléments circonstanciels.
– Les compléments essentiels « complètent » le sens du verbe, alors que les compléments circonstanciels nous renseignent sur les circonstances temporelles, spatiales, ... de l’événement dénoté par le prédicat.
10Parmi les compléments essentiels, on distingue le complément d’objet direct du complément d’objet indirect, les compléments circonstanciels sont classés selon leur sens : de temps, de lieu, de moyen, d’accompagnement, de cause, etc. Cette liste varie considérablement d’un ouvrage à l’autre.
11La distinction entre les compléments essentiels et les compléments circonstanciels n’est pas toujours facile à établir, car elle ne repose pas sur des critères clairs et homogènes.
12La terminologie employée révèle ce malaise : le terme « complément » désigne une fonction syntaxique et s’oppose ainsi à la fonction sujet. On peut donc penser que la distinction complément essentiel vs complément circonstanciel est aussi d’ordre syntaxique. Le fait que les compléments essentiels soient classés d’après leur construction (i.e. compléments directs et indirects) semble confirmer cette supposition.
13Or, les termes « objet », « essentiel » et « circonstanciel » ont une définition plutôt sémantique.
14On superpose donc deux types de relations : les relations syntaxiques établies entre les différents constituants et le verbe (ou le syntagme verbal), d’une part, et les relations sémantiques entre ces mêmes constituants, d’autre part. Or, il n’existe pas de correspondance biunivoque entre les relations sémantiques et les fonctions grammaticales.
15Il semble donc que la classe des « compléments » revient à une classe fourre-tout sans véritable délimitation entre les différents types de compléments que l’on peut trouver derrière le verbe. Qu’en est-il dans les manuels scolaires récents ?
2. La grammaire scolaire
16Dans les manuels scolaires nous retrouvons cette diversité terminologique où les uns recourent à l’étiquette de complément, d’autres à complément d’objet ou encore complément du verbe ou complément essentiel, parallèlement les auteurs des manuels consultés utilisent également compléments, compléments circonstanciels, complément de phrase ou encore complément inessentiels sans qu’à aucun moment la lumière soit faite sur la métalangue.
17Les grammaires scolaires s’attachent à une caractérisation globale du complément. Certes, les auteurs des manuels intègrent dans cette définition des manipulations syntaxiques (déplacement et suppression essentiellement), mais en précisant que « souvent » ces tests sont possibles sans indiquer à quel moment ils ne le sont pas. Voici, à titre d’illustration ce que l’on trouve dans Interlignes, 2009 :
Les différents compléments du verbe : le verbe peut être complété par des mots ou des groupes de mots qui ont la fonction de compléments. Les compléments d’objet ne peuvent être ni déplacés ni supprimés dans la phrase. Pour les reconnaître, on peut les remplacer par un pronom personnel [...] Les compléments circonstanciels peuvent être déplacés et/ ou supprimés. Ils indiquent les circonstances de l’action : le lieu, le temps ou la manière. [...] Quelques compléments circonstanciels ne peuvent être ni supprimés ni déplacés. C’est le sens qui indique leur fonction.
18Or, tout enseignant sait que la pratique des tests est problématique chez les élèves, susceptibles, par exemple, d’accepter aussi bien le déplacement de sur la plus haute branche dans (1) que dans (2) :
(1) | Sur la plus haute branche, un rossignol s’est posé |
(2) | Sur la plus haute branche, un rossignol chantait |
19Les raisons qui motivent la distinction entre complément de verbe et complément de phrase sont linguistiques : le complément de verbe est grammaticalement solidaire du verbe, il ne peut pas être déplacé en tête de phrase (4), à l’inverse du complément de phrase (3) :
(3) | Le matin, il lit le journal |
(4) | *Le journal, il lit le matin |
et le groupe verbal permet la pronominalisation en le faire en (3.a) et non en (4.a) :
(3.a) | Lire le journal, il le fait le matin |
(4.a) | *Lire le matin, il le fait le journal |
un complément dit circonstanciel n’est pas forcément un complément de phrase ; par exemple à l’aube est un complément du nom en (5), un complément de verbe en (6) et un complément de phrase en (7) :
(5) | Ils arriveront le lundi à l’aube |
(6) | Le décès remonte à l’aube |
(7) | Les policiers feront une descente à l’aube. |
20C’est sur le même principe que l’opposition entre complément de verbe et complément de phrase est apparue insuffisante. Si l’on compare en effet à la radio qui illustre l’impasse évoquée par R. Tomassone5 par un énoncé identique en surface mais susceptible de recevoir trois interprétations différentes en fonction de l’analyse syntaxique que l’on privilégie. Comparons le constituant à la radio dans un exemple comme Il a appris à la radio la démission de Strauss-Kahn qui peut recevoir trois interprétations possibles :
« C’est la radio qui lui apprend la nouvelle, il l’apprend par la radio ». Pour cette interprétation (i) le test de la suppression est possible Il a appris la démission de Strauss Kahn ; en revanche le déplacement pose quelque problème : ?? À la radio, il a appris la démission de Strauss-Kahn.
« C’est lui qui a informé la radio, il a téléphoné la nouvelle à la radio ». Cette seconde interprétation (ii) répond à des manipulations différentes de la première puisque la suppression Il a appris la démission de Strauss-Kahn – correcte sur le plan syntaxique – ne rend pas compte de l’interprétation (ii) mais plutôt de celle de (i), et le déplacement pose également des problèmes ?? À la radio, il a appris la démission de Strauss-Kahn – le bloc à la radio n’est pas déplaçable sans effet de contraste, quelque chose comme À la radio (il a appris la démission de Strauss-Kahn) mais au journal, c ’est quelqu ’un d’autre qui l’a apprise.
« Il se trouvait à la radio quand la nouvelle a été annoncée ». Cette troisième interprétation autorise le test de suppression Il a appris la démission de Strauss-Kahn et celui du déplacement À la radio, il a appris la démission de Strauss-Kahn.
21Ainsi en (ii) à la radio est un « complément de verbe » : le bloc définit la construction du verbe (apprendre quelque chose à quelqu ’un) tandis qu’en (i) et en (iii) le test impossible en (i) mais possible en (iii) est l’indice qu’il faut deux analyses et étiquettes différentes pour ce qui n’est pas complément. On proposera alors qu’en (iii) à la radio correspond aux anciens « compléments de phrase » et qu’en (i) à la radio est un « complément du syntagme verbal », moins mobile, donc moins autonome par rapport au verbe. C’est ce qui motive la tripartition actuellement observée.
22Nous avons illustré la nécessité de distinguer ces trois constituants avec le test du déplacement mais d’autres tests (incise, clivage, et pseudo-clivage, pronominalisation, etc.) corroborent cette analyse. Nous ne présentons pas ici l’ensemble des tests afin d’éviter l’effet de listage et de catalogue de manipulations syntaxiques (Lavieu, 2005). L’objectif ici est de noter le décalage entre ce qu’enseignent les professeurs des écoles et les recherches en linguistique.
23La transposition des avancées de la recherche à l’enseignement de la grammaire est problématique parce que la recherche invalide constamment les résultats qu’on croyait avoir précédemment obtenus. La distinction en trois compléments montre qu’il est insuffisant de n’en proposer que deux, mais les nouveaux critères connaissent aussi des limites.
3. La limite des critères
24Ainsi, cette configuration ne permet cependant pas toujours de trancher clairement entre les différents types de constituants.
25Il y a d’un côté le problème d’application des critères. Par exemple, la suppression est une manipulation incertaine dans la mesure où elle fait intervenir une intuition du sens. Ainsi :
(8) | J’ai écrit à Paul |
26Le GN une lettre est supprimé sans dommage puisque l’on comprend cet énoncé comme « J’ai écrit une lettre à Paul ». Mais peut-on en dire autant d’un poème ou d’une idiotie ?
(9) | J’ai écrit un poème à Paul |
(10) | J’ai écrit une idiotie à Paul |
27Certes, le sens du verbe écrire ne change pas et une lettre, une idiotie ou un poème ne font que le préciser... mais justement l’ajout d’une précision est ce qui caractérise le modifieur6 et non le complément !
28Il y a d’un autre côté la pertinence des critères. Prenons, pour illustrer la limite de ce critère, celui de la « sous-catégorisation ». A. Delaveau (2001 : 55) en donne la définition suivante :
On appelle compléments sous-catégorisés, les compléments dont la présente et le type sont définis dans l’identité lexicale du terme qui les régit.
29On est renvoyé à la question de savoir comment on repère l’identité lexicale du terme recteur.
30Selon A. Delaveau (2001), il s’agit des différentes constructions associées aux différentes significations : une fois de plus, le recours à la « signification », nous renvoie à l’exercice de l’intuition. Si l’on consulte le TLFi7on a effectivement différentes acceptions qui font l’objet de rubrique (1, 2, 3,...) et de gloses différentes, par exemple pour le verbe abattre :
abattre un mur
abattre un animal
abattre le despotisme
abattre du travail, etc.
31Néanmoins, comme on le voit, les ouvrages lexicographiques n’arborent pas chaque fois des « constructions » différentes, puisque le verbe est, dans tous les cas, défini comme associé à un SN ; à strictement parler, la sous-catégorisation est la même : ce qui change, c’est le choix du nom effectif, la distribution, donc la sélection (mur ou animal : le sens diffère pour le verbe, « l’action » n’est pas la même, la commutation ne s’opère pas avec les mêmes synonymes, etc.). Si l’on suit la citation d’A. Delaveau, on aurait une identité lexicale ? Le même verbe, puisque la même construction ? On s’aperçoit en tous cas que l’on n’a pas biunivoquement un sens qui correspond à une construction : sur quoi alors fonde-t-on « l’identité lexicale » ?
32Mais les dictionnaires ne signalent pas, par exemple, que, selon le type de nom, donc selon le sens que prend le verbe, on a ou non la possibilité d’un SP à sens « moyen » ; par exemple, on peut :
’. Abattre un mur à la masse
’. Abattre un arbre à la hache mais on ne trouve pas parallèlement :
’. Abattre le despotisme à la... (?)
’. Abattre du chemin/ des kilomètres à la... (?)
’. Abattre son jeu/ ses cartes à la... (?)
33De même abattre ou massacrer sont décrits comme abandonner ou aimer si l’on s’en tient au SN :
(11.a) | Elle a massacré son amant |
(12.a) | Elle a abandonné son amant |
34Or, seul le premier permet l’apparition d’un moyen :
(11 .b) | Elle a massacré son amant à la tronçonneuse |
(12.b) | *Elle a abandonné son amant à la... (?) |
35Si cette observation est exacte en a) et en b), abattre est caractérisé non pas seulement par la construction V+SN mais en fait aussi par la construction V+SN+SP où SP dénote un certain type de moyen. Et de même, selon ce critère, massacrer et abandonner n’impliquent pas les mêmes sous-catégorisations : intuitivement d’ailleurs, massacrer suppose un moyen mais non abandonner. Un autre argument en ce sens est que abattre un oiseau et abattre un cheval ont en fait deux interprétations, la première « tuer » et la seconde où abattre peut également signifier « coucher l’animal pour le soigner » (TLFi) : si le vétérinaire abat un cheval, c’est pour l’opérer, par exemple (et dans ce cas, le verbe n’est pas assorti du SP[moyen] : la possibilité d’un tel SP distingue donc bien deux emplois de abattre).
36Par conséquent, si le complément est défini comme un constituant régi (en l’occurrence par le verbe), et si la rection est définie comme la détermination de ce qui, dans un emploi donné de la tête, entre dans sa construction syntaxique et sémantique (laquelle constitue son identité lexicale), alors le SP [moyen] en à (de type à la hache) est bien un complément de abattre (dans Max abat l’arbre à la hache) : c’est syntaxiquement ce qui distingue abattre un arbre| du chemin/ le despotisme relevant de la sélection et non de la sous-catégorisation.
4. Pistes didactiques
37Si nous souhaitons aller plus loin, nous pourrions établir la liste des critères8 permettant de distinguer assez facilement les compléments de verbe des compléments de phrase9. Quelque chose du type :
Propriétés | Complément de p | Complément de v |
– Permutable | + | – |
– Effaçable | + | ? |
– Présence d’une virgule | + | - |
– Commute avec des groupes très divers | + | – |
38Mais ces manuels ne mettent pas en parallèle les deux types de compléments en proposant en vis-à-vis des comportements syntaxiques différents. Ces manuels proposent deux chapitres distincts sans faire de pont entre ces deux complémentations d’où une certaine confusion qui persiste dans l’esprit des élèves.
39De fait, aujourd’hui les chercheurs remettent en cause l’opposition entre complément de verbe et complément de phrase, cette dichotomie faisant désormais place à une tripartition (comme nous l’avons illustrée à partir du constituant à la radio). On distingue maintenant sous les anciens « compléments de verbe » en fait deux types de constituants, l’un qu’on appelle « complément de SV » du type sur le quai dans Elle a embrassé sa mère sur le quai10 par opposition au « complément de verbe » tel que sur la joue dans Elle a embrassé sa mère sur la joue, qui lui est « régi » par le verbe, c’est-à-dire entièrement déterminé, « programmé » par lui (sur la joue est un argument du verbe). Ce qui a la fonction de « compléter » peut apparaître à trois niveaux dans l’arbre syntaxique : il peut être rattaché à la phrase, au syntagme verbal ou au verbe. La terminologie est dans ce domaine prolifique, et il est nécessaire de clarifier les choses en adoptant des dénominations univoques.
40La réflexion grammaticale a considérablement évolué sur cette question au cours des cent cinquante dernières années, bien que la doxa ne s’en fasse pas nécessairement l’écho, spécialement la vulgate qu’en délivrent les manuels scolaires.
5. Conclusion
41La manipulation raisonnée des énoncés dans l’article grammatical permet à l’élève d’accroître de manière active sa connaissance de la langue. De ce point de vue, l’avancement de la recherche est bénéfique, puisqu’il produit de nouveaux tests et de nouvelles observations, et par conséquent un affinement dans l’analyse débouche sur une meilleure maîtrise de la langue. Et concernant le domaine de la complémentation, on retiendra que le repérage de l’identité d’un constituant postverbal s’opère à l’aide de six tests :
42L’enseignant sait cependant qu’il s’agit d’une étape provisoire dans l’investigation et d’autre part que les tests ne sont pas tous également fiables, a fortiori lorsqu’ils sont appliqués par des enfants dont la compétence linguistique n’est pas stabilisée. C’est alors à la didactique et à la pédagogie de prendre le relais de la recherche purement linguistique :
les compléments circonstanciels illustrent le divorce entre sémantique et syntaxe, c’est-à-dire la difficulté de faire coïncider valeurs notionnelles et propriétés syntaxiques ;
les compléments circonstanciels, souvent caractérisés comme accessoires, ont cependant une certaine pertinence textuelle et communicative. Ils peuvent occuper les places dévolues au thème ou au rhème de l’énoncé.
Bibliographie
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Facettes Français (CM1), Hatier, Paris, 2010.
Facettes Français (CM2), Hatier, Paris, 2010.
Parcours Français (CM1), Hatier, 2010.
Notes de bas de page
1 Nous reprenons ces définitions et ce classement de G. Petit (2004 : 61).
2 Facettes CM2, 2010, p. 50-51 ; Facettes CM1, 2010, p. 68 ; Parcours CM1, 2010, p. 126.
3 (1829) : Grammaire Française méthodique et raisonnée, p. 31 (les références complètes restent introuvables).
4 Domergue, U. (1799) Grammaire générale analytique, Paris.
5 R. Tomassone propose (sans être suivie jusqu’à présent dans la terminologie officielle) de réserver le terme de « circonstanciels » aux seuls compléments susceptibles d’être déplacés et supprimés puisqu’ils ne font que fournir un cadre à l’action, en préciser une circonstance ; les complément indispensables devant être dits « essentiels ».
L’analyse de R. Tomassone est convaincante pourtant les rédacteurs des programmes utilisent bien ce qualificatif d’« essentiel » mais ils le réservent au seul complément d’objet direct comme il est précisé dans la colonne des connaissances à acquérir au CM2. Ils estiment sans doute avec raison qu’« avec l’unification et l’allongement des parcours scolaires », il sera toujours temps dans la suite de la scolarité d’affiner l’analyse.
6 Les modifieurs sont des constituants facultatifs, des ajouts, qui peuvent être ajoutés à la structure minimale d’un groupe, ou à la structure canonique de la phrase : les modifieurs ne changent pas le statut du constituant auquel ils sont ajoutés.
7 Trésor de la Langue Française Informatisé.
8 Comme le proposaient déjà Genouvrier et Gruwez dans leur Grammaire pour enseigner le français à l’école élémentaire, Larousse, 1987.
9 Notons qu’aucun des manuels proposés ne met en parallèle les différents types de compléments mais qu’à chaque fois complément d’objet, attribut et complément circonstanciel sont proposés dans des chapitres différents. Le lien entre les différents types de compléments et le verbe est très faible. Ce que l’on retient des manuels consultés, c’est surtout que le complément est un bloc qui peut ou non apparaître dans la phrase en jugeant de son absence ou de sa présence à partir du sens de la phrase mais non à partir du verbe.
10 Exemples extraits de F. Dubois-Charlier (2001).
Auteur
Université d’Artois (IUFM), Grammatica, EA4521.
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