L’enseignement du verbe à l’école élémentaire : perspectives linguistiques et pistes didactiques
p. 47-58
Texte intégral
Introduction
1Sous l’intitulé de conjugaison, l’enseignement de la morphologie verbale écrite à l’école élémentaire tient une place prépondérante et souvent chronophage. Le verbe est un concept central qui est au cœur de l’enseignement de la langue ; cette prédominance s’explique par le positionnement particulier de ce constituant au sein de la phrase et du texte ainsi que par son extrême variabilité morphologique. Le verbe est un constituant de la phrase qualifié par Angoujard (1996 : 188) de « zone du plus grand risque orthographique ». Dans le cadre de notre recherche, nous avons été amené à travailler sur l’enseignement de la morphologie verbale en CE21. Cette classe est une étape importante dans le parcours scolaire d’un élève, elle marque l’entrée dans un enseignement grammatical structuré à dominante orthographique, tourné vers la connaissance explicite des fonctions et des catégories grammaticales, dont le verbe. Il faut distinguer deux plans qui sont par ailleurs fortement imbriqués. D’un côté le plan énonciatif (non abordé dans le cadre de cet article) avec les valeurs d’emploi des verbes, leurs usages et leurs emplois qui sont effectifs dans les textes, les discours et de l’autre le plan morphosyntaxique (sujet de cet article). Il se travaille au niveau de la phrase avec le verbe conjugué qui en est son noyau hiérarchique. À partir d’une caractérisation linguistique qui s’appuie sur les apports de cette discipline depuis plusieurs décennies, nous proposerons des pistes pédagogiques pour l’enseignement du verbe à l’école élémentaire.
1. Les finalités possibles de l’étude de la langue à l’école
2Il est possible de réduire les finalités de l’étude de la langue française à l’école à deux visées possibles et non antagonistes. Tout d’abord une visée réflexive correspondant à un enseignement de la langue pour elle-même et rejoignant le point de vue saussurien (tel qu’exprimé dans le Cours de linguistique générale) selon lequel la linguistique a pour unique objet la langue, l’objectif est la description de la langue et l’acquisition de procédures d’analyse linguistique. La seconde visée est davantage utilitaire avec un enseignement de la langue qui a pour objectif l’amélioration de « l’expression ». Cette visée utilitaire peut être déclinée autour de deux finalités : une finalité communicative large pour améliorer l’expression orale et écrite, au centre de la rénovation de l’enseignement du français des années 70 et une finalité plus restreinte centrée sur l’écrit et l’orthographe. Les préambules des programmes se placent généralement dans une finalité communicative large. À la page 21 du bulletin officiel du 19 juin 2008, qui présente les programmes actuels de l’école primaire, nous pouvons lire la phrase suivante : « faire accéder tous les élèves à la maîtrise de la langue française, à une expression précise et claire à l’oral comme à l’écrit, relève d’abord de l’enseignement du français ». Cependant, l’analyse des contenus démontre que la véritable finalité est bien restreinte à l’apprentissage de l’orthographe et l’objectif prioritaire demeure la maîtrise de l’orthographe lexicale et grammaticale.
3Enfin au sein de cette finalité restreinte à l’orthographe, il existe deux déclinaisons didactiques possibles et ces deux configurations sont, d’après Jean-François Halté (1992), antagonistes. La première tendance renvoie à l’idée que la grammaire, à l’école, transmet un patrimoine avec la croyance d’une stabilité de la langue et d’une forme de sacralisation de certains écrits littéraires. Cette entrée, associée à une position logique (la langue constituant la manifestation directe et fidèle de la pensée logique censée organiser le monde) favorise souvent une démarche applicationniste à dominante sémanticologique. Cette grammaire transmissive cherche à enseigner la langue telle qu’elle devrait être et elle se construit en partant des parties pour aller vers un tout qui s’arrête, très souvent, à la phrase. La seconde tendance prend appui sur la langue actualisée par les locuteurs, la langue telle qu’elle est. L’objectif est d’observer, de décrire puis d’induire des règles de fonctionnement. Cette grammaire descriptive analyse le tout (un tout qui dépasse la phrase) pour aller vers les parties. Les pistes didactiques avancées dans cet article se placent dans une visée utilitaire restreinte mais en valorisant une grammaire descriptive.
2. Les apports des descriptions linguistiques de la morphologie verbale depuis plusieurs décennies
4Les descriptions du système verbal du français proposées depuis plus d’un quart de siècle ont apporté des éléments qui semblent incontournables pour l’enseignement grammatical du verbe à l’école. L’un des apports les plus importants concerne la prise en compte des formes orales. On peut citer la distinction faite par Jean Dubois dès 1967 qui, se fondant sur l’oral, a regroupé les verbes en sept familles : les verbes ayant une seule base lexicale parmi lesquels on retrouve la quasi totalité des verbes du premier groupe (en traitant le verbe aller2 à part) et quelques verbes du troisième groupe traditionnel (assaillir, courir, ouvrir, conclure, etc.) puis les verbes ayant deux bases lexicales comprenant de rares verbes du premier groupe (nettoyer, jeter, semer, appeler, etc.), des verbes du deuxième groupe et des verbes du troisième. À partir de la famille composée de verbes ayant trois bases et plus, nous retrouvons les verbes du troisième groupe et le verbe aller. Six ans plus tard, Jean Dubois et René Lagane dans La nouvelle grammaire du français définissent deux modèles de conjugaison, celui de la langue écrite qui reprend les trois groupes à partir de l’infinitif des verbes et celui qui, dans la langue parlée, est construit selon le nombre des formes du radical dans l’ensemble des déclinaisons possibles du verbe sans tenir compte du passé simple considéré comme un temps de la langue écrite. Cependant, ces deux modèles sont simplement juxtaposés et présentent le risque, si on les transposait directement sans le moindre aménagement, de surcharger l’enseignement de la conjugaison à l’école. Cette prise en compte du passage de l’oral à l’écrit, véritable question pédagogique, se retrouve, entre autres, dans les travaux didactiques de Jacqueline Pinchon et de Bernard Couté (1981). L’autre apport intéressant du travail mené par ces deux linguistes réside dans la correspondance entre les cinq désinences orales et celles, plus nombreuses, à l’écrit. Nous reprenons le tableau de correspondance proposé (1981 : 47) car il a l’intérêt de réduire les possibilités graphiques de ces désinences (au sens restreint) pour les élèves en phase d’écriture.
Code oral | Code écrit |
0 | – e, -es, -s, -x, -t, -ent |
[ɔ̃] | – ons, -ont |
[e] | – ez |
[a] | – as, -a |
[Ɛ] | – ai- |
5Ces recherches ouvrent la voie à un travail pédagogique sur les régularités des flexions de personne et de nombre que l’on nomme conjugaison horizontale à articuler avec la conjugaison verticale correspondant à la déclinaison des verbes par temps verbaux à toutes les personnes.
6Dans la même logique, l’ouvrage de Pierre Le Goffic intitulé Les formes conjuguées du verbe français, oral et écrit (1997) poursuit cette description qui va de la forme orale vers l’écrit et propose six formes-clés – les règles élémentaires de formation des verbes – à partir desquelles on peut déduire l’ensemble de la conjugaison avec facilité et en toute sécurité. L’auteur écarte les verbes considérés comme archaïques comme choir, ouïr, seoir et dix verbes3 qui font exception aux règles de formation qu’il a définies. Il décompose les formes verbales en radical (partie lexicale) et en désinence (selon lui, ensemble des flexions). Les six formes-clés associant le code oral et le code écrit sont la première, la quatrième et la sixième personne du présent de l’indicatif, une des personnes du futur, une des personnes du passé composé et une personne du passé simple. L’exemple donné est celui du verbe venir (1997 : 30) qui présente une complexité maximum avec :
les trois formes du présent de l’indicatif : je viens – nous venons – ils viennent ;
la forme du futur : je viendrai ;
la forme du passé composé : je suis venu ;
et enfin, la forme du passé simple : il vint.
7À partir de ces six formes-clés, il est possible de retrouver toutes les autres formes de la conjugaison. Cette approche réduit considérablement le travail de mémorisation des formes verbales et permet, à partir d’un travail de compréhension des règles d’engendrement, de retrouver les formes conjuguées des verbes. Son intérêt pédagogique est incontestable.
8L’ouvrage de Serge Meleuc et de Nicole Fauchart, Didactique de la conjugaison. Le verbe autrement, propose des pistes didactiques précises pour « bâtir une étude raisonnée et un apprentissage actif du verbe » (1999 : 7). Comme pour les autres descriptions linguistiques des formes verbales menées depuis plus d’un quart de siècle, leur réflexion fondée sur le rapport entre formes orales et graphiques, la variation des bases lexicales et la distinction des différents morphèmes flexionnels permet, sur le plan didactique, de reconsidérer les tableaux de conjugaison. La manière traditionnelle de recenser les formes dans des cases correspondant à un mode-temps (la conjugaison verticale), masque d’autres descriptions, d’autres propriétés linguistiques (celles liées, par exemple, aux personnes) et ces tableaux ne peuvent être considérés que comme des répertoires utiles à la production et à la révision des écrits mais insuffisants pour l’enseignement des formes verbales. Or, l’enseignement de la morphologie verbale écrite à l’école élémentaire (la conjugaison) se présente majoritairement sous la forme d’une conjugaison verticale avec des tableaux à mémoriser. Les tableaux de conjugaison, à la manière des tables de multiplication, présentent l’objectif terminal, souvent sublimé et jamais atteint (David et Renvoisé, 2010 : 65). Un répertoire célèbre affirme présenter la conjugaison de 12 000 verbes français. Les tableaux proposent quatre-vingt-seize formes différentes pour un seul verbe, si on rajoute les deux infinitifs et les deux participes, la totalité du mémento propose 1 200 000 formes potentiellement différentes ! Comme l’affirmaient Jacqueline Pinchon et Bernard Couté en 1981 « apprendre la conjugaison en apprenant chaque forme de chaque temps de chaque verbe, l’apprendre en somme par énumération, constitue une méthode aberrante. »
9Enfin, Serge Meleuc et Nicole Fauchart pensent que la question de la fréquence lexicale d’usage du verbe n’a jamais été réellement intégrée à l’enseignement du français (1999 : 61). Or, il est indispensable d’acquérir la maîtrise des verbes les plus utilisés afin de pouvoir les orthographier correctement. Cette approche par les fréquences offre une typologie des formes verbales en décalage avec celle proposée par la classification traditionnelle en trois groupes qui ne reprend que le décompte des verbes concernés (Riegel et al., 2006 : 264). Les verbes du premier groupe (infinitif en -er) sont les plus nombreux mais les moins fréquents, ils représentent environ quatre-vingt-dix pour cent des verbes (soit environ quatre mille) et la liste reste ouverte (les nouveaux verbes comme zapper ou positiver s’inscrivent majoritairement dans ce groupe), les verbes en -ir avec variation du radical sont environ trois cents (série faiblement ouverte), les autres verbes en -ir sont environ cent-soixante-dix, les verbes en -re, cent et les verbes en -oir, trente. Le verbe aller et les verbes être et avoir sont traités à part.
3. Des éléments pour une reconfiguration didactique
10L’apprentissage de la morphologie verbale à l’écrit demeure un objectif prioritaire et la conjugaison est un des piliers de l’enseignement du français au cycle des approfondissements (CE2, CM 1 et CM2) mais la prise en compte des nombreuses études linguistiques des formes verbales à visée didactique reste limitée. Les résistances semblent fortes et l’impression d’une forme d’immobilisme domine. La renommée de la déclinaison des morphèmes flexionnels des verbes due à la quantité des formes à mémoriser a traversé le temps et l’espace et cette image traditionnelle d’une difficulté spécifique justifie, a priori, l’avènement de la conjugaison en discipline scolaire à part entière avec le risque de déconnecter le verbe des autres catégories grammaticales. Pourtant, à partir des descriptions linguistiques faites depuis plusieurs décennies, nous pouvons dégager cinq principes importants pour une reconfiguration didactique de l’enseignement de la morphologie verbale à l’école.
Principe n° 1 – L’importance essentielle de partir du code oral qu’il faut distinguer du code écrit. Pour cet article, nous nous plaçons dans la situation d’écriture avec la perspective que l’élève qui doit encoder une forme verbale est capable de la conjuguer oralement (c’est en principe le cas pour des élèves en CE2).
Principe n° 2 – La prise en compte des fréquences d’usage. Il existe plusieurs échelles de fréquence et nous avons fait le choix d’utiliser une table de fréquence accessible aux enseignants sur le site Éduscol4 de l’éducation nationale. En recoupant la fréquence, le nombre de bases lexicales et l’entrée morphologique par l’infinitif, nous obtenons la liste suivante pour les dix premiers verbes :
Fréquence | Verbe à l’infinitif | Classification traditionnelle | Nombre de bases lexicales (les temps de l’indicatif) | Remarques |
1er | être | Verbe irrégulier | L’approche en terme d’amalgame semble préférable en y ajoutant les bases ét- / f- et se- | |
2e | avoir | Verbe irrégulier | 3 bases en considérant que certaines flexions du présent n’ont pas de base (base zéro) et que d’autres forment des amalgames | |
3e | faire | 3e groupe | 3 bases orales (4 écrites) | Verbe en -re |
4e | dire | 3e groupe | 2 bases (di-s / dis-ait) | Verbe en -re |
5e | pouvoir | 3e groupe | 5 bases orales (peu-x / pouv-ons / peuv-ent / p-ut / pour-rai) | Verbe en – oir |
6e | aller | 3e groupe | 3 bases avec le problème de la non distinction entre la base v- et le morphème de personne | |
7e | voir | 3e groupe | 4 bases (voi-s / voy-ons / ver-rai / v-is) | Verbe en – oir |
8e | vouloir | 3e groupe | 4 bases (veu-x / voul-ais / voud-rai / veul-ent) | Verbe en – oir |
9e | venir | 3e groupe | 5 bases (vien-s ! ven-ez / vienn-ent / v-ins / viend-rai) | Verbe en – ir sans la variation en – iss- |
10e | devoir | 3e groupe | 4 bases (doi-s / dev-ons / doiv-ent / d-us) | Verbe en – oir |
11Ces dix premiers verbes sont tous issus du troisième groupe traditionnel, le premier verbe en -er est douzième (trouver) et le premier verbe dit du deuxième groupe est soixante-cinquième (finir).
Principe n° 3 – La décomposition, la comparaison et l’identification des éléments qui composent un verbe conjugué selon le schéma suivant : base lexicale + morphèmes flexionnels (flexion modale et temporelle/ flexion de personne et de nombre). Cette dernière marque est le plus souvent muette et fonctionne comme une marque de cohésion syntaxique (Perrot, 1996 : 154-161). Elle suppose une gestion particulière de la part des élèves pour réussir à franchir l’obstacle orthographique et une maîtrise de l’accord du verbe avec son sujet. Sa détection peut donc être définie comme une activité cognitivement coûteuse (Dédéyan, 2006 : 39-57). On voit clairement ici que syntaxe et morphologie sont indissociables. Aborder la morphologie verbale écrite à toutes les personnes en suivant un ordre immuable allant de la première personne à la sixième (la conjugaison verticale) ne semble pas être la démarche la plus efficiente. De plus, le risque est que les élèves réduisent l’identification du verbe à son association exclusive avec les pronoms personnels. La réponse d’Ewen, élève en CE2, à la question « qu’est-ce qu’un verbe ? » en est une illustration quand il écrit qu’« un verbe peut se conjuguer avec six pronoms personnels, je, tu, il, elle, nous, vous, ils, elles5 ».
12L’entrée à privilégier est l’opposition singulier-pluriel entre les troisième et sixième personnes qui correspond à une énonciation débrayée, caractéristique des récits traditionnellement abordés à l’école primaire. De plus, cette opposition permet de mettre en correspondance le pluriel des noms et celui des verbes conjugués (Laparra, 2010 : 43) dans une situation syntaxique où les sujets sont avant tout des noms. Cette particularité permet de renforcer la relation sujet-verbe et la morphologie avec la marque du pluriel des verbes conjugués (les lettres -nt).
13Principe n° 4 – La mise à plat du principe de régularité ou d’irrégularité en fonction des choix d’analyse pour comprendre les variations morphologiques (les désinences, par exemple, offrent des régularités qui concernent des verbes que la conjugaison traditionnelle appelle « irréguliers6 »). L’irrégularité concerne des faits hétérogènes comme la variation des bases lexicales (ou radicaux) et cette particularité rend l’identification du verbe problématique quand il existe des écarts phonologiques importants7. La variation de désinences peu communes comme le -x dans tu peux ou le -tes dans vous faites est un critère qui parfois est avancé pour qualifier un verbe d’irrégulier. Enfin, il existe des phénomènes orthographiques non spécifiques au verbe comme la cédille dans nous lançons qui a pour conséquence, parfois, d’entraîner des verbes dans la famille des irréguliers. Cette diversité avec des origines linguistiques différentes ne facilite pas la compréhension des problèmes. Le fonctionnement doit être pensé avant tout à partir des régularités pour permettre une véritable systématisation8. De plus, il est indispensable de séparer la question de la base lexicale qui est à travailler de manière spécifique en la repérant systématiquement avec les élèves.
Principe n° 5 – L’approche croisée entre les conjugaisons horizontales et les conjugaisons verticales plus classiques. Le travail de comparaison des verbes conjugués et de leurs sujets aux mêmes personnes avec comme point de départ l’opposition P3 / P6 permet de comprendre le fonctionnement des désinences de personne et de nombre. Cette approche renforce la compréhension de la dépendance entre le verbe et son sujet. Le travail plus classique d’une conjugaison verticale à toutes les personnes permet d’appréhender les désinences temporelles. Au fur et à mesure, le croisement de ces deux approches et l’analyse des désinences doivent permettre de reconstruire le tableau de conjugaison.
4. Des pistes pédagogiques pour l’enseignement du verbe
14Pour l’enseignant, la distinction entre les domaines semble incontournable en utilisant une terminologie grammaticale précise et adaptable aux élèves (Bronckart et Sznicer, 1990 : 5-16). La distinction des objets linguistiques analysés (le mot, la phrase, le texte) et la séparation entre ce qui est syntaxique, sémantique, morphologique sont indispensables pour repérer les plans d’analyse et pour caractériser les phénomènes liés à chaque entrée. Il faut cependant éviter un double écueil, le cloisonnement exclusif9 et la globalisation de ces entrées. * l’école élémentaire, il est possible de séparer, d’un côté, le travail de compréhension et de production d’écrits qui se situe plutôt au niveau textuel, et de l’autre, l’étude de la langue qui est avant tout circonscrite à la phrase assertive, approche qui correspond à la grammaire au sens large avec le regroupement de la syntaxe et de la morphologie. La reconfiguration didactique proposée et son application pédagogique doivent passer par la définition d’un ensemble de notions avec des propriétés et une terminologie adaptées à des élèves du cycle des approfondissements. Au niveau de la syntaxe, le verbe conjugué10, aux temps simples, peut être identifié par l’encadrement de la négation. Au niveau de la morphologie, l’identification du verbe conjugué est possible en repérant la variation morphologique (très souvent sonore) des flexions temporelles. Au niveau de la sémantique, il est intéressant de partir du verbe conjugué pour analyser son fonctionnement et comprendre l’impact sémantique des différentes constructions syntaxiques11. La définition du verbe peut être multicritériée à l’école élémentaire (Vaubourg, 2008 : 133) mais son identification doit reposer sur sa particularité : le verbe est la seule classe de mots dont la forme, en se conjuguant, varie pour exprimer le temps (Chartrand, 1999 : 174 ; Meleuc et Fauchart, 1999 : 32). Les élèves étudient le fonctionnement de la langue dans sa totalité mais les enseignants doivent distinguer les différentes composantes linguistiques sollicitées pour l’enseignement du verbe. En CE2, il est possible d’avancer une progression pour l’enseignement de la morphologie verbale écrite qui concernerait l’ensemble des verbes sauf trois fréquents (être, avoir et aller) pour lesquels la segmentation et l’analyse des morphèmes restent délicates à certains temps verbaux. Ces trois verbes sont à mémoriser de manière traditionnelle12 pour automatiser leur emploi et alléger la surcharge cognitive des élèves. La progression préconisée est la suivante :
Sensibiliser les élèves au fait qu’un élément de la phrase varie phonologiquement en fonction du temps13 et que cet élément est le verbe conjugué. Ce repérage peut être complété par une transformation négative de la phrase afin d’avoir une convergence de critères syntaxiques et morphologiques.
Repérer la dépendance avec le sujet en proposant des situations de comparaison en opposant des P3 et des P6 du type Un cheval hennit et Des chevaux hennissent pour comprendre pourquoi les verbes ne se prononcent pas et ne s’écrivent pas de la même façon. La mise en relief des marques de personne permet de construire des explications qui sont à confronter, dans un second temps, dans des situations où les verbes conjugués se prononcent de la même manière mais s’écrivent différemment (joue/ jouent). Il convient ensuite de mettre en place un protocole d’identification du sujet en utilisant le clivage c’est... qui....
Observer les régularités de ces changements de forme avec une mise en place progressive du tableau de conjugaison en analysant séparément le morphème temporel et le morphème de personne. Le but est de construire des règles de « condition-action » du type « quand le verbe conjugué a un sujet au pluriel (P6), les lettres « -nt » se retrouvent à la fin du verbe14, elles marquent le pluriel du verbe ».
Repérer les variations de la base lexicale et élaborer, en fin d’école élémentaire, des « fiches d’identité » pour les verbes les plus fréquents ou représentatifs d’un fonctionnement morphologique particulier. Ces fiches regrouperaient un ensemble d’informations linguistiques cumulées par les élèves au cours des trois années du cycle des approfondissements. À la manière d’un puzzle à réassembler (Hamon, 2005 : 98), la carte d’identité synthétise les critères identificatoires qui caractérisent un verbe donné15 :
OFFRIR |
Infinitif en -IR sans la variation du radical en -iss- |
Participe passé : offert |
Les différents radicaux : |
Ce verbe, dans une phrase a besoin de 3 éléments : |
15Cette présentation, au niveau morphologique, aménage la proposition de Pierre Le Goffic (1997 : 30) en y associant une dimension qui croise les formes verbales, la composante syntaxique et le niveau sémantique. Ce travail pédagogique ne se substitue pas aux répertoires qui demeurent un outil indispensable à utiliser en cas de doute orthographique.
5. Conclusion
16L’enseignement de la morphologie verbale écrite à l’école élémentaire demande au préalable une explicitation des fondements théoriques prenant en compte les savoirs de référence actualisés. Choisir une démarche fondée sur la description linguistique de la langue adaptée aux élèves pour mieux la comprendre suppose, de la part des enseignants, de disposer d’une théorie qui prenne appui sur la notion de système hiérarchisé avec des régularités. Une démarche réflexive et l’observation des analogies permettent de générer des règles de fonctionnement. Cette démarche inductive demande du temps et suppose, à l’école élémentaire, de traiter des objets scolarisés comme la phrase assertive pour comprendre la relation syntaxique étroite entre le sujet et le verbe conjugué.
17L’étude des formes verbales ne peut être que la conséquence de la compréhension des relations syntaxiques entre le verbe et son sujet. Pourtant, notre recherche, basée sur les explications écrites d’élèves de CE2 montre une sous-représentation de l’approche syntaxique chez les élèves au profit d’une sur-représentation des critères morphologiques. Il semble essentiel, sur le plan pédagogique, de bien comprendre la relation du verbe conjugué et de son sujet avant de systématiser la morphologie verbale trop souvent réduite à la relation avec un pronom personnel.
18Le travail pédagogique qui valorise l’observation et la compréhension exige des compétences professionnelles spécifiques pour permettre aux enseignants de reconfigurer des savoirs théoriques en savoirs à enseigner, c’est un des enjeux de la formation initiale et continue (Gourdet, 2011) mais cette démarche demande également du temps avec une progression des contenus à aborder qui hiérarchise les notions à enseigner. Ce travail est encore à faire.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Bronckart, Jean-Paul et Sznicer, Gérard, 1990, « Description grammaticale et principes d’une didactique de la grammaire », Le Français aujourd’hui, n° 89, Paris, Armand Colin, p. 5-16.
Chartrand, Suzanne-G., Aubin, Denis, Blain, Raymond et Simard, Claude, 1999, Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, Montréal, Graficor.
David, Jacques et Renvoisé, Claire, 2010, « La morphologie verbale : repérer les complexités et les régularités », Synergies, n° 6, p. 61-75.
Dédéyan, Alexandra, 2006, « Détecter les erreurs d’accord sujet-verbe : caractéristiques de procédures de détection contrôlée », Rééducation Orthophonique, n° 225, p. 39-57.
Dubois, Jean et Lagane, René, 1986 [1973], La Nouvelle grammaire du français, Paris, Larousse.
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Gourdet, Patrice, 2011, « Les savoirs enseignants sur la notion grammaticale de verbe », Repères, n° 42.
Halté, Jean-François, 1992, La Didactique du français, Paris, Presses Universitaires de France, Coll. « Que sais-je ? ».
Hamon, Sophie, 2005, « Les nouvelles syntaxes peuvent-elles être utiles à la grammaire scolaire ? », Diptyque, n° 4, Namur, Presses Universitaires de Namur et Cedocef, p. 83-102.
Laparra, Marceline, 2010, « Pour un enseignement progressif de l’orthographe dite grammaticale du français », Repères, n° 41, p. 35-46.
Le Goffic, Pierre, 1997, Les Formes conjuguées du verbe français. Oral et écrit, Paris, Ophrys.
Meleuc, Serge et Fauchart, Nicole, 1999, Didactique de la conjugaison. Le verbe autrement, Paris-Toulouse, Bertrand Lacoste et CRDP de Midi-Pyrénées.
Perrot, Jean, 1996, « Quelques propositions sur l’accord en réponse au questionnaire », Faits de langue, n° 8, Paris, Ophrys, p. 161-174.
Pinchon, Jacqueline et Couté, Bernard, 1981, Le Système verbal du français, Paris, Nathan.
Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe et Rioul, René, 2006 [1994], Grammaire méthodique du français, Paris, Presses Universitaires de France.
Saussure, Ferdinand de, 1995 [1913], Cours de linguistique générale, Payot.
Vaubourg, Jean-Paul, 2008, « Nouveaux programmes du primaire... Déjà un manuel de grammaire ! », Le Français aujourd’hui, n° 162, Paris, Armand Colin, p. 127-134.
Textes officiels
B.O. n° 3, hors série (19 juin 2008), Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire.
Sitographie
Liste des mots classés par nature et par fréquence décroissante sur le site suivant : http://eduscol.education.fr/D0102/liste-mots-nature-frequence.htm.
Notes de bas de page
1 Le CE2 correspond au Cours Élémentaire 2e année, il est la première année du dernier cycle de l’école primaire, le cycle des approfondissements ou cycle 3. Cette classe concerne des élèves qui ont entre 8 et 9 ans.
2 Si l’on prend, comme simple critère pour définir le premier groupe traditionnel, la terminaison -er à l’infinitif, le verbe aller est un verbe du premier groupe. Si l’on regroupe les verbes en -er en croisant cette propriété avec les régularités de la base lexicale, le verbe aller est à traiter à part, il n’appartient pas au premier groupe.
3 Ces verbes sont les suivants : être, avoir, aller, faire, dire, savoir, vouloir, pouvoir, valoir et falloir.
4 La liste de fréquence utilisée est celle, basée sur l’écrit, du site Éduscol de l’Éducation nationale :
http://eduscol.education.fr/D0102/liste-mots-nature-frequence.htm.
5 II est intéressant de remarquer le décalage entre la réponse de cet élève qui parle de six pronoms et son énumération qui en présente huit, preuve supplémentaire d’une mémorisation basée sur une règle scolaire répandue mais peu explicite pour ces écoliers.
6 Cette appellation n’est pas un étiquetage linguistique homogène, il arrive que des verbes soient appelés irréguliers dans certains manuels scolaires et pas dans d’autres.
7 Le verbe devoir n’est pas toujours facile à repérer avec les bases lexicales suivantes : doi- / dev- / doiv- / d-,
8 La cédille, par exemple, est à traiter avec tous les mots qui l’utilisent, qu’ils soient des verbes ou non.
9 La quadripartition scolaire (Grammaire-Orthographe-Vocabulaire-Conjugaison) en est une illustration possible.
10 Le terme « verbe conjugué » permet de distinguer la fonction et le nom de la classe grammaticale.
11 Le verbe pousser en fonction de sa construction n’offre pas le même sens (une fleur pousse / Pierre pousse Paul).
12 C’est-à-dire en mémorisant les formes à chaque temps et à chaque personne. Cet apprentissage est coûteux, il demande du temps et de la répétition pour construire des réflexes d’écriture rapides.
13 En CE2, les temps à étudier sont des temps de l’indicatif : le présent, le futur, l’imparfait. La variation phonologique en fonction du temps est donc un critère important.
14 II est possible d’ajouter une dimension phonologique : si on entend le son [ɔ̃], on écrit O-N-T.
15 Le dictionnaire des verbes du français actuel aux éditions Ophrys est un outil indispensable pour appréhender la construction des verbes et anticiper l’approche pédagogique.
Auteur
Université Cergy-Pontoise (IUFM), Laboratoire EMA, EA 4507.
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