Du plaisir de lire au plaisir d’écrire dans une perspective actionnelle : récit d’une expérience et réflexions sur l’acte collectif de création littéraire
p. 61-71
Texte intégral
Introduction
« Lire c ’est penser avec un autre »
Émile Faguet, L’art de lire, 1923
« La vraie lecture commence quand on ne lit plus seulement pour se distraire et se fuir mais pour se trouver »
Jean Guehenno, Carnets du vieil écrivain, 1971
1En didactique des langues et des cultures étrangères, une nouvelle approche voit le jour en Europe dans les années 2000 : la « perspective actionnelle » (désormais PA). Aujourd’hui, travailler avec d’autres en langue étrangère est devenu de plus en plus fréquent, que ce soit dans son pays ou à l’étranger. En réponse à ce nouvel enjeu, l’objectif désormais privilégié est la co-action sociale, c’est-à-dire l’action finalisée et conjointe par le biais de l’apprentissage d’une langue et de sa culture dans un cadre social donné, celui du travail, des études ou de la vie quotidienne.
2Aborder le plaisir de lire sous cet angle peut apparaître d’emblée comme une entreprise risquée. En effet, lire peut-il être synonyme d’agir ? Comment peut-on envisager la lecture comme un point de départ à l’agir social ? Peut-on parler de « plaisir de lire » quand on se place dans une perspective « de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières), dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier1 ? Pouvons-nous lier perspective actionnelle et plaisir de lire et d’écrire ?
3J’aimerais, à partir d’un récit d’expérience, faire émerger des pistes pratiques pour la mise en place d’un projet d’écriture et de lecture collective dans une perspective actionnelle à partir de la lecture et de l’étude de textes littéraires.
4Au-delà de l’anecdotique et d’un point de vue didactique, cette expérience m’a permis de comprendre une partie des liens entre lire et agir, entre écrire et agir, notamment à travers les mécanismes en jeu dans le passage de la lecture à l’écriture dans une perspective co-actionnelle/co-culturelle. Je me suis alors demandé ce qu’impliquait le passage de la lecture à l’écriture d’un roman ? Comment mettre en commun des cultures d’action, des cultures littéraires et des cultures de l’écrit différentes au service d’un même objectif ?
Mise au point terminologique : Écriture et lecture coopérative et/ou collaborative2 ?
5Il s’agit tout d’abord de faire une mise au point terminologique sur des notions utilisées de manière indifférenciée mais qui pourtant renvoient à des modes d’action collective distincts : la coordination, la collaboration et la coopération.
6La première notion, la coordination, désigne un agencement efficace des activités, des personnes et des ressources pour atteindre une fin3. En effet, la coordination des actions individuelles se concrétise par un ordonnancement des actions, entendues comme « un agencement des actions de chacun des opérateurs impliqués dans un certain ordre afin d’atteindre le but final de façon efficace » (Barthe, 2000 : 235), mais également par une adaptation réciproque des acteurs et de leurs actions à celles des autres (Soubie et Kacem, 1994) »4. La coordination garantit le lien entre l’action individuelle et l’action collective en permettant à l’apprenant de mettre ses propres actions au service de l’action commune. Elle peut alors s’effectuer sur le plan de l’action commune, ou plus précisément sur le plan des actions individuelles en vue d’une action commune.
7Quant aux termes de coopération et de collaboration, ils désignent deux conceptions du fonctionnement du groupe. « La coopération est généralement conçue comme une interaction entre des personnes travaillant en groupe qui facilite la réalisation d’un produit ou d’un but »5. L’accent porte sur le produit du projet. Les membres du groupe se partagent le travail et se le répartissent entre eux en fonction de leurs compétences respectives. Chacun prend en charge une partie de la tâche (même l’enseignant) avant l’assemblage qui permettra de créer le produit final. En revanche, on peut dire qu’il y a collaboration quand les apprenants réalisent ensemble les tâches à effectuer.
8La collaboration et la coopération fonctionnent comme une démarche de responsabilisation de l’apprenant. C’est un mode de fonctionnement du groupe orienté processus. L’important n’est pas le produit mais les processus qui ont mené à l’aboutissement de la tâche6.
9L’apprenant s’engage à travailler avec les membres du groupe en vue de la réalisation du but commun tout en conciliant ses intérêts et ses objectifs personnels. Il collabore dans le cadre des interactions de groupes en partageant ses découvertes. Les échanges avec le groupe et la réalisation d’une tâche collective lui permettent de partager ses découvertes, de négocier le sens à donner à son travail et de valider ses connaissances nouvellement construites. Dans sa démarche, il fait preuve d’autonomie et assume la responsabilité de son apprentissage tout en se sentant responsable de l’atteinte du but qu’il partage avec tous.
10Cette description vaut tout autant pour l’apprentissage « coopératif ». Dans la pédagogie Freinet, un élément essentiel du dispositif était d’ailleurs la « coopérative » (dans le sens institutionnel du terme), mais qui correspond bien au sens « conceptuel », celui qui l’oppose à « collaboration ». Dans une coopérative, chacun apporte le résultat de son propre travail, il n’y a pas travail en commun à proprement parler, mais une mise en commun du travail individuel. Aussi, la coopération et la collaboration préparent les apprenants à l’autonomie et à la responsabilisation. C’est donc avant tout un espace de réflexion sur l’action passée, en cours et à venir. L’objectif d’un groupe collaboratif est alors centré sur le processus et non sur l’objet final. La coopération et la collaboration se distinguent donc par la nature de l’autonomie laissée à l’apprenant. En effet, on peut constater plus d’autonomie de l’individu dans la coopération, et plus d’autonomie du groupe dans la collaboration, vis-à-vis de l’enseignant.
11Ces deux démarches sont complémentaires et « peuvent intervenir dans des phases successives de la réalisation collective »7. Par exemple, pour un projet d’écriture collective, chaque groupe a une tâche à accomplir pour réaliser le projet, et dans chaque groupe, il peut y avoir une répartition des tâches entre les apprenants avant de mettre en commun avec les membres de leur groupe puis avec les autres groupes et enfin de procéder à l’écriture de l’ensemble puis à la correction.
12Dans une perspective actionnelle, nous avons donc une articulation entre :
- les savoir-collaborer
- les savoir-coopérer
- les savoir-coordonner
en vue d’accomplir une tâche (agir d’apprentissage) pour agir en société (agir d’usage) selon quatre grands types d’activités :
- la prise de décision
- la négociation
- la mise en commun
- la production
C’est ce que tentera d’expliciter l’expérience décrite ici.
Du plaisir de lire : récit d’une expérience
Contexte de l’expérimentation
13L’expérience que je vais relater est particulièrement représentative de l’articulation entre lecture, analyse littéraire et écriture collective d’un roman.
14Pour ce projet, les étudiants avaient choisi de travailler sur l’histoire d’amour entre une jeune Française et un jeune Allemand pendant la seconde guerre mondiale. Il est important de savoir que le groupe était essentiellement composé d’apprenants allemands, américains et algériens. Le choix du roman par les apprenants est né d’une discussion sur nos différentes visions de la seconde guerre mondiale suite à l’étude du thème « Les amours contrariées en littérature » et suite à la lecture d’un extrait de La bicyclette bleue de Régine Desforges. L’écriture de ce roman a été ici bien plus qu’une tâche d’enseignement-apprentissage du Français Langue Etrangère, car elle a été vécue par les apprenants comme une façon de revenir sur une période difficile de notre Histoire commune, période historique que nous appréhendons différemment du fait de nos nationalités respectives.
Principes généraux et déroulement de l’expérience
15Le cours était constitué de trois grands axes :
- Regards sur « leurs » littératures
- Regards sur les principaux genres littéraires de la littérature francophone à travers des textes représentatifs (la fable : La Fontaine, le conte : Perrault et contes pour enfants, la poésie : Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, le roman : Duras, Camus, Colette..., le théâtre : Camus, Ionesco...)
- Études de textes et activités de créations collectives :
Atelier de lecture collaborative sur des thèmes choisis par les apprenants. Atelier d’écriture collective sur un thème choisi par les apprenants.
L’enjeu principal : donner envie de lire par la responsabilisation des apprenants
16Les étudiants présents pendant ce module étaient des étudiants qui se destinaient essentiellement à des études scientifiques. La littérature ne les intéressait pas, ni d’un point de vue professionnel, ni d’un point de vue disciplinaire. Leur niveau variait entre B1 et B2 selon les descripteurs du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. Le choix de ce module correspondait simplement à une commodité d’emploi du temps. La première question que je me suis alors posée concernait la façon de donner « l’envie » de lire, de « motiver », dans le sens premier du terme, « de pousser à agir ».
17La seconde question était celle de la culture littéraire et plus particulièrement la place de la culture littéraire dans une perspective d’agir social. Dans un premier temps, les apprenants devaient noter ce qu’ils connaissaient déjà comme auteurs français (livres lus), et ensuite ce qu’ils souhaitaient lire (leurs préférences dans leur langue maternelle puis en langue étrangère : poésie, roman...).
18J’ai donc décidé de leur laisser la responsabilité de trouver le thème sur lequel nous allions travailler. Cela m’a permis dans un premier temps de connaître leur culture littéraire, de comprendre leurs goûts afin de leur donner envie de lire, envie de s’intéresser à la lecture et à l’écriture dans un second temps, d’abord dans leurs langues maternelles avant de le faire en langue étrangère.
19La responsabilisation des apprenants dans la prise de décision, la négociation des contenus par exemple, permet de mettre à l’épreuve et de développer leur compétence à agir avec d’autres.
20Partir de l’acte « naturel » de lecture en langue maternelle a également suscité une motivation pour la découverte d’une autre littérature mais a aussi permis de valoriser leur propre culture.
Du plaisir de lire au plaisir d’écrire ensemble
De la lecture à l’écriture, « le cercle de lecture »
21Le passage de la lecture à l’écriture en langue cible nécessite de comprendre le processus de création littéraire. Ce passage s’est effectué à travers la lecture et l’analyse collaboratives des structures de plusieurs textes extraits de romans ou de nouvelles dans la langue maternelle des apprenants, puis en français. Pour cela, le texte littéraire prend un rôle particulier puisqu’il devient avant tout un outil, un support pour l’avancée du projet.
Place et rôle du texte littéraire
22Dans un travail d’écriture collective, le texte littéraire prend une place particulière. Il devient en effet un support pour la réalisation de tâches intermédiaires pour la réalisation d’une tâche finale. Il permet la mise en commun d’une culture littéraire et d’une culture de l’écrit à partir de l’apprenant : du texte littéraire en langue maternelle pour progressivement entrer dans la littérature en langue étrangère.
23Le texte littéraire constitue alors une base pour la co-construction de l’écriture :
- par le travail de groupe,
- grâce à un décloisonnement langue/culture
- au service d’une tâche finale
Vers la mise en commun d’une culture littéraire et d’une culture de l’écrit
24La culture littéraire et la culture de l’écrit constituent la base des modèles d’écriture. Elles sont différentes d’une culture à l’autre, d’un individu à l’autre. Afin de faire émerger culturellement une structure commune, nous avons utilisé l’exemple de l’incipit comme représentatif de la structure d’un roman. Les acteurs en présence étant de nationalité allemande, algérienne, américaine et française, nous avons décidé d’analyser les incipits de quatre romans respectivement issus de leurs langues et de leurs cultures. Ces quatre romans ont été choisis respectivement par les apprenants de la nationalité correspondante, chaque roman étant, pour eux, « représentatif » d’une partie de leur culture littéraire. Les apprenants avaient pour consigne d’analyser dans leur langue l’incipit de leur roman puis d’en faire un compte-rendu en français.
25Il s’agissait de voir les différences, les similitudes entre les différents incipit puis de construire un modèle (culturel et littéraire) commun qui servirait pour l’écriture collective de leur roman.
Lire pour écrire : la lecture collaborative comme préparation à l’écriture collaborative
Faire émerger un modèle commun
26Il s’agissait alors de faire émerger un modèle commun d’écriture. Dans cette optique, les apprenants ont donc conçu une grille de lecture d’incipit. Ils sont donc complètement immergés dans l’acte de création littéraire tout en s’appuyant sur leurs représentations culturelles et littéraires « natives ». Voici, à titre d’exemple, la grille qu’ils ont conçue à partir de leurs analyses :
INCIPIT
Définition : Les premières pages d’un roman s’appelle l’incipit. C’est très important car c ’est la première chose qu ’on lit. Cela influence notre lecture, cela peut même nous faire fermer le livre ou, au contraire, nous donner envie d’en lire plus. C’est un contrat avec le lecteur.
1- Quand et où ?
– Le temps
– Le lieu
2- L’action
– Situation de départ
– Qui sont les personnages ?
3- Comment est-ce raconté ?
4- Le temps de l’histoire
5- Qui raconte quoi à qui ?
6- Comment est-ce raconté ?
7- De quoi ça parle ? Quels sont les thèmes abordés ?
27Les apprenants devaient ensuite faire des choix pour chaque élément présent dans la grille afin de construire ensemble le point de départ de l’histoire. Cette partie du projet a demandé aux apprenants de négocier avec les autres membres du groupe. Ils ont dû mettre en commun leur propre conception, leur propre analyse afin de co-construire un modèle valide.
28Mettre en commun c’est communiquer ses résultats aux autres ou réunir les résultats obtenus en vue de finaliser un projet. À ce titre, cela représente une mise en communication de ce qui a été décidé. Après la phase de négociation, les apprenants mettent en commun les choix issus de la prise de décision. Cette phase est marquée par le choix : un choix en fonction du projet, un choix en fonction de l’intérêt collectif. Elle permet de rendre visible la culture d’action collective partagée par l’ensemble du groupe. Nous arrivons ici à la construction collective des savoirs, un produit unique issu de différentes cultures d’action. Dans ce projet, la mise en commun s’est effectuée en deux étapes, une répartition des tâches et des compétences par groupe (issue des négociations) puis une réunification (par assemblage) des tâches en question dont voici un exemple :
CHAPITRE 18
La rencontre
C’est l’été. Il fait beau, très beau, peut-être un peu trop chaud, pense Karl au moment où il entre dans la gare, mais en tous cas il fait beau. La gare St. Martin est vivante. Des gens s’habillent très chic en général, mais ils ont l’air d’être pressés. Karl, lui, n ’est pas pressé. Il a juste fini son travail à l’usine de son oncle, et il est à la gare pour acheter des billets. Sebastian, son oncle, avait besoin de billets pour l’Allemagne, et Karl a dit qu ’il peut les acheter pour lui puisqu ’il aime bien aller à la gare en été.
Karl adore toutes ces grandes fenêtres, ces sculptures magnifiques sur les murs, et ces petits jardins avec des fontaines en forme d’anges. Aujourd’hui il y a des musiciens et un mime. Karl trouve le mime nul, mais il aime bien les musiciens. Il adore l’accordéon. Strasbourg est pas mal, pense- t-il, mais il préfère l’Allemagne, son pays natal. Il pense à l’Allemagne pendant qu’il achète ses billets. Après avoir fait ses achats, il donne la monnaie à une musicienne et commence à quitter la gare, quand une femme l’arrête, et lui demande :
– « Pardon, Monsieur, savez-vous où se trouve la rue du cheval bleu ? »
Karl est stupéfait. Il trouve que cette femme est magnifique. Elle est blonde, avec les yeux verts, et la peau mate, complètement différente de lui, qui a une peau très pâle, les cheveux noirs et les yeux bleus. Elle porte une robe et un chapeau simple, mais élégant. Karl est un peu embarrassé à cause de son bleu de travail, mais il n ’est pas timide, et il est convaincu qu ’il ne va pas laisser cette belle femme lui échapper. Il connaît la rue, alors il lui dit :
– « Oui, bien-sûr, je peux vous emmener là-bas, sur ma moto »
– « Non, non » elle lui répond,
– « Je ne veux pas vous déranger »
– « Pas du tout, en fait je suis en route là maintenant » Karl a menti.
Alors il prend sa valise très lourde et l’emmène sur sa moto. Quand elle voit la moto, elle rit,
– « Non, ça va pas marcher ! »
La moto est beaucoup trop petite pour Karl, elle, et sa valise.
– « Bien sûr ça va marcher, je le fais tout le temps »
Karl a menti une autre fois, mais c ’est évident qu ’il se fait du souci. Ils montent quand même sur la moto, et maladroitement, ils quittent le parking.
Écriture collaborative et approche par les tâches : exemple d’utilisation de documents intermédiaires
29Mettre en place un projet d’écriture collective demande dans un premier temps une réflexion sur la répartition des tâches entre les différents acteurs du projet (enseignant et apprenants). Dans l’expérience décrite ici, la répartition des tâches s’est faite à partir du modèle suivant :
30Les apprenants sont impliqués dans chaque étape de la conception : des premiers choix à la correction des textes. Chacun a une part de responsabilité dans la mise en place du projet et chaque étape est constitutive de la prochaine grâce, notamment, à l’utilisation de documents dit « intermédiaires », documents authentiques témoins de l’avancée collective du projet.
L’élaboration de documents intermédiaires pour la lecture et la lecture collaborative
31La question de l’élaboration de documents intermédiaires dans l’acte de création littéraire collectif est en effet centrale. La notion de « documents intermédiaires » évoque la production de textes faisant l’intermédiaire entre l’information existante et l’information nouvelle comme le souligne Christian Puren : « La logique actionnelle amène à considérer comme supports à part entière les documents produits par les apprenants [...] au cours de leur projet (notes personnelles, rapports intermédiaires, comptes-rendus, etc.) ou en fin de projet »9.
32Ce type de documents (rapports, notes intermédiaires, plannings de coordination etc.) est utilisé uniquement à des fins sociales et actionnelles et, de fait, permet une action sur l’information pour agir avec l’autre. Ce type de documents a toute sa place dans un projet d’écriture dans un objectif social de responsabilisation des apprenants au sein de la collectivité. Il s’agit en effet de responsabiliser les apprenants à travers une macro-tâche à accomplir en leur donnant l’occasion de développer leur compétence à agir avec d’autres, et ce, notamment en proposant une planification de la coordination des actions de chacun par la réalisation de tâches intermédiaires et l’élaboration de documents intermédiaires. Chaque apprenant peut prendre la responsabilité de coordination de l’équipe durant toute la durée du projet. La planification fait état de ce qui a été fait et de ce qu’il reste à faire ainsi que la répartition des tâches entre les différents participants (enseignant compris).
33J’ai distribué à chaque groupe une grille de mise en commun. Dans un premier temps, chaque groupe devait résumer l’essentiel de leur travail puis le coordinateur de la semaine était chargé de communiquer ce résumé et de l’expliciter. Ensuite, cet étudiant devait demander à chaque participant de résumer oralement leur partie, demander des explications, des éclaircissements voire proposer des améliorations. Il s’agissait alors pour l’ensemble des groupes d’ajuster leur partie de l’histoire en fonction de ce que les autres avaient fait. Une fois de retour dans leur groupe d’origine avec leur grille entièrement complétée, le « coordinateur » devait expliquer les travaux de chaque groupe. Ensuite, le groupe entier devait ajuster leur partie de l’histoire en fonction des travaux des autres apprenants.
34La correction des textes a été effectuée dans un premier temps par l’ensemble du groupe-classe puis par l’enseignant avant la « publication » de l’ouvrage. Jusque dans la correction des textes, les apprenants développent alors leur compétence à agir avec d’autres, à ajuster stratégiquement leurs actions en fonction de celles des autres.
35L’ensemble des procédures décrites ici (mise en commun, négociation, coordination etc.) correspond au développement d’une dimension co-culturelle/ co-actionnelle de la lecture et de l’écriture collective.
Conclusion
36Donner envie de lire et d’écrire en langue étrangère, intéresser les apprenants à l’analyse littéraire est une question que je me suis longtemps posée. En donnant un objectif social à la lecture et au processus de création littéraire en langue étrangère, les apprenants ont pris plaisir à manipuler les mots, à leur donner sens pour construire ensemble leur propre histoire ; en donnant un objectif social à la lecture et au processus de création littéraire, l’apprenant se responsabilise dans son apprentissage et dans l’apprentissage de l’Autre. En (re)plaçant l’apprenant au centre de l’activité de création littéraire, en partant de ce qu’il est, de sa langue, de sa culture, de ses modes d’action, le texte littéraire devient le constituant d’un lien social et culturel fort autour duquel chaque membre de cette « coopérative » de lecteurs-créateurs se retrouve. Il semble alors qu’à la lumière de cette expérience, nous pouvons envisager la perspective actionnelle, adéquation de l’agir social et de l’agir d’apprentissage, à la fois comme un vecteur de cohésion du groupe et un moyen privilégié de découverte de la littérature.
Notes de bas de page
1 Conseil de l’Europe, Cadre européen commun de référence pour l’apprentissage et l’enseignement des langues, Strasbourg : Conseil de l’Europe, 1e éd. 1996, 2e éd. corr. 1998 ; Paris : Didier, 2001, p. 15.
2 Emilie Perrichon, « Agir d’usage et agir d’apprentissage en didactique des langues-cultures étrangères, enjeux conceptuels, évolution historique et construction d’une nouvelle perspective actionnelle », Thèse de doctorat dirigée par Christian Puren, Université Jean Monnet- Saint Etienne, 2008, p. 213-214.
http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article2029. (consulté le 18 mai 2013)
3 France Henri, Karin Lundgren, Apprentissage collaboratif à distance : pour apprendre et concevoir les environnements d’apprentissages virtuels, Montréal, PUQ, 2001, p. 122.
4 Jean-François Marcel, Vincent Dupriez, Danièle Perisset-Bagnoud et Maurice Tardif, Dir., Coordonner, collaborer, coopérer. De nouvelles pratiques enseignantes, Bruxelles, De Boeck, 2007, p. 10.
5 Elke Nissen, Apprendre une langue en ligne dans une perspective actionnelle, effet de l’interaction sociale, Thèse de Doctorat dirigée par Michèle Kirch, Université de Strasbourg I, 2003, p. 74.
6 Emilie Perrichon, « Pédagogie du projet : De la culture individuelle à la construction d’une culture d’action collective », Actes du colloque international « Problématiques culturelles dans l’enseignement-apprentissage des langues-cultures, mondialisation et individualisation : approche interdisciplinaire », Université de Tallinn, Estonie, 8-10 mai 2008, Synergies Pays riverains de la Baltique, 2010, p. 91 -111.
7 Elke Nissen, Ibid., p. 76.
8 Incipit du roman Karl et Céline par les étudiants du module de littérature. Le texte est volontairement laissé en l’état. Des erreurs de syntaxe et d’orthographe subsistent
9 Christian Puren, « Explication de textes et perspective actionnelle : la littérature entre le dire scolaire et le faire social », Les langues modernes, octobre 2006, p. 37. Article publié sur le site de l’APLV, www.APLV-LanguesModernes.org (consulté le 18 mai 2013).
Auteur
LCEM-MUSE (HLLI-EA4030)
Université du Littoral-Côte d’Opale
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
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