Combien d’articles n’a-t-on pas écrits sur le sujet ? Négation, quantification et interrogation
p. 153-177
Texte intégral
Introduction1
1Notre étude des interro-négatives introduites par combien :
(1) a. Si c’est pour demain, combien d’hommes ne sauront pas se servir de leurs armes à feu, dans ta section ? (Malraux, 1933)
b. Combien n’avons-nous pas vu de femmes, jalouses par le cœur, surtout dans le mariage, refuser de se venger, même par la plus légère coquetterie ? (Bourget, 1890)
c. Combien ne souffres-tu pas ? (Sand, 1837)
d. Combien, toutefois, cet attachement au nom hérité n’apparaît-il pas plus fort dès qu’on considère des réalités d’un ordre moins matériel ? (Bloch, 1944)
se situe dans le cadre plus général de l’analyse des interro-négatives introduites par un mot en qu-. Ces dernières ont donné lieu à de nombreuses études2, qui se sont tout particulièrement intéressées aux conditions dans lesquelles de telles questions sont possibles. Il apparaît en effet que si certaines interrogations partielles ne posent, en l’absence de négation, aucune difficulté :
(2) a. Qu’a-t-il dit ?
b. Qui est venu ?
c. Quand Paul est-il venu ?
d. Où Paul a-t-il déjeuné ?
e. Comment a-t-il répondu ?
f. Combien a-t-on écrit d’articles sur le sujet ?
tel n’est pas le cas des interro-négatives correspondantes :
(3) a. Que n’a-t-il pas dit ?
b. Qui n’est pas venu ?
c. Quand Paul n’est-t-il pas venu ?
d. Où Paul n’a-t-il pas déjeuné ?
e. Comment n’a-t-il pas répondu ?
f. Combien n’a-t-on écrit d’articles sur le sujet ?
2Ces dernières semblent moins acceptables3, ou du moins leur interprétation exige un contexte particulier. Il peut s’agir de questions échos, le locuteur n’étant pas certain d’avoir correctement interprété l’énoncé précédent :
(4) – Paul n’est pas venu.
– Qui n’est pas venu ?
3Le morphème introducteur peut recevoir une interprétation différente en présence ou en l’absence de négation. Ainsi, si en (2e) comment peut raisonnablement être interprété comme portant sur la manière (d’où des réponses comme bien, intelligemment, gentiment, etc.), en (3e) la seule possibilité de donner une réponse consiste à interpréter le morphème comme portant non pas sur la manière, mais sur les « circonstances » qui ont abouti à l’état de fait décrit, ce qui est glosable par « comment se fait-il qu’il n’ait pas répondu »4. Enfin, certaines interro-négatives correspondent à des questions dites rhétoriques (ex. 3f).
4Notre réflexion se développe en quatre étapes. Dans la première section, nous nous intéresserons à la définition des vraies questions et des questions rhétoriques. Dans la deuxième section, nous procèderons à un bilan des hypothèses proposées pour rendre compte des différences observées entre les interrogatives à la forme positive et les interro-négatives correspondantes. Dans la troisième section, nous présenterons les résultats d’une étude de corpus d’interro-négatives introduites par combien5. Dans la quatrième section, nous traiterons des points communs et des différences entre les questions rhétoriques et les exclamatives en combien ne... pas.
1. Vraies questions vs questions rhétoriques
5Une vraie question correspond à un acte de langage interrogatif, et peut être définie comme un « énoncé qui se présente comme ayant pour finalité principale d’obtenir de L2 un apport informatif » (Kerbrat-Orecchioni, 1991 : 14) dont la question « à réponse ignorée »6 constitue le prototype (ibid. : 17). En d’autres termes, « la question est la manifestation d’un ‘vide cognitif’ local, que L1 demande à L2 de venir combler ; c’est-à-dire que L1, conscient de son incomplétude, mise sur la complétude de L2 » (Kerbrat-Orecchioni, 1991 : 18).
6Une partition est consensuellement établie entre l’interrogative totale, qui porte sur la valeur de vérité du contenu propositionnel et appelle une réponse par oui ou par non, et « [l] ’interrogative partielle [qui] porte sur une partie de la phrase, sur un de ces constituants, qu’elle appelle en réponse » (Riegel et al., 2009 : 669). Ces auteurs précisent qu’« [u]n des constituants de la phrase interrogative est présenté comme étant non identifié et donc comme une variable sur laquelle porte la demande d’information formulée au moyen du terme interrogatif. La réponse attendue doit fixer la valeur de cette variable en indiquant une personne, un objet, etc. » (ibid. : 669), et ils ajoutent que « [1]es autres éléments de la phrase interrogative partielle véhiculent des informations acquises ou présupposées » (ibid. : 669).
7L’identification du type d’acte de langage accompli est supposé reposer sur les caractéristiques formelles de la phrase, en l’occurrence la présence en tête de phrase d’un mot en qu- et l’inversion de l’ordre sujet-prédicat caractéristique de la phrase assertive :
(5) – Combien aviez-vous payé chaque cahier ? Avec effort, et très bas :
Trois sous, mon lieutenant.
(Genevoix, 1950)
8Toutefois, les phrases utilisées pour accomplir un acte de langage interrogatif présentent une variation certaine, ni l’inversion du sujet, ni l’antéposition du mot en qu- (ou du syntagme dont il fait partie) n’étant nécessaires :
(6) a. – Combien elle vaut ?
M. Jo sourit comme quelqu’un qui s’y attendait.
– Je ne sais pas, peut-être vingt mille francs.
(Duras, 1950)
b. Le commandant Gilon demanda :
– Charamon, ça fait combien de temps que tu es dans l’armée ? Dix ans, mon commandant. Toujours ordonnance.
(Druon, 1948)
c. Elle est de combien ton échéance ?
(Cendrars, 1948)
d. Il faut que je tienne le coup jusqu’à ce que Jean-Noël soit
en âge d’être initié aux affaires, Marie-Ange d’être mariée. Ça
me fera combien ?... Quatre-vingt-trois, quatre-vingt-quatre. (Druon, 1948)
9Pour sa part, une question rhétorique correspond à un acte dérivé, dans la mesure où la forme de phrase interrogative n’est pas utilisée pour accomplir un acte de langage interrogatif. En effet, une question rhétorique ne requiert pas de réponse7, le locuteur et l’interlocuteur étant tous deux supposés la connaître, ou celle-ci pouvant facilement être inférée par l’interlocuteur à partir de la question posée. De ce fait, une question rhétorique est généralement analysée comme permettant d’accomplir un acte de langage assertif8, lequel correspond, selon une définition étroite des questions rhétoriques, à la négation du présupposé que recèle la question9. Ainsi, (7a) :
(7) a. Qui connaît cette histoire.
b. Qui ne connaît cette histoire.
présuppose « quelqu’un connaît cette histoire » et asserte « personne ne connaît cette histoire », tandis que (7b) présuppose « quelqu’un ne connaît pas cette histoire » et asserte « tout le monde connaît cette histoire ».
10Il convient toutefois de préciser qu’il existe des configurations qui répondent à la définition de la question rhétorique telle qu’elle vient d’être rappelée, et qui ne présupposent pas la négation de ce qu’elles assortent :
(8) a. Is Clinton a liberal ?
b. Is the Pope Catholic ? (Han, 2002 : 216, note 5 ; Schaffer, 2005)
11Dans ces exemples, la présence ou l’absence de négation ne modifie pas fondamentalement l’interprétation :
(9) a. Isn’t Clinton a liberal ?
b. Isn’t the Pope Catholic ?
le choix de l’une ou l’autre de ces tournures étant corrélé à des facteurs discursifs. Se pose alors la question, que nous laisserons pour l’instant ouverte, de savoir s’il s’agit bien là de questions rhétoriques, ou si ce terme doit être réservé à des phrases interrogatives qui assortent la négation du présupposé qu’elles contiennent.
12Sur le plan formel, il semble qu’il y ait peu de différences entre les vraies questions et les questions rhétoriques (Hudson, 1975). Ces dernières sont supposées interdire la réalisation du mot en qu- in situ (voir e. a. Cheng, 1997 ; Cheng & Rooryck, 2001 ; Coveney, 1989 ; Dikkens & Giannakidou, 2002). Toutefois, si la position en tête de phrase est privilégiée (ex. 10a), la réalisation in situ ne semble pas totalement exclue (ex. 10b)10 :
(10) a. Il y a une chose en tout cas qu’il importe que tu saches : tu ne
dois pas entrer dans cette pièce. Combien de fois faudra-t-il te
le répéter ? Je ne permets à personne, pas même à ta sœur, d’y
pénétrer en mon absence... (Mauriac, 1945)
b. – J’y pense, s’est-il exclamé, Gina, somme toute, c’était ma
femme...
– Oh ? ça va, hein ?... Faudra rappeler ça combien de temps ?... C’est réglé.
(Malet, 1949)
13Peu susceptibles de constituer une demande d’information (Haspelmath, 1997 : 121 ; Duffley & Larrivée, 2010), les termes à (forte) polarité négative provoquent une interprétation rhétorique :
(11) Qui a levé le petit doigt pour elle ? (cit. Obenauer & Poletto, 2000)
14Ajoutons que la présence de marqueurs comme après tout (Paillard et Rossari, 2006) ou d’ailleurs (Ducrot et al., 1980), qui soulignent le statut d’argument conclusif d’une série, provoque également une interprétation rhétorique :
(12) a. Qui, après tout, connaît cette histoire ?
b. Qui, d’ailleurs, connaît cette histoire ?
15Enfin, dans le cas qui nous occupe, les exemples observés tendent à indiquer que l’absence d’inversion donne plutôt lieu à une vraie question (ex. 13a), tandis que l’inversion complexe déclenche plutôt une interprétation rhétorique (ex. 13b) :
(13) a. Combien d’hommes ne sauront pas se servir de leurs armes à feu ? (d’après ex. la)
a’. Combien d’hommes ne sauront-ils pas se servir de leurs armes à feu ? (idem)
2. Les questions négatives partielles
16Deux types d’hypothèses ont été avancées pour rendre compte des différences entre les interrogatives partielles avec ou sans négation (voir supra ex. 2 et 3). Selon certains auteurs (voir e. a. Cinque, 1990 ; Rizzi, 1990), ces particularités résulteraient de contraintes syntaxiques, selon d’autres (voir e. a. Spector, 1996 ; Kuno & Takami, 1997 ; Abrusán, 2008 ; Larrivée & Moline, 2009), elles proviendraient de blocages sémantico-pragmatiques. Ces deux types d’analyses seront rappelés successivement.
2.1. Approches syntaxiques
17Prenant acte du fait qu’une interro-négative partielle est peu apte à remplir les conditions permettant la félicité d’un acte de langage interrogatif, des syntacticiens générativistes, notamment Cinque (1990) et Rizzi (1990), ont analysé la négation comme une barrière empêchant le mouvement du mot en qu- de la position dans laquelle il est généré en structure profonde à la position en tête de phrase à laquelle il aurait dû aboutir après son déplacement11. Selon ces auteurs, cet effet d’intervention affecterait différemment les syntagmes nominaux en position argumentale et les syntagmes adverbiaux en position de circonstant, les premiers (ex. 14a) étant plus propices que les seconds (ex. 14b) à la constitution d’un acte de langage interrogatif :
(14) a. Que Paul n’a-t-il pas payé ?
b. Quand Paul n’a-t-il pas payé ?
18Cette caractéristique résulterait du fait que, dans le cas des syntagmes nominaux en position argumentale, subsiste une trace du mot en qu- dans la position qu’il occupe avant son déplacement, ce qui permet de l’interpréter. Par conséquent, l’effet d’intervention produit par la négation serait inopérant. En revanche, dans le cas des syntagmes adverbiaux en position de circonstant, aucune trace n’est conservée, ce qui rendrait le mot en qu- ininterprétable. L’effet d’intervention dû à la présence de la négation rendrait alors la phrase agrammaticale.
19Selon cette hypothèse, une interro-négative contenant un adverbe qu- en position argumentale devrait avoir une meilleure acceptabilité qu’une interro-négative dans laquelle l’adverbe qu- occupe une position de circonstant. Or, comme le montre l’exemple (15), il n’en est rien :
(15) Comment Paul ne s’est-il pas comporté ?
20Par conséquent, il ne suffit pas qu’un mot en qu- ait un statut argumental pour empêcher que ne se produise l’effet d’intervention dû à la négation.
21De plus, l’hypothèse structurale repose sur le déplacement éventuel du mot en qu-. Par conséquent, les interro-négatives partielles dans lesquelles le mot en qu- est réalisé in situ ne devraient pas être affectées par l’effet d’intervention (Tsai, 1998 ; Reinhart, 1998). Pourtant, ces interro-négatives (ex. 16) ne semblent pas plus aptes à produire un acte de langage interrogatif12 que celles dans lesquelles le mot en qu- est réalisé en tête de phrase (ex. 14) :
(16) a. Paul n’a pas payé quoi ?
b. Paul n’a pas payé quand ?
22En outre, l’effet d’intervention devrait résulter exclusivement d’une projection syntaxique (en l’occurrence, de la présence d’une négation), et ne devrait pas concerner les verbes de sens négatif. Or, comme l’a montré Kroch (1989), les interrogatives contenant de tels verbes (ex. 17a) sont aussi peu acceptables que les interro-négatives correspondantes (ex. 17b) :
(17) a.?* How much did you fait to pay ?
litt. Combien as tu échoué à payer ? b ?* How much didn’t you pay ? Combien n’as-tu pas payé ? (Kroch, 1989 : 11, ex. 32b)
23De surcroît, les études de corpus indiquent que les interro-négatives partielles existent bel et bien13, et que certaines d’entre elles correspondent à des actes de langage interrogatifs14.
24Il est enfin à noter que pour être pleinement acceptables, certaines questions introduites par combien exigent la présence d’une négation :
(18) a. Depuis combien d’années ne lui avait-il pas parlé si aisément ? (Romilly, 1993) a’.?*Depuis combien d’années lui avait-il parlé si aisément ?
25De ce qui précède, il résulte que l’hypothèse structurale, selon laquelle l’effet d’intervention proviendrait d’une projection syntaxique bloquant le mouvement du mot en qu-. et serait neutralisé lorsque le mot en qu- occupe une position argumentale, ne résiste pas à l’examen des faits. Face à ce constat, les conditions de félicité d’un acte interrogatif produit au moyen d’une interro-négative partielle ont été décrites en termes pragmatiques.
2.2. Approches pragmatiques
26En s’appuyant sur des paires minimales, Kuno & Takami (1997) mettent en évidence le fait que les conditions de félicité d’une interro-négative dépendent de l’apport pragmatique de la réponse davantage que de contraintes structurales. Ainsi, la félicité de l’acte interrogatif en (19) :
(19) Who didn’t you show this letter to ? (Kuno & Takami, 1997 : 562, ex. 25a)
A qui n’as-tu pas montré cette lettre ?
résulterait du fait qu’une réponse à cette question, quelle qu’elle soit, permet de construire un ensemble utile sur le plan pragmatique, celui des personnes n’ayant pas eu accès au contenu de la lettre en question15. En revanche, (20) semble peu apte à produire un acte de langage interrogatif :
(20) *From whom didn’t you get this letter ? (Kuno & Takami, 1997 : 570, ex. (i) a., note 19)
De qui n’as-tu pas reçu cette lettre ?
dans la mesure où le nombre d’individus qui ne sont pas les auteurs de la lettre reçue est infini, et ne permet donc pas de construire un ensemble utile sur le plan pragmatique16. Ces considérations conduisent les auteurs à bannir les questions – en particulier négatives – qui suscitent des réponses inutiles sur le plan pragmatique17. Reste toutefois à définir la notion d’utilité pragmatique, et à déterminer les contextes dans lesquels une question peut susciter une réponse utile sur le plan pragmatique.
27Selon Spector (1996), une question posée par un locuteur requiert en principe que l’interlocuteur fournisse une information que le locuteur ne possède pas déjà. Certains contextes – les questions négatives notamment – exigent des connaissances préalables pour que l’interlocuteur puisse donner une réponse. Selon cet auteur, le caractère inapproprié de (21) :
(21) *Combien Marie n’a-t-elle pas lu de livres ? (Spector, 1996 : 331, ex. 97)
résulterait d’une contradiction entre deux présuppositions, corrélées respectivement à la présence d’une négation (qui présuppose des connaissances partagées entre le locuteur et l’interlocuteur concernant la réponse) et à la question elle-même (qui présuppose un apport de connaissances nouvelles dans la réponse)18. Comme nous le verrons ultérieurement (section 4.1.), une telle contradiction n’est pas nécessairement induite par une interro-négative en combien.
28Abrusán (2008) met en relation l’inaptitude des interro-négatives à accomplir des actes de langage interrogatifs avec la difficulté qu’il y aurait à leur apporter une réponse informative19. Selon cet auteur, les différences entre (22a) et (22b) :
(22) a. * When did Mary not die ? (Abrusán, 2008 : 10, ex. 39)
* Quand Marie n’est-elle pas morte ?
b. When didn’t you feel happy ? (Abrusán, 2008 : 10, ex. 40) Quand ne t’es-tu pas senti heureux ?
proviendraient du fait qu’il existe une infinité de points ou d’intervalles pendant lesquels il est vrai que Marie n’est pas morte, et que rien ne permet d’identifier un point ou un intervalle pour lequel il serait plus informatif de répondre que Marie n’est pas morte à ce moment-là. En revanche, même s’il est vraisemblable qu’il existe plusieurs intervalles temporels pendant lesquels « tu ne t’es pas senti heureux », il est possible de construire un scénario qui permette de rendre un de ces intervalles temporels particulièrement saillant20.
29Enfin, dans Larrivée et Moline (2009), nous avons montré qu’un énoncé comme (23) :
(23) Comment ne s’est-il pas comporté ? (Larrivée & Moline, 2009)
peut difficilement être interprété comme une vraie question, parce qu’une réponse exhaustive ne peut pas lui être apportée, dans la mesure où il n’est pas possible de lister l’ensemble des manières dont l’individu en cause ne s’est pas comporté. Contrevenant à cette attente d’exhaustivité, une réponse (par exemple gentiment) serait peu informative.
30Nous avons également souligné qu’une réponse à une question négative pose problème parce qu’elle ne donne pas d’information sur la façon dont les choses se déroulent dans l’univers qui nous entoure. Une réponse selon laquelle « ce n’est pas gentiment qu’il s’est comporté » ne dit rien de la manière dont il s’est effectivement comporté. De ce fait, (23) paraît peu naturel en tant que vraie question.
31De ce qui précède, il résulte qu’une approche structurale ne permet pas de rendre compte des conditions de félicité d’un acte de langage interrogatif effectué au moyen d’une interro-négative. Dans la section suivante, nous établirons les conditions – pragmatiques – dans lesquelles une interro-négative introduite par combien correspond à une vraie question.
3. Les interro-négatives introduites par combien
32Notre corpus est constitué de 478 interro-négatives introduites par combien, relevées sur la base textuelle Frantext catégorisé à partir de la demande « combien » et « pas », une distance maximale de quinze mots séparant ces deux termes. Seuls ont été conservés les exemples dans lesquels pas correspond à la négation et dans lesquels cette négation concerne la structure propositionnelle introduite par combien, et non une phrase enchâssée dans cette structure propositionnelle. Le corpus présente une grande homogénéité formelle : tous les exemples contiennent la particule négative ne et l’inversion du sujet est quasi-systématique21. Il est à noter que d’autres formes de négation, qui ne sont pas prises en considération dans la présente étude, peuvent apparaître :
(24) a. De combien de dédaliques problèmes la plus modeste fleur
n’est-elle point la solution naturelle ? (Gide, 1939)
b. Combien ne sauraient plus se retrouver s’ils venaient à perdre leur collier ! (Reverdy, 1936)
33Les constructions analysées correspondent très minoritairement à de vraies questions (moins d’une vingtaine d’occurrences, soit moins de 4,2 %), très majoritairement à des questions rhétoriques (au moins 458 occurrences, soit au moins 95,8 %)22. Ces deux cas de figure seront décrits successivement.
3.1. Vraies questions
34Pour qu’une interro-négative introduite par (prep) combien puisse recevoir une réponse, plusieurs conditions doivent être remplies. En d’autres termes, les conditions de félicité d’un acte de langage interrogatif sont alors soumises à des restrictions très strictes :
– i) combien doit être un quantifieur, et être syntaxiquement incident à un syntagme nominal sur lequel il porte sémantiquement (ex. 25). Dans les autres configurations, l’interprétation est nécessairement rhétorique (ex. 26) :
(25) a. Combien, parmi ceux-là, ne savent pas lire à haute voix mais se débrouillent mentalement ? (Bienne, 1990)
b. Depuis combien d’années ne lui avait-il pas parlé si aisément ? (Romilly, 1993)
(26) a. Mais combien l’abus de confiance n’est-il pas odieux ici ? (Balzac, 1844)
b. Combien, toutefois, cet attachement au nom hérité n’apparaît-il pas plus fort dès qu’on considère des réalités d’un ordre moins matériel ? (Bloch, 1944)
– ii) le N doit être comptable (ex. 27), ou, dans le cas du nom temps ou des noms d’unités de mesure du temps (année, mois, semaine, jour, etc.), être inclus dans un syntagme prépositionnel permettant de délimiter un intervalle temporel borné (ex. 28 vs 29) :
(27) [...] ; mais combien d’entre nous n’eurent même pas ce
raidissement de la bête qui passe devant l’abattoir. (Mauriac,
1940)
(28) a. – Depuis combien de temps n’avez-vous pas piloté ?
– Depuis la guerre.
– Diable ! Il vous faudra combien de temps pour vous remettre en
forme ?
(Malraux, 1937)
b. – [...] Mais de mon métier, je suis constructeur, je suis
maçon... Et savez-vous depuis combien d’années que j’ai pas travaillé de mon métier ? [...]
– Eh ben, ça fait huit ans que j’ai pas travaillé de mon métier. Huit ans, poursuivit-il d’une voix calme et uniforme.
(Roy, 1945)
(29) a. Et quand une personne d’un âge mûr et d’un grand esprit
commet un enfantillage devant un enfant, combien de temps,
d’efforts et de perfections ne faut-il pas pour en effacer en lui l’impression ? (Sand, 1855)
b. Combien n’a-t-il pas fallu de siècles, en Europe même, pour
que l’usage du fer, connu sur les bords de la Méditerranée, se répandît en Scandinavie ? (Vidal de la Blache, 1921)
35La présence d’un N abstrait (ex. 30) ou massif provoque nécessairement une interprétation rhétorique, y compris quand ce dernier désigne une entité discrétisable (ex. 31b) :
(30) Combien de sang-froid ne fallait-il pas pour gouverner une pareille femme. (Balzac, 1844)
(31) a. Combien (d’eau + de farine) faudra-t-il ?
Dix litres/ Trois bouteilles/ Un kilo/ Deux paquets
b. Combien (d’eau + de farine) ne faudra-t-il pas ?
– iii) l’interrogation doit concerner un ensemble d’éléments fermé :
(32) a. – [...] Peut-être allons-nous avoir bientôt des revolvers. Si
c’est pour demain, combien d’hommes ne sauront pas se servir
de leurs armes à feu, dans ta section ?
[...]
– Plus de la moitié.
(Malraux, 1933)
b. Le maître laisse faire en sifflotant. Il a allumé une cigarette et
dans tout ce remue-ménage dresse le bilan de l’année : Combien
ne savent pas encore lire ? Combien, parmi ceux-là, ne savent
pas lire à haute voix mais se débrouillent mentalement ? (Bienne,
1990)
36En (32a), cet ensemble est explicitement donné dans l’interrogative (dans ta section). En (32b), il est facilement accessible grâce au contexte (le maître [...] dresse le bilan de l’année) : il s’agit des élèves d’une classe. Quand un tel ensemble ne peut être construit, l’interprétation est nécessairement rhétorique :
(33) a. Combien d’autres femmes ne vous ont-elles pas envoyé l’hommage de leurs pensées secrètes ? (Balzac, 1845)
b. Combien de tables n’ont-elles pas virevolté sous l’action
mécanique d’une main nue ou d’un levier serré entre les jambes du sujet ? (Amadou, 1954)
– iv) le nombre d ’ éléments constituant cet ensemble doit pouvoir être facilement dénombré. En d’autres termes, l’ensemble ne doit pas être trop vaste. Ainsi, en (34a) :
(34) a. Combien de romans français publiés cet automne n’a-t-il pas lus ?
b. Combien de romans n’a-t-il pas lus ?
les romans français publiés cet automne réfèrent à un ensemble fini d’éléments dénombrables, et on peut supposer qu’un critique littéraire par exemple ait connaissance de leur nombre exact. Si en (34b), il semble possible de construire un ensemble analogue, qu’on peut supposer fini à T0, cet ensemble contient un nombre d’éléments trop important non pas pour en faire le compte (ce qui est théoriquement possible), mais pour que la connaissance exacte de ce nombre soit accessible à T0 aux interlocuteurs, y compris s’il s’agit de critiques littéraires avisés. Par conséquent, l’interprétation devient nécessairement rhétorique.
– v) le présupposé d’existence lié à l’interrogation partielle doit être respecté. Il est en effet impossible de dénombrer un nombre d’éléments inexistants (ex. 35a) ou encore le nombre de fois où un événement ne s’est pas produit (ex. 35b) :
(35) a. Combien d’articles n’a-t-on pas écrits sur le sujet ?
b. Combien de fois, loin de ma terre natale, n’ai-je pas aspiré,
avec une sorte d’émotion inexprimable, le souffle de l’ouest
qui, en passant, avait caressé nos bruyères, et qui m’arrivait tout chargé de souvenirs ? (Lamennais, 1854)
37Ces conditions remplies, il s’avère relativement aisé de répondre aux interro-négatives introduites par (prep) combien, qui recouvrent deux cas de figure. D’une part, à l’intérieur d’un ensemble fermé d’entités, une partition est établie entre celles qui possèdent la propriété décrite par la structure propositionnelle et celles qui ne la possèdent pas, l’interrogation portant sur le nombre de ces dernières :
(36) Si c’est pour demain, combien d’hommes ne sauront pas se servir de leurs armes à feu, dans ta section ? (Malraux, 1933) (= « Certains hommes dans ta section ne sauront pas se servir de leurs armes à feu, combien sont-ils ? »)
38D’autre part, une interro-négative introduite par depuis combien de (temps + Nom d’unités de mesure du temps) permet de construire un espace temporel borné, dont la borne terminale correspond au moment de l’énonciation, et dont la borne initiale correspond à la dernière occurrence de la situation décrite par la structure propositionnelle. L’interrogation porte alors sur l’intervalle temporel délimité par ces deux bornes23.
39Il est à noter toutefois que si ces conditions sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes, et que certaines questions susceptibles de recevoir une réponse s’interprètent néanmoins de façon rhétorique :
(37) a. Initiateur d’une séduction d’autant plus troublante qu’elle est
moins impérative, à combien d’entre nous n’a-t-il pas révélé d’étranges horizons de leur propre cœur ? (Bourget, 1883) b. Combien de Giletti nos ancêtres n’ont-ils pas envoyés dans
l’autre monde, disait-elle au comte, sans que personne se soit mis
en tête de leur en faire un reproche ! (Stendhal, La chartreuse de Parme, 1839)
40Dans ces exemples, il est possible de construire un ensemble fermé et dénombrable d’individus, celui des familiers désignés par nous en (37a), des membres de la famille Giletti en (37b), mais le sens de ces énoncés ne consiste pas pour autant à interroger sur le nombre des membres de ces groupes caractérisés par le fait qu’ils possèdent les caractéristiques décrites par la proposition à la forme négative24.
41De ce qui précède, il résulte qu’il existe bien de vraies questions prototypiques25 en combien, et que les conditions de félicité de l’acte interrogatif ainsi réalisé relèvent de facteurs pragmatiques, ce qui confirme notre analyse selon laquelle la négation ne peut pas être considérée comme une barrière interdisant la formation de vraies questions partielles.
3.2. Questions rhétoriques
42Si les vraies questions concernent exclusivement les constructions de forme (prep) combien de SN, les questions rhétoriques présentent pour leur part une certaine variété formelle, bien que cette configuration soit très majoritairement représentée (au moins 369 occ., soit au moins 94,8 % de cette configuration et au moins 77 % de l’ensemble des attestations recueillies) :
(38) a. De combien de malentendus la vie des femmes n’est-elle pas faite ? (Carco, 1938)
b. Combien de Napoléon n’a-t-on pas produits ? (Valéry, 1938)
43Combien peut également être incident à un prédicat verbal (38 occ., soit 8 %). Différents types de verbes sont représentés, notamment des verbes de sentiment à degré d’intensité (désirer, plaindre, regretter, souffrir, etc. ; ex. 39a), des verbes qui renvoient à une dimension mesurable (agrandir, dépasser, s’écarter, etc. ; ex. 39b), des verbes qui décrivent une situation atélique et qui sont quantifiables par beaucou 26 (instruire, rugir, etc. ; ex. 39c), ou encore des prédicats verbaux incompatibles avec un quantifieur comme beaucoup et compatibles avec un « adverbe de complétude »27 (oublier, avoir raison, etc. ; ex. 39d) :
(39) a. Combien ne souffres-tu pas ? (Sand, 1837)
b. La cécité de Milton est affreuse ; mais combien l’aphasie de Baudelaire ne la dépasse-t-elle pas en horreur ! (Gide, 1939) c. Votre beauté, votre jeunesse, votre indépendance, votre caractère heureux et facile, combien ne les a-t-on pas noircis ! (Sand, 1831) d. Combien mon cher Jean De Menasce n’avait-il pas raison de me dire l’autre jour que mon trajet propre a été à tel point spécial qu’on ne peut, et même peut-être qu’on ne doit rien en induire pour autrui ! (Du Bos, 1928)
44Enfin, combien peut être incident à un adverbe quantifient (29 occ., soit
6 %) :
(40) a. [...] ; quel droit n’ont-elles pas à l’indulgence de l’histoire et
combien ne paraissent-elles pas plus excusables que les amazones
du Port-Royal angevin ? (Bremond, 1920)
b. Notre petite Europe, si vous la comparez à l’informe et massive
Asie, combien n’annonce-t-elle pas à l’œil plus d’aptitude au
mouvement ? (Michelet, 1831)
c. Combien, par conséquent, pour être résolus, n’appellent-ils pas
plus impérieusement une analyse profonde et sévère ? (Proudhon,
1840)
d. Et si vous ne supportez pas d’entendre votre femme crier dans
l’accouchement ou d’autres douleurs, combien plus ne devez-vous pas gémir de me voir me plaindre de vous ? (Claudel, 1890)
à un adjectif (19 occ., soit 4 %) gradable (ex. 41a) ou susceptible d’être modifié par un « adverbe de complétude » (ex. 41b) :
(41) a. Pour une fille émue à l’aspect d’une fleur, et qui entrevoyait
l’amour dans les chants de la liturgie, combien doux et forts
n’avaient pas été les sentiments éprouvés la veille, à l’aspect de
cette faiblesse seigneuriale qui rassurait la sienne ; [...] (Balzac,
1845)
b. [...] ; combien n’est-elle pas absurde, l’idée d’emprunter à des
structures sociales abolies des moyens propres à contrôler une
économie de la production qui se présente comme devant être,
tous les jours davantage, en contradiction avec les économies précédentes ? (Sorel, 1908)
ou, plus rarement, à un adverbe gradable (1 occ., soit 0,2 %) :
(42) Mais quelle que fût notre humeur – et combien souvent n’avons-
nous pas ri ensemble au cours de notre longue amitié – un lourd nuage pesait sur nous... (Blanche, 1928)28
45Reste à établir la façon dont s’effectue l’interprétation de ces énoncés29, laquelle ne semble pas reposer sur la négation du présupposé contenu dans la question. En effet, la présupposition de l’existence d’entités possédant la propriété décrite par la structure prépositionnelle ne concerne qu’un petit nombre de ces questions rhétoriques. Ainsi, en (43) :
(43) De combien de maisons n’avait-il pas été mis à la porte ? (Flaubert, 1848)
il est possible d’établir un présupposé selon lequel « il existe des maisons à la porte desquelles il n’a pas été mis ». La négation de ce présupposé permet d’obtenir « il n’existe pas de maisons à la porte desquelles il n’a pas été mis », d’où « il a été mis à la porte de toutes les maisons ». Il ne s’agit toutefois pas là de la signification exacte de (43), glosable par « il a été mis à la porte de beaucoup de maisons ». Pour aboutir à cette interprétation à partir de la négation du présupposé, il faudrait donc prévoir un mécanisme inverse à la loi d’abaissement d’échelle décrite par Ducrot (1980).
46Toutefois, ce principe interprétatif paraît trop puissant, et il ne permet pas de décrire l’ensemble des énoncés relevés. Une interprétation littérale de notre exemple titre (Combien d’articles n ’a-t-on pas écrits sur le sujet ?) conduirait à admettre comme étant vrai le présupposé selon lequel « il existe des articles qui n’ont pas été écrits sur le sujet » (ce qui ne va pas de soi, l’existence d ’effecta qui n’ont pas été effectués étant tout sauf évidente), la négation de ce présupposé aboutissant à l’idée qu’« il n’existe pas d’articles qui n’ont pas été écrits sur le sujet » (ce qui n’est guère plus évident). À la différence des vraies questions, une glose par « Certains articles n’ont pas été écrits sur le sujet. Combien sont-ils ? » est impossible.
47De façon plus générale, il n’est pas certain que l’interprétation de ces questions rhétoriques repose sur la négation d’un présupposé lié à la question, la restitution de tels présupposés n’étant pas toujours pertinente :
(44) a. Combien de millions n’a-t-on pas dépensés ? (Peisson, 1932)
b. Combien de conjectures n’ai-je pas faites en m’en allant d’ici ce matin ? (Balzac, 1842)
c. Mon Dieu ! Combien de privations cette somme ne représente-t-elle pas ? (Balzac, 1845)
48En outre, on pourrait s’attendre à ce que la suppression de la négation produise une vraie question30. Or force est de constater que non seulement l’interprétation est plutôt rhétorique, mais qu’en outre, celle-ci n’est pas radicalement modifiée par l’absence de négation. Dans un cas comme dans l’autre, l’interlocuteur est amené à comprendre qu’une grande quantité de N est impliquée, ce qui signifie que l’effet de sens produit ne résulte pas de la présence d’une négation :
(45) a. Combien de terreurs cette différence d’âge n’inspire-t-elle pas à une femme aimante ? (Balzac, 1842)
a’. Combien de terreurs cette différence d’âge inspire-t-elle à une femme aimante ?
b. Combien de fois ne m’as-tu pas dit et juré que personne ne m’aimerait comme toi ? (Sand, Correspondance, 1837) b’. Combien de fois m’as-tu dit et juré que personne ne m’aimerait comme toi ?
49Pas plus que pour les interro-négatives, l’interprétation des interrogatives positives ne peut être établie à partir de la négation d’un présupposé recélé dans la question. En effet, selon cette analyse, (46a) présupposerait (il existe) certains articles que j ’aifaits là-dessus et poserait II n ’existe pas d’articles que j ’ai faits là-dessus, ce qui ne correspond pas au sens de cet énoncé :
(46) a. Combien ai-je fait d’articles là-dessus ? Vainement. (Clémenceau, 1899)
b. Elle avait besoin, avant de s’endormir, que je lui raconte des
histoires « merveilleuses », pleines de gens titrés et d’artistes
de cinéma. Combien de fois lui ai-je décrit les amours de mon
père et de l’actrice Lupe Velez dans la villa de style espagnol de
Beverly Hills ? Mais quand je voulais qu’à son tour elle me parlât
de sa famille, elle me disait : « Oh... Ce n’est pas intéressant... » (Modiano, 1975)
50Il s’agit là d’une différence fondamentale entre les questions rhétoriques et les vraies questions. Dans ce dernier cas, la suppression de la négation produit nécessairement un changement d’interprétation, et, par conséquent, une réponse différente :
(47) a. – [...] Si c’est pour demain, combien d’hommes ne sauront pas se servir de leurs armes à feu, dans ta section ?
[...]
– Plus de la moitié.
(Malraux, 1933)
b. – [...] Si c’est pour demain, combien d’hommes sauront se servir de leurs armes à feu, dans ta section ?
[...]
– Moins de la moitié.
51En effet, comme nous l’avons indiqué précédemment, ce type d’interronégatives permet d’établir au sein d’un ensemble d’entités une partition entre deux sous-ensembles complémentaires, celui des entités qui possèdent la propriété décrite et celui des entités qui ne la possèdent pas. Par conséquent, la réponse à une interro-négative coïncide avec l’un de ces deux sous-ensembles, tandis que la réponse à l’interrogative positive correspondante coïncide avec l’autre. En revanche, un fonctionnement différent semble à l’œuvre dans les interro-négatives rhétoriques, dans la mesure où elles ne permettent pas nécessairement de construire un tel ensemble (voir notre exemple titre), une opposition entre des entités qui possèdent la propriété décrite et des entités qui ne la possèdent pas n’étant pas toujours pertinente. Il semble donc bien que la différence essentielle entre les vraies questions et les questions rhétoriques réside dans le fait que dans le premier cas, la négation porte sur le contenu propositionnel, tandis que dans le second elle ne porte pas sur le contenu propositionnel, ce qui explique qu’elle ne joue pas un rôle fondamental dans l’interprétation. Elle permet tout au plus de faciliter la lecture rhétorique, certaines interrogatives positives pouvant, selon le contexte, correspondre à de vraies questions ou à des questions rhétoriques.
52Ajoutons enfin que ces questions rhétoriques sont très proches des exclamatives (ex. 48), lesquelles permettent également d’inférer qu’une grande quantité d’entités est en jeu :
(48) a. Combien de fois le protégea-t-elle contre les officiers de police
qui voulaient l’expulser des portes où il s’abritait ! (Baudelaire,
1860)
b. Combien de nuits avons-nous fait durer jusqu’au petit matin blême, et souvent au-delà ! (d’Ormesson, 1985)
53Reste à déterminer ce qui distingue les unes des autres.
4. Questions rhétoriques et exclamatives en comment
54Les caractéristiques formelles des énoncés ne semblent pas décisives pour distinguer une question rhétorique d’une exclamative. La ponctuation indique le choix du scripteur :
(49) a. Combien de péchés n’aurons-nous pas expiés aujourd’hui ? (Oldenbourg, 1961) b. Combien de choses n’ai-je pas apprises en exerçant ma charge ! (Balzac, 1844)
mais elle ne paraît pas déterminante, d’autant que d’autres signes typographiques peuvent être utilisés :
(50) a. Combien de sang-froid ne fallait-il pas pour gouverner une pareille femme. (Balzac, 1844)
b. Combien de fois, muet, immobile, n’ai-je pas admiré la femme de mes rêves, surgissant dans un bal ; [...] (Balzac, 1831)
55L’inversion de l’ordre sujet-prédicat est possible dans les phrases interrogatives comme dans les phrases exclamatives (Bacha, 2000 ; Grevisse & Goosse, 2008). Enfin, la présence d’une négation n’est pas non plus probante, dans la mesure où certaines exclamatives contiennent une négation :
(51) a. (à propos d’un acteur de 50 ans) Comment il les fait pas ! (ex. transmis par B. Vérine)
b. Comment il fait pas beau, aujourd’hui !
c. Comment j’ai trop pas assuré !
56La seule différence notable, dans le cas qui nous occupe, concerne certains adverbes énonciatifs, dont la présence interdit l’interprétation exclamative :
(52) a. Combien de fois le protégea-t-elle contre les officiers de police
qui voulaient l’expulser des portes où il s’abritait ! (Baudelaire,
1860)
b. Combien de fois le protégea-t-elle contre les officiers de police qui voulaient l’expulser des portes où il s’abritait ?
c. Combien de fois (en effet + d’ailleurs + hélas + cependant +
etc.) le protégea-t-elle contre les officiers de police qui voulaient l’expulser31.
57Sur le plan pragmatique, l’interrogation constitue, au même titre que l’assertion et l’ordre, un des trois actes de langage fondamentaux, tandis que le statut de l’exclamation ne fait l’objet d’aucun consensus : faut-il considérer qu’il s’agit d’un acte de langage à part entière, ou au contraire d’une modalité affective se greffant sur l’un ou l’autre de ces trois actes de langage fondamentaux32 ? Quoi qu’il en soit, contrairement à une question rhétorique, l’exclamation ne saurait être définie comme une « assertion forte »33. Quand l’exclamation est analysée comme une assertion, il s’agit une assertion non stabilisée (voir Rys, 2006), l’interprétation de haut degré (ou de quantité importante) résultant de cette absence de stabilisation. En outre, selon Ducrot (1984), que nous suivrons ici, l’exclamation serait « arrachée » au locuteur par la situation d’énonciation. En d’autres termes, alors qu’un acte de langage interrogatif prétend obliger l’interlocuteur à produire une réponse verbale, l’exclamation manifesterait une réaction du locuteur à la situation sans prétendre pour autant agir sur l’interlocuteur, qui en serait simplement le témoin. À la différence d’un acte de langage interrogatif, l’exclamation n’impliquerait pas l’interlocuteur. Par conséquent, à la différence de la question rhétorique, une « vraie » exclamation n’a pas de valeur argumentative, et ne saurait faire partie de la stratégie argumentative du locuteur. C’est ce qui explique que des phrases susceptibles d’être interprétées comme des exclamatives (52a) ou des interrogatives (52b) deviennent nécessairement des questions rhétoriques en présence de marqueurs argumentatifs comme en effet, d’ailleurs, etc. (52c).
58Les questions rhétoriques et les exclamatives en (prep) combien peuvent donc être distinguées par la valeur argumentative éventuelle de l’énoncé. Ainsi, en (53a) :
(53) a. – Je passe ma vie à voir des gens qui meurent, non pas de leurs
maladies, mais de cette grande et incurable blessure, le manque
d’argent. Dans combien de mansardes ne suis-je pas obligé, loin
de faire payer ma visite, de laisser cent sous sur la cheminée !... (Balzac, 1847)
il s’agit, en dépit de la ponctuation, d’une question rhétorique constituant une justification de l’énoncé précédent, et un marqueur d’assentiment comme en effet pourrait sans difficulté être inséré dans la phrase :
(53) b. – Je passe ma vie à voir des gens qui meurent, non pas de leurs
maladies, mais de cette grande et incurable blessure, le manque
d’argent. Dans combien de mansardes en effet ne suis-je pas
obligé, loin de faire payer ma visite, de laisser cent sous sur la cheminée !...
59En revanche, en (54a) :
(54) a. – J’ai déjà mille écus d’économies, dit-elle.
– Mon Dieu ! Combien de privations cette somme ne représente-t-elle pas ?... m’écriai-je.
(Balzac, 1845)
le deuxième énoncé traduit une réaction du locuteur à ce que vient de lui apprendre son interlocutrice, et il s’agit, malgré la ponctuation, d’une exclamation. Dans ce contexte, l’insertion d’un marqueur d’assentiment comme en effet n’est pas possible :
(54) b. – J’ai déjà mille écus d’économies, dit-elle.
*– Mon Dieu ! Combien de privations en effet cette somme ne représente-t-elle pas ?... m’écriai-je.
60Plus que la ponctuation, c’est donc l’impossibilité d’insérer un marqueur argumentatif qui indique qu’on a affaire à une exclamative. La possibilité d’insérer un marqueur argumentatif indique pour sa part que l’énoncé peut (et non pas doit) être analysé comme une question rhétorique.
61Notre analyse semble confirmée par la présence dans notre corpus de contextes incompatibles avec l’exclamation, dans lesquels une question rhétorique est précédée d’un connecteur argumentatif comme car :
(55) Et qu’on vienne point dire que le dramaturge ne décrit pas ses
personnages parce que le spectateur est appelé à les voir portés
tout vivants sur la scène ; car combien de fois n’avons-nous pas
été gênés au théâtre par l’acteur, et souffert de ce qu’il ressemblât
si mal à celui que, sans lui, nous nous représentions si bien. (Gide, 1925)
Conclusion
62Notre étude des interro-négatives introduites par combien nous a permis de mettre en évidence plusieurs faits linguistiques. En premier lieu, nous avons montré que certaines d’entre elles constituent de vraies questions et que les conditions de félicité d’un acte de langage interrogatif effectué au moyen d’une interro-négative en combien ne résultent pas de facteurs syntaxiques, mais sont soumises à des contraintes strictement pragmatiques. Nous avons ensuite établi que, dans les questions rhétoriques, l’interprétation ne provient pas de la présence de la négation, et que si la négation porte sur le contenu prépositionnel dans les vraies questions, tel n’est pas le cas dans les questions rhétoriques. Il semble en outre nécessaire d’élargir la définition habituelle des questions rhétoriques, dans la mesure où l’interprétation des énoncés considérés ne s’effectue pas au moyen de la négation d’un présupposé qui serait véhiculé par la structure phrastique. Enfin, nous avons proposé de décrire la différence entre les questions rhétoriques et les exclamatives en combien en termes pragmatiques : à la différence des exclamatives, qui sont « arrachées » au locuteur par la situation, les questions rhétoriques font partie de sa stratégie argumentative.
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Ressources électroniques
Base textuelle Frantext, http://www.frantext.fr/
Notes de bas de page
1 Nous remercions chaleureusement notre scrupuleux relecteur anonyme.
2 Comme en atteste notre bibliographie nécessairement lacunaire.
3 Comme le souligne notre relecteur, ces interro-négatives ne présentent pas un degré d’incongruité identique.
4 Sur ce point, voir Cornulier (1974) ainsi que Larrivée et Moline (2009). Ce type de questions est attesté dans un exemple comme (i) :
(i) Marie. – [...] Vous avez bien trouvé Gillou à la gare ? Comment n’est-il pas avec vous ?
Georges. – Il y avait je ne sais quel gandin de cinéma qui arrivait par ce train, et il est resté à boire des yeux, la bouche ouverte.
(Montherlant, Fils de personne)
(cit. Larrivée & Moline, 2009 : 191).
5 478 occurrences relevées dans la base Frantext catégorisé (après 1800).
6 i. e. dont le locuteur ignore la réponse.
7 Ce qui ne signifie pas qu’aucune réponse ne puisse être apportée (voir e. a. Cheung, 2009 et Han, 2002).
8 Voir e. a. Quirk et al. (1985) : « a rhetorical question is interrogative in structure, but has the force of a strong assertion. It generally does not expect an answer ».
9 Voir e. a. Anscombre & Ducrot (1981 : 14-15), Han (2002), Asher & Reese (2005).
10 Voir cependant le commentaire d’Obemauer & Poletto (2000) sur ce point : « Despite superficial evidence to the contrary, the wh- phrase of rhetorical questions cannot occur ‘in situ’but must rnove to initial position at S-structure » (d’après Oberauer (1994), cit. d’Obernauer & Poletto, 2000 : 123).
11 Il en serait de même dans le cas des interrogatives partielles contenant un quantifieur (Beck, 1996), un adverbe focalisateur ou une particule modale (Wu, 2004) :
(ii) a. Qu’a payé seulement Paul ?
b. Qu’a payé évidemment Paul ?
12 Autre que celui d’une question écho (voir supra ex. 4).
13 La base textuelle Frantext nous a permis de recueillir 1 107 occurrences de comment (ne + n) pas après 1900 pour notre article de 2009 et 478 occurrences de combien... pas après 1800 pour le présent article.
14 Voir supra note 2 ex. (i) et infra section 3.1.
15 « All possible answers to the question form a pragmatically useful set – we can readily talk about the set of people front whom a given letter was kept confidential ». (Kuno & Takami, 1997 : 570-571, note 19)
16 Notre relecteur suggère une explication sémantique de l’inacceptabilité de (20). En tant que nom d’idéalité (voir e.a. Flaux, 2002 et 2012), le nom lettre renvoie à un objet unique de par son contenu, ce qui exclut la possibilité de recevoir la même lettre de la part de plusieurs personnes.
17 « Ban on questions that solicit uninformative answers
Don’t ask negative questions that solicit pragmatically useless answers. An answer to a négative question is pragmatically useful (a) if it is indicative of the nature of the answer to the corresponding question ; or (b) if the set of all correct answers to the négative constitutes a pragmatically useful notion » (Kuno & Takami, 1997 : 570).
18 « [...] cette question présuppose qu’il y a un unique nombre n tel que Marie a lu moins de n livres. [...] De sorte que (21) ne sera appropriée que lorsque la réponse à la question posée est déjà connaissance commune. Par conséquent [...], (21) ne pourra pas être simultanément appropriée (i.e. produite dans un contexte satisfaisant ses présuppositions) et informative (i.e. produite dans un contexte dans lequel la réponse correcte à la question n’est pas déjà connue par le locuteur) ». (Spector, 1996 : 331)
19 Nous ne commentons pas ici la position de cet auteur par rapport aux interro-négatives introduites par how. Sur ce point, voir Larrivée & Moline (2009).
20 « [...] given that dying is a point-like event, there are infinite points in time (or intervals) such that it is true that Mary did not die at these times. However, these propositions are not ordered by entailment and therefore there is no maximally informative alternative among the true propositions. With statives on the other hand, it is possible to construct a scenario such that there is one maximal interval at which you did not feel happy. » (Abrusán, 2008 : 11-12). Notons que l’auteur ne tient pas compte des positions différentes qu’occupe la particule négative dans les exemples analysés.
21 Dans les constructions directes, l’absence d’inversion est exceptionnelle (ex. iii). Elle est en revanche à l’œuvre dans les rares cas de constructions indirectes (ex. iv) :
(iii) Combien de choses ils se dirent, et combien plus ils ne se dirent pas ! (Sand, 1845)
(iv) Je ne sais combien de lieues je ne ferais pas à pied, ou à combien de jours de prison je ne me soumettrais pas pour entendre Don Juan ou le matrimonio segreto, et je ne sais pour quelle autre chose je ferais cet effort. (Stendhal, 1836)
22 Dans cette section, nous considérons que les énoncés qui ne correspondent pas à de vraies questions constituent des interrogations rhétoriques. Nous traiterons des différences entre questions rhétoriques et exclamatives à la section suivante.
23 Il en serait de même avec des prépositions comme pendant ou durant qui permettent de construire un intervalle temporel borné :
(v) Pendant combien de temps ne lui a-t-il pas adressé la parole ?
24 Il est par conséquent malaisé d’établir avec exactitude le nombre de questions non rhétoriques, et il se peut que nous l’ayons surestimé.
25 i. e. dont le locuteur ignore la réponse. En ce sens, notre analyse diffère de celle de Spector (1996 : 331) rappelée à la note 14.
26 Dont l’interprétation est alors massive (cf. Borillo, 1989). Associé à une situation télique, combien signifie « combien de fois » :
(vi) Quand on a établi le premier chemin de fer, combien n’a-t-on pas répété que ces voies perdraient une notable partie de leurs produits le jour où l’on exécuterait les lignes secondaires, les embranchements ? (Viollet-Le-Duc, 1872)
27 Selon la terminologie de Molinier & Lévrier (2000), qui désignent ainsi des adverbes comme complètement, totalement, partiellement etc., susceptibles de quantifier des items non gradables.
28 Pour être tout à fait complet, signalons que deux exemples illustrent des configurations différentes :
(vii) a. Si vous savez cela, mes frères, et si vous tenez bon, de combien ne serez-vous pas les plus forts ! (Oldenbourg, 1961)
b. C’est toujours la même chose : exception faite pour les Russes – et combien ne suis-je pas presque périlleusement russe à cet égard ! – personne, je ne dis pas seulement n’approuve, mais ne supporte le dernier degré de l’intimité. (Du Bos, 1927)
29 Notre réflexion s’appuie ici essentiellement sur les interro-négatives en (prep) combien de, l’interprétation des autres configurations posant, mutatis mutandis, des problèmes similaires.
30 Dans le cas des N comptables tout au moins. Dans le cas des N massifs abstraits, la suppression de la négation ne permet pas d’obtenir une vraie question, les entités désignées par ces noms n’étant pas discrétisables :
(viii) a. Combien de sang-froid ne fallait-il pas pour gouverner une pareille femme. (Balzac, 1844)
b. Combien de sang-froid fallait-il pour gouverner une pareille femme ?
31 Nous reviendrons plus bas sur ce point.
32 Voir notamment Kerbrat-Orecchioni (1991 : 5 et sq.)
33 Voir Quirk et al. (1985), et ici même note 5.
Auteurs
Normandie Université, Université de Caen –
Basse-Normandie CRISCO (EA 4255)
Normandie Université, Université de Caen –
Basse-Normandie CRISCO (EA 4255)
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