Présentation
p. 7-15
Texte intégral
1La négation est une catégorie d’expression qui est représentée dans toutes les langues humaines et dans aucune forme de communication animale. Largement discutée comme en attestent les bibliographies publiées sur le sujet (dans Horn, 2001 et, pour le français, Larrivée, 2004), son marquage linguistique concerne l’ensemble de la grammaire, de la morphologie (préfixations), à la syntaxe (adverbes, coordonnants, déterminants et pronoms, modification des différents types de syntagme et du groupe verbal), et au-delà (pragmatique, acquisition, typologie).
2Les marqueurs de la négation sont connus pour leurs effets interprétatifs divers, la portée, l’association négative, et le phénomène de la polarité négative. La portée de la négation liée en partie à sa fonction en proposition verbale est bien décrite (Elle ne le ferait pour rien où aucune action n’a lieu face à Elle le ferait pour rien où c’est sans raison particulière qu’un acte pourrait être accompli), même si le fonctionnement en phrase averbale est peu considéré. La portée de la négation propositionnelle a inspiré des hypothèses sur une projection fonctionnelle de syntagme négatif (NegP) aujourd’hui progressivement délaissée au profit d’une analyse par traits (Zeijlstra, 2004 ; Biberauer et Roberts, 2011 ; Haegeman et Lohndal, 2010). Les traits du modèle minimaliste permettraient de rendre compte de la concordance négative (le fait que Personne ne dit jamais rien à personne évoque une absence d’échanges) qu’on essaie de faire découler de la valeur, ou de façon plus contrôlable de la structure interne des items (Déprez, 2000), selon qu’on traite les négations comme items à polarité ou qu’on recoure à un modèle à quantification polyadique. Reste à voir si les mécanismes de la concordance négative expliquent la double négation et la négation explétive. Ces facteurs sont considérés dans les études sur la diachronie, et les études sur les familles de langues, particulièrement les langues romanes et germaniques : pourquoi la négation préverbale disparaît-elle, comment émergent les renforcements de la négation, quelle valeur pragmatique les accompagne avant qu’ils ne deviennent obligatoires ? On peut se demander comment ces questionnements syntaxiques sont éclairés par les résultats convergents sur l’acquisition, et la typologie des langues. La vaste question de la polarité négative concerne l’ensemble des termes comme dans II n ’a rien du tout dit depuis trois semaines vs ?*Il a dit quelque chose du tout depuis trois semaines dont la distribution ou l’interprétation dépendent d’une négation et d’autres éléments instaurant un « atmosphère forclusive » selon la formule de Damourette et Pichon ; la question de ce qui caractérise cette atmosphère est illustrée par les débats sur la monotonie face à la véridicité (Giannakidou, 1998) comme facteur déterminant. Ces débats sont reflétés par ceux sur la polarité positive, dont on comprend encore mal la nature (?? Il n ’a pas déjà dit quelque chose).
3La négation entretient une relation étroite avec la pragmatique, en premier lieu via la focalisation ; reste à déterminer les conditions précises de ces manifestations, et l’existence de la focalisation inverse (Tout ce qui brille n ’est pas or) en est un exemple. La focalisation est une des caractéristiques diagnostiques de la prise en charge de la négation (Ducrot, 1984) ; la négation dite polyphonique commence à être mieux délimitée, entre fonction descriptive et métalinguistique, face aux anciennes prétentions incontrôlées de prééminence ou d’universalité de la polyphonie pour la négation. Non seulement la négation introduit des inférences de différents ordres, mais elle appartient elle-même aux inférences auxquelles donne lieu la quantification (parfois, c’est-à-dire « pas toujours »), l’aspect (Je l ’ai (eu) su, c’est-à-dire que je ne le sais plus), et dont il demeure à préciser les conditions de génération.
4Sur le plan didactique, l’acquisition de la négation en français langue étrangère pose des difficultés spécifiques. Dans beaucoup de langues, la négation a une forme simple et est située en tête de proposition (No entiendo en espagnol ; Nu $tiu en roumain), ce qui se reflète dans l’interlangue du français normé où la négation a une forme double (Je ne sais pas). Les apprenants éprouvent également des difficultés pour l’emploi des semi-négatifs (?* Personne n’est pas venu), de la négation des groupes quantifiés (Tous les amoureux ne sont pas heureux ; Pas tous les amoureux sont heureux), ainsi que pour les emplois dits explétifs et restrictifs de ne.
5Les études réunies dans ce volume représentent une sélection des présentations faites à la neuvième édition du colloque international franco-roumain de linguistique qui s’est déroulé à Timişoara du 15 au 17 mai 2013. Le titre du colloque La négation : études linguistiques, pragmatiques et didactiques annonce les dimensions abordées par le volume. C’est suivant cette organisation que je commente ici les contributions.
6 Les études linguistiques de la négation s’ouvrent par l’étude de la valeur lexicale même du mot négation. C’est ce que problématise la contribution de Nelly Flaux et Véronique Lagae (Négation et lexique). Elle procède par la comparaison avec l’antonyme affirmation en utilisant comme point de départ les articles du TLFi. Le mot permet de désigner à la fois des unités linguistiques sous le rapport de la valeur qu’elles communiquent ordinairement (« pas est une négation ») et cette valeur même. L’acte de langage qu’accomplit le rejet d’une assertion ou l’assertion d’un rejet pour paraphraser Claude Muller n’est pas aussi directement évoqué par le mot négation que ne l’est l’assertion par affirmation. La relation entre les mots affirmation et négation est asymétrique. Les auteurs le montrent en particulier dans l’introduction de sous-phrases, et si l’affirmation que Dieu existe est aussi acceptable que l’affirmation de l’existence de Dieu, ce n’est pas le cas pour la négation de l’existence de Dieu à quoi ne correspond pas ??la négation que Dieu existe. Ces emplois sous-spécifiés du nom sont analysés à travers la notion d’idéalité husserlienne. Il est encore possible de faire des observations nouvelles sur la négation, et que ces observations soient éclairantes.
7Que l’inventaire des marqueurs négatifs ne soit pas facile à établir, on le sait. Nous le rappelle la question de l’extension des préfixes négatifs, large ou étroite selon la stratégie de paraphrase qu’on adopte (voir le travail descriptif de Hamawand, 2009) et qui concernera ou non a-, anti-, contre-, dé (–), dis-, in-, mal-, mé(s)–, non-. N’écoutant que leur courage, Jan Goes et Doina Zamfir reconsidèrent Les adjectifs en in- et la négation en français et en roumain. Un inventaire des adjectifs en in- du français dans le dictionnaire orthographique Ortho Vert donne 389 préfixés sur un total de 9 000 adjectifs. Le préfixe se retrouverait principalement avec des adjectifs déverbaux. On rappelle contre l’impression spontanée et avec Danielle Leeman que les trois-quarts des suffixés en -able n’ont pas de préfixation en in- (biodégradable), alors que les deux-tiers de ces suffixés qui ont une préfixation en in- n’ont pas de correspondant positif (inéluctable vient en tête). Une comparaison avec non-semble confirmer la fragilité de in-, lequel nie surtout des sens dérivés alors que non- s’applique à du littéral, nous dit-on. On veut voir si cette opposition entre in- et non- se reporte aux équivalents roumains in- et ne-.
8La condition d’équivalence sémantique entre non-N et anti-N en français est ce qui préoccupe Edwige Dugas dans sa contribution Les non-événements sont-ils l’œuvre d’anti-héros ? Esquisse d’un rapprochement entre les préfixes non- et anti- en français. Cette synonymie reposerait sur des noms évoquant des propriétés stéréotypiques, et donc Marcel est l ’anti-homme par excellence et Marcel est le non-homme par excellence devraient peu ou prou signifier la même chose. On emprunte la piste de la stéréotypie récemment parcourue par Franziska Heyna, et nul doute que ces intuitions ouvriront la voie au travail de déterminer quand se retrouve cette stéréotypie.
9 La construction d’une notion est évidemment affectée par les modalisations négatives, morphologiques ou syntaxiques. Les différents rapports sous lesquels le négatif affecte voir sont considérés par Mirela-Cristina Pop dans VOIR et l’opération de négation : parcours interprétatif et équivalents en roumain. À partir de l’analyse culiolienne de la négation, on étudie comment sont sélectionnées les lectures perceptives (je te vois) et psychologiques (je vois ce que tu veux dire) ainsi que les nuances qui se manifestent. Ce dernier objectif est poursuivi à l’aide de la traduction, où les inacceptables du rendu mot à mot du français en roumain nourrissent la réflexion sur les possibles de l’interlinguistique.
10C ’ est la négation de proposition qu ’ examine Anne Dagnac . Elle s’intéresse au Picard, variété gallo-romane cohésive comme l’ont montré notamment les travaux de Julie Auger. Le Picard suit l’évolution des autres langues romanes de la France du Nord en exprimant la négation par des marqueurs postverbaux. On y retrouve les négations pas, point, et même mie, spécificité du français d’oïl depuis les origines qui subsiste dans cette variété. L’usage de ces marqueurs n’est pas facilement repérable dans l’Atlas Linguistique de la France, qui d’ailleurs n’atteste pas mie ; c’est pourquoi l’auteure se tourne vers l’excellente ressource que constitue le corpus de textes littéraires régionaux Picartext. Les occurrences permettent de caractériser la spécificité de mie, exclusivement négation de proposition, admettant la cooccurrence avec les autres forclusifs mais non avec l’exclamation marquée par ti. Non seulement ce travail fournit-il une bonne base pour l’étude plus poussée de marqueurs d’autres variétés romanes, mais il rejoint ici les résultats de Déprez sur la concordance négative, dont la possibilité est une propriété micro-paramétrique de marqueurs, et non pas d’états de langue.
11La pragmatique trouve une place importante dans ce volume, du fait de son importance pour les emplois et l’interprétation de la négation. Les trois contributions concernées tournent autour de la présupposition. Le travail de Georges Kleiber et de Marcel Vuillaume revisite Deux types de négation à longue portée, dans un Essai de comparaison du français et de l’allemand. En allemand, la structure du groupe verbal permet que deux propositions coordonnées par l’équivalent de et tombent sous la portée de la négation dans la première proposition. Une illustration française en serait Aujourd’hui, on va pas entrer dans une entreprise et y passer toute sa vie. Moins syntaxiquement évidente est la séquence Aujourd’hui, on entre pas dans une entreprise à dix-sept-ans et on y passe toute sa vie. C ’ est ce qui fait dire que la négation s ’ étendant à une seconde proposition est construite en discours, par l’attente qui lie entre elles les deux propositions coordonnées. C’est le rôle de la présupposition noté par Szabolcsi et Haddican (2004) pour d’autres coordinations analogues.
12C’est aussi à mon sens un fait en lien avec la présupposition que relèvent Thierry Raeber, Louis de Saussure et Bertrand Sthioul dans le travail Du surcomposé au sporadique : la négation impossible. Le surcomposé dit régional s’utilise dans les principales pour indiquer une habitude dans le passé (J’ai eu aimé aller au cinéma) (Apothéloz, 2009), alors qu’il s’emploie surtout dans les subordonnées temporelles en français « général » (Quand j’ai eu fini, je suis parti). Les auteurs montrent que la valeur sporadique n’est guère compatible avec la négation, pas plus que ne l’est le pouvoir sporadique, ou l’expression parfois, parce que celles-ci sont des existentiels. Ces faits illustrent la notion de terme à polarité positive, qui refuse l’emploi de la négation descriptive. Sauf quand cette négation s’applique à une proposition dans une construction présuppositionnelle, l’interrogation rhétorique par exemple, ou la double négation dans Je ne crois pas que je n ’ai pas eu aimé aller au cinéma (Larrivée, 2011 pour plus de contextes et l’analyse qui s’y applique). Les (in) compatibilités entre existentiel et négation trouvent dans ce travail une nouvelle illustration.
13L’article d’Estelle Moline en collaboration avec Pierre Larrivée porte sur l’interprétation de la négation dans les interrogatives en combien. Les interrogatives ont des relations difficiles avec la négation, que réparent le plus souvent des valeurs de question rhétorique : c’est celle qu’a le titre de l’article Combien d’articles n’a-t-on pas écrit sur le sujet ?, où il s’agit non pas de requérir une réponse mais de suggérer qu’un grand nombre d’articles a été écrit. Pourtant, les réelles demandes d’information ne sont pas exclues, et les conditions sous lesquelles celles-ci sont réalisées dans Frantext est l’objet de l’étude. La proposition est qu’un ensemble fermé d’éléments évoqués par le groupe nominal quantifié (Si c’est pour demain, combien d’hommes ne sauront pas se servir de leurs armes à feu, dans ta section ?) rend une réponse possible, et donc une interprétation pleinement interrogative. On retrouve Hamblin (1973) et l’idée qu’identifier le sens de la question, c’est savoir ce qui y constitue une réponse.
14Les dimensions pragmatiques incluent les divers rapports de focalisation. Ces rapports partagent avec la polarité négative l’aptitude à construire des valeurs complémentaires qui valident à partir de ce qui est asserté différents raisonnements. Ce sont les particules focalisatrices du roumain que considère Eugenia Arjoca leremia dans Vers une pragmatique de la négation : les adverbes chiar et prea du roumain et leurs équivalents français. Cette langue a un riche inventaire de focalisateurs : on cite chiar – même, fi – aussi, tot – toujours, prea – trop, doar – seulement, măcar – au (du) moins, iar – à (de) nouveau, encore, mai – plus, encore, nici – ni. Dans quelles circonstances ces particules génèrent des implicatures négatives comme le fait chiar « même » dans Chiar Ion a lipsit « Même Jean a été absent » selon l’auteure qui paraphrase par En ce qui concerne Jean, nous nous serions attendus à ce qu ’il ne soit pas absent, tel est le propos. La comparaison de ces marqueurs à travers les langues romanes permettrait de voir comment se structurent, se renversent et se différencient les échelles à travers des ensembles conventionnels de marqueurs, on pourrait très bien partir du travail un peu ancien mais toujours utile de König (1991).
15 La dimension argumentative de la focalisation et de la polarité négative emmène naturellement Diana Andrei à utiliser la théorie des blocs sémantiques de Carel et Ducrot pour aborder La portée de la négation dans la construction peut-être NEG A, mais B. L’enclosure peut-être dans cette construction contrastive ferait passer de l’argumentation externe à l’argumentation interne. Autrement dit, on est amené à supposer un préconstruit avec l’enclosure qui profilerait une échelle de valeurs (Il n ’est peut-être pas commisssaire, mais policier), mais pas en son absence où on a une simple contradiction (ce qui voudrait dire que l’on devrait pouvoir trouver Ce n ’est pas un prêtre, mais un flic mais non pas ?? Ce n ’est peut-être pas un prêtre, mais un flic puisqu’il n’y a pas a priori l’échelle pré-construite entre prêtre et flic qu’il y a entre commissaire et policier. Les exemples fournis invitent à revoir le rôle de peut-être mais aussi du coordonnant dans la suspension des implicatures du type II est policier (et + ?ou + ?? mais) peut-être ? (même) commissaire, Il est policier (et + ? ou + mais) peut-être (même) pas commissaire.
16Mariana Pitar quant à elle aborde nici, une espèce de ni, sa syntaxe, sémantique et pragmatique. La particule focalisante sert à la fois à former des mots négatifs avec ce qui ressemble à l’article indéfini (correspondant à aucun) et avec les mots wh- (nulle part, à aucun moment, en rien). En syntaxe, il marque le plus souvent une valeur minimale sur une échelle qu’explicite son association fréquente avec l’équivalent de même : cela se traduirait par pas même, ce qu’on retrouverait seul en réponse. Il a enfin des emplois de connecteur de coordination. La description fournie permet de mesurer la polyfonctionnalité des marqueurs et comment elle est en rapport avec les contextes. Cette polyfonctionnalité est celle décrite par Gast et van der Auwera (2011).
17C’est l’emploi d’une autre structure de coordination, celle de Nu că équivalente à Non que qu’explore Daciana Vad dans Non que / Nu că – marqueurs de la négation polyphonique. L’analyse est donc annoncée : non que P fait se superposer deux points de vue de polarité opposée. S’appuyant sur Frantext pour le français, ainsi que des exemples empruntés aux grammaires ou trouvés sur internet, c’est l’insaisissable polyphonie qu’on veut repérer. Aussi bien parler de construction accommodant une présupposition d’activation, me semble-t-il, ce qui permet de contraster avec d’autres constructions formellement similaires, du genre de l’italien non che qui suppose une activation explicite (Poletto et Zanuttini 2011).
18Françoise Mignon, quant à elle examine les propriétés distributionnelles qui contraignent l’emploi de non et de pas à la suite de ou. Pour ce faire, elle envisage l’emploi de chacun des marqueurs de négation dans la structure interrogative (Viendra-t-il ou pas ? ; Viendra-t-il ou non ?), cas particulier mais fréquent de leurs contextes d’apparition. L’étude menée à partir d’un corpus de littérature contemporaine (Frantext) fait apparaître que la commutation n’est pas toujours possible.
19 L’usage discursif des relations scalaires est envisagé par Liana Pop dans Catégorisation « en direct », avec négation. Des corpus oraux (C-ORAL-ROM, POLITEXT) laissent à voir le travail de reformulation et de renforcement. Il est parlant que les seconds vont dans le sens scalaire attendu : je ne revois / vois toujours rien / # limais alors rien du tout en est un bon exemple. La contradiction de cette gradation signale une reformulation, voire une auto-correction, comme dans légèrement retourné / & euh sur & euh tourné sur la droite / pas retourné tourné sur la droite. La négociation des concepts est également attestée par je fonçais assez / enfin foncer au Liban / on fonce pas à trois cents à l ’ heure / mais on [/] on [/] quatre-vingt-dix. Cela fait songer au phénomène rhétorique de la prétérition. Une telle typologie permettrait de faire l’aller retour des séquences linguistiques et des fonctions discursives.
20C’est la rhétorique rendue conventionnelle que reflètent les proverbes et ce sont les proverbes qui intéressent Adina Tihu dans sa contribution Structures négatives dans les proverbes roumains : équivalents français. Les ouvrages de E. Gorunescu (1978) et de G. Gabriel (1986) recueillant les proverbes dans les langues romanes servent de corpus. On retient les proverbes contenant une négation et on répertorie la nature des relations entre propositions dans les structures phrastiques complexes. On relève le contraste (Qu un autre te loue, non ta bouche !), la condition (Qui n ’a point d’argent n ’a point d’amis, dans une version modus ponens), le rapport adversatif coordonné (par dar, iar, ci/ mais, și/et ; voir Ascultă tot, dar nu crede tot « Écoutez tout, mais ne croyez pas tout »), la concession (le rendu littéral de Tu veux, tu ne veux pas, bois, Grégoire, de l’eau bénite ! qui correspondrait à Le vin tiré, il faut le boire).
21Le rapport entre la linguistique et la didactique des langues sont d’une telle importance que l’une et l’autre ne sauraient s’ignorer. L’intérêt de ce dialogue est démontré par les contributions de Cécile Avezard-Roger (Enseignement-apprentissage de la négation aux cycles 2 et 3 : Quelle progressivité pour quels apprentissages ?) et de Belinda Lavieu (La négation : une notion problématique). Comme son analyse, l’enseignement de la négation dans le programme scolaire français en langue maternelle pose des défis. La réalisation des marqueurs eux-mêmes n’est pas acquise comme en attestera la consultation de n’importe quel manuel : l’utilisation de ne est rappelée et pratiquée, puisque ce trait caractéristique de la variété normée est absent du vernaculaire. Cette évidence montre combien l’apprentissage de la norme peut se comprendre comme affecté d’interférence de la première pratique acquise – le vernaculaire. D’autre part, les déplacements entre les sens et la forme se manifestent dans différents décalages. Celui d’abord entre un marqueur avec valeur de négation référentielle portant sur une proposition quand elle focalise sur un constituant de cette proposition. Pour illustrer, Elle n ’a pas tout dit a une négation à portée propositionnelle qui nie que le sujet ait tout dit, et une focalisation sur tout qui implique la réalisation d’un dire : ce paradoxe rend compte de la confusion terminologique considérable qui règne pour ces deux phénomènes liés de la portée et de la focalisation. Lavieu fait valoir la nécessité de bien identifier les différents niveaux d’analyse et leur intégration, et elle se situe ainsi dans les travaux scientifiques qui poursuivent cet objectif au moins depuis Horn (1989), voire Jespersen (1917).
22Au-delà des questions notées à l’occasion de la présentation des contributions, quelles perspectives de recherche ce volume ouvre-t-il ? Je choisirais deux thèmes. Le premier est celui de l’asymétrie. L’asymétrie marque le rapport entre la négation et l’affirmation, dans la réalisation, la fréquence, l’interprétation, même la dénomination, c’est un fait qui frappe tous les spécialistes d’évidence. Ils s’accordent de même pour dire que les négations présuppositionnelles sont plus marquées que les négations ordinaires. Cette évidence demande réévaluation au regard des travaux expérimentaux en cours : les travaux d’Eun Ju Noh montrent que le temps de traitement de négations présuppositionnelles n’est peut-être pas plus important que celui des négations ordinaires (2011). Il est donc possible que les phénomènes structurellement asymétriques soient cognitivement plus égaux qu’on ne le croyait.
23Mais on aurait évidemment tort de négliger les spécificités des langues. Les marqueurs conjoignent un ensemble divers d’informations et de contraintes, et j’avais proposé dans un ouvrage de 2004 qu’on retrouvait pratiquement autant de configurations dans les variété d’une même langue que dans les variétés normées d’une famille de langues. Peut-être est-il temps de prendre au sérieux l’idée que les patterns et les paramètres des grammaires, s’ils existent, pourraient être révélés par les propriétés d’items particuliers autant que par les généralisations de la typologie des langues. Voilà la perspective que les études particulières réunies ici dessinent.
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Auteur
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