La formation des traducteurs pour l’Europe d’aujourd’hui et de demain
p. 371-381
Texte intégral
1Au printemps 1994, la floraison sur les panneaux d’affichage parisien d’images d’un train chargé de voitures, avec pour titre :
LE SHUTTLE
a certainement beaucoup agacé nos autorités et probablement accéléré la promulgation de la loi de juillet 1994, dite loi Toubon.
2La publicité est un terrain favorable aux inventions de ce style. Vous avez sûrement déjà vu la publicité de cette marque de confection :
NAF NAF, LE GRAND MECHANT LOOK
qui nous rappelle les trois petits cochons de notre enfance...
3Lorsqu’un groupe français a lancé, voici quelques années, une nouvelle chaîne de télévision sous le nom de LA CINQ, l’affiche qui a couvert les murs de Paris portait cinq photos, celles des principaux journalistes de la chaîne, et, dessous,
CINQ YOU LA 5
4Toute langue est facilement victime de ce genre de torture et le français ne fais pas exception à la règle. Nous avons tous rencontré des exemples ridicules ou aberrants, dont la cause est plus souvent l’ignorance que l’humour. J’ai en poche une petite plaquette d’accompagnement d’une mini-calculette dont le texte est une inépuisable source de fous rires. En voici la reproduction fidèle, fautes de typo incluses. Ne croyez pas que je l’aie inventé, j’en serais incapable !
« NOTICE D’UTILISATION DU PROPRIETAIRE »
MINIME BILLET
LCD CALCULATEUR
COUPURE AUTOMATIQUE
NOTE :
1. Auto courant :
(1) Si ceci n’ est aucune prise de clé pour 8 minutes, le courant sera couper automatiquement, el le déploiement disparait.
(2) Le courant sera couper immédiatement par abaissement la clé de « OFF ».
CAUTIONS :
1. Lorsque le courant de pile diminuée, le déploiement sera pousser faible seulement mais causer sans maclcalcul.
2. Veuilez noter que les changes de température peuvent affecter le régime avec la machine qui est prêt à opérer (C’ est à cause de la nature de Cristal Liguide et n’ est pas un défaut dans la machine).
3. Si la machine est amassée sous 32°F/0°C, il est recommandé que la machine être « chauffée » dans la température de la chambre normale avant emploi.
4. Lorsque vous avez fini votre calcul, appuyer la clé « OFF » pour fermer le calculateur d’épargner le courant de pile.
5Il s’agit certainement d’une traduction humaine, mais je pense que même un programme de traduction automatique ne ferait pas tellement pire.
6Mais les conséquences sont parfois plus tragiques que drôles, surtout dans le domaine militaire. Sans m’attarder, je vous signale l’étude de Barbara et Ingrid Kurz, récemment parue dans « Jerome Quarterly », sur un incident survenu en 1914 à la frontière entre l’Angola et l’Afrique du Sud allemande, qui a provoqué la mort de trois officiers, des représailles sanglantes et plus de 25 ans de procédures d’arbitrage – tout cela par la faute d’un interprète incompétent.
7Le problème des langues, à l’ échelle de l’Europe et surtout de l’ Union européenne, est considérable. Six langues, c’était déjà difficile, mais avec le passage à 12, le poids des obligations de traduction et d’interpretation est devenu terrifiant, et les perspectives d’élargissement de l’ Union aux pays d’Europe centrale et orientale représentent un casse-tete épouvantable, au point que certains envisagent de revenir sur les décisions initiales et de faire choix d’une, deux, voire trois langues officielles, ce qui poserait encore d’autres problemes quasiment insolubles.
8La langue est en effet un élément d’identité extrêmement puissant, et j’ ai du mal à croire qu’un peuple accepterait volontiers – ou facilement – de voir sa langue nationale reléguée à un rôle subalteme dans un ensemble fonde sur un principe d’dgalite.
9Quant à la perspective de voir l’anglais devenir langue universelie, si elle est déjà transformée en réalité dans certains domaines, je suis sûre qu’elle vous inquiete autant que moi, car elle débouche sur un paysage mondial assez désolant, avec des « poches » de langues nationales, peuplées presqu’exclusivement de categories sous-développées, incapables de com – muniquer avec le reste de la planète, et par là-dessus un voile général d’un anglais bâtard et dégénéré, une sorte de petit-nègre corrompu par les apports désordonnés de toutes provenances, et servant de langue véhiculaire aux étages supérieurs de la société.
10Vous connaissez peut-être le projet dont le texte a été publié en janvier 1996 par le Daily Mail, mais qui figurait déjà en avril 1994 dans le Bulletin des Anciens Elèves de l’E.S.I.T. 11 ouvre des possibility intéressantes en ce qui concerne l’anglais de demain :
Having chosen English as the preferred language in the E.E.C., the European Parliament has commissioned a feasibility study in ways of improving the efficiency in communications between Government departments.
European officiais have often pointed out that English spelling is unnecessarily difficult : for example, cough, plough, rough, through and thorough. What is clearly needed is a phased programme of changes to iron out these anomalies. The programme would, of course, be administered by a committee staffed at top level by participating nations.
In the first year, for example, the committee would suggest using ‘s ’ instead of the soft ‘c ’. Sertainly, sivil servants in ail sities would resieve this news with joy. Then the hard ‘ c ’ could be replaced by ‘k ’ sinse both letters are pronounsed alike. Not only would this klear up konfusion in the minds of klerikal workers, but typewriters kould be made with one less letter.
There would be growing enthousiasm when in the sekond year, it was anounsed that the troublesome ’ph ’ would enseforth be written f. This would make words like fotograf’ twenty per sent shorter in print.
In the third year, publik akseptanse of the new spelling kan be expekted to reash the stage where more komplikated shanges are possible. Governments would enkourage the removal of double letters which have always been a deterent to akurate speling.
We would al agre that the horible mes of silent ‘e ’s in the languag is disgrasful. Therefor we would drop thes and kontinu to read and writ as though nothing hah hapend. By this tim it would be four years sins the skem began and peopl would be reseptiv to steps sutsh as replasing ‘th’ by ‘z’. Perhaps zen ze funktion of ‘w’ kould be taken on by ‘v’, vitsh is, after al, half a ‘ w’. Shortly after zis, ze unesesary ‘o ’ kould be dropd from words kontaining ‘ou’. Similar arguments vud of kors be aplid to ozer kombinations of leters.
Kontinuing zis proses yer after yer, ve vud eventuli hav a reli sensibl riten styl. After tventi yers zer vud be no mor trubls, difikultis and evrevun vud fin it ezi tu understand ech ozer. Ze drems of the Guvermnt vud finali hav kum tru.
11Nous ne connaissons pas l’origine réelle de cette idée extraordinaire, mais je pense que si nous voulons éviter ce type d’évolution, et pas seulement en anglais mais pour toutes nos langues, il est temps que nous nous mettions à l’ouvrage. Et par ce « nous », je veux dire ceux qui, comme vous, savent ce que sont les langues et comment on s’en sert. L’usage des langues est en effet mon souci, car ce dont on se sert pas s’atrophie et fini par disparaître.
12Voulons-nous que l’Europe devienne, sur le plan linguistique, une vaste marmite où bouillonneront en salmigondis les bribes et les morceaux des différentes langues de cet immense ensemble, mélangées, détrempées, ayant perdu tout ce qui fait leur caractère propre ? Voulons-nous que le terrain soit totalement dominé par une langue – ou une autre – ce qui conduirait obligatoirement les moins utilisées à pâlir puis à s’effacer ?
13L’un des moyens d’assurer la survie de nos langues est de veiller à ce qu’elles soient correctement traduites en d’autres langues, à ce que les traducteurs soient capables de faire passer le sens du message dans sa totalité, sans rien laisser de côté, sans rien changer, sans rien ajouter – en un mot, de veiller à ce qu’il soient de bons traducteurs.
14Mais comment faire de bons traducteurs ? Et d’ailleurs, peut-on FAIRE des traducteurs ? Interrogation cruciale pour nous autres formateurs : naît-on traducteur, ou peut-on le devenir ? C’est une question bien ancienne, et récurrente. Je ne prétends pas y fournir aujourd’hui de solution définitive, mais en fait elle m’apparaît surtout comme un faux problème.
Le traducteur-né
15Les meilleurs auteurs ont longtemps professé que « L’on naît traducteur, on ne le devient pas » : Edmond Cary l’affirmait aussi pour l’interprète, et il en était un exemple.
16Il est vrai que pendant des siècles, la traduction fut un phénomène spontané. Les traducteurs, véritables artistes, avaient à transmettre la Parole, ou la sagesse, la science médicale, les merveilles de l’astronomie, les mystères du Destin (les plus célèbres sont recensés par Michel Ballard – cf. Ballard 1992). Tous ces hommes, de Cicéron à Benjamin en passant par Saint Jérôme, avaient du talent, et leur succès était la preuve de leur don, qui défie toute description. Ils n’avaient pas de maîtres, puisqu’ils étaient les premiers. Ils progressaient par approximations successives, puis s’efforçaient de transmettre leur acquis à des disciples, en prêchant d’exemple, comme un artiste, ou un artisan, enseigne son art à ses jeunes élèves : en passant d’abord par la maîtrise des outils, puis en avançant peu à peu vers leur emploi affiné.
17Il y avait bien ce que l’on appelait des « écoles de traduction », Tolède, Bagdad, mais qui étaient plutôt des centres de production de traduction que de véritables établissements d’enseignement.
18En ces lointaines époques, une langue puis une autre, tour à tour, ont assumé un rôle primordial : le latin domina longtemps le monde, puis le français prit du poids, comme l’anglais aujourd’hui. Mais peu à peu les langues nationales apparaissaient, comme l’italien au 19e siècle, avec le Risorgimento, elles se créaient, dans le sillage des nationalismes, de la recherche d’une identité, d’une différence, que personnifie si bien la langue maternelle. Et le besoin de traduire s’en trouva multiplié.
Peut-on faire un traducteur ?
19Dès lors, l’apport minuscule des traducteurs-nés, doués et talentueux, ne pouvait plus suffire. L’augmentation des échanges, l’intensification des technologies, l’effort d’alphabétisation entraînant la multiplication des lecteurs, la création des grandes instances internationales créaient un besoin considérable de traducteurs et d’interprètes, d’où l’apparition des premières institutions de formation à visée professionnelle : Genève (1941), Montréal (1942), Vienne (1943), et bien d’autres.
20C’est alors que l’attitude se transforma du tout au tout, et l’on en vint à penser qu’on pouvait faire du traducteur avec n’importe quoi.
21C’est aussi la période où l’on se mit à croire que la traduction, simple passage de langue à langue, serait réalisée à merveille par l’ordinateur : il suffisait de lui fournir deux catalogues complets, il se chargerait de les mettre face à face et... le tour serait joué.
22Mais je n’ai pas l’intention de passer en revue toutes les études des grands linguistes tels que Chomsky, Catford (cf. Catford 1965) etc., ni toutes les péripéties des nombreux travaux sur la traduction automatique, que sans aucun doute vous connaissez bien mieux que moi. J’ai simplement remarqué que cette attitude est en train de changer, que les informaticiens (cf. Hutchins et Somers 1952) se sont résolus à faire appel aux connaissances extra-linguistiques pour résoudre les problèmes qui bloquent la machine, et que peu à peu, l’ordinateur se rapproche de l’esprit humain (cf. Lederer 1994 : 185).
23Pourtant la traduction reste un mystère pour beaucoup, même sans aller, comme Georges Mounin (cf. Mounin 1963), jusqu’au paradoxe total : constater que la traduction est impossible, puis admettre que pourtant elle se fait, et depuis des siècles. Peut-être est-ce, tout simplement, parce que Mounin et beaucoup d’autres donnent le même nom de « traduction » à deux phénomènes différents, d’une part la conversion d’une langue en une autre, et d’autre part la ré-expression d’un sens par les moyens linguistiques propres à la langue d’arrivée.
24Je dois avouer mon embarras fréquent face aux superbes conclusions des plus brillants théoriciens, mais c’est probablement que les théoriciens aiment à se pencher sur le premier de ces deux phénomènes, sur le passage d’une langue à une autre, ce que l’on pourrait appeler le « processus » de la traduction, alors que moi, traductrice affreusement terre à terre, et non théoricienne, je m’intéresse essentiellement au résultat de ce processus : en effet, c’est ce résultat que mon client va payer, et non le processus, qui ne l’intéresse nullement.
25Il me semble, en réalité, que considérer la traduction uniquement sous l’angle purement linguistique revient à nier l’existence du talent, à refuser la recherche de ce talent, de ce petit quelque chose qui fera qu’un traducteur sera meilleur qu’un autre.
26Jamais deux personnes n’écrivent exactement de la même manière, et heureusement, sans quoi il n’y aurait, depuis longtemps, plus rien à dire après la Bible. Pourquoi serait-ce différent pour les traducteurs ? C’est d’ailleurs ce qui permet aux éditeurs de publier périodiquement de nouvelles traductions des mêmes œuvres.
Naît-on ou devient-on traducteur ?
27Réponse de normand : ni l’un, ni l’autre ! Pour moi, il y faut des deux.
28Qu’on le considère comme un artiste ou comme un artisan, le traducteur doit, comme l’un et l’autre, posséder un don naturel, et il lui faut recevoir une formation pour tirer le meilleur de ce don.
29Naît-on ou devient-on violoniste, chirurgien, menuisier ? Il leur faut, à tous, une formation prolongée, approfondie, mais s’ils n’ont pas le don, deviendront-ils jamais maîtres en leur art ? Le violoniste peu doué vous écorchera les oreilles au coin des rues, le chirurgien – à propos, s’il fallait choisir pour se faire opérer entre un chirurgien doué et non formé, et un chirurgien formé mais non doué, le dilemme serait douloureux ! Quant au menuisier aux mains maladroites, il devra sans doute changer de métier, après s’être écrasé tous les doigts.
Comment devenir un bon traducteur
30Le meilleur moyen de faire de bons traducteurs (j’insiste sur le mot BON) est donc sans doute de trouver des gens doués de certaines aptitudes naturelles, de vérifier s’ils possèdent les outils nécessaires à leur métier, puis de leur enseigner, par l’exemple et l’exercice, le meilleur moyen d’utiliser ces outils pour devenir à leur tour maîtres en leur art.
La formation des traducteurs à l’E.S.I.T.
31Nous cherchons donc à appliquer ces deux principes : trouver des gens doués, puis leur apprendre un métier. Sélection étant un mot tabou, je dirai qu’il s’agit de redresser ou d’éviter les erreurs d’orientation. De plus, nous nous donnons un an pour affiner cette orientation : la 1ere année du cursus de traduction de l’E.S.I.T. ne se redouble pas, et il faut une moyenne générale de 12/20 pour passer en année 2.
Quels sont les pré-requis ?
32L’exercice de notre métier, à un niveau de qualité satisfaisant, peut être décrit comme un édifice construit sur quatre piliers, quatre savoirs indispensables, et indispensables ensemble, car s’il manque l’un ou l’autre l’édifice s’écroule :
La langue maternelle
La langue à traduire
Le sujet traité
La méthodologie.
33Les deux premiers sont considérés comme des pré-requis absolus. Pour espérer devenir un bon traducteur, il faut :
– Maîtriser sa langue maternelle
34Langue d’expression, elle doit autoriser la plus grande finesse, la meilleure précision. Malheureusement, l’enseignement secondaire ne donne pas toujours les meilleurs résultats dans ce domaine, que ce soit en France ou ailleurs.
– Connaître les langues étrangères
35Il s’agit, dans ce cas, d’une connaissance approfondie et dynamique, et non d’une simple acquisition théorique plus ou moins lointaine. Les langues bougent et changent, il faut les suivre incessamment.
36Mais la traduction n’est pas un simple travail sur la langue, c’est un travail sur des textes, écrits par des auteurs pour des lecteurs avec lesquels ils partagent aussi un bagage, une culture, un savoir : connaître ces éléments est tout aussi nécessaire que savoir les langues, et c’est ce qui fera la supériorité future du bon traducteur sur une personne « sachant les langues ».
37C’est aussi ce qui nous conduit, dans l’intérêt du français, à réclamer pour l’E.S.I.T. des étudiants étrangers : en trois ans de séjour et de travail en France, ils auront acquis une familiarité avec notre culture qui fera d’eux des traducteurs de qualité, assurant ainsi le maintien du français face aux autres langues – l’anglais tout particulièrement.
38Je mentionnerai en passant ma conviction qu’il faut séparer enseignement des langues et enseignement de la traduction : la pédagogie de la traduction ne peut se fonder que sur des langues connues et maîtrisées, et le type de traduction lié à l’apprentissage des langues, ce que j’appelle « traduction pédagogique », s’il a sa valeur et son utilité dans ce domaine précis, n’a aucun rapport avec la traduction pragmatique, professionnelle, qui fera le quotidien du traducteur de métier.
Rechercher le don
39Quelles sont les premières qualités que nous tentons de déceler parmi les candidats à l’E.S.I.T.? Deux dons, et une aptitude :
L’esprit logique, la capacité de déduction.
L’intuition, le pouvoir de deviner – et de trouver la bonne réponse –, de chercher sa voie dans le labyrinthe du texte.
La facilité d’expression en langue maternelle.
40Nos examens d’entrée se font en deux étapes, admissibilité et admission. La première partie se compose de tests, tests linguistiques du type puzzle verbal, et tests de raisonnement analytique sous forme de Q.C.M., pour déceler :
la familiarité avec le français (même pour les non-francophones, qui auront à suivre des cours et à rédiger en français),
une capacité suffisante de concentration et de déduction,
de l’intuition.
41Les candidats admissibles – en général près des deux tiers, mais c’est très variable car nous n’appliquons aucun numerus clausus – subissent ensuite des épreuves de langue : textes à lire et à comprendre dans leurs deux langues étrangères, suivis de questions auxquelles il faut répondre en langue maternelle, et une épreuve de rédaction en langue B (1ere langue étrangère).
42Le nombre d’admis après ces deux séries d’épreuves représente à peu près 30 à 35 % des candidats d’origine, en général.
43Les trois ans du cursus de traduction seront consacrées à développer les dons et à enseigner la méthode et le métier – les deux autres « piliers » de notre édifice.
Développer les dons
44Les deux cours les plus importants de l’année 1, ceux qui composent notre module dit de « Préparation à la traduction », ont nom Lecture active et Acquisition de connaissances thématiques.
1) Lecture active
45Nous travaillons sur des textes destinés au grand public, genre éditorial d’un hebdomadaire comme Le Point, ou tribune d’un auteur comme Jean-François Revel, dans un magazine.
46Nous nous attachons à en explorer toutes les difficultés, tous les problèmes qu’un traducteur aurait à résoudre s’il entreprenait la traduction de ce texte, et comme un traducteur est le plus méchant lecteur qu’on puisse trouver, nous explorons très profondément.
47Nous cherchons qui a écrit, pourquoi, et quand, à quelle occasion ; nous formulons le plan général, mais aussi l’idée maîtresse, celle qui n’est pas toujours évidente mais qui a conduit l’auteur à produire ce texte. Nous explicitons les acronymes, les métaphores, les références historiques, tout ce qui serait un obstacle pour le traducteur vers une langue étrangère. C’est ce que j’appelle un cours de « gymnastique », destiné à entraîner nos étudiants à faire fonctionner leurs « muscles » et leurs réflexes de traducteurs.
48Ce cours se fait uniquement en français, pour tous les étudiants quelle que soit leur langue maternelle, et c’est véritablement un cours de méthodologie traductionnelle – on voudra bien me pardonner ce néologisme...
2) Acquisition de connaissances thématiques
49Le processus est très comparable, mais il s’y ajoute la recherche de la documentation pertinente dans divers domaines de la technique. On demande aux étudiants d’étudier un sujet pour en acquérir une compréhension suffisante et maîtriser les moyens linguistiques nécessaires (terminologie, phraséologie).
50La gamme des sujets est très vaste, ainsi que celle des sources d’information (publiques, privées, institutionnelles, etc.), et l’étudiant acquiert une méthodologie applicable par la suite à tout ce qu’il devra affronter, et en particulier à la traduction économique et technique qu’il aborde dès l’année 2.
51Ce cours va lui permettre d’élucider le mystère de l’acquisition d’un savoir sur un sujet technique : savoir suffisant pour expliquer, et non pour réaliser – on ne demande pas au traducteur de se substituer à l’ingénieur.
Enseigner le métier
52Le maître, en tout art, possède un savoir qui dépasse de très loin toute explication écrite ou orale, et qu’il transmet en fonction de son talent propre. Il importe donc que l’enseignement soit donné par des praticiens, en relation concrète et constante avec leur métier.
53Les enseignants de traduction à l’E.S.I.T. sont tous des professionnels, pour la plupart anciens élèves – et nous choisissons les meilleurs. Et l’une de leurs principales convictions, acquise à l’E.S.I.T. et confirmée sur le terrain, c’est qu’il n’existe pas de traduction unique, finale, définitive.
54Nos enseignants transmettent des méthodes, et non des recettes. Quand ils attaquent un texte technique, ils ne donnent jamais une liste de termes, mais ils expliquent, et s’efforcent de donner aux étudiants l’envie d’en savoir plus. Ils entrouvrent des portes : aux étudiants de les pousser plus largement ouvertes, avec l’aide de nos programmes de conférences techniques.
55Nos enseignants appliquent les leçons de leur expérience : pas de manuels, pas de recueils de textes. Chacun utilise des textes de son choix, qui changent d’une année à l’autre et ne sont que très exceptionnellement réutilisés.
56Nous cherchons à former non pas des traducteurs spécialisés, mais des spécialistes de la traduction.
57Par ces méthodes, nous nous efforçons de constituer une force vive de traducteurs qui sauront, en France ou dans d’autres pays, traduire avec finesse et précision la pensée exprimée, avec autant de finesse et de précision, par un auteur utilisant sa langue maternelle : c’est, nous semble-t-il, le meilleur moyen de préserver la qualité des langues, de toutes les langues, et d’assurer leur survie, en Europe ou dans le reste du monde.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Ballard M., De Cicéron à Benjamin, Lille, P.U.L., 1992.
Catford J.C., A Linguistic Theory of Translation, Oxford University Press, 1965.
Hütchins WJ. & Somers H.L., An Introduction to Machine Translation, Londres, Academic Press, 1992.
Lederer M., La traduction aujourd’hui, Paris, Hachette, 1994, p. 185.
Mounin G., Les problèmes théoriques de la traduction, Paris, Gallimard, 1963.
Auteur
Présidente de la Fédération Internationale des Traducteurs depuis 1996. Membre du Conseil de la FIT depuis 1990, vice-présidente (1990-1996).
Présidente de la Société Française des Traducteurs (1979-1985), membre du Comité de la SFT (1967-1976), vice-présidente, rédacteur en chef de la revue Traduire.
Maître de conférences à l’Université Paris-III Sorbonne Nouvelle.
Docteur en Sciences de la traduction et de l’interprétation (Sorbonne, 1986).
Traductrice diplômée de l’école Supérieure d’interprètes et de Traducteurs de l’Université Paris-III Sorbonne Nouvelle (E.S.I.T., 1960).
Professeur de traduction technique d’anglais à l’E.S.I.T. depuis 1973. Directeur adjoint de l’E.S.I.T., Directeur de la section Traduction (1987-92). Traductrice technique et scientifique spécialisée pour l’industrie, les organisations professionnelles, les organisations internationales.
Spécialités : marine, océanographie, génie mécanique, zoologie, botanique, management.
Traductrice d’édition, technique et littéraire : une centaine d’ouvrages parus, dont La Ligne d’ombre, de Joseph Conrad (Ed. La Pléiade) et Expédition à l’ île Maurice, L’Ile de la désolation, Fortune de guerre, de Patrick O’ Brian (Presses de la Cité).
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2012
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2011
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Le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIe siècle
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La science-fiction américaine dans l’espace culturel français des années 1950
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1999