Rudolf Borchardt (1877-1945) – poète et traducteur plurilingue allemand
p. 221-235
Texte intégral
En attendant le lecteur
1Rudolf Borchardt est parmi les traducteurs du XXe siècle tout à la fois l’un des plus complets, des plus productifs et des plus originaux1. Qu’il soit de nos jours presque tombé dans l’oubli, vient peut-être, précisement, de ces superlatifs. A sa manière, en effet, R.B. était « Europe et Traduction »2. Je voudrais donner une idée de la logique historique et du tragique personnel de cet oubli. Pour cela, on définira les traductions de B. comme lieu de rencontre de facteurs surtout psychologiques, mais aussi, bien entendu, historiques, sociologiques et poétologiques. Au lieu de présenter, de manière nécessairement sélective, l’homme et l’œuvre3, je vous propose une lecture à orientation psychologique de La vie de Rudolf Borchardt racontée par lui-même, publiée à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’auteur4. Comme on sait, l’attrait des autobiographies réside en ce qu’elles mettent en scène et en jeu leur sujet avec un mélange très humain d’illusion et d’autoillusion, de secrets gardés et révélés. Dans ce mélange de « poésie et vérité », les latences, les ruptures et les failles ont tout autant leur sens que les motifs manifestes et que l’énoncé explicite5.
Eléments autobiographiques pour une psychologie du traducteur
2Lorsqu’on s’est habitué au pathos caractéristique du discours de Borchardt, alors on peut lire, mis en relief par de vastes commentaires socio-historiques, le récit touchant de son enfance malheureuse dans une famille grand-bourgeoise à Berlin. On ne peut douter de l’intention de cet écrit : il se veut témoignage de « la résistance la plus résolue » contre l’époque, les circonstances et le destin, qui avaient voulu empêcher B. de devenir « un esprit et un poète allemand qui s’intègre dans la tradition allemande et la continue. » (Vie : 62 f.) Les stigmates de cette autodéfense sont gravés de manière spectaculaire dans l’autobiographie. Le vrai récit commence par la constatation lapidaire du « Je » autobiographique de se trouver sans tradition et sans attaches, donc, d’être une sorte d’apatride et de sans famille6 :
Je n’ai eu ni connu de ville natale et je n’ai appris que bien plus tard que j’avais un pays natal ; que j’aie une patrie, je ne l’ai su qu’aux moments d’amertume de la maturité, à mes dépens. De même, je n’ai eu ni foyer ni famille, et ce serait une veine concession au schéma de l’autobiographie si je partais des termes de pays, province, généalogie, ville, ancêtres et parents. (Lie : 64 f. Traduction(s) E.S.)
3Et le récit s’interrompt tout aussi brusquement : le jeune garçon tiré de sa cage dorée et mis dans la misérable pension d’un maître d’école, décide de se renfermer en lui-même. Avec ses huit ans l’enfant rebelle claque littéralement la porte autobiographique au nez de l’intrus ultérieur, le lecteur :
parce qu’il me semblait être repoussé et que je voulais être repoussé, parce que je sentais un caractère renfermé se dresser en moi qui me tenait lieu de refuge et qui défendait par là-même l’accès à quiconque. (Vie : 176, fin de l’autobiographie)
4Il est à noter dès maintenant, dans notre perspective psychologique, que la résistance la plus résolue (cf. supra) ne comprend, dans sa condensation temporelle et locale – de manière métonymique – que la scolarité à Berlin7.
5Et pourtant, dans la rétrospection apparaît une deuxième scène, à savoir Königsberg (Kaliningrad). De là, les Borchardt, qui étaient descendants de la bourgeoisie commerciale juive assimilée, s’étaient transférés à Moscou, avant de s’installer définitivement, quelques années plus tard, à Berlin. Königsberg est présentée comme ville de rêve et Berlin comme ville cauchemar : Fin du romantisme et Gründerzeit, « sainte tradition » (75) et « formes de vie en transition » (92), culture de la bourgeoisie de province et faste des nouveaux riches ou bien inculture des masses. La ville natale, qui ne fait qu’une seule apparition, lumineuse, dans le souvenir, se dresse tel un bastion colonial et spirituel à la frontière du royaume, constituant une tête de pont vers l’Angleterre (civilisée) et une forteresse vers l’Est (barbare) (76 f.) Cependant, comme B. a été « emmené au plus vite à l’étranger » (Moscou) dès sa plus tendre enfance (65), il n’a jamais connu Königsberg réèllement. Toutefois, la ville de ses ancêtres restait vivante, et cela grâce à sa grand-mère paternelle. Par l’intermédiaire de l’aïeule, « les temps anciens, l’âge d’or » sont parvenus jusqu’au « consanguin et descendant plutôt que par la tradition orale par les voies du sang » (« von Wesen zu Wesen » : 73). Cette réminiscence allégorique prépare, pour ainsi dire, le terrain au sujet peut-être le plus intime de B., c’est à dire la conscience d’être Allemand et Juif8.
6Or, cette condition originelle, de laquelle B. n’a eu connaissance qu’en 1901, n’est pas racontée comme épisode ou expérience perturbatrice (Störerfahrung, Sloterdijk 1978 : 11), représentatifs du genre autobiographique, par exemple sous la forme de l’exclusion du cercle habituel des camarades de classe ou de jeu9 . Néanmoins, la question, fondamentale, de l’identité n’est pas tenue sous silence, même si B. ne l’aborde pas comme s’il était lui-même subjectivement concerné. L’assimilation comme fait historiquement accompli est portée au crédit de l’esprit tant cosmopolite tant allemand de la ville de Kant, de Hamann et de Herder (79 ff.). De plus, cette assimilation est dissertée sur le ton d’un traité, avec la ferveur d’un érudit romantique : nulle part ailleurs en Allemagne il n’y avait eu une telle « fusion des états et des classes, des races (« Geschlechter ») et des confessions religieuses » (74). L’arrêt du destin (cf. supra) de ne pas avoir de sa propre place se manifeste dans l’autobiographie, doublement déformé, à savoir comme déplacement et comme condensation : Dans la lointaine et mythique ville de Königsberg, c’étaient les pères spirituels qui avaient pour ainsi dire annulé l’exclusion séculaire, en créant cette ambiance « de chaleur merveilleuse et irréstible de l’esprit allemand, de l’histoire allemande et de la langue allemande » (81). A Berlin, en revanche, c’est le propre père qui exécute l’exclusion de son fils, et cela, irrévocablement. Dans la jeune ville impériale, le conflit intérieur latent (de l’autobiographe) d’être un Juif allemand est donc mis sur l’ardoise personnelle du père, comme une sorte de névrose enfantine d’abandon10. De la sorte, le père devient le chiffre fondamentalement négatif de la comptabilité littéraire du fils quinquagénaire qui, d’ailleurs, donne à sa vie le sens déclaré d’éliminer ce chiffre, puisqu’il dit, en effet :
que je n’ai rien fait ou choisi de devenir si ce n’est juste le contraire de ce qu’il [i.e. le père] voulait que je fasse et que je choisisse de devenir (93).
7Toutefois, nous nous réservons le père pour un peu plus tard et jetons un dernier regard sur Königsberg : la métropole de la Prusse orientale, du commerce colonial de thé, est évoquée comme paradis perdu, dans lequel règne, pour ainsi dire, soutenue par un point d’orgue allemand, une harmonie multiculturelle.
8On trouve aussi sur le reste de la Prusse et particulièrement sur Berlin où « on ne se sentait jamais chez soi, jamais dans quelque chose de définitif » (92) de vastes digressions socio-historiques. Mais leur teneur, correspondant au schéma conservateur mentionné plus haut, est manifestement élitiste, déterminée par une vue pessimiste de la civilisation. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails sur ce point-là, et nous nous concentrerons donc sur les passages dans lesquels nous croyons reconnaître la préfiguration enfantine du futur poète et traducteur ou bien la « bosse de la littérature » du petit Rudolf (en songeant p.ex. aux Mots de Sartre). Il s’agit, en particulier, de cet acte par lequel l’enfant prodige, s’étant fait « petit démiurge » (139), commence à imaginer son monde à lui et à y régner. Il fuit ses déficits, comme B. le sait lui-même, « en cherchant des formes dans lesquelles il puisse au moins s’imaginer de gouverner, d’en haut, et d’agir à sa guise. » (143) Ce processus de la création de soi et de son monde à soi, que B. a décrit avec art et intuition psychologiques, je vais le résumer brièvement, ce qui ne va pas, bien-sûr, sans anticiper sur la vie ultérieure de notre auteur (et se faire dupe, ainsi, de l’illusion rétrospective que l’on sait).
9L’atmosphère de l’intérieur grand-bourgeois, dans lequel à l’époque moscovite on avait davantage parlé le français et le russe que l’allemand (65), est marquée par « une économie convenable », « le plus haut respect des formes et des bonnes manières » et des « manières Spartiates », des valeurs qui deviennent pour les enfants « une deuxième nature » (126). Lejeune garçon est entouré de toutes sortes de domestiques, la mère est inexistante, le père « fort sévère » et « fort dur » (« bitterstreng, bitterhart » : 97). C’est avec une autorité teintée d’anglophilie11 qui’il surveille la « conduite » (« Betragen ») de ses enfants et plus particulièrement l’expression linguistique « pure et convenable » (126 f.). Le père devient « tranchant » (« schneidend » : 126) lorsque de l’extérieur un mot, trop élégant ou trop cru, enfreint le règlement puritain intérieur. En ce qu’il « tranche », comme le ferait un puriste, il exerce, à notre avis, la censure linguistique et exécute la Loi. Le dédommagement pour cette vie « d’ordres infligés et d’interdictions » (144), c’est le monde des livres qui le propose. Dans son offre on trouve les archétypes Robinson, Œdipe, Kaspar Hauser et, juste à côté de celui-ci – dans le livre des « enfants illustres » qui ne doit pas manquer dans la vraie autobiographie littéraire – un véritable surhomme, le cardinal Mezzofanti qui « avait commencé dès l’enfance à apprendre toutes les langues de la terre » (138)12. Ce Pangloss a l’effet miraculeux d’une bonne fée. Il ouvre la cage linguistique dorée, verouillée par le méchant père, et promet des vols libres, sans frontière. Mais la bonne fée, comme on va le voir, existe réellement.
10Parmi les « livres pour garçons », qui « se partageaient également l’Antiquité et le Moyen-Age comme les deux univers de l’instruction populaire » (147), le petit Rudolf était particulièrement charmé par la Deutsche Geschichte für die Kinderstube en trois volumes, de Franz Otto, qui, comme l’observe le narrateur, était en réalité une femme écrivant sous ce pseudonyme. A cette voix narrante il sera redevable pour toute sa vie. Au niveau du contenu, B. lui doit une première image, certes, populaire et naïve, de l’histoire-même. Mais rien n’est une question de simples contenus. La révélation de son amour pour l’histoire – et de sa prédilection pour le Moyen-Age allemand – n’advient que par la voix-même de la conteuse, c’est-à-dire par l’expression linguistique toute particulière avec laquelle la femme-conteur, qui se cache derrière deux prénoms masculins, sait parler à l’enfent émerveillé :
Le volume sur le Moyen-Age, surtout, me racontait avec la bouche enjouée et sérieuse d’une bonne mère, donc bien et simplement, ce qu’un enfant allemand doit savoir de son passé récent et plus lointain. (197)
Ainsi, à côté de l’image sanctifiée de la grand-mère, grâce à sa manière impressionnante de raconter, c’est l’historiographe clandestine qui devient la vraie mère de remplacement. D’une part, elle ajoute à la galerie des ancêtres du roman familial de B., où est déjà accroché le Père de l’Eglise Mezzofanti comme modèle de la liberté spirituelle universelle, la figure paternelle, non moins confortante, des empereurs allemands (147). D’autre part, elle devient elle-même la voix maternelle et, par conséquent, le cordon ombilical qui relie le fils exclu et perdu au ventre de sa « préhistoire » allemande. Pour le jeune garçon enchanté, l’histoire et la poésie sont la mère, l’écriture est forme sonore ou bien parler maternel, le passé est présent, la mort est vie.
11Cependant, le langage n’est pas seulement une expérience sensuelle, dans l’imagination de l’enfant B., comme une sorte de « son et lumière » du Moyen Âge allemand ou bien comme dialogue-monologue dans son théâtre solitaire, péniblement plurilingue (139). Il n’est pas non plus un seul principe spirituel, comme la liberté virtuelle d’embrasser toutes les langues (Mezzofanti). Dans la réalité de la vie quotidienne de Rudolf, le langage est vécu comme maîtrise-domination (ail. « Beherrschung ») : maîtrise de la langue elle-même, maîtrise de soi et domination sur les autres. Sous cet angle, le langage est, pour R.B. enfant, tout à la fois quelque chose comme une bonne mère (l’historiographe) et un méchant père (censeur).
12Le père s’impose, ne serait-ce que par sa représentation quantitative dans le texte, comme l’instance principale de la famille13. Et comme lecteur, nous savons naturellement que le discours sur le père, explicitement conciliant (93), porte, implicitement – pour ne pas dire en premier lieu – sur le fils-autobiographe lui-même. Le malheur de ce père taciturne, qui affichait le comportement d’un « maître moderne » (« Herrenmensch » : 94), était d’avoir dû devenir homme d’affaires, et cela en dépit de son inclination – typique à la famille B. – pour les Muses, pour une vie légère, une vie de bohème, l’amateurisme. Et pas seulement le père n’eut à souffrir de ce renoncement contraint par la raison de famille. Plus tard, ses enfants et sa femme durent également souffrir, comme il est dit au début du portrait du père :
Le destin de mon père, et donc, à travers lui, de ceux qui dépendirent de lui à perpétuité (« lebenslang »), était – en bref – que pour se conformer au désir de ses parents, il avait tué quelqu’un en lui, et contraint un autre en lui – à moitié tué et à moitié contraint, comme c’est souvent le cas... (93)
A côté de ses affaires, il ne reste à ce « commerçant de thé presque malgré lui » (90) que peu de temps pour composer ou traduire des poèmes. Ainsi, en fin de compte, comme son fils, mis plus tard en pension, il avait renfermé son conflit « sous la sévérité de son propre regard » :
On avait rompu une disposition naturelle, la faille était là, et c’est une violente attitude pathétique à vouloir discipliner soi-même et le monde qui s’efforçait de sortir de cette faille. (94 f.)14
Si jamais, pour B., sa vie exclusivement en opposition consistait, dans le fond, à « tuer » le père intériorisé, alors cette « résistance la plus résolue » était orientée essentiellement contre ce compromis doublement mauvais, dont le père fut la victime, « à moitié tué, à moitié contraint. » Le fils, lui, ne voulait pas s’adonner à la poésie et à la traduction dans sa vie privée seulement et au seul titre d’« élément protecteur » (95), et à côté de ses affaires proprement dites. Il voulait, au contraire, vivre de la littérature seule, et acquérir un fonds culturel tel qu’il puisse renoncer à des affaires secondaires, publiques15. Avec sa « volonté de culture » (« Wille zur Bildung », Formen : 351 ff.), profondément contradictoire, et dont il fait, avec le label de la littérature à savoir son autobiographie, le modèle à suivre dans une époque de pénurie spirituelle et morale de la nation allemande, B. a accumulé effectivement un capital culturel unique16.
A la conquête de l’Europe littéraire
13De notre point de vue à nous, contemporains, la performance intellectuelle de B. est absolument inimaginable. Il s’est approprié, surtout comme autodidacte, ce que l’ Alma Mater allemande ne pouvait plus donner à son « fils reconnaissant » (Dichter : 200), qui d’ailleurs finit par se trouver à l’étroit dans le milieu des érudits (Dichter : 199). Qu’il ait – comme il le dit souvent lui-même – plutôt « bu au sein » ou – comme nous le supposons – qu’il ait également « importé », à savoir qu’il ait cherché, en travaillant « comme un fou » (cf. note 14), la mère ou fui le père, revient au même. Borchardt a acquis ce qu’il n’avait pas hérité, et cela excessivement17 : il ne savait pas moins que toutes les langues classiques et preque toutes les langues modernes d’Europe, et en outre les étapes intermédiaires les plus diverses. Et il traduisit dans les quarante années se situant entre 1905 et sa mort pas moins que Pindare, Platon, Sappho, Eschyle, Horace, Tibulle, Tacite, Hartmann, Villon, Landor, Browning, Rossetti, Swinbume, Edna St. Vincent Millay, et pour couronner son œuvre de traducteur-poète, Dante. Sans porter atteinte à cette œuvre sans égal, je dirais que B. a fait de nécessité vertu. Il a absorbé en véritable Titan sa « préhistoire » germano-européenne et il a finalement élevé le processus individuel d’identification de sa propre biographie supérieure18, donc son égoïsme historique19 originaire, à l’impératif conservateur d’une restauration créatrice20 au niveau national. Plus tard, cette revendication politique, idéaliste et illusoire, fut même dangereusement stylisée sous la forme du rôle de guide du poète (Fuhrung21), autorité morale et intellectuelle, qui doit conduire les « masses » démunies de langue et par là-même démunies de l’Histoire {Restauration : 248 ff. et passim). Le caractère aporétique de cet appel à un renouveau spirituel de l’Allemagne par le moyen de la littérature (traduite) va être esquissé dans une dernière réflexion sur la conception de la traduction propre à notre auteur22.
Pour qui traduit-on ?
14B. eut une révélation. Après ses vastes études de philologie (historique), la Divine Comédie lui apparut subitement sous un nouveau jour : comme il pouvait assister, à ce moment-là, presqu’en qualité d’« ancêtre » à l’« émanation » et à l’« éruption » (c’est-à-dire dans une expérience géniale, mystique et cosmologique) du devenir polyphone du chef-d’œuvre dantesque, il commença à le considérer dans tout son dynamisme historique, dans sa « fluctuation », et il cessa, en qualité de « descendant », de l’admirer comme monument littéraire (Epilegomena : 484 ff.). Dorénavant, le traducteur-poète est conscient de sa propre historicité, liée à la langue (« das historische Wissen um die eigene Stellung innerhalb des groBen Zusammenhanges », Dante : 369). Il conserve cette conscience dans l’acte de la création linguistique du traduire par lequel le poète-chercheur transforme organiquement son « savoir conscient » tout en libérant, paradoxalement, « le savoir du savoir » (daß « nur Wissen von Wissen befreien kann », Götterlieder : 127). Dans le texte traduit, cette conception auto-réflexive apparaît sous forme de différence caractéristique (Epilegomena : 509) ou nouveauté distinctive (Götterlieder : 128) qui s’assimilant à son tour vieillit et aspire à une neutralisation23. La « traductologie » de B. a des racines romantiques manifestes, mais également d’autres, moins évidentes, en particulier celles du mysticisme juif24. La traduction de B. ayant au moins dans l’intentionnalité une composante eschatologique, il peut considérer son traduire comme rédemption ou, au niveau individuel, comme autothérapie (« Selbstheilung », Epilegomena : 521). Ainsi, la traduction elle-même est deixis et non pas reproduction ou copie (« Version », Rossetti : 381). Elle ne prétend donc pas de ou à « rendre » le texte original, mais tout au contraire, met en relief l’écart historique ou bien l’altérité de son avant-texte (« die ungewohnte und originale Fremdheit », Götterlieder : 127).
15Moi aussi, j’ai eu une révélation, à travers l’autobiographie de B. Depuis, je lis ses traductions historiques non plus comme des documents intéressants dans l’histoire de la traduction. Je les perçois avant tout dans leur éruptivité – poursuivant l’image de B. (cf. supra) – c’est-à-dire comme expression tendue et surtendue d’une personnalité unique, donc dans leur contact avec « l’imagination démoniaque » ou bien dans leur « rapport avec la vie, avec une réalité d’une époque ou d’un individu » (Formen : 371 f.). Ainsi, je comprends, globalement, le traducteur B. comme un poeta doctus, de culture européenne, qui, comme l’enfant d’autrefois (cf. supra) « cherche des formes dans lesquelles il puisse au moins s’imaginer de gouverner, d’en haut, et d’agir à sa guise. » Les formes, c’est réellement le terme-clé de la poétique de ce poète-traducteur, comme on peut le voir, de bonne heure, notamment dans le Gespräch über Formen (1900). En effet, le poète se sent touché par les formes comme quelque chose de « sensuel » (« sinnlich ») au contraire de quelque chose de « moral » (« sittlich ») ou au contraire de « sens » (« Sinn », Formen’. 347 f.). L’intention primaire de sa traduction n’est donc pas le fond de la pensée, qu’elle saisit indubitablement, non, l’intention primaire est la forme (sonore) du mot et de la phrase, non moins significative, en elle-même25. Dans une perspective autobiographique et psychologique, la traduction ne vise donc pas la loi du logos figé, mais, au contraire, la liberté de la matière mue et émue, et si l’on veut, la traduction vise la mater elle-même.
16Lorsque B. parle du traduire comme du « plaisir » tout particulier « du jeu avec les formes » (Formen : 368), cette métaphore libidineuse a peut-être une certaine connotation mystique et incestueuse – « Amant, qui sent les formes », (Formen : 348). Mais je dirais que c’est plutôt « l’enfant dans l’homme » qui parle ici. Dans sa main d’enfant joueur et de (futur) érudit, le jouet géant de la littérature européenne se métamorphose en cet allemand malléable et façonnable dans lequel le traducteur « crée de nouvelles formes avec un nouveau droit à l’existence » (Formen : 372). Dans ce jeu de virtuose pour la forme appropriée, notre enfant-homme découpe, rajoute des morceaux, mélange comme bon lui semble, le nouveau et l’ancien, le faste et la pacotille, omet et ajoute, étire et comprime, coupe en deux et recolle, pétrie la matière d’un esprit « enjoué et sérieux » en achevant ainsi la vision d’une Histoire à laquelle autrefois la bonne fée historiographe l’avait initié. La traduction résultant de cet artistique/artificiel jeu de philologue est, nécessairement, fiction26.
17Conformément à son besoin vital de régner sur les formes, le traducteur-poète va jusqu’à se styliser, le cas échéant, en « conquérant » (Dante : 386) ou en « fondateur » (Trobadors : 353). A ces titres, il peut « regermaniser » (Schuster 1987 : 246) ce que l’Allemagne, de son héritage, à l’origine, européen, avait redonné plus tard en fief à l’Europe de même qu’il peut « naturaliser » (« einbürgem »), par reconnaissance, le grand héritage européen en l’intégrant « à l’étemel fonds de la poésie allemande » (Trobadors : 353). Cependant, l’ennemi de notre stratège ès traductions se trouve à l’intérieur. Sa cible préférée est Ulrich von Wilamowitz-Mœllendorf, éminent professeur de philologie ancienne et auteur d’un type de traduction académique et philologique tel que B., pour qui la philologie n’était jamais que la base de la seule vraie traduction, « aristique » ou « créatrice », ne pouvait que le prendre en horreur27. La « chaire artistique » ne prouduisait, avec son postulat démocratique, que des versions diluées qui n’étaient plus qu’un pauvre travestissement pseudohistorique aux yeux de B. qui, au fond, ne traduit pas pour être compris de la foule. Son rôle, comme il l’entend, n’est pas celui d’un « intermédiaire » mais celui d’un « créateur » (Dante : 386) et il s’oppose, par conséquent, violemment à la « compréhension » apparemment facile de « la moyenne » en confrontant cette dernière avec la difficile « idée » (« Ahnung ») et « nostalgie » (« Sehnsucht », Formen : 345) de son « expérience » (« Experiment », Formen : 370) toute personnelle et par là-même « incommensurable » (Formen : 343).
18« Amant », Borchardt a cherché sa mère à travers les formes. Dans son traduire, il l’a évoquée, et avec elle il reste, en dépit de toute forme et donc en dépit du père, enfermé dans la traduction. Traduire, pour Borchardt, c’est mourir d’aimer. Borchardts Übersetzen ist ein Liebestod28.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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Eranos-Brief in : Prosa I, p. 90-130.
Epilegomena Epilegomena zu Dante II, in : Prosa II, p. 472-531.
Formen Gespräch über Formen, in : Prosa I, p. 328-373.
Führung in : Reden, p. 397-429.
Götterlieder Altionische Götterlieder unter dem Namen Homers, in : Prosa II, p. 109-130.
Restauration Schöpferische Restauration, in : Reden, p. 230-253.
Rossetti Dante Gabriel Rossetti, in : Prosa III, p. 365-393.
Trobadors Die großen Trobadors, in : Prosa II, p. 343-353.
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Wannsee in : Gedichte, p. 414-526.
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Notes de bas de page
1 Cf. Apel 1982 : 209-224, 1983 : 82 f., 1989 : 4. – L’édition des Œuvres Complètes/ Gesammelte Werke (Stuttgart : Klett 1955-1990) comprend quatorze volumes. Pour un panorama bibliographique de l’état des recherches sur B., cf. Garber 1993 : 299. Grange 1983 : 1295-1335 offre la bibliographie jusqu’alors la plus exhaustive ainsi qu’une importante documentation.
2 Cf. Garber, op.cit., Glaser 1987 (en particulier Osterkamp : 249 et 252), et Grange 662 ff.
3 Pour la biographie de B., cf. Grange 1983, qui suit justement, dans sa monographie très méritante, ce schéma épistémologique. Cf. aussi Tgahrt 1978 : 591-600.
4 Cf. la bibliographie. Pour la génèse et l’édition, op.cit. : 565-570.
5 Cf. Fischer 1987. – L’espace autobiographique (Lejeune) de l’œuvre Borchardtienne est très étendu : il ne comprend pas seulement, dans son centre, plusieurs autres textes autobiographiques au sens stricte du terme, mais aussi une part manifeste de l’œuvre littéraire (Wannsee, Der Durant) ainsi que sa correspondance. – L’auto-image de B. se voit évidemment complétée et relativée par les témoignages les plus divers dont nous avons connaissance et qui ont contribué à nous donner une idée de sa personnalité. – Voir, pour l’aspect théorique de mon approche, Mauser : 1992.
6 B. se considère « heimatlos »/ « apatride » et « allemand »« dans un sens nouveau » et – forcément – positif : Victime de la « nouvelle migration des peuples vers l’ouest », il faisait (déjà en 1906) de nécessité vertu. Il transcend la perte de la tradition (« Deszendenz », « Landschaft »/ « paysage ») par la (moderne) désignation quasi mythique du poète par la nation. » Cf. Brief : 25 ff. Pour sa condition de « sans famille », cf. le poème Wannsee et le touchant témoignage de deux lettres de B., l’une à sa sœur Vera (11/10/1900), et l’autre à son frère Philipp (27/6/1905), in : Tgahrt 1978 : 25 et 21. Cf. aussi Grange 1983 : 46 et 982.
7 B. a peut-être songé à une suite de son autobiographie, mais renoncé, probablement, à ce projet parce qu’il aurait touché des sujets par trop personnels.
8 Cf. Grange 1983 : 977 ff., et Fischer 1987. – L’étemel conflit avec sa famille, la rupture définitive avec le père, la fameuse « crise totale », l’interruption des études, la fuite de l’Allemagne/les voyages, la découverte de son origine juive : tout cela forme, à mon avis, un nœud des années 1901/02, difficile à dénouer sans l’appui des écrits inédits (cf. Ott 1990). Bien que B. se soit toujours considéré allemand de souche et d’esprit et qu’il n’existe, selon Grange (981), aucun document de toute la famille B. prouvant un éventuel « complexe d’infériorité juif », B. a dû souffrir secrètement de son inattendu et « inexorable » dédoublement. Dans un passage, à ma connaissance, passé inaperçu jusqu’ à présent de la Lettre à l’éditeur (Brief : 22 f.), il évoque pourtant le souvenir de cette sombre époque de sa vie avec tout ce qu’elle comportait d’ineffable (« unaussprechlich ») et d’inexorable (« unerbittlich »). Clairvoyant, B. s’y plaint de son ambivalence puisqu’effectivement, « tandis que tu t’appelles Allemand, me dis-je, un sang étranger dans tes veines contredit/déchire (« zwiespaltet ») et rend conscient tout désir, toute émotion demeurant inconsciants aux autres. « S’ensuit, de cette conscience de la conscience, celle de sa propre futilité. Et B. de renouer le nœud de sa tragique exclusivité d’enfant et de Juif allemand en évoquant l’enfant « qui comprend les premières apories de sa vie trouvées par lui-même comme sa vraie naissance spirituelle et comme fait décisif ancré de manière durable dans toute son existence. »
9 N’ayant eu connaissance de sa descendence juive qu’à l’Université, ce topos propre à l’enfance ne peut évidemment pas figurer dans l’autobiographie de B. – Voir, pour l’analyse d’un tel trauma protopolitique (vécu et raconté par E. Tolier), Sloterdijk 135 ff.
10 A noter, pourtant, les allusions « littéraires », bibliques, qui confèrent, à ce drame moderne, une consécration mythologique, tout en évoquant, au moyen de ce déplacement (justement pas seulement ornemental) la « préhistoire » juive de B. Entre autres, il est question de l’« enfant de naissance et de destin inconnus », de la menace d’« être sacrifié », d’« entretien avec le Dieu-Le-Père de ce portrait d’Isaac » ainsi que de « transes mortelles », dans l’obscurité, à cause des coups de tonnerre d’une tempête qui finit par éclater. Cf. Vie. 159 f.
11 Comme on va le voir (cf. notes suivantes), B. n’avait pas su « tuer » son père, bien au contraire. Une des ressemblances caractéristiques avec le père était justement – selon Hofmannsthal, ami vénéré de B. – « une ridicule et fatigante anglomanie ». Cf. Schuster 1987 : 156 f.
12 Selon le Treccani, Giuseppe Gaspare M. (1774-1849) parlait couramment « moltissime lingue ».
13 Etrange constellation : à côté de Justinchen (perle et confidente), ne figurent que des personnages ou bien masculins (le père : 90-97, le grand-père paternel : 89 f., le frère de celui-ci : 83-87) ou bien des femmes appartenant au clan paternel, telles que la grand-mère (71-74) et la sœur aînée du père (123-126). Silence complet, cependant, sur la mère et les frères et sœurs.
14 Encore une affinité caractérologique résultant de l’effort du fils à « tuer » le père : aux qualités citées ci-dessus (pathos, discipline), propres au père, correspondent tragiquement les mêmes traits chez le fils. Ce dernier décrit son état à l’époque des études comme « combat » mené « avec un esprit de défi pas toujours clair et rarement avec l’humeur d’un enthousiasme joyeux, la plupart du temps comme aveugle et fourvoyé..., ne [me] comprenant pas [moi]-même et incompréhensible à tous. » (Vie : 63).
15 Cf. Fischer 1987 : 31 ff.
16 Globalement parlant, on pourrait qualifier B. de « Willensmensch », avec toutes les qualités résultant d’une autodiscipline infatigable.
17 Le manque de mesure (« Maßlosigkeit ») est peut-être le trait le plus évident de l’être de B. Cf. son autocritique/apologie à ce sujet dans le Durant (Gedichte : 414-526, en particulier 425 ff.). Quant à « hériter » et/ou « acquérir », B. tient sans doute de son père (commerçant, puis banquier) : Dans un enchevêtrement très significatif des séries sémantiques « commerçant » et « héritier », B. dit que de même que le commerçant-né peut toujours et encore tirer une plus-value de la moindre des choses, il avait, lui-même, des participations à toutes les civilisations du passé, et cela grâce à un héritage direct, dans son cas, à titre d’héritier fait commerçant (des trésors culturels à conserver et à exploiter). Cf. Brief : 23.
18 Eranos-Brief : 119. B. entend, par ce terme, une triple représentativité : comme individu, comme type d’homme et comme appartenant à une civilisation déterminée (= la république des lettres d’Allemagne). Cf. Grange 13.
19 Cf. Briefwechsel 1954 : 76, et Grange 14. Il s’agit de la conviction d’avoir une mission historique à remplir au service d’une Allemagne qui prétend à guider (spirituellement et moralement) l’Europe.
20 Cf. Schöpferische Restauration (Reden : 230-253), crédo idéologique du conservativisme et de l’idéalisme de B. En substance, B. y lance un appel en faveur d’une association de l’élite intellectuelle afin de restaurer l’ancienne grandeur spirituelle et morale de l’Allemagne. Cf. aussi Grange 780 ff.
21 Cf. Reden : 397-429. On ne peut qualifier que de réactionnaire ce discours qui rappelle, à tous les niveaux, celui de la propagande nazie.
22 L’espace traductologique, pour ainsi dire, de l’œuvre Borchardtienne est aussi vaste que l’ espace autobiographique. Je ne peux donner, ici, qu’une sorte de résumé impressionniste appuyant mon image très personnelle et humaine de cet homme de lettres vraiment génial. Cf. aussi Apel 1982 : loc.cit., et 1989 : op.cit.
23 Selon F. Apel (1982), « Sprachbewegung » (« langue en mouvement ») est l’essence-même de toute traduction poétique/artistique.
24 Cf. Adorno 1974 : 63 f. et 89. Ce qui vaut pour B. poète est vrai aussi pour le traducteur B. Pour l’héritage romantique, cf. Wuthenow 1987.
25 Sur ce point, il y a une certaine analogie entre B. et W. Benjamin. Tout autre commentaire nécessiterait une étude spéciale. Pour Benjamin, cf., tout récemment, Hirsch 1995.
26 II est question de l’allemand synthétique (fictif) du Dante deutsch. Cf. Epilegomena zu Dante II : 527, et Dewitz 1971, 1987, Wuthenow 1969, Mancini 1987 et Klesczewski 1994. – Evidemment, B. n’a pas qu’un seul « patron » pour traduire. Sa congénialité déclarée se manifeste parfaitement dans les traductions de textes modernes tel que son Swinburne. Cf. Apel 1900.
27 Cf. Apel 1982 : 153-157, et Ott 1987 (en particulier 306 ff.).
28 Quant aux diverses fonctions psychologiques de la forme/des formes en matière littéraire, cf. Pietzker 1990.
Auteur
Professeur associé à l’Université de Klagenfurt (Autriche), en littératures française et italienne. Il y a soutenu, en 1988, sa thèse d’Etat intitulée Übersetzung von Jean-Paul Sartre und Italo Svevo. S’il offre des cours sur le transfert littérature-film et littérature-musique, sa recherche porte en premier lieu sur la traduction littéraire. Dans ce domaine, il préfère le roman moderne dans la mesure où celui-ci marque une rupture par rapport à l’écriture dite réaliste. Il a publié des articles sur la (re)traduction et réception de Kafka en France, la traduction de Flaubert (Bouvard et Pécuchet) et Queneau (Zazie dans le métro) ainsi que de l’oralité romanesque en allemand.
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