Les dentelliers et la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale
p. 53-63
Texte intégral
1L’étude de la période 1930-1939 à Calais, favorise la connaissance du contexte économique et social dans lequel s’illustre l’industrie de la dentelle avant la Seconde Guerre mondiale. Ces années sont qualifiées de période difficile par Michel Caron dans son ouvrage Les calaisiens et la dentelle 1906-19501. En effet, au début des années 1930, la dentelle de Calais est confrontée aux productions des américains qui ont un parc de 600 métiers Leavers. En 1930 de grosses grèves ont lieu en réaction aux nouvelles lois sur les dentelles votées par le sénat des États-Unis d’Amérique. Les 28 syndicats patronaux et ouvriers s’entendent et lancent des appels à la grève. Le 28 Mars 1930, environ 40 000 personnes se réunissent place Crèvecœur et défilent dans les rues de Calais… Le jour même un communiqué résumant ces manifestations est envoyé au président du conseil André Tardieu.
2Les producteurs américains cherchent à protéger leurs productions locales. Calais exporte beaucoup de dentelles vers les États-Unis. Les producteurs calaisiens veulent garder leur marché d’exportation, ce qui s’annonce plus que difficile avec cette nouvelle donne. En 1929, le krach de Wall Street se répercute sur l’économie calaisienne. Calais, cité de dentelle mécanique souffre du manque d’exportation ! L’industrie de Calais accuse de plein fouet la crise économique américaine, d’autant plus que se renforce la politique protectionniste de l’administration de Washington. Les taxes américaines sur les dentelles mécaniques produites en France sont très fortes : jusqu’à 225 % d’augmentation sur des produits comme la « valenciennes coton » ! Dans ces conditions, l’industrie calaisienne exporte beaucoup moins de dentelle durant cette période. Alors que Nottingham exportait sur l’année 1936-1937 un chiffre d’environ 142 millions de francs, les exportations de Calais atteignaient tout juste 65 millions. L’industrie des dentelles mécaniques du Commonwealth est à cette période sous de bons auspices…
3Toujours durant ces années 30, d’autres pays comme la Colombie, l’Uruguay, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, l’Italie, le Portugal et le Danemark frappent également les exportations de dentelles françaises (et donc calaisiennes) par des mesures douanières en réponse aux taxes dont sont victimes leurs produits respectifs en France. Face à cette situation, Calais doit protéger son industrie, son parc de métiers Leavers, surtout la vente et/ou l’exportation de ces machines. À Calais, il faut gérer les grosses difficultés et les faillites… Dans son édition du 17 décembre 1937, le journal local le Petit Calaisien nous apprend que 250 métiers Leavers ont été vendus à la ferraille depuis 1936 et annonce que 116 machines sont encore vouées à disparaître. À partir de 1919 l’industrie calaisienne a vécu au rythme de l’économie américaine. Les métiers ont dépassé les besoins du marché. Calais est une mono-industrie suréquipée tournée vers le marché dominant des États-Unis.
4Le 15 juin 1936, un accord franco-américain met fin au débat sur les droits de douane, mais il pénalise fortement l’industrie Calaisienne. Fin des années 1936, début 1937, les dentelliers calaisiens notent une reprise de l’activité. Des actions sont effectuées notamment par le député Léon Vincent et par le président de la chambre syndicale monsieur Vermeulen auprès du ministère du commerce. Les grèves de Mai-Juin 1936 ne seront pas suivies sur Calais car patrons et ouvriers se mettent vite d’accord sur les salaires et congés payés. Chacun veut profiter de cette reprise de l’activité. En 1938, les ventes de dentelle atteignent 110 millions de francs. L’activité reprend, en témoigne la société Tiburce Lebas qui développe un nouveau fil appelé « lastex ». Ses dentelles sont commercialisées dans le monde sous le nom « dentellastex ». En 1939 avant la déclaration du second conflit mondial, il reste 1850 métiers Leavers et 154 fabricants à Calais. Le 27 mai 1940, les armées nazies arrivent et occupent Calais. La ville et son industrie des tulles et dentelle entrent dans la guerre et la résistance.
Les dentelliers sous l’occupation allemande
5Si de nombreuses unités françaises se sont disloquées sous les coups de la guerre éclair « Blitzkrieg », d’autres – notamment les unités professionnelles britanniques et les troupes coloniales françaises – ont opposé une forte résistance à la progression des colonnes blindées et de l’infanterie allemande. Les combats ont été très farouches pendant l’invasion de la région Nord - Pas-de-Calais. Cela a provoqué la réaction violente de certains éléments de l’armée d’invasion – en particulier des régiments SS qui suivaient les divisions blindées – et entraîné une série de massacres de civils et de prisonniers (près de 600 morts dans le Nord - Pas-de-Calais, dans la dernière semaine de mai).
6Les combats de retardement menés sur l’Escaut, à Lille et dans le bassin minier, ont permis l’évacuation des troupes, environ 340 000 soldats britanniques et français à Dunkerque au cours de l’opération « Dynamo » du 26 mai au 4 juin. L’arrivée des nazis dans la région a été marquée par de très violents combats très destructeurs, par une véritable bataille d’anéantissement jusque sur le littoral. Calais est bombardée pendant 15 jours par les Allemands. Le vieux Calais est en ruines, il ne reste que le phare, la tour du guet et l’église Notre-Dame. Le Courgain maritime a disparu. Les armées commandées par le capitaine Vendroux du 100e RI, par le commandant Forgeas du 265e RI, par le commandant Le Tellier et le capitaine de Frégate Loïc se rendent. Parallèlement à l’invasion nazie, le Nord de la France a été touché par un fort exode de population se précipitant vers le sud (dans la Marne, la Nièvre, la Côte d’or) pour tenter d’échapper à cette nouvelle occupation. En quelques jours, la vie économique et sociale de la ville de Calais s’est effondrée.
L’arrêt de la production chez les dentelliers et les pertes économiques
7Calais est complètement désorganisée après l’invasion des forces nazies. Beaucoup d’usines ont des vitres brisées, plus de téléphone, de courriers, de transports. Des fabricants, des ouvriers de la dentelle, des marchands de fils ont fuit devant l’arrivée des Allemands vers d’autres régions françaises, jusque dans le sud de la France. Les métiers pourront-ils tourner pendant l’occupation ? La chambre syndicale des fabricants de tulle et de dentelle représentée par Louis Caron et Edouard Poret, envoie très vite (dès le 18 juin 1940) un rapport sur l’état de l’industrie et les possibilités de remise en route à la sous-préfecture de Boulogne-sur-Mer. Il s’agit d’assurer la vie quotidienne des ouvriers et patrons. Il faut à chacun un emploi, un salaire pour vivre.
8Le rapport de la chambre syndicale détaille que les producteurs de dentelle ne possèdent que peu de stock de matière première, 25 à 30 tonnes. Il en faudrait au moins 80. De nombreux problèmes doivent être résolus. Il faut des matières premières, de l’énergie, de la main-d’œuvre, des moyens de transport et surtout des clients. Il y a en plus le couvre feu, les restrictions d’énergie (charbon) imposée par l’occupant, l’occultation des lumières la nuit et les bombardements alliés. Quand on sait que la dentelle est une industrie exportatrice à 85 voir 90 %. Le 1er août 1940, les fabricants de dentelle sont informés par voie de presse que pour le maintien en bon fonctionnement des métiers, ils sont autorisés à les faire tourner une demi-journée par semaine par leurs anciens ouvriers répertoriés au titre de « sans travail » ou « secouru ». Tous les carnets de commande sont arrêtés. Les clients étrangers ne peuvent être livrés des commandes en cours.
9Le 26 août c’est au tour des teinturiers et apprêteurs de reprendre l’activité durant quelques jours, suivant les besoins. Une reprise d’activité après trois mois complets d’arrêt mais les conditions économiques difficiles ne permettent pas une reprise sereine. Il faut de l’argent pour payer la teinture, les matières premières, le travail des ouvriers tullistes ! Les commandes sont fortement compromises !
10La région Nord - Pas-de-Calais est rattachée au commandement de Bruxelles. Ce commandement militaire érige le nord de la France en entité économique autonome, c’est-à-dire que l’Allemagne met en place des programmes de production dès décembre 1940. Les nazis vont faire main basse sur l’économie, les ressources et la force de production de la région. Ils vont diriger l’ensemble des productions. Le gouvernement de Vichy est mis de côté. C’est donc l’OFK 670 qui dirigera les affaires à partir des Warenstellen2 qui veillent à la production et aux stocks. La Warenstelle sur le textile est officiellement mise en place le 12 août en présence d’un envoyé spécial du ministère du Reich de Berlin. Ceci signifie que les industriels calaisiens se fournissant dans les grandes filatures de Lille Roubaix Tourcoing vont avoir de plus en plus de difficultés pour obtenir des matières premières. Trouver du fil ne sera pas chose aisée. Les nazis confisquent, réquisitionnent, forcent à la vente. Ils placent sous séquestre les stocks comme la laine, les matières premières, le fils, dès le 20 mai 1940. Les dentelliers utiliseront toutes les matières premières, les fils stockés dans les ateliers des filateurs et dans les dépôts de marchandise de la ville.
Le problème de la main-d’œuvre
11À Calais les tullistes sont en nombre suffisants, ou juste suffisants. Par contre il y a une pénurie de jeunes personnels masculins, en particularité les wappeurs et remonteurs. Un rapport en mai 1942 compte 1293 ouvriers restant à la dentelle. Ce manque de main-d’œuvre s’aggrave dès le 16 février 1943, le ministère de Laval très dévoué aux nazis instaure le STO : Service du Travail Obligatoire, qui envoie les ouvriers qualifiés vers les industries allemandes. Les ouvriers de la dentelle ne sont pas épargnés par cette politique mise en place par l’occupant. Les ouvriers calaisiens qui ne sont pas partis travailler en Allemagne, sont eux envoyés « au béton ». C’est-à-dire qu’ils sont réquisitionnés pour la construction du mur de l’Atlantique, les batteries Todt et Lindemann sur nos côtes. « Aller au béton », c’est ne pas partir en Allemagne, rester chez soi. L’activité de la dentelle étant réduite en production, on peut se dire que de nombreux ouvriers de cette industrie sont touchés par le chômage, ils vont « au béton » afin de percevoir un salaire pour vivre. Les réfractaires risquent de 3 à 5 mois de prison et des amendes… Le 18 juin 1943, les jeunes gens âgés de 21 à 23 ans sont convoqués à l’usine Noyon pour la visite médicale, en effet un convoi doit partir deux jours plus tard. Sur 554 jeunes convoqués, seul 144 se présentent.
Des destructions d’usine et de matériel avec les bombardements
12Les combats ont été très fournis pour la prise de Calais. Durant toute la période d’occupation, la ville de Calais sera visée par des bombardements anglais. Les usines de tulle concentrées dans le quartier de Saint-Pierre seront durement touchées. Une usine de dentelle brûle vite. En effet, son infrastructure avec l’emploi de bois pour les planchers, les charpentes, la présence de graphite et surtout d’huile sur ces planchers sont autant d’éléments aggravant lors de bombardements et d’incendies. L’usine Vampouille et Duquesnoy, située rue des Quatre Coins fut totalement incendiée le 15 septembre 1940 lors de l’un des premiers bombardements anglais. Le mardi 9 décembre 1941, l’usine Cacheux et les bureaux sont saccagés, à leur tout, par un très gros bombardement. Quand les usines de tulle ne brûlent pas, ce sont les vitres qui souffrent à cause des bombardements. Le 13 janvier, les vitres de l’usine Leuliette volent en éclat. Là se pose le problème de l’entretien des métiers Leavers, dont les grands ennemis sont le froid, l’humidité et la pluie. Dans ces conditions, les chariots, les plombs de pointes et de « combs » rouillent, on ne peut plus enlever les chariots et bobines ; les pièces du Jacquard avec les « droppers » sont également dans le même état.
13Calais est occupée par les nazis qui se sont établis dans en ville. Ils ont construit des blockhaus en centre ville, dans le quartier Saint Pierre, comme en témoigne le bunker de la rue de Vic à côté de l’institut Pigault Lebrun (actuel collège République). À la libération, les usines à tulle, de grands bâtiments industriels repérables grâce à leurs cheminées (pour le fonctionnement des machines à vapeur) sont sans doute des repères faciles pour les bombardiers alliés qui lancent leurs bombes sur le centre de Calais. Le 26 juin 1944, 200 quadrimoteurs bombardent la ville, le lendemain ils seront 342, et le 28 juin 194 avions bombardiers seront dans le ciel calaisien. Parmi toutes les usines touchées, l’usine Tourneur, rue du Temple sera entièrement détruite par le bombardement et l’incendie, comme l’usine Debray. L’usine Topham-frères qui servit de cantonnement aux Allemands sous l’occupation, fut bombardée, l’incendie durera 3 jours. En septembre 1944 l’usine Détant-Delplace brûle suite aux bombardements, comme l’usine Duchêne, rue du Pont Lottin détruite également. L’usine Noyon est également sinistrée, surtout ses bâtiments lors d’un bombardement de diversion des Alliés pour laisser croire au débarquement sur les côtes du Pas-de-Calais. L’usine de fabrication de métiers Leavers Quillet payera également ce lourd tribu et ne reprendra pas son activité après la guerre. Jacques Vendroux, maire de Calais entre 1944 et 1945 interviendra auprès de l’état major allié pour que cessent les bombardements qui détruisent inutilement notre ville. Le 27 février 1945 vers 17 h, une erreur de la RAF, prenant la ville de Calais pour Dunkerque, aggrave encore plus les destructions et en particulier dans la rue du Four à Chaux. C’est le quartier des usines de dentelle, qui est écrasé sous les bombes. On dénombre 127 morts suite à ce bombardement.
14À la fin de la seconde guerre mondiale, Louis Caron, Président de la chambre syndicale des fabricants de dentelle, déclare qu’il reste 1369 métiers Leavers dont 312 détruits. C’est une diminution de 793 métiers depuis 1939.
Une production dirigée par les nazis, pour les besoins allemands
15À partir du mois d’août 1940, les débouchés ne peuvent plus être que parisiens, chez les grossistes, les grands magasins et couturiers. Les acheteurs de dentelle doivent être en possession d’une carte d’acheteur délivrée par le gouvernement français. Une petite activité va renaître et se maintenir le temps de la guerre. Mais l’approvisionnement en matière première est irrégulier. La fabrication est confinée aux seules matières synthétiques fabriquées en France : rayonne et fibranne. C’est un ersatz3.
16La rayonne et la fibranne sont allouées selon des contingents fixés par le comité d’Organisation de l’industrie textile, en quantité très insuffisante bien sûr ! Les dentelliers reçoivent du coton, mais exclusivement pour deux commandes précises venant du Reich : le tulle moustiquaire et le tulle « vitrex ». Le tulle moustiquaire est produit pour l’armée nazie entre octobre 1941 et octobre 1942, pour la Wehrmacht… sans doute pour la campagne de l’Afrikakorps4. 59 producteurs de dentelle sont concernés par cette production, pour un montant global de 7 millions de francs. Le coton est fourni par la centrale des textiles de Lille. À partir de fin 1942, janvier 1943, 112 ateliers fabriquent toujours en coton, un tulle à maille carré pour la société « vitrex ». Composé d’un enduit vitrifié, il peut remplacer les nombreuses vitres brisées par les bombardements alliés qui se multiplient. Les métiers calaisiens ont produit 5 tonnes de tulle vitrex soit environ 190 000 mètres carrés, en valeur 4 126 388 francs.
Les actions de résistance
17La résistance à l’occupant nazi dans le Nord - Pas-de-Calais entre 1940 et 1944 s’inscrit dans une double continuité. La première a un caractère historique. Il s’agit d’une région deux fois occupée (guerre de 1870 et 1914-18). La seconde a davantage un caractère géographique. Le commandement des deux départements est fait depuis Bruxelles dès juin 1940 ce qui préfigure aux habitants de la région une annexion à l’Allemagne nazie. En réaction à ces deux éléments, la région Nord - Pas-de-Calais cultive une tradition de forte résistance.
18L’un des réveils de la résistance voit le jour grâce à une organisation civile et militaire encadrée par d’anciens militaires : officiers, sous-officiers de la 1re guerre mondiale. En région Nord - Pas-de-Calais, la Résistance compte un grand nombre de réseaux : réseau Sylvestre, les FTP (francs tireurs et partisans), des groupes structurés plus actifs sur les sabotages et attentats, puis la Voix du Nord, LibéNord5. Avec une grande diversité politique représentée par des gaullistes, des démocrates chrétiens, des socialistes, des communistes, dès 1940, on compte des actes de résistance partout dans la région : sabotages divers et variés, hébergements de soldats fugitifs, transmissions d’informations aux forces alliées… Face à cela, il est à noter qu’à Calais, la surveillance de la population est effectuée par la GFP 7166 ou la SD7 qui agissent et enquêtent contre les résistants et leurs réseaux. Il y a également la Kriegmarine au port.
19Les actions de résistance dans le monde des dentelliers sont nombreuses à partir de 1940. Au cœur de celles-ci figurent des hommes et des réseaux.
Des hommes et des réseaux
20À Calais, nous pouvons citer trois réseaux importants : le réseau Jean de Vienne, l’OCM (organisation civile et militaire) avec Paul Caron et le réseau PAT (Pat O’Leary). À partir de juillet 1940, à Calais, se constituent des organisations locales qui n’ont pas pu se fondre dans un groupement plus important et ramifié.
21Le réseau « Jean de Vienne » porte le nom du gouverneur de Calais en 1345 qui a tenu tête aux troupes du roi d’Angleterre Edouard III. À Calais, il y a un fort héritage britannique avec des bourgeois, des ouvriers du tulle d’origines anglaises plus ou moins proches. Certains parlent anglais, ce qui sera d’une précieuse aide pour la transmission d’informations aux alliés ou pour dialoguer avec les aviateurs. Le fondateur du réseau Jean de Vienne est Marcel Féty, commissaire aux RG (Renseignements Généraux). En effet, averti par les difficultés des familles calaisiennes hébergeant des soldats, un comité est créé pour les soutenir. Un groupe clandestin d’environ 40 volontaires calaisiens avec des hommes et femmes de la dentelle met au point une chaîne d’évasions pour les aviateurs anglais tombés sur Calais. Les premières évacuations se font par le chemin de fer, cependant ce mode de déplacement est fortement surveillé. C’est à bicyclette que se fait le parcours pour passer Abbeville (la ligne de la Somme), puis Paris et Bourges pour franchir la ligne de démarcation. Après 1941 ce réseau est décimé, il a été dénoncé. Sur les 150 personnes de ce réseau, 6 seront fusillées, 21 déportées, 13 internées en France. Les survivants du réseau intègrent le réseau « Pat O’Leary ». Un autre réseau existe, celui de Gaston Berthe, nous en parlerons avec les acteurs de la résistance.
Des actions de résistance
22Quel genre d’action faut-il mener pour être résistant ? Tracer des V sur les murs, saboter des réseaux téléphoniques, électriques, cacher des aviateurs, trafiquer des armes ? Ces actions de résistance permettent d’évoquer de brèves biographies de personnages liés au monde textile dentellier.
23FAGUER Jacques (1906-1940 au Petit-Courgain),
24Ingénieur à la soie artificielle et animateur d’un groupe de scoutisme, il est chef d’une batterie de DCA aux Quatre-Ponts. Le 25 mai 1940 lors de l’arrivé des nazis, il est tué en poste lors des affrontements, et André Culié est blessé à ses côtés. Son frère, l’abbé Gabriel Faguer, sergent-chef, sera tué trois semaines après lui.
25DUTARTE Eugène (1900-1940, Bacqueville-en-Caux),
26Devenu lieutenant de l’Armée de l’Air à vingt cinq ans, il est fabricant de broderies rue des Fontinettes, et demeure rue du Bout des Digues. Président de l’Aéroclub de Calais, il est formateur des jeunes aux métiers de l’aviation. Pendant la « drôle de guerre », il participe à des missions d’observation aérienne. Mitrailleur arrière, il est abattu par la chasse allemande le 5 juin 1940 dans le ciel de Normandie.
27BERTHE Gaston (1889-1952),
28Élève de l’institution Saint-Pierre, il s’engage à l’hôpital militaire pendant la guerre 14-18. Il devient ensuite fabricant de tulles rue Deneuville, ses bureaux sont situés rue de Vic, il demeure rue Descartes. Il s’engage dans la Résistance à partir de 1940.
29C’est d’une résidence secondaire au marais de Balinghem, qu’il organise un réseau d’évacuation pour les aviateurs alliés tombés dans le Calaisis. Son premier acte de résistance est de ravitailler pendant plusieurs semaines une quinzaine de « Tommies » qui s’étaient réfugiés dans la maison de sa belle sœur, rue Descartes.
30Surnommé le « Père tranquille de la Résistance », il entre dans le réseau de résistance nommé Pat O’Leary. Il organise plusieurs évasions. Il est arrêté le 12 avril 1943, interné à Loos puis en Belgique à Louvain. Il est ensuite déporté en camp de concentration à Nieder Oden en Allemagne. Physiquement très affaibli, il revient d’Allemagne deux ans plus tard, le 15 avril 1945. Il devient le Président des anciens résistants et déportés. Révélant son patriotisme et son courage sous l’occupation, il est décoré de nombreuses décorations anglaises, américaines et belges, Gaston Berthe est l’un des rares Calaisiens décoré de la Légion d’honneur aussi bien à titre civil qu’à titre militaire. Ses autres décorations outre la Légion d’honneur : la croix de guerre 39-45, la médaille de la Résistance, la médaille de la reconnaissance française, chevalier du Mérite national, officier de l’Académie, décoré de la Medal of Freedom et de la King’s Medal for Courage and the cause of freedom. Élu maire de Calais, en 1947, il succombe à un infarctus en cours de mandat. Ses funérailles sont les plus imposantes célébrées à Calais depuis celles des marins du Pluviôse.
31BERAET Abel, (1916-1944, au fort de Bondues),
32Demeurant rue Lamartine puis rue du Paradis, Abel Béraet est perceur de cartons à la maison Lipers puis employé à la sucrerie de Pont-d’Ardres. Fait prisonnier à Dunkerque, il s’évade et rentre à Calais. Résistant dans le réseau Jean-de-Vienne et dans celui de Gaston Berthe, il aide à évacuer les aviateurs alliés vers la zone libre. Il est exécuté le 6 janvier 1944 avec Fernand Charbonnier et Sidney Brown.
33BERAET Henri (Calais, 1895-1943, au fort de Bondues),
34Il s’engage à dix-neuf ans dans la Grande Guerre. Blessé et gazé, il termine comme radio. Dessinateur en broderie, il donne des cours de radio à l’Aéroclub de Calais. Demeurant au Pont-du-Leu, il est de nouveau mobilisé en 1939. Rendu à la vie civile, il ne tarde pas à s’engager dans la Résistance. Devenu opérateur de cinéma au Théâtre des Arts après son emploi dans la dentelle, il envoie inlassablement les messages radio du réseau Jean-de-Vienne à Londres où son fils René a rejoint les Forces Françaises Libres. Hébergeant chez lui des aviateurs britanniques, il en assure le transfert en zone libre.
35Le 6 novembre 1942, toute la famille Béraet est arrêtée et transférée à la prison de Loos. Si Jacques et Jeannine sont acquittés trois mois plus tard, leurs parents restent en prison. Henri Béraet est fusillé le 27 août, en même temps que d’autres agents du réseau Jean-de-Vienne. Son épouse, Jeanne Fourchelot, sera ensuite déportée en Allemagne d’où elle reviendra, très affaiblie, au printemps de 1945. C’est alors seulement qu’elle aura confirmation de la mort de son époux.
36REANT Philéas (1890-1943, en déportation),
37Industriel teinturier apprêteur de la rue Van Grutten, associé d’Edmond Bellier, il est résistant dans le réseau de Gaston Berthe. Lui aussi s’active à l’évacuation des aviateurs anglais. Arrêté le 21 février 1943, il est interné à Loos. Son réseau ayant été pénétré par un agent de l’Abwehr8. Condamné aux travaux forcés, il est déporté en Allemagne et disparaît au camp d’Esterwegen en Basse-Saxe.
38QUEVAL Henri (1874-1943, Arras),
39Combattant de 14-18 à Verdun, dans la Somme où il finit sergent, Henri Queval est tulliste rue Archimède. Gymnaste, il est président de l’Étoile. Entré dans la Résistance, alors qu’il est déjà sexagénaire, il se sert de l’usine Gaillard pour abriter les aviateurs alliés et cacher des armes. Tous les membres du groupe Étoile sont arrêtés en février 1943. Il est interné à Loos, Condamné à mort, il décède d’un arrêt cardiaque lors de son transfert en cellule.
40SHARP William (Douvres, 1893-1943, Bondues),
41Engagé dans l’armée des Indes à dix-sept ans, il revient en Europe en 1914. Brûlé au combat à Ypres, il est rapatrié en Angleterre. Il s’établit à Calais, s’y marie en 1919, et devient contremaître à l’usine de la Soie artificielle. Naturalisé français, il est mobilisé en 1939 et combat à Dunkerque.
42Rentré à Calais, où son épouse a été tuée, il sert probablement d’agent de renseignements pour les Services Secrets britanniques. Contacté par Gaston Berthe, il est agent de liaison pour aider à cacher et évacuer les aviateurs britanniques abattus dans le Calaisis. Arrêté le 3 novembre 1942, il est interné à Loos où, en raison de ses origines britanniques, toutes visites de ses proches lui sont refusées. Il est fusillé le 27 août 1943.
43PUIS Pierre (Watten, 1903-1943, Bondues),
44Employé communal de la rue Michel-Ange. Blessé dans la bataille des Ardennes en mai 1940, il rentre à Calais et s’engage dans la résistance derrière Gaston Berthe qui organise l’évacuation des aviateurs britanniques abattus dans le Calaisis. Arrêté chez lui, le 29 octobre 1942, il est interné à Loos puis fusillé, le 27 août suivant, avec les autres membres du réseau Jean-de-Vienne : H. Beraet, M. Follet, A. Huyghes et W. Sharp.
45LELONG Gaston (1924-1944, fort de Breendonck, Anvers),
46Contremaître dans une usine, demeurant quai du Commerce, il est membre des F.T.P. qui organisent des actions de résistance et des attaques à main armée dans le Boulonnais, il assassine le journaliste collaborateur Henry Gross en septembre 1943. Trois mois plus tard, il est arrêté en gare de Saint-Omer, et interné à Loos. Il est pendu le 3 mars.
47CHARBONNIER Fernand (1912-1944 au fort de Bondues),
48Contrôleur des PTT, il demeure rue Gaillard. Mobilisé en 1939 et fait prisonnier, il parvient à s’évader. Rentré à Calais en octobre 1940, il devient membre du réseau de résistance de Gaston Berthe, il cache chez lui des aviateurs britanniques abattus. Arrêté à la fin de 1942 dans le bureau de poste du boulevard Gambetta, il est emmené à Loos et exécuté après treize mois d’internement.
49CARON Louis,
50À la tête de la chambre syndicale des producteurs de dentelle, il défend la fabrique devant les administrations française et nazie. Fin 1943, il sauve les machines Leavers. En effet, l’autorité allemande est à la recherche de métaux non ferreux. Les fabricants de tulle risquent de se faire réquisitionner et détruire l’ensemble des bobines, des plombs de combs et de pointe des métiers. Ce geste ruinerait définitivement Calais et sa dentelle une fois la paix revenue.
51Au-delà des actions de ces résistants, actifs, il existe d’autres exemples plus passifs que nous offrent quelques précieux témoignages, ainsi celui de madame Gore, épouse de Louis Ségalas. Louis Ségalas producteur de dentelle à Lyon a produit dans les années 1942 à la foire de Lyon sur un métier d’échantillonnage de marque Johnson (peut-être celui exposé à la CIDM) une dentelle bleu blanc rouge sur laquelle il était inscrit « vive la France ». Il s’agit là encore d’un acte de résistance.
52À partir du début de l’année 1944, une évacuation de la zone du Calaisis est mise en place. Les réfugiés partent vers la Nièvre, vers la Marne. 19 000 calaisiens sont évacués… Au final il reste 25 000 personnes à Calais. En octobre 1944, la ville est libérée de l’occupation allemande. Cependant les très nombreux bombardements des forces alliées et canadiennes ont causé d’importants dégâts, en partie à l’industrie, aux usines. Les Calaisiens évacués en février et mars 1944, ainsi que ceux éloignés depuis mai 1940 reviennent dans la ville peu à peu.
53Les résistants déportés qui ont survécu au régime nazi reviennent à Calais. Un de ces résistants Gaston Berthe, sera élu maire SFIO avec une très faible majorité en 1947. Il dirigera difficilement avec une assemblée municipale instable. Son mandat est marqué par le retour des corps des combattants tombés pendant la guerre. Calais va se relever de ces ruines et relancer son industrie des tulles et dentelles.
Notes de bas de page
1 Michel Caron, Les Calaisiens et la dentelle (1906-1950), sous la direction d’Alain Lottin et Stéphane Curveiller, Collection Terres Septentrionales de France, Éditions Le Téméraire, La Sentinelle, 1995.
2 Offices de marchandises.
3 On utilise des produits de remplacement, un « sous-équivalent », de moindre qualité...
4 Erwin Rommel le dirige, de janvier 1941 à mai 1943, il est composé de 45 000 hommes et 250 chars.
5 Dejonghe Étienne et Le Maner Yves, Le Nord - Pas-de-Calais dans la main allemande 1940-1944, Lille, Éditions de La Voix du Nord, 2002.
6 Geheime Feld Polizei.
7 Sicherheitsdienst.
8 L’Abwehr est spécialisé dans la lutte contre la Résistance intérieure et extérieure.
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Youri Carbonnier, Stéphane Curveiller et Laurent Warlouzet (dir.)
2019
Deux siècles de caricatures politiques et parlementaires
Pierre Allorant, Alexandre Borrell et Jean Garrigues (dir.)
2019