Chapitre 7. Valery Larbaud, traducteur zélé, théoricien dilettante
p. 207-235
Texte intégral
1Combien d’étudiants anglicistes connaissent le nom de Valery Larbaud ? Peu sans doute ; tout au plus certains connaissent-ils l’auteur de Fermina Márquez, mais savent-ils le rôle qu’il joua dans l’introduction en France de Samuel Butler et de James Joyce, pour ne citer que deux grands noms ? C’est peu probable, dans la mesure où l’enseignement de la littérature (lorsqu’il ne s’agit pas de littérature comparée) nous présente le plus souvent les œuvres sans trop se préoccuper de ceux qui en ont assuré le passage d’une culture à l’autre. Cette ignorance ou ce silence qui entourent l’action des découvreurs sont très révélateurs de la méconnaissance que l’on a du travail (au sens le plus fort du terme) des traducteurs. Ce comportement caractérise doublement la situation de Larbaud dans le monde des lettres dans la mesure où il fut tout autant découvreur que traducteur, ne se contentant pas de traduire, mais assurant par des études et des articles la diffusion des œuvres qu’il aimait et voulait faire connaître.
2La vie de Larbaud fut placée sous le signe du voyage, de l’ouverture à l’autre, et la générosité de son cosmopolitisme n’éclate peut-être nulle part ailleurs mieux que dans « La chartreuse de Grenade » (Larbaud 1946 : 311), où il déclare :
On voit qu’il ne s’agit pas seulement d’expurger les manuels d’histoire et d’en faire disparaître « tout ce qui éveille la haine de l’étranger », mais qu’il convient aussi d’y introduire des précisions à présent jugées inutiles, et des faits que l’on a passés sous silence. Et cela revient à dire que l’enseignement, dans tous les pays européens, devrait s’attacher à donner aux enfants et aux jeunes étudiants des tableaux aussi complets que possible de la vérité historique.
Texte engagé, prophétique même, qui laisse paraître l’importance de la veine didactique chez Larbaud (ibid. : 310) :
[...] on ne peut qu’être partisan de tout ce qui tend à donner aux hommes une vue plus exacte du passé et des intérêts de la société qu’ils forment, et la notion de son unité fondamentale. Pour commencer, l’étude d’un Manuel d’Histoire européenne et américaine impartial et basé sur l’idée d’unité politique [...] pourrait conduire à cette notion d’unité un grand nombre d’écoliers et leur donner en même temps un sens plus réaliste de l’histoire et un idéal politique beaucoup plus élevé que ceux qui inspirent et faussent actuellement les manuels d’histoires nationales qu’on met entre leurs mains.
Cette quête de l’unité et ce souci de « découvrir » les qualités de l’« autre » sont sans aucun doute coextensifs à la passion de traduire qui fut celle de Larbaud au point, selon certains, de s’y perdre, ce qui ne serait vrai que si l’on percevait la traduction uniquement comme un néant.
Quelques repères biographiques
3On ne saurait, bien entendu, relater une vie toute entière dans un espace si restreint ; il s’agit plutôt de fournir quelques repères majeurs et de situer l’implantation de cette intense activité de traducteur, de découvreur et de critique, dans la carrière d’homme de lettres raffiné et généreux qui fut celle de Larbaud.
4Né le 29 août 1881 à Vichy, il est d’emblée placé sous le signe de l’aisance qui va lui permettre de consacrer la totalité de son temps aux voyages, à la littérature, à l’écriture. Son père Nicolas Larbaud était le propriétaire de la source Saint-Yorre, et sa mère, Isabelle Bureau des Étivaux, était issue d’une vieille famille huguenote du Berry. Le père de Larbaud meurt en 1889, alors que l’enfant a huit ans. Cette disparition le place plus nettement encore sous la coupe d’une mère déjà très influente. Il est indéniable qu’elle joua un rôle déterminant dans la naissance de son cosmopolitisme et l’éclosion de sa carrière d’homme de lettres.
5Jusqu’à son accident de 1935, la vie de Larbaud est placée sous le signe des voyages et des contacts avec l’étranger. Dès son plus jeune âge, il accompagne sa mère à Genève et dans les villes d’eau. En 1895 – il a alors quatorze ans –, à l’occasion du carnaval de Nice, il découvre la Provence, la Côte d’Azur et l’Italie de la frontière. Les vacances de Pâques 1897 sont l’occasion de traverser la France et de faire une incursion en Espagne ; ce premier contact sera approfondi en 1898 par un voyage plus conséquent. Pour le récompenser de son admissibilité au baccalauréat, la même année, sa mère lui offre un tour d’Europe : Belgique, Allemagne, Russie, Turquie, Autriche. L’année suivante, ce sera le tour de l’Italie. Ces déplacements marquent le début d’une ouverture au monde, qui nourrira l’œuvre de souvenirs et qui de plus en plus déclenche des phénomènes d’écriture et s’accompagne d’une curiosité linguistique et culturelle qui trouvera souvent son expression dans la traduction.
6L’attrait pour la littérature est perceptible très tôt chez cet enfant fragile qui ne tarde pas à manifester le goût d’écrire. Sa mère l’encourage et elle fait même publier à ses frais, chez Simon Fumoux à Cusset, en 1896, une première plaquette de poèmes : Les Portiques. Cette double relation à la lecture et à l’écriture est assortie d’un indéniable intérêt pour les langues. Larbaud commence à apprendre l’anglais à Vichy, il y ajoute l’allemand et le latin au collège de Fontenay-aux-Roses, dont l’atmosphère imprégna plus tard Fermina Márquez. Après son baccalauréat, Larbaud tente d’obtenir son émancipation légale et entre à Louis-le-Grand. Il découvre le goût de la rébellion, la fugue... et Walt Whitman. La traduction pénètre dans la vie de Larbaud avec le désir de rendre les vers de cet Américain. La traduction se marie à l’écriture personnelle lorsqu’en 1900, par un subterfuge classique, il présente comme traduite du grec une comédie, pastiche d’Aristophane, Les Archontes ou la Liberté religieuse. On peut dire que la traduction prend sérieusement sa place avec la publication, à ses frais, en 1901, de sa première version de The Rhyme of the Ancient Mariner, édition bilingue, qu’il retravaillera pour la publier à nouveau dix ans plus tard.
7L’année 1901 est un véritable tournant dans la vie de Larbaud. Elle voit la fin de ses études secondaires : il obtient son baccalauréat de philosophie et s’inscrit en licence de langues étrangères à la Sorbonne. Il commence à traduire de façon sérieuse et à publier ses traductions. Il entreprend divers projets de composition littéraire et commence à écrire pour une revue, La Plume. Larbaud sera ensuite codirecteur de deux revues auxquelles il fournira régulièrement traductions et articles : Commerce, qui parut de 1924 à 1932, et La Revue Européenne, de 1923 à 1931.
8Le canevas de sa vie est tracé. Elle va ainsi se dérouler entre Vichy, Paris, l’étranger ; entre les rencontres dans les milieux littéraires, des compositions personnelles variées : poèmes, romans, essais, critique et, toujours, la traduction, omniprésente, au détour des lectures, de contacts avec des auteurs, des pays, des univers. La curiosité de Larbaud pour l’œuvre des autres lui a fait, aux yeux de certains, accomplir les prophéties de Du Bellay et Montesquieu : la traduction l’aurait empêché de mener à bien son œuvre personnelle. Mais ce serait sans doute avoir une vue bien traditionnelle et méprisante de la traduction que de ne pas considérer qu’elle est un acte qui a sa place dans la « république des lettres » et que, dans le cas de Larbaud, elle constitue véritablement une œuvre.
9En août 1935, alors qu’il séjourne dans son appartement de la rue du Cardinal-Lemoine, Larbaud est terrassé par un accident cérébral qui le laisse partiellement aphasique.
10À partir de cette date, pendant près de 22 ans, malgré les soins dont il est l’objet et une certaine amélioration de son état, Larbaud n’est plus que l’ombre de lui-même. Pendant un temps, il continue de se partager entre Paris et Vichy, mais, à partir de l’Occupation, il se fixe définitivement dans le Bourbonnais, où il alterne les séjours entre sa propriété de Valbois en été et Vichy l’hiver.
11C’est l’époque des hommages, de la publication de quelques inédits et surtout des Œuvres complètes entreprise chez Gallimard par Georges Jean-Aubry en 1950. Mais l’on peut dire qu’à partir de sa maladie, Larbaud a arrêté toute entreprise de traduction et de composition littéraire. La seule manifestation de son activité passée de traducteur, de « penseur de la traduction », est la publication, en 1946, de Sous l’invocation de saint Jérôme, qui réunit pêle-mêle un projet ancien, des notes sur la traduction et un tas d’autres choses.
12Son état de santé se détériore dès 1956 et il décède le 2 février 1957 à Vichy.
Le traducteur et le découvreur zélé
13De 1899 (où il découvre Whitman) à 1934 (où il révise sa traduction de Moglie del Sado de Gianna Manzini), Larbaud n’a cessé de traduire ou d’inciter les autres à traduire. Certaines de ces traductions portaient sur des textes courts et ont été publiées dans les revues Commerce, La Phalange et la N.R.F. (textes de Francis Thompson, R.L. Stevenson, Landor, Chesterton, etc.). D’autres parurent dans des collectifs (comme le Whitman) ou de manière individuelle. Trois littératures ont eu particulièrement sa faveur : l’anglaise, l’espagnole et l’italienne.
1. Le domaine anglo-saxon
14L’Amérique est d’abord là, présente, avec Whitman, et puis surtout l’Angleterre et, enfin, l’Irlande, avec Joyce. La relation de Larbaud à la langue anglaise et aux littératures anglo-saxonnes est très forte, viscérale même, puisqu’il alla jusqu’à rédiger, de 1912 à 1919, une partie de son journal en anglais :
Spanish was the first foreign language of which I knew something, and I have spoken it for months together; some of the most important and decisive talks, conversations, etc., I have had in my life have been carried on in Spanish, and I am constantly speaking it at home – and yet I cannot translate any literary work from Spanish into French. This is due to two causes: I have never studied any classical writer and know very little of Spanish classical literature; and then: I never think in Spanish. While I have studied such writers as Addison, Dr. Johnson, Shakespeare, S. T. Coleridge and W. S. Landor (but especially Addison); and I continually or almost continually, think in English (Larbaud 1955 : 95)
15Larbaud fut, entre autres, un angliciste passionné. Il passe en novembre 1907 sa licence de langues (anglais-allemand) et inscrit une thèse sur Landor. La thèse ne sera jamais soutenue, mais Landor sera l’objet d’études suivies, et Larbaud publiera, en 1911, une traduction partielle de High and Low Life in Italy. Ses séjours en Angleterre sont nombreux : premier voyage en 1902, qui lui inspire des poèmes ; séjour plus long en 1907 autour des deux sessions de sa licence ; nouveau séjour, plus long encore, en 1909, qui lui inspire un volume d’impressions, Le Cœur de l’Angleterre et des Notes sur Stratford. L’Angleterre nourrit son œuvre, elle est aussi un lieu de rencontre avec d’autres écrivains, lieu d’étude et de travail de traduction. Mais c’est un peu partout que Larbaud découvre et étudie les auteurs sur lesquels il propose des articles aux revues ; et les traductions s’effectuent aussi au long des voyages tout autant qu’au cours de ses périples anglais.
16Larbaud ne cesse de publier des articles sur des auteurs anglais (en particulier dans La Phalange et la N.R.F.) : « Les Dynastes de Thomas Hardy », des notes de lecture sur deux romans de H.G. Wells : Tono-Bungay et Marriage, des études sur William Ernest Henley, etc. Une sélection de ces écrits sera reprise dans Ce vice impuni, la lecture. Domaine anglais (1936).
17Nous avons vu que sa carrière de traducteur d’œuvres anglaises était née sous le signe de Coleridge, pour s’affirmer avec des fragments de Landor et quelques essais de G.K. Chesterton. Sa rencontre avec Arnold Bennett à Cannes, en 1912, lui donne l’envie de traduire une de ses nouvelles, The Matador of the Five Towns, et de rédiger un articulet sur un de ses manuels : Literary Taste. Mais son plus important travail fut sans doute accompli à partir de l’œuvre de Butler.
18C’est lors de sa rencontre avec Bennett en 1912 que celui-ci lui fait découvrir Butler : il lui indique que cet auteur connaît un certain regain de faveur en Angleterre comme précurseur d’une réaction à l’esprit de l’époque victorienne. Sa première lecture de The Way of All Flesh ne provoque pas chez lui de grand enthousiasme, mais peu à peu il se prend de goût pour l’auteur et décide d’en entreprendre la traduction. Gide fut pour beaucoup dans la naissance et l’éclosion de ce goût : cet animateur de la N.R.F. était alors en train de promouvoir une série de traductions de romans anglais, convaincu (comme Jacques Rivière) que cette exposition de la littérature française à des influences étrangères aurait un effet bénéfique (Connell 1974 : 173). On sait que Gide s’engagea d’ailleurs personnellement dans l’entreprise avec Typhon de Conrad.
19La majeure partie de ce travail fut réalisée en Espagne, au cours des quatre années que Larbaud passa pratiquement à Alicante. Il travaille à Erewhon et à Erewhon Revisited en 1915 et 1916, à The Way of All Flesh en 1916 et 1917, aux Note-books en 1917 et 1918 et à Life and Habit en 1918 et 1919 (Cormell 1974 : 169).
20Il semble que Larbaud ait été attiré par la marginalité de Butler (son catholicisme, son côté « continental ») et certaines de ses idées concernant les relations entre parents et enfants, l’argent et la liberté qu’il confère, l’unité européenne, l’amour de Londres, de l’Italie et de la littérature française (Brown 1981 : 177-178).
21La publication des traductions s’étale de 1920 à 1924, avec la publication antérieure d’extraits dans la N.R.F. La critique française fut loin de partager l’enthousiasme de Larbaud pour Butler : la Revue des revues trouve Erewhon « terriblement plat », Littérature loue le travail patient du traducteur, mais souligne que ce n’est pas le genre de livre qu’on lit avec avidité. André Maurois, qui parmi les critiques était sans doute celui qui connaissait le mieux l’anglais, loue l’habileté avec laquelle Larbaud a reproduit le style de l’auteur, mais il estime cependant que le traducteur est allé trop loin dans la francisation de certaines expressions, comme lorsqu’il rend Home, Sweet Home par « Viens, poupoule ». Bref, les premières traductions sont un échec commercial, et Gallimard hésite même à poursuivre la publication. Celle des Carnets de Butler n’aura lieu qu’en 1936.
22« À 6 heures du matin, le mardi 10 juillet 1917, Larbaud mettait le point final à sa traduction de The Way of All Flesh et notait en anglais dans son journal : "The actual work of translation was like driving a huge motor-car through a hilly countryside" » (Connell 1974 : 174).
23On verra dans la seconde partie de cette étude que Larbaud s’était exprimé dès 1913 sur la manière de traduire et n’avait pas caché sa sympathie pour celle des « belles infidèles », celle qui permet une traduction plus littéraire que littérale.
24Avec Larbaud, on peut dire que l’on voit la pratique rejaillir sur la théorisation et l’infléchir. On en trouve un écho dans Sous l’invocation de saint Jérôme, où dans le chapitre consacré à Tytler, il revoit sa position sur les libertés des « belles infidèles » :
De tout cela une doctrine assez ferme se dégage, résumée dans les titres des chapitres ; doctrine déjà « moderne » en ce sens que les libertés réclamées et prises par Perrot d’Ablancourt sont jugées excessives […] l’idéal, ce sont des traductions qui seraient aussi belles que celles-là tout en serrant le texte de plus près, et c’est encore notre idéal, bien que nous ayons perdu quelques illusions quant à la possibilité de l’atteindre sans sacrifier la beauté à l’exactitude ou l’exactitude à la beauté et que nous demandions avant et par-dessus tout l’exactitude (Larbaud 1946 : 101-102).
Et l’on est en droit de penser que le travail sur Butler, avec tout ce qu’il comportait de dévotion, ne fut pas étranger à la transformation de sa doctrine, comme en témoigne la « Préface du traducteur » des Nouveaux Voyages en Erewhon :
Butler, par la nature même de son génie et de son style, aussi éloigné que possible du lyrisme, est un des écrivains anglais qui se prêtent le moins à l’interprétation personnelle et qui limitent le plus strictement l’initiative du traducteur […].
C’est pourquoi, dans cette traduction, comme dans les autres, nous nous sommes efforcé de rester aussi près du texte que le permettait l’esprit de la langue française (Larbaud dans Butler 1994 : 26-28).
25Sous l’invocation de saint Jérôme nous livre même, dans la section « Pointes de crayons », de précieuses indications sur la façon dont Larbaud travaillait. « Actuellement (mars 1929), ma principale occupation consiste à revoir et à corriger, avec tout le soin possible, ma propre traduction des Notes-books de Samuel Butler » (Larbaud 1946 : 104). Or qu’entend-il par là ? « […] Les moments qui seraient les plus divertissants pour un spectateur sont ceux où je m’efforce de donner un tour plus français aux morceaux épigrammatiques de mon auteur » (ïbid.). Et il en donne l’exemple suivant :
Le mot à mot de la note intitulée « Melchisédec » donne ceci : « Il était un homme vraiment heureux. Il était sans père, sans mère et sans descendance. Il était un célibataire incarné. Il était un orphelin de naissance ». Laissant de côté le « stage [sic] intermédiaire » (= ma traduction non revue), j’arrive à ceci : « Voilà un homme vraiment heureux. Il était sans père, sans mère, sans postérité. Célibataire incarné ! Orphelin de naissance ! ». Mais un examen critique de cette interprétation m’y fait voir un défaut : les points d’exclamation sont de trop ; […] le mal est aisément réparable : il suffit d’ôter les deux points d’exclamation (ibid. : 104-105).
Ce témoignage est capital à plus d’un égard. Il établit clairement que la traduction n’est pas un simple transfert de structures mais un travail sur des textes (de départ et d’arrivée), qui est étalé dans le temps. Cela vient corroborer la déclaration que nous faisions lors de notre redéfinition de l’unité de traduction : « Il faut également être conscient du fait que la traduction n’est pas un simple transfert de mots et de structures, elle est à un moment un travail sur le texte d’arrivée pour qu’il soit acceptable comme texte » (Ballard 1993 : 248). C’est la preuve que la traductologie n’est pas de la linguistique et qu’elle ne saurait se réduire à de la linguistique contrastive.
26Ce que ce texte établit tout aussi clairement, c’est la manière dont travaillait Larbaud et sa conception de la traduction. Elles se définissent en opposition à celles de deux théoriciens-traducteurs, Antoine Berman et Edmond Cary, non pas de façon délibérée et consciente, puisque Larbaud se situe chronologiquement avant eux, mais d’une façon naturelle, qui le place en contraste par rapport à ce que ces deux figures majeures ont dit de la traduction.
27La manière de Larbaud est antinomique de celle de Berman, il récuse le mot à mot et travaille le texte pour lui « donner un tour plus français ».
28Dans son cours radiodiffusé Comment faut-il traduire ?, Cary se gausse d’un auteur australien qui traduit la poésie par étapes : traduction juxtalinéaire, puis travail sur la forme menant au poème final. La méthode de Larbaud est précisément celle-là : il n’est pas ennemi d’une sorte de traduction pivot à partir de laquelle il élabore le texte final. En ce sens, sa manière de traduire va à l’encontre d’une traduction impulsive, communicative, non contrôlée par rapport au texte de départ.
29Ayant commenté les paroles du maître, observons maintenant, nous-mêmes, un autre échantillon de son travail.
30Nous avons pris pour en juger (mais sans porter de jugement de valeur) un extrait de The Wap of All Flesh, parce que ce roman est maintenant devenu un classique, jusque dans sa traduction française qui connut une édition dans la collection « Livre de Poche » et est toujours accessible en « Folio ». Nous avons pris le début du chapitre 48 :
Once, recently, when he was down at home after taking his degree, his mother had had a short conversation with him about his becoming a clergyman, set on hitherto by Theobald who shrank from the subject himself. This time it was during a turn taken in the garden, and not on the sofa – which was reserved for supreme occasions (Butler 1980 : 234).
Peu de temps auparavant, pendant son séjour chez ses parents, après son examen, sa mère avait eu avec lui une courte conversation au sujet de son ordination prochaine. C’était Théobald qui, n’aimant pas aborder lui-même cette question, avait chargé sa femme d’en parler à Ernest. Cette fois la conversation eut lieu pendant que sa mère et lui faisaient un tour de jardin, et non pas sur le canapé, qui était réservé pour les grandes occasions (Larbaud 1956 : 257).
Once, recently : « Peu de temps auparavant »
Modification du repère temporel. En anglais, il commence une séquence close « une fois, récemment » ; dans la traduction, le repérage est effectué de façon anaphorique par rapport aux événements du chapitre précédent.
when he was down at home : « pendant son sejour chez ses parents »
On peut noter le caractère doublement idiomatique de cette traduction : « chez ses parents » rend at home (métonymie qui précise la relation familiale) ; « pendant son séjour » rend la subordonnée temporelle contenant une séquence « be + prédicat », il y a nominalisation, ce qui est une des tendances naturelles de la traduction de l’anglais vers le français.
after taking his degree : « après ses examens »
À nouveau formule nominale, elliptique, par effacement du verbe taking.
his mother had had a short conversation with him : « sa mère avait eu avec lui une courte conversation »
Traduction littérale assortie d’un déplacement de compléments qui relève de l’« esprit des langues ».
about his becoming a clergyman : « au sujet de son ordination prochaine »
Nominalisation et explicitation de la proximité de l’ordination à l’aide de l’adjectif « prochaine ».
set on hitherto by Theobald : « C’était Théobald qui [...] avait chargé sa femme d’en parler à Ernest »
À nouveau, clarification et explicitation du texte en faisant clairement apparaître tous les personnages de la situation. On notera, en outre, qu’il y a segmentation au niveau du participe set, pour éviter une lourdeur en français, et qu’il y a thématisation du sujet Theobald. On notera également la francisation du prénom par un accent.
who shrank front the subject himself : « n’aimant pas aborder lui-même cette question »
Série de transformations classiques qui donnent à une traduction littérale la correction en langue d’arrivée : contraire négativé pour shrank front ; recatégorisation en verbe de la préposition front ; commutation de l’article avec un démonstratif, permise par l’anaphore.
This time it was during a turn taken in the garden : « cette fois la conversation eut lieu pendant que sa mère et lui faisaient un tour du jardin »
Dépronominalisation de it pour expliciter le référent ; ajout des sujets « sa mère et lui » ; donc, à nouveau, phénomènes d’explicitation.
and not on the sofa – which was reserved for supreme occasions : « et non pas sur le canapé, qui était réservé pour les grandes occasions »
Traduction littérale.
31Dans l’ensemble, on peut constater que Larbaud pratique la traduction littérale lorsque celle-ci est acceptable, sinon il applique des transformations qui donnent au texte d’arrivée sa tonalité « française ». On peut noter par ailleurs une tendance à expliciter le texte, par souci de faciliter la lecture. Allison Connell a observé la même tendance à partir d’un extrait du chapitre 80 de la même œuvre (Connell 1974 : 187).
32Pour autant qu’on puisse juger par un extrait, on peut dire que Larbaud pratique ce que Berman (1985 : 53) appelle la « traduction ethnocentrique » où « [l’] on doit traduire l’œuvre étrangère de façon que l’on ne ʺsenteʺ pas la traduction, on doit la traduire de façon à donner l’impression que c’est ce que l’auteur aurait écrit s’il avait écrit dans la langue traduisante ». L’extrait que nous avons analysé comporte d’ailleurs deux des traits dénoncés par Berman dans la « systématique de la déformation », à savoir la « clarification » et l’« allongement » (ibid. : 70-71). Mais ceci n’est qu’une façon d’envisager la manière de traduire de Larbaud ; on peut faire remarquer qu’il ne pratique pas les péchés extrêmes des « belles infidèles » : la censure, l’omission et l’ajout, comme le dénonçait dès 1635 Bachet de Méziriac (1998 : 8). C’est ce que confirme Lieven Tack (1995 : 166) dans son étude sur Larbaud, traducteur littéraire :
Il semble bien que toute traduction de Larbaud tend à ce qu’il appelle lui-même « l’exactitude », et Ainsi va toute chair n’est certainement pas une exception à cette règle. Larbaud ne recompose pas le texte, ne saute pas de phrases, n’inculque pas au texte français un sens radicalement différent de l’original, et traduit le livre « fidèlement » du début à la fin.
33Il traduit de façon relativement honnête, comme l’ont fait et le font de nombreux traducteurs, en se préoccupant de leur public et de la lisibilité du texte d’arrivée, sans débordement excessif. De plus, Larbaud, on le verra avec ses écrits traductologiques, est de ceux qui estiment que le traducteur n’est pas transparent, et même s’il prétend avoir maîtrisé, en l’honneur de Butler, son goût de faire une « traduction personnelle », l’auteur Larbaud est quand même toujours là présent dans son texte. Parmi les traits saillants de cet « interventionnisme » du traducteur étudié par Lieven Tack à propos de The Way of All Flesh, nous avons retenu d’abord « la préférence [...] systématiquement donnée au syntagme verbal » (ibid. : 167) perceptible d’emblée dans le titre The Way of All Flesh, « qui devient Ainsi va toute chair ; et puis la littérarisation, « qui témoigne d’un effort réel du traducteur pour couler le texte dans un style soutenu, étayé par un lexique peu commun et par une construction logique de la phrase » (ibid. : 171).
34Ce que l’on voit paraître au travers de ces analyses, c’est que malgré ses exigences et ces efforts d’ascèse, l’auteur Larbaud continue d’être sous l’emprise d’options que l’on peut qualifier de « classiques » en matière de traduction : à savoir le souci de faciliter l’accès du lecteur au texte tout autant que celui de produire le texte le plus élégant possible. Et l’on voit sans doute se vérifier ici le fait que la traduction est un genre et qu’elle devrait être reconnue comme telle avec une mention plus claire du traducteur comme coauteur du texte traduit.
35Outre Butler, qui fut son œuvre majeure, Larbaud fut également associé à la traduction de Whitman et de Joyce.
36Whitman fut une découverte de jeunesse : dès 1899, Larbaud traduit des poèmes de l’auteur de Leaves of Grass et il en poursuit l’étude en Allemagne en 1901, en vue d’un article destiné à La Plume, qui n’aboutit pas, mais qui servira de base à son introduction de l’édition de 1918. En 1908, Léon Bazalgette publie Whitman, l’homme et l’œuvre et, l’année suivante, la première traduction de Leaves of Grass. Larbaud en rend compte de façon mitigée dans La Phalange en avril 1909. Il loue « le don de poète du traducteur, qui le fait pénétrer sous le sens apparent des mots, en sorte qu’il nous donne à la fois le sens de ces mots et les sentiments dont il sont chargés » (Larbaud 1995 : 123). Il est aussi capable de critiques concernant la non-préservation de « mots étrangers ou à tournure étrangère dont W.W. a parsemé ses poèmes » (ibid. : 122), certaines surtraductions ou sous-traductions (comme le mot love rendu par « affection »). Gide, également admirateur de Whitman, lance dès 1912 l’idée d’une traduction collective d’œuvres choisies de cet auteur pour laquelle il sollicite ses relations : Francis Viélé-Griffin, Louis Fabulet, Claudel (qui se rétracte après avoir eu connaissance des mœurs de leur auteur), etc. Larbaud, bien entendu, accepte de participer et lorsque Gide propose de faire une introduction collective au recueil, Larbaud lui propose son étude commencée à Berlin.
37Faulkner fut la dernière découverte américaine de Larbaud. L’auteur de As I Lay Dying lui avait été signalé en 1932 par Maurice Coindreau qui était en train de traduire ce roman. Mais l’éditeur retarda la publication de cette traduction pour laquelle Larbaud avait rédigé une introduction, afin de donner la priorité à la traduction de Sanctuary que Malraux, prix Goncourt, venait d’effectuer. Larbaud nota dans son Journal son dépit de ne pas avoir « l’honneur de présenter Faulkner au public français » (Milligan 1990 : 195).
38Larbaud fut présenté à Joyce par Sylvia Beach en 1920. Il commença par lire Dubliners, A Portrait of the Artist et se lança ensuite dans Ulysses. L’intérêt de Larbaud pour ce nouvel auteur se matérialise dans une conférence qu’il donne en décembre 1921 à la Maison des Amis du Livre. Ce texte servira de préface à la traduction de Dubliners qui paraît chez Plon en 1926. Tout en ayant beaucoup d’amitié et d’admiration pour Joyce, Larbaud ne se lance pas dans la traduction de ses œuvres. Il recommande Auguste Morel pour celle d’Ulysses tout en acceptant de superviser l’entreprise, qui ne démarre vraiment qu’en 1924. En 1927, Stuart Gilbert, de passage à Paris, lit quelques pages de la traduction dans la librairie de Sylvia Beach et y trouve des erreurs, on lui propose alors de s’adjoindre à l’équipe comme conseiller, au même titre que Larbaud.
39Le travail sur ce texte difficile fut long et la collaboration entre les traducteurs eux-mêmes et l’éditrice de Joyce, Adrienne Monnier, souvent laborieuse. Joyce, dans une lettre datée du 20 septembre 1928, rend hommage au soigneux travail de révision effectué par Larbaud, qui non seulement rejette des ajouts indus de Morel, mais infléchit la traduction vers une plus grande précision. La traduction paraît enfin en février 1929. Les traducteurs, exaspérés par ce pénible travail collectif, ne se présentèrent pas au repas donné par Adrienne Monnier pour fêter l’événement. Larbaud semble avoir détruit sa correspondance avec les autres membres de l’équipe (Brown 1981 : 183-184).
2. Les domaines espagnols et italiens
40Lors de son long séjour à Alicante, Larbaud fait la connaissance de Gabriel Miro et de Ramon Gómez de la Serna ; il se prend également de passion pour leurs œuvres. Du premier, il traduira le roman Semaine sainte en collaboration avec Noémi Larthe (1925) et du second un choix de textes, Échantillons, avec Mathilde Pomès. Son goût de la découverte s’étend même à l’Amérique latine et il écrit des préfaces pour des éditions ou des traductions d’auteurs comme José Gervasio, Antuna et Mariano Azuela. Mais sa passion l’amène à une expérience malheureuse avec l’écrivain mexicain Alfonso Reyes : Larbaud avait rédigé une introduction pour la traduction de Vision de l’anahuac par Jeanne Guéraudel parue en 1927. Alors qu’il était à Rome en 1929, il reçut une lettre de Reyes lui annonçant son désir de voir paraître un collectif de traductions de ses poèmes et, à cette lettre, il joint un inédit de 78 vers : « Yerbas del Tarahamura », « Herbes du Tarahumara ». Larbaud lui propose de le traduire et de le publier, en attendant le collectif, dans Commerce. Lorsque Larbaud envoya sa traduction à l’auteur, celui-ci lui répondit poliment, mais en exprimant des désaccords qui, dans son journal, ont franchement le ton de la déception. Paulette Patout (1975 : 202), qui raconte cette anecdote, commente l’affaire en ces termes :
Reyes dut penser cependant que la concision nerveuse du texte était mal rendue par Larbaud, surtout dans la traduction très développée qu’il donne des premiers vers. Il a cru bon de supprimer un vers, dont la répétition dans le poème formait comme un refrain, et accroissait l’impression de progression difficile de ces Indiens qui se répandaient à contrecœur, et par petits groupes dans les rues de la ville. Surtout plusieurs faux-sens et contresens graves qui lui avaient échappé : la traduction de bravo (farouches) par honnêtes, celle de manchado (taché, sali) par tacheté.
Ajoutons que le texte de la traduction fautive était paru dans Commerce avant que Larbaud ait pu corriger sa traduction. Paulette Patout estime, sans doute à juste titre, que cette expérience malheureuse contribua au plus grand désir d’exigence exprimé par Larbaud dans Sous l’invocation de saint Jérôme.
41Tout autant que l’Angleterre et l’Espagne, l’Italie occupa une place prépondérante dans la vie et dans le cœur de Larbaud. La relation est différente, bien entendu, elle repose sur l’attrait d’un passé prestigieux et d’une beauté fascinante dont il évoque un aspect dans « Les couleurs de Rome » : « Lumière, couleur, et don précieux de Rome. En le recevant dans ce lieu et de façon imprévue, nous avons senti, plus peut-être qu’en toute autre circonstance, à la fois notre bonheur et l’aiguillon de la mort » (Larbaud 1958 : 982).
42Pourtant ce n’est qu’à partir du milieu des années vingt que Larbaud entame une série de traductions d’auteurs italiens. Citons entre autres : trois essais de Bruno Barilli, traduits en collaboration avec Maria Nebbia et publiés dans Commerce (1926) ; toujours de Bruno Barilli, mais seul comme traducteur, « Vieille parure », qui paraît également dans Commerce en 1929 ; « La femme du sourd » de Gianna Manzini, traduit en collaboration avec Henri Marchand et publié également dans Commerce en 1934. À cela vont s’ajouter les préfaces rédigées pour des traductions d’autres auteurs italiens par d’autres traducteurs : À la nuit et autres poèmes d’Aldo Caposso (1935) ; Les Hommes gris d’Ettore Settanni (1937).
Les écrits traductologiques
43Tout au cours de sa vie, à mesure qu’il traduisait, Larbaud s’est exprimé sur la traduction, que ce soit sous la forme de préfaces, d’avant-propos, d’articles, dont un certain nombre furent rassemblés pour constituer Sous l’invocation de saint Jérôme, ouvrage qui, au dire d’Edmond Cary (1963 : 116), « est devenu un bréviaire pour la génération actuelle de traducteurs ».
44Cette démarche, à notre sens, est le reflet d’un comportement que nous avons tenté de mettre en évidence dans De Cicéron à Benjamin (Ballard 1995) et dans divers articles (Ballard 1996b), à savoir que la théorie est, en partie, née de l’activité traduisante. Dans la mesure où l’ouvrage majeur de Larbaud se présente comme un aboutissement, il nous a paru judicieux de rendre compte d’un certain nombre de textes antérieurs et de voir la manière dont ils préparaient Sous l’invocation et balisaient éventuellement une évolution. Enfin, toutes proportions gardées et en tenant compte du contexte historique dans lequel Larbaud se situe, il ne nous semble pas inutile de nous interroger sur le degré de théorisation atteint par ces écrits.
45En 1910, Jean-Richard Bloch reprend la direction de L’Effort qui deviendra ultérieurement L’Effort libre. Dans une lettre datée du 1er janvier 1913, Larbaud remercie Bloch de lui avoir envoyé un numéro de la revue et propose de lui faire parvenir un article sur la traduction :
Je songe depuis longtemps à écrire un court essai sur l’art de la traduction. J’y dirai tout ce qu’on peut dire encore de nos jours en faveur des Belles Infidèles. J’y ferai valoir les avantages de la traduction littéraire sur la traduction littérale ; j’y montrerai que les d’Ablancourt ont eu de nombreux et dignes successeurs, enfin mes deux principaux exemples de traducteurs seraient Edward Fizgerald et Paul Claudel. Il ne s’agit pas de soutenir un paradoxe, mais d’affirmer quelques vérités générales trop souvent méconnues (Larbaud 1992 : 264).
Dans une lettre du 17 août 1913, Larbaud indique à Bloch qu’il a retravaillé son article et pense l’intituler « Notre métier ». Il le divise en trois parties :
du plagiat, ou de la Création ;
de la Traduction, ou du Style ;
de l’Amateur, ou de l’Artiste.
Et il ajoute : « Dans la première partie je décris la conception du Poème ; dans la seconde l’apprentissage du poète ; dans la dernière, les rapports du poète avec le public » (ibid.). L’article parut en novembre 1913 sous le titre : « De la traduction », et il est très instructif à plusieurs égards. Il possède une plus grande unité et sans doute une plus grande spontanéité que Sous l’invocation de saint Jérôme et permet de mieux saisir encore la relation étroite qui, pour Larbaud, existe entre la traduction et la création littéraire.
46Tout en s’intitulant « De la traduction », l’article, en fait, commence, comme l’indiquait Larbaud dans sa lettre, par des considérations sur la création littéraire et la relation que la traduction entretient avec elle. Le point de départ est une distinction établie par Sainte-Beuve entre les écrivains inspirés et les « habiles studieux ». Pour Larbaud, tout repose sur un don, qu’il faut percevoir et développer. Cette éducation du don va d’abord se manifester par le plagiat, le désir de s’approprier l’œuvre que l’on admire et puis par l’imitation, conception qui n’est pas dénuée d’un certain mysticisme :
L’apprentissage, devenu conscient, est de deux sortes : c’est une assimilation fonctionnelle par laquelle le poème acquiert, d’une part sa substance, de l’autre sa forme. Sa substance, c’est notre expérience, inépuisable, sans cesse renouvelée. Ce sont les fruits de la curiosité désintéressée, muse des passions impersonnelles : science, histoire, lettres. C’est ce qui en nous connaît Dieu, le monde et nous-mêmes ; c’est le Grand Inquisiteur ; c’est le principe de la vie éternelle, que le don lui-même ne fait que servir (ibid. : 233).
47C’est ici que se situe la traduction, comme ouverture aux autres cultures et comme maillon d’une chaîne de l’expression de la substance inspirée. Approche généreuse et réaliste tout à la fois, qui refuse une vision étriquée de la culture :
Les gens désintéressés qui protestent contre les traductions d’ouvrages étrangers sont vraiment incompréhensibles. De la part des Libraires, des éditeurs, des fournisseurs du gros public, cela va de soi. Mais les autres ? Ceux qui disent que « nous avons aussi bien en France », quelle idée se font-ils des lettres ? Ceux à qui les traductions d’Ibsen, de Dostoïevski, de Tolstoï, de Thomas Hardy, paraissent « un danger pour la culture française », ne nous feraient-ils pas croire que la culture française consiste dans l’ignorance superbe de toute autre culture ? (ibid.).
48Ce n’est pas dans le Larbaud de 1913 que l’on trouvera une défense du bilinguisme du traducteur : « Je sais imparfaitement cette langue ? Eh bien ! c’est en traduisant que je l’apprendrai » (ibid. : 234). Et surtout on trouve affirmée avec plus de force que dans Sous l’invocation la nécessité d’une traduction libre, personnelle :
[...] jamais je ne renoncerai à l’interprétation personnelle. Je connais vos sages et courtes traductions : j’en ai fait au collège. Je ne recommencerai pas. Gardez-en la recette pour les concours et les affaires de librairie. Je ne fais pas de la traduction commerciale, et je ne fais plus la traduction d’examen. Ma traduction ne veut être qu’interprétation personnelle. C’est ma traduction, non celle d’un autre, que je vous offre. Si vous voulez connaître le poème que j’interprète, apprenez la langue dans laquelle il a été écrit et lisez-le dans le texte (ibid. : 234).
Comme le laisse clairement éclater la dernière phrase citée, il s’agit d’une conception de la traduction aux antipodes de celle représentée aujourd’hui en France par des figures telles que Klossowski, Meschonnic ou Berman. Larbaud ajoute pour ceux qui n’auraient pas compris : « Nous attendons encore l’étude sérieuse et intelligente qui débrouillera la question, et la critique intuitive qui vengera Fitzgerald ; qui montrera qu’il a tout conservé de son texte : l’esprit, l’intention, le génie ; tout ce que les excellentes traductions littérales ont laissé perdre ou n’ont pas pu rendre » (ibid. : 235).
49La modernité de Larbaud apparaît dans ses regrets qu’on laisse dans l’ombre l’œuvre des traducteurs et en particulier celle de ceux qui ont aussi été des écrivains. Et déjà il affirme cette idée, reprise par maint traductologue contemporain, selon laquelle pour que justice soit faite à la traduction il faut en développer l’étude en tant que telle, et que cette étude est inséparable de l’histoire de la traduction qui, seule, peut faire saisir l’importance qu’elle a eue de tout temps :
Branche négligée des lettres et que l’histoire littéraire connaît mal. Comme les grands traducteurs sont en général de grands écrivains dans leur œuvre personnelle, on les ignore, ou du moins on ne leur rend pas justice en tant que traducteurs. Qui pense à lire cette partie, considérable par l’étendue, de l’œuvre de Fitzgerald, qui comprend ses traductions du drame espagnol (ibid. : 234) ?
Et Larbaud déplore l’oubli dans lequel tombent les traductions et les traducteurs : « personne ne recherchera-t-il l’honneur d’être l’éditeur et l’introducteur d’une Collection des Grands Traducteurs Français ? » (ibid. : 235). Fut-ce en souvenir de cet appel qu’Edmond Cary nous donna en 1963 Les Grands Traducteurs français ? Il ne le dit pas expressément mais on peut le penser, d’autant qu’il y accorde la place qu’il mérite à celui qu’il baptise « l’authentique prince des traducteurs de l’époque contemporaine » (Cary 1963 : 112-113).
50Il ne faut pas être surpris, alors, qu’en 1934 Larbaud ait fait imprimer chez son ami, l’éditeur Stols à Maastricht, une plaquette reproduisant « La vie de Monsieur d’Ablancourt » par Patru (non mentionnée dans la bibliographie de la Pléiade), avec une brève introduction qui fut reproduite dans Ce vice impuni, la lecture. Domaine français. Il voit en d’Ablancourt le « plus grand des traducteurs de notre Siècle d’Or » (Larbaud 1950-1958, VII : 206), et dit pour sa défense :
Et puis ses traductions ne sont pas aussi « arrangées » qu’on le dit et que ses propres préfaces-manifestes le feraient croire ; et le lecteur qui ne pouvant aborder directement Tacite, se fierait au splendide pis-aller que lui offre d’Ablancourt, saurait, après l’avoir bien étudié, à peu près autant de Tacite qu’une traduction littérale moderne, sans commentaire, lui en peut faire connaître – et beaucoup plus de français (ibid.).
Larbaud avait par ailleurs utilisé la matière de cette introduction pour un article, « Patru et d’Ablancourt », paru dans Les Nouvelles littéraires en février 1933.
51En 1929, Larbaud publia dans la revue Commerce une longue étude consacrée à saint Jérôme, le « patron des traducteurs », qui allait constituer la première partie de Sous l’invocation.
52À Corfou, en 1932, au moment où Valery Larbaud corrigeait les épreuves du volume Technique (de la collection Les Essais) qui contenait plusieurs articles déjà parus en revues, voici ce qu’il notait dans son Journal :
« J’ajouterai que cette réunion est le prélude (la première démarche vers) la constitution d’un ouvrage en train : SOUS L’INVOCATION DE SAINT JÉRÔME » (Mallet, dans Larbaud 1950-1958, VIII : 387).
53L’essentiel de la pensée traductologique de Larbaud est contenu dans Sous l’invocation de saint Jérôme, mais cela ne signifie pas que la totalité de ce « livre » soit de la traductologie ni même axée sur la traduction.
54L’ouvrage est divisé en trois parties. La première concerne le « patron des traducteurs », la deuxième comporte deux sections : « De la traduction » et « Remarques », la troisième a pour titre « Technique ou de l’Inspiration à l’Imprimerie ». Seule la première section de la deuxième partie peut véritablement être considérée comme une esquisse de traité à caractère traductologique. La première partie, consacrée à Jérôme, contient des remarques intéressantes telles que : « Quiconque lit Jérôme lui-même voit aussitôt qu’il s’agit, dans le cas de la Vulgate, d’un grand livre, ou plutôt d’une grande littérature, traduite par un grand écrivain » (Larbaud 1946 : 52), deux pages sur la fameuse lettre-traité et quelques autres passages des lettres ; le reste concerne plutôt la vie et la stature de Jérôme, « Patron, non seulement des traducteurs, mais de tous les hommes de lettres » (ibid. : 39).
55Des 122 pages de la deuxième partie, « L’art et le métier », ce sont les 64 pages de la première section qui traitent véritablement, comme l’indique leur titre « De la traduction », et tout le reste... ou presque n’est que littérature : c’est ainsi que nous apprenons, page 181, avec « J’ai deux amours », que Larbaud ne goûte pas la chanson de Joséphine Baker, qu’il trouve vulgaire et que (page 166) « tuer le cochon » en Bourbonnais signifie que l’on va chasser le sanglier ! Paix à l’âme de Valery Larbaud, mais Sous l’invocation de saint Jérôme aurait mérité une sélection plus rigoureuse.
56Le premier essai, « Vocation », peut être considéré comme une sorte d’introduction. Il y est question de l’intransigeance et de l’exigence de saint Jérôme en matière religieuse, et Larbaud propose de transposer ces qualités dans le domaine de la traduction. Il est à noter également le caractère altruiste de sa démarche : « lorsque j’aurai progressé dans le métier de traducteur, je pourrai à mon tour faire profiter autrui de mon expérience » (ibid. : 61), comportement qui est à rapprocher de celui d’un Matthew Arnold dans « On translating Homer » : « Peut-être serait-il possible de rendre service aux traducteurs, de leur épargner des efforts mutiles, en leur signalant les écueils sur lesquels leurs prédécesseurs ont échoué, ainsi que l’objectif qu’il est souhaitable de se fixer quand on traduit Homère » (Arnold 1921 : 210).
57Larbaud possède indéniablement un tempérament d’éducateur (Fernandez 1990 : 102) et ce désir de diffuser le savoir, déjà évoqué avec son appel à un manuel d’histoire européenne, se confirmera avec son goût des anthologies de la traduction. C’est par une déontologie de la traduction, construite autour de la fameuse voie moyenne préconisée par Dryden au xviie siècle (Ballard 1995 : 205-206), que s’ouvre véritablement la réflexion, avec les « Droits et devoirs du traducteur » : « Que devra-t-il faire pour ne pas trahir, et pour éviter, d’une part le mot à mot insipide et infidèle à force de servile fidélité, et d’autre part la 1traduction ornée1 ? Bref, quels sont les droits et les devoirs du traducteur ? » (Larbaud 1946 : 62).
58Pour répondre à ces questions, Larbaud use d’une forme de citation compte rendu traduite d’une étude de Francesco De Sanctis, où celui-ci compare la traduction de l’Énéide de Caro avec celle de Leopardi. De Sanctis commence par analyser l’impression créée par les premiers vers du poème, ceux qui précèdent l’incendie de Troie :
En écoutant cette musique on se sent immédiatement transporté dans des régions illimitées, parmi de douces et mélancoliques harmonies, les plus douces qui aient jamais caressé les oreilles et le cœur de l’homme. Et cette impression ne naît pas seulement de cette solennité toujours égale de ton, d’accent et d’harmonie, à la fois sévère et élevée, mais surtout de cette forme plastique et condensée, remplie de larmes et de choses inexprimées, de telle sorte que le discours, en plus de son sens matériel, en offre une infinité d’autres à l’imagination comme par exemple dans infandum dolorem, lamentabile regnum, eruerint Danai, tantus amor, luctu refugit.
L’impression produite est unique, égale, nullement éparpillée entre les parties prises séparément ; elle est rassemblée et concentrée dans l’ensemble, dans la réalisation d’une admirable fusion de teintes et de volumes comme sur la même toile où tout se présente d’un seul coup au regard comme dans ce quaeque ipse miserrima vidi (Larbaud 1946 : 64 ; c’est nous qui soulignons).
59Le passage est capital, car il établit l’étroite union de l’effet et de la forme dans le domaine poétique et la nécessaire mais juste transposition qu’il faut opérer pour recréer un effet qui ait une ampleur analogue. Cette ampleur est la part de l’imaginaire, cette quantité d’effet qui échappe à l’auteur et qui constitue l’œuvre d’art. On peut dire que sur ce point les positions de Larbaud rejoignent celles d’un Valéry et même d’un Benjamin : « En dehors de son sens matériel et littéral, tout morceau de littérature a, comme tout morceau de musique, un sens moins apparent, et qui seul crée en nous l’impression esthétique voulue par le poète » (Larbaud 1946 : 69). Et là, Larbaud est même capable d’une certaine sécheresse (à la Meschonnic : « Si vous ne savez pas l’hébreu, traduisez autre chose » (Meschonnic 1973 : 417) :
Eh bien, c’est ce sens-là qu’il s’agit de rendre, et c’est en cela surtout que consiste la tâche du traducteur. S’il n’en est pas capable, qu’il se contente d’être un lecteur ; ou bien, s’il tient absolument à traduire, qu’il s’attaque à n’importe quelle matière imprimée ou manuscrite : ouvrages de philosophie et d’histoire pures, traités scientifiques, manuels et au besoin documents légaux ou commerciaux, mais qu’il laisse Virgile, et tout ce qui est littérature, tranquille [...] (Larbaud 1946 : 69-70).
Au cœur de sa théorie de la traduction littéraire, il y a la création : « Ce sens littéraire des ouvrages de littérature, il faut d’abord le saisir, et il ne suffit pas de le saisir : il faut encore le recréer » (ibid. : 70). Passage que Meschonnic commente en ces termes : « Le recréer, c’est produire le fait nouveau qu’il appelait le Fait du Prince : dans le traduire comme dans l’écrire, c’est l’apport personnel » (Meschonnic 1973 : 353).
60Nous avons évoqué plus haut, sur un ton presque amusé, la générosité « insolite » de Larbaud traducteur, mais elle est réelle quand on songe à la passion qui le prit par exemple pour l’œuvre d’un Whitman, à ce désir de faire connaître des auteurs qu’il admirait et aimait. On a parlé du plaisir du texte. Chez Larbaud, ce plaisir de la lecture s’accompagne du plaisir de répandre et de transmettre, cela fait partie des « Joies et profits du traducteur ». Comme on peut le constater, le titre est double : « lire et traduire » sont des plaisirs qui « rapportent » : exploration profonde du texte et appropriation. Larbaud sait que l’homme de lettres se nourrit de l’œuvre des autres ; l’imitation et le plagiat font partie du cycle de la création. La traduction est un entraînement à l’écriture, on se met à l’école d’un autre esprit. Mais Larbaud le dilettante, l’épicurien, ne croit pas aux contraintes : « on ne fait jamais très bien les choses ennuyeuses et difficiles » (ibid. : 76). C’est donc le plaisir qui sera le premier mobile, plus que le désir d’accomplir une tâche. Tout en admettant la secondarité du traducteur par rapport au créateur, il en affirme très nettement la noblesse : « Ce n’est pas une entreprise obscure et sans grandeur que celle de faire passer dans une langue et dans une littérature une œuvre importante d’une autre littérature » (Larbaud 1946 : 77).
61Il y a chez Larbaud une très belle image concernant le travail du traducteur et dont on ne peut pas ne pas tenir compte pour l’élaboration d’une théorie de la traduction : « Chacun de nous a près de soi, sur sa table ou son bureau, un jeu d’invisibles, d’intellectuelles balances aux plateaux d’argent [...] capables de marquer des écarts de fractions de milligrammes, capables de peser les impondérables [...] car tout le travail de la traduction est une pesée de mots » (Larbaud 1946 : 82).
62Deux éléments capitaux sont à retenir de ce passage : la balance humaine et le problème de l’élaboration du sens, les mots. Parlons d’abord des mots. Dans leur section consacrée à l’unité de traduction, Vinay et Darbelnet (1958 : 36) disent : « Nous verrons que malgré son apparente commodité le mot n’est pas une unité satisfaisante. » Mais il est difficile de nier l’importance du travail qui s’accomplit au niveau des mots tant dans l’exploration du sens que dans la reformulation. Est-il besoin de rappeler l’aveu de Luther : « Il nous est souvent arrivé de chercher et de nous interroger pendant quinze jours, ou trois, quatre semaines au sujet d’un mot unique sans pourtant trouver à ce moment-là » (Luther 1964 : 194). Et surtout il convient de ne pas oublier l’impondérable, qui est le fait du traducteur humain, cette perception du sens enrichie de toutes ses lectures qui le distingue des dictionnaires, « livres consulaires » nécessaires, dont Larbaud souligne bien les limites naturelles. Sur ce point, Larbaud rejoint aussi bien Tytler que Bréal :
Car tout le mérite de la trouvaille du mot juste, du mot de la pesée juste, sera nôtre, soit que nous l’ayons rencontré dans notre mémoire, dans ce que Michel Bréal nomme quelque part « le dictionnaire latent » ; soit que nous l’ayons très habilement capturé sur la piste des synonymies et des étymologies fournies par les Livres Consulaires (Larbaud 1946 : 87-88).
Tytler soulignait comme Larbaud l’insuffisance des ouvrages de référence pour accéder au sens : « Les dictionnaires et les grammaires ne nous permettent d’accéder que de façon imparfaite au génie et aux capacités d’expression d’une langue. Il y a d’innombrables subtilités de construction, de formulations idiomatiques, voire même de significations des mots, que l’on ne découvre que par d’abondantes lectures et une attention critique soutenue » (Tytler 1907 : 11-12). Ce n’est pas un hasard si les noms de Tytler, Arnold et autres reviennent sans cesse dans cette évocation des écrits traductologiques de Larbaud, car en même temps qu’elle était ouverte aux littératures étrangères modernes, sa culture plongeait dans le passé et visait à intégrer l’histoire de son élaboration dans la constitution d’une traductologie. Comme aime à le rappeler Antoine Berman (1995 : 248) : « Et qui en 1946 connaissait Tytler ? » Et là on retrouve le côté découvreur généreux qui caractérise assez bien Larbaud. Il fournit des indications bibliographiques, des sources pour des chercheurs, il appelle de tous ses vœux des travaux sur l’histoire de la traduction, des anthologies. Il est indéniable qu’il y a quelque chose du vulgarisateur (au bon sens du terme) chez Larbaud, en tout cas une conviction profonde de l’importance de l’histoire de la traduction, « el cuento de mmca acabar » (Larbaud 1946 : 99).
63À partir de quel moment peut-on dire que quelqu’un est un « théoricien » ? Et que ce qu’il écrit est une « théorie » ou « de la théorie » ? Nous avons donné dans une étude antérieure (Ballard 1996a : 43-61) notre propre définition de la théorie ou tout au moins de la théorisation comme processus d’observation et de généralisation, puis d’élaboration en synthèse sinon en système.
64Dans Sous l’invocation de saint Jérôme, Larbaud parle de « théoriciens de la traduction », ce qui prouve que tout en étant « un praticien littéraire » (épithète que peu oseraient lui contester), il n’est pas ennemi de la théorie, cette chose qui fait frémir certains (et parmi eux des professionnels), comme si elle était une atteinte à l’intégrité de la traduction. Or si l’on considère les auteurs auxquels il attribue cette appellation, « [...] si on veut se limiter au domaine français, il faut lire non seulement les théoriciens proprement dits, comme Étienne Dolet, Thomas Sibilet, Jacques Peletier, Joachim du Bellay, Bachet de Méziriac, Pierre-Daniel Huet, Gaspard de Tende, le Sieur de l’Etang, etc. – pour nous arrêter à la fin du xviie siècle –, mais aussi les préfaces et les notes de beaucoup de nos traducteurs, qui furent aussi des théoriciens de la Traduction [sic], et en premier lieu celles du prince des traducteurs de notre siècle d’or, Perrot d’Ablancourt » (Larbaud 1946 : 98).
65Cette liste et cette évocation le mettent en opposition avec le Mounin des Problèmes théoriques de la traduction, qui minimise la part des précurseurs par rapport à la traductologie de tendance linguistique :
Les noms de Cicéron, d’Horace, de saint Jérôme, de Dante, d’Érasme, d’Étienne Dolet, de Joachim du Bellay, d’Amyot, de Luther, de La Motte-Houdar, [etc.] [...] puis de Bérard, de Bédier, de Mazon, de Valery Larbaud, de Croce, de Gide ébauchent à peine la bibliographie des écrivains qui presque toujours à propos d’autre chose, ont donné leur opinion sur la traduction. Mais dans le meilleur des cas, ils proposent ou codifient des impressions générales, des intuitions personnelles, des inventaires d’expériences et des recettes artisanales. En rassemblant, chacun selon son gré, toute cette matière, on obtient un empirisme de la traduction, jamais négligeable, certes, mais un empirisme (Mounin 1963 : 12).
66Comme on peut le constater, Georges Mounin inclut Larbaud dans ces « écrivains qui presque toujours à propos d’autre chose ont donné leur opinion sur la traduction ». Le jugement de Mounin est sans doute sévère, il rejette en masse dans les ténèbres extérieures toute une lignée d’auteurs dont il a utilisé certains pour argumenter ses Belles Infidèles (1994). Il s’agit, dirons-nous, d’un rejet historique, Mounin se trouve pris dans le mouvement traductologique de tendance linguistique. N’oublions pas non plus qu’il écrit une thèse de doctorat dans la sphère linguistique. Son ouvrage Teoria e storia della traduzione (1965) rétablit la part de l’histoire, qui nous semble capitale (Ballard 1995 : 12). Mais lorsqu’en 1972 Mounin rédige l’article « traduction » pour l’Encydopaedia Universalis, il reprend le début de la citation que nous avons extraite des Problèmes théoriques, mais omet les auteurs modernes. Il n’inclut parmi les théoriciens que Wilbur Marshall Urban, Nida, Vinay et Darbelnet, Fedorov, Cary et Catford ; Larbaud est donc exclu. Dans un texte ultérieur, « La traduction en 1975 (un bilan français) », il précise sa position à l’égard de Larbaud :
La réflexion sur les problèmes posés par la traduction reste donc avant tout, durant la première moitié du xxe siècle, le privilège des écrivains. La traduction elle-même est considérée comme un problème d’esthétique littéraire, de stylistique, de critique – jamais informé par les lectures proprement linguistiques. [...] Après 1945 toute cette expérience lettrée, riche, sensible, mais disparate et souvent mal fondée linguistiquement, culmine dans Sous l’invocation de saint Jérôme [...] (Mounin 1976 : 189-190).
George Steiner (1978 : 225) situe Larbaud dans la seconde phase de sa division historique des réflexions sur la traduction : « Cette ère de définition et de théorie philosophico-poétique qui comporte déjà une historiographie de la traduction s’étend jusqu’à l’ouvrage brillant mais dénué de rigueur de Valery Larbaud Sous l’invocation de saint Jérôme (1946). » Et là se pose l’éternel problème de la traduction, celui de l’interprétation et du rendu du texte de départ. Considérons ce que dit le texte de Steiner (1975 : 237) en anglais : « Larbaud’s inspired but unsystematic Sous l’invocation de saint Jérôme ». Le jugement alors apparaît moins négatif encore et n’eût peut-être pas déplu à Larbaud qui eût sans doute apprécié d’être perçu comme « inspiré », mais « non systématique ». C’est le terme qu’utilise Cary (1963 : 115) pour parler de lui : « L’ouvrage n’a rien de systématique. Il se présente à vrai dire, sous la forme d’un recueil où se trouvent rassemblés des articles et des essais rédigés à des dates très différentes et réunis par un lien assez lâche. »
67Voilà assez bien définie la texture de Sous l’invocation. Nous avons vu qu’un théoricien comme Meschonnic y apprécie la part qui est faite à l’aspect créatif de la traduction. Berman (1995 : 247), tout en reconnaissant aussi la lâcheté de sa texture, y voit « un grand livre nourricier, séminal, qu’il faut lire et relire ».
68Alors Larbaud fut-il un théoricien de la traduction ? Tout dépend du sens que l’on donne à ce terme. Il a théorisé dans la mesure où, comme un certain nombre de traducteurs avant lui, il a réfléchi sur ce qu’il faisait et a tenté de l’exprimer pour le faire partager. Il y a de toute évidence une absence de rigueur qui est inhérente à sa personnalité : si l’on prend par exemple Tytler à qui il consacre quatre pages, il est symptomatique qu’il déclare : « je ne peux m’attarder ici à discuter en détail de la doctrine de Tytler ; il me suffit d’avoir marqué sa place historique [...] » (Larbaud 1946 : 103). Il y a chez Larbaud des amorces de pistes qui ne sont pas exploitées, qui surtout ne sont pas creusées, qui participent d’un indéniable dilettantisme intellectuel. Certains apprécieront peut-être cette théorie en miettes, mais d’autres seront sans doute déçus de ne pas trouver cette construction qui témoigne d’un effort pour rendre compte de façon plus dense et structurée d’un objet d’étude.
69Il n’y a pas de construction globalisante chez Larbaud, pas de synthèse ordonnée ; ce qui domine chez lui c’est l’essayisme ; et peut-être au fond serait-il flatté que l’on envisage son Saint Jérôme comme des « essais sur la traduction », des essais à visée théorique, mais qui ne sont pas intégrés dans un système. Cette forme est sans doute due aux circonstances de l’établissement du volume, qui ne fut pas le fait de Larbaud lui-même, mais elle correspond assez bien à son tempérament et il n’est pas sûr qu’il l’aurait renié. Tout au plus peut-être eût-il écarté certains de ces essais comme « La chartreuse de Grenade », qui, pour généreux qu’il soit (et révélateur du pacifisme et de l’honnêteté de Larbaud), n’a vraiment rien à voir avec la traduction. Outre cette absence de construction synthétique qui convient assez bien au flou et à l’impressionnisme caractéristiques de ses œuvres littéraires, il y a dans le ton des essais une note trop humaine, parfois même trop sensible pour en faire une œuvre purement scientifique, comme lorsqu’il dit que ce qui amène à traduire c’est le plaisir de « faire partager son bonheur [de lecture] à ceux qu’on aime » (Larbaud 1946 : 74). Il y a là une générosité et une bonne volonté « d’avant-guerre » et de fils de bonne famille qui ont le charme désuet de certaines qualités humaines irrémédiablement perdues ou « passées de mode », mais dont le « scientifique sérieux » n’a que faire ; tout comme le lyrisme de « l’amour et la traduction » (ibid. : 93-95). Cela dit, il faut avouer qu’avec ses maniérismes d’époque, et même si c’est dans le désordre, Larbaud nous livre des pages précieuses sur la traduction littéraire, car c’est bien d’elle qu’il s’agit ici.
Conclusion
70L’image de Larbaud pâtit de l’épithète de « dilettante » qui lui fut et demeure accolée. Et pourtant, quand on fait le bilan de sa carrière et de son œuvre, on est frappé par l’énergie qu’il ne cessa de déployer dans le domaine des lettres. Tout compte fait, Larbaud fut un dilettante actif, mais on a tendance à le reléguer au second plan au nom de critères qui valorisent la production romanesque ou poétique personnelle ; sans tenir compte de l’importance des relations interculturelles qu’il a assurées par le biais de son intense et continuelle activité de traducteur et de découvreur.
71Pour les « pros » de la littérature et les « durs » de la théorisation, il demeure un « amateur », et il est vrai que le côté un peu « brouillon » de ses réflexions sur la traduction ne peut manquer de surprendre et même d’agacer au vu de ce qui se fait aujourd’hui dans ce domaine. Mais s’agit-il même de juger hier au nom d’aujourd’hui ? Ce serait oublier la méthode du discours de Bachet de Méziriac, des traités de Gaspar de Tende et de Tytler. Il serait délicat de dire que la méthode est de tous les temps quand on observe l’histoire de la traduction. Mais, dans le cas de Larbaud, qui était l’un des rares alors à en avoir eu connaissance, il s’agit davantage d’une question de nature. Il n’est pas dit qu’il ait trouvé l’appellation « amateur » totalement désobligeante, mais peut-être eût-il pris soin de préciser qu’il en refusait les connotations de négligence pour conserver ce que ce mot comporte d’amour pour ce que l’on fait, en prenant son temps, parce qu’on en retire du plaisir. De même que les Essais de Montaigne ou les ruines antiques, les pensées de Larbaud peuvent irriter par certains de leurs manques et de leurs désordres, elles sont éminemment capables d’induire une réflexion humaniste parce que précisément elles sont le fruit d’un esprit capable d’abolir les frontières.
Bibliographie
Références
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Auteur
Université d’Artois, Arras (France)
Est professeur à l’Université d’Artois, où il enseigne la traduction et la traductologie. Ses centres d’intérêt en recherche sont l’histoire de la traduction et de ses théories, la didactique de la traduction et la linguistique contrastive. Il a publié des ouvrages dans ces divers domaines : l’histoire avec De Cicéron à Benjamin (2e éd., Presses Universitaires de Lille, 1995, version remaniée de la première partie de sa thèse de doctorat d’État) et une édition critique du « Discours sur la traduction » de Gaspard Bachet de Méziriac (Artois Presses Université, 1998) ; des manuels de traduction : La Traduction de l’anglais au français (2e éd., Nathan, 1994) et Le Commentaire de traduction anglaise (Nathan, 1992) ; des ouvrages de recherche collective dont il a été le coordonnateur : La Traduction à l’université (Presses Universitaires de Lille, 1993), Relations discursives et traduction (Presses Universitaires de Lille, 1995) et, en collaboration avec Lieven D’hulst, La Traduction en France à l’âge classique (Presses Universitaires du Septentrion, 1996). Il anime le Centre de recherche en traductologie de l’Artois (CERTA).
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Pour une interdisciplinarité réciproque
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2017
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 1
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2011
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 2
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2012
La traduction dans les cultures plurilingues
Francis Mus, Karen Vandemeulebroucke, Lieven D’Hulst et al. (dir.)
2011
La tierce main
Le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIe siècle
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2006
Sociologie de la traduction
La science-fiction américaine dans l’espace culturel français des années 1950
Jean-Marc Gouanvic
1999