Chapitre 4. Johann Joachim Christoph Bode : traducteur, imprimeur, Franc-Maçon
p. 97-130
Texte intégral
1Johann Joachim Christoph Bode (1730-1793) nous emmène dans l’Allemagne du xviiie siècle. Traducteur déjà réputé de son temps, il fut un médiateur littéraire discret mais important de la littérature anglaise, et, à un degré beaucoup moindre, de la littérature française. Du français, il a traduit, à part quelques œuvres mineures, les Essais de Montaigne. Mais il lui revient en particulier le mérite d’avoir fait connaître les romans anglais de Fielding, Sterne, Smollett et Goldsmith aux Allemands et d’avoir donné un nom au mouvement littéraire qui se reflète dans les œuvres de Sterne : l’Empfindsamkeit ou sentimentalité (v. 1740- 1780), étape importante de l’histoire littéraire européenne et en même temps de l’émancipation littéraire de l’Allemagne1.
2L’Allemagne, à cette époque, n’existe que du point de vue littéraire. Elle n’est pas encore un État-nation. Le Saint Empire romain germanique est une confédération très théorique, englobant des territoires souverains de taille et de poids fort variables, pas tous de langue allemande. La guerre de Trente Ans, qui avait consacré la suprématie de la France, avait laissé l’Allemagne dans un état de dislocation, d’appauvrissement et de dépeuplement. Ce pays, qui un siècle plus tard sera appelé le « pays des poètes et des penseurs », apparaît, vers 1700, comme un pays retardataire à tous points de vue : politique, social, économique et littéraire. Le renouveau, lent d’abord, prend de l’ampleur à partir de 1740 et coïncide largement avec la vie de notre traducteur.
3La pauvreté relative de la vie littéraire nationale favorise les influences étrangères, en particulier sous forme de traductions. Un Anglais inconnu prétend que « beaucoup plus de la moitié » des livres proposés à la foire de Leipzig (5000 à 6000 selon lui) sont des traductions (Tableau 24, cité d’après Knufmann 1969, col. 493). En réalité, aux foires de printemps de Leipzig de 1765, 1775 et 1785, on propose 310 titres traduits en allemand, soit 8,5 p. 100 de l’ensemble des titres. De ces 310 titres, 160 (52 p. 100) sont traduits du français (François 1988 : 36). Si c’est d’abord l’influence française2 qui prédomine (comme partout en Europe), l’influence anglaise3 se fait de plus en plus sentir pendant la seconde moitié du siècle. Les romans épistolaires de Fielding et de Richardson, le Voyage sentimental de Sterne, sont traduits presque immédiatement. Le drame bourgeois apparaît (inspiré par Le Marchand de Londres [1731] de Lillo). Lessing découvre Shakespeare, Wieland le traduit. Les Reliques of Ancient Poetry (1765) de Percy et l’Ossian de Macpherson (traduit en 1768-1769) déclenchent une vogue sans précédent ; ils influenceront le Sturm und Drang ainsi que les romantiques.
4Pourtant, il ne s’agit pas d’une « anglomanie » à la manière française. Les contacts avec l’Angleterre, surtout en Allemagne du Nord, ont toujours existé. Une certaine ressemblance des deux langues germaniques, l’anglais et l’allemand, a sans doute facilité les choses. On apprenait l’anglais grâce à des leçons particulières. La nature même de cet enseignement fait que nous n’en avons que très peu de sources. Toutefois, les manuels attestent son existence, et, à partir de 1730, on trouve même quelques cours d’anglais dans les universités de Helmstedt et de Göttingen. Vers la fin du siècle, une université sur deux propose des cours d’anglais (Fabian 1985 : 182). Shakespeare était déjà connu grâce aux compagnies de comédiens anglais qui, au xvie et au xviie siècle, faisaient régulièrement des tournées en Allemagne (mais pas en France). Les journaux moralisants anglais du genre Tatler et Spectator sont lus et largement imités.
5La différence avec l’anglomanie française – manie toute relative et objet de violentes polémiques – est qu’en Allemagne l’influence anglaise est ressentie comme moins choquante parce qu’elle se fait sentir plus progressivement et qu’elle ne met pas en jeu l’orgueil national. Du point de vue allemand, la France et l’Angleterre sont toutes deux étrangères. Et puis, les priorités sont différentes : alors qu’en France l’Angleterre est souvent érigée en modèle de tolérance politique ou philosophique, l’enjeu, en Allemagne, paraît surtout littéraire. Le regain d’intérêt pour l’Angleterre se manifeste à un moment crucial, au moment précisément où la doctrine classique française, avec la philosophie rationaliste qui la sous-tend et les valeurs aristocratiques auxquelles elle s’attache, est en train de passer de mode. En 1759, dans la 17e de ses Literaturbriefe, Lessing polémique contre l’ancienne doctrine, représentée par Gottsched, et annonce d’un air triomphal un changement des références littéraires : il préfère Shakespeare à Racine, l’Angleterre à la France, le drame bourgeois à la tragédie classique. En réalité, il devance le changement plus qu’il ne le constate, mais le mouvement est irréversible.
6Johann Joachim Christoph Bode a passé l’essentiel de sa vie4 dans une Allemagne du Nord protestante, active du point de vue littéraire et ouverte aux influences anglaises. Il a grandi dans le duché de Brunswick-Wolfenbüttel, puis a vécu dans le duché de Brunswick-Lünebourg, mieux connu sous le nom d’électorat de Hanovre, dont le duc Georges-Louis était en même temps roi de Grande-Bretagne, sous le nom de Georges Ier. Mais Bode a passé la plus grande partie de sa vie active à Hambourg, grand port ouvert sur le monde et qui entretenait des liens suivis avec la Grande-Bretagne et le Danemark. L’esprit cosmopolite et républicain de cette ville hanséatique l’a sans doute marqué. Il y a croisé Lessing ainsi que d’autres personnalités littéraires comme Basedow, Claudius, Gerstenberg et Klopstock5. Ce n’est que vers la fin de sa vie qu’il s’installe à Weimar, une des nombreuses cours dont l’Allemagne de cette époque fourmille et qui animent la vie littéraire et artistique. La cour de Weimar en est la plus réputée, illustrée entre autres par Goethe, Herder, Wieland, que Bode y fréquentera en effet.
7Pour la recherche, Bode n’est pas un inconnu. Böttiger, son ami, avait déjà publié une notice biographique assez détaillée dès la disparition de Bode en 1793 (Böttiger 1799). Celui-ci est mentionné dans la littérature érudite du xixe siècle, et, au début du xxe, des thèses lui ont été spécialement consacrées (Beam 1906 ; Wihan 1906 ; Krieg 1909). Ces travaux négligent malheureusement les traductions du français. D’ailleurs, nous ne disposons toujours pas d’une liste exhaustive de ses traductions. J’essaierai donc de combler ces deux lacunes.
8Il faudra également tenir compte des découvertes récentes au sujet des activités maçonniques de Bode et de ses fréquentations à Weimar.
L’homme
9Johann Conrad Urban Bode naît le 16 janvier 1730 à Brunswick. Ce n’est que plus tard qu’il adoptera le nom de Johann Joachim Christoph Bode. Son père a été tour à tour paysan, soldat de métier, puis ouvrier dans une briqueterie. L’enfant grandit dans le village de Klein-Schöppenstedt et chez son grand-père à Barnum, où il garde les moutons. Comme il montre peu d’aptitude pour l’agriculture ou le travail manuel, ce qui est une tare considérable dans ce monde rural, on l’envoie finalement en apprentissage chez un hautboïste de la ville de Brunswick. Il y apprend à jouer de plusieurs instruments de musique. Cette période de sa vie est assez malheureuse, entre autres parce qu’on lui interdit de lire et qu’il subit toutes sortes de vexations. Il réussit brillamment à son examen, devient lui-même hautboïste dans un régiment de Brunswick et se marie avec Johanna Marie Louise Reinecken, fille d’un luthier. Il a tout juste dix-neuf ans. Le mariage n’est pas très heureux ; les soucis d’argent y sont pour quelque chose. Trois enfants naissent rapidement, qu’il faudra nourrir. Bode décide donc d’améliorer ses compétences professionnelles et d’apprendre le basson, instrument alors en vogue, chez un virtuose de la ville voisine de Helmstedt. Pour se nourrir lui-même ainsi que sa famille, il donne des leçons de musique. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de l’étudiant Schlubeck. Celui-ci lui fait découvrir les langues étrangères. C’est l’éblouissement. En échange de leçons de musique, Bode apprend de lui le français et l’italien. Il apprend aussi, en autodidacte, des rudiments de latin. Son enthousiasme le met en rapport avec un professeur de l’université de Helmstedt, Joachim Christoph Stockhausen, qui reconnaît et favorise ses dons par tous les moyens. C’est en payant une dette de gratitude que Bode adoptera plus tard le nom d’artiste de Johann Joachim Christoph Bode (dont il ne se servira pas pour ses traductions). Stockhausen l’invite à ses cours sur les belles-lettres et lui donne des leçons de rédaction et d’anglais.
10Pourtant, Bode n’oublie pas sa première idée : après avoir bien appris à jouer du basson, il obtient en 1753 une meilleure place dans un régiment de Celle, dans l’électorat de Hanovre. Là, il rencontre J.D.A. Münter, recteur adjoint du collège, qui lui donne des leçons, habilement déguisées en « conversations ». À Helmstedt et à Celle, Bode aurait écrit des compositions musicales (chansons, symphonies, concertos), des articles pour le Braunschweigisches Intelligenzblatt et ses premières traductions, qui seront publiées à Hambourg.
11En 1756, Bode perd sa femme et tous ses enfants. Déprimé et préoccupé en outre par des rumeurs de guerre, il décide de partir pour Hambourg. Il prend congé de son régiment et s’installe à Hambourg, muni seulement de ses instruments de musique et de deux lettres de recommandation de la part de Stockhausen. Il y donne des leçons de musique, fait des traductions pour le théâtre et dirige un journal littéraire, Der Hamburgische unpartheyische Correspondent (1762-1763), a le temps d’apprendre l’espagnol d’un cordonnier qui avait travaillé quelque temps en Espagne. En 1766, il épouse une de ses élèves de musique, Simonetta Tamm (ou Simonette Tam), jeune, belle, fortunée, mais le bonheur est interrompu au bout d’un an par la mort de l’épouse, qui fait une chute fatale. Il aurait pu hériter de sa femme une fortune colossale, mais, pour couper court aux mauvaises langues qui lui reprochaient d’avoir épousé Mlle Tamm uniquement pour son argent, il n’en garde que 16 000 thalers. Cette somme lui permet de fonder une imprimerie. Il y ajoute peu après une maison d’édition (dont les associés sont Lessing ainsi que son logeur et ami Johann Friedrich Schmidt), qui édite ses propres traductions, des œuvres de Claudius, Gerstenberg, Goethe, Herder, Klopstock, Lessing et autres, et prend aussi des commandes d’autres éditeurs. Certains disent que Bode n’avait pas le sens des affaires. Cela n’a pu être vrai qu’au début, car, pendant les années suivantes jusqu’au départ de Bode pour Weimar, l’affaire s’est bien portée. Le mariage (en 1768) avec Metta Maria Bohn, fille d’un éditeur et habile en affaires, a sans doute été bénéfique à l’entreprise. Or, ce troisième mariage est lui aussi poursuivi par le malheur. La mort frappe ses quatre enfants, puis, en 1777, l’épouse elle-même.
12C’est pendant ces années-là (1767-1769) que se situe l’expérience malencontreuse d’un « théâtre national allemand », à laquelle Bode était associé en tant que traducteur et imprimeur. Lessing en est le conseiller et critique littéraire attitré, ce qui donnera lieu à la Hamburgische Dramaturgie, seul résultat de l’entreprise qui ait échappé à l’oubli (Krebs 1985 : 310-435).
13Alors que le théâtre se limite à des troupes itinérantes, la ville de Hambourg connaît en revanche une vie musicale de haut niveau. Carl Philipp Emanuel Bach y est directeur artistique – et ami de Bode. Bode lui-même exerce une activité de musicien et temporairement de chef d’orchestre. C’est Bach qui suggère à Bode de traduire The Present State of Music de Burney.
14Depuis 1761, Bode est un franc-maçon très enthousiaste et, à partir de 1775, il consacre la majeure partie de son énergie à cette activité. Les recherches de Hermann Schüttler, en particulier la découverte des manuscrits du fonds Böttiger des anciennes archives centrales de la République démocratique allemande ont permis de mieux comprendre cet engagement et de le situer dans les mouvements maçonniques de l’époque (Schüttler 1994b)6.
15La maçonnerie au sens moderne débute en 1717 avec la fusion de quatre loges anciennes de Londres. Le mouvement se répand en France et parallèlement en Allemagne en passant par Hambourg, puis dans d’autres pays. Au cours du xviie siècle, la maçonnerie avait progressivement abandonné son lien avec le métier de maçon, en acceptant des membres de toutes les couches sociales. De ce fait, le but de ces associations ne pouvait plus être le même. Au lieu de travailler la pierre, on se mit à dégrossir l’homme, auquel on voulait conférer une humanité supérieure. Ce but fort vague reçut des interprétations des plus diverses. Pour Bode et ses amis, il s’agissait surtout de promouvoir la libre pensée, la tolérance et les droits de l’homme et de créer une société sans absolutisme. Un but donc identique au mouvement des Lumières en France, mais professé de façon moins bruyante en raison de la nature secrète des loges maçonniques. Bode adhéra à une tendance dite d’observance stricte. Ce système était caractérisé par l’existence de grades supérieurs qui se superposaient aux grades traditionnels d’apprenti, de compagnon et de maître et qui n’étaient connus que des initiés. En 1776, Johann Adam Weishaupt fonde une version plus radicale de ce mouvement, l’ordre des Illuminés. Ancien jésuite, il remplace la religion chrétienne par une religion de la raison, inspirée de Condillac, de La Mettrie et du baron d’Holbach. Bode adhère à l’ordre des Illuminés sur les instances du baron Knigge et y joue tout de suite un rôle de premier plan. Il est en bonne compagnie : Goethe et son protecteur le duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar-Eisenach, Jacobi, Hardenberg, Nicolai et Pestalozzi en font partie également. L’ordre envisage même d’acheter des terres en Russie, autour de Saratov, pour y fonder une république exemplaire. Le projet échoue, ce qui ne l’empêche pas de faire du bruit. Le gouvernement bavarois (Weishaupt, professeur à l’université d’Ingolstadt, est sujet bavarois) interdit en 1785 l’ordre des Illuminés. À partir de cette date, l’ordre est considéré comme dissous ; il continue pourtant à fonctionner, mais l’élan est brisé. C’est dans ce contexte qu’il faut voir le voyage de Bode à Paris (en 1787), qui a lieu sur les instances de Christian Wilhelm von dem Bussche, lui-même Illuminé. Les deux hommes s’emploient à influencer le mouvement maçonnique à Paris et donnent effectivement l’impulsion à la fondation des Amis réunis, dont on connaît le rôle qu’ils ont joué sous la Révolution.
16L’ordre des Illuminés avait tous les traits d’une organisation politique secrète ; elle pratiquait le noyautage des institutions, était organisé en cellules, les membres étaient placés sous un contrôle strict, la délation était encouragée, par contre la direction n’était soumise à aucun contrôle et se cachait derrière des pseudonymes. C’était la préfiguration des groupements modernes de conspirateurs, des carbonari. Bode, lucide et foncièrement honnête, s’opposa à l’espionnage des consciences... et eut gain de cause !
17En France, le terme « Illuminé » évoque des idées plutôt contraires, celles d’un anti-rationalisme mystique et religieux, représenté par Saint-Martin et Joseph de Maistre. Une partie du mouvement maçonnique en France a effectivement pris cette direction. En Allemagne, le nom d’Illuminés s’applique surtout à la tendance radicalement rationaliste et républicaine. Aux mystiques Rose-Croix, on donne plutôt le nom de Croix-d’or.
18Bode a pu observer à distance les débuts de la Révolution, dont il approuvait les principes. Son expérience de l’ordre des Illuminés lui avait pourtant inspiré des craintes, qu’il a vu confirmées. L’affiliation maçonnique de Bode est un élément important, qui aide à situer le personnage et à expliquer sa carrière. Il n’a pas été que traducteur ; il était aussi musicien, imprimeur, éditeur et franc-maçon. Cette dernière activité se recoupait avec un trait de son caractère : il avait un sens développé de la justice et de la dignité humaine. Elle lui permettait de compenser ses malheurs personnels par une activité fébrile. Par ailleurs, ses liens maçonniques le mettaient en rapport avec des personnages intéressants et même influents, ce qui avait des à-côtés pratiques non négligeables. Déjà, son premier protecteur et ami, Stockhausen, avait été maçon.
19Les années 1770 sont très fécondes en traductions. À peu près tous les ans, Bode en publie une. Sa traduction du Sentimental Journey de Sterne le rend célèbre du jour au lendemain. Ses affaires marchent bien, mais Bode n’est pas très heureux pour autant. Depuis la mort de sa troisième femme et de tous ses enfants, il se sent très seul. En 1778, il accepte une place de régisseur à Weimar auprès de Charitas Émilie comtesse Bemstorff, veuve de l’ancien Premier ministre danois Johann Hartwig Ernst comte Bernstorff, à laquelle il avait dédicacé sa traduction du Vicar of Wakefield. La comtesse, attirée par la vie mondaine et littéraire de Weimar, s’y était établie. (Les deux Bernstorff, protecteurs des lettres, avaient séjourné à Borstel, près de Hambourg, où Bode les avait connus. Les environs de Hambourg appartenaient alors au Danemark.) L’influence de sa protectrice lui confère des titres honorifiques : conseiller à la cour de Saxe-Meiningen (1778), conseiller de légation du duché de Saxe-Gotha (1782) et conseiller privé de la cour de Hesse-Darmstadt (1791)7. La comtesse fortunée achète une grande maison à Weimar et y mène une vie princière. Après avoir vendu son affaire, Bode s’y établit également et y installe même une petite imprimerie pour mieux diffuser des tracts maçonniques. Il entretient des liens d’amitié avec tout le monde, avec Goethe, Herder, Wieland, la famille ducale, Mme de Laroche entre autres.
20Et il continue à traduire. Sa traduction des Essais de Montaigne sera sa dernière. Il avait l’intention de traduire Rabelais, s’y était même préparé en lisant des textes de Luther et de Hans Sachs, mais, le 13 décembre 1793, la mort le surprit.
21La gravure dans le sixième volume de sa traduction de Montaigne montre un homme de forte carrure, avec une grosse tête. Son physique, qui était plutôt celui d’un paysan, formait un contraste saisissant avec la finesse de son esprit et son sens artistique. Il était d’une grande honnêteté et avait le sens des responsabilités. En contrepartie, il était très susceptible et avait ses humeurs, était quelquefois très têtu dans ses opinions, mais son intelligence, son sens des réalités et sa culture rachetaient ses défauts aux yeux de ses contemporains. Comme il aimait en plus la société et la bonne chère, on l’invitait souvent, et, inversement, toutes les personnes de rang et toutes les célébrités lui rendaient visite.
L’œuvre
22Bien que la réputation de Bode repose entièrement sur ses traductions, il a aussi produit quelques écrits originaux. D’après son premier biographe, C.A. Böttiger (1799 : xv-xxxiii), il aurait écrit un certain nombre d’œuvres « alimentaires », compositions musicales, correspondanciers, poésies, aujourd’hui introuvables. Il existe pourtant de lui plusieurs écrits maçonniques, puis le journal de son voyage à Paris en 1787. Bode a écrit quatre préfaces assez brèves, que nous examinerons plus loin. Parmi ses activités littéraires, il faut mentionner les journaux littéraires : le Hamburgische unpartheyische Correspondent, le Gesellschafter (1775). Les journaux de l’époque étaient en général écrits par une seule personne et ne connaissaient qu’une existence éphémère. Le Wandsbecker Bothe (1771-1775) fut imprimé par Bode, mais écrit surtout par Matthias Claudius.
23L’œuvre de traduction est importante et variée. Le tableau suivant permet de s’en faire une idée. Les années sont celles de la traduction, les titres sont ceux des originaux, et les lettres majuscules indiquent le genre : (I) = ouvrage d’information ; (M) = écrits moralisants ; (R) = roman ; (P) = propagande maçonnique ou autre ; (T) = théâtre. Cela est, bien sûr, une classification assez grossière.
1754 | Hoadly, Suspicions Husband (T) |
Moore, Gamester (T) | |
1759 | Chesterfield, Economy of Life (M) |
1760 | Voltaire, Café (T) |
1762 | Colman, Jealous Wife (T) |
1768-1769 | Sterne, Sentimental Journey (R) |
1769 | Béardé de l’Abbaye, Agriculture (I) (une partie de la tra |
duction est d’Ebeling) | |
Noverre, Lettres sur la danse (I) (une partie de la traduction | |
est de Lessing) | |
1772 | Cumberland, West Indian (T) |
Smollett, Humphry Clinker (R) | |
Whitehead, School for Lovers (T) | |
1772-1773 | Burney, The Present State of Music (I) |
1774 | Sterne, Tristram Shandy (R) |
1775 | Sterne, Letters to Eliza (M) |
Sterne, Letters... to his Most Intimate Friends (M) | |
Sterne, Letters from Yorick to Eliza (M) | |
Draper, Letters from Eliza to Yorick (M) | |
1776 | Adventurer (M) |
Goldsmith, Vicar of Wakefield (R) | |
1777 | Marmontel, Les Incas (R) |
1778 | Griffith, The Koran (P) |
1779 | The World (M) |
1781 | El Pensador (M) |
1786-1787 | Fielding, Tom Jones (R) |
1787 | Congreve, Way of the World (T) |
Latude, Histoire d’une détention (P) | |
1788 | Bonneville, Maçonnerie écossaise (P) |
1790 | Luchet, Sur la Secte des Illuminés (P) |
1793-1795 | Montaigne, Essais (M) |
24Au début de sa carrière, Bode a surtout traduit pour le théâtre (toutes ses traductions n’ont sans doute pas été publiées), et au fil des armées il s’est tourné vers le roman. On constate que les écrits moralisants, qu’on qualifierait aujourd’hui plutôt de psychologiques, sont bien représentées (neuf œuvres). (J’ai classé Montaigne dans cette catégorie, non seulement faute de mieux, mais parce que le xviiie siècle y voyait des affinités avec la littérature moralisante ou sentimentale contemporaine.) Le théâtre est représenté par sept pièces, les ouvrages d’information par trois ouvrages, les polémiques sont au nombre de quatre. Mais la gloire de Bode repose sur la traduction des romans, qui ne sont certes qu’au nombre de six, mais qui représentent des œuvres particulièrement volumineuses. J’ai compté vingt-neuf traductions au total, avec un peu d’incertitude, car une ombre plane sur ses premières œuvres, d’autant plus impénétrable que Bode ne signait jamais ses traductions. Böttiger, Goedeke et Meusel mentionnent un certain nombre de traductions dont je n’ai pu trouver trace dans les catalogues ou les bibliographies.
Sa manière
25Bode ne dit presque rien sur l’art de la traduction ou ses propres choix, même dans ses préfaces. Celles-ci sont au nombre de quatre :
- « Der Übersetzer an den Leser », préface de sa traduction du Sentimental Journey de Sterne (Sterne/Bode 1768-1769 : i-xx). On y trouve le mot historique, où Lessing lui recommande de traduire « sentimental » par empfindsam : « Osez dire empfindsam ! » (p. iii).
- « Nothdürftiges Vorbringen des Übersetzers », préface de sa traduction du Tristram Shandy de Sterne (Sterne/Bode 1774 : p. i-iii).
- Préface sans titre de sa traduction du Humphry Clinker de Smollett (Smollett/Bode 1775 : p. vii-viii).
- « P.P. », préface de sa traduction des Essais de Montaigne (Montaigne/Bode 1793-1799 : quatre pages non paginées).
Ces préfaces sont en revanche très instructives sur la personnalité de Bode. Dans toutes, il y a des protestations de modestie, assorties de pointes d’humour, qui rappellent un peu Sterne. La préface de Montaigne est la meilleure du genre. Bode s’y moque de la manie des préfaces et démontre leur inutilité. Ou bien la préface est moins bonne que le livre, dans ce cas elle est ennuyeuse ; ou bien elle est meilleure, alors elle fait tort au livre. Parler des difficultés de la traduction est mutile, car un plat ne devient pas plus savoureux parce que le chef vous dit combien il lui a coûté. Attaquer le critique conduira forcément à un dilemme : ou bien on tombe dans le vice de la présomption, ou bien on rabaisse ses mérites.
26On trouve le même genre de dérobade dans deux autres préfaces. Dans celle de Tristram Shandy, Bode se défend contre le reproche d’un pasteur d’avoir une morale trop facile en traduisant Sterne. Mais il n’entre point du tout dans le domaine de la morale, il dit tout simplement qu’il garde dans son tiroir l’original avec sa traduction et ses notes afin que d’éventuels critiques puissent les comparer. Et il rajoute qu’il en tirerait peut-être un jour un « Dictionnaire des noms et des choses contenues dans Tristram Shandy ». Cette dernière remarque est dirigée contre certains traducteurs qui ont la manie de rajouter des notes savantes au texte et qui parfois les mélangent aux notes accompagnant l’original (Knufmann 1969 : 534-537). Dans un sens plus général, cette modestie caractérise le « philosophe » des Lumières, qui est plutôt mondain que pédant.
27La préface de Humphry Clinker nous parle de la mauvaise réputation des traducteurs.
Es ist soweit mit uns gekommen, daβ sich keiner von uns öffentlich sehen lassen darf, ohne in die Gefahr zu gerathen, daβ ihm jedermann nachschreye: « Da geht er hin und hat keinen Kopf! »Und das kommt blos daher, daβ etliche Zeitungs- und Kunstrichter […] ausgeschwätzt haben: « Man braucht beym Uebersetzen keinen Kopf! »Nachher heißt es gar, wir hätten keinen! – Freylich ist dieser Schluß vom Nichtbrauchen aufs Nichthaben, nach meiner geringen Meynung, nicht völlig richtig; allein, wenns auch wäre […] daß wir keinen Kopf hätten, muß man deswegen über uns spotten? Es wäre nicht nur unhöflich, sondern undankbar, und von den meisten sehr unüberlegt dazu8 (Smollett/Bode 1775 : p. iii-v).
Ces remarques sont à rapprocher d’une citation de Montesquieu :
[...] il y a vingt ans que je m’occupe à faire des traductions. – Quoi ! Monsieur, dit le géomètre, il y a vingt ans que vous ne pensez pas ? (Montesquieu 1956 : 315 [lettre CXXVIII]).
La boutade reflète un souci de distinguer les œuvres originales des œuvres d’imitation, souci qui annonce la révolution esthétique de la seconde moitié du xviiie siècle, où les « beaux arts » constitueront un groupe à part lié à la notion d’originalité (Schneiders 1995 : 136-140).
28Si nous n’avons pas de manifeste théorique, nous avons en revanche une description de sa façon de procéder dans Böttiger (1799 : p. cxl). Bode lisait d’abord un chapitre dans l’original, repassait le texte dans sa tête, ce qu’il appelait sa « seconde vue », puis traduisait le chapitre d’une traite, en ménageant des espaces blancs pour certain mots ou certaines locutions qui lui faisaient momentanément défaut. Une fois ces lacunes comblées, il se contentait d’une révision assez superficielle, ce qui explique sans doute un certain nombre de bévues ou de négligences.
29À part cela, Bode était un traducteur très consciencieux. Il se renseignait sur les terminologies techniques, que ce soit celle de la chasse, des affaires militaires, de la danse, des institutions. Il se servait abondamment des dictionnaires, non seulement pour pénétrer le sens des mots et des locutions, mais aussi pour les rendre avec la même force et le même naturel. Il faisait usage même des dictionnaires dialectaux pour y puiser des expressions métaphoriques ou populaires.
30Et puis Bode traduisait ses textes en entier. Même dans le détail du texte, il ne supprimait rien. Il évitait également la paraphrase, l’adaptation, les petites autocensures pour cause de décence ou de conformité théologique. Il travaillait sur les originaux, sauf une fois : The Oeconomy of Life de Chesterfield a été traduit d’après la traduction française de Lescallier. À une époque où les « belles infidèles » étaient encore une chose courante, où l’on pratiquait souvent la traduction de seconde main en passant par le français, une attitude aussi respectueuse du texte n’allait pas de soi (Knufmann 1969 : 529-537). Chose curieuse, Bode n’était souvent pas le premier traducteur. Le Vicar of Wakefield de Goldsmith, le Tom Jones de Fielding, les Essais de Montaigne, le journal The World avaient été traduits avant. Quelquefois des traductions concurrentes voyaient le jour en même temps ou peu après (pour le détail, voir Fromm et GV). L’absence de droits d’auteur et les tirages peu élévés expliquent ce phénomène. Un traducteur très érudit qui avait déjà commencé à traduire le Sentimental Journey dès sa parution avoua que la traduction de Bode était bien meilleure que toutes les autres, y compris la sienne, en raison de son style coulant. Il se borna donc à corriger les erreurs de Bode, car le lecteur avait, d’après lui, droit à une traduction correcte (Eckert 1780 : p. iii, ix).
31Comme c’était en général Bode qui choisissait les textes à traduire, il ne prenait que des textes qui correspondaient à sa personnalité. Cela résolvait un problème théorique qu’on se posait alors, à savoir comment imiter le génie d’un autre. Si le traducteur présentait un génie ressemblant, ce problème était résolu (d’Alembert 1784 : 13). Le comique de Smollett, l’ironie fine de Sterne, le scepticisme de Montaigne convenaient à Bode. En revanche, l’humour très subtil et le grand sérieux moral de Goldsmith étaient beaucoup moins son affaire ; la traduction de Johann Gottfried Gellius, antérieure de neuf ans, respectait mieux ce genre (Goldsmith/Gellius 1767).
Un échantillon
32Tout traducteur a ses balbutiements. Il me semble donc que la manière de traduire de Bode peut être étudiée le mieux dans ses œuvres tardives, qui représentent l’aboutissement de son art. Citons un passage de Montaigne9 :
DES LIVRES
Je ne fay point de doute qu’il ne m’advienne souvent de parler de choses qui sont mieux traictées chez les maistres du mestier, et plus veritablement. C’est icy purement l’essay de mes facultez naturelles, et nullement des acquises ; et qui me surprendra d’ignorance, il ne fera rien contre moy, car à peine respondroy-je à autruy de mes discours, qui ne m’en responds point à moy ; ny n’en suis satisfaict. Qui sera en cherche de science, si la pesche où elle se loge : il n’est rien dequoy je face moins de profession. Ce sont icy mes fantasies, par lesquelles je ne tasche point à donner à connoistre les choses, mais moy : elles me seront à l’adventure connuez un jour, ou l’ont autres-fois esté, selon que la fortune m’a peu porter sur les lieux où elles étaient esclaircies. Mais il ne m’en souvient plus.
Et si je suis homme de quelque leçon, je suis homme de nulle retention.
Ainsi je ne pleuvy aucune certitude, si ce n’est de faire connoistre jusques à quel poinct monte, pour cette heure, la connoissance que j’en ay. Qu’on ne s’attende pas aux matières, mais aux façons que j’y donne.
Qu’on voye, en ce que j’emprunte, si j’ai sçeu choisir de quoy rehausser ou secourir proprement l’invention qui vient toujours de moy. Car je fay dire aux autres non à ma teste, mais à ma suite ce que je ne puis si bien dire, tantost par foiblesse de mon langage, tantost par foiblesse de mon sens. [...] (Montaigne 1950 : 387 sqq. ; livre II, chap. X)
ÜBER BÜCHER
Ohne Zweifel begegnet’s mir oft, daß ich von Sachen spreche, welche von den zünftigen Meistern besser und gründlicher behandelt sind. Dies hier sind bloß Versuche meiner natürlichen Kräfte und nichts weniger als erworbener, und wer mich auf Unwissenheit ertappt, der tut mir nicht wehe, denn kaum möchte ich einem andern für meine Aufsätze einstehen, da ich solches gegen mich selbst nicht einmal tue und nicht damit zufrieden bin. Wer auf Gelehrsamkeit jagen will, muß sie suchen, wo sie ihr Lager hat. Ich wüßte nicht, womit ich mich weniger abgäbe. Dies hier sind so meine eignen Einfälle, wodurch ich nicht beabsichtige, das Wesen der Dinge ans Licht zu bringen, sondern mich selbst. Die Dinge lerne ich vielleicht einmal künftig kennen oder habe sie schon einmal gekannt, nachdem das Schicksal mich auf Orte versetzte, wo sie im Lichte standen. Aber ich erinnere mich nichts mehr davon. Und wenn ich der Mensch war, der zur Not etwas lernen konnte, so kann ich doch nichts behalten. Also verspreche ich weiter nichts gewiß, als zu zeigen, wie weit es zu dieser Stunde mit der Kenntnis reiche, die ich davon habe. Man halte sich ja nicht bei der Materie auf, das bitt’ ich, sondern sehe nur auf die Form, die ich ihr gebe. Bei dem, was ich anderwärts borge, achte man darauf, ob ich etwas auszuwählen verstanden habe, wodurch die Erfindung gehörig gehoben und unterstützt wird, welche allemal von mir herrührt. Denn ich lege andern, nicht nach ihrer, sondern nach meiner Willkür, dasjenige in den Mund, was ich, sei es aus Mangel meiner Sprache, sei es wegen Schwäche meiner Kenntnisse, nicht so gut ausdrücken kann […] (Bode 1976 : 113).
33Ce qui frappe d’emblée le lecteur est la bonne lisibilité de la traduction, malgré les deux siècles qui se sont écoulés depuis sa rédaction. Les idées sont exprimées nettement, bien reliées et rendues dans un style plaisant et naturel, qui se rapproche de celui de la conversation, sauf pour la longueur des phrases. La traduction paraît exacte et presque littérale. Cet art de l’écriture fait en sorte qu’il faut se forcer un peu pour découvrir les défauts de sa traduction – car il y en a.
34En deux endroits, Bode n’a pas tenu compte de l’évolution du sens des mots. « Leçon » chez Montaigne veut dire « lecture » ; Bode comprend « apprentissage » et pratique le délayage (« der zur Not etwas lernen konnte ») (retraduction : « qui a pu avec quelque peine apprendre quelque chose ») pour masquer l’absence de logique. Quand Montaigne dit « qu’on ne s’attende pas aux matières », « attendre » est le verbe correspondant à « attention » plutôt qu’à « attente ». Bode emploie une traduction qui couvre les deux sens (« man halte sich nicht bei der Materie auf », comme si on disait : « qu’on ne s’attarde pas à la matière »). Erreur fructueuse ?
35La formule négative « l’essay de mes facultez naturelles, et nullement des acquises » a induit Bode à employer une litote laborieuse et ambiguë : « ... nichts weniger als erworbener ». Est-ce à dire « pas acquises du tout » ou « très certainement acquises » ?
36L’expression déictique damit est elle aussi ambiguë. Elle paraît se rapporter à la phrase qui précède (« da ich solches gegen mich selbst nicht einmal tue ») alors que l’antécédent est de toute évidence Aufsätze (discours).
37Vers la fin du passage, Bode a glissé rapidement sur un endroit difficile : « [...] je fay dire aux autres non à ma teste, mais à ma suite ce que je ne puis si bien dire [...] ». Après avoir fait allusion à l’inventio et à l’elocutio (la « matière » et la « formulation », en français moderne), termes de rhétorique classique, Montaigne entend dire qu’il emploie les citations non pas pour leur prêter un sens fantaisiste, mais pour mieux formuler ses propres idées. Bode traduit : « Denn ich lege andern, nicht nach ihrer, sondern nach meiner Willkür, dasjenige in den Mund… » (Retraduction : « Car ce n’est pas selon leur fantaisie, mais selon la mienne que je mets dans la bouche des autres ce que... ») Le lecteur est un peu dérouté, car la fin de la phrase est en contradiction avec son début.
38Une petite négligence syntaxique fait buter quelque peu le lecteur : « Aber ich erinnere mich nichts mehr davon. » Le verbe erinnern s’employait au xviiie siècle avec un complément au génitif ; or l’adverbe nichts, qui n’a pas de marque de cas, est un mauvais candidat.
39Là où nous lisons dans l’original : « dequoy je face moins profession », Bode traduit : « womit ich mich weniger abgäbe ». Cela force inutilement la note : ne pas faire profession de science ne signifie pas nécessairement ne pas en avoir. Montaigne n’était pas un ignorant et pouvait difficilement paraître tel à ses lecteurs.
40De toute évidence, Bode avait quelque peine avec le langage archaïque de Montaigne, ce qui explique que, dans sa traduction des Essais, les fautes de sens paraissent plus fréquentes que dans les autres traductions de sa période de maturité. J’ai examiné des échantillons de ses traductions de Marmontel et de Noverre et y ai trouvé une exactitude rigoureuse. Même impression dans les traductions de Goldsmith, de Smollett et de Fielding. Certes, Wihan a énuméré patiemment un certain nombre de faux-sens, mais dans l’ensemble de l’œuvre ils ne sont pas très nombreux. Même dans la traduction des Essais, ces imperfections ne tirent pas beaucoup à conséquence puisque le contexte est suffisamment clair et cohérent. Si le lecteur est dérouté pendant une fraction de seconde, il ne s’en rend compte que dans son subconscient et de fagon tout à fait passagère.
41II est intéressant de comparer la traduction de Bode avec la Version de Herbert Lüthy datant de 1953 :
ÜBER DIE BÜCHER
Ich zweifle nicht daran, dafß es mir oft begegnet, von Dingen zu sprechen, die von den zünftigen Meistern besser und gründlicher behandelt werden. Dies hier sind bloße Versuche meiner natürlichen Fähigkeiten, und keineswegs der erworbenen; und wer mich bei einer Unwissenheit ertappt, der kann mir nichts anhaben, denn schwerlich werde ich einem andern für meine Aufsätze einstehen, der ich nicht einmal mir selber dafür einstehe; noch auch bin ich von ihnen befriedigt. Wer auf Gelegenheit ausgeht, mag da nach ihr fischen gehen, wo sie haust: ich wüßte nichts, was weniger meine Sache wäre. Dies sind hier meine Einfälle, durch die ich nicht Sachkenntnisse zu geben suche, sondern Kenntnis von mir; die Kenntnis der Dinge werde ich vielleicht eines Tages besitzen oder habe sie einmal besessen, je nachdem mich der Zufall auf Stellen führte, wo sie erläutert werden. Aber ich erinnere mich nicht mehr daran. Und wenn ich einiges gelesen habe, so habe ich doch nichts behalten. So gebe ich über nichts Gewißheit, es sei denn darüber, wieweit zu dieser Stunde meine Kenntnis davon reicht. Man sehe nicht auf den Stoff, sondern auf die Form, die ich ihm gebe.
Bei dem, was ich mir ausborge, achte man darauf, ob ich etwas auszuwählen wußte, was meinen Gedanken ins Licht rückt. Denn ich lasse andere das sagen, was ich nicht so gut zu sagen vermag, manchmal aus Schwäche meiner Sprache, manchmal aus Schwäche meines Verstandes (Lüthy 1953 : 385).
42Lüthy a corrigé les faux-sens, enlevé les aspérités et modernisé la diction. Mais les passages en romain, qui correspondent mot pour mot à la traduction de Bode, et les autres, qui s’en écartent peu, attestent bien qu’il s’est servi de cette traduction. Et quant à l’endroit difficile – « non à ma teste, mais à ma suite » –, il l’a supprimé tout simplement. Le mérite de sa refonte est certes incontestable. On s’étonne tout de même de la sévérité de Lüthy vis-à-vis de la traduction de Bode. Il ne lui reproche pas seulement ses faux-sens, mais encore d’avoir changé le genre :
[…] sie geht so aufs Ungefähr neben dem halbverstanden Text her und macht ihn so duzbrüderlich zum biederen deutschen Aufklärer mit närrisch archaisierenden Zöpfchen, daß von Geist und Stil Montaignes wenig übriggeblieben ist. […] mit Montaigne hat sie so wenig zu tun wie die fabrizierten Ruinen des späten achtzehnten Jahrhunderts mit dem Mittelalter (Lüthy 1953 : 887)10.
Bode a certes vécu à une autre époque, mais que son texte soit « ridiculement désuet » par rapport à celui de Lüthy, qui emploie darein, darob, Vergleichung (p. 387, 389, 390), ne me paraît pas du tout évident.
43Revenons donc à Bode et tentons de découvrir dans l’extrait cité des indices de sa façon de faire. Bode excelle dans la traduction des locutions métaphoriques, qu’il rend plutôt plus fortes que moins fortes. Ici il passe d’une expression prise dans le domaine de la pêche (« Qui sera en cherche de science, si la pesche où elle se loge ») à une expression du domaine de la chasse : « Wer auf Gelehrsamkeit jagen will, muß sie suchen, wo sie ihr Lager hat » (« qui entend chasser la science, doit la chercher en son gîte »). En dehors de notre échantillon, on peut trouver des exemples où Bode renforce l’expressivité de la locution métaphorique. (C’est nous qui soulignons.)
Aux fins de renger ma fantasie a resver mesme par quelque ordre et projet, et la garder de se perdre et extravaguer au vent […] (Montaigne 1950 : 751 ; livre II, chap. XVIII).
Um meine Einbildungskraft unter der Schere zu halten und selbst mit einiger Ordnung und Absicht zu phantasieren und die Imagination zu hüten, daß sie sich nicht in Wind und Wolken verliere […] (Montaigne/ Bode 1976 : 184).
[…] deffaux de quoy nous sommes les plus entachez (Montaigne 1950 : 752).
[…] Fehler […] die uns am meisten ankleben (Montaigne/Bode 1976 : 186).
Dans l’échantillon, on observe que Bode rajoute des mots qui rendent l’idée plus nette et plus énergique : « sondern mich selbst » ; « gehörig gehoben und unterstützt wird […] » ; « Man halte sich ja nicht bei der Materie auf, das bitt’ ich […] ». Ces procédés sont des applications du principe de compensation :
Prévoit-il qu’il doive affaiblir son auteur dans un endroit ? Qu’il le fortifie dans un autre ; qu’il lui restitue plus bas ce qu’il lui a dérobé plus haut ; en sorte qu’il établisse partout une juste compensation, mais toujours en s’éloignant le moins possible du caractère de l’ouvrage et de chaque morceau (Delille cité dans D’hulst 1990 : 124 ; d’Alembert 1784 : 22, cf. 17).
Ce principe de compensation permet d’éviter un reproche qu’on a souvent fait à la traduction, celui de tout ramener à un style insipide et sans relief. Bode l’a appliqué intuitivement et avec bonheur, ce qui avait déjà été remarqué par les contemporains (Böttiger 1799 : clx).
Les styles
44L’autre vertu de Bode consiste à rendre les différences de style, surtout lorsque celles-ci servent à caractériser des personnages. Les œuvres de Montaigne ou de Marmontel ne se prêtent pas à ce genre d’observations, il faut donc se tourner vers les romans anglais.
Hushed be very ruder breath. May the heathen ruler of the winds confine in iron chains the boisterous limbs of noisy Boreas, and the sharp-pointed nose of bitter-biting Eurus (Fielding 1996 : 134 ; livre IV, chap. II).
Jeder rauhere Lufthauch schweige! Und du heidnischer Herrscher der Winde, lege in eherne Fesseln die groben Glieder des brausenden Boreas und den scharfbeißenden, spritzig pfeifenden Eurus (Fielding/Bode 1995 : 109 ; livre IV, chap. I).
Au début du quatrième livre de Tom Jones, Fielding se moque ainsi du style néo-classique de Pope. Bode a dû facilement trouver des équivalents allemands dans le Messias de Klopstock et, surtout, dans la traduction de l’Odyssée par Johann Heinrich Voss (1781).
45Il est particulièrement à l’aise quand il s’agit de caractériser les personnages. Qu’on compare les styles de Jones et de Western dans le passage suivant :
« I hope, sir, » said Jones, « I shall never forget the many obligations I have had to you; but as for any offence towards me, I declare I am an utter stranger. » « A’t? » says Western, « then give me thy fist; a’t as hearty an honest cock as any in the kingdom. Come along with me; I’ll carry thee to thy mistress this moment » (Fielding 1996 : 853; livre XVIII, chap. X).
« Ich hoffe, Herr Western », sagte Jones, « ich werde nie die Verbindlichkeiten vergessen, die Sie mir auferlegt haben. Was aber die Beleidigungen betrifft, die Sie mir zugefügt hätten, so bezeuge ich, daß sie mir völlig unbekannt sind. »
« Sind’s? »sagte Western.« Gib mir’s Patschhand! Bist doch ein ehrlicher Kerl, wie nur einer die Erd’ betrítt. Komm, geh’ gleich mit mir; ich will dich im Augenblick zu deiner Braut hinbringen »(Fielding/Bode 1995 : 839 ; livre XV, chap. IX).
Les personnages sont aussi caractérisés en fonction de leur condition. Voici Mademoiselle Honour/Honoria :
« La, ma’am, what does your la’ship think? the girl that your la’ship saw at church on Sunday, whom you thought so handsome; though you would not have thought her so handsome neither; if you had seen her nearer […] » (Fielding 1996 : 170 ; livre IV, chap. XII).
« Ha! Frölen, was denkt Euer Gnaden! das Mäd’l, das Euer Gnaden letzt Sonntags inner Kirch sah’n, und vor so hipsch hielt’n; obschons Sie sie auch nicht vor so hipsch möcht’n gehalt’n hab’n, wenn Sie sie näher geseh’n hätten! […] » (Fielding/Bode 1995 : 143 ; livre IV, chap. VIII).
Une fois de plus, Bode renchérit sur la différence ; la collection d’expressions populaires ou dialectales (letzt Sonntags, Mäd’l, inner Kirch, hipsch, obschons, möcht’n gehalt’n haben) est assez impressionnante, trop peut-être, et sent un peu l’artifice. De même, Bode prend plaisir avec son auteur quand il s’agit de se moquer du manque de culture de certaines personnes, en particulier de Mme Tabitha Bramble dans Humphry Clinker :
Mrs. Gwyllim,
When this cums to hand, be sure to pack up in the tranke male that stands in my closet, to sent me in the Bristol waggon without loss of time, the following articles, viz. my rose collard neglejay, with green robins, my yellow damask, and my black velvet suit, with the short hoop […] (Smollett s. d.: 6).
An Frau Gwillims, Haushälterin zu Brambleton-Hall
So bald sie diesen Brief erbrochen hat, Frau Gwillins, soll sie in meinem Kuffer, der hinter der Thüre in meinem Cabinett steht, alles hinein paken, was ich sie hier sagen will. Aber ja bald, hört sie! mit dem Wagen nach Bristol: Mein Culör de rose negelschee mit den grünen Fallbelahs; mein gelb Damast und mein schwarz sammt Kleid […] (Smollett/Bode 1775 : 4).
46Dans certaines comédies – The West Indian, The School of Lovers, The Jealous Wife –, Bode force la caractérisation des personnages. On trouve un exemple analogue dans Tom Jones dans le deuxième chapitre du sixième livre, où Mrs. Western est présentée comme une personne affectée dont le genre contraste avec la simplicité de l’esquire Western. Si Fielding se moque de sa laideur, de sa culture superficielle et de sa mondanité, Bode lui prête une prétention caricaturale. Il l’appelle plusieurs fois Ihro Gnaden (« Sa Grâce ») et lui met dans la bouche des expressions françaises : « Mon cher frère ! haben Sie nicht seit einiger Zeit etwas Aufßerordentliches an meiner Nièce bemerkt ? » (Fielding/Bode 1995 : 210 ; livre VI, chap. II). « O votre servante très humble, Monsieur ! » (ibid. : 213). Il n’y a rien de tel dans Fielding (1996 : 237, 239, livre VI, chap. II). Cette façon de surcaractériser les personnages est un trait typique de Bode, qui lui réussit plus ou moins bien selon les occasions.
Les noms propres
47On sent partout que Bode a réfléchi à son art ; cette constatation vaut aussi pour le traitement des noms propres. Le problème se pose sous deux angles : 1° quand il s’agit de noms transparents, dont on aimerait traduire la signification, surtout lorsqu’elle ajoute au comique ; 2° lorsque le traducteur est confronté au choix de conserver la couleur locale ou non.
48Dans ses premières traductions pour le théâtre – The Suspicious Husband de Hoadley, The Gamester de Moore et Le Café de Voltaire –, Bode a systématiquement gardé les noms propres et la couleur locale (institutions, coutumes, poids et mesures, allusions littéraires, usages différents du théâtre, etc.), contrairement à la doctrine gottschedienne en vigueur alors qui préconisait de tout naturaliser, de tout domestiquer. Tout a été religieusement gardé, y compris les écarts de langage qui auraient pu choquer en Allemagne. Une seule exception, la monnaie farthing a été rendue par Häller ou Dreyer (Beam 1906 : 55 sqq., 88 ; Wihan 1906 : 8-10). Cette exception montre d’ailleurs qu’il est très difficile de suivre l’une ou l’autre méthode de façon rigoureuse. Quand les choses étrangères sont par trop étranges, il faut lâcher un peu de lest, surtout au théâtre. Si, par contre, on décide de nationaliser la pièce, on s’astreint à des changements qui en attirent d’autres et qui risquent de modifier la substance ou le caractère du texte.
49Dans West Indian de Cumberland, The School of Lovers de Whitehead et The Way of the World de Congreve, Bode a fait une exception et a suivi la stratégie contraire. Tout a été germanisé, en particulier les noms parlants. Dans The Way of the World, nous trouvons, par exemple, Witwould : Herr von Witzgall ; Lady Wishfort : Baronesse von Giermann ; Shropshire : Erzgebirge ; Suckling : Goeking. L’a-t-il fait sous l’influence de traducteurs ou de critiques contemporains, comme le prétend Beam (1906 : 57, 88) ? Ou était-ce pour ne pas perdre le comique des noms parlants ? Dans la traduction de Tom Jones, il est évident que Bode s’est servi des trois traductions existantes et qu’il a suivi Wodarch, qui germanisait les noms parlants, mais pas de façon conséquente. Tantôt il a repris les noms : Partridge : Rebhuhn ; Bridle : Zaum, tantôt il en a formé de nouveaux : Nightingale : Nachtigall ; Supple : Schickelmann, etc. (Wihan 1906 : 142 sqq.). Apparemment, Bode s’est décidé pour une voie de compromis, avec un fort accent sur l’adaptation.
50Dans les Essais de Montaigne, la question se pose autrement. Là il s’agit d’allusions érudites, et Bode a employé la forme usuelle des noms : Plutarque, Sénèque, Boccace, Jean Second (Montaigne 1950 : 449, 450) deviennent donc tout à fait correctement Plutarch, Boccaz [aujourd’hui, on dirait Boccaccio], Johannes Secundus (Montaigne/ Bode 1976 : 114, 116). Bode montre une bonne culture littéraire et se trompe rarement.
La couleur locale
51Le problème des noms propres n’est qu’une partie d’un problème plus vaste : faut-il reporter, traduire ou substituer les poids et mesures, les monnaies, les lieux, les fleuves, les montagnes, les morceaux de musique, les œuvres littéraires, les célébrités, les institutions, les termes de droit, les plats, les jeux, etc., par des choses que le lecteur connaît ? Ce n’est pas seulement une question de noms, mais aussi de référence à l’environnement naturel ou culturel, qui peut être différent et plus ou moins inconnu. La méthode de l’emprunt (Northerton → Northerton) ou du simple report (foot → Fuβ → pied) est certes la plus simple et la plus exacte, mais cela ne sera jamais une panacée. Adapter tout n’en sera pas une non plus.
52En arrière-plan, la doctrine joue elle aussi un rôle. Au début de l’époque des Lumières, la théorie du langage avait un fort accent instrumentaliste et universaliste. La raison étant universelle, la traduction devait donc s’y référer :
[...] kan eine glückliche Uebersetzung aller [Interpretationen] Stelle vertreten. Hat sie den Verstand einer ursprünglichen Schrift deutlich und vollständig ausgedrücket: So ist sie so gut, als das Original selbst11 (Venzky 1734, III, 64 sqq., cité dans Senger 1971 : 49).
Il fallait en premier lieu tout faire comprendre. Si ce but était atteint, la traduction était considérée comme une copie parfaite. Cela ne dit certes rien sur le traitement des noms propres ou de la couleur locale, mais on comprend que cette époque s’embarrassait peu de détails nationaux qui n’étaient pas, comme la raison, universels. Bode arriva, comme Lessing, à un moment où les priorités changeaient, où, par exemple, le sentiment et le génie national suscitaient davantage d’intérêt. Mais ce sont là des tendances, non pas des dogmes.
53Dans la pièce The Way of the World de Congreve, Bode a pris la décision de placer l’action en Allemagne. C’est une option défendable quand l’intrigue n’est pas liée à la géographie ou à l’histoire. Mais les nombreuses allusions littéraires, historiques ou autres dans Tom Jones, qui tantôt sont gratuites, tantôt servent à caractériser le personnage, tantôt ne servent qu’à donner au roman une assise dans la réalité, ne permettaient pas un choix aussi radical. Toujours est-il que certaines allusions supportent une certaine dose d’adaptation. Celle-ci devient même une nécessité quand on parle de Bridewell, Lombard Street ou Billingsgate, noms métonymiques que seuls les initiés peuvent saisir ; il faut donc trouver quelque chose que le lecteur comprenne. Bode, de toute évidence, s’est mis au travail sans suivre une ligne conséquente. Blifil, Deborah Wilkins sont bien repris tels quels, Allworthy, Bridget, Honour, Tom Jones deviennent Alwerth, Brigitta ou Brigitte, Honoria, Thomas Jones. Les allusions culturelles sont en général représentées par leur équivalent générique : Bridewell (livre I, chap. IX, p. 52) par Spinnhaus « maison de correction », Lombard Street (livre XIII, chap. VI. p. 621) par Kaufmannsbörse « lieu où l’on spécule », Billingsgate (livre XVIII, chap. III, p. 813) par Kraut- oder Fischmärkte « endroit où le langage est très grossier ». Il n’y a rien à dire contre cela, contrairement à ce que pensait Wihan (1906 : 151 sqq.). Par contre, on se demande pourquoi Bode a laissé, d’une part, les noms de Johnson, Locke, Otway, Lyttleton, Allen et Warburton (Fielding 1996 : IV, I : 131 ; IV, I : 132 ; VIII, X : 385 ; XIII, I : 601 ; Fielding/Bode 1786-1788 : II : 5 ; III : 366 ; V : 12 et 14), connus sans doute de très peu de ses lecteurs, alors qu’il remplace le London Evening Post (Fielding 1996 : VI, II : 238) par Relator refero (locution latine estropiée et hors de propos), et les morceaux de musique qui plaisent à l’esquire Western par des airs à la mode dans l’Allemagne de son temps (Fielding/Bode 1786-1788 : II : 378 ; Fielding/Bode 1995 : 122 sqq.). Dans l’édition allemande de 1995, d’importantes parties du texte ont été supprimées, ce qui supprime aussi une bonne partie du problème.
Bode et nous
54Que reste-t-il de Bode aujourd’hui ? Puisqu’il est lié à l’histoire littéraire allemande, les germanistes s’intéressent à lui et vont sans doute continuer de le faire. On constate en plus un regain d’intérêt pour ses activités maçonniques et musicales. Quant à ses traductions, une grande partie est tombée dans l’oubli, en général parce que les auteurs le sont aussi. On ne joue plus les pièces de Voltaire ou des dramaturges anglais du xviiie siècle ; on ne parle plus de Marmontel. Mais on réédite et on vend toujours les traductions que Bode a faites des classiques : Sterne, Smollett, Fielding – souvent en version abrégée (ce que les éditeurs passent sous silence sur la page de titre). La traduction de Montaigne survit sous forme d’extraits. Celle de Goldsmith n’est plus dans le commerce depuis longtemps. Dans les deux cas, nous avons des traductions concurrentes ou plus récentes qui ont supplanté celles de Bode.
55Les traductions de Bode qui sont actuellement disponibles se défendront encore pendant quelques décennies. Mais à terme elles sont condamnées par le vieillissement de la langue. Et pourtant... en lisant Tom Jones ou A Sentimental Journey dans la traduction de Bode, on oublie aussitôt que le texte est du xviiie siècle. Il a en effet une vitalité propre qui le rend contemporain.
Conclusion
56De son vivant déjà, Bode était une légende. Cela se comprend. L’histoire de sa vie est doublement touchante : c’est l’histoire d’un homme qui sort d’un milieu très simple et qui, par son seul effort, accède à la culture ainsi qu’à une existence bourgeoise et respectée. Et qui devient même célèbre grâce à sa traduction du Voyage sentimental. Cet homme est en outre poursuivi par le malheur, car il perd ses trois femmes et ses sept enfants. Le troisième ingrédient de sa légende est d’abord réservé à un cercle d’initiés : son activité maçonnique. Celle-ci le met en rapport avec des personnalités haut placées et très influentes dans le domaine intellectuel ; elle représente pour lui le mouvement des Lumières dans sa version la plus radicale et la plus politisée. Ajoutez à tout cela une personnalité attachante, et vous avez la légende Bode.
57En tant que traducteur, il était consciencieux et talentueux. Ses versions de Smollett, Sterne et Fielding peuvent rivaliser avec les traductions les plus réputées qui sont devenues des classiques allemands : la traduction de Shakespeare par August Wilhelm von Schlegel, Dorothea Tieck et Wolf comte Baudissin (1796-1833) ou les traductions d’Homère par Johann Heinrich Voss (Odyssee, 1781 ; Ilias, 1793). Son respect de l’original, son talent à produire un texte très lisible, à caractériser les personnages et leur condition, à manier l’ironie la plus fine, les nuances du sentiment et du comique, son emploi judicieux de la théorie de la compensation ont assuré à ses traductions une longévité tout a fait méritée. Malgré les erreurs ou les maladresses qu’on lui a reprochées, ses traductions possèdent des qualités que d’autres traductions ont rarement : du charme et de la personnalité.
Bibliographie
Références
Contrairement à l’usage, les lieux de parution sont indiqués dans leur forme originale. On lira donc London et non pas Londres. Pour les sources, j’ai également indiqué la bibliothèque où elles se trouvent, dans la mesure où j’en ai eu connaissance. On ne s’étonnera pas que les lieux de parution et les noms des imprimeurs des écrits maçonniques soient en général fictifs ou absents.
1. Sources
a) Œuvres originales de Bode
Abstract der Gesetze für die Gesellschaft der Royal Arch Freymaurerey. (Weimar 1792.)
Almanach oder Taschen-Buch für die Brader Freymäurer der vereinigten Deutschen Logen. 4 vol., 1776-1779.
Der Gesellschafter. Eine Wochenschrift. (Hamburg : Bode) 1775-1776.
Der Hamburgische unparteyische Correspondent. (Hamburg) 1762-1763.
Ein paar Tröpflein aus dem Brunnen der Wahrheit Ausgegossen vor dem neuen Thaumaturgen Caljostros. Am Vorgebirge [Frankfurt], 1781. [Wolfenbüttel : Hr 54.]
Journal einer Reise von Weimar nach Frankreich im Jahr 1787. Édité par Hermann Schüttler. Neuried : ars una, 1994. [Avec une notice bio-bibliographique importante et une notice sur les activités maçonniques de Bode.]
Préface, « Der Übersetzer an den Leser », dans Sterne/Bode 1768-1769, p. i-xx. [Également dans l’édition de 1776-1777.]
Préface, anonyme, sans titre, dans Smollett/Bode 1772, I, 3-8. [Également dans l’édition de 1771.]
Préface, « Nothdürftiges Vorbringen des Übersetzers », dans Sterne/Bode 1774 : vol. I, p. i-viii.
Préface, anonyme, intitulée « P.P. », 4 pages non paginées, dans Montaigne/ Bode 1793-1799 : p. i.
Ritual der verbesserten Freimaurerei, enthaltend die Ceremonien bey der Aufnahme. (Weimar, v. 1791-1792.)
Pour une liste plus complète de ses publications maçonniques, voir GV, s. v. « Bode ».
b) Traductions de Bode avec les originaux correspondants
Certaines traductions d’œuvres indiquées par Böttiger, Goedeke, Meusel et Ersch/Gruber restent introuvables. Elles ne sont pas, en tout cas, dans GV. Il est possible qu’il s’agisse d’adaptations ou de remaniements ou qu’elles soient d’autres auteurs.
ABENTHEURER (1776), Der Abentheurer. Ein Auszug aus dem Englischen. 2 vol. Berlin : Himburg. [Ou : Berlin : Reimer, 1776.]
The Adventurer. [Sous la direction de John Hawkesworth, avec la coll. de Samuel Johnson et de Joseph Warton] 2 vol. London : J. Payne, vol. 1753- 1754. [5e éd., 4 vol., London : Miller, 1766.] Reprint, New York : AMS Pr., s. a.
[Également dans The British Essayists. To which are prefixed prefaces biographical, historical, and critical, By James Ferguson, esqu. A new edition. Vol. XXIII-XXV. London 1819.]
BÉARDÉ/BODE (1769), Ueber die Landwirtschaft, oder verschiedene physikalische Versuche zum Nutzen der menschlichen Gesellschaft von Herrn Béardé de l’Abbaye. Hamburg/Bremen : Cramer, 1769.
Béardé de l’Abbaye (1763), Essais d’agriculture ou diverses tentatives physiques proposées pour l’avantage de la société. Bremen : Cramer. [Leipzig : Kummer, 1763 ; Hambourg : Cramer, 1768.] [On sait peu de choses sur cet auteur, même pas son prénom.]
BONNEVILLE/BODE (1788), Die Schottische Maurerei mit den drei Ordensgelübden und das Geheimnis der Tempelherren aus dem 14. Jahrhundert. Übers. m. Anm. 2 vol. Leipzig : Göschen.
Bonneville, comte Nicolas de, La Maçonnerie écossaise, comparée avec les trois professions et Le secret des Templiers au xive siècle. Orient de Londres, 1788.
BURNEY/BODE (1772-1773), Carl Burney’s, der Musik Doktors, Tagebuch seiner musikalischen Reisen. 2. und 3. Bd. Hamburg : Bode, 1772-1773. [Réédition en fac-similé par Richard Schaal : Kassel : Bärenreiter, 1959.] [Cet ouvrage fait suite à : ]
Karl Burneys, der Musik Doktors, Tagebuch einer musikalischen Reise durch Frankreich und Italien. Aus dem Englischen übersetzt von C.D. Ebeling. Hamburg : Bode, 1772. [Il en existe des éditions parallèles dont les titres varient un peu. Pour des raisons de santé, Ebeling n’a pu continuer sa traduction.]
Burney, Charles, The Present State of Music in France and Italy : or the journey of a tour through three countries taken to collect materialsfor a general history of music. By Charles Burney, Mus. D. London : Becket & Co., 1771.
Burney, Charles, The Present State of Music in Germany, the Netherlands and the United Provinces, or The Journal of a tour through those countries, undertaken to collect materials for a general history of music. By Charles Burney, Mus. D. 2 vol. London : Becket, 1773. [Réédition : London : Beckett, 1775.] [Réédition en fac-similé de l’édition de 1775 : New York : Broude, 1975.]
CHESTERFIELD/BODE (1759), Die Weisheit an die Menschen durch einen Braminen. Aus einer alten Handschrift. Hamburg. [Traduction indirecte d’après la traduction française de Lescallier. Voir Chesterfield/Lescallier (1751). La dédicace est signée : J.J.C. Bode.] [Rééditions : 1772 ; Leipzig : Göschen, 1787. – Karlsruhe, 1787.]
Chesterfield, Philip Dormer Stanhope, Earl of, The Œconomy of Human Life. Translated from an Indian Manuscript written by an ancient Brahmin. (London) 1751.
COLMAN/BODE (1762), Die eifersüchtige Ehefrau. Ein Lustspiel in 5 Aufzügen. Aus dem Englischen durch B***. Hamburg : Johann Karl Bohn. [Réimpressions : 1764. – Wien 1779 dans Neues Theater von Wien, 8. Theil.]
Colman, George [the elder], The Jealous Wife. A comedy as it is acted at the Theatre Royal in Drury Lane. Dublin : Burnett, 1775. [London : Bladon, 1791.]
CONGREVE/BODE (1787), Der Lauf der Welt. Ein Lustspiel in 5 Akten. Leipzig : Göschen.
Congreve, William, The Way of the World, a comedy as it is acted at the theatre in Lincoln’s-Inn-Fields by his Majesty’s servants. Written by Mr. Congreve. London : J. Tonson, 1700.
Congreve, William (1761), The Way of the World, dans The Works of Mr. William Congreve. London : R. Dodsley, vol. II.
CUMBERLAND/BODE (1772), Der Westindier. Ein Lustspiel in 5 Handlungen. Aus dem Englischen des Herrn Cumberland. Hamburg : Bode. [Réimpression : 1775 ; Leipzig, 1815 (adaptation par Kotzebue).]
Cumberland, Richard, The West Indian. A comedy as it is performed at the Theatre Royal in Drury Lane. Dublin : Wilson et al., 1771.
DENKER (1781). Der Denker. Eine Wochenschrift aus dem Spanischen des Herrn Joseph Clavijo y Taxarda auszugsweise übersetzt. Bremen : Cramer.
El Pensador. Édité par Clavijo y Fajardo, José. (Madrid) 1762-1767.
DRAPER/BODE (1775), Briefe von Elisa an Yorick. Aus d. Engl. Hambourg : Bohn. [Bochum UB : ERM 439.]
[Draper, Elisabeth Sclater : ] Letters from Eliza to Yorick. London : Printed for the Editor, 1775. [Œuvre longtemps attribuée à Sterne.]
FIELDING/BODE (1786-88), Geschichte des Thomas Jones, eines Findelkindes. Aus dem Englischen. 6 vol. Leipzig : G.J. Göschen. I. IL 1786 ; III. IV. 1787 ; V. VI. 1788. [Réimpression : Karlsruhe 1787.] [Éd. citée, avec celle de 1995.]
Fielding/Bode (1995), Tom Jones : Geschichte eines Findlings. Roman. Nach der Übersetzung von J.J. Chr. Bode, bearbeitet von Fritz Güttinger. Mit 10 Illustrationen nach Stichen von Moreau. Zürich : Manesse Verlag/ München : Deutscher Taschenbuch Verlag, 1995. [Éd. citée, avec celle de 1786-1788.]
Fielding, Henry (1749), The History of Tom Jones, a Foundling. London : A. Millar.
Fielding, Henry (1996), Tom Jones. Édité par John Bender et Simon Stem. Oxford/New York : O.U.P. [Éd. citée.]
GOLDSMITH/BODE (1776), Der Dorfprediger von Wakefield. Eine Geschichte, die er selbst geschrieben haben soll. Von neuem verdeutscht. Leipzig : Weidmanns Erben und Reich. [Rééditions : 1777 (revue). – Frankfurt/ Höchst 1777 ; Bamberg, 1780 ; Hamburg/Altona, 1781 ; Leipzig 1796.]
Goldsmith, Oliver : The Vicar of Wakefield, a tale. Supposed to be written by himself. Corke [Londres] : E. Swiney, 1766.
GRIFFITH/BODE (1778), Der Koran oder Leben und Meynungen des Tria Juncta in uno, oder M.N.A. oder Meister keiner Künste. Ein hinterlassenes Werk von dem Verfasser, dans Hamburgische Landbibliothek zum Nutzen und Zeitvertreïb des schönen Geschlechts aus verschiedenen Sprachen übersetzt. Hamburg : Herold. [Le traducteur est sans doute Bode ; voir Wihan 1906, p. 104 sqq.]
Griffith, Richard, The Koran, Or essays, sentiments, characters, and Callimachies, of Tria juncta in uno, M.N.A. or Master of No Arts. Vienna : Summit, 1778.
HOADLY/BODE 1754, Der argwöhnische Ehemann. Lustspiel in 5 Aufzügen von Herrn D. Benjamin Hoadly, dans Neueste Proben der englischen Schaubühne oder Benjamin Hoadlys Lustspiel, der Argwöhnische Ehemann und Edward Moorens Trauerspiel, der Spieler im Deutschen dargestellet. Hamburg : Herold. [Réimpressions 1760, 1766.]
Hoadly, Benjamin, The Suspicious Husband. A Comedy. London : J. and R. Tonson, 1747. [1761, 1766.]
LATUDE/BODE (1787), Geschichte einer neun und dreyssigjährigen Gefangenschaft in französischen Staatsgefängnissen (auch in der Bastille) geschrieben von dem Gefangenen selbst. Aus d. Franz., welches den 8. August d. J. in Paris, zu verkaufen oder zu lesen, scharf verboten worden ist. Deutschland [Leipzig : Göschen].
Masers de Latude, Henri, Histoire d’une détention de trente-neuf ans dans les prisons de l’État, écrite par le prisonnier lui-même. Amsterdam : les principaux libraires, 1787. [L’auteur est en réalité Yrieix de Beaupoil, marquis de Saint-Aulaire.]
LUCHET/BODE (1790), Ist Cagliostro Chef der Illuminaten ? Oder das Buch : sur la secte des illuminées [sic] in deutsch. Mit erkl. Ang. d. dt. Translators. Gotha : Ettinger.
Luchet, Jean Pierre Louis de La Roche du Maine, marquis de, Essai sur la Secte des illuminés. Paris 1789.
MARMONTEL/BODE (1777), Die Inkas oder die Zerstörung des Reiches von Peru. Aus d. Franz, d. Herrn Marmontel übers. 2. vol. Frankfurt : Brönner.
Marmontel, Jean François, Les Incas ou la Destruction de l’empire du Pérou. Par. M. Marmontel. 2 vol. Paris : Lacombe, 1777.
Marmontel, Jean François, Les Incas ou la Destruction de l’empire du Pérou. [1777] Paris, an III (1795). [Köln USB : S 23/1267.]
MONTAIGNE/BODE (1793-1799), Michael Montaigne’s Gedanken und Meinungen über allerley Gegenstände. Ins Dt. übers. Berlin : Lagarde, vol. I. II. 1793, vol. III. IV. 1794, vol. IV. V. 1795, vol. VI. (index) 1799. [Rééd. 5 vol., Wien/ Prag : Haas, 1797.]
Montaigne, Michel de, Les Essais... Cinquième édition, augmentée d’un Troisième livre et de six cents additions aux deux premiers. Paris : Abel Langelier, 1588. [ « Exemplaire de Bordeaux », texte de base pour toutes les éditions postérieures.]
Montaigne, Michel de (1950), Essais. Texte établi et annoté par Albert Thibaudet. Paris : Gallimard. (Bibliothèque de la Pléiade, n° 14.) [Édition citée.]
Montaigne/Bode (1976), Essais. Hrsg. u. m. einem Nachw. vers. v. Ralph-Rainer Wuthenow, rev. Fass. d. v. Johann Joachim Bode übertragenen Auswahl. Frankfurt : Insel. [La préface a été traduite par Liselotte Loos.] [Éd. citée.]
MOORE/BODE (1754), Der Spieler : ein Trauerspiel von Edward Moore, dans Neueste Proben der englischen Schaubühne... Hamburg. Chr. Herold. [Réimpressions : 1760, 1766.]
Moore, Edward, The Gamester. A tragedy. London : R. Dodsley, 1753.
NOVERRE/BODE (1769), Briefe über die Tanzkunst und über die Ballette. Vom Herrn Noverre. Aus dem Französischen übersetzt. Hamburg/Bremen : Cramer. [Feuillets A à F de Gotthold Ephraim Lessing, feuillets G et suivants de Bode.] [Wolfenbüttel : Lo 4882 MF ; Köln USB : K20/16+2.] [Réédition : Hamburg : Bohnen, 1770.]
Noverre, Jean Georges, Lettre sur la danse et les ballets. Vienne : Trattner, 1767. [Köln USB : WAV 1777.]
SMOLLETT/BODE (1772), Humphry Klinkers Reisen. Aus dem Englischen. 3 vol. Leipzig : Weidmanns Erben und Reich. [Köln UStB : 2 C 9200.] [Rééditions : 1775, 1785.]
Smollett, Tobias George, The Expédition of Humphry Clinker. London : W. Johnston, 1771.
Smollett, Tobias George (1966), The Expedition of Humphry Clinker. Ed. with notes by Charles Lee. Introduction by Howard Mumford Jones. London : Dent, (1966). (Everyman’s Library, 975.) [Éd. citée.]
Smollett/Bode (1775), Humphry Klinkers Reisen. Aus dem Englischen. Neue Aufl. 3 vol. Leipzig : Weidmann. [Köln USB : 2C9200 ; Stuttgart, Württ. LB : fr. D. 8° 1391.] [Éd. citée.]
STERNE/BODE (1768), Yoricks empfindsame Reise durch Frankreich und Italien. Aus dem Englischen übersetzt. 4 vol. Hamburg/Bremen : Cramer, I, II : 1768 ; III, IV : 1769. [Les volumes III et IV contiennent la continuation par Eugenius (John Hall-Stevenson)] [2e éd. des deux premiers vol. 1969 ; 3e éd. 1771, 1772, 1774, 1775 ; 4e éd. Bremen 1776, 1777. – Mannheim 1780 ; Leipzig 1802.]
Sterne, Laurence (1768), A Sentimental Journey through France and Italy by Mr. Yorick. Ed. by Garnder D. Stout, Jr. Berkeley/Los Angeles : Univ. of California Press, 1967. [Édition critique reproduisant en fac-similé l’édition London : T. Becket and P.A. De Hondt in the Strand, 1768.]
Sterne, Laurence (1969), Yorick’s Sentimental Journey continued. Vol. 3.4. to which is prefixed, some account of the life and the writings of Mr. Sterne. By Eugenius. London : s. n. t.
STERNE/BODE (1776-1777), Yoricks empfindsame Reise durch Frankreich und Italien. Aus d. Englischen übers. 4e éd., 4 vol. Bremen : Cramer.
STERNE/BODE (1774), Tristram Schandis Leben und Meynungen. 9 vol. Hamburg : Bode. [UStB Köln : S 33/4635.] [Rééditions : Hamburg : Karl Erich Bohn, 1776. – Hanau/Höchst 1776 ; Berlin 1778.]
Sterne, Laurence, The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gent. I. IL York : Dodsley, 1759 ; III. IV. London : Dodsley, 1761 ; V. VI. London : Becket & De Hondt, 1762 ; VII VIII. London : Becket & De Hondt, 1765 ; IX. London : Becket & De Hondt, 1767.
STERNE/BODE (1775a), Briefe von Yorick (Sterne) an seine Freunde. Nebst seiner Geschichte eines Überrocks. Aus dem Englischen. Hamburg : Bohn.
STERNE, Laurence (1775a), Letters of the late Rev. Mr. Laurence Sterne to his most intimate friends. With a fragment in the manner of Rabelais. Published by his Daughter, Mrs. Medalle. 3. vol. London : T. Beckett.
STERNE/BODE (1775b), Yoricks Briefe an Eliza. Hamburg. Bohn. [Rééd. 1777.] [Bochum : ERM 4392.]
Sterne, Laurence, Letters from Yorick to Eliza. London : W. Jonston, 1773.
VOLTAIRE/BODE (1761), Das Caffee-Haus oder die Schottländerinn. Ein Lust-Spiel. Berlin/Stettin/Leipzig : J.H. Rüdiger, 1761. [Wolfenbüttel : Lo 462.] [Rééditions Berlin 1761, 1766, Leipzig 1766.]
Voltaire, Le Caffé [sic], ou l’Écossaise, comédie par Mr. Hume, traduite en français. Londres (Genève : Kramer), 1760.
WHITEHEAD/BODE (1771), Die Schule der Liebhaben. Ein Lustspiel in 5 Handlungen. Aus dem Englischen des Herrn Whitehead. Hamburg : Bohn, 1772. [Wihan (1906 : 33) donne un exemplaire de 1771 sans lieu de parution.]
Whitehead, William, School for Lovers. A comedy. Adapted for theatrical representation. London : Dodsley, 1762.
WORLD/WELT (1779-80), Die Welt. Eine Wochenschrift von Adam Fitz-Adam. Aus dem Englischen verdeutscht. 4 vol. Altenburg : Richter. I. IL 1779 ; III. IV. 1780. [Extraits.]
The World for the year... By Adam Fitz-Adam [pseudonyme d’Edward Moore]. 1753-56 (London : Richard J. Dodsley).
c) Autres sources
ALEMBERT, Jean le Rond d’ (1784), Observations sur l’Art de traduire en général et sur cet Essai de Traduction en particulier. [1758], dans Morceaux choisis de Tacite, traduits en françois avec le latin à coté, Paris, Moutard, p. 3-41.
CHESTERFIELD/LESCALLIER (1751), Le Bramine inspiré. Traduit d’après l’Anglois par M. Lescallier [baron Daniel Lescallier]. Berlin : s. n. t. Traduction de type « belle infidèle »
DELILLE, Jacques [1770], Discours préliminaire, dans Les Géorgiques de Virgile, traduction nouvelle en vers français, Paris : Bleuet, 1770, cité d’après : D’hulst, Lieven : Cent Ans de théorie française de la traduction : de Batteux à Lille. Lille : Presses Universitaires de Lille, 1990, p. 119-125.
ECKERT [Gabriel ?] (1780), « Vorrede zu dieser neuen Ausgabe », dans (Sterne, Laurence) Yoricks empfindsame Reise durch Frankreich und Italien. Aus d. Engl, übersetzt. Neue verbessert Auflage mit Nachrichten von Yoricks Familie. Mannheim : (L.B.F. Gegel), p. iii-x.
GOLDSMITH/GELLIUS (1767), Goldsmith, Oliver : Der Landpriester von Wakefield. Ein Märchen, das er selbst soll geschrieben haben. Leipzig : Weidmanns Erben und Reich. [Traduction de Johann Gottfried Gellius.] [2e éd. 1768.]
MONTAIGNE/LÜTHY (1953), Essais. Auswahl und Übersetzung von Herbert Lüthy. (Zürich) Manesse Verlag.
MONTAIGNE/TITUS (1753-54), Michaels Herrn von Montagne Versuche : nebst des Verfassers Leben. Nach der neuesten Ausgabe des Herrn Peter Coste ins Deutsche übersetzt. Leipzig : Lankisch. [Traduit par Johann Daniel Titus.]
MONTESQUIEU, Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de (1956), Lettres persanes. Introduction d’Etiemble. Paris : Club français du livre.
TABLEAU. – Tableau de l’Allemagne et de la littérature allemande. Par un Anglois à Berlin, pour ses amis de Londres. S. l., s. n. t., 1782. [Köln USB : W. AI 49.]
VENZKY, Georg (1734), Das Bild eines geschickten Uebersetzers, dans Beyträge zur Critischen Historie der Deutschen Sprache, Poesie und Beredsamkeit (Leipzig : Breitkopf), III [1734], 59-114.
d) Iconographie
Portrait de Bode, gravure de Lips d’après une peinture de Heinsius, dans Montaigne/Bode 1793-1799, vol. VI, frontispice.
Buste de Bode par Klauer, Goethe-Museum, Düsseldorf. (Reproduit dans Bode 1994, p. 44.)
Portrait de Bode, gravure, Bayerische Staatsbibliothek, München. (Reproduit dans Bode 1994, p. 14.)
Portrait de Bode, gravure, Bibliotheka Jagiellonska, Kraków. (Reproduit dans Bode 1994, p. 30.)
Portrait de Bode, silhouette, dans : Alice Joly : Un mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie 1730-1824. Maçon : Protat Frères, 1938. (Reproduit dans Bode 1994, p. 60.)
2. Études
a) Références biobibliographiques
ADB. – Allgemeine Deutsche Biographie. Rédigée par Freiherr von Liliencron et Franz Xaver von Wegele. 56 vol. Leipzig : Duncker & Humblot, 1875-1912.
BÖTTIGER, Carl August (1799), « Über J.J.C. Bode », dans Montaigne/Bode 1793-1799, vol. VI, p. iii-clxi.
ERSCH/GRUBER. – Allgemeine Encyclopädie der Wissenschaften und Künste in alphabetischer Folge von genannten Schriftstellern bereitet und herausgegeben von J.S. Ersch und J.G. Gruber. 167 vol. en 3 sections. Leipzig : Gleditsch/ Brockhaus, 1818-1889, s. v. « Bode (Johann Joachim Christoph) », Sect. I., Th. XI, 132-137.
FLAKE, Otto (1915), Biographische Notiz, dans, Montaigne 1915, VIII, 283-298. [Reprend pour l’essentiel Böttiger 1799.]
Fragmente zur Biographie des verstorbenen Geheimen Rats Bode in Weimar. Mit zuverlässigen Urkunden. Rom 1795 (Auf Kosten der Propaganda).
FROMM, Hans (1950-1953), Bibliographie deutscher Übersetzungen aus dem Französischen 1700-1948. 6 vol. Baden-Baden, Verlag für Kunst und Wissenschaft.
GOEDEKE. – Goedeke, Karl, Grundriß zur Geschichte der deutschen Dichtung, Aus den Quellen. 15 vol. Dresden : Ehlermann 1884-1966, vol. IV, 1 (1916) I, 85-87.
GREEVEN, Erich August (1938), « Johann Joachim Christoph Bode : Ein Hamburger Übersetzer, Verleger und Drucker », dans Imprimatur : Ein Jahrbuch für Bücherfreunde. 8 (1938), p. 113-127.
GV. – Gesamtverzeichnis des deutschsprachigen Schrifttums (GV) 1700-1910. Édité par Peter Geils et al. 161 vol. München : G. Saur, 1979-1987.
MEUSEL. – Meusel, Johann Georg, Lexikon der von 1750 bis 1800 verstorbenen teutschen Schriftsteller. 15 vol. Leipzig : Gerhard Fleischer, d. J., 1802-1816.
NDB. – Neue deutsche Biographie. Berlin, Duncker & Humblot, 1953-.
Nouvelle Biographie universelle depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours avec les renseignements bibliographiques et les sources à consulter. Éd. par Höfer. 45 vol. Paris : Didot, 1852-1865.
SCHLICHTEGROLL. – Schlichtegroll, Friedrich, Supplement Band des Nekrologs für die Jahre 1790-93, rückständige Biographien, Zusätze und Register enthaltend. Gotha : J. Perthes, 1798.
SCHRÖDER. – Schröder, Hans, Lexikon der Hamburgischen Schriftsteller bis zur Gegenwart. Im Auftrage des Vereins für hamburgische Geschíchte. 8 vol. Hamburg : auf Kosten des Vereins, 1851-1883, I, 291-296.
SCHÜTTLER, Hermann (1994a), « Bodes Lebensweg : Kindheit und Jugend, Bildung und Ausbildung », dans Bode 1994 : 11-36.
SCHÜTTLER, Hermann (1994b), « Freimaurer und Illuminaten : Bodes Wirken in geheimen Gesellschaften », dans Bode 1994 : 37-127.
b) Références diverses
BEAM, Jacob N. (1906), Die ersten deutschen Übersetzungen englischer Lustspiele im achtzehnten Jahrhundert. (Theatergeschichtliche Forschungen, 20). Hamburg/Leipzig : L. Voss.
BOIS, Pierre-André (1990), Adolphe Freiherr Knigge (1752-1796) : de la nouvelle religion aux Droits de l’homme : l’itinéraire politique d’un aristocrate allemand franc-maçon à la fin du dix-huitième siècle. Wiesbaden : Harrassowitz. (Wolfenbütteler Forschungen, 50.)
FABIAN, Bernhard (1985), « Englisch als neue Fremdsprache des 18. Jahrhunderts », dans Mehrsprachigkeit in der deutschen Aufklärung. (Studien zum 18. Jahrhundert, 5.) Éd. par Dieter Kimpel. Hamburg : Felix Meiner, p. 178-196.
FRANÇOIS, Étienne (1988), « Les échanges culturels entre la France et les pays germaniques au xviiie siècle », dans Transferts : les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (xviiie-xixe siècle). Textes réunis et présentés par Michel Espagne et Michael Werner. Paris : Éd. de Recherche sur les Civilisations, p. 35-45.
FRENZEL, Herbert A. et Elisabeth FRENZEL (1966), Daten deutscher Dichtung : Chronologischer Abriß der deutschen Literaturgeschichte. 3e éd., 2 vol. München : Deutscher Taschenbuch Verlag. [Nombreuses réimpressions.]
FRIEDRICH, Hugo (1967), Montaigne. 2e éd. remaniée. Bern/München : Francke. [1re éd. 1949]
KNUFMANN, Helmut (1969), « Das deutsche Übersetzungswesen des 18. Jahrhunderts im Spiegel von Übersetzer- und Herausgebervorreden », dans Archiv für Geschichte des Buchwesens, 9, col. 491-572. [Contient dans les col. 561-572 une notice bibliographique indiquant le lieu et la cote des livres.]
KREBS, Roland (1985), L’Idée de « Théâtre National » dans l’Allemagne des Lumières : théorie et réalisations. Wiesbaden : Harrassowitz. (Wolfenbütteler Forschungen, 28.)
KRIEG, Hans (1909), J.J. Chr. Bode als Übersetzer des Tom Jones von H. Fielding. Greifswald : F.W. Kunike.
LÜTHY, Herbert (1953), « Zu dieser Ausgabe », dans Montaigne/Lüthy 1953 : 887-894.
MOSSÉ, Fernand, et al. (1959), Histoire de la littérature allemande. Paris : Aubier.
PRICE, Laurence Marsden (1961), Die Aufnahme englischer Literatur in Deutschland 1500-1960. Bern : Francke.
SCHNEIDERS, Hans-Wolfgang (1995), Die Ambivalenz des Fremden : Übersetzungstheorie im Zeitalter der Aufklärung (Frankreich und Italien). Bonn : Romanistischer Verlag.
SENGER, Anneliese (1971), « Deutsche Übersetzungstheorie im 18. Jahrhundert (1734-1746) ». Bonn : Bouvier. (Thèse, Cologne 1971.)
SPIECKERMANN, Marie-Luise (1992), « Übersetzer und Übersetzertätigkeit im Bereich des Englischen in Deutschland », dans Fremdsprachenunterricht 1500-1800. Édité par Schröder, Konrad. Wiesbaden : Harrassowitz, p. 191-203.
STACKELBERG, Jürgen von (1997), Fünfzig romanische Klassiker in deutscher Übersetzung. Bonn : Romanistischer Verlag. (Voir en particulier l’étude consacrée aux Essais de Montaigne, p. 207-210.)
WIHAN, Joseph (1906), Johann Joachim Christoph Bode als Vermittler englischer Geisteswerke in Deutschland. Leipzig : C. Bellmann.
WILPERT, Gero von (1979), Sachwörterbuch der Literatur. 6e éd. Stuttgart. Kröner. [Nombreuses rééditions.]
Notes de bas de page
1 Pour l’histoire littéraire, voir Frenzel et Frenzel 1966 : I : 148, 159-163 ; Mossé et al. 1959 : 351-355 ; Wilpert 1979, « Empfindsamkeit ».
2 Sur l’influence française, voir Fromm, passim ; François 1988 : 36 sqq.
3 Sur l’influence anglaise, voir Price 1961 ; Spieckermann 1992.
4 Sur sa biographie : ADB II, 795 sqq. ; Böttiger 1799, iii-clxi ; Flake 1915 : 283- 298 ; Meusel ; Goedeke IV, 1 : 585-587 ; Greeven 1938 ; NDB II : 348-349 ; Schröder I : 291-296 ; Schüttler 1994a.
5 ADB II : 796. Johann Bernhard Basedow (1723-1790), réformateur pédagogique très influent ; Heinrich Wilhelm von Gerstenberg (1737-1823), critique littéraire, poète et dramaturge ; Friedrich Gottlieb Klopstock (1724- 1803), poète. Tous sont des protégés du Premier ministre danois, Johann Hartwig Ernst Bernstorff.
6 Dans les paragraphes suivants, je résume Schüttler 1994b.
7 D’après Meusel.
8 « Les choses en sont venues à un tel point qu’aucun de nous ne peut plus se montrer en public sans courir le risque qu’on lui crie après : ʺLe voilà qui marche sans tête !ʺ Et ceci vient uniquement du fait que certains journalistes et critiques [...] ont raconté partout qu’ʺon n’a pas besoin de tête pour traduire1. On dira à la fin que nous n’en avons pas ! Conclure du non-emploi à la non-existence est, à mon humble avis, une méthode quelque peu défectueuse, mais même s’il était vrai [...] que nous n’avions pas de tête, faudrait-il pour autant se moquer de nous ? Ce serait non seulement peu courtois, mais encore ingrat, et, de la part de la majorité d’eux, même inconsidéré. » (Ma traduction.)
9 J’ai pu constater que les éditions modernes dites « remaniées » ne le sont pratiquement pas, sauf pour les coupes, qui peuvent être importantes. Pour étudier la manière de Bode, le lecteur pourra, comme moi, consulter à loisir les éditions modernes, plus faciles à trouver. Quand c’est possible, j’indique en supplément les chapitres.
10 « [...] elle suit de façon si approximative un texte mal compris et transforme avec une telle désinvolture l’auteur en un bien brave philosophe des Lumières allemandes, tout en l’affublant de quelques traits ridiculement archaïsants, qu’il reste bien peu de l’esprit et du style de Montaigne. [...] elle est aussi étrangère à Montaigne que les fausses ruines du xviiie siècle finissant l’étaient au Moyen Âge. » (Ma traduction.)
11 « [...] une traduction heureuse peut les [interprétations] représenter toutes. Si elle a exprimé le sens d’un écrit original distinctement et complètement, elle est aussi bonne que l’original. » (Ma traduction.)
Auteur
Fachhochschule Köln, Cologne (Allemagne)
A fait des études de français et d’anglais à l’Université de Bonn et obtenu un doctorat de l’Université de Cologne (1978). Professeur de français et d’anglais au niveau secondaire depuis 1970, il enseigne aussi le français à la Fachhochschule de Cologne, Département des langues (formation de traducteurs et d’interprètes). Il est l’auteur de Die Ambivalenz des Fremden (Romanistischer Verlag, 1995) et de l’article « Le prétendu système des renvois dans l’Encyclopédie », dans E. Mass et P.-E. Knabe (dir.), L’Encyclopédie et Diderot (1995).
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Pour une interdisciplinarité réciproque
Recherches actuelles en traductologie
Marie-Alice Belle et Alvaro Echeverri (dir.)
2017
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 1
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2011
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 2
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2012
La traduction dans les cultures plurilingues
Francis Mus, Karen Vandemeulebroucke, Lieven D’Hulst et al. (dir.)
2011
La tierce main
Le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIe siècle
Kristiina Taivalkoski-Shilov
2006
Sociologie de la traduction
La science-fiction américaine dans l’espace culturel français des années 1950
Jean-Marc Gouanvic
1999