Dossiers génétiques
p. 227-303
Texte intégral
Avant-propos
1Dans le cadre de cette étude, j’ai étudié des extraits de manuscrits se trouvant à l’université de Reading, en Grande Bretagne, siège de la International Beckett Foundation. Cependant, pour les dossiers génétiques du corpus retenu se situant dans d’autres universités – essentiellement en Irlande et aux Etats-Unis –, des indications sommaires sont fournies dans la mesure du possible. Enfin, pour les dossiers génétiques de A Piece of Monologue /Solo, Company /Compagnie, et Mal vu Mal dit /Ill Seen Ill Said, je renvoie aux ouvrages de Charles Krance cités en bibliographie.
2J’ai toujours préféré transcrire les manuscrits de manière diplomatique, en représentant les ratures et non en les symbolisant par des crochets, afin de mimer au plus près le trajet de l’écriture beckettienne, qui, comme l’a justement écrit Bruno Clément, est une « écriture de la rature1 ». Afin de distinguer les parties autographes des parties dactylographiées, on a utilisé les italiques pour les premières, et les caractères normaux pour les secondes.
3Lorsqu’en revanche il a fallu se résoudre, par mesure de clarification, à une présentation linéarisée, le becquet a été choisi pour signaler un remplacement (ou un ajout) chronologique, marginal ou interlinéraire, les caractères gras délimitant les unités ainsi insérées.
4Pour simplifier, j’ai omis les corrections de fautes de langue et de frappe. Signalons également, que les photocopies de manuscrits étant interdites par la Fondation Beckett, il n’a pas été possible de présenter de fac-similés des textes retranscrits en intégralité. Pour ces derniers, les sauts de page sont identiques à ceux des originaux. En revanche, les sauts de ligne n’ont pas pu être calqués.
I. L’après-guerre : « Communication discontinue avec redépart retardé ». Nouvelles et Textes pour rien (1946-1951/1958-1973)
Notes sur la genèse de L’Expulsé /The Expelled
5Ecrite en une semaine, du 6 au 14 octobre 1946, dans un cahier d’écolier à la suite du premier roman en français de Beckett, Mercier et Camier, la nouvelle L’Expulsé parut dès 1947 dans une revue littéraire (Fontaine n° 10, 1946-1947, 685-708), avant d’être remaniée par Beckett pour l’édition de 1955 chez Minuit (Nouvelles et Textes pour rien).
6Elle ne fut traduite en anglais que tardivement, vraisemblablement en 1953-1954. Beckett travailla en collaboration avec l’Américain Richard Seaver, rédacteur à la revue littéraire Merlin, mais The Expelled ne fut publié qu’en janvier 1962 (Evergreen Review, vol. VI, n° 22). Beckett aurait par la suite révisé le texte lors de sa publication par ses éditeurs anglais et américain (Calder et Rosset) pendant l’automne 1966.
7Le manuscrit français se trouve à l’université d’Austin au Texas (article n° 175). Aucun avant-texte de la version anglaise n’est en revanche répertorié, comme c’est le cas de la plupart des textes de Beckett traduits en collaboration.
Variantes
8Si on n’a pu consulter le manuscrit holographe de L’Expulsé, la comparaison entre l’édition de 1947 et celle de 1955 permet de donner un aperçu assez approfondi et précis du type de modifications opérées par Beckett quand il réécrit ses textes de l’immédiat après-guerre. Ces dernières varient de simples changements de ponctuation à des omissions d’une dizaine de lignes, comme en témoigne l’étude comparée des incipit (épisode du nombre de marches) de ces deux versions de L’Expulsé.
1) Remplacement et réécriture ponctuels de quelques unités de sens
incertitude > dilemme
à l’esprit > à la mémoire
sans pouvoir en déduire quoi que ce soit avec certitude en ce qui concerne ses deux concurrents>sans pouvoir en déduire les deux autres.
2) Omission de quelques unités de sens ou de passages entiers
9Au total, ce sont plus de 200 lignes que Beckett coupe de son texte original, qu’il s’agisse de détails quasi réalistes semblants d’« effets de réel2 »– précisions sur l’âge du protagoniste et sur le déroulement de ses agissements (« Je lui donnai l’argent pour acheter du boudin et quelques bonnes bouteilles », 706) –, ou plus souvent de digressions burlesques sur les attributs du narrateur en antihéros grotesque et repoussant : le chapeau déformé que lui imposa un jour son père, ses vêtements sales, la maison perdue de son enfance avec ses géraniums, son haleine fétide, son animal préféré..., ou encore de ses divagations méta-narratives, d’un humour parfois douteux :
(1) Je m’exprime mal, mais je suis trop fatigué pour m’exprimer mieux. Estimez-vous heureux que je ne me laisse pas aller à mon premier mouvement, qui est de ne pas m’exprimer du tout. (690)
(2) Je sentais sur moi son regard incrédule et assoiffé, vous parlez d’adjectifs. (699)
(3) [...] à moins que mes prévisions ne péchassent par pessimisme. J’aime bien les p qui se suivent. (700)
10Notons que cette auto-censure sans pitié sera poursuivie dans The Expelled où deux longs passages sont omis.
11Beckett nous livre au final un texte moins bavard, plus dense, au style plus percutant, plus hermétique aussi dans sa retenue, en rupture avec l’écriture débridée, digressive et éminemment parodique de Murphy ou de Watt. La refonte du texte que Beckett effectue entre ces deux versions de L’Expulsé ressemble à s’y méprendre au travail mené dans le passage de Mercier et Camier à Mercier and Camier au cours de années soixante-dix, passage que décrit Steven Connor dans Samuel Beckett : Repetition, Theory and Text (Oxford : Blackwell, 1988).
Notes sur la genèse de Premier amour /First Love
12Beckett écrivit la nouvelle Premier amour fin octobre, début novembre 1946, mais il l’abandonna et ne consentit à la publier qu’en 1970, après avoir reçu le Prix Nobel. Un peu récalcitrant à l’idée de traduire un texte dont il n’était plus du tout satisfait vingt-cinq ans après, Beckett se mit à écrire First Love au printemps 1972, mais ne le termina que début février 1973.
First Love
13Nous n’avons pu consulter, dans le cadre de cette étude, que les brouillons de First Love conservés aux archives de Reading (MS 1227/7/14/1-3). Richard Admussen dénombre toutefois deux manuscrits de travail de Premier Amour : le manuscrit original qui se trouve à l’université d’Austin, Texas, et un dactylogramme contenant des corrections manuscrites non de la main de Beckett, catalogué ainsi à l’université de Californie, Santa Barbara : « Infrequent insertions and corrections not in Beckett’s hand. Some verb tenses changed ; corrector seems to have sought to polish Beckett’s French3 ».
MS 1227/7/14/1
14Manuscrit original de First Love, 22 feuillets 27 x 21cm. Nombreuses ratures, en quantité variable selon les pages, avec quelques corrections en marge de gauche. Daté du 24 avril au 18 mai 1972.
MS 1227/7/14/2
15Dactylogramme corrigé à la main, noté « I ». 15 feuillets 27 x 21cm. Nombreux passages traduits puis barrés d’une ligne diagonale, comme censurés.
MS 1227/7/14/3
16Dactylogramme de 14 feuillets 21 x 27cm, comportant relativement peu de ratures, noté « 2 ». Essentiellement une mise au propre du dactylogramme précédent.
Quelques variantes
1) Epitaphe
17Tout le passage concernant l’épitaphe du narrateur illustrant selon ses dires « un point de grammaire » n’est pas traduit dans le manuscrit de First Love où s’inscrit un blanc de quatre lignes à son emplacement chronologique dans le texte. Il est néanmoins travaillé dans le premier dactylogramme où l’ajout en marge de « it illustrates a point of grammar » est ensuite biffé, pour être finalement passé sous silence. L’épitaphe elle-même est écrite puis réécrite à la main :
2) Les prénoms
18Dans le manuscrit, le passage concernant la prononciation du prénom Lulu est traduit, pour être finalement abandonné dans le deuxième dactylogramme.
Not being French, she
pronouncedsaid Loulou. I too, not being French either, said Loulou. We both said Loulou.
19Dans le premier dactylogramme, Anne devient Oona:
I’ll give her another more like her, Oona for example, it isn’t more like her but, no matter.
Notes sur la genèse de Le Calmant /The Calmative
20Commencée en décembre 1946, cette nouvelle en français ne parut qu’en 1955, année où les Editions de Minuit publièrent Nouvelles et textes pour rien. Le manuscrit original de 76 pages se trouve à l’université d’Austin, au Texas (article n° 179).
21La première publication de la traduction de Beckett, The Calmative, remonte, quant à elle, à juin 1967 (Evergreen Review, Vol. XI, n° 47). Les manuscrits de travail de la version anglaise (un manuscrit holographe4 et deux dactylogrammes), conservés à Washington University, St Louis, Missouri, ne portent pas de date, mais il est probable que Beckett écrivft The Calmative courant 1966, au moment où il révisait The End et The Expelled, deux nouvelles traduites dans les années 50 par Richard Seaver et qui devaient figurer, avec The Calmative, dans No s Knife : Collected Shorter Prose 1945-1966, édition alors préparée par Calder and Boyars et sortie en 1967 à Londres.
Notes sur la genèse de Textes pour rien /Texts for Nothing
22Le manuscrit original des Textes pour rien est contenu dans deux cahiers d’écolier conservés à l’université d’Austin (article n° 181). Les Textes, aussi appelés « Minutes » ou « Contes », sont tous datés et s’égrènent régulièrement du 24 décembre 1950 au 20 décembre de l’année suivante ; Beckett les écrivit à la suite les uns des autres au rythme de un par mois en moyenne (il y a en treize en l’espace d’un an). Parfois composés en quelques jours seulement, d’autres demandèrent plusieurs semaines de réflexion (notamment les textes IX à XIII).
23Les dactylogrammes des Textes ne sont pas répertoriés (à part le numéro XIII, Reading MS 2916), mais on peut supposer que Beckett les révisa avant de les confier à Jérôme Lindon au début des années cinquante. On possède en revanche plus de précisions sur Texte pour rien XIII qui fut modifié une première fois en 1953, avant d’être publié dans une revue littéraire belge (Le disque vert n° 4, nov.-déc. 1953), puis fut encore légèrement transformé par l’auteur avant la parution, en 1955, de Nouvelles et Textes pour rien aux Editions de Minuit5.
24L’écriture des versions en anglais des Textes, – dont les avant-textes se trouvent, pour la plupart, au Trinity College de Dublin –, fut menée de manière disparate et interrompue. Text for Nothing I vit le jour en 1958, et fut publié dès 1959 (Evergreen Review, Vol. III, n° 9), alors qu’il faudra attendre 1963 pour que Beckett se mette à traduire ses autres textes, qui ne paraftront qu’en 1967, après une nouvelle révision.
II. Les années soixante : « Communication discontinue avec redépart immédiat »
A. Dramaticules pour le théâtre, la radio et la télévision (1958-1965/1959-1965)
Notes sur la genèse de Krapp’s Last Tape /La Dernière bande
25Cette pièce fut d’abord composée en anglais car destinée à l’acteur Patrick Magee. La première version, ensemble de notes autographes intitulé « Magee Monologue » (Reading MS 1227/7/7/1), fut écrite par Beckett le 20 février 1958. A l’exception d’un dactylogramme tardif et présentant peu de variantes (MS 1659), les autres manuscrits de travail de Beckett – des dactylogrammes datés de mars 1958 – se trouvent à l’université d’Austin au Texas. L’un des dactylogrammes en question porte le titre évocateur de Crapp ’s Last Tape6. La création de la pièce eut lieu à Londres, le 28 octobre 1958 au Royal Court Theatre.
26Un seul manuscrit de travail de La Dernière bande est répertorié par R. Admussen, à Austin également (article n° 243), dactylogramme tardif, peu corrigé, comportant deux ajouts. Le traducteur Pierre Leyris avait été chargé de produire la première version de la traduction. Ce dernier raconte avec humour et humilité sa collaboration avec Samuel Beckett7 :
Un ami commun m’ayant demandé, d’accord sans doute côté Beckett, de traduire Krapp s Last Tape, j’ai accepté à la légère, puis me suis aperçu en cours de route que je n’étais pas sûr de bien comprendre certains passages. J’ai continué néanmoins puisque je l’avais promis et suis revenu à Paris incertain et mécontent de mon travail, ce que j’ai fait dire à Beckett. Il s’est alors annoncé. J’ai fait provision de Guinness. Il est survenu... Quelques heures après, le sol de ma chambre était jonché de bouteilles vides et il ne restait plus grand chose de mon mauvais texte.
27Selon toute vraisemblance, la version française suivit d’assez près la version anglaise, la publication de La Dernière bande datant du 4 mars 19608 et la première remontant au 22 mars 1960 (dans une mise en scène de Roger Blin pour le T.N.P.).
28La genèse de Krapp’s Last Tape est étudiée par R. Poutney dans Theatre of Shadows (136-140). Outre les jeux proxémiques et le comique du personnage qui sont accentués au fur et à mesure de l’écriture et qui seront retravaillés sans cesse par Beckett dans ses mises en scène de la pièce, elle s’articule autour de trois points essentiels.
1) Le brouillage volontaire des repères temporels et spatiaux
29Certaines allusions à l’Irlande sont abandonnées après le premier jet où le personnage appelé « A » se souvient qu’il est né à Dublin. L’indication temporelle du tout début de la pièce était moins floue dans la troisième version dactylographiée :
April 1986.√A late evening in 1985 the nineteen eighties.
2) Le thème de la sexualité
30Dans la première version du monologue les aspirations sexuelles de A étaient explicites et dénuées d’ambiguïté :
what would help me more than anything, I think, is (lowering his voice)... sexual life. (Pause.) With some partners, a... fuller... a more... more naturel... a more... engrossing... absorbing
(Enthusiastic). Intercourse!
Notes sur la genèse de Words and Music /Paroles et musique
31La pièce radiophonique Words and Music fut écrite à l’occasion du quarantième anniversaire de la BCC et la musique devait être composée par le cousin de l’auteur, le compositeur John Beckett. Les manuscrits de travail se trouvent à l’université de Saint-Louis, Missouri, et remontent à novembre 1961, même si la première évocation de la pièce date de début 1961, si l’on en croit le cahier « Eté 56 » (Reading MS 1227/7/7/1), où deux brèves notes concernant la pièce portent le titre suivant : « Words Music, Paris, Feb 16, 1961 ».
32Après une première tentative avortée de traduire la pièce en 1963 (selon un cahier manuscrit se trouvant au Trinity College de Dublin), la version en français, Paroles et musique, ne fut entreprise avec succès et achevée qu’en 1965, d’après le manuscrit original conservé à Saint-Louis, et daté du 8 au 16 août de cette année-là.
Principales variantes
1) Onomastique
33Dans le texte anglais, Words, avant de devenir Joe, fut d’abord appelé Will, quand Bob (Music) était nommé Louis, clin d’œil respectif à Shakespeare et Beethoven. Quant à Croak, il a tous les attributs du seigneur médiéval, et c’est le terme de seigneur que ses serviteurs emploient pour s’adresser à lui avant que Beckett n’introduise celui de Milord, équivalent du Mylord de la version anglaise (voir C. Zilliacus, 100 & 106).
2) Rhétorique
34L’incipit de Words and Music, sorte de parodie du discours médiéval sur les sept péchés capitaux, était originairement beaucoup plus long, pompeux et détaillé. Or les variantes entre les textes bilingues montrent que Beckett a poursuivi ce travail sur la parodie de rhétorique en ciselant mais aussi en ajoutant à l’occasion.
3) A propos de la fin
35Le manuscrit 1227/7/7/1 comporte la note suivante : « End : diminishing sound of alternating words and music till close on a few syllables and a few notes », ce qui diffère de la version publiée qui s’achève bien sur une alternance musique /paroles mais aucune diminution n’est mise en valeur. En revanche, la liberté du metteur en scène et /ou du compositeur devient primordiale : « MUSIQUE. Coup de baguette et récapitulation des musiques précédentes ou musique source seule. [...] Répète dernière musique telle quelle ou à peine variée ». (78). En outre, c’est l’ultime profond soupir de Paroles qui marque la fin de la pièce, pour l’auditeur comme pour le lecteur, la dernière réplique n’étant pas suivie du mot « fin », mais simplement d’un blanc.
Notes sur la genèse de Cascando (F) /Cascando (A)
36Cette pièce radiophonique, commencée en décembre 1961, fut écrite en français à la demande de la RTF, et Marcel Mihalovici, un ami personnel de Beckett, devait en composer la musique. Les manuscrits bilingues se trouvent pour l’essentiel dans la Theatre Collection de la bibliothèque de Harvard College, (plusieurs dactylogrammes plus tardifs sont conservés à Saint Louis) (voir Clas Zilliacus, 118-134). Le manuscrit original en français fut rédigé du 1er au 13 décembre 1961 et les épreuves remontent à avril 1963. L’un des dactylogrammes porte le titre provisoire de Calando. Dans une lettre qu’il adressa à Herbert Myron lorsqu’il remit le dossier génétique de Cascando à l’université de Harvard, lettre révélatrice de la structure de la pièce et de sa technique de composition, Beckett écrivait :
Herewith mss of Cascando. It tells its own shaky story. I Original ms. II Typescript of Voix 1 (Ouvreur). III Typescript of Voix 2 (élément soi). IV Typescript of Voix 2 (élément histoire). V Typescript of my completed piece.
37Après le premier jet, Beckett travailla donc séparément sur les différentes voix qui composent la pièce avant de les mêler et de les faire interagir comme dans le texte final.
38Les brouillons de la version anglaise ne sont pas datés et sont dispersés entre plusieurs archives (Harvard, Saint-Louis) mais la publication ayant eu lieu en 1963 (New York : Grove Press), la traduction dut suivre de près la version française. Notons que, comme ce sera le cas pour Come and Go, Beckett continuera de reviser le texte de Cascando (A) après l’avoir envoyé à son éditeur américain (Grove Press) ; certaines révisions, mais pas toutes, apparaftront toutefois dans l’édition suivante pour la Grande Bretagne (Faber and Faber, 1963).
Principales variantes
1) Temporalité
39L’incipit de la pièce, « Moi je suis au mois de mai /It is the month of May... for me », fait l’objet de variantes intéressantes. Dans le manuscrit original, on peut lire :
Nous sommesJe suis au mois de... attendez... mai.
Vous savez, la verdure, les fleurs.
2) Pronoms
40Dans le manuscrit, le style direct est employé, là où la version finale préfère le style indirect (« On dit, Il n’ouvre rien, il n’a rien à ouvrir, c’est dans sa tête », 52), ce qui introduit un effet de distanciation :
On me dit, Tu n ’ouvres rien, tu n ’as rien à ouvrir, c ’est dans ta tête.
3) Thème de la mort
41On trouve, dans le manuscrit original, un long passage dans lequel Ouvreur commente le moment où Voix et Musique « tombent d’accord », un passage considérablement réduit par la suite et dans lequel apparaissent les phrases suivantes :
Les mourants sont presque d’accord. Les morts tout à fait.
4) Onomastique
42Beckett aurait hésité entre plusieurs noms – Mooney et Molony –, à résonance irlandaise, avant de s’arrêter sur Maunu, mot composé, selon Clas Zilliacus de « mal » et « nu »
Beckett’s English name, Wobum, conveys a related idea of a woe-burnt existence; so does the Missler of Elmar Tophoven’s authorized German translation. (Beckett and Broadcasting, 129)
5) Le « motif coupable »
43Ce que Beckett appelle « élément soi » fut a un certain stade de développement subdivisé par l’auteur en soi 1 et soi 2, ce qui ne fait pas surface dans la version définitive, soi 2 ayant été supprimé. Le contenu thématique de soi 2 peut être résumé par l’expression de « motif coupable » utilisée par Beckett lui-même
6) De la fin
44L’excipit de la pièce fait l’objet de plusieurs remaniements importants de la part de Beckett qui semble avoir voulu en effacer l’aspect conclusif en supprimant notamment la mention « fin » après le dernier mot : « Silence ».
7) Le tempo
45Le manuscrit, comme le premier dactylogramme de Cascando (F), comporte une note indiquant « débit rapide, haletant ». En outre, dans la version intitulée Calando, Voix 2 est minutée très précisément. La pièce devait alors durer approximativement 14 minutes, musique incluse.
Notes sur la genèse de Play /Comédie
46Malgré son ampleur (11 dactylogrammes répertoriés à Reading, MS 1528/1-11, plus un autre intitulé par Beckett « Before Play », MS 1227/7/16/6), le dossier génétique de Play, n’est vraisemblablement pas complet puisqu’il ne présente pas de manuscrit holographe ; il semble qui plus est y avoir des pièces manquantes entre ces avant-textes-là.
47La multiplication des brouillons successifs traduit une longue gestation : Play, commencé pendant l’été 62, ne fut pas achevé avant décembre 63. Beckett se mit à écrire Comédie avant d’avoir terminé la version anglaise, le manuscrit original datant d’avril-mai 1963 (MS 1531/2, noté « I »), mais l’« état définitif » de la pièce française ne remonte qu’à fin avril 1964.
Chronologie | |
1962 été | Beckett commence Play |
1963 avril | Beckett commence Comédie |
juin | Première mondiale de Spiel (traduction allemande d’Elmar et |
Erika Tophoven avec la collaboration de Beckett) | |
octobre | Beckett participe au début des répétions de Comédie |
décembre | Beckett termine l’écriture de Play |
1964 février-mars | Beckett participe aux répétitions pour la première londonienne |
7 avril | Première de Play à Londres /Beckett termine Comédie |
14 avril | Reprise des répétitions à Paris |
juin | Publication de Comédie dans Les Lettres nouvelles |
11 juin | Première de Comédie à Paris |
48Dans les avant-textes de Play, Beckett cherche à trouver, pour l’essentiel, la structure adéquate de la pièce, la juste répartition des répliques. Il s’efforce de fragmenter le discours narratif. Mais on décèle en réalité une tension entre deux pôles créatifs : d’une part un effort pour hacher le discours des personnages de manière à le rendre suffisamment hermétique, voire inintelligible, et d’autre part une volonté de trouver un principe unificateur, sous la forme d’échos et de répétitions, ainsi que de commentaires métatextuels dans les chœurs, qui comme dans la tragédie antique, ont pour fonction de commenter l’action.
49Richard Admussen estime que le manuscrit original de Comédie fut écrit à partir du dactylogramme 1528/79, dont le texte est très proche du texte définitif de Play. A ce stade, la structure de la pièce est tout à fait au point, les variantes essentielles sont donc de nature stylistique, aussi le tableau présenté ci-dessous propose-t-il une vision synoptique des remaniements les plus significatifs10.
Comédie
50MS 1531/2
51Manuscrit orginal de Comédie comportant 11 feuillets. Plusieurs lignes raturées par page.
MS 1534/1
52Dactylogramme de Comédie noté « Premier état », sous-titré « Que Comédie ». 16 feuillets.
MS 1534/2
53Dactylogramme de Comédie, daté de novembre 1963. Comporte peu de corrections.
MS 1534/3
54Dactylogramme de Comédie, noté « S.B. Etat définitif. Envoyé à Suhrkamp 27. 4. 64 ».
PLAY | 1531 12 | 1534 /I | COMÉD/E |
p. | ça n ’a plus de sens | p. 10 | |
I said to him, Give her up – | Je lui ai dit, Laisse-la tomber – | p. 11 | |
she burst in […] | elle arriva comme un ouragan [...] Laisse-le tomber, gueula-t-elle, il est à moi. [...] j’ai compris pourquoi il me préférait. | elle arriva en trombe [...]Laissez-le tomber, hurla-t-elle, il est à moi. […] je compris qu’il pût me préférer. | |
We were not long together when she smelled the rat. Give up that whore […] | We were not long together when she s | p. 12 | |
stitching away | sa | tout en cousant de plus belle | |
Though I had him dogged for months [...] | Je l’ai fait filer pendant des mois [...] Cela, et le dégoût que je lui savais pour l’amour courtois faisaient que je me demandais par moments si je ne l‘accusais pas à tort. | p. 13 | |
Have I been neglecting you ? | Est-ce que je t’ai négligée ? | T’ai-je négligée ? | |
p. 149 | je sonnai Arsène pour qu ’il la fasse sortir […] | J’avoue en avoir été un peu alarmée / ébranlée √en être | je sonnai Frontin pour qu’il la reconduise […] |
I smell her off you, she kept saying | Elle t’a empesté, disait-elle toujours, tu pues la chienne. | Elle t’a empesté, disait-elle toujours, tu pues la | Elle t’a empesté, disait-elle toujours, tu pues la pute. |
Judge then of my astonishment when one fine morning as I was sitting striken in the morning room, he slunk in, fell on his knees before me, buried his face in my lap and... | Jugez donc de mon étonnement lorsqu ’un beau matin, m’étant réfugiée avec mon chagrin dans mes appartements, je le vois arriver, l’oreille basse, tomber à genoux devant moi, cacher son visage dans mon giron et... | p. 14 | |
He was glad of the extra money. | Il était content du supplément (rabiot). | Il était ravi du rabiot. | |
I confess my first feeling was one of wonderment. | Ce que j’éprouvai d’abord, ce fut, je l’avoue, de l’émerveillement. | Mon premier mouvement fut, je l’avoue, émerveillement. | |
And of course with him no danger of the... | Bien sûr, avec lui aucun risque d’affection sans plus. Alors pourquoi tu ne la plaques pas, dis-je. | Et avec lui, bien sûr, aucun danger d’amour idéal. Alors pourquoi ne la plaques-tu pas ? | |
I know what torture you must be going through | Je sais quels supplices | p. 16 | |
She had a razor in her vanity-bag. | Elle avait un rasoir dans son sac à main. | Elle promenait un rasoir dans son réticule. | |
Just a common tart. | Une poule de la pire espèce. | Une poule de bas étage. | |
I felt like death. | Je me sentais mal à crever. |
| p. 17 |
Pudding face, puffy, spots, blubber mouth, jowls, no neck, dugs you could – | Figure en pleine lune, bouffie, boutonneuse, lèvres comme des boudins, bajoues, deux mamelles à – | Figure √face de pl | Face de lune, bouffie, boutonneuse, bouche deux boudins, bajoues, mamelles à vous faire – |
p. 151 | Un imbécile quelconque tondait sa pelouse. | Un con quelconque tondait sa pelouse. | p. 18 |
The only solution was to go away together. | La seule solution était de partir ensemble. | Une seule solution, filer ensemble. | |
At home all heart to heart, new leaf and bygones bygones. I ran into your ex-doxy [...], you’re well out of that | A la maison ce n’était qu’effusions, pardon et vie nouvelle. Je suis tombée sur ton ex-pute | A la maison un seul mot d’ordre – s’ouvrir le cœur, passer l’éponge et tourner la page. Je suis tombée sur ton ex-putasse […] tu reviens de loin. | |
Then I began to smell her off him again. | Mais je recommençai à la sentir de nouveau. | p. 19 | |
Before I could do anything he disappeared. | Avant que j’aie rien pu faire il disparut. [...] | Avant que j’aie eu le temps de me retourner il disparut. [...] Cette roulure ! [...] j’en restai prostrée des semaines durant. | |
I made a bundle of his things and burnt them. It was November and the bonfire was going. | Je fis un paquet de ses affaires et les brûlai. | Je fis un paquet de ses affaires et les brûlai. | p. 20 |
p. 152 | Quand ce changement la première fois je remerciai | Quand ça baissa la première fois je louai | |
Mercy, mercy, tongue still hanging out for mercy. | Pitié, pitié, toujours la vieille soif de pitié. | Pitié, pitié, | Pitié, pitié, encore soif de pitié. |
Down, all going down, into the dark, |
| p. 21 | |
Less confused. Less confusing. | De moins embrouillé. De moins embrouillant. […] l’autre chose. Infiniment. | De moins trouble. De moins troublant. […] l’autre affaire. Nettement. | |
Hellish half-light. | Pénombre infernale. | p. 22 | |
Give me up, as a bad job. | T’en laveras les mains. | Me lâcheras comme peine perdue et t’en iras harceler quelqu’un d’autre. | |
p. 153 | Lâche-moi ! (Faible cri.) | Lâche-moi ! (Véhémente.) | |
It will come. Must come. | Elle viendra. Doit venir. | Elle viendra. Doit venir. | |
On the other hand things may disimprove, there is that danger. | D ’un autre côté les choses peuvent se gâter, il y a ce danger. | D’un autre côté les choses peuvent empirer, il existe ce danger. | |
You might get angry and blaze me clean out of my wits. Mightn’t you ? | Tu pourrais te fâcher et flamboyer à me fondre la raison n ’est-ce pas ? | p. 23 Tu pourrais t’emporter et flamboyer à me fondre la cervelle, pas vrai ? | |
Perhaps they have become friends. | Peut-être qu ’elles sont devenues amies. | Peut-être sont-elles devenues amies √cul chemise. | p. 24 |
But I have said all I can. | Mais j’ai dit tout ce que je peux. | Mais j’ai dit tout ce que j’ai pu. | |
Perhaps sorrow has brought them together. | Peut-être que | Peut-être le chagrin les a-t-il rapprochées. | |
No doubt I make the same mistake as when | Je suppose que je fais la même erreur | Et si je faisais la même erreur | |
p. 154 | p. 154 | p. 25 | |
That poor créature – | Cette pauvre créature – | Cette infortunée créature | |
And that all is falling, all fallen, | Et que tout tombe, depuis le début, dans le vide. | Et que tout tombe, depuis le début, dans le vide. On ne demande rien du tout, personne ne demande rien du tout. | |
p. 155 | p. 155 | p. 27 | |
What do you do when you go ont ? Sift ? | Qu ’est-ce que tu fais quand tu t’éteins ? Tu cribles ? | A quoi joues-tu quand tu t’éteins ? | |
though she lived like a pig. | tout en vivant comme une guenon. | p. 28 | |
p. 156 | Pourquoi ne pas me xxxxx √tarauder sans répit. Je pourrais me mettre à délirer/ déraisonner / déménager et – xx xx dégorger | Pourquoi ne pas me foudroyer sans répit √ | p. 29 |
Am I not perhaps a little unhinged already ? | Ne suis-je pas un peu piquée déjà ? | Ne suis-je pas déjà un peu | Ne suis-je pas déjà un peu fêlée ? |
A little dinghy, on the river, I resting on my oars, they lolling on air-pillows in the stem... sheets. Drifting. Such fantasies. | Un petit youyou, sur la rivière. | Un petit youyou sur la rivière. Je lâche les avirons et je regarde mes belles √mes mignonnes, elles se prélassent à l’arrière √affalées sur | p. 31 |
p. 157 | Nous n’étions pas civilisés. | Nous ne savions pas vivre. | |
Dying for dark. | Envie de noir à mourir. | Soif de noir à mourir |
Notes sur la genèse de Come and Go /Va-et-vient
55A l’exception de deux manuscrits de Come and Go, conservés en Allemagne (Stuttgart) par Manus Presse11, les avant-textes bilingues peuvent être consultés à Reading, sous forme d’originaux ou de photocopies (d’originaux détenus à l’université de Washington de St. Louis). Ils comportent peu d’indications temporelles précises : le deuxième manuscrit de Stuttgart porte la date du 16 janvier 1965, quand le manuscrit original de Va-et-vient est daté du 23 mars de la même année. Si l’absence de datation précise des manuscrits bilingues rend souvent le rétablissement de la diachronie génétique délicate voire impossible, elle n’est pas ici un handicap majeur. Va-et-vient fut commencé à un stade avancé mais non achevé du développement de Come and Go, très vraisemblablement après le dactylogramme 1533/112.
Come and Go
MS 1227/7/16/5
56Dactylogramme de 15 feuillets 27 x 21cm. Saynètes qui mettent en scène trois personnages féminins nommés Viola, Poppy et Rose, lisant à haute voix des passages d’un livre « à l’eau de rose ». Fragment qui témoigne d’une pièce beaucoup plus longue et bavarde que ne sera Come and Go.
57Beckett ne lésine pas sur les séquences érotiques, qui seront réduites, dans la version publiée, à la simple allusion « Dreaming of... love » :
A last maddening kiss and she tore herself from his knees and disappeared into the bedroom. Aubrey stretched out to the flames his long hairy legs, took a sip of his brandy, relit his cigar and resumed alone the collection of obscene postcards.
Hermione rose at last from the streaming sweet-smelling foam and stood all pink and dripping before the great cheval-glass, inspecting her luscious forms. Caressingly she passed her hands –
Over her splendid bosom glowing from the bath. her belly and quivering flanks, then falling to her knees plunged them between her thighs in an extasy (sic) of anticipation.
How long she remained in this posture she never knew. Finally she sprang to her feet and, still moist, entered the bedroom. (feuillets 1 et 2)
58Le processus de réduction à venir est pourtant déjà en germe dans l’aphérèse du prénom Viola qui devient Vi dès la scène 2, dans le passage de « Good heavens ! » à « Heavens ! ».
MS 1227/7/6/4
59Manuscrit d’un fragment de pièce intitulée « Type of Confidence » puis « Good Heavens », comportant l’inscription « Before Come and Go for Reading University Library. Sam. Beckett ». 3 feuillets 27 x 21cm. Vraisemblablement écrit fin 1964, en tout cas bien avant les manuscrits de Stuttgart.
60La thématique sexuelle est poursuivie, mais de manière plus allusive que précédemment, ce qui rapproche cette étape de Come and Go. Les autres similitudes avec la pièce définitive sont essentiellement structurelles. La pièce met en scène trois personnages féminins A, B et C, qui chuchotent, chacune à leur tour, dans l’oreille de l’une d’entre elles. Même succession d’entrées et de sorties. Le jeu des exclamations avec sous-entendu est poursuivi. Elles sont remplacées par l’expression « Good heavens ! » (ce qui motive le deuxième titre choisi par Beckett), que l’auto-traducteur modulera par la suite dans Va-et-vient.
Good heavens
You don’t tell me[…]
Good heavens!No!
Manus Presse 1
61Manuscrit d’une page mettant en scène 3 personnages féminins A, B et C ; il s’ouvre sur le dialogue suivant :
C When did we three last meet?
A Let us not speak.
B Just sit there as we used to, in the playground at Miss Wade ’s, on the log.
A Holding hands that way.
…
B Dreaming oflife andlove
62Beckett inscrit en haut de la page, qui sert à la fois de brouillon et d’aide mémoire, une série de phrases ; les trois dernières seront seules retenues dans cette version :
She may not
Who knows
God grant not
God forbid
Please God not
Manus Presse 2
63Manuscrit qui ressemble grandement à la version publiée du texte : il met en scène Ru, Vi et Flo ; l’alternance des parties dialoguées et des va-et-vient est aboutie ; il comporte enfin les « notes » finales, exception faite de la mention relative aux voix. MS 1533/1
64Dactylogramme intitulé « TSO » comportant des corrections manuscrites et présentant très peu de différences par rapport au texte publié. Reprise du manuscrit précédent sans les notes finales. 3 feuillets 27 x 21cm.
65On peut noter :
une permutation dans l’ordre des questions
une nuance dans les remarques concernant la lumière
la transformation de l’affirmative en interrogative par symétrie avec le reste du texte.
66Il est probable que la version française de la pièce fut écrite à partir de MS 1533/1, puis que Beckett continua de travailler sur les deux textes de manière parallèle. En revanche, il ne semble guère possible de déterminer avec exactitude l’alternance des versions bilingues successives.
67Malgré la note manuscrite de Beckett « For John Calder » sur MS 1533/3, un dactylogramme précédent (MS 1533/1) est le texte pris comme référence par Beckett pour établir le dactylogramme envoyé à son éditeur londonien et qui apparaftra dans l’édition anglaise de Come and Go (London : Calder and Boyars, 1967), et dans toutes les rééditions. En revanche, la première édition américaine in Cascando and Other Short Dramatic Pieces (New York : Grove Press, 1968), incorpore le dialogue du début, mais pas celui de la fin. Beckett poursuivit donc son travail sur les versions bilingues de la pièce alors que le texte de Come and Go était déjà parvenu chez l’éditeur anglais et ne le modifia pas par la suite.
MS 1533/2
68Dactylogramme intitulé « TS1 ». Proche de la version publiée, il comporte toutefois des corrections et des additions de la main de Beckett. 5 feuillets 27 x 21cm.
69Ajout manuscrit, au début et à la fin de la pièce :
MS 1533/3
70Dactylogramme intitulé « TS2 » : report des corrections apportées à « TS1 », une seule correction manuscrite. 5 feuillets 27 x 21cm. Porte la note manuscrite « For John Calder ». La correction d’un lapsus calami marque la trace du français dans ce brouillon en anglais :
Vi. – May we not speak of the old days? (Silence.)
hands Of what came after? (Silence). Shall we hold dans in the old way?
MS 1533/4
71Dactylogramme intitulé « TS3 » : mise au propre de « TS2 » comportant une seule correction manuscrite (faute de frappe).
Va-et-Vient
MS 1532/1
72Manuscrit original de 5 feuillets 21 x 27cm. Daté du 21 mars 1965 et intitulé Va-et-vient. Composé de deux parties distinctes :
Le feuillet 2 (recto et verso) constitue une première version du texte sans les didascalies. Nombreuses corrections.
Les feuillets 3, 4, 5 (écrits au stylo noir) constituent une mise au propre des pages précédentes et incluent, outre les didascalies, la dernière phrase omise jusque là. Beaucoup de révisions au stylo noir également.
MS 1532/2
73Dactylogramme intitulé « TS 1 » comportant des corrections manuscrites en grand nombre. 5 feuillets 21 x 27cm.
1) Ajout des prénoms en début et fin de texte
74Cette modification laisse penser que cette version est contemporaine de 1533/2.
2) Permutations syntaxiques
MS 1532/3
75Dactylogramme de 4 feuillets 21 x 27cm noté « TS2 ». Mise au propre de la version précédente avec quelques divergences par rapport au texte français publié résumées dans le tableau ci-dessous :
MS 1532/3 | Va-et-vient |
Ru. Sur le lion. | Ru. Sur la ba – |
Sorties et entrées lentes, | Sorties et entrées soudaines et légères, |
Notes sur la genèse de Eh Joe /Dis Joe
76Beckett commença d’écrire le monologue de Eh Joe, en anglais, pour l’acteur irlandais Jack Mac Gowran, le 13 avril 1965 et termina le premier jet, manuscrit comme toujours, le 1er mai (Reading MS 1537/113). Suivent non moins de six dactylogrammes (MS 1537/2-3 et 1537/5-8, nommés « TS0 », « TSI », etc.), assez rapprochés dans le temps puisque le 15 mai 1965, Beckett envoyait son texte à Mac Gowran. La version française est également facile à dater puisque Beckett y travailla lors de vacances à Courmayeur en Italie, fin juin, début juillet 1965. De fait, Reading MS 1538/2, entièrement holographe, est daté du 28 juin au 3 juillet ; si les dactylogrammes suivants (MS 1538/3-4) ne portent pas de date, ils furent composés immédiatement après : le 5 juillet, Beckett confiait en effet à son ami le peintre Henri Hayden avoir terminé sa traduction de Eh Joe. Les campagnes d’écriture de Eh Joe et de Dis Joe semblent donc a priori bien distinctes ; néanmoins il existe un autre manuscrit français (MS 1538/1), non daté et sans titre celui-là, et resté inachevé, qui paraft s’intercaler entre ces deux périodes et pourrait avoir été écrit en même temps que les toutes premières versions de Eh Joe14.
Eh Joe
77MS 1537/1
78Manuscrit original de Eh Joe, daté du 13 avril et du 1er mai 1965. 10 feuillets de cahier d’écolier 22 x 21cm, comportant, à droite (au recto), le texte du monologue, et, à gauche (au verso du feuillet précédent), notes ou brouillons de phrases.
79Feuillet 1 : page de garde avec date : « 13. 4. 65 » ; intitulé Eh Joe après coup.
80Feuillets 2 à 10 : texte seul, sans découpages caméra à partir de la page 3, ni indications scéniques.
81Il faut souligner, en page 6, une rupture évidente dans la composition de ce manuscrit, rupture qui expliquerait l’écart de deux semaines entre le début et la fin de la rédaction, qui se matérialise par une changement d’encre, et se traduit par une inflexion notable de l’histoire. L’idée d’une voix de femme vengeresse parlant dans la tête d’un de ces anciens amants est bien établie dès la début. Mais la trouvaille consiste à faire raconter à celle-ci non son propre suicide (« Ever hear-what became of me √how / did it... », page 6), mais celui d’une autre, « The Green one », comme elle abandonnée par le protagoniste, successivement appelé « J », « Jack » et « Joe ». Beckett applique également les mots inscrits en page 5 – « God story » – et donne une résonance nettement religieuse au monologue : « How’s God these days ?... Still make sense ?... Still lapping it up ?... Joe’s woe... Wait till He starts talking to you...[...] Compared to God √Him » (pages 6, 10).
MS 1537/2
82Dactylogramme de 11 feuillets 27 x 21cm, intitulé « TS0 », contenant uniquement le texte sans indications scéniques ; présentation juxtalinéaire (saut de ligne après chaque membre de phrase, omission des points de suspension, interligne double). Mise au propre du premier manuscrit, avec ajout, après coup, du découpage en 11 plans de caméra notés au feutre. La première partie, feuillets 1 à 4, est abondamment corrigée, alors que la deuxième, feuillets 5 à 11, l’est très peu, différence cruciale qui marque la rupture d’écriture mentionnée plus haut.
MS 1537/3
83Dactylogramme de Eh Joe, intitulé « TS1 ». 5 feuillets 27 x 21cm présentant de nombreuses variantes manuscrites interlinéaires et marginales (en trois encres différentes). Les cinq premières occurrences de « Eh Joe » sont soulignées et numérotées en marge par Beckett ; le découpage en plan est différent par rapport à celui de « TS0 » pour les séquences 5 et 6 qui sont maintenant confondues, réduisant ainsi à dix le nombre des plans.
84feuillet 1 : indications scéniques.
85feuillets 2-4 : texte seul.
86feuillet 5 : croquis des mouvements de caméra ; notes manuscrites.
MS 1537/5
87Dactylogramme intitulé « TS2 text only ». Contient beaucoup moins de variantes que précédemment.
MS 1537/6
88Dactylogramme « TS3 », 5 feuillets. Version comportant très peu de corrections, à part la fin du monologue complètement réécrite à la main : Beckett ajoute des répétitions de mots et insère plusieurs occurrences de « Imagine », comme dans le version finale française et allemande. C’est donc cette version qui aurait inspiré l’excipit de Dis Joe, ainsi que la traduction allemande de Elmar Tophoven.
89Au bas du quatrième feuillet on trouve deux lignes manuscrites en français, semblant confirmer que la version française est déjà en chantier : « xxx de prier pour son âme… Partie /délivrée prématurément ».
MS 1537/7
90Dactylogramme « TS4 I » ; 5 feuillets. Rares corrections de fautes de frappe ; incorporation des variantes de « TS 3 » avec de menues différences.
91Plan 10 : Ajout de : « ... Eh Joe... » à la fin, souligné.
MS 1537/8
92Dactylogramme intitulé « Final version typescript S.B. ». Présente de rares variantes, à l’exception du dernier plan, où Beckett supprime les répétitions ajoutées précédemment.
plan 10: Lips on a stone... A stone... Taking Joe with her... Light gone... ‘Joe Joe’... No Sound... To the stones... The stones... Say it you now, Joe... No one’ll hear you... Say ‘Joe’ it parts the lips... The lips... imagine the hands... Imagine... The solitaire... Against a stone... A stone... Imagine the eyes... The eves... Spirit light... Month of June... What year of your Lord?...
Thebreasts... In the stones... The hands... Before they go... Imagine the hands...Imagine... What are they at?... In the stones... The stones...
Dis Joe
93MS 1538/1
94Manuscrit de la version française de Eh Joe, ne portant ni titre ni date ; 5 feuillets 27 x 21cm.
95Ce texte holographe paraft intégrer la plupart des modifications apportées au dactylogramme « TS2 » (1537/5) – indications scéniques modifiées lors de l’étape précédente, découpages en plans, occurrences de Eh Joe /Dis Joe, ajouts manuscrits comme « stands a bit looking at the beaten silver », etc. – ; en revanche, certaines divergences entre 1538/1 et 1537/5, divergences qui prennent leur origine dans le premier jet anglais (comme le jeu différent des pronoms : « Croupir dans ta vieille douillette puante à t’entendre toi-même » au lieu de « Sit there in his stinking old wrapper hearing himself »), ainsi que la trace du mot « serres » dans « TS0 », laissent penser qu’il existe peut-être une version plus ancienne de Dis Joe, non répertoriée, et que Beckett travailla sur les avant-textes bilingues MS 1537/1-3 et 1538/1 de manière presque concomitante et rapprochée en procédant à plusieurs séries de corrections sur chaque version et en passant d’un texte à l’autre indépendamment de la langue, reportant, souvent mais pas toujours, sur l’un les modifications apportées à l’autre ; on peut aussi supposer qu’il s’est « inspiré » indifféremment des divers avant-textes de Eh Joe pour produire le premier jet de Dis Joe.
1538/2
96Second manuscrit de Dis Joe, daté du 28-6-65 Courmayeur en page 1 et du 3 juillet en page 8. Cahier d’écolier avec le texte sur la page de droite (recto) et les brouillons de phrases sur la page de gauche (verso). Les variantes par rapport au manuscrit précédent sont généralement intégrées au fil de la plume, sauf pour les pages 1 et 2 où elles sont présentées en vis-à-vis.
1538/3
97Dactylogramme de Dis Joe. 4 feuillets ; mise au propre de 1538/2 comportant de nombreuses variantes manuscrites marginales et interlinéaires.
98Beckett affine ponctuellement un mot ou une phrase, comme « Bien conservé pour son âge » remplacée par l’expression idiomatique plus courte « Bon pied bon œil » (feuillet 2). Il apparaft encore irrésolu quant à la traduction de la phrase « the best’s to come » : dans 1538/2, il avait déjà tâtonné entre « l’avenir est à nous »« le pire est passé » ; cette fois, il essaie « le meilleur est pour demain » mais se décide finalement pour la formule lapidaire « demain bonheur » (f. 1). Dans le même esprit, le calque « thuggisme (mental) » se transforme en « serre-kiki (mental) », terme aux connotations sexuelles et scatologiques (feuillet 1). « De l’argent... » remplace « Sonorité normale... » ; quant à Joe, il troque sa « douillette puante » pour une « pourriture » (f. 2), etc.
MS 1538/4
99Dactylogramme de 5 feuillets, très proche de la version publiée, comportant de rares variantes.
100Cette version insère d’ultimes modifications stylistiques qui retravaillent les passages restés proches de la version anglaise, telles que : « Allons, Joe, dis-le avec l’accent » au lieu de « tu le dis comme personne » ; « Le ciel Joe, le ciel, on t’a à l’œil » pour « Lève les yeux, Joe, lève les yeux, nous te voyons d’ici ». L’écart par rapport à Eh Joe passe aussi par des ajouts comme « toute la chiennerie » (plan 3), ou par des jeux de mots tels « tous tes morts remorts »
Principales variantes
1) Thème de la vision : l’incipit
101Voir les tableaux synoptiques présentés ci-dessous.
2) Thème de la mort et de la mise à mort
102Ce thème, ou plutôt ce motif, fait l’objet de réécritures incessantes, tant en anglais, qu’en français ; en voici quelques exemples frappants.
1537/2, feuillet 2 :
That’s how you were able to
throttle√muzzle√spike him in the end...
1537/5, feuillet 1 :
That’s
how you were able to garotte√where you throttled him in the end... Mental thuggee…
1537/6, feuillet 3 :
Weaker and weaker till you
fixed√laid her too...
1538/1, feuillets 1 et 2 ; 1538/2, page 4 ; 1538/3, feuillets 1 et 2 :
Pas âme morte qui vive à tuer...[...] Elle a baissé... entre tes
doigts mentaux√serres mentales...
Pas âme morte qui viveà rectifier√liquider...[...] Elle a faibli... entre tes serres mentales...
Plus âme morte qui viveà rectifierdéteindre...[...] Elle a molli.... Entre tes serres...
3) Pronoms
103La voix de femme s’adresse à Joe le plus souvent à la deuxième personne du singulier, mais aussi, parfois, à la troisième, ce qui n’est jamais le cas dans la version française où Beckett ne reporte pas la correction : oubli ou stratégie ?
1537/1, page 4 :
Sit there
in your√his stinking old wrapper xxxxxxxxto yourself√hearing himself
1041537/8 plan 6 :
Very fair health for a man of
your- √his years... Just that lump in your √his bubo…
4) Excipit
105Comme on l’a vu, Beckett retravaille plusieurs fois la toute dernière partie du plan 10, tant en anglais qu’en français, pour au final, arriver à deux excipit au rythme légèrement différent.
B. Foirades et autres morceaux en prose (1965-1972/1965-1974)
Notes sur la genèse de Imagination morte imaginez /Imagination Dead Imagine
106En 1963, Beckett écrivit, en anglais, All Strange Away, qui ne sera publié qu’en 1978, texte dont l’incipit notamment a inspiré Imagination morte imaginez ainsi que deux fragments bilingues intitulés « Faux départs ». Si aucun manuscrit autographe de Imagination morte imaginez n’est à ce jour répertorié, on sait toutefois que Beckett mit pas moins de six mois à écrire ce texte de trois pages et qu’il le « boucla » finalement en mars 1965, afin d’en être, selon ses propres dires, « délivré ». Le dossier génétique de Reading (photocopies d’originaux conservés à Washington University, Saint Louis), avec quelque six versions dactylographes, témoigne de cette naissance longue et fastidieuse.
107Beckett traduisit ce texte avec une relative facilité au cours de l’été 1965, pendant son séjour à Courmayeur (Italie), à l’époque où il travaillait encore sur Dis Joe.
Imagination morte imaginez
MS 1540/1
108Dactylogramme de 2 feuillets intitulé « I » présentant de nombreuses ratures ; deux paragraphes entiers sont supprimés. La moitié de la deuxième page est manuscrite. Inachevé.
109Au début du texte, le narrateur à la première personne, dont on entend le langage familier et les injonctions incessantes (fixez, taisez, entrez, mesurez, etc), fait une apparition toute provisoire : « Nulle part signe de vie, dites-vous, (dis-je), pah ».
MS 1540/2
110Dactylogramme de 3 feuillets, intitulé « II » comportant des variantes autographes, nombreuses en page 3 où six lignes manuscrites sont ajoutées au bas du texte. La première moitié de la page 2 est barrée et retapée sur la page suivante.
MS 1540/3
111Dactylogramme de 2 feuillets comportant quelques variantes manuscrites marginales et dans l’interligne. Intitulé « Imagination morte imaginez TS 1 III = pp. 84-93 Ms » : cette note semble renvoyer à une troisième version du manuscrit holographe qui se trouvait sûrement dans un cahier à la suite des deux premières (voir Bing). Deux croquis géométriques rapides du sol de la rotonde, dont un est barré de plusieurs traits, occupent le haut de la page 1. Ce n’est qu’à ce stade que les deux corps apparaissent dans le texte : « Par terre deux corps blancs, chacun dans son demi-cercle ».
MS 1540/4
112Dactylogramme de deux feuillets intitulé « TS 2 4 », donc vraisemblablement la deuxième transcription de la quatrième version manuscrite. Quelques corrections de fautes de frappe et remplacements de mots disparates.
Imagination Dead Imagine
MS 1541/1
113Manuscrit holographe sur un cahier d’écolier. 4 pages doubles. Daté du 4 au 8 juillet 1965. Porte son titre définitif.
MS 1541/2
114Dactylogramme de deux feuillets intitulé « I » en page 1. Variantes manuscrites moyennement fréquentes.
MS 1541/3
115Dactylogramme « 2 » ; 2 feuillets. Comporte de rares variantes et une note manuscrite : « Conform with copies sent to Calder Grave xxxxxxxxxx ».
MS 1541/4 et 5
116Dactylogrammes de 2 feuillets chacun, le premier comportant de menues variantes, le deuxième vierge de toute correction. Respectivement appelés « V T3 » et « VI ».
Quelques variantes15
1) L’incipit
MS 1540/1
Nulle part signe de vie, dites-vous, (
dis je), pah, qu’à cela ne tienne, imagination pas morte, si, bon, imagination morte imaginez. Iles, eaux,ombreset-elartés ⇃bleus et verdures⇃azur, verdures, fixez, muscade, des années √pff, une éternité, taisez.
MS 1540/4
Nulle part
signe√trace de vie, dites-vous, pah, qu’à cela ne tienne √la belle affaire, imagination pas morte, si, bon, imagination morte imaginez. Iles, eaux, azur, verdures, fixez, muscade, pff, une éternité, taisez.
MS 1541/1
117page de droite : premier jet
No trace of life anywhere, you say, pah, no trouble there, imagination not dead yet, yes, all right, imagination dead imagine. Islands, waters, azure, verdure, one
wink andgone ⇃vanished,neverending, endlessly, leave unsaid.
118page de gauche : reprise
No trace of life anywhere, you say, pah, no difficulty there, imagination not yet dead, yes,
all right⇃dead, goog, imagination dead imagine. Islands, waters, azure, verdure, one glimpse and gone, endlessly, leave unsaid.
MS 1541/3
No trace of life anywhere, you say, pah, no difficulty there, imagination not dead yet, yes dead good, imagination dead imagine. Islands, waters, azure, verdure, one glimpse and gone ⇃vanishes, never ending, endlessly,
leave out√omit.
2) Les mesures
119Comme plus tard dans Le Dépeupeur et Bing, elles sont marquées par une indécision notoire.
MS 1540/2
Diamètre un mètre √80 cm, hauteur un mètre √80 cm du sol au sommet de la voûte. [...] Blancs aussi la voûte et le mur rond hauteur un
demi-mètre√40 cm sur lequel elle s’appuie.
MS 1541/1
Diameter 3 foot [...]. [...] White too the vault and the round wall eighteen inches high from which it springs.
MS 1541/3
Diameter three feet,
sumc distance⇃three feet from the ground to the summit of the vault. White too the vault and the round wall eighteen inches high from which it springs.
3) Intertextualité
120L’allusion à La Tempête de Shakespeare n’est ajoutée que tardivement par Beckett, lors de la deuxième transcription dactylographiée.
MS 1541/2
Go back out,
recede⇃move back, it vanishes, ascend, it vanishes, all white in the whiteness, descend, go back in.
MS 1541/3
Go back out, move back, the ⇃little fabric vanishes, ascend, it vanishes, all white in the whiteness, descend, go back in.
Notes sur la genèse de Assez /Enough
121Il fallut que Beckett écrive et réécrive Assez une dizaine de fois, enchafnant plusieurs versions manuscrites et dactylographiées, au cours des mois de septembre et octobre 1965, pour parvenir à composer ce court texte à la première personne (Reading MS 1529/1-9). Si des avant-textes anglais il manque le manuscrit original, les trois dactylogrammes qui subsistent- MS 1530/1-3, numérotés de 1 à 3 –, permettent au contraire de suivre une écriture assez fluide, sans heurts notables, probablement entreprise peu après l’achèvement de Assez.
Assez
122Bien que le corpus de manuscrits paraisse a priori, et important par le nombre, avec ses neuf avant-textes, et clairement organisé, avec ses numérotations précises de la main de l’auteur, il n’en demeure pas moins incomplet et classé de manière incertaine. Le soi-disant manuscrit « original » (MS 1529/1), dont on peut consulter des photocopies à Reading (les originaux se trouvant à Washington University, Saint Louis), est en fait postérieur à MS 1529/2, dactylogramme qui pourrait donc bien être la mise au propre du premier jet de Beckett. Qui plus est, l’ordre de MS 1529/6-9 semble parfois contestable.
123Il faut également noter la technique particulière employée dans la composition de Assez, technique réutilisée peu de temps après, quoi qu’avec des variantes, pour la genèse de Bing. Au lieu d’écrire d’un trait son premier jet manuscrit, puis de commencer un processus de réduction bien à lui, Beckett réécrit le début du texte et prolonge ce dernier toujours plus avant à chaque nouvelle version. C’est pourquoi la ou les premières pages des divers avant-textes sont beaucoup moins corrigées que les suivantes, plus récentes, donc encore à parfaire. Notons aussi l’ajout, en cours d’écriture, d’un nouvel incipit : annulant fictivement « tout ce qui précède », ce nouveau départ rend aussi caduque le premier commencement.
MS 1529/2
124Dactylogramme de 4 feuillets, intitulé « MS 1 », comportant des variantes manuscrites, surtout sur la page 1. En haut de la page 3, Beckett a inscrit une note en anglais : « Rewrite ». En page 4, on peut lire la mention : « Premier MS. arrêté ici. »
125Version plus prolixe que le texte final et d’une veine plus érotico-comique, notamment pour ce qui est de la fin du paragraphe 1 :
Quand il me disait de lui sucer le pénis je
m’empressais de le faire√de lui obéir. J’en tirais de la satisfaction. Moins que lui sans doute, mais ce n’est pas sûr. Même chose quand il me demandait de sucer le mien, je veux dire de le lui donner à sucer à lui. Ces deux besoins qu’il ne faut pas confondre se faisaient plus fréquents à mesure qu’il vieillissait.
126En page 2, Beckett procède à une modification intrigante qui rend plus ambigu le texte en créant une atmosphère florale et printanière : la voix narrative ne semble plus tout droit sortie d’une urne funéraire à la manière des personnages de Comédie.
MS 1529/1
127Manuscrit holographe sur un cahier d’écolier de 6 « pages doubles » : le texte se trouve sur les rectos, les versos, en vis-à-vis, servant à noter ajouts et variantes. Daté du 4 septembre 1965. Incorpore les corrections du dactylogramme précédent, même s’il porte le numéro « I » et que la note « MS 1 arrêté ici » est inscrite à la fin. Variantes abondantes à partir de la deuxième moitié du texte, la première moitié étant très peu corrigée.
MS 1529/3
128Manuscrit sur cahier de 8 pages doubles. Daté du 24 septembre 1965. Les pages 6 à 8 comportent beaucoup de corrections et variantes. Porte le numéro « II » ; la mention « MS II arrêté ici » est notée sur la dernière page. Repris dans le dactylogramme suivant, MS 1529/4, 7 pages.
MS 1529/5
129Manuscrit holographe d’une page double daté du 16 au 18 octobre, brouillon du paragraphe ajouté au début de Assez : « tout ce qui précède détruire... ». Sur la page de gauche, Beckett travaille sur la série de combinaisons communication /redépart, continue /discontinue, immédiat(e) /retardé(e) qui constitue tout le paragraphe 16.
MS 1529/7
130Manuscrit de 8 doubles pages. Le nouvel incipit est recopié le 18 octobre, le reste le 23. Vraisemblablement « MS 3 ». Comporte très peu de corrections sauf sur la dernière page où 8 lignes sont barrées. Divisé en paragraphes.
MS 1529/6
131Dactylogramme de 8 feuillets présentés de manière juxtalinéaire (voir Eh Joe), à la manière d’un poème, sans marques de ponctuation ni majuscules. « MS 3 » noté en page 1. Peut-être du fait de la présentation, la division en paragraphes (ou strophes) n’est pas reprise.
MS 1529/8
132Dactylogramme de six feuillets dont les deux derniers sont manuscrits. Porte le numéro « 4 ». L’étude du dernier paragraphe (autographe) montre qu’il est antérieur à 1529/7. Beckett commença donc par taper 1529/7 à la machine, il finit ensuite cette version à la main avant de recopier une partie de la fin sur le manuscrit initial en insérant les variantes incorporées à la relecture, puis il produisit un nouveau dactylogramme, MS 1529/9 (5 feuillets, numéroté « 5 »).
Les variantes
133L’essentiel du travail de réécriture consiste, à la relecture, à ciseler et réorganiser la matière de départ, comme le montrent les morceaux choisis ci-dessous.
1) L’incipit provisoire
134MS 1929/4
2) L’excipit
MS 1529/8
MS 1929/9
Enough
135Ce dossier manifestement incomplet a dû donner lieu à un ou plusieurs manuscrits holographes.
MS 1530/1 à 3
136Trois dactylogrammes numérotés de 1 à 3 par Beckett. 5 feuillets chacun. Le premier comporte relativement peu de variantes manuscrites, et elles sont de moins en moins nombreuses dans les versions ultérieures.
137« 2 » porte la mention « Translated from the French by the author ».
138La dernière version, « 3 », la plus proche de la version finale, ne comporte que des corrections de fautes de frappe ; c’est aussi celle qui diffère le plus de Assez, celle où les divergences les plus frappantes – des omissions pour l’essentiel – sont intégrées. Ainsi le paragraphe 20, jusque là traduit (« All these notions come from him. I do no more than combine after my fashion. [...] ») en est-il désormais absent, conformément à la version définitive.
Notes sur la genèse du Dépeupleur /The Lost Ones
139La genèse de cette nouvelle, importante par sa taille et par le renouveau créatif qu’elle mettait en œuvre, fut longue et hâchée. Après un fastidieux effort de plusieurs mois, de fin octobre 1965 jusqu’à fin juin 1966, Beckett réussit à produire un texte en prose, en français, de quelque 21 pages dactylographiées (Reading MS 1536/9), alternant une dizaine de versions autographes ou dactylographes ; il finit pourtant par l’abandonner au profit de Bing (en juillet 1966) et ne le reprit que quatre années plus tard, pour y ajouter une page finale, et le donner à publier à Jérôme Lindon pour les Editions de Minuit (en 1970)16. C’est seulement alors, en septembre 1971, qu’il se mit à la version anglaise qui l’occupa jusqu’au printemps de l’année suivante.
140Les manuscrits du Dépeupleur se trouvent à la Washington University de Saint Louis, mais on peut en consulter des photocopies aux archives de Reading. En revanche, les avant-textes de The Lost Ones – un manuscrit autographe, deux dactylogrammes et un jeu d’épreuves – sont répertoriés à la New York Public Library.
Le Dépeupleur
MS 1536/2
141Cahier autographe comportant sur la page de droite (ou recto) le texte, et, en vis-à-vis (sur la page de gauche, ou verso), d’éventuels essais de variantes, corrections, ajouts, etc. 15 doubles pages. Intitulé « I » et daté de « Paris, le 31.10.1965 ». Sur la dernière page on peut lire : « I arrêté ici. Ussy 28.11.65 ». La première page contient les calculs de la « surface totale » du cylindre.
MS 1536/3
142Dactylogramme de 7 pages numérotées. Intitulé « / ». Comporte de très larges corrections manuscrites, notamment en pages 1 à 3 où des paragraphes entiers sont barrés puis réécrits dans la marge de gauche, à la main.
MS 1536/4
143Manuscrit sur cahier comme précédemment. 13 pages doubles (verso et recto de la page suivante en vis-à-vis). Intitulé « II » au début, ce texte porte la mention en dernière page : « II arrêté ici Paris 25.12.65 ». Certaines pages sont vierges de corrections, alors que d’autres sont très lourdement retravaillées, notamment les doubles pages 10 à 14.
MS 1536/7
144Dactylogramme de 8 pages, intitulé « 3 ». Peu de variantes manuscrites. En page 8, on peut lire la précision « arrêté décembre 65 ».
145Les onze premiers paragraphes sont numérotés en marge, à la main, et portent chacun un en-tête récapitulatif, ce qui semble indiquer que Beckett réfléchissait alors à la structure générale du texte (« Espace, éclairage, quête, température, matériaux, échelles, niches, corps, rappel »), travail approfondi dans le dactylogramme suivant, grâce à une mise en page différente expérimentée aussi dans les avant-textes de Eh Joe, monologue dramatique qui date de la même époque.
MS 1536/5
146Dactylogramme de 14 feuillets (recto). Comporte très peu de variantes et semble fort peu différent de 1536/4 et donc de 1536/7. Présentation juxtalinéaire, à la manière d’un poème, sans majuscules en début de phrase. Les paragraphes sont numérotés.
MS 1536/6
147Manuscrit sur cahier daté du 28 décembre 1965, intitulé « 3 » ; 5 doubles pages qui reprennent uniquement les paragraphes 1 à 9. Relativement peu de variantes. Un verso (double page 3) est consacré à des calculs.
MS 1536/8
148Manuscrit sur cahier daté du 29 avril 1966 à Ussy. 8 doubles pages. Comporte très peu de variantes, en revanche la structure définitive du texte en longs paragraphes compacts est enfin trouvée : les paragraphes, conçus à l’origine pour être assez courts, sont réunis les uns aux autres par un jeu de flèches.
MS 1536/9
149Manuscrit dactylographié sur dix-sept pages, puis autographe sur les quatre pages restantes, qui sont barrées d’un long trait diagonal. La page 1 porte la mention suivante : « III IV USSY MAI 66 ». La structure du texte est de nouveau récapitulée par une liste manuscrite en marge : « 1. Séjour, 2. Population et notion, 3. Séjour 2, 4. Issue, 5. Zénith, 6. Echelles xxx, 7. Echelles transport, 8. Sédentaires piste et vaincus, Piste arène, Population notion 2, Eclairage-température avec conséquences œil-peau ».
MS 1536/10
150Manuscrit sur cahier, 15 doubles pages. Commencé à Ussy le 10 mai, cette version temporairement définitive sera poursuivie à Paris le 3 juin, puis le 14 juin à Courmayeur (Italie) où Beckett passait des vacances et au retour desquelles il abandonna Le Dépeupleur. Ne commence pas au début, vraisemblablement la reprise de la fin de MS 1536/9.
Quelques variantes
1) L’incipit
151Complètement réécrit en français, il coule facilement sous la plume de l’auto-traducteur, toujours à la recherche d’une expression plus compacte.
MS 1536/2
Etablir corps
Etablissementd’un espace où réunis à demeure les xxxxx pour la plupart puissent errer à la recherche les uns des autres ou par simple besoin de mouvement.
MS 1536/3
Un espace où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur |
|
MS 1536/5
espace où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur
MS 1536/9
Séjour
Espaceoù des corps vont cherchant chacun son dépeupleur.
152manuscrit de New York
Abode where lost bodies come and go each searching for its lost one.
153dactylogramme 1 (New York)
Abode where lost bodies roam searching for its lost one.
2) Perception de la « réalité »
a) Nombres, dimensions et calculs
154Les critiques ont pu remarquer le flottement qui existe dans la narration des données numériques, arithmétiques et géométriques précisées avec force détail tout au long des deux versions anglaises et françaises, et dont le tableau comparatif montre parfois les divergences : nombre de corps et répartition dans les différents groupes, variation de la température, nombre et longueur des échelles, dimensions du cylindre. Il n’est que de s’intéresser à l’indécision de Beckett quant à la géométrie du « séjour », pour se rendre compte que ce flottement prend sa source bien en amont du produit fini. A titre d’exemple, l’indétermination qui caractérise la recherche – « pour l’harmonie » – des dimensions du cylindre se poursuit tout au long de la genèse du Dépeupleur, et se prolonge encore lors de l’écriture de The Lost Ones.
MS 1536/2 : une erreur reconduite dans tous les avant-textes français, et seulement corrigée dans The Lost Ones, est introduite dès le premier manuscrit, la surface étant normalement cent fois plus grande que ne l’estime Beckett.
Bref l’intérieur d’un cylindre régulier surbaissé ayant 50 mètres de périmètre par exemple et par conséquent ⇃donc ⇃
par conséquentquinze de hauteur environ pour l’harmonie. [...] Son ubiquité comme si les quelque cent mille centimètres carrés de surface totale émettaient chacun sa lueur.
155MS 1536/3 : de 15 mètres, la hauteur du cylindre passe à 16 afin de l’harmoniser avec la longueur du diamètre de la circonférence de base, ce qui entrafne une modification de la surface totale, désormais plus proche de 120 000 que de 100 000 cm2.
Bref√C’est l’intérieur d’un cylindre régulier surbaissé ayant cinquante mètres depérimètre√pourtour parexemple et par conséquent ⇃etquinze⇃seize de hauteur environ pour l’harmonie. […] Son omniprésence comme si les quelque cent √vingt mille centimètres carrés de surface totale émettaient chacun sa lueur.
MS 1536/6 : brusquement, la hauteur du cylindre passe à 12 mètres, la surface totale étant alors réduite à 80 000 cm2. Le pourtour reste inchangé.
MS 1536/9 : un brouillage, qui subsiste dans la version définitive (page 7), se produit et fausse les calculs. La hauteur revient à 16 mètres alors que ni le pourtour ni la surface totale ne sont modifiés, comme si les socles circulaires (sol et plafond) n’étaient désormais plus pris en compte dans cette dernière. En revanche, en page 15 du Dépeupleur, sont rétablies des proportions justes mais qui jurent avec celles avancées en page 7 : « douze cents mètres carrés de surface totale dont huit cents de mur ».
156Un certain flottement reste encore sensible dans la première édition américaine où la hauteur grandit et atteint 18 mètres, alors que la surface reste de 80 000 cm2. Le second tirage américain est conforme à la version définitive de The Lost Ones : la hauteur est de 16 mètres et la surface totale subit une croissance exponentielle, puisqu’elle passe à « some twelve million [square centimètres] », dimension qui est, en fin de compte, exacte.
b) Couleur, luminosité
157Si ce domaine de perception prête moins à confusion que les détails chiffrés, les modifications dont il fait l’objet sont riches d’enseignements sur le laconisme beckettien qui est aussi une vision du monde.
MS 1536/2
Eclairage très particulier à bien des égards. Sa faiblesse. Sa couleur jaune indéfinissable.
MS 1536/3
Eclairage
très particulier à bien des égards. Son extrême⇃Sa grande faiblesse. Sa couleur √ocre ni jauneindicible √ni rouge.
MS 1536/5
éclairage
sa grande faiblesse
sa couleur ocre indicible
MS 1536/8
Eclairage. Sa faiblesse. Son jaune.
Le Dépeupleur
Lumière. Sa faiblesse. Son jaune.
The Lost Ones
The light. Its dimness. Its yellowness.
Notes sur la genèse de Bing/Ping
158Comme Beckett l’a lui-même précisé dans une note manuscrite accompagnant les avant-textes de Bing, la parenté de ce court texte de prose poétique avec Dépeupleur ne fait aucun doute :
Mss Le Dépeupleur & Bing
Though very different formally these 2 mss belong together.
Bing may be regarded as the resuit or miniaturisation of
Le Dépeupleur abandoned because of its intractable complexities.
159Beckett écrivit donc Bing en juillet-août 1966, après avoir momentanément abandonné Le Dépeupleur. Ping suivit de près, les manuscrits datant du mois suivant.
Bing
160Les brouillons de Bing sont exceptionnellement nombreux. Une série de 6 manuscrits (MS1535/1-6) datés du 20 juillet au 16 août 1966, entre lesquels s’intercalent une seconde série de 10 dactylogrammes (1227/7/1/1 et 1535/7), composent ce dossier génétique. La plupart des versions autographes est recopiée à la machine avant d’être révisée à la main puis réécrite de nouveau, procédé assez inhabituel, la majorité des autres textes de Beckett ne donnant lieu qu’à un, voire deux manuscrits holographes. La recherche, double, est d’abord celle d’un rythme – comme le montrent les exemples de variantes analysés plus bas –, et celle d’une structure : les tableaux analytiques à trois colonnes de MS 1535/3 et 1535/6, sortes de scénarios du texte qui en résument le contenu et analysent la répartition des éléments thématiques, marquent un pause dans la genèse et renouent avec une technique déjà éprouvée par Beckett pour tenter de maftriser la structure du Dépeupleur.
MS 1535/1
161Manuscrit de 2 pages, daté du 20 juillet 1966. Cahier d’écolier, 21 x 15cm, texte sur versos. 26 lignes sont supprimées par un long trait en diagonal sur la première page.
162D’emblée, c’est la description d’un espace clos, une salle. Plusieurs mots (niches, échelles...) rappellent encore précisément Le Dépeupleur, même si le style paraft plus haché. Aucune onomatopée à ce stade.
MS 1535/2
163Manuscrit de trois pages daté du 23 juillet 1966. Même cahier que précédemment. Peu de variantes. 2 ajouts sur le verso de la première page (en regard du deuxième recto). Introduction des onomatopées.
MS 1227/7/1/1 « 1 »
1641 feuillet dactylographié de 39 lignes. Presque toutes les lignes sont barrées d’une ligne horizontale discontinue. Correspond à la mise au propre de 1535/2.
MS 1535/3
165Manuscrit de 4 feuillets (ou 3 pages doubles) sur cahier d’écolier, daté du 28 juillet 1966.
166Double page 1 : à gauche, rien ; à droite, le texte manuscrit dont quelques mots sont supprimés en cours d’écriture.
167Double page 2 : à gauche, le texte comportant peu de corrections ; à droite, un tableau de trois colonnes, respectivement intitulées « Corps /Endroit /Divers » et rempli de notes discontinues, qui récapitulent la structure et le contenu du texte. La colonne divers est barrée de multiples traits verticaux.
168Double page 3 : à gauche, le texte s’arrête au premier tiers ; à droite, fin du tableau de la page précédente.
MS 1227/7/1/1 « 2 »
169Dactylogramme d’un feuillet correspondant aux 29 premières lignes de MS 1535/3, soit la première page de ce dernier. Quelques variantes manuscrites.
MS 1227/7/1/1 « 3 »
170Dactylogramme correspondant à MS 1535/3, recopié et révisé plus bas que dans le dactylogramme précédent noté « 2 ».
MS 1227/7/1/1 « 4 »
171Dactylogramme de deux feuillets reprenant encore MS 1535/3, jusqu’à la fin cette fois.
MS 1535/4
172Manuscrit sur cahier d’écolier, 5 pages doubles, daté du 8 août 1966. Variantes plus ou moins nombreuses selon les pages.
MS 1227/7/1/1 « 5 »
173Dactylogramme de 3 feuillets, révision du début de MS 1535/4. Les premières lignes sont abondamment retravaillées à la main.
MS 1227/7/1/1 « 6 »
174Dactylogramme de trois feuillets, correspondant à MS 1535/4, révision du dactylogramme précédent « 5 ».
MS 1535/5
175Manuscrit daté du 9 août 1966, sur 4 doubles pages de cahier. Les pages de gauche, servant de « brouillon », sont assez largement utilisées (voir pages 3 et 4).
MS 1227/7/1/1 « 7 »
176Dactylogramme de deux feuillets correspondant à 1535/5.
MS 1535/6
177Manuscrit sur le même cahier que les précédents ; daté des 15 et 16 août 1966. Cinq doubles pages. Peu de variantes. Presque rien de noté sur les pages de « brouillon », sauf sur la dernière, occupée par un tableau à 3 colonnes intitulé « Standbys » :
MS 1227/7/1/1 « 8 »
178Dactylogramme de deux feuillets. Globalement identique à 1535/6, sauf quelques modifications de ponctuation et une omission. Les premières lignes restent inchangées.
MS 1227/7/1/1 « 9 »
179Dactylogramme de deux feuillets, comportant des variantes manuscrites, dont la suppression de quelques phrases.
MS 1535/7
180Dactylogramme de trois pages comportant quelques menues corrections en marge. Intitulée « 10 et last », cette version est en effet proche du texte définitif : les premières lignes, notamment, sont identiques à la version publiée chez Minuit. Pourtant, certaines modifications, des suppressions notamment, ont encore été menées après cette version faussement « dernière », puisque, pour ne prendre qu’un exemple, les deux phrases dont Ping gardera la trace (« Ping murmur only just almost never one second perhaps a way out. Head haught eyes light blue almost white fixed front », 166) existent encore à ce stade de Bing (« Murmures à peine presque jamais une seconde peut-être une issue. Tête boule bien haute yeux bleu pâle presque blanc »). Le premier titre « BLANC » est barré par Beckett et remplacé par « BING ».
Ping
181Les manuscrits de travail de Ping conservés à Reading (MS 1541/1-3) ne comportent que deux dates, les 5 et 15 septembre 1966. Tout porte à croire qu’ils ont été commencés après que Bing eut atteint un degré d’avancement proche de sa version publiée mais non « définitif » (à partir de 1535/6 peut-être), et que la proximité et le chevauchement de leur genèse respective expliquent la technique particulière employée par Beckett.
MS 1542/1
182Manuscrit de 3 feuillets, portant le titre de « Pfft ». Le texte couvre les versos des deux premiers feuillets, alors que le troisième semble avoir servi de brouillon ou d’une sorte de « pense-bête » pour la traduction ; elle présente en effet une liste de mots et expressions clés comme : « Heat light, fixed, just barely, traces... ». Quelques variantes sont portées au fil du texte, les marges restant presque inutilisées.
MS 1542/3
183Dactylogramme de deux pages correspondant à 1542/1. Corrections manuscrites notamment en marge.
MS 1542/2
184Manuscrit de 5 feuillets, daté en page 5 du 15 septembre 1966 ; présenté de manière juxtalinéaire, avec saut de ligne entre les phrases qui fonctionnent comme de mini-couplets ou strophes.
185Quelques corrections sont systématisées au fil du texte :
metre> yardpale> light
fixed> still, puis revirement dans le cours du texte, still > fixed
Les variantes
1) L’incipit
186Le long travail effectué sur le début du texte, essentiellement dans la genèse de Bing, et, de surcroft pendant une période de temps assez brève, suggère une difficile entrée en écriture ; l’étude de l’incipit (dont les remaniements successifs sont présentés ci-dessous17) met en évidence la recherche d’une forme et d’une structure d’engendrement. Beckett emploie ici une technique assez inhabituelle : il reformule plusieurs fois l’incipit de Bing pour obtenir une version à chaque fois nouvelle, qui, si elle reste toujours provisoire, lui permet d’avancer dans l’écriture de la suite. Ainsi, plusieurs faux départs, ou départs insatisfaisants, se succèdent qui rendent possible la progression ultérieure du texte.
MS 1535/1
La salle
Hauteur deux mètres. Largeur un mètre. Profondeur un mètre.
Hauteur deux mètres. Angles droits. Quatre murs égaux de gauche à droite ABCD. Un mètre carré de sol plat. Même chose plafond. Les mesures sont approximatives. Pas d’ouvertures. Grand éclairage.
Tout est blanc. Pas d’ombre.
MS 1535/2 : incipit recopié tel quel puis supprimé dans D « 1 ».
Comme18 toutes à venir | Largeur un mètre. Profondeur un mètre. Hauteur 2 mètres. Angles droits. Quatre murs cardinaux. Un mètre carré de sol plat. |
MS 1535/3
Grande lumière
Grand éclairage. Un corps nu d’un mètre. Un mètre carré de sol plat.
Tout est caoutchouc. Sous les coups sans céder sonne à peine.
Petite tête lisse. Angles droits. Une échelle blanche d’un mètre.
Périodes de noir. Largeur un mètre. Pas d’ouvertures. Petites jambes serrées. Grande chaleur.
187D « 2 » : un des rares verbes est supprimé.
188D « 3 » : un second verbe est nominalisé ; répétition de partout.
MS 1535/4
Tout su
/Grande lumière. Un corps nu blanc taille un mètre. Un mètre carré de sol blanc,xxxxxxxxChiffres ronds. Angles droits. Largeur un mètre.
Jambes serrées. Chaleur de serre.
189D « 5 »
190D « 6 »
MS 1535/5
Tout su. Grande lumière. Corps nu blanc un mètre. Sol blanc un mètre carré. Jambes collées comme cousues. Ombre néant. Grande chaleur.
191D « 7 »
Tout su. Grande lumière. Corps nu blanc un mètre. Jambes collées comme cousues. Sol blanc un mètre carré. Grande chaleur.
MS 1535/6 : la ponctuation change ; les adjectifs épithètes disparaissent à l’exception des notations de couleurs.
Tout su tout blanc corps nu blanc un mètre jambes collées comme cousues. Lumière chaleur sol blanc un mètre carré jamais vu.
MS 1542/1
All known all white bare white body one metre legs joined like sewn. Light heat white floor one square métré never seen.
MS 1542/3
MS 1542/2
2) Mouvements
192Les mouvements saccadés des yeux qui alternent avec de longues plages de fixité annoncent Soubresauts, petits textes en prose des années quatre-vingt. Ils suggèrent même au narrateur des comparaisons avec une forme de vie animale, peu à peu éliminée. Enfin, d’explicites, les « déplacements » se font implicites, avec le recours aux onomatopées.
193D « 1 »
Longues immobilités. Seuls les yeux et encore. Déplacements très soudains et rapides. Tout à coup de nouveau immobile ailleurs.
Certains insectes des étangs. [...] Yeux bleu de glaire. Presque blancs. Voient tout. Très écartés. Enorme éventail. Certains insectes.
194D « 2 »
Déplacements brusques ⇃foudroyants. Soudain immobiles ailleurs. Certains insectes des étangs. [...] Yeux bleu de glaire presque blancs.
Voient tout. Enorme-éventail.⇃près des tempes. Champ énorme. Certains insectes.
D « 5 »
Déplacementssoudains⇃Soudainetés. Soudainimmobile √fixe ailleurs. […] Seuls près des tempes les yeux bleu pâle presque blancs.
195D « 6 »
Hop fixe ailleurs. [...] Seuls
p√Près des tempes √seuls les yeux bleu pâle presque blancs.
3) Les onomatopées
196D’abord description d’un espace géométrique, comme dans Imagination morte imaginez et Le Dépeupleur, le texte trouve peu à peu son autonomie avec le surgissement plus tardif des onomatopées qui le rythment et le structurent différemment. Et c’est, semble-t-il leur place dans la phrase qui est stratégique : situées au début des phrases nominales pour scander les changements brusques de situation dans la salle.
MS 1535/2 : l’onomatopée paf est introduite quand le texte évoque les changements brusques de lumière et de température :
Changements foudroyants. Paf noir. Paf éblouissant. Paf de cinquante à zéro à cinquante. [...] Paf ailleurs.
MS 1535/3 : comme ci-dessus, elles précèdent un brusque revirement de situation.
Paf noir. Paf éblouissant. Paf fournaise et glace. [...] Paf ailleurs.
197Mais, dans cette version apparaissent aussi hop (trois occurrences) et bing (une occurrence dans l’antépénultième phrase).
MS 1535/4 : Hop, paf, bing coexistent toujours, dans une répartition différente, comme en témoignent ces courts extraits :
MS 1542/1 : Pfft traduit hop, et ping traduit bing.
MS 1542/2 : Ping remplace pfft tout au long du texte, comme dans la version publiée.
4) Sexualité
198Comme souvent, une sexualité résiduelle finit par être évacuée, superflue car trop humaine.
199D « 1 »
Membre glabre. Brèves demi-érections spontanées.
5) Surface
200D’abord « approximatives » (MS 1535/1) ou arrondies (« chiffre ronds », MS 1535/6), les mesures connaissent par la suite une progression infinie du fait d’une erreur de conversion, tout comme dans Le Dépeupleur. Calculée d’abord en mètres : « 4 x 2 + 2 x 1 », soit « 10 mètres carrés » (au bas de D « 1 »), la surface est ensuite exprimée en millimètres carrés, passant de dix mille à dix millions.
201D « 1 »
Chaque millimètre carré jette son rayon.
202D « 3 »
Dix mille millimètres carrés √lumineux. Plus.
Chacun jette sonrayon.
203D « 4 »
Dix mille millimètres carrés aveuglants. Plus.
204D « 5 »
Dix-mille √millions millimètres √dix millions carrés rayonnants.
205Bing (61 ; 63-64) : l’expression en millimètres est abandonnée ; en revanche l’idée d’infinitude est maintenue.
Lumière chaleur faces blanches rayonnantes. [...] Invisibles rencontres des faces une seule rayonnante blanche à l’infini sinon su que non.
Foirades /Fizzles
206Ces textes fragmentaires, au titre si péjoratif, furent écrits en français vraisemblablement au cours des années soixante – si l’on en croit la note ajoutée par Beckett à l’un des avant-textes de Se voir, « fragment des années 60 »19. Ils ne parurent que dans les années soixante-dix, dans la revue Minuit, pour certains, ou dans des éditions d’art, comme Au loin un oiseau, accompagné d’eaux-fortes créées par Avigdor Arikha (New York : Double Elephant Press, 1973).
207Beckett les traduisit au cours des années 1973-74, à l’occasion de la parution d’une édition bilingue français /anglais accompagnée d’illustrations originales de l’artiste Jasper Johns (Foirades /Fizzles, London & New York : Petersburg Press, 1976)20.
208A l’université de Reading se trouvent la plupart des dossiers génétiques complets des versions en anglais ainsi que de rares avant-textes des versions en français, dont on présente un bref aperçu ci-dessous.
Notes sur la genèse de Foirade I /He Is Barehead Foirade I
209MS 2917/1
210Dactylogramme de 6 pages comportant très peu de corrections.
211En page 5, omission d’un court passage entre crochets :
après quelques bouffées [à cause de sa trop grande richesse, en oxygène, et en hydrogène.] Mais le passage […]
MS 2817/2
212Dactylogramme de 4 pages comportant de menues corrections, notamment de fautes de frappe.
He Is Barehead
213MS 1550/1
214Manuscrit de 5 pages daté en page 5 du 31 novembre 1973. Comporte beaucoup de ratures, notamment en page 4 où au moins dix lignes sont barrées.
MS 1550/2
215Dactylogramme de 4 pages comportant de nombreuses variantes manuscrites notées dans le cours du texte ou ajoutées dans la marge de gauche. « I » est noté sur la première page.
MS 1550/3
216Dactylogramme « II » intitulé « FIZZLE ONE » ; 4 pages. Quelques variantes.
MS 1550/4
217Dactylogramme « III » ; 4 pages. Très peu de variantes.
Notes sur la genèse de Foirade II / I Gave Up Before Birth Foirade II
218MS 2918
219Dactylogramme comportant très peu de corrections, si ce n’est quelques ajouts marginaux : « ça m’étonnerait [...] ici un long silence […] ici un long silence ».
I Gave Up Before Birth
220MS 1550/5
221Manuscrit d’une page, daté du 15 décembre 1973. Intitulé « FIZZLE II ».
MS 1550/6
222Dactylogramme d’une page, comportant quelques variantes manuscrites. Numéroté « I ». Presque toutes les contractions sont remises dans une forme pleine, comme dans les exemples suivants :
MS 1550/7-9
223Dactylogrammes « II » à « IV », une page chacun. « IV » est daté d’août 1974 ; comportent quelques variantes, dont plusieurs concernent le thème de la mort (MS 1550/6 et 7) :
Foirade 1 | 1550 : 1 | 1550/2 | 1550/3 | He is barehead |
p. 29 | till all is flooded with light, and | till all is flooded with light, the path the way, the ground, the walls, the vault, and he be none without his being any one whit the wiscr. | till all is flooded with light, the way, the ground, the walls, the vault, without his being one whit the wiscr. | p. 188 |
p. 30 | The moon may appear, framed at the end of the vista, or a patch of | The moon may appear, framed at the end of the vista, or a patch of more or less starry or sunny sky, and he unable √in no dtate √fît state to rejoice and hasten on √quicken his step, or on the contrary wheel and retrace his steps run, while there is yet time. | The moon, may appear, framed at the end of the vista, and he in no State to quicken rejoice and quicken his step, or on the contrary wheel and run, while there is yet time. | The moon may appear, framed at the end of the vista, and he is in no State to rejoice or quicken his step, or on the contrary wheel and run, while there is yet time. |
Pas trace de folie en tout cas, pour le moment, c’est important. | No sign of madness, in any case, that s a great thing. | No sign of madness √lunacy, in any case, which | No sign of lunacy ⇃insanity, | No sign of insanity in any case, that is a blessing. |
Notes sur la genèse de Foirade III /Horn Came Always Foirade III
MS 2917/1
224Dactylogramme de 2 pages faiblement corrigé à la main. Essentiellement des suppressions. Plusieurs lignes sont en effet barrées sans être remplacées dans le cours du texte ; en voici quelques extraits significatifs :
MS 2917/2
225Dactylogramme de 2 pages présentant très peu de variantes.
Horn Came Always
226MS 1550/10
227Manuscrit de 2 pages, daté du 12 décembre 1973. La plupart des divergences notées dans le tableau comparatif sont déjà présentes à ce stade.
MS 1550/11-14
228Dactylogrammes de une ou deux pages, intitulés « FIZZLE III » et numérotés de « I » à « IV » : comportent quelques variantes manuscrites.
Notes sur la genèse de Foirade IV /Old Earth Foirade IV
229MS 2921
230Dactylogramme de 29 lignes, très peu de variantes.
231Old Earth
MS 1550/15
232Manuscrit d’une page, daté de janvier 1974. Intitulé « FIZZLE IV ».
MS 1550/16
233Manuscrit d’une page, daté du 29 mars 1974.
MS 1550/17
234Dactylogramme d’une page, peu de corrections. Numéro « I ».
MS 1550/18
235Dactylogramme d’une page, daté d’août 1974. Correction de 2 fautes de frappe. Intitulé « FIZZLE IV 2 ». Omission de « Sad we were, in sweet air ».
236La comparaison des deux manuscrits de Fizzle IV, MS 1550/15 et 1550/16, montre des écarts importants tant du point de vue stylistique qu’énonciatif. MS 1550/15 se lit comme une traduction quasi littérale de Foirade IV, alors que dans le manuscrit suivant, l’auto-traducteur réécrit visiblement son texte.
Notes sur la genèse de Au loin un oiseau /Afar a Bird Au loin un oiseau
MS 2920
237Dactylogramme de deux pages. Présente peu de variantes, si ce n’est quelques ajouts et suppressions, dont voici un exemple (page 1) :
j’y mettrai ce qu’il faut, pour finir,
pour mourir, pour ne plus dire je.
MS 1550/22
238Dactylogramme de deux pages intitulé « AU LOIN UN OISEAU, (Foirade III ou VI) ». Aucune correction.
Afar a Bird
MS 1550/23
239Manuscrit de deux pages intitulé « FIZZLE (Afar a bird) VI (or III) », comportant quelques variantes marginales ou en interligne.
240L’incipit fait l’objet d’une attention toute particulière de la part de Beckett :
MS 1550/24
241Dactylogramme de deux pages. Très travaillée, cette version présente de fréquentes variantes manuscrites.
242Le temps et l’aspect des verbes sont modifiés (MS 1550/23>1550/24) :
he has stopped again > he stops again
day isbreaking√dawning > day dawns
he is merged/merges > he merges in the hedge
243Du point de vue syntaxique et lexical, la recherche est le plus souvent en direction d’une langue plus soutenue, plus elliptique et travaillée.
the time it takes to grasp and he’s gone > a moment past he grasps and is
gone√fledit was he who had a life > it was he had a life
it will not become me >
it will not become⇃ill beseeming me
MS 1550/25
244Dactylogramme d’une page comportant très peu de corrections.
Notes sur la genèse de Se voir /Closed Space
Se voir
245MS 2922/1
246Dactylogramme d’une page. Quelques mots sont barrés et remplacés à la main en deux encres différentes. Plusieurs lignes sont complètement supprimées et les corrections visent à rendre le style plus elliptique.
MS 2922/2
247Dactylogramme d’une page présentant très peu de corrections. Une inscription manuscrite occupe la marge du haut qui permet de dater approximativement Foirades : « Fragment de années 60 ».
Closed Space
MS 1550/19
248Manuscrit d’une page intitulé « Closed Space, Fizzle V », daté du 8 février 1974. Seul l’excipit, illisible, présente des variantes en nombre assez conséquent.
MS 1550/20-21
249Deux dactylogrammes d’une page, respectivement « I » et « II ». Le premier comporte des variantes manuscrites, qui correspondent aux divergences collationnées dans le tableau comparatif. Le second n’en présente en revanche aucune.
Notes sur la genèse de Pour finir encore /For to End Yet Again
250En 1970, Beckett entre dans une période où il lui est encore plus difficile d’écrire, notamment en prose ; il ne parvient qu’à produire des textes brefs, vite abandonnés et assimilés aux Foirades des années passées. Pour finir encore est le plus long de ces fragments : d’abord morceau laissé sans suite au cours de l’été en 1970, puis publié sous le titre significatif de Abandonné, ce texte fut retravaillé et complété en 1975. La version en anglais suivit de près, puisqu’elle date de décembre de la même année.
251L’université de Reading ne détient qu’un seul dactylogramme de Pour finir encore, (MS 1551/1 : version tardive, elle ne comporte que de menues corrections de fautes de frappe), les manuscrits étant conservés à la Samuel Beckett Collection du département d’anglais de SUNY, Geneseo, New York. En revanche, on a pu consulter les avant-textes de For to End Yet Again, (MS 1551/2-5), brièvement présentés et analysés ci-dessous.
For to End Yet Again
252MS 1551/2
253Manuscrit de 3 feuillets, daté, en dernière page, du 18 décembre 1975.
MS 1551/3
254Dactylogramme de 4 feuillets intitulé « TO END YET AGAIN » et noté « 1 ». Nombreuses corrections et variantes manuscrites. Les mots sont biffés et réécrits dans l’interligne ou en marge.
MS 1551/4
255Dactylogramme « 2 » intitulé « For to end yet again » ; 3 feuillets. Moins de corrections et de variantes manuscrites que précédemment, mais encore beaucoup de biffures sur la première moitié du feuillet n° 1 (une phrase est réécrite à la main en haut de ce dernier).
MS 1551/5
256Dactylogramme de trois feuillets. Quelques rares corrections de fautes de frappe. « Translation by the author » noté en dernière page.
Les variantes
257Les avant-textes mettent en évidence l’hésitation de Beckett quant à la traduction de la préposition pour, polysémique en français, et de encore.
Comparaison des incipits de 1551/2-4
Notes sur la genèse de Still/Immobile
258Aussi appelé Fizzle VII, Still est le seul de cette série de courts textes à avoir d’abord été écrit en anglais. Il résulte en effet d’une collaboration avec l’artiste Stanley William Hayter, lequel s’était montré désireux, en 1971, d’illustrer une œuvre inédite de Beckett. Ce dernier, n’ayant alors aucun texte en prose en anglais de prêt, se mit au travail en juin 1972 pour achever Still le mois suivant, si l’on en croit les dates portées sur les avant-textes conservés aux archives de Reading (MS 1396/4/28-32 et 1550/26).
259Le dossier génétique de Immobile n’est en revanche pas daté ; il paraft qui plus est incomplet puisque n’y figure aucun manuscrit autographe (Reading MS 1550/27- 9). Il est néanmoins plus que probable que le premier jet de Immobile fut commencé juste après l’écriture du premier jet manuscrit de Still (MS 1396/4/28), car certaines divergences entre les textes définitifs (collationnées dans le tableau comparatif présenté ci-dessous) pourraient venir des avant-textes autographes et dactylographes de Still. A titre d’exemple, prenons, dans les textes publiés, des expressions équivalentes d’un point de vue connotatif, turning deasil /tournant dextrorsum, toutes deux littéraires et rares. Or Beckett avait d’abord pensé à turning withershins, syntagme vite remplacé par turning the other way, moins marqué (MS 1396/4/29) ; or c’est ce dernier qui sert de « modèle » à la première version dactylographiée française où l’on peut lire tournant sens des aiguilles (MS 1550/27). Beckett modifie ensuite de manière parallèle, et les avant-textes anglais et les avant-textes français, pour obtenir le résultat final deasil /dextrorsum.
Still
MS 1396/4/28
260Manuscrit de 12 pages contenant plusieurs versions du texte dont deux in extenso. En page 2, une notation au centre, encerclée, semble être une sorte de commentaire-résumé du texte en cours :
inner & outer space
xxx in communication
(xxxxxxx) and
neutral [?] closed eyes
261En page 3, le texte est disposé comme un poème, avec saut de ligne entre les phrases-strophes :
Bright at last close of a long day the sun shines out at last and goes down
Sitting quite still at the window facing the valley normally turn the head xxx see it low in the south-west sinking [...]
MS 1396/4/29
262Dactylogramme de deux pages appelé « A ». C’est en réalité une révision de la première version manuscrite in extenso de MS 1396/4/28 (pages 3-9) qui présente beaucoup de variantes, des substitutions marginales ainsi que de longues suppressions, dont voici quelques illustrations (tirées de la page 2). On voit que c’est le mode énonciatif et non tant l’énoncé qui est stratégique dans ce passage, avec le jeu des termes tels parenthesis, etc., as above, i.e., that is :
MS 1396/4/30-32
263Dactylogrammes de deux pages respectivement appelés « B », « C » et « D2 ». Comportent peu de variantes, si ce n’est l’insertion fréquente du mot still, seul ou en syntagme, dont certains n’apparaissent pas dans Immobile (« B » : ajout de quatre occurrences de l’expression quite still et insertion de still ; « C » : ajout de all quite still, après « leave it so », 185). « D2 » porte le titre STILL.
MS 1550/26
264Dactylogramme de deux pages intitulé « FIZZLE VII STILL ». Correction de deux fautes de frappe.
Immobile
MS 1550/27
265Dactylogramme de trois pages ne portant pas de titre. Numéroté « I ». Variantes manuscrites assez dispersées mais au bout du compte relativement fréquentes.
2661) La traduction de « normally tum head now » (phrase 2) pose problème et donne lieu à plusieurs réécritures :
2672) Certains ajouts collationnés dans le tableau comparatif sont insérés à ce stade :
√tout premier mouvement
tourner cent grades √ou presque et fixer le soleil
2683) Des formes verbales sont modifiées afin d’éviter l’emploi du passé simple :
lorsqu’ils se rouvrirent√une fois rouverts
2694) Certains mots sont remplacés :
le soleil brille enfin
et se couche√disparaît.
Voire se lever c
ertaine humeur√certains états
le torse palpitant √la poitrine haletant à peine
(Sans parler) √plus forte raison d
edécrire
MS 1550/28-29
270Dactylogrammes « 2 » et « 3 », de deux pages chacun. Intitulés « IMMOBILE ». Très proches de la version définitive. Corrections de fautes de frappe uniquement. « 3 » porte la mention manuscrite « traduit par l’auteur ».
III. Les années soixante-dix : « communication discontinue avec redépart immédiat ou retardé »
A. Retour au théâtre (1972-1976/1973-1977)
Notes sur la genèse de Not I /Pas moi
271Si une des sources de ce monologue se trouve dans un fragment de pièce remontant à 1963 (intitulé « Kilcool » il présente l’image d’une tête sans corps), l’écriture proprement dite de Not I ne date que de 1972-73. Les avant-textes sont nombreux : deux versions manuscrites (Reading MS 1227/7/12/1) datant de mars-avril 1972, sept dactylogrammes corrigés de la main de Beckett, dont le dernier porte la date de janvier 1973 (Reading MS 1227/7/12/2-8), un synopsis tapé à la machine (Reading MS 1227/7/12/10), plus des notes dactylographiées et manuscrites destinées à la mise en scène de la pièce (Reading MS 1227/7/12/9 & 11). En revanche, comme c’est souvent le cas pour les auto-traductions, les avant-textes de Pas moi sont moins abondants (trois versions répertoriées à Reading), même si l’écriture ne fut pas sans difficulté. Commencé en mars 1973 (MS 1396/4/25), peu après que Beckett eut terminé la version anglaise, le monologue français fut interrompu et seulement repris un an plus tard, en mai 1974 (MS 1396/4/26), du fait de la difficulté de la tâche. Pas moi ayant été rédigé une fois Not I achevé, les variantes intéressent essentiellement le rythme de l’élocution, ponctuellement le choix du vocabulaire, mais aussi le temps des verbes et les allusions à l’Irlande.
Not I
MS 1227/7/12/1
272Manuscrit original de Not I présentant une écriture assez fluide malgré quelques ratures, notamment en page 6. Cinq feuillets numérotés de 1 à 7 (pages 6 et 7 sur versos) ; daté du 20/3/72 en page 1, et du premier mai 1972 en page 5. La page 6 est intitulée « analysis » et la page 7 « addenda » (datée du 21 avril 1972). L’espacement des dates de rédaction ainsi que la configuration du texte lui-même, les trois premières pages ayant été barrées, mettent en évidence deux campagnes d’écriture bien distinctes.
MS 1227/7/12/3
273Dactylogramme « II » ; 5 feuillets. Variantes manuscrites assez nombreuses. Beaucoup d’ajouts en marge gauche.
MS 1227/7/12/4
274Dactylogramme « III » ; 5 feuillets. Variantes manuscrites assez dispersées mais ajout, en marge, des mouvements et pauses.
MS 1227/7/12/5
275Dactylogramme « IV » de 5 feuillets portant le titre manuscrit Not I. Quelques corrections autographes. Insertion des pauses et mouvements dans le cours du texte. MS 1227/7/12/6
276Dactylogramme « V » de 6 feuillets avec corrections manuscrites en marge. En page 6, ajout d’une note concernant la prononciation irlandaise de certains mots.
MS 1227/7/12/8
277Dactylogramme d’une version révisée de Not I, datée de janvier 1973, marquant vraisemblablement la fin de la campagne d’écriture de Not I.
Pas moi
MS 1396/4/25
278Manuscrit n° 1 de Pas moi, daté du 1er au 13 mars 1973, à Paris ; interrompu et resté inachevé. 5 feuillets numérotés. Nombreuses ratures.
MS 1396/4/26
279Manuscrit n° 2 daté du 2 au 19 mai 1974. 8 feuillets. Le dernier feuillet contient les indications scéniques. Nombreuses ratures, peut-être moins abondantes que dans le manuscrit de 1973.
MS 1396/4/27
280Dactylogramme de Pas moi, 8 feuillets numérotés. Variantes manuscrites en marge et en interligne.
Synthèse des principales variantes21
1) Ajouts
281L’aspect pathétique et sentimental de la pièce est « défait », selon S.E. Gontarski, par l’addition de références bibliques qui accentuent la thématique métaphysique et ontologique du texte. Dans TS « II », « love for god » devient « God is love », allusion directe au 1er épftre de St Jean 4 : 8 : « He that loveth not knoweth not God : for God is love » (King James Bible). Puis, feuillet 4, 1. 2, Beckett ajoute un extrait des Lamentations, 3 : 22-23 : « It is of the Lord’s mercies that we are not consumed, because his compassions fail not. They are new every morning : great is thy faithfulness » (King James Bible).
282Ces références bibliques sont notées de manière précise, en marge, dans le deuxième manuscrit français, pages 6 et 7 : « 1er Epitre Jean IV.8 [...] Lamentations III 22-23 », et l’on y trouve à chaque occurrence le même ajout :
283L’auteur parsème également son monologue d’humour, comme pour en contrebalancer la sentimentalité latente.
284TS « II », feuillet 1, 1. 8-9
buttoned up | no sooner |
285TS « 3 », feuillet 1,1. 8
286Et c’est le même effort qui pousse fauto-traducteur, dans les manuscrits de Pas moi à préférer « avant l’heure » à « avant terme », « père mère fantômes » à « parents inconnus », ou encore « depuis les langes » à « depuis le berceau ».
2) Suppressions
287Certaines allusions à l’Irlande sont supprimées, qu’il s’agisse d’éléments traditionnels du paysage ou de la prononciation typique du pays.
a) « A godforsaken hole »
288TS « III », feuillet 1, 1. 3-6
289TS « IV », feuillet 1,1. 3
b) Croker’s Acres
290TS « IV », feuillet 3, 1. 61
acres where was it ?... Croker’s meadows...
291Cette allusion est longuement retravaillée dans les avant-textes français :
M1 | M2 | D | Pas moi |
un petit tertre (petite butte) dans | Croker’s acres […] |
| la vaine pâture [...] à croupetons sur une petite bosse |
c) Accent
292– TS « III », feuillet 4, 1. 41 : ajout de « pine for pain », supprimé dès le dactylogramme suivant : « half the vowels wrong... pine for pain... »
293– TS « V », feuillet 6 : ajout d’une note effacée à la relecture :
3) Choix stylistiques
a) Lexique
294TS « II », feuillet 1
295Le participe « dulled » semble plus concret que « lessened » mais il a surtout des résonances dans le reste du texte, dull signifiant « slow-witted », comme la narratrice ; ce mot fait aussi écho au bourdon qui l’obsède, feuillet 3, 1. 35 :
296dull roar
297roaring...
b) Expressions idiomatiques
298TS « II », feuillet 3, ligne 30
299TS « III », feuillet 3
or snatching at straws... the brain... flickering away on its own... one
grablookand on... onto the next...[...] snatching at the straw.... trying to hear...
300M2
c) Syntaxe
301On constate l’ajout fréquent d’hésitations, reprises avec nuance de ce qui précède.
302TS « III », feuillet 1, 1. 36
303TS « IV », feuillet 3,1. 5 et 1. 9
304Cet effort de déstructuration de la syntaxe se prolonge dans les avant-textes de Pas moi, comme le montre cet extrait du dactylogramme :
4) Vision du monde
305Comme souvent, Beckett hésite sur ce qui se mesure, durée, chiffres ou ce qui sert à se situer dans le temps.
a) Durée
306TS « II », feuillet 2,1. 5
b) Age
307TS « III », feuillet, 1. 13 :
seventy s
ixty-five ?...
c) Choix du prétérit
308« What she is trying...[...] what she is saying » devient « what she was trying... what she was » (TS « VI », feuillet 6), tendance inversée dans les brouillons de Pas moi, où Beckett réintroduit le présent et le généralise à tous les verbes, marquant là une rupture temporelle qui témoigne du passage du premier au deuxième manuscrit français, de l’essai avorté de mars 1973 au deuxième jet différé et mené à bien de mai 1974.
309Beckett dramatise, qui plus est, la dichotomie voix /personnage en effaçant toute trace de la première personne et en accentuant la passivité de l’un par rapport à l’autre.
310TS « III », feuillet 2, 1. 47
311TS « II »
312Dans TS « VI », un deuxième « She » est introduit lors de la dernière occurrence de l’exclamation, mais il sera omis dans la version française de la pièce.
313Enfin, une certaine indécision caractérise le choix du mot par lequel la narratrice parle d’elle-même. Si, en anglais Beckett opte pour « girl », dans le texte français, il oscille entre « femelle » et « fille », et finit par se décider pour la première solution envisagée.
Tableau des principales variantes de Pas moi
M2 | M1 | T |
bas... mis bas... ici-bas... | (bas… mis bas... ici-bas) √au monde... mis au | monde... mis au monde... |
femelle | fille | femelle |
parents inconnus | parents inconnus |
|
elle de même | elle pareil | elle pareil |
sur l’enfant sans défense/ privé de parole | un enfant sans défense | sur l’enfant sans défense |
Bon Dieu ! | nom de Dieu ! | mère de Dieu ! |
tout s’éteint | tout | tout s’éteint |
et un rayon de lumière allait et venait... on aurait dit de la lune… à cache-cache parmi les nuages | et un | et un rayon va et vient... va et vient., tel un rayon de lune... à cache-cache dans les nuages |
si c’est debout | s | |
| car première chose l’idée... | car première chose l’idée... |
ne souffrait pas [...] tel point qu ’elle ne pouvait se rappeler | ne souffre pas [...] tel point que ne peut se rappeler | ne souffre pas [...] tel point que ne peut se rappeler |
ne pouvait pas | rien à faire | rien à faire |
s’ouvrir... se clore | s’ouvrant... se fermant... | s’ouvrant... se fermant... |
jamais xxxxx l’ordre | message jamais reçu |
|
Doux /dans silence du/de tombeau | doux silence de tombeau de mort | doux silence de tombeau – |
lorsque tout à coup elle sentit | quand soudain elle sent venir vers | quand soudain elle sent venir des √… des mots |
dut avouer | doit avouer | doit avouer |
de ce qu’elle disait | de ce qu ’elle raconte | |
elle n ’était point à elle | elle n’était point à elle | |
et non seulement les lèvres | et pas que les lèvres | |
que la sensation reprenait | que la sensation revient | |
rien que la bouche | que la bouche | |
ce flot sans arrêt | flot continu | |
n ’en saisit pas la moitié | n’y pigeant rien | n’y comprenant rien |
promenades surtout |
| |
depuis le berceau | depuis le |
Notes sur la genèse de That Time /Cette fois
314Ce monologue fut écrit en anglais car destiné à l’acteur irlandais Patrick Maggee. Si l’université de Reading possède 10 versions successives de That Time (MS 1466/1 – 10), s’étalant de juin 1974 à août 1975, on ne dénombre que trois versions de Cette fois (MS 1657/1-3). Le plus gros du travail de composition de la version anglaise eut lieu durant l’été 1974 (juin à août). Il existe aussi deux feuillets manuscrits reprenant les indications scéniques et notes de That Time (MS 1639). Le deuxième de ces feuillets précise les variations de l’éclairage qui datent de la mise en scène de Beckett (avril-mai 1976) et n’apparaissent que dans la version française. L’essentiel du texte français, qui incorpore ces modifications scénographiques, fut écrit après que That Time eut été joué, vraisemblablement courant 197622, voire en 1977.
315Les principales variantes du monologue proprement dit sont donc de nature stylistique (choix du niveau de langue, attention au rythme, etc.) et sont synthétisées dans le tableau diachronique présenté ci-dessous.
That Time
1) Scénographie
316L’ajout au texte de Cette fois de la précision visuelle « longs cheveux blancs dressés comme vus de haut étalés sur un oreiller » a son origine dans le manuscrit de That Time (MS 1477/1) :
Head on white pillow ? | Old man (sitting) in dark. [...] Very white, long white hair standing on end. |
317Puis, dans le cinquième dactylogramme on peut lire :
Old √white face, long flaring white hair as if seen from above spread on a pillow. √No pillow.
2) Mouvements des yeux
318Le manuscrit de That Time (MS 1477/1) témoigne de l’indécision de Beckett quant à l’attitude des yeux du personnage, élément visuel qui préoccupe longtemps le dramaturge qui le modifie de nouveau en dactylographiant la cinquième version de That Time (MS 1477/5).
3) Thème du temps
319MS 1477/1 :
Faint tick-tack through √-out only just audible in silence.
4) Sexualité
320Dans le premier dactylogramme intitulé « TS1 » (MS 1477/2), les deux amants décrits par Voix B ne sont pas séparés tout du long (même si l’isolement de chacun est effectivement explicité plus loin) :
that time walking hand in hand on the towpath
5) Foley’s Folly /Folie Fourier
321Beckett hésite entre Maguire’s Folly, Madden’s Folly avant de choisir Folley’s Folly (MS 1477/3, « TS2 ») ; en français il hésitera entre Follet, Folliot, Folletête mais s’arrêtera sur Fourier.
Cette fois
MS 1657/1
322Manuscrit original de Cette fois ; 10 feuillets 30 x 21 cm, sans date. Texte divisé en trois sections A, B et C. Variantes manuscrites.
MS 1657/2
323Dactylogramme de 9 feuillets 30 x 21 cm, sans date. Plusieurs séries de corrections (encre, crayon, stylo, machine).
MS 1657/3
324Dactylogramme de 8 feuillets 30 x 21 cm, proche du texte définitif même s’il comporte encore des variantes manuscrites (encre et crayon) dans le cours du texte et en marge. Pas de date.
Notes sur la genèse de Footfalls /Pas
325Outre le manuscrit original (MS 1552/1), l’université de Reading possède 5 dactylogrammes de Footfalls (MS 1552/2-6) ainsi qu’une série d’épreuves éditoriales (Faber & Faber) corrigées de la main de Beckett (1552/7). Le manuscrit fut écrit entre les mois de mars et octobre 1975 et porte le double titre « Footfalls /lt all ? ». Les autres documents ne sont pas datés. Si aucun manuscrit de Pas ne semble être répertorié, il y a tout lieu de croire que la rédaction de Pas fut mise en route après le travail de mise en scène de Beckett sur la version anglaise dont la première eut lieu le 20 mai 1976, à Londres, au Royal Court Theatre23 et avant la première publication par les Editions de Minuit en 197724. La création en France remonte au 11 avril 1978 (Théâtre d’Orsay).
Footfalls
1) Prénoms
326Mary est renommée May et Emily devient Amy, semble-t-il pour renforcer la ressemblance entre les deux personnages, interchangeables comme leurs prénoms anagrammatiques (MS 1552/4).
2) Allusions religieuses
327MS 1552/1
up and down, the corresponding transept [...] along the south xxxx transept
328MS 1552/2
up and down, the corresponding arm [...] the South transept
329MS 1552/4
3) Allusions sexuelles
330MS 1552/1
V : I had you late in life.
M : Could you not have waited ?
V :I lost control of myself√forgot myself for a moment. […]
When did this begin ? Shall we say. In girlhood xxx Well before puberty ?
[…]
Though on the plain side, √as you may see she has had admirers, male and female, but none outstanding,as far as√one knows. That √Indeed that she is still a maid is almost certain.
4) Thème de la mort
331MS 1552/1
She is in the old home, the same where she was fooled into this world by the old family physician, a general practitioner named Haddon, long gone to his account.
MS 1552/2
A general practitioner named Haddon,
dead soon after√to die. With not long toLive. Long past his best. (Pause) Not long to live.
B. Trois monologues et deux nouvelles pour tenir compagnie (1977-1980/1979-1982)
Notes sur la genèse de Company /Compagnie
332Les dossiers génétiques de cette longue nouvelle sont dispersés entre les archives de Reading, où l’on trouve les manuscrits holographes des versions jumelles – contenus dans le même cahier (MS 1822) – et la bibliothèque de Boston College où sont conservés les versions dactylographiées25. Voici la chronologie probable des avant-textes de Compagnie /Company :
Manuscrit holographe Company daté du 5 mai 1977 au 27 juillet 197926
Dactylogramme 1 de Company daté, en dernière page, du 27 juillet 1979
Manuscrit holographe de Compagnie daté du 3 au 27 août 1979
Dactylogramme 2 de Company non daté /Dactylogramme 1 de Compagnie daté de 1979 / Dactylogramme 2 de Compagnie daté de 1979 : ordre incertain
333Les avant-textes ont ainsi évolué de manière parallèle et croisée, même si le texte fut d’abord commencé en anglais, aussi les interférences entre les diverses versions bilingues sont-elles particulièrement nombreuses, et l’ensemble des variantes permet-il d’évaluer l’influence qu’a eue la version française dans la genèse de la version anglaise.
Les variantes
334Les variantes de Company /Compagnie sont considérables par leur nombre et leur ampleur : chaque paragraphe fait l’objet de réécritures tant en anglais qu’en français et de longs fragments sont supprimés (du manuscrit de Company surtout) au cours d’une genèse qui s’est étalée sur plusieurs années. S’il n’est guère possible de les analyser dans le détail, dans le cadre de cette étude diachronique, on a choisi de donner un bref aperçu de celles qui s’articulent autour de thèmes convergents du texte et de l’œuvre.
1) De la naissance et de la mort
335Véritable motif beckettien, la naissance donne lieu à des réécritures nombreuses (voir A Piece of Monologue, rejet de Company) : « You were born » > « You came into the world » > « Saw the light », peut-être pour imiter le français « Tu vis le jour » (§2).
336Comme souvent chez Beckett, il y a évitement du mot die quand on parle de sa mort comme celle d’un autre : « you will finally die √end as you are now » (§2), mais pas lorsque l’on parle de celle du Christ, où le mot die, cette fois, est préféré à crucified (§11). Enfin au paragraphe 51, ce sont les mots inert puis lost qui sont retenus à la place de dead. Au paragraphe 26, la mort est évoquée sous forme d’énigme omise par la suite : « that is like sleep but is not sleep ».
2) De l’imagination
337Dès le premier paragraphe, se pose le problème de l’injonction lancée au lecteur comme à l’entendeur, injonction qui définit le mode créatif développé dans toute la suite du texte : « Imagine /Imaginer ». L’anglais hésite successivement entre des verbes pas forcément synonymes, develop, belie, ou confute, alors que le français, après avoir envisagé un moment réfuter, opte pour le verbe imaginer (dès le manuscrit) qui modèle, en retour, imagine. Par la suite (§2), c’est le simple fait de raconter qui pose problème, « To one on his back a voice recounts >relates >submits >tells of his life /past »/ « A quelqu’un sur le dos dans le noir une voix soumet >évoque >égrène un /son passé ». Dans les avant-textes de Compagnie cette fois, c’est la mise au point de la traduction de « the conjuring of something out of nothing », périphrase pour dire l’activité d’imaginer, qui fait passer l’auto-traducteur de versions quasi littérales, « extorquer quelque chose de rien », « faire surgir du néant », à une version plus élaborée, « chosifier le /du néant », qui se développe finalement en « chosifier une parcelle du néant » (73). Au paragraphe 40 du manuscrit de Company (paragraphe aussi connu sous le nom de « Heard in the Dark 2 »), Beckett supprime plusieurs lignes de l’incipit par trop explicites :
Of 9
extinctsamples proposed √in vain so far 6 from first and 3 from second childhood. None from adulthood.xxxxxxxxxxxxxxx. From the intermission none. The bloom ofmanhood. Time to try him with a sample of that. Calling on all the resources of imagination. Some romande attachment. Such as might soften him. Ah me I remember27.
Notes sur la genèse de A Piece of Monologue /Solo
338L’écriture de ce monologue, issu d’un fragment de Company d’abord intitulé Gone, fut entreprise en anglais, à la demande de l’acteur David Warrilow, au cours de l’automne 1977 (Reading MS 2068, daté du 2 octobre et MS 2072, 28 octobre, deux manuscrits holographes). L’ayant mis de côté pendant plus d’un an, Beckett ne se remit au travail qu’en janvier 1979, et envoya ce fragment de pièce à Warrilow en avril de la même année. Les archives de Reading possèdent également deux versions dactylographiées : MS 2069 et 2070. Ce dernier texte est presque identique à la version publiée ; notons cependant que les indications scéniques, introduites au niveau du premier dactylogramme, font l’objet de variantes.
339Ces avant-textes, ainsi que ceux relatifs à Solo, l’« adaptation » française qu’en fit Beckett, selon ses propres termes, sont présentés par Charles Krance dans Company /Compagnie and A Piece of Monologue /Solo : A Bilingual Variorum Edition. Beckett aurait commencé une version française du monologue dès 1979, à partir du premier dactylogramme de Piece of Monologue /Gone (MS 2069). Mais il dut l’abandonner, paralysé par la difficulté de la tâche, et n’en reprit la rédaction qu’en 1982, le manuscrit étant enfin achevé début mars. Notons que le seul dactylogramme disponible de Solo, MS 2604, est une version très proche de A Piece of Monologue, une sorte de traduction littérale, donc relativement archaïque par rapport au développement ultérieur de la pièce française. Aussi peut-on légitimement penser que le dossier génétique de Solo est incomplet.
Principales variantes
1) Scénographie
340Beckett hésite dans les deux séries d’avant-textes sur le chronométrage précis des effets scéniques à l’ouverture et la clôture de la pièce : durée du silence avant le début du monologue et après sa fin ; minutage de la baisse de l’éclairage à la fin des paroles du récitant. Après avoir opté pour une précision drastique dans sa version anglaise, qu’il envisage un temps pour Solo, Beckett choisit finalement des consignes plus floues en français (« un temps long », « peu avant »), ce qui rappelle une variante de MS 2069 où l’on pouvait lire « some minutes » au lieu des trente secondes choisies plus tard.
2) Réécritures lexicales
341L’auteur éprouve une certaine difficulté à décrire ce qui a trait à la mort. Il essaie tour à tour « sickly smiling /grinning /rattling », pour s’arrêter enfin sur « ghastly grinning ever since » ; puis, à la fin du monologue, il hésite entre « That indelible /blemish /nevoid smile » ou encore « That death nevoid smile /grin » avant de choisir « That nevoid smile ». Il pense aussi à « obsequies » ou « exequies », termes rares et soutenus au lieu de « funeral ». La fosse mortuaire (« Black ditch beneath »/ « Fosse noire en bas ») fut un temps « Black trench /ditch in the middle » en anglais, et « faille /fosse /trou » en français. Enfin, dans Solo, c’est la blancheur morbide de la main qui fait problème (« a faint hand »/ « main fantôme ») ; elle est tantôt « blafarde » ou « fantôme », tantôt « momifiée » ou « spectrale ».
342Le moment de la naissance – « Born dead of night »/ « Né au plus noir de la nuit » – est d’abord imaginé comme une expulsion difficile, par le siège, et fait également l’objet de plusieurs variantes : « Tumbled out dead of night », « Dead of night brought forth. Feet foremost », « Dead vast of night dragged forth. Footsies /Feet foremost », « Né au creux /fond de la nuit ».
3) Le sujet beckettien
343La réécriture la plus cruciale concerne la changement de pronom, le « je » étant progressivement abandonné au profit de la troisième personne (voir l’introduction de Bilingual Variorum Edition, xvii), comme dans cet extrait révélateur tiré du premier manuscrit, celui intitulé « Gone » : « xxx who am I to speak of me ? Of me then ? Of then. Of me from then on. Of then on. Of me now. Of now. Who ? One who could have and could not ». (MS 2068, feuillet 1) ; « But who is he to speak of him ? Of him then. Of him from that night out/forth. Of him now. Of now. Who ? One could/might have and could not ». (MS 2068, fragment du début du monologue, au verso du feuillet 1). Le moi fait un retour timide dans le passage concernant les photos, mais sera rapidement supprimé : « There me. Me. [...] There I alone. » Dans le dactylogramme de Solo, une note manuscrite marginale, « je me souviens des heures en allées », rappelle que le « je » n’est pas loin.
344Enfin, la dichotomie Moi /corps est explicitée dans les avant-textes de A Piece of Monologue, même si elle est effacée dans la version publiée : « Dwells in that position none the less or in any case as if the body unable to move again or as if the will to move again were wanting ». (MS 2068) De même les mouvements du corps font l’objet de plusieurs variantes successives : « Goes /Moves /Totters / Gropes ».
Notes sur la genèse de Mal vu mal dit /Ill Seen Ill Said
345Rétablir la chronologie de la gestation de cette longue nouvelle bilingue pourrait sembler a priori assez aisé, les manuscrits étant pour la plupart datés. Ainsi, la version française, première, aurait été écrite et envoyée à l’imprimeur avant que Beckett ait commencé de rédiger la version anglaise.
Mal vu mal dit
Manuscrit 1 (Reading MS 2205) : 24 octobre 1979 – 27 septembre 1980
Dactylogramme 1 (Reading MS 2206)
Manuscrit 2 (Reading MS 2203) : synopsis de 53 paragraphes + brouillons d’une vingtaine de paragraphes ; daté, en dernière page, du 28 juin 1980
Manuscrit 3 (Reading MS 2903) de 59 paragraphes
Dactylogrammes 2 et 3 (Reading MS 2207/1-2)
Epréuves (Minuit) : 11 décembre 1980 – 21 janvier 1981
Ill Seen Illl Said
Manuscrit (Reading MS 2200) : 10 décembre 1980 – 10 janvier 1980
Dactylogramme 1 (Reading MS 2201)
Dactylogramme 2 (Reading MS 2202/1)28
346Pourtant, certains exemples d’interférences entre les avant-textes bilingues, interférences analysées par Charles Krance dans son édition génétique, Samuel Beckett s Mal vu mal dit /Ill Seen Ill Said : A Bilingual, Evolutionary, and Synoptic Variorum Edition (New York : Garland, 1996), 163, sembleraient indiquer que des fragments de l’auto-traduction sont plus anciens. Qui plus est, il faut aussi tenir compte des rejets des brouillons de Mal vu mal dit traduits séparément et plus précocement, comme One Evening écrit seulement une dizaine de jours après sa version en français (24 octobre /4 novembre 1980), premier paragraphe du texte omis par la suite. Il n’est donc pas impossible qu’il existe un manuscrit de Ill Seen Ill Said non répertorié à ce jour, ayant été écrit en parallèle avec la première version de Mal vu mal dit.
Variantes
347Les variantes, extrêmement abondantes (bien que moins nombreuses, comme souvent, dans la deuxième version, auto-traduite), sont à l’image des dossiers génétiques bilingues, eux-mêmes fort touffus et très complexes. En voici un aperçu très sélectif donc inévitablement réducteur.
1) Passé ou présent ?
348Au tout début, les verbes de Mal vu mal dit sont à l’imparfait : « L’unique pièce du logis donnait sur l’est ». (§1, MS 2205), comme dans un récit classique, dont la nature est authentifiée par cette réflexion méta-narrative aussitôt biffée : « Il est vrai que les faits sont anciens » (§ 3, MS 2205). Mais très vite, le narrateur se met à parler au présent de l’indicatif : « L’unique pièce >chambrette fait face à l’est. » (MS 2206), rendant du même coup l’acte narratif plus ambigu, avant que ne surgisse l’explication (MS 2205) :
Tout cela au
tempsprésent comme si ellevivait encore⇃avait encore le malheur d’être encore en vie.
2) Concision
349Le travail stylistique est très souvent motivé par la recherche de l’ellipse et de l’euphonie, comme c’est le cas de cette courte phrase nominale « Spectacle saisissant sous la lune » (§3, page 11) dont l’écriture est passée par quatre stades intermédiaires :
Effet saisissant au milieu de l’herbe surtout la nuit par temps clair d’où moins blanchâtre.
Effet >spectacle fascinant au milieu de l’herbe >du vert surtout la nuit par temps clair.
Spectacle saisissant surtout la nuit par temps clair.
Spectacle saisissant la nuit par temps clair.
350L’évolution étant sans cesse dans le sens de la concision, on obtient au final un texte certes toujours plus implicite, mais qui laisse aussi moins de place aux métaphores et comparaisons, dans une écriture qui dit s’en méfier, comme le suggère ce commentaire méta-narratif supprimé par Beckett : « D’abord comme la perle du poète sur fond de front blanc > d’albâtre. Comme cette image est fausse > peu heureuse ici » (§ 1, MS 2205). Si certaines subsistent néanmoins qui ont une portée symbolique, tel que le tire-bouton rapproché du poisson de la chrétienté, d’autres sont mises en cours d’écriture, comme la voilette « arachnéenne » de la vieille (§9).
3) Lexique
351Outre les tâtonnements de l’écrivain pour désigner, ponctuellement, un objet, un mouvement, etc. (notamment l’habitation de la vieille, tour à tour « logis » (§1), « maisonnette » (§2), « chaumière » (§3), « cabanon » (§3) dans les avant-textes de Mal vu..., ou « cabin » (§2), « house » (§6), « dwelling » et « shack » (§55), dans Ill Said...), les réécritures lexicales jouent sur les archaïsmes, néologismes et autres termes rares et peu usités, même si ces derniers, ne sont pas toujours, au bout du compte, retenus dans la version finale. C’est ainsi que, à titre d’exemple, Beckett choisit de créer les substantifs misperchance et permischance avant de se rabattre sur mishap, premier terme envisagé pour traduire par malheur (§60).
4) Titre
352Bien que situé au seuil du texte, premier élément paratextuel que le lecteur rencontre après le nom même de l’auteur, il ne fut trouvé qu’après-coup, au terme d’une longue maturation. Après avoir tour à tour essayé Mal vu et dit, Brume, Raisons obscures, C’est le soir, Ombres (MS 2203), puis l’avoir désignée sous les noms Soir et nuit (MS 2903), Soit soir soit nuit (MS 2207/1) /The Evening or the Night (MS 2200), Beckett intitula enfin sa nouvelle Traces, Encore en vie, Le mal dire et Moindre (MS 2207/2), mais c’est le titre de Traces que porte, à l’origine, le jeu d’épreuves de Mal vu mal dit, avant d’être rectifié une dernière fois.
Notes sur la genèse de Rockaby /Berceuse
353Beckett écrivit ce monologue en anglais à la demande de Daniel Labeille entre mi-mars et fin juillet 1980, à l’occasion d’un festival donné pour célébrer son soixante quinzième anniversaire, à l’université de Buffalo (New York) en avril 1981. Aux archives de Reading, il est possible de consulter le manuscrit original de Rockaby, aux ratures nombreuses, et un dactylogramme très proche de la version publiée, ne comportant quasiment aucune variante manuscrite (respectivement MS 2196 et MS 2197), ainsi que le manuscrit original de Berceuse et un dactylogramme de cette même pièce (respectivement MS 2261/1 et 2261/2). La version française, écrite début 1982, semble avoir été composée rapidement, avec une fluidité et une facilité inhabituelles.
Rockaby
MS 2196
354Manuscrit de 5 feuillets ne portant pas de titre. 30 x 21 cm. Variantes manuscrites. Le dernier feuillet comporte les indications de mise en scène.
MS 2197
355Dactylogramme de 6 feuillets, sans date. 30 x 21 cm. Texte présenté en colonne comme dans la version publiée.
Berceuse
356MS 2261/1
357Manuscrit original de la traduction de Rockaby, portant le titre de Berceuse ; 5 feuillets numérotés de 1 à 5, comportant relativement peu de ratures, notamment aucune en page 2.
358Le thème de la fin fait pourtant l’objet de quelques réécritures intéressantes. Sur les feuillets 1 et 4, Beckett hésite entre les verbes cesser, en finir, mais opte pour finir, verbe plus ambigu et polysémique.
MS 2261/2
359Dactylogramme original de Berceuse ; 6 feuillets : le dernier feuillet présente les indications scéniques. Quelques corrections manuscrites, notamment en page 4, marquent le passage d’une traduction « littérale » à une transposition poétique :
Notes sur la genèse de Ohio Impromptu /Impromptu d’Ohio
360Fin 1980, Beckett réussit à écrire, après plusieurs tentatives avortées, Ohio Impromptu, en anglais, à l’initiative de S.E. Gontarski, professeur à l’université de Columbus, Ohio, lequel était chargé de l’organisation d’un symposium international prévu en mai 1981, pour célébrer le soixante-quinzième anniversaire de Samuel Beckett. Ce dernier ne se mit à la version française qu’en janvier 1982, comme en atteste la date portée sur le manuscrit original d’Impromptu d’Ohio (MS 2260/1). A Reading, il est possible de consulter les quatre versions successives de Ohio Impromptu (MS 2259/1-4) et deux avant-textes d’Impromptu d’Ohio (MS 2260/1-2).
Ohio Impromptu
MS 2259/1
361Manuscrit original de Ohio Impromptu ; 3 feuillets numérotés, à l’exclusion du premier écrit sur le recto et le verso.
362La première page est entièrement barrée d’une croix, trace d’un faux départ. Ce dramaticule avorté met en scène un fantôme à qui l’on accorde « une permission » de vingt-quatre heures pour venir parler à une conférence dans l’Ohio. L’idée de l’impromptu existe donc déjà en germe.
363Pour certains paragraphes du texte de Ohio Impromptu proprement dit, l’écriture est fluide, sans rature ni correction, alors que pour d’autres, plusieurs lignes sont barrées et l’on trouve des variantes en marge et en interligne. Deux paragraphes entiers sont même supprimés d’un trait.
1) Des suppressions
364Elles dénotent un travail vers plus de concision, comme dans ces exemples tirés du premier feuillet où les détails réalistes ou autobiographiques sont omis :
From its single window he could just see the downstream extremity of the Island of Swans
where as a young man he had sauntered dreaming√wandereddreaming of things to come
[…]The narrow bed, Small table, Two? chairs, No books. No pictures,
2) Rythme
365Beckett trouve parfois le souffle du texte dès le premier jet (feuillet 1) :
To go out to where nothing ever shared. To come back to where nothing ever shared.
366Mais il lui faut aussi réécrire pour trouver le mot « juste » – il hésite, dans l’extrait ci-dessous, entre emptiness, strangeness et unfamiliarity :
367Il semble que Beckett ait tâtonné à la recherche du schéma allitératif et du découpage syntaxique qui produisent le souffle désirable : travail poétique avant tout, dont on retrouve l’effort incessant comme dans ces deux exemples où l’ordre habituel des compléments en anglais est remanié, afin de créer une langue soutenue et déréalisée.
Those days were rare
Rare where the days when he was not to be seen pacing the island. [...]
Howits two arme parted by the slit of landin joyous-
in xxxxxxxxeddies its two arms
conflowed and flowed united on.
MS 2259/2
368Dactylogramme de Ohio Impromptu, intitulé « TS1 » ; 2 feuillets.
369Comme dans le manuscrit, les variantes s’articulent autour de deux exigences majeures : la concision et le rythme. Beckett s’attache à supprimer certains détails référentiels trop précis : le personnage, nommé d’abord « Aloysius », puis « Mortimer » dans le manuscrit, perd son prénom (feuillet 1) :
370Le dramaturge cherche aussi à créer des échos internes par le répétition de mots.
MS 2259/3
371Dactylogramme de 3 feuillets numérotés, intitulé « TS2 ». Quelques rares variantes.
372Les modifications concernent tout d’abord les indications scéniques : de gris, les cheveux deviennent blancs. Assortis au mobilier et contrastant avec les habits noirs, ils participent ainsi à l’effet visuel de clair-obscur recherché par le dramaturge, qui ajoute aussi au décor Spartiate un large chapeau noir posé au centre de la table. Sinon, les menues variantes qui existent modifient ponctuellement un mot, afin de privilégier un effet mélodique qu’il soit de nature allitératif, assonantique ou prosodique (feuillet 1) :
373Il faut également souligner le travail de réécriture effectué sur un passage ajouté au manuscrit après coup, et que Beckett ne reprend qu’à ce stade :
MS 2259/1, feuillet 3, « A »
Through the single window dawn gave no light.
From the streets no Sound of toil renewed.
MS 2259/3, feuillet 3
Through the single window dawn shed no light. | |
reawakening | From the Street no Sound of renewing toil. |
374La connotation religieuse du mot finalement retenu, reawakening, sera encore renforcée en français par le choix de résurrection, terme préféré au néologisme revie.
Impromptu d’Ohio
MS 2260/1
375Manuscrit original de Impromptu d’Ohio daté et signé en dernière page « Samuel Beckett Jan. 1982 » ; 3 feuillets.
376La traduction, assez fluide, avec peu ou pas de suppressions ou remplacements, semble avoir posé peu de problèmes à Beckett. Le choix des mots est, comme souvent, dicté par leur sonorité et les effets allitératifs qu’ils permettent. C’est ainsi que étrangeté est retenu pour traduire unfamiliarity car ce mot fait écho à partagé et jamais ce qui crée des rimes intérieures :
Pour moins souffrir il avait compté sur l’étrangeté. Pièce étrange. Scène étrange. Sortir là où jamais rien partagé. Rentrer là où jamais rien partagé.
MS 2260/2
377Dactylogramme de Impromptu d’Ohio de 3 feuillets. Variantes relativement plus fréquentes que dans le manuscrit.
378Comme en anglais, le travail stylistique prime, que ce soit par
la création d’échos internes signifiants : Beckett remplace « au bout » par « à la fin » et modifie « devinrent comme un seul » en « finirent par devenir un seul », une utilisation du mot et du radical fin qui n’est pas innocente dans une pièce évoquant la mort.
le travail de concision (feuillet 3) : il ne disparut point mais resta sans
direun mot.la défamiliarisation de la langue quand il préfère la phrase « on me dépêche aux fins de te consoler » à « on m’envoie pour vous consoler » (feuillet 2).
379Il convient aussi de souligner le problème de traduction que pose l’expression read the long night away. L’écrivain hésite longuement entre « à mort la longue nuit », « tuer la longue nuit », « jusqu’à morte la longue nuit », « jusqu’à plus vie », « à l’issue de la longue nuit », « la fin de la longue nuit », mais finit par s’arrêter sur « endormir la longue nuit », expression qui rappelle l’aspect berçant et apaisant, toujours lyrique et parfois fantasmatique, de la pièce.
Notes de bas de page
1 Genèse des fins, 138.
2 R. Barthes, in Littérature et réalité (Paris : Seuil, 1982) 89.
3 R.L. Admussen, The Samuel Beckett Manuscripts : a Study (Boston : G.K. Hall, 1979) 81.
4 Ce manuscrit porte le titre de The Sédative, biffé puis remplacé par The Calmative.
5 Sur les variantes de Texte pour rien XIII et une analyse en détail des révisions stylistiques d’ordre rythmique effectuées par Beckett, voir l’article de Magessa O’Reilly, « ’Textepour rien XIII’ de Samuel Beckett : Edition critique et étude des variantes », Revue d’histoire littéraire de la France n° 90, jan.-fév. 1990, 227-237.
6 Sur la genèse de Krapp’s Last Tape, voir R. Poutney, 136-140 et D. McMillan & M. Fehsenfled, Beckett in the Theatre (London : Calder, 1988) 242-254. Les articles mentionnés sont numérotés de 226 à 229, dans le catalogue de la collection Beckett de l’université d’Austin.
7 Lettre à Pascale Sardin, 20 mai 1998.
8 Les Lettres Nouvelles, 7e année, Nouvelle Série, n° 1 (article n° 235, collection d’Austin).
9 The Samuel Beckett Manuscripts, 30.
10 Pour des raisons pratiques, c’est le texte définitif de Play qui a été pris pour référence dans le tableau, et non celui de MS 1528/7, d’ailleurs très proches, à l’exception du prénom du maftre d’hôtel, Arsene, modifié ultérieurement.
11 Voir R. Poutney, 76, qui précise que des fac-similés de ces versions furent publiés par Manus Press dans une édition limitée de Kommen und Gehen en 1968.
12 Voir l’article très précis de Breon Mitchel, « Art in Microcosm : The Manuscript Stages of Beckett’s Come and Go », Modem Drama, Vol. 19, n° 3, Sept. 1976, 245-260.
13 Les originaux se trouvant a Saint Louis, Missouri, seules les photocopies sont disponibles a Reading, ce qui ne permet pas de voir distinctement tous les changements d’encre, et donc tous les stades successifs de correction.
14 La présence d’un lapsus calami en français dans « TS0 » et certaines ressemblances entre MS 1537/1 et 1538/1 semblent indiquer qu’une première version française fut écrite en parallèle avec « TSO ».
15 Ces remarques succinctes s’appuient sur l’analyse des 28 premières lignes de MS 1540/1, soit les pages 51 et 52 du texte publié chez Minuit.
16 Quelques brefs extraits tirés du Dépeupleur parurent avant l’édition complète chez Minuit : « Dans le cylindre », Livres de France, Revue Littéraire mensuelle n° 1, XVIIIe année, janvier 1967 ; L’Issue (Paris : Editions Georges Visât, 1968) ; Séjour (Paris : G.R., 1970).
17 Les dactylogrammes présentés ont été retranscrits en intégralité en annexe de Samuel Beckett : His Works and His Critics, de R. Federman et J. Fletcher, et seront désormais désignés sous l’appellation D « 1 », D « 2 », etc.
18 Ce cadre représente la page de gauche.
19 Un témoignage de Beckett corrobore cette datation pourtant mise en doute par certains critiques qui estiment que les Foirades remontent aux années cinquante. Voir J. Knowlson, Frescoes of the Skull, 132.
20 Voir catalogue d’Austin, 162, article n° 401.
21 On lira dans ce qui suit TS « II » à TS « VI » pour, respectivement, MS 1227/7/12/3-7 et M1 pour MS 1396/4/25, M2 pour 1396/4/26, enfin D = 1396/4/27.
22 Beckett participa à la première mise en scène de That Time à Londres, qui se déroula en avril-mai 1976. La première eut lieu le 20 mai, lors des manifestations organisées en Grande Bretagne à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de Beckett, et ce n’est qu’à son retour de Londres que ce dernier essaya d’écrire Cette fois, mais sans succès.
23 Pour une analyse en détail des cahiers de Beckett-metteur en scène de Footfalls, se reporter à Audrey McMullan, « La forme en mouvement, les notes de mise en scène de Beckett pour deux mises en scène de Pas », in Revue d’esthétique, 337-341.
24 Article n° 383 du catalogue de la collection Beckett de l’université d’Austin, Texas : « Pas. [Paris] Les Editions de Minuit (1977). [...] First edition of Beckett’s translation into French of Footfalls ».
25 Deux pages dactylographiées, correspondant à la fin du premier dactylogramme de Company, se trouvent aussi à l’université d’Austin.
26 Beckett y travailla de manière discontinue pendant ces 2 années, essentiellement pendant le printemps 78 et l’été 79.
27 C. Krance, Company /Compagnie..., 89.
28 Il existe aussi des fragments dactylographiés à l’université d’Austin, Texas (article n° 420 du catalogue), ainsi qu’une troisième version dactylographiée, photocopie de MS 2202/1, présentant quelques rares variantes manuscrites.
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Pour une interdisciplinarité réciproque
Recherches actuelles en traductologie
Marie-Alice Belle et Alvaro Echeverri (dir.)
2017
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 1
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2011
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 2
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2012
La traduction dans les cultures plurilingues
Francis Mus, Karen Vandemeulebroucke, Lieven D’Hulst et al. (dir.)
2011
La tierce main
Le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIe siècle
Kristiina Taivalkoski-Shilov
2006
Sociologie de la traduction
La science-fiction américaine dans l’espace culturel français des années 1950
Jean-Marc Gouanvic
1999