Chapitre II : Beckett face à la traduction de soi : entropie ou enrichissement ? compulsion ou répulsion ?
p. 53-85
Texte intégral
I. Un argument technique
1La biographie de Beckett témoigne de la persévérance avec laquelle il accomplissait sa tâche d’auto-traducteur, la compulsion quasi maladive avec laquelle il s’est obstiné à se traduire. Il ne se dérobait quasiment jamais à sa tâche, bien au contraire, et n’hésitait pas à reprendre, après plusieurs années d’intervalle, un texte qu’il n’avait réussi à auto-traduire par le passé1.
La valeur instrumentale du double
2La situation paradoxale de l’auto-traducteur face à son texte à traduire ne ressemble-t-elle pas à s’y méprendre à celle de l’artiste tenté de remettre une nouvelle fois son ouvrage sur le métier, anxieux d’y déceler quelque défaut et de pouvoir y remédier dans le même temps, mais tourmenté aussi, on l’a vu, à la perspective de se « trahir » ?
3La duplication, comme procédé permettant au poète de recentrer son œuvre, d’en rendre la réception plus efficace dans l’autre langue, s’applique bien au genre théâtral, l’auto-traduction devenant un moyen d’améliorer le texte d’origine, d’en éliminer les imperfections, ou d’aller plus avant dans une direction seulement ébauchée auparavant. C’est ainsi que, d’un point de vue scénographique, plusieurs pièces portent le fruit des mises en scène auxquelles Beckett a participé. Ce dernier traduisit en effet son texte à la lumière de son expérience de la scène. A d’autres moments, il a pu arriver, que, pressé par ses éditeurs, Beckett ait accepté de publier un texte dont il a manifestement continué l’écriture par la suite, dans les deux langues cette fois, si bien que le texte en langue deux présente une progression par rapport au texte premier que l’auteur ne jugera pas pour autant nécessaire de retoucher, comme cela se produisit au cours de la genèse imbriquée de Come and Go /Va-et-vient.
4La valeur instrumentale du double se manifeste encore davantage quand un grand laps de temps sépare les deux versions, le traducteur faisant alors montre d’une autocensure draconienne, que l’on constate sans mal dans First Love, où de longs passages sont coupés dans le processus de relecture, comme « expurgés ». Rien d’étonnant à cela, quand on sait que Beckett, au moment du prix Nobel, au début des années 70, n’était guère enthousiaste à l’idée de retravailler et surtout de faire paraftre une nouvelle vieille de plus de vingt ans et dont il n’était plus du tout satisfait. Ainsi de nombreux détails du texte passent-ils à la trappe, qui permettaient de situer le narrateur, de lui donner, encore, un semblant d’épaisseur réaliste ou psychologique : « Moi aussi, n’étant pas français non plus... » (16) – tout d’abord traduit, puis omis à la relecture – ; « J’ai beaucoup aimé, enfin assez, pendant assez longtemps, les mots vases de nuit, ils me faisaient penser à Racine... »– coupé dès le premier jet de First Love. Mais cette main censoriale n’est guère différente de celle qui, de la première à la deuxième version imprimée de L’Expulsé, supprima d’un geste drastique quelque deux cents lignes, peu indulgente envers la prose de l’écrivain bavard et prolixe que Beckett était encore à l’époque de ses premiers écrits en français, le texte auto-traduit ou simplement révisé faisant les frais du simple passage du temps.
5Il est également très fréquent que cette opération de recentrement esthétique concerne, non pas de longs extraits, mais bien au contraire le détail du texte : l’énonciation et non l’énoncé sont alors au centre des préoccupations de l’auto-traducteur. Dans Play, on trouve un exemple remarquable de ce que Genette appelle, dans Palimpsestes, une figure « d’auto-transtylisation2 » : la phrase « Kissing their sour kisses » (155) devient « Se baisant jaune de leurs jaunes baisers » (27), chiasme coloré qui apporte un petit « plus » rythmique et ludique – avec le jeu croisé des expressions rire jaune et rouge baiser –, et intertextuel, avec l’allusion aux Amours Jaunes (1873) du poète Tristan Corbière. Quant au mystérieux personnage de May dans Footfalls /Pas, son aspect fantomatique (« cheveux gris en désordre, peignoir dépenaillé, cachant les pieds, trafnant sur le sol », 7) est encore renforcé dans la version française par la traduction du verbe récurrent to walk par rôder (11, 13 et 14), ce qui contribue à l’eurythmie phonique de « l’épilogue » où abondent les alvéolaires /l/ et /r/ (13) :
Un peu plus tard, lorsque c’était comme si elle n’avait jamais été, ça jamais été, elle se mit à rôder. (Un temps.) La nuit venue. (Un temps.) Se glissait dehors, la nuit venue, et dans la petite église, par la porte nord, toujours verrouillée à cette heure, et rôdait, allant et venant, allant et venant, le long du pauvre bras sauveur.
6On peut véritablement parler ici de poétisation et d’enrichissement esthétique, ou comme George Steiner dans Après Babel, de « renforcement » : « Le modèle herméneutique (quand un auteur traduit son œuvre en langue étrangère) est […] celui du don mais aussi de l’élan narcissique, du test d’authenticité. » En effet l’écrivain « offre son œuvre à une autre langue tout en recherchant dans sa production le nerf de son inspiration ou, qui sait, un renforcement, une meilleure définition de celui-ci à travers le processus de reprise »3.
7Etablir la parenté sous-jacente du texte à auto-traduire avec le brouillon unilingue, ou « l’avant-texte » traditionnel, semble ici nécessaire mais non suffisante. La réécriture, qu’elle soit bilingue ou unilingue, fonctionne bien comme une « reprise d’écriture » qui porte sur l’équilibre du texte, la justesse de l’expression, le ton, le rythme. Il s’agit en effet de l’accomplissement d’une forme d’écriture, à ceci près que l’auto-traduction ajoute une distance supplémentaire et non négligeable, celle de l’autre langue qui force à regarder son texte avec l’œil de l’étranger.
8L’auto-traduction, dans sa valeur instrumentale, joue en fait un peu le rôle du miroir plat dont l’utilisation était recommandée aux peintres de la Renaissance pour qu’ils apprécient mieux leurs propres œuvres, une technique dont Agnès Minazzoli se fait l’écho quand elle cite Léonard de Vinci4 : « Je dis qu’en peignant tu dois tenir un miroir plat et souvent y regarder ton œuvre ; tu la verras alors inversée et elle te semblera de la main d’un autre maftre ; ainsi tu pourras mieux juger ses fautes que de toute autre façon. » Le miroir se fait alors « instrument de vérification », dans la mesure où il permet d’instaurer « une distance critique grâce à laquelle le peintre voit son œuvre aussi objectivement que possible ». De même, l’auto-traduction instaure-telle une distance critique, distance provoquée d’abord par le hiatus temporel entre les deux entrées en écriture, mais surtout par la différence inhérente aux langues. Le reflet, ou si l’on préfère l’écho, du texte d’origine que renvoie à l’écrivain le texte en cours de traduction, rend possible le « moment d’objectivation » grâce auquel le double « marque le surgissement d’un point de vue, l’origine d’un jugement5 ». De cette « seconde naissance l’œuvre sort métamorphosée, non dans ses détails, mais dans son apparence générale, dans sa manière d’apparaftre au peintre6 », nous dit encore la critique.
9Il n’est pas impossible de rapprocher cet effet de distanciation de celui que Beckett devait ressentir en tant que metteur en scène de ses propres pièces et que rapporte James Knowlson : « Au cours d’une répétition de Glückliche Tage (Oh les beaux jours), à Berlin, Beckett déclara que lorsqu’il venait au théâtre pour mettre lui-même en scène son œuvre, il étudiait le texte comme si celui-ci avait été écrit par quelqu’un d’autre7 ». De fait, les cahiers de mise en scène de Das Letze Band (La Dernière bande) nous montrent un Beckett qui retourne aux sources de son inspiration, redécouvrant l’origine manichéenne de l’imagerie en noir et blanc de son texte, analysant l’éthique ascétique de Krapp, visualisant à nouveau ses jeux proxémiques.
L’humour et l’ironie
10L’humour et l’ironie, procédés rhétoriques participant de l’esprit comique beckettien mais que la critique passe souvent sous silence, reposent justement sur une technique de distanciation. L’ironie, on le sait, se nourrit de distance et du même coup, alimente la satire qui prêche le faux pour dire le vrai, décrit l’ignoble pour saisir le beau. Le narrateur de L’Expulsé, dans sa haine grotesque des enfants croisés sur le trottoir d’une ville irlandaise, « ces sales petits êtres » (22), est en cela le digne héritier de son ancêtre swiftien lequel proposait, dans A Modest Proposal (1729), d’éradiquer la famine et la mendicité endémiques de Dublin en faisant le commerce cannibale de ses nourrissons.
11Mais l’humour aussi « se nourrit de distance », nous rappelle justement Vassilis Alexakis, écrivain bilingue d’origine grecque8. En effet, en jouant sur l’outrancier et le raccourci pour appuyer ce qui est absurde et insensé, l’humour met en évidence l’abfme qui se creuse entre la raison et la déraison, entre le normal et le pathologique. Grâce à la double distance temporelle et linguistique qu’elle implique, la deuxième naissance du texte est donc, en toute logique, l’occasion pour l’auto-traducteur d’ajouter des touches humoristiques, d’intensifier l’ironie d’ordinaire déjà latente dans le texte de départ.
12Premier amour /First Love est riche en exemples de ce type particulier « d’auto-transtylisation ». Dans Premier amour on retrouve certes des traces de l’ironie voltairienne dans le regard trompeusement innocent que pose le personnage sur les événements de son existence, un peu à la manière d’un Candide moderne. Mais le ton familier employé et la technique narrative mise en œuvre – le récit à la première personne – évoquent davantage le Céline du Voyage que le conte philosophique de Voltaire. Avec First Love en revanche, Beckett s’écarte de ces modèles littéraires pour se rapprocher de la virtuosité verbale propre à l’humour irlandais dont la tradition comique a été soulignée par Vivian Mercier dans The Irish Comic Tradition9 et qui compte Swift et Joyce parmi ses représentants les plus remarquables. Quelques courts passages permettront de mieux saisir la subtilité avec laquelle Beckett raffine un humour qui frappe autant par son grotesque que sa préciosité.
13Dans un premier extrait, l’humour verbal, teinté de burlesque, est renforcé par la rhétorique pompeuse et la structure en chiasme qui font ressortir la chute grotesque de la phrase, « they stink ». Notons que le perfectionnement de la symétrie de l’expression, déjà présente dans Premier amour mais visiblement réorganisée, est à la source de l’effet comique recherché (9/10).
Ils ont beau se laver, les vivants, beau se parfumer, ils puent. | The living wash in vain, in vain perfume themselves, they stink. |
14Dans l’exemple suivant, le ton grandoliquent de l’anglais (« when the times come ») pour évoquer un sujet bas (« to piss again »), lequel n’est pas étranger à l’humour fataliste de Beckett, rend l’expression visiblement plus éclatante dans First Love (9/10) :
Mon sandwich, ma banane, je les mange avec plus d’appétit assis sur une tombe, et si l’envie de pisser me prend, et elle me prend souvent, j’ai le choix. | My sandwich, my banana, taste sweeter when I’m sitting on a tomb, and when the times come to piss again, as it often does, I have my pick. |
15Enfin, l’ironie satirique s’impose d’elle-même quand Beckett affuble les officiers de l’état civil irlandais de l’étiquette burlesque de « those gentlemen », ironie qui se surajoute au jeu de mots qui fait se court-circuiter les expressions « reared above » et « takes up the matter » (10/10) :
Il y a malheureusement peu de chances qu’elle s’élève au-dessus du crâne qui la conçut, à moins que l’Etat ne s’en charge. Mais pour pouvoir m’exhumer il faudra d’abord me trouver, et j’ai bien peur que l’Etat n’ait autant de mal à me trouver mort que vivant. | There is little chance unfortunately of its ever being reared above the skull that conceived it, unless the State takes up the matter. But to be unearthed I must first be found, and I greatly fear those gentlemen will have as much trouble finding me dead as alive. |
16De la même façon, la critique de l’Irlande devient encore plus acerbe avec le recul du temps (27/18).
Tout invite au prosternement. | Lie down, all seems to say, lie down and stay down. |
17L’humour et l’ironie, ainsi « nourris » par la distance des années et du changement de langue, se présentent comme les modes privilégiés de l’enrichissement poétique lié à la valeur instrumentale de l’auto-traduction. Ils « enrichissent » le texte auto-traduit, toujours tendu vers de « nouveaux hauts et de nouveaux bas », comme le suggère le narrateur de Foirade I (36).
18Quoi qu’il en soit son histoire va ainsi se constituant, et même se modifiant, dans la mesure où de nouveaux hauts et de nouveaux bas viennent pousser dans l’ombre et vers l’oubli ceux temporairement à l’honneur et où d’autres éléments et motifs, tels ces os dont il sera bientôt traité, et à fond, à cause de leur importance, viennent l’enrichir.
19Mais ces considérations stylistiques et techniques, malgré leur caractère décisif, ne paraissent guère à même de justifier semblable obsession à se traduire, une obsession d’autant plus troublante qu’elle était contredite par une profonde aversion pour cette même tâche. N’y aurait-il pas alors une motivation plus intense, de nature esthétique et psychologique cette fois, à la source de cette tension ?
II. Un fondement esthétique
La traduction est une fugue, c’est-à-dire si bellement, renoncement. Ce qu’il faut peut-être le plus deviner dans l’acte de traduire, c’est la beauté de ce renoncement10.
Edouard Glissant
« De grands sacrifices »
20Les lettres de Samuel Beckett témoignent d’un sincère dégoût à l’idée de réécrire ses textes dans l’autre langue et d’une profonde lassitude dans le moment de le faire. Le 30 janvier 1957, ne confiait-il pas une fois de plus à son ami Thomas MacGreevy, la lassitude que représentait pour lui la mission qu’il s’était assignée de systématiquement revoir les versions allemandes et italiennes de ses textes, mais aussi l’angoisse liée au spectre de la traduction de Fin de Partie qui l’attendait :
How sick and tired I am of translation and what a losing battle it is always. Wish I had the courage to wash my hands of it all, I mean leave it to others and try and get on with some work11.
21Une tension essentielle se dessine ici qui rend la traduction de soi d’autant plus paradoxale et étonnante. Incapable de s’en défaire, Beckett la remet pourtant toujours au lendemain, à l’image de ses propres personnages passés maftres en l’art de la procrastination12 :
I have not even begun the translation. I have until August to finish it and keep putting off the dreaded day. [...] It seems funny to be making plans for a text which does not yet exist and which, when it does, will inevitably be a poor substitute for the original (the loss will be much greater than from the French to the English ‘Godot’).
22La réticence s’explique donc en premier lieu par la difficulté technique que représente la traduction en général, et plus particulièrement encore l’auto-traduction. La peur est celle de la perte, voire de la trahison. Et le résultat, selon les propres dires de Beckett, était souvent décevant : « I fïnd [Fin de Partie] dreadful in English, ail the sharpness gone, and the rhythms13 ».
23La répulsion s’est même transformée en paralysie quand il s’est agi de traduire Worstward Ho en français, un des rares textes que Beckett n’a pas renié, sans pour autant avoir eu le courage de l’affronter jusqu’au bout. Catastrophé qu’il était par le degré de perte que la traduction aurait entrafné, il aurait affirmé : « Le premier mot déjà est intraduisible, à moins de grands sacrifices14 ».
Un art de « l’empêchement »
24La traduction est un art d’écrire imparfait. Les traductologues de tous bords se retrouvent autour de cette évidence. « Dans la pratique, écrit J.-R. Ladmiral, la traduction sera bien sûr toujours partielle. Comme tout acte de communication, elle comportera un certain degré d’entropie, autrement dit une certaine déperdition d’information. Le métier de traducteur consiste à choisir le moindre mal15 ». Elle est marquée par une profonde défectivité, néologisme forgé par Antoine Berman, « qui cherche à rassembler toutes les formes possibles de défaut, de défaillance, d’erreur dont est affectée toute traduction16 », toute traduction est marquée par de la « non-traduction »17. L’idée d’entropie recouvre la déperdition formelle et signifiante qui se produit nécessairement dans le changement de langue, et qui est ressentie comme une « résistance au traduire ». La perte est généralement d’ordre sémantique, mais elle peut aussi être de nature rythmique, stylistique, connotative...
25L’imperfection de toute traduction est liée à la nature même de cette activité du traduire qui consiste à passer d’une langue à une autre, ces dernières n’étant jamais superposables, ce que prennent pour objet d’étude bon nombre de recherches de linguistique contrastive. Comme le rappelle Jacques Derrida, « le récit ou le mythe de la tour de Babel » dit « l’inadéquation d’une langue à l’autre, […] du langage à lui-même et au sens », mais aussi « la nécessité de la figuration, du mythe, des tropes, des tours, de la traduction inadéquate pour suppléer à ce que la multiplicité nous interdit »18.
26Or cette inadéquation des langues se fait d’autant plus ressentir quand celles-ci deviennent métalangues, quand elles se mettent à parler de leur propre fonctionnement. Et le premier des « tours » qu’emploie alors Beckett pour contourner le décalage foncier entre les grammaires, est plus d’une fois l’omission pure et simple. Dès les premières nouvelles en français, le narrateur expérimente cette voie métalinguistique assez inextricable quand il s’agit, ensuite, de s’exprimer dans une autre langue. De L’Expulsé à The Expelled, c’est ainsi une allusion humoristique au tutoiement délicat du narrateur qui s’évanouit (18/37) :
mais une voix me disait, | but a voice kept saying to me, it’s the Lüneburg heath you need <>. |
27Parfois cependant, Beckett emploie la technique dite de la « compensation », qui consiste à déplacer sur une autre unité de sens l’effet rhétorique perdu. Dans Premier amour, le « point de grammaire » (selon lequel si, tant, tellement et tel introduisent un que consécutif suivi de l’indicatif) n’est pas rendu dans la version auto-traduite, malgré l’hésitation que révèlent les manuscrits de travail de First Love, mais l’allusion métalangagière humoristique est reportée sur le jeu des adverbes above, up, below (9-10/10).
mon épitaphe me plaft toujours. | my epitath still meets with my approval. <>. |
28Quand ce n’est pas un point de grammaire assez obscur qui pose problème, c’est une question de phonétique française qui se trouve être complètement transposée (29/19) :
D’ailleurs j’en ai marre de ce nom | Anyhow I’m sick and tired of this name Lulu, I’ll give her another, more like her. Anna for example, it’s not more like her but no matter. |
29L’idée courante selon laquelle les mots sont plus expressifs dans une langue étrangère est à rattacher à cette tendance entropique de la traduction. Georges Mounin explique en ces termes ce phénomène courant : « Parce qu’il traduit, c’est-à-dire parce que, malgré toute son accoutumance, le traducteur ressent la langue qu’il traduit comme une langue neuve, il se trouve toujours amené à surestimer l’expressivité des mots étrangers19 ». La conséquence en est que le mot dans la langue traduisante est perçu comme encore moins expressif que dans la première, il constitue en soi une réduction, un appauvrissement, ce que confirme encore Antoine Berman : « La pulsion traduisante pose toujours une autre langue comme ontologiquement supérieure à la langue propre. » D’où l’impression pour le traducteur « que sa langue est comme démunie, pauvre face à la richesse langagière de l’œuvre étrangère »20. Beckett se fait lui-même l’écho de ce topos quand il regrette, dans son essai sur Joyce, la défaillance expressive du mot anglais doubt.
Take the Word ‘doubt’ : it gives us hardly any sensuous suggestion of hesitancy, of the necessity of choice, of stoic irresolution. Whereas the German ‘Zweifel’ does, and, in a lesser degree, the Italian ‘dubitare’. Mr Joyce recognizes how inadéquate ‘doubt’ is to express a State of extreme uncertainty, and replaces it by ‘in twosome twiminds’21.
30Cette faillite de l’expression explique peut-être en partie tous les blancs qui émaillent les textes auto-traduits. Témoins d’un renoncement, ils sont paradoxalement vécus comme un moindre mal, car l’excès inverse, le trop plein, la prolixité, sont perçus comme insatisfaisants par Beckett qui pensait du texte de How It Is (version anglaise Comment c ’est) qu’il était un échec car trop explicite.
31On peut parler de perte, aussi, lorsque la langue deux ne permet pas de transposer les effets d’équivoque et de récurrence sur lesquels joue la langue un. La polysémie du terme still dans la « foirade » du même nom, intraduisible en français, explique que Still et Immobile ne soient pas symétriques, les divers sens de still étant pris en charge par au moins trois signifiants différents (immobile, encore, toujours). Les blancs qui émaillent le texte français paraissent préférables à une explicitation du sens que la « traduction » systématique du terme polysémique aurait entrafnée. Dans cette esthétique de l’instabilité et de l’indéterminé, l’omission est préférée à la fixité d’une signification pétrifiante, « à l’image de cette vieille statue », nous dit le texte (20).
Une esthétique de l’à-peu-près
Quels à peu près, mon Dieu.
Samuel Beckett, Malone meurt22.
32S’esquisse par le biais des redites inexactes et décalées une esthétique de l’à-peu-près dont se fait ironiquement l’écho la narrateur-scripteur du Watt français, lorsque, dans une note de bas de page ludique et métatextuelle, il commente ainsi son texte (25/28) :
My friends call me Dum, said | Mes amis m’appellent Dum, dit |
Mr Spiro, I am so bright and cheerful. | Monsieur Spiro, tant je suis vif et gai. |
D-U-M. Anagramme de mud (1). | (1) Mot anglais signifiant à peu près boue. |
33Cette parodie des notes de traducteur qui soulignent leur propre manque à traduire, constitue aussi un détail signifiant, évocateur de l’œuvre tout entière, rappelant la petite phrase de Beckett si souvent citée dans laquelle il disait que le mot clef d’une ses pièces est « peut-être ». Le sens, c’est justement chez Beckett ce qui se perd dans le flottement de l’à-peu-près, du peut-être et de l’équivoque. C’est pourquoi la plupart des ajouts de Premier amour à First Love sont constitués des remarques qui ouvrent une alternative jamais résolue : « then they recede, or I, », « to the contrary or otherwise », « anything or anyone », « this or that » (16, 19, 20, 24). De la même façon, les modalisateurs de Corne and Go se transforment au contact du français de Va-et-vient :
I see little change | Comme toujours – plus ou moins. |
She seems much the same | Pareille – à peu près. |
34Enfin, plusieurs divergences entre Still et Immobile ont trait au degré de réalisation du mouvement et à la perception de la lumière par la conscience observatrice (183/19 ; 184/21) :
ninety degrees <> | cent grades ou presque |
then dark or some degree of starlight or moonlight or both | alors nuit noire ou bien <> <> clair de lune ou étoiles ou les deux |
35La traduction est de toutes les façons vécue comme un art de l’inadéquat, un « art de l’empêchement ». Ce terme, forgé par Beckett-critique à propos de la peinture des frères van Velde, semble s’appliquer avant tout à son art d’auto-traducteur. Dans son essai Peintres de l’empêchement23, il montre comment les modernes, ayant compris que « l’essence de l’objet est de se dérober à la représentation » cherchent à représenter les « conditions de cette dérobade » (56). Ce qui fait dire à Beckett : « Est peint ce qui empêche de peindre » (57), « l’empêchement » venant de la nature même du matériau. Ce que Beckett tente d’exprimer, parfois même ce qu’il feint d’exprimer, grâce à ses auto-traductions, c’est justement ce qui empêche de traduire, à savoir les langues elles-mêmes dans leurs différences les plus criantes.
36La traduction, comme art du choix, est un art de l’impuissance, un art voué à la faillite, ce que maints critiques mettent indirectement en valeur lorsqu’ils notent les défaillances ponctuelles des auto-traductions de Beckett. C’est ainsi que Christopher Ricks souligne la défectivité essentielle et cruelle des textes français de Beckett en traduction : « Le français, qui n’était pas sa langue maternelle, l’a rarement aussi bien servi [que l’anglais]24 ». Mis à part ces hasards bienvenus où la langue française permet des calembours inopinés comme dans le verbe terminé où l’on entend né (Company /Compagnie), lequel instaure un paradoxe typiquement beckettien plus parlant encore que l’alliance de mots « womb /tomb », le français de Beckett, du point de vue du critique anglophone, est défectueux. Imparfait à l’instar de sa pratique de la traduction dont il est le produit, même quand la langue adoptive est la langue un : « Chez Beckett, ses textes originaux en français ressemblent à des traductions très talentueuses25 ».
37Souvent donc, lorsque l’inadéquation des langues apparaft trop insurmontable, Beckett supprime. Plus rarement, Beckett ajoute, supplémente le texte d’arrivée qui se tisse alors de fils redondants et superposés. Il se refuse à choisir entre les divers sens d’un terme ambigu, et choisit de dire plus pour préserver un éventail incertain de signifiés possibles, ce qui est doublement le cas dans l’incipit (qui en est aussi le titre) de For to End Yet Again, traduction de Pour finir encore26. Après avoir envisagé entre autres solutions « for to end it again » et « to end yet again », Beckett opte pour la phrase la plus saturée de signifiants, mais aussi de signifiés, où pour est rendu à la fois par for et to, et encore par yet et again, ce qui a pour résultat de démultiplier les lectures possibles dans un jeu de brouillage des pistes. Cette réticence à choisir se manifeste de nouveau dans Company /Compagnie où le jeu de mots « dans le non-sens des aiguilles » (§ 39) est retenu en concurrence avec le terme abscons « senestrorsum » (§ 50), alors que seul « withershins » apparaft en anglais. Elle se solde par une plus grande dissémination du sens, et si elle semble être un succès du point de vue du parti pris de l’anarchie post-moderne, elle reste un échec du point de vue du traduire.
38La redondance – encore une figure de redoublement – n’est qu’un des tropes tortueux qu’emprunte la langue « traduisante », ou langue deux, pour parvenir à rejoindre tant bien que mal la « langue traduite », ou langue un. Car Beckett porte diversement le masque du « mauvais » traducteur. Quand il ne figure pas celui qui se refuse à traduire, voire à choisir, il compose celui qui ne cherche pas les « modalités » qui permettraient de « dissoudre » l’intraduisible27. Ces modalités, qu’Antoine Berman définit dans L’Epreuve de l’étranger, consistent entre autres à éviter « la périphrase ou une littéralité opaque » (303), lourdeurs dont Beckett s’empresse au contraire de consteller ses textes. L’auto-traduction feint même parfois d’être confrontée à l’incapacité du traduire, comme si cette dernière était cruciale à son être. Plusieurs exemples tirés du Dépeupleur /The Lost Ones montrent les détours périphrastiques inutiles que fait la langue pour arriver à ses fins (33/169) : « the sense of his surroundings » et « some private part » paraphrasent respectivement « la réalité » et « sexe quelconque » (23/165 ; 36/170) ; quand les « agités » deviennent, par le biais des circonvolutions langagières de leur créateur, « those who never know a moment’s rest ». Ces périphrases, exemples de définitions lexicographiques sorties de leur contexte, semblent correspondre à une explicitation objective de la version française, comme si les textes bilingues, du fait de leur inadéquation première, ne pouvaient se comprendre l’un sans l’autre, comme s’ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre. Parfois, la périphrase prend des allures de devinettes qui rappellent la tradition des « riddles » irlandais. Ainsi, « le mot fin » est-il la solution à l’énigme, mais aussi la première version de « the key to close », tout comme « undistinguishable » est paraphrasé par « se ressemblent à s’y méprendre », et « De l’illusion » répond à « Of what never was » (Mal vu mal dit /Ill Seen Ill Said, §31, §43, §60). Dans son souci d’intransitivité, l’art de la périphrase se fait art de la dérobade et de l’évitement.
39Quant aux littéralismes « opaques », ils sont partout présents dans les textes auto-traduits de Beckett, ainsi qu’on a déjà pu le remarquer succinctement. Sous forme de calques lexicaux, ils se glissent dans Ill Seen Ill Said, texte qui garde ainsi la trace de Mal vu, comme un palimpseste de sa version jumelle – « avouer » > « avow » §6 ; « s’efface » > « are effaced » §9 ; « courbure » > « curvature » §13 ; « l’éclairage laisse à désirer » > « the light leaves to be desired » §21 – même si Beckett en neutralise certains, quoiqu’un peu malgré lui (§6 ; §13) :
Surveillée sans relâche > Under constant surveillance √watch (MS 2200)
Où contre toute raison le clou domine > In which counter to all reason the nail predominates (MS 2200) > In which in defiance to all reason the nail prevails.
40Mais il y a aussi les faux calques, ces littéralismes qui s’insinuent dans la version semble-t-il la plus primitive, comme le « nouveau rigor », modèle ou copie archaïsante de « fresh rigor » (§31), expression dont on ne sait si elle trouve son « origine » dans les brouillons français (où l’on pouvait précédemment lire hésitation puis attente), ou plutôt dans un manuscrit de Ill Seen Ill Said, que Beckett a pu commencer avant l’achèvement des avant-textes de Mal vu.
41A l’auto-traduction comme pratique transtextuelle fuyante et rhizomatique, correspond donc, au niveau esthétique, l’insaisissabilité de l’origine de la signification, toujours condamnée à une irréductible dissémination, si bien que le critique ne sait plus, de la première ou de la deuxième version, laquelle qualifier « d’originale ». L’écriture en ce qu’elle apparaft chez Beckett comme un acte de traduction, de décentrement langagier, investit ainsi le sens derridien de la trace et installe l’original dans une secondarité irréductible.
42La déconstruction nous invite en outre à une relecture attentive « à l’étymologie des mots ainsi qu’à leurs multiples sens, mais aussi – comme l’écoute « flottante » du psychanalyste –, aux blancs, aux contradictions, à l’impensé du discours métaphysique, bref à tout ce qui, en lui, fait « symptôme »28 », à ces points critiques du texte où se font justement jour les défauts et les différances du traduire. Elle nous invite aussi, par ricochet, dans cette économie, de l’impur et de l’espacement, à cerner la poétique du « mal dire » dans laquelle s’inscrit tout naturellement l’auto-traduction beckettienne.
Une logique du pire et du mal dire
Il m’est déjà difficile de dire ce que je crois savoir.
Samuel Beckett, Premier amour.
43L’auto-traduction comme « art de l’empêchement », comme pratique vouée à l’échec, participe de l’esthétique du mal dire qui parcourt l’œuvre – et, en cela, elle est constitutive et de la technique d’écriture, et de la philosophie beckettiennes. Elle s’inscrit dans la logique du mal dire, abordée dans Mal vu mal dit, et dans celle du « pire », qui informe Worstward Ho /Cap au pire. Comme l’écrit Gilles Deleuze, bien dire n’est « pas l’affaire des grands écrivains29 », ou comme le dit tant bien que mal le narrateur de Texte pour rien X : « Ça va mal, mal, mais va, c’est déjà ça » ; ou un peu différemment, mais pas vraiment mieux, son homologue de Texts for Nothing : « This is awful, awful, at least there’s that to be thankful for » (185/120). Pour plagier Premier amour, on pourrait dire que, chez Beckett, où il est « déjà difficile de dire ce que [l’on] croit savoir », il est encore plus difficile de re-dire ce que l’on a déjà dit.
44Cette esthétique du pire peut aussi servir à caractériser le travail de réécriture effectué au niveau de la voix narrative qui semble ne plus se souvenir avec exactitude de ce qu’elle vient de raconter dans l’autre langue et le transforme en le réinventant. La mémoire lacunaire et fantaisiste du narrateur beckettien, dans ce passage de Texte pour rien X, tout comme son incapacité à trouver les mots adéquats, constituent une nouvelle mise en abyme de l’art frappé d’imperfection de son créateur (185/20) :
Et peut-être, car je ne dois pas être trop affirmatif encore, ce ne serait pas dans mon intérêt, que d’autres doigts, peut-être que d’autres doigts encore, d’autres tentacules, voilà, d’autres bonnes ventouses, mais ne nous interrompons pas pour si peu, consignent mes déclarations, afin qu’au terme de l’interminable | And it is possible, just, for I must not be too affirmative at this stage, it would not be in my interest, that other fingers, quite a different gang, other tentacles, that’s more like it, other charitable suckers, waste no more time trying to get it right, |
délire, si jamais il reprend, je n’encoure pas le reproche d’avoir connu une défaillance. | so that at the close of the close interminable delirium, should it ever résumé, I may not be reproached with having faltered. |
45Si l’on a pu parler de la « valeur instrumentale » du double autorisant un recentrement esthétique et dialectique de l’œuvre, le processus d’auto-traduction semble ne pas devoir s’analyser en termes positifs. L’écriture beckettienne progresse bien, au niveau microstructural de la phrase, au rythme d’une « perpétuelle correction de soi-même, dans une incertitude qui ne s’énonce elle-même que dans le provisoire30 » ; et se traduire, c’est se « corriger » cette fois-ci au niveau macrostructural du texte, mais ce n’est pas forcément pour aller vers ce qu’il y a de « mieux », ni vers une plus grande « correction » au sens étymologique d’un « redressement », de ce qui rend plus « droit », « exact » ou « meilleur ». Beckett met en abyme sa pratique de l’auto-traduction quand, dans les manuscrits de For to End Yet Again, il hésite entre alter, better et rectify course pour traduire corriger le cap et finit par choisir alter, terme neutre, porteur d’aucune connotation positive (14/Reading MS 1551/3/179).
Celui face à la marche s’arrête parfois et redresse comme il peut la tète comme pour scruter le vide et qui sait corriger le cap. | He facing the line of | He facing forward will sometimes halt and hoist as best he can his head as if to scan the void and who knows alter course. |
46Dans Après Babel, George Steiner met sur le même plan une poétique et une métaphysique du dire et du traduire. De même, mais implicitement, chez Beckett la poétique du traduire trouve sa place dans une métaphysique de l’écrire. En effet cette problématique de la traduction défective se rattache à celle, plus englobante, de la perception du langage de Beckett. Pour lui, le langage est défectif en soi. Contrairement à Joyce avec qui il ne partageait pas la même foi dans l’omnipotence des mots, mais comme Virginia Woolf ou Katherine Mansfield, il manquait de confiance dans le langage. Pour ces écrivains modernistes les mots font défaut et sont inadéquats à la représentation de la réalité. Ce doute envers les mots, le jeune Beckett l’exprimait clairement dans une lettre de 1937. Pour lui, les mots sont un masque, un voile qui recouvre les choses (ou le Rien) –
My own language appears to me like a veil that must be tom apart in order to get at the things (or the Nothingness) behind it. Grammar and style. […] A mask. [...] At first it can only be a matter of somehow finding a method by which we can represent this mocking attitude towards the word, through words31.
47Le langage est un obstacle et en même temps le médium de l’écrivain, ce que la voix narratrice de Premier amour /First Love reprend à son compte mais avec un peu moins d’ardeur (36/22) :
comment exprimer cette chose, je ne l’exprimerai pas, voilà. | what words are there for that, none I know, period. |
48Paradoxe d’un écrivain qui s’escrime à dire et à redire l’impossibilité de dire, qui produit des textes qui sont autant de « fiascos » consécutifs. « J’écris parce que j’y suis obligé » aurait lancé un jour Beckett, avant d’ajouter : « Que faire quand « je ne peux pas » se conjugue avec « je dois » ? »32 L’art de l’impuissance qu’est l’écrire, cette « malfaçon créatrice33 », Beckett n’a cessé de le thématiser dans sa fiction et son théâtre, et de l’analyser dans son œuvre critique : « Ce qui suit ne sera qu’une défiguration verbale, voire un assassinat verbal, d’émotions qui, je le sais bien, ne regardent que moi », écrit-il dans Le Monde et le pantalon34. Or la traduction de soi représentait vraisemblablement pour Beckett le comble de ce processus de « défiguration verbale ».
49Une défiguration jamais achevée, frappée d’incomplétude comme l’art du traduire35 : « La “tour de Babel” [...] exhibe un inachèvement, l’impossibilité de compléter, de totaliser, de saturer, d’achever quelque chose qui serait de l’ordre de l’édification, de la construction architecturale, du système et de l’architectonique36 ». Impossible à achever, donc toujours à refaire, à répéter, ce schéma écriture-réécriture a à voir avec le phénomène de répétition en analyse, lequel serait lié, selon J.-B. Pontalis, à la mise en échec de la capacité de représentation : parce que le sujet n’arrive pas représenter le fantasme sous-jacent, il redit, se reprend, bégaye. « Au cœur de la contrainte à répéter » J.-B. Pontalis voit « autre chose que le résultat de la mise en échec de nos désirs et, en conséquence, du fait de leur inachèvement, l’exigence de les reprendre […]. Si mise en échec il y a, c’est celle de la capacité de représentation elle-même »37.
III. Un déterminisme psychologique
50Un obstacle psychique inavoué se trouve peut-être aussi à l’origine de cette répugnance première à s’auto-traduire, qui proviendrait d’une certaine peur de se relire. L’écrivain, on le sait, est le premier lecteur de son texte en train de se faire. Pour écrire il a forcément d’abord été lecteur, pour réécrire, il est forcé de se relire. « Les écrivains eux-mêmes, note Almuth Grésillon, sont les premiers à [lire les manuscrits]. Ils sont nombreux à rappeler que « lire et écrire sont une même expérience. » (Martin Wasler), que c’est à travers leur expérience de lecteur qu’ils sont devenus écrivains ». Parfois, les écrivains disent « qu’ils ne sont que les lecteurs d’un message : « Je n’ai jamais écrit mes romans, je les ai lus » (Aragon). » En outre, ils passent « une certaine partie de leur temps à lire leur propre production en train de se faire : c’est ce qui s’appelle communément « se relire »38. Or Beckett auto-traducteur était lecteur à plus d’un titre. Sans même parler des textes qu’il traduisit après de nombreuses années et pour lesquels il éprouvait plus d’aversion que de nostalgie, il ressentait probablement une certaine répulsion à l’idée de se relire, de voir apparaftre sous un nouveau jour, celui du changement de langue, ce que l’écriture avait suscité de plus intime en lui et qui devait être comme mis en exergue par ce geste de relecture bien spécifique.
51Selon Didier Anzieu, la structure de l’œuvre artistique, tout comme l’acte créateur, sont « nécessairement narcissiques ». Création et intériorité sont indissociables : « La principale fonction de l’œuvre est, pour l’auteur, de faire quelque chose non pas de rien mais de l’inemployé. Epuiser la part d’imagination, le potentiel d’affects qui n’ont point trouvé leur emploi dans sa vie »39. La peur de l’auto-traducteur n’est donc pas étrangère à la peur de commencer de beaucoup d’autobiographes rapportée par Béatrice Didier dans son livre sur Stendhal : « Lorsque je me mets à écrire sur moi-même, je risque toujours de faire apparaftre le fou que je refoule en moi. J’ouvre une prison : qui va en sortir ?40 ». Quant au blocage initial de l’autoportraitiste, cette sorte d’aphasie originelle qui laisse peu à peu place à un flux excessif une fois l’écriture enclenchée, ne serait-il pas provoqué par une panique inexprimée à l’idée d’être livré et confronté à soi, comme le suggère Michel Beaujour, auteur d’une étude sur la rhétorique de l’autoportrait ? « L’expérience inaugurale de l’autoportraitiste est celle du vide, de l’absence à soi [...]. [...] Mais pour peu qu’il commence à écrire […] l’autoportraitiste voit ce rien se muer en pléthore »41. Or l’écriture beckettienne, on l’a dit, est une écriture qui, surtout à partir des années quarante, mobilise cette part d’inexprimé en soi, qui s’alimente à la source de ces voix refoulées surgissant par bribes de l’inconscient pour dicter comme au greffier de Texte pour rien V le premier jet du texte. Pour nourrir son écrire Beckett puise dans son vécu, comme dans Comment c ’est ou Company où abondent les souvenirs de son enfance : la prière avant le coucher sous l’œil sévère de la mère, les longues marches dans les collines autour de la maison familiale avec le père. Souvent, il écrit des sortes de memento mori, des prières en souvenir des morts, « partis et en allés » comme dans Solo ou Mal vu mal dit, dont Bruno Clément a su percevoir, à la différence d’autres critiques, la teneur intime. Selon lui, le vielle femme de Mal vu mal dit « doit beaucoup de ses traits […] à la mère de Becket [...]. Les visites à la pierre tombale (« la pierre qui l’attire ») [...] constituent incontestablement, dans le « feuilleté » de cette figure, une couche supplémentaire42.
52Or le texte auto-traduit, en tant que double, fonctionne peut-être justement comme un révélateur de soi, un peu à l’image du portrait qui montre la face cachée et ténébreuse du personnage de Dorian Gray, ou de ces tableaux de la décadence où le reflet donne accès à une connaissance de soi terrifiante.
53Ainsi un personnage focalise l’attention de l’observateur dans Mal vu mal dit /Ill Seen Ill Said. Le narrateur le nomme tout du long par le pronom personnel « elle »/ « she », anaphorique ne renvoyant à aucun antécédent. Cela instaure un anonymat aliénateur qui est pourtant momentanément rompu par l’occurrence de « la vieille » au deuxième paragraphe du texte français (10/59).
Vite alors la vieille à peine remise du coucher de Vénus vite à l’autre fenêtre voir surgir l’autre merveille. | Quick then <> still under the spell of Venus quick to the other window to see the other marvel rise. |
54En anglais, comme on le voit, ce substantif n’apparaft jamais, bien qu’il existât un temps dans les brouillons où Beckett, l’ayant d’abord traduit par « the old woman » puis par « crone », finit par l’effacer totalement comme si le terme, pourtant connoté péjorativement, rappelait encore trop précisément la présence physique de la mère. Relu, le texte traduit fait donc apparaftre l’insoutenable sous un nouveau jour, et devient le médiateur d’un effacement inévitable.
55Cette interprétation est confortée, mais aussi compliquée et ambiguïsée, lorsque l’on admet que le bilinguisme est déjà, en soi, la source du reflet et le reflet lui-même, la cause et la conséquence, d’un trouble de l’identité. Le recours aux langues étrangères répondrait à un « désarroi de l’identité », pour reprendre la belle expression de Béatrice Didier43, la traduction, comme passage d’une langue à une autre, s’apparentant à un décentrement linguistique et psychologique. Dans Après Babel, quand George Steiner qualifie le traduire de « dire autrement », il dit implicitement que s’auto-traduire c’est « se dire autrement », processus déstabilisant pour la personne qui subit une perte de ses repères identitaires. Tzvetan Todorov témoigne de l’expérience pénible que représente pour lui l’auto-traduction en précisant : « Ce qui m’était pénible, c’est que cette traduction m’obligeait à changer d’identité, à assumer une position autre44 ». Elle l’obligeait donc à sortir de lui-même, à se voir comme un autre. Or, quand Jacques Derrida s’interroge dans Monolinguisme de l’autre pour savoir si le « trouble de l’identité […] favorise ou […] inhibe l’anamnèse », quand il se demande s’il « réprime, refoule ou libère45 », il met le doigt sur le paradoxe du bilinguisme et de l’auto-traduction : la langue étrangère ou la langue vers laquelle on s’auto-traduit, qu’elle soit « maternelle » ou non, permet de se révéler à soi en divulguant ce qui reste normalement caché, mais elle est à l’origine, dans le même mouvement, d’un détournement de soi.
56En effet, la relecture de soi, prise comme point de départ, apparaft aussi comme un moyen de mettre à distance. « Certains [auteurs] prétendent même lire leur propre manuscrit avec la distance, avec les yeux d’un autre46 », dit justement Almuth Grésillon. Acte ambigu, à plusieurs facettes, comme le fantasme « typiquement narcissique » qu’évoque Didier Anzieu et qui consiste à « assister à l’action où l’on a été conçu, se faire le témoin de sa propre origine, se ré-engendrer soi-même à travers l’invention ou la composition que l’on porte en soi puis, délivré, devenir, comme on dit, le fils de ses œuvres47 ». En se traduisant, l’auteur devient lecteur de lui-même certes, donc témoin de son propre engendrement, mais aussi de l’engendrement de l’autre, celui qui parle à travers l’autre langue, devenant ainsi « traducteur de l’autre ». Nous revoilà proches du phénomène de l’inquiétante étrangeté freudienne évoqué en introduction, phénomène qui suppose l’existence dans le moi d’une instance capable de « s’opposer au reste du moi », qui sert « à l’observation de soi et à l’autocritique », qui fournit à l’homme « la faculté de s’observer lui-même », dont un des avatars est la paramnésie – cette « fausse reconnaissance » ou « sentiment du déjà vu »– par lequel « on devient étranger à soi-même, tout près de se dédoubler et d’assister en simple spectateur à ce qu’on dit et ce qu’on fait48. »
57Plusieurs critiques ont montré que le français, la langue « étrangère », tout comme la traduction de soi, permit aux empreintes du moi autobiographique de Samuel Beckett, parfois trop insistantes, d’être atténuées. Cette tension semble être résolue dans l’écriture croisée et à peine décalée, de Company /Compagnie, où le français aurait permis à l’auteur de prendre ses distances par rapport aux souvenirs personnels qui parsèment le texte sans pour autant interdire toute affectivité comme dans Le Dépeupleur. Une interprétation qui va tout à fait dans le sens de la thèse de S.E. Gontarski, pour qui l’écriture beckettienne se manifeste par l’effort continuel de l’auteur de s’effacer du texte, de déconstruire un certain lyrisme spontané49. Voilà peut-être la raison pour laquelle plusieurs allusions directes à l’Irlande sont masquées au cours du processus de réécriture, comme « Croker’s Acres » (Not I, 220) que Beckett universalise en « vaine pâture » (Pas moi, 90), poursuivant là le mécanisme d’occultation initié dans les avant-textes de Not I, et qui rend témoignage de cette volonté avouée ou non de s’esquiver, de fuir, en éliminant les traces d’un passé et d’une appartenance à une patrie par ailleurs rejetée.
58Parfois, ce sont les allusions littéraires qui font les frais de cette stratégie de dérobade et de retrait. Il arrive fréquemment qu’elles soient passées sous silence, littéralement gommées, l’auto-traducteur ne cherchant visiblement pas à les transposer, ni même à les adapter. Compagnie est semble-t-il moins riche en associations intertextuelles que sa version anglaise, comme si le narrateur-auteur cherchait à s’émanciper de sa mémoire intertextuelle, trop profondément ancrée dans le familier, pas assez créative, quand elle n’est pas volontairement dégradée par quelque intention parodique.
59La psychanalyse n’a pas manqué de s’emparer de cette problématique bilingue pour essayer de délimiter des zones d’influence de la langue maternelle et de la langue étrangère, la première fonctionnant « comme lieu du refoulé » Ainsi, « lorsque l’on possède bien la langue autre, certaines choses […] sont dites en langue maternelle par un choix qui n’est pas volontaire non plus »50. Aussi l’imaginaire de l’auto-traducteur est-il devenu le point focal de l’attention des lectures influencées par les apports croisés de la psychanalyse et de l’anthropologie. Or l’« analyse de l’imaginaire, si elle ne veut pas errer dans le vide, rencontre la psychanalyse51 » et vice versa, c’est donc dans cette optique que l’on a pu montrer comment l’imaginaire de l’auto-traducteur subit l’influence de son inconscient dans le passage d’une langue à l’autre. La comparaison de Happy Days et O les beaux jours notamment révèle que l’image de la femme est différente, plus cérébrale en anglais, plus sensuelle en français. Inversement, la féminité du décor est mise en valeur dans O les beaux jours, où le mot mamelon, métaphore obsédante de l’auto-traducteur, traduit mound52. Mais si cette tension entre écriture du cœur et écriture de l’esprit se montre tellement riche en développements possibles, les simplifications qu’elle occasionne incitent à la plus extrême prudence. Que dire, d’un texte comme Ohio Impromptu, écrit en anglais d’abord, qui retrace sur le mode de l’élégie plusieurs moments de la vie de Beckett à Paris, – ses longues marches en compagnie de Joyce sur les rives de la Seine du temps de sa jeunesse, son épouvante, dans les jours de vieillesse, à l’idée de perdre sa compagne de toute une vie – et dont la déconstruction du lyrisme passe davantage par le processus de spécularité et de mise en abyme qui structure la pièce que par l’usage d’une langue plutôt que d’une autre.
60Une semblable mesure dans le traitement des intertextes littéraires est nécessaire, tant il est difficile pour le critique de ne pas faire preuve d’ethnocentrisme littéraire dans ce genre d’étude et de ne pas se trouver confronté à la duplicité du texte beckettien. L’épisode inaugural du cimetière dans Premier amour /First Love est révélateur de cette ambiguïté foncière. On y détecte quelques réminiscences de la scène des fossoyeurs du Hamlet de Shakespeare (V, i), même quelques échos des « Graveyard poets », alors que les élucubrations héroïcomiques du narrateur à propos de son épitaphe ont des parfums des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, où l’on peut lire : « Il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de ma fosse, après quoi je descendrai hardiment, le Crucifix à la main, dans l’Eternité. » A quoi et à qui rattacher l’inspiration ludique de Beckett, aux modèles britanniques ou français ? Sûrement aux deux. A l’autre extrémité du spectre temporel proposé par le corpus de textes retenus, se trouve Mal vu mal dit /Ill Seen Ill Said, où les clins d’œil littéraires ne sont pas rares, et là aussi Beckett met en œuvre une tactique de brouillage des repères. Au couplet 30, le lecteur français entend, entre autres échos, dans la phrase « Sous le ciel sombre et bas le nord est perdu » un rappel, mais légèrement déformé, des premiers vers du « Spleen » de Baudelaire.
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits.
61Le lecteur anglais quant à lui, verrait peut-être, dans ce couplet plus un hommage à Joyce, lorsque la neige se remet à tomber sur les vivants et les morts, dans « The Dead », la dernière nouvelle de Dubliners. En réalité, l’inspiration de Beckett est difficile à cerner qui détourne parfois plusieurs intertextes dans la même phrase. Il est possible de suivre dans l’écriture beckettienne les sillons intertextuels des traditions culturelles anglo-saxonne et française, sillons qui se croisent et se superposent sans jamais s’annuler. C’est ainsi que les paysages décrits par Beckett, même succinctement, rappellent ceux de l’Irlande de sa jeunesse :
Ballybaba, malgré son peu d’étendue, n’était pas sans offrir une certaine variété. Des pâturages soi-disant, un peu de tourbière, quelques bosquets et, à mesure que l’on approchait de ses confins, des aspects moutonnants et presque rieurs, comme si Ballybaba était content de ne pas aller plus loin. Mais la principale beauté de cette région était une crique étranglée que les marées lentes et grises vidaient et remplissaient, vidaient et remplissaient53.
62Mais l’Irlande qu’évoque Beckett est une Irlande littéraire et souvent parodique. Nombre des allusions pastorales évoquent la poésie de W.B. Yeats, où les éléments naturels prennent une dimension primordiale dans l’évocation du pays.
L’eau y est partout présente sous la forme de ses lacs, tourbières et cours d’eau, et sous celle des vagues qui se brisent sur ses côtes. [...] [L]es rochers arrêtent le regard. […] La végétation est surtout faite d’herbe, de joncs, roseaux et fougères, d’épines, de coudres, de sycomores et de lauriers. […] Le soleil et la lune jouent un grand rôle dans le monde de Yeats54.
63De la même façon, la mer et les rochers sont omniprésents dans l’univers de Beckett, lesquels apparaissent dans Cascando, Dis Joe ou Cette fois. La terre est également représentée sous forme de « sable » et de « boue », élément de prédilection de la voix de Textes pour rien. Quant au « rat crevé s’en allant au fil de l’eau » de Cette fois, il n’est pas sans évoquer les « rats d’eau somnolents » (« drowsy water rats ») rencontrés dans « The Stolen Child » du poète irlandais. Sans parler des échos qui rapprochent les deux écrivains : « clarity of silver » (Words and Music, 132), « beaten silver » (Eh Joe, 206), autant de clins d’œil à « To the Roses Upon the Salley Gardens » (1. 6-8) :
And thine own sadness, where of the stars, grown old
In dancing silver-sandalled on sea,
Sing in their high and lonely melody.
64De même, ces quelques lignes de Words and Music semblent-elles s’inspirer de « The Wind Among the Reeds » (132) : « Now and then the rye, swayed by light and wind, casts and withdraws its shadow. » Cette relation intertextuelle qui informe l’œuvre tout entière apparaft donc privilégiée. Elle a toutefois son pendant dans l’influence qu’ont eue les textes de Verlaine sur ceux de Beckett. Si Premier amour est un titre d’une nouvelle de Tourgueniev, c’est aussi une allusion au poème « Le Rossignol », chant d’une voix célébrant « l’Absente », envahissement des « souvenirs qui s’abattent sur [le] moi ». Beckett et Verlaine ont en commun « l’obsession du passé » dite dans les Poèmes Saturniens, et les voix narratives du poète irlandais doivent beaucoup aux avatars de l’artiste que sont le Pierrot à tête de mort et le clown. Le « trou lapis de yeux » de Pour finir encore (15) remémore leurs regards vides et morts (« Ses yeux sont deux grands trous où rampe du phosphore » ; « Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain, / Ses yeux ne vivent pas dans son masque d’argile. / Ils luisent bleus parmi les fards et les onguents55 », ). Beckett s’est inspiré, pour mieux le détourner, du « pittoresque navrant » des textes de Verlaine, « coulisses où le vieillissement, la laideur reprennent leurs droits », où les « sourires se changent en rictus, les regardent se vident, l’ossature du squelette et du crâne se dessine, menaçante, sous la chair et le visage56 ».
65Du point de vue de l’imaginaire enfin, il est difficile de ne pas se laisser entraîner dans une confusion tentante entre le « raconté » et le « vécu57 », entre fiction et réalité. Si l’on peut légitimement penser que, dans les indications scéniques, c’est l’auteur-dramaturge qui parle, dans le texte proprement dit, il est peut-être dangereux d’assimiler personnage-narrateur et auteur. Ainsi dans La Dernière bande, quand Beckett (en collaboration avec Pierre Leyris) traduit dark nurse par boniche brune, peut-on dire que la modulation de niveau de langue, renforcée par la répétition jouissive des labiales qui donne une connotation plus sensuelle pour ne pas dire lubrique au passage, est le fait de l’imaginaire des traducteurs ou de celui du personnage ? En d’autres mots, est-elle motivée par la volonté consciente ou non du dramaturge ? Elle ne peut être ici, bien sûr, que le fait du personnage, obéissant à une stratégie d’écriture de son créateur, dans la mesure où Beckett s’efforce de peindre Krapp comme un personnage à la sexualité refoulée58 qui tente, à force d’ascèse, de parvenir à « une vie sexuelle moins […] absorbante » (17), mais dont l’obscénité et l’analité resurgissent en de tels instants épiphaniques. Il semble donc préférable de ne pas privilégier la psychologie de l’auto-traducteur, mais de s’attarder sur la vision du monde qu’il laisse entrevoir à travers sa fiction. Roland Barthes, qui nous invite aussi à ne pas confondre le « je » de l’auteur et le « je » du narrateur, dit bien : « Ecrire, c’est d’abord mettre le sujet (y compris son imaginaire d’écriture) en citation59 », même si « dans l’écrire moyen de la modernité, le sujet se constitue comme immédiatement contemporain de l’écriture, s’effectuant et s’affectant par elle : c’est le cas exemplaire du narrateur proustien, qui n’existe qu’en écrivant, en dépit de la référence à un pseudo-souvenir60 ». L’écriture beckettienne est une écriture de la modernité dans la mesure où elle est essentiellement métatextuelle, donc consciente d’elle-même et de ce qu’elle tente de faire. Il ne s’agit pas ici de revenir à l’époque de l’auteur démiurge qui contrôle son monde tel un Balzac ou un Flaubert, mais de mettre en garde contre les dérives possibles de la psychocritique. Beckett lui-même, on le sait, était au fait des développements freudiens et jungiens, et le mode de fonctionnement de l’inconscient est évoqué plus d’une fois dans ses textes. Dans le manuscrit original de Company par exemple, un long passage, omis par la suite, s’attarde sur les défaillances de l’introspection qui incite l’enfant à refouler les événements qui le dérangent (§ 33) :
Rather than face up to which and make amends/put things right if necessary you banished the whole episode frotn your thoughts. All this beneath the threshold of course. This much later when steeping in the Works of Freud and his followers was the nearestyou ever came to an explanation61.
66Malgré tout, ces analyses à caractères psychologiques et biographiques ont un intérêt primordial, celui d’avoir des résonances dans l’œuvre elle-même. Le personnage beckettien toujours décentré par rapport à lui-même, dont le moi, dissimulé sous la parure de l’autofiction, est clivé, semble aussi fuyant et insaisissable que le moi du diariste ou de l’auto-traducteur. Celui-ci ne cesse de surprendre son lecteur par sa pratique de l’esquive, qui passe par une division fonctionnelle des langues fluctuante. Cette philosophie de la dissimulation a des échos dans les textes où tout concourt à leurrer le lecteur, où la parodie et l’allusion parodique constituent avant tout une forme de travestissement et de dérobade. L’alternance des langues participe donc de la même stratégie de feinte ludique que la parodie, ce que nous invite aussi à penser Stendhal, pour qui écrire en italien ou en anglais correspondait à un besoin de se déguiser mais aussi de se moquer de soi – un emploi de la langue étrangère à rapprocher du masque du pseudonyme. Or chez Beckett, le masque correspond plus particulièrement à un moyen de jouer avec la mort.
67Depuis ses origines, la psychanalyse s’est intéressée au motif du double. Dans « L’inquiétante étrangeté » (1919), Freud reprend la théorie du double développée avant lui par Otto Rank dans Don Juan et le double (1914) : « le double était à l’origine une assurance contre la disparition du moi, un « démenti énergique de la puissance de la mort » (O. Rank) et il est probable que l’âme « immortelle » était le premier double du corps62 ». Selon D. Anzieu, le désir d’éternité serait une des composantes de l’idéal narcissique du créateur comme l’illustre si bien la tragédie de Victor Frankenstein, dans le roman de Mary Shelley. Donner vie à une œuvre rassure, pendant le temps éphémère de l’inspiration, sur sa fécondité, son éternité. La perversion du créateur consiste à dénier la réalité de sa propre mort, à se dissimuler son destin de mortel, à travestir le temps en arrêtant son cours destructeur. Or en s’auto-traduisant systématiquement, Beckett met en œuvre une esthétique de la procrastination, et ce à plusieurs niveaux de lecture.
Une esthétique de la procrastination
68Au niveau microstructurel d’une part, celui de la phrase et des figures de rhétoriques qui la structurent, la réécriture témoigne d’une tendance à différer le sens. En effet, plus d’une fois, l’auto-traducteur retarde l’apparition du sujet grammatical rejeté en milieu de phrase dans ces couplets de Mal vu mal dit /Ill Seen Ill Said (§ 12 ; 18),
L’œil fixant dur un détail du désert s’emplit de larmes | Riveted to some detail of the desert the eye fills with tears. |
Elle absente l’œil las de l’inerte se rabat sur les douze | Weary of the inanimate the eye in her absence falls back on the twelve. |
69Dans Pour finir encore /For to End et Again (10/179), le jeu des flèches renvoie « the expelled » en fin de phrase, en marge semble-t-il, comme à la limite du possible, retardant du même coup l’épiphanie de sa venue pour mieux exposer sa nature existentielle.
Là enfin même gris invisible à tout autre œil l’expulsé raide debout parmi ses ruines | There in the end same grey invisible to any other eye stark erect amidst his ruins the expelled. |
70D’autre part, une stratégie de réécriture visible dans Textes pour rien XI comme ailleurs, contribue à différer l’achèvement de la phrase beckettienne, en la faisant s’enfler par le milieu, au gré des ajouts de locutions phatiques et d’expressions redondantes qui n’apportent rien, ou infiniment peu, au contenu sémantique et référentiel de la phrase mais qui en diffèrent la fin. Textes pour rien /Texts for Nothing VIII, (168/107) et XI (191/124) :
Eh bien non, <> <> <> [...]
| But nothing of the kind, that’s not how it is. [...] |
71« Mais pourquoi ces détails ? »/ « But why these particulars ? », se demandent de concert les narrateurs respectifs de Premier amour /First Love (37/22). « Pour retarder l’échéance »/ « To put off the evil hour », se répondent-ils en un singulier écho. « L’échéance » étant à bannir, le terme même en est évité par l’emploi de cette périphrase riche en sous-entendus et en résonances intertextuelles : « the evil hour ».
72Au niveau macrostructurel cette fois, c’est le narrateur beckettien qui ne parvient jamais à terminer l’histoire en cours, ressassant à l’envi afin de ne pas s’avouer vaincu par le silence tant que « ça dure encore », pour plagier la voix qui hante Texte pour rien VI (158) :
Des mots, des mots, la mienne ne fut jamais que ça, que pêle-mêle le babel des silences et des mots, la mienne de vie, que je dis finie, ou à venir, ou toujours en cours, selon les mots, selon les heures, pourvu que ça dure encore, de cette étrange façon.
73Le personnage beckettien est un conteur et un ratiocineur infatigable, et L’Expulsé n’est pas la moindre de ces figures ergoteuses. « Ratiocinons sans crainte, le brouillard tiendra bon », lance-t-il pour une fois sans ambages (21), ne « voyant » pour ainsi dire jamais la fin de son discours, empêtré qu’il est dans le « brouillard » de mots qui l’entourent d’un cocon protecteur. De Cascando à Berceuse63, les circonvolutions épuisées des voix narratives qui tentent sans succès d’imaginer l’histoire idéale leur permettant de « finir », « d’en finir » avec la vie, sont emblématiques de la quête paradoxale du sujet beckettien qui le fait tendre vers un silence impossible car inatteignable.
74De même Beckett n’en avait-il jamais fini avec ses textes, notamment ceux destinés à la scène, les retravaillant à chaque nouvelle mise en scène, modifiant répliques et didascalies, même après en avoir corrigé les épreuves éditoriales, semblable en cela à Krapp qui réécrit sans cesse l’histoire de sa vie.
« Achever, c’est tuer »
75Symptomatique aussi d’une écriture incapable de signifier la fin car incapable de la dire, cette tendance des avant-textes, comme des textes « définitifs » de Beckett, à ne pas faire apparaftre, ou que très sporadiquement, la mention fin, comme si la difficulté à finir n’était pas seulement celle des personnages sortis de l’imagination de l’écrivain, mais avant tout la sienne. Les brouillons, même ceux qui précèdent les épreuves, sont souvent arrêtés là, toujours provisoires, comme en attente d’une suite qui ne vient jamais, si ce n’est dans l’autre langue. Les excipit de Words and Music et Cascando, deux pièces pour la radio, sont révélateurs de cette marque de fabrique becketienne puisque les avant-textes montrent l’effort de l’écrivain pour en effacer peu à peu l’aspect conclusif : dans la première, Beckett « oublie » le diminuendo musical final, alors que dans la deuxième, il prend bien soin de supprimer le mot fin.
76Accomplissement et immobilité sont indissociables dans la pensée de Beckett et signifient la mort. « Ce qui nous déçoit, c’est le néant de ce que nous nous plaisons à appeler l’accomplissement », écrivait le jeune Beckett dans sa monographie sur Proust (25). L’écriture beckettienne est une écriture du fragmentaire, fidèle en cela au commentaire du narrateur de Premier amour évoquant les paroles intermittentes de l’air que lui fredonne Lulu (19) : « Je sentais l’âme qui s’ennuie vite et n’achève jamais rien, qui est de toutes peut-être la moins emmerdante. » Le fragmentaire signe le refus de l’achevé, et l’inachevé celui de la mort. Car « achever », comme le veut la langue populaire, c’est « tuer ». L’inaccomplissement offre une opportunité inespérée de « revenir en arrière » pour « éviter l’inéluctable », pour « conjurer la mort64 ». Michel Bernard dit pertinemment de l’écriture beckettienne qu’elle « constitue une différance, selon l’expression de Derrida, en ce sens que la chose y est à jamais différée65 ». Beckett crée même un espace fictif de la différance, cet « espace d’attente » qu’est le purgatoire, la où il « n’y a de chair nulle part ni de quoi mourir » (Texte pour rien III, 136-137), celui du Purgatoire, ce « moyen terme théorique, géographique et littéraire, […] qui lui permet de faire durer l’attente, de différer le choix, de construire, dans ses textes mêmes, l’aporie permanente qui permet toujours de suspendre la décision66 ».
77A l’instar de ses personnages, l’auteur crée son propre espace d’attente, bien réel celui-là, par le biais de l’auto-traduction. Le processus de réécriture constitue une ultime manière de différer le moment de « l’accomplissement », ce « néant » tant désiré des sujets beckettiens et en même temps sans cesse repoussé. La traduction de soi est un acte de répétition, de redite et, à ce titre, il retarde le moment de la fin. Elle constitue un divertissement au sens pascalien du terme. Réécrire est en effet une façon de continuer d’écrire, de se divertir pour reculer l’ultime silence.
78Le paradoxe tient à ce que l’auto-traduction est souvent l’occasion pour le personnage de mettre à distance l’image obsédante de sa mort, et pour l’auteur de réduire la matière textuelle de départ, d’introduire, une réticence, un blanc. Ainsi, tout en éloignant la mort ou le silence, la réécriture les rend métaphoriquement et concrètement toujours plus prégnants, par le biais des figures de rhétorique et des omissions. Ainsi, un passage de Company /Compagnie (17/28) peut-il se lire comme une mise en abyme révélatrice de ce paradoxe.
What with what feeling remains does he feel about now as compared to then ? When with what judgement remained he judged his condition final. | Que ressent-il avec ce qu’il lui reste de sentiment à propos de maintenant par rapport à avant ? |
79Ici, une ligne du couplet n’est pas rendue en français : « When he still moved or tarried in remains of light. » Or, dans cette phrase passée sous silence le narrateur évoque justement la procrastination, qui est aussi une manière de survie. Mais en s’attardant sur les avant-textes croisés de Company /Compagnie, on se rend compte, que « l’expression « or tarried » (précédée de ses variantes « or lay »« or stayed ») est en réalité la traduction de « ou faisait halte » > « ou encore s’attardait » trouvés dans le manuscrit original de Compagnie ». Ici, grâce au détour de l’auto-traduction, un soupçon de vie apparaft qui disparaft aussitôt dans la version seconde mais demeure dans la première, par ricochet, contribuant au décentrement des textes l’un par rapport à l’autre. L’acte de duplication en ce qu’il exprime un besoin d’ajouter des mots aux mots et d’en faire disparaftre d’autres dans le même temps, est ambivalent au même titre que le double freudien qui « d’assurance de survie qu’il était, devient l’inquiétant [unheimlich] avant-coureur de la mort67 ».
Perversion et auto-traduction
80Au cours de cette première approche diversifiée de l’auto-traduction beckettienne, dans une exploration bifide, biographique et psychologique d’une part, stylistique et esthétique d’autre part, on a vu s’esquisser des méthodes d’investigation : l’étude génétique et la lecture comparatiste. La première s’intéresse à la gestation entremêlée des textes bilingues et se focalise sur les points d’achoppement de l’écriture en train de se faire, quand la seconde permet de visualiser la topographie modifiée des textes jumeaux en tant que produits « finis ». Sont apparues des tendances de réécriture : la réorganisation syntaxique et rythmique de la phrase, ou le renforcement des effets parodiques et humoristiques. Des tensions dialectiques ont été révélées : le jeu du caché /montré, l’antagonisme fini /infini, les thématiques conflictuelles de l’humour et de la mort.
81Au-delà du simple constat d’inadéquation des textes bilingues entre eux, l’idée de contournement, ou mieux, de perversion, prise dans son double sens étymologique de « dé-tournement » et moderne de « corruption », s’établit comme le dénominateur commun, comme le point d’intersection de tous ces fils qui semblent tisser des canevas contigus mais séparés, – perversion des modes transtextuels que sont la traduction et la révision, perversion aussi de toutes les lois pragmatiques du discours littéraire, perversion, enfin, du premier texte par le second, témoignant d’un art de l’infléchissement et de la parodie.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple en annexe l’étude génétique de Solo.
2 G. Genette, 261.
3 Après Babel, 297.
4 A. Minazzoli, 100.
5 A. Minazzoli, 100.
6 A. Minazzoli, 101.
7 « Samuel Beckett metteur en scène : ses carnets de notes de mise en scène et l’interprétation critique de son œuvre théâtrale », Samuel Beckett, Revue d’Esthétique, 278.
8 « J’écris certains livres en grec, plus intimes, et d’autres en français, plus drôles, parce que j’ai une certaine distance avec le fiançais et que l’humour se nourrit de distance. » (Télérama, 1997).
9 V. Mercier, The Irish Comic Tradition (Oxford : Clarendon Press) 1962.
10 11e Assises de la traduction littéraire Arles 1994 (Arles : Actes Sud /ATLAS, 1995) 28.
11 « Comme je suis las de la traduction, quelle bataille perdue d’avance ! Si seulement j’avais le courage de me laver les mains de tout ça, c’est-à-dire laisser la traduction à d’autres pour essayer d’avancer un peu mon travail. » Je traduis.
12 Lettre au metteur en scène américain Alan Schneider (30 avril 1957), citée in S. Beckett, Disjecta, (London : Calder, 1983) 107-8. « Je n’ai même pas encore
commencé la traduction. J’ai jusqu’au mois d’août pour la finir et je ne cesse de repousser ce jour maudit. […] Cela paraft bizarre de faire des projets pour un texte qui n’existe pas encore et qui, lorsqu’il existera, sera forcément un mauvais substitut de l’original (la perte sera beaucoup plus grande que de la version française à la version anglaise de Godot) ». Je traduis.
13 Lettre du 3 juillet 1957, à T. Mac Greevy, citée par J. Knowlson, S. Beckett. Damned to Fame (London : Bloomsbury, 1996) 438. « Je trouve Fin de partie horrible en anglais, tout le piquant a disparu, ainsi que les rythmes ». Je traduis.
14 Dans une conversation avec André Bernold, L’Amitié de Beckett (Paris : Hermann, 1992) 99.
15 J.-R. Ladmiral, Traduire : théorèmes pour la traduction (Paris : Payot, 1979) 18.
16 Antoine Berman, Pour une critique, 41
17 Antoine Berman, « La retraduction comme espace de la traduction », in Palimpsestes n° 4 : Retraduire (Paris : Publications de la Sorbonne nouvelle, 1990) 5.
18 « Des Tours de Babel », Psyché, Inventions de l’autre (Paris : Galilée, 1987) 203.
19 Georges Mounin, Les Belles infidèles (Lille : P.U. de Lille, 1955, 1994) 30.
20 A. Berman, L’Epreuve de l’étranger, 22.
21 S. Beckett, « Dante... Bruno. Vico... Joyce », Disjecta (London : Calder, 1983) 28. « Prenez le mot ‘doubt’ : il ne suggère presque rien, sur le plan sensuel, de l’ordre de d’hésitation, de la nécessité du choix, d’une irrésolution stoïque. A la différence de l’allemand « Zweifel » et, dans une moindre mesure, de l’italien « dubitare ». M. Joyce se rend compte à quel point « doubt » est inadéquat pour exprimer un état d’incertitude extrême, et le remplace par « in twosome twiminds »». Je traduis.
22 S. Beckett, Malone meurt (Paris : Editions de Minuit, 1951) 12.
23 Le Monde et le pantalon (Paris : Editions de Minuit, 1990).
24 C. Ricks, Beckett ’s Dying JVords (Oxford : Oxford U.P., 1993, 1995) 40. Je traduis.
25 C. Ricks, 4-5. Je traduis.
26 On en trouve d’autres exemples dispersés à travers les textes, dont la traduction de « temps » par « times and tenses » dans Texte pour rien I (120/74).
27 Bien entendu, comme tout traducteur, Beckett s’applique aussi à trouver des solutions pour compenser les pertes inévitables qui se produisent lors du changement de langue. Par exemple, Immobile joue longuement sur le retour du son /u/ dans toujours, s’ouvrent, à nouveau, tout immobile, partout, etc.
28 C. Delacampagne, Histoire de la philosophie au XXe siècle (Paris : Editions du Seuil, 1995) 334.
29 G. Deleuze, Critique et Clinique (Paris : Editions de Minuit, 1993) 135.
30 P. Casanova, 17.
31 Lettre à son ami Axel Kaun, Disjecta, 172. « Ma propre langue me paraft être un voile qu’il faut déchirer afin d’atteindre les choses (ou le Rien) qui se cachent derrière. La grammaire et le style. […] Un masque. [...]. [...] En premier lieu, il ne peut s’agir que de trouver, d’une manière ou d’une autre, un moyen de représenter cette attitude moqueuse envers les mots, par le biais des mots. » Je traduis.
32 « I Write because I have to. [...] What do you do when « I can’t » meets « I must » ? ». L. Harvey, Samuel Beckett Poet and Critic (Princeton, New Jersey : Princeton U.P.) 249.
33 S. Beckett, Le monde et le pantalon, 19.
34 Ibid., 24.
35 Jacques Derrida parle de « l’intraductibilité ou plutôt (de) l’incomplétude essentielle du traduire », Apories, – conférence prononcée en 1992 à Cerisy-la-Salle, à l’occasion d’une décade tenue sur « Le passage des frontières, autour du travail de Jacques Derrida »– (Paris : Galilée, 1996) 27.
36 J. Derrida, « Tours de Babel », 203.
37 J.-B. Pontalis, 23.
38 Almuth Grésillon, Les Manuscrits des écrivains, 139.
39 Créer détruire (Paris : Dunod, 1996) 27.
40 Stendhal Autobiographe (Paris : P.U.F., 1983) 16.
41 Michel Beaujour, Miroirs d’encre. Rhétorique de l’autoportrait (Paris : Seuil, 1980) 9.
42 Bruno Clement, in C. Duchet, I. Tournier, (éds.), Genèse des fins (Saint-Denis : P.U. de Vincennes, 1996) 148.
43 Béatrice Didier, 87.
44 In A. Khatibi, (éd.), Du Bilinguisme (Paris : Denoël, 1985) 29. Quant à Nancy Huston, la langue française lui aurait donné une « nouvelle identité » (« Langue étrangère, nouvelle identité », Ecrits et réalités, 233).
45 Le Monolinguisme de l’autre (Paris : Galilée, 1996) 37.
46 Les manuscrits des écrivains, 139. Voir Michel Contat, L’auteur et le manuscrit (Paris : P.U.F., 1991) 14.
47 Didier Anzieu, 31.
48 Citation de Bergson dans L’Energie spirituelle, rapportée par Clément Rosset dans Le Réel et son double (Paris : Gallimard, 1976, 1984) 64.
49 The Intent of Undoing in Samuel Beckett ’s Dramatic Texts, (Bloomington : Indiana U.P., 1985) xiii-xiv.
50 Abdelhaï Diouri, in Du Bilinguisme, 97.
51 Jean-Yves Tadié, La Critique littéraire au XXe siècle (Paris : Belfond, 1987) 131.
52 Voir la thèse de Linda Coolinge, « L’imaginaire du traducteur littéraire d’après les auto-traductions de Samuel Beckett », Reims, 1994.
53 Samuel Beckett, Molloy (Paris : Editions de Minuit, 1951) 223.
54 Cf. R. Fréchet, « L’Irlande dans la poésie de Yeats », in W.B. Yeats, Choix de poèmes (Paris : Aubier-Montaigne) 1975.
55 P. Verlaine, Œuvres poétiques (Paris : Editions Garnier, (introduction et notes de J. Robichez), 1969, 1986) 255, 259.
56 J. Robichez, 243.
57 Terminologie de Paul Ricœur, in Temps et récit, t. I, II et III (Paris : Editions du Seuil, 1983, 1984, 1985).
58 La sexualité de Krapp était en effet beaucoup moins censurée dans le premier jet du monologue, Beckett ayant choisi en cours d’écriture de cacher les désirs trop peu contrôlés par le sur-moi de son personnage.
59 Sade, Fourier, Loyola (Paris : Editions du Seuil, 1971, 1980) 136.
60 Le Bruissement de la langue (Paris : Editions du Seuil, 1984) 30.
61 C. Krance, Company /Compagnie..., 82.
62 L’inquiétante étrangeté et autres essais (Paris : Gallimard, 1985) 237.
63 Beckett choisit délibérément d’employer le verbe finir pour transposer stop, car il permet, tout en conservant l’idée d’arrêt, de suggérer celle de la mort, sous-entendue dans l’expression française en finir, envisagée comme traduction.
64 Termes employés par J.-B. Pontalis, 125. Il ajoute : « Il serait inhumain d’achever ».
65 Samuel Beckett et son sujet. Une apparition évanouissante (Paris : L’Harmattan, 1996) 143.
66 P. Casanova, 93-94.
67 S. Freud, 237.
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