Aux marges de la traductologie. Sur la réception de Harry Potter en France
p. 255-267
Texte intégral
1Comme on le sait, les livres, puis les films en même temps que les livres, de Harry Potter ont connu un succès mondial. Hormis les pays où l’anglais est l’une des langues utilisées couramment par la population, Harry Potter a subi l’épreuve de la traduction.
2Se pose donc la question de la réception des traductions de Harry Potter. Il ne suffit pas de dire que les Français, comme les Britanniques ou d’autres, ont aimé Harry Potter, mais il faut essayer de comprendre comment ils ont accueilli ces œuvres (principalement les trois premières). Le texte est évidemment important, car il conditionne, en partie, la lecture qui en sera faite, mais dans l’optique d’une sociologie de la réception, il convient d’analyser comment des lecteurs différents ont pu se « retrouver ensemble » dans ces textes. Car il s’agit bien là de la question du groupe social, non pas en tant que catégorie ou classe sociale immanente à toute communication, mais en tant que partage (d’intérêt(s) ou de goût(s)) par une diversité d’individus.
3La sociologie de la traduction est diverse, et nous nous concentrerons, pour notre part, sur ce que, dans notre ouvrage (La Médiation de l’étranger, 1999 : 148-151), nous avions appelé la « traduction en tant que conversation ». L’idée, relativement simple derrière ce terme, est que tout texte, toute traduction, avant de devenir un produit dans un marché des biens symboliques, économiques ou autres, demande d’abord l’adhésion. La question est alors de savoir si plusieurs catégories de la population française (jeunes, adultes, journalistes, enseignants, etc.) se retrouvent de la même façon dans le texte. Dit différemment, ces différentes catégories ont-elles finalement lu le même texte et l’ont-elles investi de la même manière ?
4Cet article constitue un début d’un tel questionnement car il s’appuiera sur une analyse du courrier des lecteurs reçu aux Éditions Gallimard. La première partie dressera le profil des récepteurs choisis tandis que la seconde, plus longue, étudiera le courrier dans le détail à travers différents grands thèmes.
1. Le courrier des lecteurs comme instrument de mesure de la réception
5Lorsque l’on parle de réception et que l’on s’inscrit dans une sociologie de la traduction, il est nécessaire d’avoir en tête les différents paramètres de ce type d’échange social qu’est la traduction, en particulier le récepteur.
6Tout d’abord, on peut se poser la question de la pertinence des documents utilisés. En effet, il s’agit de lettres écrites principalement en 2001 et 2002 et adressées soit à Harry Potter, soit à J.K. Rowling, soit encore au traducteur ou à l’éditeur. Cependant, on ne peut pas, non plus, nier à ce type de document une valeur explicative qui est forcément relative et doit être comparée à, par exemple, des témoignages oraux, des articles publiés dans différents endroits, etc. Il est difficile de mesurer la réception d’une œuvre et les courriers des lecteurs constituent un témoignage, un instrument de mesure parmi d’autres.
7On ne doit pas non plus être naïf. La réception que l’on évalue dans les courriers n’est pas seulement conditionnée par la lecture des livres mais aussi par les différentes couvertures, articles publiés, battage médiatique, produits dérivés, etc. Dans le même temps, il paraît impossible de mesurer une réception pure de toute autre influence ou préconception. En tant qu’êtres sociaux, nous sommes constamment soumis à la société dans laquelle nous vivons dans le même temps où nous y contribuons.
8Comme le dit la fameuse expression, le lectorat de Harry Potter va de sept à soixante-dix-sept ans. Il est principalement composé d’enfants, garçons et filles en proportions équivalentes, et de jeunes adolescents, mais on trouve aussi des adultes trentenaires, quadragénaires, quinquagénaires, et un Jean B... « âgé de 72 ‘balais’ » (134)1. Cependant, les lettres d’adultes sont minoritaires et c’est pour cela que nous nous concentrerons sur celles des enfants2. Le lectorat est dispersé sur le territoire français et comprend aussi quelques lecteurs québécois.
9Certaines lettres émanent aussi de collèges dans lesquels des travaux ont été effectués sur Harry Potter (Collège Marie Curie à Toumon Sur Rhône (07), un collège Maurice Genevoix, Collège des Bordes aux Bordes (45), Collège Félix Gaffiot à Quingey (25), etc.) et sont écrites soit par des enfants soit par des professionnels (professeur de français, documentaliste). Les écoliers écrivent pour différentes raisons, mais aussi parce qu’il leur est demandé un travail à l’école. Ainsi, un garçon de Il ans écrit à J.K. Rowling car il doit faire un exposé (13).
10Les courriers nous disent évidemment que la plupart de leurs auteurs ont lu Harry Potter mais aussi que les livres sont lus ailleurs, en particulier, dans la famille : Lorraine M. (14 ans) de Toulouse (31), et Anaïs (14 ans) et Giacomo (10 ans) K. de Clermont-Ferrand écrivent : « Nous ne sommes pas tellement d’accord avec ceux qui disent que Harry Potter c’est de la littérature jeunesse. C’est pour tous les âges. Dans nos familles, on l’a adoré, de six (l’histoire lui a été lue) à soixante-quatorze ans » (21). Joëlle D. de Toussieux écrit : « C’est avec un grand plaisir que toute la famille D. a lu Harry Potter, livre I, II, III (Folio Junior) et IV (Gallimard) » (61). Milène M. de Valentigney note : « Je voulais vous dire aussi que dans ma famille tout le monde adore, que ce soit mon père qui est professeur des écoles, ma mère qui est infirmière, ma grande sœur qui a 19 ans, mon frère de Il ans (bon lui il aime beaucoup lire ; il lit tout le temps), et moi qui ai 16 ans » (85). Ou encore Élodie R. d’Osny qui écrit : « Je suis en 6e et j’adore Harry Potter, comme plusieurs copines de mon âge et de ma classe » (100).
11Comme on peut le voir, ces témoignages, d’enfants et d’adolescents principalement, montrent que Harry Potter touche un lectorat qui n’est pas que jeune et qui est disséminé sur l’ensemble de la France, et que les livres sont lus dans différents cercles sociaux (école, famille). Pour utiliser une image commerciale, mais Harry Potter est aussi un phénomène commercial, la pénétration du marché est importante car ces cercles sont très larges et touchent chaque Français directement ou indirectement.3
2. Les thèmes récurrents
12À la lecture des courriers, il est possible de dégager plusieurs grands thèmes ou aspects importants dans la réception de Harry Potter. Ces thèmes nous éclairent sur la perception des livres, des personnages et aussi de l’auteur, mais aussi sur la façon dont cela s’opère sur ce lectorat qui a pris l’initiative d’écrire ces courriers.
2.1. Identification
13Un certain nombre de lettres arrivées chez Gallimard sont adressées à Harry Potter, l’autre partie étant pour J.K. Rowling. Les enfants et adolescents s’identifient soit à Harry Potter, soit à d’autres personnages. C’est-à-dire que la magie du livre prend tant et si bien que les lecteurs entrent dans le livre et, d’une certaine façon, restent dans le monde qui y est créé. Cela est particulièrement vrai des enfants et moins des adultes qui, une fois le livre clos, passent à autre chose. La fiction passe par une impression de vraisemblance. Pour être crue, l’histoire doit trouver des points d’accroche qui permettent ensuite d’imaginer.
14On peut ainsi lire d’une petite Samantha s’adressant à Harry Potter : « Je ne s’est que tu es beau et inteligent. Tu es jentie et tu va à poudlard harry potter » (1). D’autres enfants écrivent la chose suivante : « Monsieur Harry Potter, Nous sommes trois. Deux fille de 10 ans et un garçon de 13 ans. Nous vous demandons de nous donnez les pouvoirs que vous avez provoqué. Il nous les faut Vite c’est important. Et les leçons » (116). On peut encore lire de la part de Loïc H., de Marcq-en-Barœul, le poème suivant :
Toi mon ami Harry
– Toi Harry Potter qui nous fait rêver.
– Continue de nous entraîné dans tes aventures magiques.
– Avec tes amis tu déjoue les plans maléfique de Voldemort.
– Continue de nous faire rêver.
– Dans ce monde enchanté.
– Fait de mystère et de surprise.
– Oui, Oui Harry continue de me faire rêver.
15On pourrait multiplier les exemples de ce style, mais il est important de remarquer que les lecteurs se retrouvent dans Harry Potter pour différentes raisons que sont l’âge, le fait qu’il soit écolier et qu’il ait, entre autres, des problèmes d’écolier, etc. D’autre part, ce héros propose un monde imaginaire magique qui fait rêver et qui, pourtant, est tout près de nous (les sorciers et les moldus cohabitent dans les mêmes lieux mais pas dans les mêmes mondes). L’histoire fournit donc des possibilités pour les enfants de se projeter dans des personnages.
16On note également que les lecteurs ont choisi leur camp, celui de Harry Potter et ses amis. C’est-à-dire que l’identification déborde le seul personnage et s’étend au camp du bien. Sont ainsi concernés le professeur Dumbledore :
Cher Monsieur Dumbledore,
Je m’appelle Lucas j’aimerait si vous le voulez bien venir à poudlard faire mes études de magie dont je me hâte. Je connais beaucoup de chose sur le monde des sorciers mais le problème c’est que je suis un moldu. Puis-je avoir l’autorisation d’aller a Poudlard.
Merci Lucas B. (131)
mais aussi Hermione :
Ce que j’aimerais le plus se serait d’être aussi intelligente qu’Hermione mais cela ne veut pas dire que Ron et Harry ne le sont pas. (103)
et tout le groupe :
Harry Potter
C’est mon bonheur.
Ron Weasley,
C’est mon 2e garçon préféré.
Hermione Granger
Je la porte dans mon cœur.
Albus Dumbledore,
À un cœur d’or. (26)
17Sur la dernière page d’une lettre sont écrits les noms des personnages gentils dans tous les sens comme dans les pièces d’un puzzle : « Harry Potter, Minerva Mc Gonagall, James Potter Comedrue, Mr Flitwick, Hedwige, Vive J. Reus Lupin !, Lunard » (12).
18Cette identification se fait évidemment par différenciation contre les méchants, en particulier le cousin de Harry, Dudley. Adèle écrit ainsi sur un petit bout de papier :
Cher Harry, j’adore tes aventures.
Flanques une correction à Dudley de ma part.
Embrasse Hermione et Ron pour moi. (100)
19Pour un autre enfant, on a :
Salut Harry !!!
J’aimerai tant être à Poudlard ! Tu sais quoi ? Je suis calée sur toi !! Et j’avoue que je suis un peu comme toi. Je déteste le professeur Rogue, et comme toi, j’adore le professeur Dumbledore. Je suis contente qu’il est été nommé directeur de Poudlard (je me fiche carrément de ce que dit Malefoy). Il aurait été mieux à Durmstrong !!! Surtout ne dit pas à Hermione que les elfes de maisons aime mieux travailler plutôt que d’être payer !
J’espère que ça va bien à Poudlard. (44)
2.2. Liberté de ton
20On doit d’abord commencer par souligner qu’il se dégage des courriers une très grande liberté de ton, que les courriers soient adressés à Harry Potter ou à J.K. Rowling. Il ne semble pas y avoir de très grande distance entre les lecteurs et leur interlocuteur. Cela se manifeste de différentes façons. Tout d’abord, le support matériel est très divers. Cela va de papier sans décoration à des choses élaborées.
21Certains courriers sont très simples : c’est une feuille blanche qui peut être de différents formats, une feuille A4 coupée en deux, une feuille à petits carreaux ou à grands carreaux ; c’est une écriture non recherchée, quelquefois brouillonne. Quand on fait des fautes, on n’a pas peur d’être mal jugé, comme dans le courrier (46) :
Cher Harry.
Ces histoire sonverrmerveilleuse ma classe qui la 6e c de montesquieu travaillons sur tes avanture.
on t’♥ tous
22Dans d’autres cas, il y a de la recherche. C’est du papier glacé. On expédie une lettre comportant un cadre fait de lettres de l’alphabet et de paillettes, des dessins plus ou moins élaborés de Harry Potter, de son balai magique, de sa chouette, mais aussi d’autres images qui ne renvoient pas aux livres (village, chat, coquillages, etc.). Les auteurs des lettres se laissent aller à colorier, dessiner, écrire de différentes couleurs. Les enfants et adolescents utilisent les feuilles en mode portrait mais aussi en mode paysage.
23Les enveloppes, elles aussi, sont travaillées : on y retrouve des dessins, de la couleur. On envoie des photos (21) :
On est tellement impatients de lire la suite que pour nous faire patienter, Lorraine à écrit une suite (jointe en français bien sûr). Et Anais a déguisé son petit frère Giacome en Harry Potter. Nous trouvons qu’il lui ressemble, selon le portrait que l’on se fait dans notre imagination. On vous a joint une photo de lui avec son déguisement, peut-être que l’image que vous en avez est totalement différente.
24Nadira, elle, envoie un petit cadeau, mais ne dit pas ce que c’est. Elle l’a acheté avec son argent de poche (62). Telle autre envoie un petit bracelet.
25Marie fait des suggestions d’écriture : « J’ai eu une idée pour les livres de Harry Potter que j’adore. Vous pourriez peut-être rajoutée une sœur à Harry. Elle aurait été victime de Voldemort, mais trop faible pour pouvoir être confiée aux Dursley. Le professeur MacGonagall ainsi que Albus Dumbledore l’auraient élevée. Plus tard, lors de la réapparition de Voldemort elle aurait été présentée à Harry pour l’aider à vaincre le puissant mage noir » (28).
26Tiphaine demande à J.K. Rowling la chose suivante : « Plus tard j’aimerais être chirurgien, écrivain ou professeur de gymnastique ! Que choisir ? si je décide d’être écrivain quels conseils pouvez-vous me donnez ? » (74).
27Tout cela révèle que certaines frontières, sociales, semblent tomber ou disparaître temporairement, lorsque l’on s’adresse à Harry Potter ou à son auteur. Cela est en partie dû au personnage lui-même. Harry n’est pas quelqu’un de compliqué. Ses relations sont directes. Il est gentil avec ses amis, etc. Pour J.K. Rowling, c’est, en quelque sorte, la mère de Harry Potter, celle qui l’a mis au monde des livres, et on lui fait confiance et on l’aime comme on fait confiance à Harry Potter et on l’aime.
2.3. Rêve / Imagination
28Une dimension incontournable de Harry Potter est le monde imaginaire, celui de la magie, des sorciers, parallèle à celui des moldus. Ce monde est source de rêves pour les lecteurs et est souligné dans de nombreuses lettres.
29Une petite Japonaise écrit ainsi : « ‘Harry Potter’ m’a fait tressaillir de joie ! C’était comme un rêve séduisant. Et maintenant, j’écoute la cassette de ‘Harry Potter’ tous les soirs à plusieurs reprises avant de me coucher. Donc ça me rend vraiment un rêve » (2). Lorraine M. (14 ans) de Toulouse (31), et Anaïs (14 ans) et Giacomo (10 ans) K. font remarquer : « Jamais quelqu’un ne pourra écrire quelque chose de mieux. Certains cherchent des explications psychologiques, mais en fait, c’est magique on est comme envoûtés » (21). Mélanie écrit : « Ces livres me font tant rêver ! » (36). Une Violette B. écrit encore : « Ces livres m’ont fait passé de superbes soirées dans mon lit en imaginant la suite de chaque paragraphes » (83). Alice, âgée de 16 ans, résume bien le charme à l’œuvre : « Ce qui me surprend le plus, c’est comment vous avez réussi à créer cet univers si fantastique. Je crois que n’importe quel enfant rêverait d’aller dans une école telle Hogwarts... car une fois rentré dans ce monde merveilleux, il devient impossible d’en sortir. La magie a envahi nos têtes et nos cœurs, et tout ce qui attrait à notre petit héros favori nous ravi un peu plus chaque jour. Mais si Harry est fictif, cette magie que vous avez su créer, elle, ne l’est pas... Vous être bel et bien une « wizard » ! Le livre fait rêver, le film on le vit » (138).
2.4. J.K. Rowling confidente et Harry Potter confident / ange gardien / sauveur
30Ce que nous venons de voir, à savoir le fait que les livres de Harry Potter soient source de rêves, va de pair avec la fonction d’ange gardien que peut revêtir J.K. Rowling, comme mère par délégation. C’est quelqu’un à qui l’on fait confiance et à qui l’on se confie.
31Alexia A. écrit : « Je vous permets de vous tutoyez car j’ai le sentiment, quand je lis votre livre, que vous êtres une confidente » (65). Azeline écrit, pour sa part, la chose suivante :
Je voulais vous dire que j’en avais marre de ma vie pourrie avec mes sœurs qui se moquent de moi, mes parents qui ne pensent qu’à se disputer ; Mes sœurs et mes parents ne comprennent as ma façon de penser et je prends très mal leurs humours car je deviens fragile (séparation de mes parents) ;
Il n’y a qu’une chose qui arrive à me faire oublier mes malheurs. C’est cette chose qui est sortie tout droit de votre tête et qui a commandé votre main.
C’est ce garçon triste, malheureux, qui découvre ce que ses que l’amitié, le bien, le mal... et aussi la vérité.... C’est ce garçon roux pauvre, mais heureux de vivre. Il montre que l’amitié est la lus belle atout de l’homme....
Quand ça ne va pas, je me réfugie dans ce monde imaginaire avec ses personnages mauvais ou bons. J’invente les aventures de Harry Potter 24H sur 24H en me mettant dans l’histoire. Quand je suis dans les livres, on peut me crier dessus je n’entendrais rien. (118)
32Élisa écrit : « Sachez aussi que tout ce que je vous ai dit me sort droit du cœur, droit de mon âme. » (94). Claire D. se confie ainsi :
Chère Joanne,
Demain, j’aurais quinze ans. Si tu savais, Joanne, ce que je ressens... Comment trouver les mots pour le dire ? Peut-être qu’ils n’existent pas encore. Peut-être même qu’ils n’existeront jamais et je me sentirais toujours prisonnière de ce sentiment intense de découragement et de solitude. Parfois, j’aimerai m’enfuir, me sauver de l’ennui. Partir dans un univers différent, magique, comme celui de tes livres, par exemple. (148)
33Il n’y a rien de bien nouveau dans ces témoignages, si ce n’est que le rêve est source d’identification, comme mentionné plus haut, et aussi lieu ou moyen de refuge pour certains lecteurs. Les livres de Harry Potter ont une fonction vivifiante, régénératrice, apaisante.
34Magali P., de Belgique, écrit : « Je tenais quand même à vous remercier car sans vos livres je ne serais plus de ce monde. Tout allais mal puis j’ai découvert Harry Potter ? J’aime lire et ce livre m’a beaucoup touché et m’a donné le goût de vivre. Maintenant dès que je me sens mal je relis pour la 6 ou 7eme fois l’un des 4 volumes déjà paru » (40). Jeanne H. souligne : « Quand j’ai lu les quatre tomes, j’étais comme amie avec les personnages et durant cette période, je me sentais bien dans ma peau. Aussi je vous félicite pour vos capacités en ce qui concerne l’imagination, car je connais plusieurs personnes qui se sont mis à lire et qui ont pris plaisir, grâce à Harry Potter » (99). Caroline S. écrit : « Puisque je suis seule, sans trop d’amis, je me réfugie dans cet univers de magie » (127).
2.5. Amitiés
35L’amitié est un thème qui retient l’attention des lecteurs. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où les héros, Harry, Hermione et Ron, sont des amis unis dans les mêmes aventures. Étant du même âge ou presque que les auteurs des courriers, ils sont source d’identification. Harry Potter est l’ami que l’on aimerait avoir, mais les autres « bons » personnages sont aussi des amis que l’on souhaiterait se faire.
36Jeanne H., s’adressant à J.K. Rowling, écrit : « Quand j’ai lu les quatre tomes, j’étais comme amie avec les personnages et durant cette période, je me sentais bien dans ma peau » (99). Samantha écrit : « Je m’appelle Samantha
37……. J’ai 12 ans. J’habite à AUTUN. Je suis ton amie Harry Potter » (1). Élodie S., du Havre, envoie la lettre suivante :
Cher Harry Potter
Cher Harry tu es mon ami depuis que je tes lu. Ne t’inquiete pas moi non plus je ne s’avais pas tu était un sorcier au début. Moi j’ai trouvé trole quand Hagrid a mis une queue en cochon dudley. Maintenant tu ne dors plus dans un placard et tu tes fait des copin et des copines. Au revoir, et a bientôt. (45)
2.6. Amour
38Une grande partie de courriers émanant d’adolescents, on ne sera pas surpris que des lectrices tombent amoureuses de ce jeune héros de leur classe d’âge ayant des qualités à la fois communes (il va à l’école, est fidèle en amitié) et extraordinaires (c’est un sorcier). D’autre part, les amis de Harry font aussi l’objet d’attentions de la part des lectrices et lecteurs.
39Mathilde, âgée de 10 ans, demande ainsi à J.K. Rowling si Ron est « amoureux de quelqu’un » (34). Alexia, qui se dit adolescente, tout en admettant à J.K. Rowling qu’il s’agit de fiction, avoue son amour pour Harry Potter :
Quand je lis Harry Potter, j’ai l’impression d’appartenir à son monde. Vous êtes un écrivain fantastique. Je vous ferais une confidence : je suis amoureuse de lui ! Je sais que ça paraît idiot mais il a des sentiments, la façon de penser, son sens de l’humour ! Bref je l’aime. (65)
40Il est très difficile d’évaluer cet amour. Est-ce le début de l’adolescence ou est-ce simplement le fait d’apprécier énormément les livres et les personnages ? On peut se poser la question quand Hélène, âgée de 12 ans, envoie une enveloppe sur laquelle est dessiné au feutre rouge un cœur avec, à l’intérieur, « I love Harry Potter » (144). À n’en pas douter, dans certains cas, il s’agit uniquement de plaisir de lire, comme lorsque Jeanne H., de Paris, écrit : « Je voulais vous dire que j’aimais beaucoup Harry Potter, ainsi que les personnage secondaires. J’aime Harry Potter pas seulement pour la magie mais aussi pour l’histoire que je trouve passionnante. Quand j’ai lu les quatre tomes, j’étais comme amie avec les personnages et durant cette période, je me sentais bien dans ma peau. Aussi je vous félicite pour vos capacités en ce qui concerne l’imagination, car je connais plusieurs personnes qui se sont mis à lire et qui ont pris plaisir, grâce à Harry Potter » (100).
2.7. Frénésie de lecture
41Un autre effet des livres de Harry Potter est de déclencher chez les lecteurs l’envie de lire, envie qui devient frénésie.
42Une petite Madeleine écrit : « J’ai lu tous vos livres en 15 jours » (8). Marc-Antoine H. n’en peut plus d’attendre et écrit pour « VOUS DEMANDER DE VOUS DEPECHER A TRADUIRE LE 5èME Harry POTTER CAR J’AI DEJA LU LES 4 PREMIERS S’IL VOUS PLAIT DEPECHEZ VOUS DE LA TRADUIRE CAR JE SUIS IMPATIENT DE L’AVOIR. SI VOUS POURRIEZ ME LE FAIRE PARVENIR » (14). Mathilde, qui « adore » Harry Potter écrit : « J’ai hâte de lire Harry Potter 5, 6, 7 » (18).
43Cette frénésie de lecture peut se doubler de frustration de ne pas pouvoir déjà lire la suite. Mélanie se plaint : « Ces livres me font tant rêver ! Je les relie sans me lasser. Quel dommage qu’il n’y ait que 7 tomes au total ! » (36). Julie avoue la chose suivante : « Moi qui déteste lire et qui ne comprend rien aux livres je me suis mise à le lire et tout de suite ça ma plus et maintenant je lis et je relis Harry Potter » (39). Pierre, âgé de 12 ans et demi, attend le tome 5 et, en attendant, lit beaucoup de livres fantastiques « pour faire passer le temps » (59). Alexia va plus loin dans cette envie, devenue presque maladive, selon elle : « J’oserais aussi vous demander, si cela ne vous gênerait pas, de me dire quand le prochain livre sortira. C’est presque devenue une dépendance pour moi » (65). Luc-Antoine écrit : « En temps normal je n’aime pas lire mais là c’est très différent, (très très très différent !) » (82). Nathalie B. résume la situation :
Mon père entre chaque nuit dans ma chambre pour éteindre la lumière vers 1h ou 2h du matin.
Je ne lis pas, HP, je le dévore !
Que vais-je devenir quand je les aurai tous lus et qu’il n’y en aura PLUS ????
.... des millions d’enfants trépignent d’impatience (97)
2.8. Désir d’écrire
44Le succès de l’œuvre ne se réduit pas à une consommation dynamique et frénétique des livres, mais suscite également un désir d’écriture. On passe du statut de lecteur à celui d’auteur, et de nombreux courriers soulignent qu’il est possible et vrai de passer de l’un à l’autre. Encore une fois, Harry Potter semble briser des frontières bien établies.
45Une petite Japonaise écrit : « Moi je voudrais devenir écrivain comme vous. C’est un désir que je souhaite depuis mon enfance » (2). Un Quentin D. écrit : « J’ai acquéris les 4 premiers volumes qui m’ont émerveillés et c’est d’ailleurs donné l’envie d’écrire mon propre volume » (10). Lorraine M. (14 ans) de Toulouse (31), et Anaïs (14 ans) et Giacomo (10 ans) K ont joint un récit de 19 pages en Arial 10 p. qui s’appelle « le Tombeau de Serpentard » (21). Jean-Sébastien avoue qu’il est en train d’écrire un livre de sorciers (67). Delphine et trois autres enfants demandent l’accord pour publier un livre sur Harry Potter, « Harry Potter et le tournoi de quidditch », qu’ils sont en train d’écrire » (69). La maman d’une Jutta envoie une bande dessinée de 42 pages réalisée par sa fille de 13 ans et commente ainsi : « Elle a une véritable passion pour vos livres et a lu et relu les 4 tomes plusieurs fois et a finalement eu envie d’en faire une BD » (133). Hélène C. a écrit un petit livre aux feuilles bleues agrafées « Tu es Harry Potter et tu veux te rendre au cours de Quidditch », avec de petits dessins et le mot fin dessiné sur un fond marron de parchemin (144).
2.9. Parents
46Les lecteurs sont très fortement marqués par le fait que Harry Potter a perdu ses parents et qu’il est finalement orphelin. Cela suscite chez eux de l’intérêt et de la compassion.
47Une adulte écrit, par exemple, le poème suivant :
HARRY POTTER
Un enfant si fragile, à la pureté d’ange,
La magie noire le marque, pourtant ne le tue pas,
Et le frappe d’un éclair sous son épaisse frange.
Ses yeux verts reptiliens défient le mauvais sort.
Des volontés d’effroi, il n’en fera pas cas,
Chaque fois qu’il sera face à l’injuste mort.
La puissance nouvelle le délivre des ans
Imprégnés de torpeur, de froide solitude,
et meurtris par l’absence tragique de ses parents.
L’incroyable courage et son cœur enflammé
Annulent du sorcier les viles servitudes ;
Par toutes ces épreuves, le voilà magnifié !
48Saïd El M., probablement un jeune enfant, écrit : « Tes parents ont été tués par Voldemort car tu étais encore un bébé et il a essayé de te tuer, mais il a touché ta cicatrice en forme d’éclair. Et l’advadavra est revenu vers lui. Et maintenant où est tu ? J’espère que Voldemort ne t’a pas tué aussi ! » (55). Samantha écrit aussi : « Et les parent Harry Potter sont mort. Mais s’est vol de mort. Mais tu es bien vivent et toi Harry Potter » (1). Une petite fille japonaise, vivant à Paris et séparée de ses parents, ne peut que s’identifier au héros : « J’ai été émue jusqu’aux larmes dans la scène que Hagrid donne à Harry un livre de photos de ses parents et que ses parents lui sourient » (2).
49Voilà donc parcourus les grands thèmes qui ont marqué les auteurs du courrier des lecteurs. Certes, cette étude ne rentre pas dans le détail de la traduction en français et de sa comparaison avec l’original. Mais il n’en reste pas moins qu’elle éclaire, sous un jour différent, la traduction en ce qu’elle s’intéresse à ce qu’en font, ou en comprennent, certains lecteurs. Après tout, si l’on se voulait extrémiste, c’est le lecteur qui définit ce qu’est l’œuvre et non pas la matérialité du texte. Mais nous ne voudrions pas aller dans ce sens. La traductologie a toujours été tiraillée par les extrêmes : d’un côté le vouloir dire de l’auteur, celui qui devrait passer dans toute traduction, et, de l’autre, la compréhension que fait le lecteur de la traduction. Entre les deux, il y a quand même, au minimum, un traducteur qui effectue une transformation et qui propose des équivalences ou correspondances qui ne sont pas anodines en ce qu’elles constituent une interprétation de l’original et en ce qu’elles déterminent en partie la façon de comprendre la traduction. Cet article n’a donc de sens, en traductologie, d’une part, que dans la mesure où il s’adosse à d’autres études, à venir, sur la réception de la traduction de Harry Potter dans d’autres langues et, d’autre part, que dans la mesure où il complète d’autres examens des correspondances proposées par les traducteurs. Le spectre assez large du phénomène complexe appelé « traduction » permet de s’intéresser à ce qui constitue son noyau – la transformation – mais aussi à ce qui semble être à la marge – la réception.
Bibliographie
Bibliographie
Peeters, Jean, La Médiation de l’étranger, Arras, Artois Presses Université, 1999.
Notes de bas de page
1 Les chiffres entre parenthèses correspondent aux numéros donnés aux lettres étudiées dans le corpus. Les fautes d’orthographe et de grammaire des lettres sont celles des auteurs des courriers. Il nous a semblé important de ne pas les corriger par souci de véracité et afin de montrer la liberté de ton.
2 On retrouve, chez les adultes, des thèmes chers aux enfants et adolescents (frénésie de lecture, parents, liberté de ton, etc.), mais on rencontre aussi des courriers étonnants ou farfelus. Quelqu’un, pour qui la littérature compte plus que tout, avoue : « J’ai dû [...] piétiner ce qui constitue pour moi le plus profond car j’ai dû travailler pour gagner ma vie » (148). Un certain Carlos F... écrit : « Derrière l’abondante richesse imaginative, on devine un immense savoir enrichi d’une généreuse intelligence qui ne semble pas avoir de limite. Cette fabuleuse série surclasse tout ce que j’ai pu lire jusqu’à présent. Si elle est destinée aux enfants, alors je suis un enfant. J’ai 53 ans. Je pense avoir retrouvé l’innocence de mon enfance. Aujourd’hui j’ai la certitude de ne pas faire partie du monde des « moldus ». Je me sens seul parmi les hommes. Mais ceci ne m’affecte pas vraiment. En 98, j’ai reçu un signal métaphysique trahissant la présence d’être inorganiques [...] Ce qui me désespère c’est que je suis isolé. Je ne peux communiquer ou échanger des propos qui m’intéressent avec mon entourage » (81) !
3 Pour prendre un contre-exemple, si Harry Potter avait touché les lecteurs de revues de pêche à la mouche, la diffusion des idées contenues dans les œuvres aurait été très limitée.
Auteur
Université de Bretagne Sud, Lorient – France
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Pour une interdisciplinarité réciproque
Recherches actuelles en traductologie
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2017
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 1
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2011
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 2
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2012
La traduction dans les cultures plurilingues
Francis Mus, Karen Vandemeulebroucke, Lieven D’Hulst et al. (dir.)
2011
La tierce main
Le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIe siècle
Kristiina Taivalkoski-Shilov
2006
Sociologie de la traduction
La science-fiction américaine dans l’espace culturel français des années 1950
Jean-Marc Gouanvic
1999