IV. Le droit de la traduction
p. 358-414
Texte intégral
1Le DT et le droit du traducteur nous ont permis de comprendre comment les environnements sociohistoriques, juridiques et symboliques ont contribué à élaborer le discours sur la traduction. Nous avons vu en effet quelle place occupait la traduction dans le discours juridique du DA au moment où il prenait une dimension internationale, quels enjeux économiques les DT représentent au regard des pays industrialisés et quelle valeur est accordée au traducteur par les organisations et les commentateurs qui défendent ses droits. À la lumière de ces trois étapes majeures de nos développements précédents dans cette partie, nous pouvons d’ores et déjà noter une progression dans la perception de la traduction par le droit. Alors que le DT était fondamentalement conçu comme un droit exclusif revenant à l’auteur, et que le droit du traducteur était élaboré dans les limites tracées par le DA, l’éthique du traducteur s’est en revanche libérée de la tutelle de l’auteur pour se recentrer sur l’agent de la traduction lui-même. Le droit du traducteur bien compris serait en fait le droit pour ce dernier de jouir de la prérogative qui lui permet de remplir son rôle de médiateur culturel de façon responsable. Autrement dit, l’autonomisation du traducteur n’est possible que dans une conception où le droit du traducteur n’est pas fondé dans le paradigme de l’auteur, mais dans celui, autrement différent, de la justice. Quand le droit du traducteur devient le droit de celui-ci à prendre l’initiative d’établir une communication équitable entre deux cultures, alors le droit se prévaut de la dimension supplémentaire de la justice et devient éthique. Si le droit du traducteur parvient à pareil degré d’exigence pour définir la portée de sa nouvelle vocation, le monopole du DA sur la traduction n’est-il pas dès lors quelque peu relativisé, voire fragilisé ?
2Par ailleurs, nous pouvons également noter l’inscription plus profonde, dans l’histoire du DA en général et dans celle du DT en particulier, d’un enjeu central dans les discussions qui ont animé les rencontres internationales sur le DA, dégageant la tension fondamentale qui oppose le pôle de l’argument économique à celui que nous qualifierons de culturel. En effet, nous avons constaté que ce qui séparait irrémédiablement ceux qui défendaient le DA, tel qu’il est advenu dans les conventions multilatérales, de ceux qui en avaient une conception plus critique, se résume à la tension entre économie et culture contenue dans le DA même. De fait, à l’instar de la tension qui met aux prises les deux grands courants de la traductologie, les « sourciers » (privilégiant la forme) et les « ciblistes » (privilégiant le fond), on pourrait avancer que la traduction fait également l’objet d’une hésitation entre la forme ou le support économique et le fond culturel. Alors que, d’une part, les droits exclusifs de la traduction dus à l’auteur et la prérogative de les exploiter ainsi que ses héritiers durant une période donnée consacrent la fonction du droit au regard de la traduction, on peut relever, d’autre part, que c’est l’engagement du traducteur dans le processus de mise en rapport des différentes cultures, de la revendication du droit de l’entreprendre et de la responsabilité qu’implique leur rencontre, qui donnent son sens au droit prétendant protéger la traduction et le traducteur. La fonction du droit est de garantir à l’auteur de l’œuvre originale le revenu provenant de la traduction (et du traducteur dans la part qui lui revient sur sa traduction), cependant que sa finalité tient dans la conception qu’il se fait du statut de la traduction et du traducteur dans le monde des productions de l’esprit, compte tenu des responsabilités éthiques qui leur sont dévolues. Ainsi la forme et le sens du droit relatif à la traduction et au traducteur seraient-ils complémentaires, comme les deux faces d’une seule pièce.
3Or, le problème dans cette vision unitaire de l’aspect juridique de la traduction est que, si le DA remplit parfaitement sa fonction économique au regard du traducteur (même si ce dernier est subordonné au bon vouloir de l’auteur), dans la réalité qui ressort de l’analyse que nous avons entreprise, il ne fait pas grand cas de la finalité que nous voudrions y voir. De fait, aussi bien le traducteur que sa traduction ne jouissent guère, dans le cadre du DA qui les administre, d’un statut qui soit à la mesure de leur importance, de leurs responsabilités respectives dans la politique qui engage les parties en rapport de traduction. De même que c’est dans le discours juridique que nous avons identifié l’épistémè qui consacre l’auteur comme fondateur et destinataire du droit qui le protège, c’est également dans ce discours que nous estimons que le statut et la valeur du traducteur et de la traduction doivent être reflétés. En ce sens, nous voudrions affirmer ici que c’est parce que les dimensions politique et culturelle de la traduction ont été occultées dans le discours juridique, malgré leur nécessité, que seule semble subsister celle de l’économie.
4Une analogie pourrait d’ailleurs être faite avec la logique économiste de la globalisation libérale qui privilégie la valeur fonctionnelle des choses sur leur valeur intrinsèque. En effet, alors que la théorie de l’économie néoclassique ne distinguait pas la « valeur d’usage993 » de la « valeur d’échange994 », l’économie politique contemporaine les distingue et, de ce fait, ne reconnaît pas comme valeur d’échange ce qu’André Gorz appelle les « richesses premières995 », telles les ressources naturelles ou les connaissances, qui ont une valeur autre qu’économique à moins qu’elles ne soient appropriées. En fait, l’exclusion de la valeur d’usage de la sphère économique donne « la possibilité de les soustraire au champ de la valeur – c’est-à-dire de la valorisation du capital – pour leur donner aujourd’hui le statut de bien commun inaliénable de l’humanité996 ». C’est que, pour Gorz et les critiques du néolibéralisme actuel, la valeur d’échange relève de l’économique, alors que la valeur d’usage relève de l’éthique et du politique.
5En ce sens, la valeur de la traduction et du traducteur, dont nous faisions mention dans le chapitre précédent, est au droit d’auteur ce que le droit d’usage est à l’économique997. Doublement d’ailleurs, puisque le nouveau tournant du capitalisme est postindustriel et plus précisément « informationnel ».
Tout un courant de pensée développe aujourd’hui l’idée selon laquelle le capitalisme est parvenu à une phase appelée « capitalisme cognitif » où la connaissance devient la principale force productive mise en œuvre collectivement998.
6Vers un capitalisme cognitif 999, telle est la direction que prennent d’ailleurs Negri et Hardt dans leur Empire pour expliquer le passage du deuxième au troisième paradigme économique : « de la domination de l’industrie à celle des services et de l’information – un processus de postmodernisation ou mieux d’informatisation1000 ». C’est que la responsabilité du traducteur et de la traduction plus généralement, pensons-nous, relève du concept de « transmission », par contraste avec celui de « communication », selon la « médiologie » de Régis Debray1001 que Cronin reprend pour l’appliquer à la traduction1002. En effet, au-delà du « transfert social de connaissances » dans « différentes sphères spatio-temporelles », ce qui fait passer la traduction du statut de communication à celui de transmission1003, c’est la valeur à la fois politique et éthique reconnue à l’acte traductif, lorsque celui-ci transmet un immatériel de l’ordre de l’identité culturelle, qui en fait une transmission plutôt qu’une simple communication. Dans la mesure où c’est l’identité culturelle qui est l’objet du transfert, la traduction s’enrichit non seulement de la dimension sociale dont parle Cronin, mais également de la dimension profondément individuelle qui donne valeur à l’acte traductif visible et, par là, responsable.
7De cette notion de transmission, nous pouvons également rapprocher celle d’héritage que développe Derrida dans Spectres de Marx. Pour lui, « [l]’héritage n’est jamais un donné, c’est toujours une tâche1004 ». C’est dire que la valeur de ce qui est transmis ne peut être que celle de la transmission elle-même. De plus, ce qui est transmis est tellement déterminant pour ceux qui en héritent qu’il est au fondement de ce qu’ils sont :
Être, [...] cela veut dire [...] hériter. Toutes les questions au sujet de l’être ou de ce qu’il y a à être (ou à ne pas être : or not to be) sont des questions d’héritage. [...] Nous sommes des héritiers, cela ne veut pas dire que nous avons ou nous recevons ceci ou cela, que tel héritage nous enrichit un jour de ceci ou cela, mais que l’être de ce que nous sommes est d’abord héritage1005.
8Ainsi, du fait de la responsabilité que portent la traduction et le traducteur dans la transmission de ce qui nous constitue, la valeur d’usage qu’ils représentent est, à l’ère de la globalisation, incommensurable à ce à quoi la logique contractuelle et commerciale de l’appropriation nous convie, dans la mesure même où le savoir et l’immatériel en général qui sont transmis constituent un bien collectif non marchand, donc gratuit. C’est justement parce que les richesses naturelles, comme la lumière du soleil et l’air, sont gratuites qu’elles appellent l’éthique et que la responsabilité de leur transmission est d’autant plus grande. Mais comment faire pour que le droit porte enfin la responsabilité de préserver les fins de l’existence lorsqu’il ne s’occupe que de préserver ce qui nourrit le seul ordre des moyens, de l’utile, du ponctuel ? Le « droit moral » pourrait-il être le garant d’une pareille responsabilité ? Certes, non. Car il ne préserve la valeur que de ce qui est attaché à l’ordre de la fondation, du mythe de l’origine et de l’auctorialité, alors qu’il ne préserve que de façon très secondaire ce qui est de l’ordre de l’héritage, du flux permanent et, en fin de compte, de la traduction.
9À lire Derrida, non seulement le droit est présenté comme un processus d’héritage, mais on peut dire dans le même sens que la traduction elle-même en est un également :
Hamlet maudit la destinée qui l’aurait destiné à être l’homme du droit, justement, comme il maudissait le droit même qui aurait fait de lui un redresseur de tort, celui qui ne peut venir, c’est-à-dire dans une génération nécessairement seconde, originairement tardive et dès lors destinée à hériter. On n’hérite jamais sans s’expliquer avec du spectre et, dès lors, avec plus d’un spectre. Avec la faute mais aussi l’injonction de plus d’un. Voilà le tort originaire, la blessure de naissance dont il souffre, une blessure sans fond, une tragédie irréparable, la malédiction indéfinie qui marque l’histoire du droit ou l’histoire comme droit : que le temps soit out of joint, voilà qui est aussi attesté par la naissance même quand elle voue quelqu’un à n’être l’homme du droit qu’en héritier redresseur de tort, c’est-à-dire en châtiant, punissant, tuant. La malédiction serait inscrite dans le droit même. Et son origine meurtrière1006.
10La traduction, le traducteur, l’héritier en somme, sont condamnés à la responsabilité de « rendre justice [...] à restituer, à faire droit, mais pour la justice comme incalculabilité du don et singularité de l’ex-position an-économique à autrui. “La relation avec autrui – c’est-à-dire la justice”, écrit Lévinas1007 ».
11De fait, il ne s’agit pas par là de rejeter avec mépris l’« économique » sous prétexte que la globalisation que nous connaissons aujourd’hui est sous-tendue par un discours qui dévalorise la justice et d’autres valeurs telles que l’engagement traductif et la médiation culturelle responsable. Au contraire, il sera question, dans ce chapitre, de considérer l’économique sous un nouveau rapport où il n’est ni le seul critère de valorisation d’un acte ni le cadre conceptuel parfaitement autonome et dominant que le néolibéralisme cherche à imposer. Il nous importera en effet de montrer comment la dimension non marchande de l’économique, tel que nous l’envisageons, est une perspective sur l’intégration respectueuse de l’espace de la culture et de l’éthique que suppose une pareille démarche. L’économique n’étant plus libre de justifier sa domination sur les autres sphères du social par l’instrument du droit, il lui appartiendra alors de développer une relation d’interdépendance plus équitable avec le politique et le culturel.
12Cela étant, la relation apparemment tendue entre les aspects économique et culturel du droit de la traduction et du traducteur demeure un enjeu fondamental de notre discussion. Il n’est pas question pour nous, en les distinguant de façon contrastée, de les opposer catégoriquement, puisqu’il est possible de les redéfinir et d’élargir ainsi leur portée respective. En effet, de même que les notions de « politique1008 » et d’« économique1009 » ont été l’objet d’une réévaluation par Michel Foucault dans son analyse de la société et de l’époque dans lesquelles il vivait, il est nécessaire pour nous de prendre d’abord la mesure de notre environnement économique, politique et culturel, puis d’en proposer une lecture au bout de laquelle nous tenterons de formuler de nouveaux objectifs généraux dans lesquels s’inscrirait la problématique spécifique de cette recherche. C’est que ces trois domaines (économie, politique et culture) représentent aujourd’hui le cœur des enjeux du nouvel ordonnancement du monde.
13Il s’agira donc, dans ce chapitre, de dégager, en partant des analyses critiques des concepts d’économie, de politique et de culture qui ont contribué à façonner le discours juridique sur la traduction, les grands traits de ce que nous appellerions avec Foucault une « nouvelle épistémè » de la traduction et de son droit. Bien que le politique soit partagé entre l’économique et le culturel, il nous a paru plus important, dans la perspective de ce travail, de l’associer avec le premier sans pourtant négliger sa portée dans le second. C’est pourquoi le présent chapitre sera constitué de trois parties. La première sera consacrée à l’aspect économico-politique du droit de la traduction. Il nous importera, d’une part, d’y décrire les logiques économiques qui sont à l’œuvre et que le droit contribue à développer et, d’autre part, de saisir, au moyen de la métaphorisation politique de la traduction, les constructions discursives de la globalisation économique au cœur du droit international actuel. La deuxième partie voudra articuler la précédente et la suivante grâce à l’exemple à la fois concret et charnière que constitue le DA, entre économie et culture, dans le cadre des accords relatifs à la propriété intellectuelle de l’OMC. La troisième partie, enfin, est dédiée à l’aspect politico-culturel du droit de la traduction. Après avoir déterminé l’origine des difficultés que représente la politique culturelle du nouvel Empire, nous tenterons de proposer une justification à la résistance culturelle que peut constituer la traduction face à l’altérité. Nous tâcherons dès lors d’expliquer en quoi le droit de la traduction n’est pas seulement l’apanage de la discipline juridique, mais qu’il peut vraisemblablement se prêter à devenir un nouveau champ d’étude pour la traductologie.
1. L’aspect économico-politique du droit de la traduction
14La traduction possède cette particularité de nous mettre d’emblée, si ce n’est au contact de l’autre, du moins dans la conscience de l’altérité. C’est en ce sens d’ailleurs que les rapporteurs des conférences qui ont fondé l’Union de Berne se sont accordés pour proclamer la traduction comme « la question internationale par excellence1010 ». Vouée au nomadisme culturel entre les langues et les peuples, la traduction incarne ce paradoxe d’être à la fois marque de distance (« a therapy of distance. » selon Cronin1011) et effet de proximité, voire d’identité. La traduction voyage, traverse d’énormes espaces pour rendre le lointain accessible, mais en même temps donne cette illusion que ce qui relève d’une autre aire culturelle et d’une vision du monde nécessairement différente peut être proche, au point d’être capable parfois de laisser croire qu’il s’agit d’un produit local, émanant de soi. En somme, si toute la littérature qui a réfléchi au phénomène de la traduction a témoigné de sa duplicité (« Traduttore, tradittore »), jusqu’à l’œuvre de Derrida qui a traité de la traduction comme « différance », comme « double bind » ou encore comme « spectre1012 », c’est qu’elle représente cette figure paradigmatique qui peut se retrouver sur le terrain de plus d’un domaine d’intérêt à la fois. À la croisée de l’économie (échange de l’identique et du même) et de la politique (gestion du soi et de l’autre), la traduction a néanmoins un rapport de dépendance vis-à-vis du droit (prescription des limites) qui la soumet à un horizon épistémique contre-nature. Comment en effet peut-elle représenter cette ouverture ontologique sur l’altérité et se voir en même temps déterminée par un ensemble de normes qui parviennent, par les voies de l’économie et de la politique, à la dénaturer et à en faire le servile instrument du marché, de l’accumulation et de la domination de l’autre ? Comment la traduction est-elle empêchée de prétendre à une dimension où elle serait en mesure de proposer ses propres modèles économiques et politiques ?
15C’est en ce sens que nous voudrions considérer la traduction non plus exclusivement comme une pratique ou une discipline, mais comme un paradigme polymorphe, une sorte d’opérateur transdisciplinaire qui nous aide à repérer les récurrences d’un discours plus spécifiquement juridique. Mais alors que nous voudrions proposer l’élargissement de notre conception de la traduction à la hauteur d’un paradigme, le droit de la traduction que nous soumettons à la réflexion ne saurait nous faire faire l’économie d’une reconsidération similaire quant au DA et au droit plus généralement. C’est que l’influence du droit sur l’économique et le politique est telle qu’il s’agira d’en montrer les distorsions et de souligner les éléments qui peuvent contribuer à mieux comprendre le fonctionnement de la globalisation et ses implications au regard de la différence en général et des aires économico-politiques les plus défavorisées.
16En fait, on peut se demander avec Cronin s’il faut plutôt parler de traduction et de globalisation1013, c’est-à-dire de la traduction comme un produit dérivé (« by-product »), une valeur d’échange, ou de la mondialisation en tant que traduction (« constituent »)1014, c’est-à-dire de la traduction comme le processus privilégié au cœur d’une mondialisation des rapports humains qui ne se réduirait pas au seul critère économique. C’est que la globalisation n’est pas comme les autres mondialisations passées ; beaucoup de ses traits ressemblent à s’y méprendre à ceux de la traduction : connexité, interdépendance, réduction de l’espace et du temps1015, localisation, etc. Le pouvoir de rapprochement de la globalisation et sa capacité de faire illusion sur les distances spatiales et temporelles ne sont pas différents de celle dont se prévaut la traduction elle-même. Il serait cependant abusif d’insister sur cette assimilation sans en chercher les limites. Quels que soient les points communs qu’on peut trouver à ces deux processus, il n’en reste pas moins que la dimension éthique que nous identifions dans celui de la traduction la distingue de celui de la globalisation dans la mesure où ce qui préside à la transformation traductive n’est pas le résultat d’un déplacement, de sa contraction ou de la rapidité de leur exécution – propres aux objets de la globalisation –, mais la médiation traductive qui donne sens et valeur à la mise en relation des objets traduits. Autrement dit, grâce à l’intégration de l’élément éthique au cœur du processus traductif, nous passerions du paradigme de la globalisation, c’est-à-dire de la « translation » géométrique et linéaire des normes et du sens au mépris du contexte et des différences, ou encore de la « translation » de corps (morts) entre divers lieux de convergence (pèlerinage), vers le paradigme de la traduction telle que nous l’entendons, c’est-à-dire comme justice au sens de Lévinas, ou encore comme héritage au sens de Derrida. De la « translation » à la « traduction », il y a toute la distance qui sépare la neutralité d’une action par opposition à l’engagement impliqué par une autre.
17De fait, c’est l’évolution du contexte qui dicte l’adoption du paradigme le plus propice. Mais quel est-il au juste ? Avons-nous bien compris ce que signifie la « globalisation » et comment nous sommes passés des mondialisations précédentes à celle que nous vivons aujourd’hui ? En quoi est-elle déterminante pour configurer le nouveau paradigme de la traduction que nous suggérons ?
A. Des empires coloniaux à l’Empire postmoderne
18Afin de bien comprendre les enjeux du DA et leur détermination dans le discours juridique sur la traduction, il nous faut situer le DA dans l’évolution plus générale du droit occidental, entre modernité et postmodernité. Le droit étant le principal pilier sur lequel se fonde le nouvel ordre du monde, puisqu’il s’exprime sous une forme juridique (communauté internationale1016), il est par conséquent nécessaire d’en retracer brièvement la généalogie. C’est que le cadre juridique international dans lequel nous vivons aujourd’hui ne peut être saisi comme un simple processus au destin duquel ne présiderait que la fameuse « main invisible » des économistes néolibéraux, mais comme un projet complexe qui déploie les signes de son organisation et de ses origines historiques ; un projet dans lequel il nous faut d’ailleurs recadrer notre problématique. Ce n’est qu’en prenant la peine de retrouver les principaux traits de la structure et de la logique du paradigme juridique précédent et actuel que nous serons en mesure de formuler un nouvel horizon pour le droit de la traduction et du traducteur de demain.
19Selon Hardt et Negri, la notion d’ordre international remonte à l’histoire européenne du XVIIe siècle avec les traités de Westphalie (1648) et devient de nouveau une préoccupation puisqu’elle connaît actuellement une crise sans précédent1017. C’est avec la naissance des Nations Unies, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, que l’on peut assister à la consolidation de l’ordre juridique international, d’abord européen puis mondial1018. Mais aujourd’hui, suggèrent les auteurs, la notion d’ordre international révèle ses limites et se trouve dépassée par celle d’ordre mondial. En fait, les « Nations unies fonctionnent comme un pivot dans la généalogie du passage de l’International au mondial dans les structures juridiques1019 ».
20Alors que toute l’œuvre de Hans Kelsen1020 visait à fonder le droit international, que devaient incarner les Nations unies, sur le principe d’égalité des États-nations qui seraient organisés comme une « communauté universelle supérieure aux États particuliers et qui les englobe tous en elle1021 », les expériences plutôt mitigées de l’organisation ont laissé se former ce que Hardt et Negri appellent « le concept juridique de l’Empire1022 ». Si le droit international s’est construit sur la « translation » du modèle qui avait présidé à la formation de l’État-nation pour construire un pouvoir de dimension supranationale, le nouveau pouvoir impérial ne peut s’en satisfaire. Il lui fallait un changement de paradigme. Pour Hardt et Negri, ce n’est plus une volonté de type transcendantal qui peut être à l’origine du nouvel ordonnancement, mais le processus même de la mondialisation qui est aujourd’hui « une source de définitions juridiques tendant à projeter une configuration supranationale unique du pouvoir politique1023 ».
21D’une situation où le monde était sous l’emprise de rivalités entre diverses puissances impérialistes, on est passé à l’idée d’un « pouvoir unique qui les surdétermine toutes, les structure d’une façon unitaire et les traite sous une notion commune de droit qui est résolument postcoloniale et postimpérialiste1024 ».
22De fait, le changement de paradigme du droit impérialiste ancien vers le droit impérial actuel participe de la même évolution qui nous a fait passer de la modernité vers la postmodernité. Alors que la pensée moderne était déterminée par le rejet des frontières conceptuelles qui caractérisaient les anciens régimes avec de nouvelles catégorisations pas moins taxinomique tout en consacrant progressivement l’immanence comme nouvel horizon d’investissement, la pensée postmoderne – définitivement installée sur l’unique plan de l’immanence – se définit en revanche comme le paradigme de l’indétermination, du paradoxe et de la relativisation absolue où tous les « grands récits » sont désormais évacués1025. Il en est pareillement pour le passage du paradigme du droit impérialiste vers celui du droit impérial. En effet, alors que dans les deux cas l’objectif de domination est le même, la subtilité de la méthode récemment adoptée est significative de la profondeur avec laquelle le nouveau discours juridique est parvenu à influencer le quotidien des sociétés et des individus. De fait, on est passé de la confrontation armée à une hégémonie de type économique et géostratégique, de l’exploitation économique directe des richesses naturelles à une légitimation par le droit d’une dépendance économique souterraine, de la colonisation directe des sociétés à une main mise à distance sur les productions de l’esprit par le monopole des connaissances, et de l’utilisation de l’intelligentsia colonisée pour relayer le discours impérialiste à une médiatisation de masse directe et permanente. Alors que le droit impérialiste était soumis à des forces connexes brutales qui l’assombrissaient et l’aliénaient comme appareil de justice, le nouveau droit impérial s’est institué, au contraire, comme le centre du système et le garant principal de la légitimité de ses entreprises, selon les termes de Hardt et Negri :
[...] une nouvelle notion du droit ou plutôt une nouvelle inscription d’autorité et un projet nouveau de production des normes et des instruments légaux de coercition garantissant les contrats et résolvant les conflits1026.
23La philosophie politique a de tout temps posé la question des sources de l’autorité et de la souveraineté. Pour Hardt et Negri, il ne fait pas de doute que le droit postmoderne constitue la nouvelle fondation du pouvoir politique mondial :
En étudiant et critiquant les nouvelles formes de loi internationales et supranationales, nous serons dans le même temps conduits vers le cœur de la théorie politique de l’Empire, où la question de la souveraineté supranationale, sa source de légitimité et son exercice concentrent l’attention sur les problèmes politiques, culturels et finalement ontologiques1027.
24C’est en ce sens que les auteurs proposent une généalogie du « concept juridique d’Empire » en remontant jusqu’à l’ancienne Rome et qu’ils identifient les valeurs, nécessairement universelles, sur lesquelles se fonde le droit de l’Empire : la paix et la justice1028. De fait, la dimension éthique du droit impérial est une de ses principales caractéristiques, avec la résurrection notamment du concept de « guerre juste1029 ».
25Une autre source de légitimité de l’Empire par le droit est celle de l’exception. C’est sur le terrain privilégié de la crise que les lois nationales et supranationales sont produites. Les normes juridiques sont donc le résultat d’interventions de « police » traitant les interventions internationales comme internes, plutôt que comme des ingérences. À telle enseigne que Hardt et Negri s’interrogent à raison sur la légitimité du mot « droit » dans ce contexte :
Comment pouvons-nous appeler droit – et spécifiquement droit impérial – une série de techniques qui, fondées sur un état d’exception permanent et sur le pouvoir de la police, réduisent le droit et la loi à une simple affaire de pure efficacité répressive1030 ?
26Mentionnons encore une dernière caractéristique importante de ce droit impérial. À l’instar de la constitution de la souveraineté de l’Empire selon une configuration en réseaux par opposition à la stratégie impérialiste de l’État-nation qui se pose comme centre, le droit du nouvel ordre mondial est structuré de telle manière qu’il a fait des domaines de l’information et de la communication – que le DA administre – le cadre privilégié pour son autojustification. Ainsi, pour Hardt et Negri, la légitimation du nouvel ordre mondial trouve une extension supplémentaire et plus efficace que toute autre puisque :
[...] elle n’est pas née des accords internationaux existant antérieurement ni du fonctionnement des premières organisations supranationales embryonnaires, elles-mêmes créées par des traités fondés sur la loi internationale. La légitimation de la machine impériale est née – au moins en partie – des industries de communication, c’est-à-dire de la transformation du nouveau mode de production en une machine. C’est un sujet qui produit sa propre image d’autorité [...] son propre langage d’autovalidation1031.
27Ainsi, le droit impérial trouve dans les objets qu’il administre, à l’aide du DA notamment, le moyen par lequel il va se renforcer et atteindre un degré de légitimité moins superficiel que celui atteint dans le paradigme précédent. En effet, dans la mesure où c’est l’information, contrôlée par le droit, qui médiatise le nouveau paradigme juridique, la mondialisation économique se retrouve promue par le discours même qui produit sa propre efficace. Le DA serait donc, selon nous, le centre névralgique de tout l’appareil législatif international de l’Empire. Mais il serait encore faux de parler de centre autrement que par métaphore, étant donné que non seulemen les formes du droit impérial épousent celles du réseau, mais que la voie par laquelle celui-ci est désormais conforté et autorisé n’est rien d’autre que celle du réseau (d’information). Le message est aussi bien dépendant du médium qu’il l’est de l’appareil juridique qui administre ce dernier.
28C’est en ce sens que nous proposons de nous référer à la traduction comme opérateur conceptuel privilégié afin de résister aux processus d’une nouvelle souveraineté qui, pour ne pas utiliser les mêmes méthodes que l’impérialisme, n’en demeure pas moins hégémonique et répressive. Pensant en premier lieu à la traduction et au droit qui doit la porter pour réaliser ces fins, nous rejoignons Hardt et Negri dans leur engagement :
Notre tâche politique [...] n’est pas simplement de résister à ces processus mais de les réorganiser et de les réorienter vers de nouvelles fins. Les forces créatrices de la multitude qui soutient l’Empire sont tout aussi capables de construire de façon autonome un contre-Empire, c’est-à-dire une organisation politique de rechange des échanges et des flux mondiaux. Les luttes visant à contester et subvertir l’Empire, aussi bien que celles destinées à construire une réelle solution de remplacement, se dérouleront ainsi sur le terrain impérial lui-même – et de fait, des luttes et bien d’autres comme elles, la multitude aura à inventer de nouvelles formes démocratiques et un nouveau pouvoir constituant qui, un jour, nous emporteront à travers et au-delà de l’Empire1032.
29Mais en attendant, il nous faut examiner de plus près les mécanismes de dépendance qui soumettent les peuples (anciennement) colonisés aux puissances impérialistes au moyen de la relation paradigmatique qui met aux prises l’œuvre originale avec la traduction. C’est qu’en vue de pouvoir résister à l’Empire et à sa logique subtile et modulatrice, il est nécessaire de reconsidérer l’économie des relations de pouvoir qui président à l’asymétrie fondamentale qui les stigmatise. Qu’est-ce qui, dans la relation de dépendance coloniale, témoigne de la possibilité de retrouver des valeurs positives ? Lequel du colonisateur ou du colonisé est-il débiteur de l’autre ?
B. La dette : une construction discursive
30Alors qu’au premier abord il semble que rien ne rapproche la traduction et le droit, nous nous apercevons que des bases communes lient les deux disciplines : de même que la traduction résulte de la compréhension d’un texte de départ (original), de sa lecture et, par conséquent, de son interprétation, il en est ainsi du droit qui implique la lecture et l’interprétation de textes1033. Dans les deux cas, il y a d’abord la relation qui existe entre une origine et sa transformation, sa transmission : le droit renvoie le texte normatif à son interprétation et à son application, alors que la traduction renvoie le texte original à sa réécriture dans une autre langue, une réécriture qui implique un double déplacement, à la fois culturel et spatio-temporel. Les deux sont ainsi saisis dans ce que Steiner appelle un « mouvement herméneutique1034 ».
31À l’instar de la relation mettant aux prises le droit avec la littérature qui, entre autres enjeux, soulève la question de savoir si l’interprétation devrait tenter de rechercher l’intention de l’auteur, la comparaison du droit et de la traduction nous projette dans la problématique habituellement organisée autour de la primauté de l’origine (l’auteur, le législateur ; le texte original, la législation) par opposition à ladite nature secondaire du texte qui suit ou qui en dérive (commentaire, critique, traduction, interprétation ou jurisprudence).
32L’interconnexion qui existe entre la traduction et le droit est cependant bien plus que disciplinaire puisqu’elle va jusqu’à rendre chacun comme le composant de l’autre : notamment dans le cas des aspects juridiques de la traduction et de la question des DT. La traduction n’a pas seulement lieu dans le cadre de limitations juridiques (DA), mais – c’est l’argument que nous voudrions avancer – la traduction, considérée d’un point de vue traductologique, peut être l’occasion pour le droit de réfléchir sur ses fondements et de fonctionner comme un instrument politique et économique. Ainsi, alors que le droit de la traduction doit être analysé depuis les points de vue du droit et de la traductologie, nous n’en ferons qu’une rapide mention dans la perspective juridique, sachant que notre intérêt va plus particulièrement à l’examen du droit de la traduction selon les grilles de la traductologie, de la philosophie et de la théorie littéraire. C’est d’ailleurs de cette dernière que viendront les objections les plus importantes.
33Cette section s’articulera autour de cinq points majeurs. En ayant à l’esprit nos précédents développements sur l’histoire du DT dans le cadre du DA international et la position de ce dernier sur la relation qui existe entre la traduction et son original, nous tenterons dans le premier et le deuxième point d’examiner leur relation institutionnalisée selon une perspective traductologique, autrement dit interdisciplinaire, et de les éprouver au regard de théories provenant des domaines de la philosophie et de la critique littéraire. Notre tâche consistera à montrer comment la métaphorisation de la relation entre traduction et original reflète l’histoire des relations qui met aux prises colonisés et colonisateurs depuis la Renaissance jusqu’à aujourd’hui. Enfin, dans un cinquième et dernier point, nous conclurons cette section en discutant le concept de dette tel que développé par Jacques Derrida en vue de souligner le besoin de rétablir une relation plus éthique entre les pôles asymétriques du monde.
a) Enjeux philosophiques relatifs à la traduction
34On rappellera que le DA considère que la traduction, bien que protégée comme une œuvre originale, n’a cependant pas le statut d’une « œuvre originale » mais d’une « œuvre dérivée ». La raison qui préside à cette catégorisation juridique semble résulter d’une conception de la traduction comme transformation d’une œuvre antérieure déjà existante. Traduire signifie soumettre un texte original à un processus de décodage duquel dérive un « équivalent » dans une autre langue au moyen d’une opération de recodage1035. Ainsi, la traduction est considérée comme subordonnée au texte original sans lequel elle n’existerait pas. Cette conception juridique de la nature secondaire de la traduction est fondée sur une vision étroite du processus traductif : étant donné que la traduction, dans une linéarité temporelle, vient après un texte original, l’essence de la traduction en devient affectée. Elle est considérée comme secondaire par définition, une pâle copie, même pas un simulacre, au sens de Baudrillard, c’est-à-dire quelque chose qui remplace un original qui n’existe plus.
35Bien que la traduction semble être dépendante d’un texte source, valorisé par son antériorité, le DA accorde cependant un certain degré d’originalité à la traduction et lui garantit une protection dans la mesure de sa contribution à l’œuvre préexistante. On en trouve trace aussi bien dans le DA états-unien (17 U.S.C. § 103 (b)) que dans la Convention de Berne (article 2 (3) « Œuvres protégées ») :
DA états-unien : Le droit d’auteur sur une compilation ou une œuvre dérivée ne porte que sur le matériel fourni par l’auteur de ladite œuvre, et non sur le matériel préexistant utilisé dans l’œuvre, et n’emporte aucun droit exclusif sur ce dernier.
Convention de Berne : Sont protégés comme des œuvres originales, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale, les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d’une œuvre littéraire ou artistique.
36Il est donc clair que, d’après le DA, l’œuvre « sous-jacente » (underlying) à la traduction ne peut être simplement ignorée dès lors que la traduction a été entreprise. Les droits de l’auteur sont non seulement protégés dans une portion de la traduction, dans la mesure où le droit du traducteur ne s’étend pas à la totalité de la traduction, mais ladite œuvre originale est considérée comme présente, comme un palimpseste, sous les strates de la textualité traduite de la langue étrangère. À l’instar de Derrida dans sa relecture de Hamlet, le spectre du « père » (l’auteur) est toujours présent, bien qu’indécidablement présent et absent à la fois. Plutôt présent qu’absent dirait le DA. Cependant, pourquoi la traduction, qui est reconnue dans le DA international comme un droit séparé des autres formes de reproduction, est-elle tout de même considérée comme un moyen de copie malgré sa fonction doublement transformative ? D’une part, la langue (forme) de l’œuvre change, et, d’autre part, l’œuvre passe d’un potentiel d’interprétations et de lectures culturellement influencées vers un autre potentiel, ajoutant une dimension supplémentaire à l’original. Ainsi, la traduction qui en résulte échappe nécessairement – du moins en partie – aux déterminations interprétatives de l’original. Dans la mesure où elle implique un changement de forme, la traduction peut-elle être considérée comme une œuvre dérivée, sachant qu’« [une œuvre] auctoriale consiste dans une expression originale, c’est pourquoi la protection juridique s’applique uniquement aux formes, et non aux idées1036 » ? Autrement dit, comment le texte original peut-il demeurer présent dans une traduction lorsque le transfert de langue constitue un changement de forme et que c’est la seule forme – l’expression – qui est protégée par le DA ?
37La contradiction est pourtant soutenue par le DA et utilisée pour justifier la nature dérivée de la traduction et, par conséquent, sa dépendance à l’égard du texte original. Opposant une telle conception entre traduction et original, Derrida, commentant le concept de « survie » de Walter Benjamin, note que :
[...] la structure d’un original, c’est la survie, ce qu’il appelle « überleben », un texte original en tant qu’il ne se confond pas avec un corps organique, un corps physique, en tant qu’il est une chose, disons, de l’esprit, faite pour survivre à la mort de l’auteur, à la mort du signataire, pour être au-dessus ou au-delà du corps physique du texte, etc.1037.
38Un texte original est intimement lié à son contexte d’origine, alors qu’une traduction n’est que l’un des possibles du texte dans un autre contexte, soulignant sa différance avec l’original et lui offrant une survie, une nouvelle vie, une nouvelle identité. Ainsi, avec la survie de l’original, un nouveau texte est né : la traduction, avec son propre contexte et ses propres significations. Par opposition au DA, la philosophie du langage de Benjamin et le commentaire de Derrida libèrent la traduction de la dépendance absolue de l’original, mais sans les en séparer. De fait, Benjamin « maintient une opposition stricte entre original et traduction » qui répète par conséquent « “les bases de la loi” [...], qui conditionnent la possibilité même d’un droit d’auteur “réel”1038 ». Pour Derrida, cette opposition conduit à la reconsidération de leur pouvoir différentiel et marque une tendance vers un nouvel équilibre.
39Le concept de « survie » de Benjamin, tel qu’expliqué par Derrida, est important pour notre réflexion dans la mesure où il suggère une dépendance réciproque – et non une subordination – entre l’original et sa traduction1039. Le premier ne « produit pas ses récepteurs ou ses traducteurs, mais [...] les requiert, mande, demande et commande en posant la loi1040 ». L’original est alors en position de « dette » par rapport au traducteur qui prolonge sa vie et augmente sa valeur :
Et si l’original appelle un complément, c’est qu’à l’origine, il n’était pas là sans faute, plein, complet, total identique à soi. Dès l’origine de l’original à traduire, il y a chute et exil. Le traducteur doit racheter (erlösen), absoudre, résoudre, en tâchant de s’absoudre lui-même de sa propre dette, qui est au fond la même1041 [...].
40La relation entre les deux éléments est ainsi renversée, ou plutôt reconsidérée, rééquilibrée de manière à ce que la traduction soit dans une position ni de soumission ni d’« autonomie1042 » de l’original, mais préserve le minimum nécessaire pour leur interdépendance. La traduction fait également un don de valeur à l’original de sorte que ce dernier devient autant endetté à l’endroit de la traduction que celle-ci l’est à l’égard de l’original, bien que ce ne soit que cette dernière configuration de l’endettement qui est reconnue par le DA. Cela dit, et compte tenu de cette nouvelle conception, on peut se demander si la traduction est en fait un original, ou, comme le remarque Venuti, si elle est à la fois un original et pas un original1043. Est-elle « originale » parce que le texte original est toujours perceptible dans les lignes de la traduction, ou est-elle « originale » parce que sa contribution à la survie du texte original est telle que ce dernier est endetté vis-à-vis de la traduction ? Ainsi ils existeraient dans une relation, non pas de filiation, mais de dialogue et d’interaction qui caractérise les relations entre textes de manière générale.
b) La perspective progressiste de la critique littéraire
41Selon la théorie littéraire moderne, dès qu’un texte a été lu ou interprété – et même tout de suite après son écriture –, il n’appartient plus à l’auteur. L’œuvre échappe à son géniteur et devient la propriété éphémère des sujets qui l’ont reçu par l’intermédiaire des constructions complexes de leurs historicités respectives. Pour Roland Barthes, « [l]’Auteur, lorsqu’on y croit, est toujours conçu comme le passé de son propre livre1044 ». Ironiquement, le livre vient au monde au moment où l’acte de l’écriture s’arrête ; l’œuvre naît à « la mort de l’auteur ». Distinguant avec beaucoup de minutie entre « texte » et « œuvre », Barthes évoque « l’éloignement de l’auteur » et affirme que « le texte est lu sans l’inscription du Père1045 » ; autrement dit, de l’auteur. Ainsi, l’autonomie du texte et la liberté de sa lecture sont déclarées, donnant par la même occasion naissance au lecteur :
Ainsi, se dévoile l’être total de l’écriture : un texte est fait d’écritures multiples, issues de plusieurs cultures et qui entrent les unes avec les autres en dialogue, en parodie, en contestation ; mais il y a un lieu où cette multiplicité se rassemble, et ce lieu, ce n’est pas l’auteur, comme on l’a dit jusqu’à présent, c’est le lecteur : le lecteur est l’espace même où s’inscrivent, sans qu’aucune ne perde, toutes les citations dont est faite une écriture ; l’unité d’un texte n’est pas dans son origine, mais dans sa destination, mais cette destination ne peut plus être personnelle [...] la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur1046.
42Nous en retiendrons au moins deux idées pour notre propos. La première est l’importance accordée au lecteur. En plus de Barthes et du groupe Tel Quel en France, le lecteur a fait l’objet d’un intérêt particulier dans le courant herméneutique allemand appelé « esthétique de la réception » ou « théorie de la réception ». Après l’intérêt des romantiques pour l’auteur et celui, exclusif, de la nouvelle critique pour le texte, il était semble-t-il temps pour l’avènement du lecteur. Présentant la théorie de Wolfgang Iser telle que formulée dans The Act of Reading (1978) et The Implied Reader (1974), Terry Eagleton note que sans le lecteur « [...] il n’y aurait point de textes littéraires. Les textes littéraires n’existent pas lorsque rangés sur des étagères : ils constituent des processus de signification qui se matérialisent uniquement à travers la pratique de la lecture1047 ». Une façon de dire que la construction de ce que nous considérons être une œuvre littéraire dépasse largement la portée de l’auteur. Et Eagleton d’ajouter :
Le processus de lecture, pour la théorie de la réception, est un processus à jamais dynamique, un mouvement complexe qui se déroule à travers le temps. L’œuvre littéraire elle-même n’existe tout simplement que sous forme de ce que le théoricien polonais Roman Ingarden appelle un ensemble de schémas ou d’orientations générales que le lecteur doit réaliser1048.
43Ainsi, selon la terminologie de cette théorie, le lecteur contribue activement à la « matérialisation » du texte, à sa création en quelque sorte.
44La seconde idée que nous voudrions souligner, dans le passage de Roland Barthes cité plus haut, est le concept d’intertexte (« écritures multiples [...] qui entrent en dialogue les unes avec les autres »).
Tout texte est un intertexte ; d’autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables : les textes de la culture antérieure et ceux de la culture environnante ; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues1049.
45Ainsi, l’originalité littéraire n’existe pas et il ne peut y avoir de « première » œuvre littéraire. L’image romantique du génie créant une œuvre sans précédent ex nihilo n’est désormais plus valide : toute œuvre littéraire est constituée d’autres œuvres antérieures, ou « intertextuelle1050 ». Barthes souligne de surcroît que la multiplicité et le dialogue des cultures et des écritures sont situés du côté du lecteur, plutôt que de celui de l’auteur. Ce qui confirme de nouveau que la paternité d’un texte est à chercher du côté du lecteur, dans ce que Eagleton a appelé, en rapport avec Le Plaisir du texte de Barthes, « reading-as-writing1051 » (lecture comme écriture).
46Pareillement à ce qui vient d’être développé dans le champ de la théorie littéraire, nous voudrions suggérer qu’une traduction – bien que « dérivée » en quelque sorte d’un texte antérieur – ne contient pas son original entre ses lignes. Bien plutôt, la traduction, et en vertu de la transformation, voire de la transfiguration de la forme de l’original, devient un autre texte, une œuvre indépendante qui compte pour elle-même. Nous voudrions avancer l’idée selon laquelle une traduction n’existe pas en simultanéité avec son supposé « signifié transcendental », pour employer la terminologie derridienne, autrement dit le texte original, mais est libérée de son ombre métaphysique par le fait même du déplacement interprétatif qu’elle suscite, de la « matérialisation » ou de la « lecture-comme-écriture » qu’elle produit. Walter Benjamin avait en ce sens souligné, au début de son fameux essai « La tâche du traducteur », que la « traduction est un mode », une « forme1052 ». La transformation de l’identique démontre donc que cette opération est de nature formelle, relevant de ce qui permet l’altérité, la différence ; elle est transformation, le passage au-delà de soi vers l’autre, aboutissant à la traduction comme une entité autonome.
47Telle quelle, on pourrait dès lors conclure que cette approche est purement « cibliste » et ne considère que le texte d’arrivée au détriment, voire au mépris, du texte de départ, l’œuvre originale. Cependant, il nous faut préciser que ce résultat, quoique peu satisfaisant sur le plan de la théorie de la traduction, est d’abord motivé par notre perspective juridique sur la traduction dans le cadre du DA. En effet, nous considérons qu’en vue de se libérer de sa secondarité supposée « de nature », la traduction doit impérativement – pour des raisons que nous qualifions pour le moment de méthodologiques – commencer par un mouvement d’autonomisation vis-à-vis du texte original, jusqu’au point extrême de l’indépendance, avant de revenir à un état d’équilibre où traduction et original deviendraient « interdépendants1053 ». Pour reprendre une approche derridienne, nous dirons que la traduction trouve sa spécificité dans le « brouillage » qu’elle opère entre l’original et le dérivé.
48L’un des grands arguments de George Berkeley, philosophe anglais de l’idéalisme, est que « l’existence d’un objet perceptible ne peut être séparée du fait qu’il doit être perçu, parce qu’il est impossible de concevoir un objet perceptible qui ne soit pas perçu1054 ». Bien qu’apparemment peu commune, cette idée nous inspire cependant pour notre propos. En effet, si les textes littéraires (sur les étagères) n’existent pas lorsqu’ils ne sont pas lus, alors ils n’existent pas, pour employer le terme de Gérard Genette, dans le grand réseau de l’« hypertextualité » des langues humaines, ou, selon Benjamin, dans la vaste « réconciliation des langues »– la « langue pure » (die reine Sprache) –, lorsqu’ils ne sont pas traduits. Autrement dit, nous voudrions ici risquer la proposition selon laquelle la contribution de la traduction à l’ère de la globalisation va jusqu’à donner jour – est prometteuse de « croissance », selon l’expression de Benjamin – à l’œuvre originale.
49Après avoir présenté les racines philosophiques de la relation qui existe entre droit et traduction, revenons aux modes de conceptualisation où la tension qui met aux prises la traduction avec l’original se reflète sur le plan des liens économiques et politiques entre les nations. Quelle serait alors la portée d’une conceptualisation de la traduction tantôt comme un produit servile qui reçoit passivement sa substance de l’original, tantôt comme une conquête agressive de celui-ci ?
c) La traduction comme processus par opposition au produit de la traduction
50Dans un article souvent cité, « Gender and the Metaphorics of Translation », Lori Chamberlain présente un compte rendu de différentes représentations, trouvées dans la littérature et la théorie de la traduction, où une métaphore sexuée, fondée sur les oppositions maître/esclave, action/état, est utilisée pour dépeindre la relation qui existe entre l’auteur et le traducteur, l’original et la traduction, le traducteur et le texte. Révélant clairement son engagement féministe, Chamberlain écrit : « [...] ce qui doit être subverti est le processus par lequel la traduction se conforme aux constructions mentales relatives aux différences sexuelles1055 ». L’auteure montre dans ces représentations qui sous-tendent la métaphore générique, où, à l’inverse, la traduction peut être tantôt perçue comme l’objet d’une agression sexuelle, tantôt comme l’agent d’une conquête politique, d’une « colonisation1056 ».
51La structure de la relation entre l’original et la traduction, telle que présentée par Chamberlain, est de deux sortes. D’un côté, chaque fois que la traduction apparaît comme un processus d’« incorporation » ou d’« appropriation », elle joue un rôle « masculin » et est négativement connotée. D’un autre côté, lorsque la traduction et l’original sont considérés comme des produits, dans le cadre des hiérarchies sociale, politique et juridique, on donne à la première un rôle traditionnellement désigné comme « femelle » (il en est de même des valeurs de « fidélité » et de « chasteté » que l’on trouve ainsi formulées chez certains romantiques allemands1057), alors que le rôle du second devient « mâle » (les valeurs de « paternité » et d’« autorité »), ces rôles étant légitimés comme des états naturels1058. Ce qui est particulièrement remarquable dans la démonstration de Chamberlain est l’inversion des polarités et des attributions de genre lorsque la traduction est perçue depuis des perspectives différentes : en tant que processus, la traduction est une activité virile et agressive qui tient une position de première ligne parce qu’elle a initié le mouvement vers l’original conçu comme proie ; en tant que produit, la traduction est un résultat secondaire et dérivé de ce que la société (principalement le droit) a reconnu comme sa source absolue, c’est-à-dire l’original.
52En fait, cette dernière représentation de la traduction est clairement reflétée dans le domaine de la traduction juridique et critiquée de façon pertinente de l’intérieur, particulièrement par les chercheurs du droit comparatif qui soutiennent que l’orientation positiviste de la traduction juridique dévalorise le traducteur, et par conséquent son travail, dans la mesure où les traductions sont considérées comme devant être transparentes et révérencieuses à l’endroit du texte de départ.
53Ainsi, le statut de la traduction tel que nous l’avons vu dans le DA correspond précisément à la manière dont la pratique traductive est dépeinte dans le domaine de l’interprétation juridique : elle est « dérivée » à cause de la position ontologique de la législation en regard de son interprétation (traduction), et « secondaire », parce que, pour un juriste traditionnel, elle est fondamentalement perçue comme instrumentale, servile.
54En référence à la tentative de Serge Gavronsky1059 de libérer la traduction de son statut dérivé afin de lui faire atteindre le statut plus noble de création, Chamberlain déplore « les termes binaires » susmentionnés, où la traduction ne peut prendre l’initiative sauf si elle est marquée comme négative ou violente1060. Inspiré par le modèle herméneutique de George Steiner, le modèle « cannibale » de Gavronsky, bien que visant à « libérer le traducteur/la traduction des signes de la secondarité culturelle1061 », renverse simplement l’opposition binaire. Ainsi, contrairement à ce qui est habituellement le cas, désormais, selon Gavronsky :
[...] l’original a été capturé, violé et abusé incestueusement. Ici, encore une fois, le fils est le père de l’homme. L’original est mutilé jusqu’à être méconnaissable ; la dialectique maître/ esclave étant inversée1062.
55Quel est, cependant, le fondement d’un tel renversement ? Pourquoi cette opposition entre la traduction comme processus et la traduction comme produit ? Comment la traduction passe-t-elle de « masculine » à « féminine » ? Quelles sont les sources historiques des représentations de la relation entre traductions et originaux ? Y a-t-il une dimension politique à ce qui semble n’être qu’un débat purement théorique ?
d) Les leçons de l’inversion de la relation
56Prenant acte de la nature binaire de l’opposition entre les deux représentations de la relation qui existe entre la traduction et l’original, force est de constater qu’il s’agit d’un trait révélateur de notre héritage historique. Sur la base des études postcoloniales, il est clair que les caractérisations contrastées de la traduction correspondent au contexte historique dans lequel elle a été utilisée et que des liens plutôt étroits existent entre elles. Ainsi, Bassnett et Trivedi notent que :
[...] la traduction ne s’effectue pas dans le vide, mais dans un continuum [...] [Elle] n’est pas une activité innocente, transparente, mais elle est fortement chargée de signification à chaque étape ; elle implique rarement, sinon jamais, une relation d’égalité entre textes, auteurs ou systèmes1063.
57Ainsi, non seulement la représentation de la traduction comme processus est enracinée dans le contexte de son émergence comme un outil de domination, mais son statut légal, comme une image-miroir, a été similairement façonné à la même source. La traduction comme « œuvre manipulatrice » de signes (comme processus) représente la position du colonisateur, alors que la traduction comme « œuvre dérivée » (son statut légal) « [...] est la représentation du colonisé, qui a besoin d’être produite de manière à justifier la domination coloniale1064 ». L’instrument de la représentation est en même temps ce qui est représenté :
La notion de colonie comme copie ou traduction du grand Original européen implique inéluctablement un jugement de valeur qui place la traduction à un rang de moindre importance dans la hiérarchie littéraire1065.
58Étonnamment, cette peinture de la traduction ne diffère pas beaucoup de celle que s’en fait sa contrepartie, l’original. L’éminent statut accordé à l’original peut être retracé à la construction de l’identité européenne, tout le long de la Renaissance, alors que les frontières nationales commençaient à s’élever. Un pareil statut n’est cependant pas accordé aux textes qui sont produits par les colonisés. Les traductions coloniales traitent les originaux produits dans les colonies comme des propriétés gratuitement acquises, et leur originalité comme fondamentalement différente de celle des œuvres européennes. Bien qu’il occupe la même position en termes de processus traductif que l’original européen, l’original du colonisé ne peut prétendre à la même position de distinction. Alors qu’un « original » produit dans les nations colonisatrices est considéré « de facto supérieur1066 », un « original » des colonies est au mieux « différent » et peut-être même « étranger ». Et Bassnett et Trivedi de signaler : « Il est significatif aussi que l’invention de l’idée d’un original coïncide avec la période marquant le début de l’expansion coloniale, lorsque l’Europe avait commencé à s’étendre au-delà de ses propres frontières pour s’approprier d’autres territoires1067 ».
59Ainsi, il est clair que la relation entre l’original et la traduction est en fait modelée sur celle qui met aux prises les colons avec les colonisés. L’avènement du DA où les traductions sont devenues les propriétés des originaux (des auteurs) a presque coïncidé avec le moment où les colonies sont devenues la propriété des colonisateurs : « [...] il est maintenant, certes, reconnu que le colonialisme et la traduction étaient indissociables1068 ».
60Cela nous reconduit à la question de la légitimité du DA international dans la mesure où il devient évident qu’il a mis en place un système dont le développement est étroitement lié à celui de la civilisation occidentale. L’inversion entre la traduction comme un processus et la traduction comme statut est actuellement admise en droit, malgré le fait qu’elle implique deux poids deux mesures. En effet, la coexistence dans le droit des peuples indigènes de la traduction comme figure de la dérivation subordonnée (expropriation du colonisé) et de la traduction comme celle de l’original subordonnant (appropriation du colonisateur) est contradictoire. Ce qui révèle la capacité des parties hégémoniques à figer le flux du temps dans la mesure où il est à leur avantage en oubliant la spoliation du colonialisme, ainsi qu’il est déclaré dans les plus hauts niveaux des forums internationaux de propriété intellectuelle : il ne peut y avoir d’effet rétroactif pour la récupération des droits relatifs aux œuvres volées des pays colonisés durant la période de la colonisation1069. Cela étant, le statut de la traduction – actuellement globalisé – doit-il rester l’héritage d’un douloureux passé et devenir ainsi tout en étant dans les faits le fondement de ce qui fait office de symbole de la communication, voire de la transmission entre les époques et les cultures du monde, alors qu’en même temps la traduction est le moyen privilégié de leur métissage ?
e) La dette de la colonisation comme dette de la traduction
61La section précédente pointe vers le cœur de l’injustice perpétuée, pas seulement sur le plan concret, mais, plus pertinemment, sur le plan éthique. Dans une métaphorisation de la cartographie et de l’identité culturelle de l’Europe, Jacques Derrida, dans L’Autre cap, nous rappelle que l’Europe s’est longtemps considérée comme un « cap spirituel », « une idée universelle de sa propre mémoire », s’imaginant comme la plus complète expression de la civilisation mondiale ou de la culture humaine plus généralement. En ce sens, il note :
L’Europe se tient pour une avancée – l’avant-garde de la géographie et de l’histoire. Elle s’avance comme une avancée, et à l’autre elle n’aura cessé de faire des avances : pour induire, séduire, produire, conduire, se propager, cultiver, aimer ou violer, coloniser, se coloniser elle-même1070.
62Citant un document officiel du ministère français des Affaires étrangères concernant « La construction culturelle de l’Europe », Derrida attire notre attention sur certains mots et expressions employés, les reproduisant en italique : « “Il n’est pas d’ambition politique qui ne soit précédée d’une conquête des esprits : c’est à la culture qu’il revient d’imposer le sentiment d’unité, d’une solidarité européenne”1071 ». Cette conquête est naturellement étayée par le paradoxe d’une universalité inscrite sur le corps d’une seule culture, face au reste du monde :
Qu’elle prenne une forme nationale ou non, raffinée, hospitalière ou agressivement xénophobe, l’auto-affirmation d’une identité prétend toujours répondre à l’appel ou à l’assignation de l’universel. Cette loi ne souffre aucune exception. Aucune identité culturelle ne se présente comme le corps opaque d’un idome [sic] intraduisible mais toujours, au contraire, comme l’irremplaçable inscription de l’universel dans le singulier, le témoignage unique de l’essence humaine et du propre de l’homme1072.
63Le modèle décrit est très similaire à ce que nous avions vu dans la section précédente : la primauté de l’original, en Occident, dans son illusion de l’universalité de sa vocation singulière, est une construction de l’imagination européenne. À moins que cette dernière ne s’ouvre à une relation plus interdépendante avec ses traductions, son identité continuera à souffrir de ce que Carlos Fuentes1073 a appelé la « maladie » de l’originalité, « [...] la maladie d’une modernité qui ne cesse d’aspirer à se voir comme quelque chose de nouveau1074 ». L’originalité, si elle existe, est une « pureté dangereuse », l’illusion d’un absolu parmi les hommes. La traduction, par contre, trouve son lieu dans ce qui est caractéristique des êtres humains : la diversité des langues et des cultures. La vie est en fait un déploiement permanent, une traduction vers un Autre, un mouvement hors de soi vers les autres. Cette idée trouve expression notamment dans l’œuvre d’Octavio Paz qui écrit :
D’une part, le monde nous est présenté comme une collection de similitudes ; d’autre part, comme une masse grandissante de textes, dont chacun est légèrement différent de celui qui le précède : des traductions de traductions de traductions. Chaque texte est unique, bien qu’il soit, en même temps, la traduction d’un autre texte. Aucun texte ne peut être complètement original, parce que la langue elle-même, dans son essence propre, est déjà une traduction – d’abord, du monde non verbal et puis, parce que chaque signe et chaque phrase sont une traduction d’un autre signe, d’une autre phrase1075.
64L’ubiquité de la traduction dans tous les aspects de notre réalité rend problématique, voire contradictoire, sa relégation à une position secondaire telle qu’on peut le constater actuellement dans le cadre du DA plus particulièrement et dans les traditions littéraires et sociales plus généralement.
65La préoccupation qui motive notre plaidoirie pour la traduction est étroitement liée à ce que nous croyons être bénéfique à la collectivité humaine : l’appel est ici résolument éthique. Afin d’avoir une perception plus juste des autres, et de ne pas les exclure, il faut oser changer de perspective et essayer des alternatives. Derrida écrit en ce sens que :
[...] il faut se faire les gardiens d’une idée de l’Europe, d’une différence de l’Europe mais d’une Europe qui consiste précisément à ne pas se fermer sur sa propre identité et à s’avancer exemplairement vers ce qui n’est pas elle, vers l’autre cap ou le cap de l’autre, voire, et c’est peut-être tout autre chose, l’autre du cap qui serait l’au-delà de cette tradition moderne, une autre structure de bord, un autre rivage1076.
66Ce qui nous conduit à observer que la politique gérant la relation qui existe entre l’original et la traduction est en fait marquée par la responsabilité historique portée par l’Europe, dans la mesure où ses institutions culturelles (incluant le droit) sont ancrées dans l’héritage de la philosophie occidentale. La philosophie des Lumières le démontre nettement, particulièrement en ce qui a trait au droit. Se référant au texte Idee zu einer allgemeinen Geschichte in weltbürgerlicher Absicht (1784) de Kant, Derrida écrit :
[...] l’Europe gréco-romaine, la philosophie et l’histoire occidentales, j’oserais même dire continentales, jouent un rôle moteur, capital, exemplaire, comme si la nature, dans sa ruse rationnelle, avait chargé l’Europe de cette mission spéciale : non seulement de fonder l’histoire comme telle, et d’abord comme science, mais aussi de fonder une histoire philosophique rationnelle (non romanesque) et de donner un jour des lois à tous les autres continents1077.
67Notant ses réserves par rapport au concept kantien de « cosmopolis », Derrida signale qu’il n’y a pas de déterminations dans la philosophie occidentale qui la confinent à la dialectique du soi et de l’autre, parce que « [n]on seulement il y a d’autres voies pour la philosophie, mais la philosophie, s’il y en a, c’est l’autre voie1078 ». L’« autre voie », c’est la perspective de l’« autre cap » où la « dette », que Derrida a soulignée dans le cadre de son commentaire de « La tâche du traducteur » de Walter Benjamin et qui est actuellement portée par les pays en développement (les colonies), devrait être portée par les pays développés (les colonisateurs) eux-mêmes. Alors que les colonisés étaient librement et gratuitement l’objet d’appropriation et de traduction dans le passé, ils payent aujourd’hui, voire sollicitent les droits pour la traduction et la reproduction des œuvres qu’ils ont contribué à façonner. Si la dette doit être payée pour profiter à ceux que la traduction représente (les colonisés), et non l’original (les colonisateurs), alors ce dernier devrait « effacer » la dette qui est imposée à la traduction « au nom de la réaffirmation1079 » du devoir du plus fort, en souvenir de sa propre dette.
68Bien que le droit soit connu pour être un instrument destiné à la compensation des victimes de dommages, il est cependant étrange qu’il ait été – volontairement ou non – privé de toute mémoire par rapport à la dette que l’Occident a contractée auprès d’une grande partie du monde. Alors même que le DA se penche sur les possibilités qu’il peut offrir aux peuples indigènes pour assurer les droits de leurs « connaissances traditionnelles » à compter du temps présent, aucune voix ne s’est exprimée parmi les experts et les chercheurs en faveur d’un mécanisme de compensation rétroactive des pays et des peuples pour les artéfacts, connaissances traditionnelles et œuvres d’art appropriés durant la colonisation, et après. Même si le droit ne semble pas être sensible au sens éthique de la dette, notre espoir réside cependant dans le fait que la formulation de cette problématique puisse contribuer à une réflexion plus poussée en vue d’un DA éthique et d’un rappel de l’original – et de ce qu’il métaphorise – à ses devoirs pour plus de justice.
2. Entre économie et culture
69L’exemple de la dette nous donne une idée de ce que peuvent être les constructions discursives véhiculées par les différentes sphères d’influence, dont le droit. Si le discours du droit international, appuyé par les nouvelles formes répressives aux apparences « lisses » propres à l’Empire1080, se déconstruit au simple moyen d’une généalogie des économies politiques coloniales et globales, c’est que les fondements sur lesquels il s’est édifié appartiennent à la tradition philosophique occidentale. Il faudrait en ce sens entreprendre, dans une recherche ultérieure, une déconstruction systématique de tous les concepts et termes qui peuvent être pertinents à notre thématique et en mesurer la portée. Nous nous limiterons pour le présent ouvrage à n’en tracer que les grandes orientations.
70En attendant, force est de constater que l’économie de la traduction en regard du droit nous informe sur l’éthique dominante du rapport à l’altérité. À l’ère de l’Empire postmoderne, la distinction entre le soi et l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur, tend d’ailleurs à s’estomper. En fait, à l’instar de la théorie de la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama1081, Hardt et Negri déclarent en décrivant la souveraineté impériale que :
[...] il n’y a plus [... J d’extérieur au sens militaire. [...] [L’]ère des grands conflits est terminée : le pouvoir souverain n’aura plus à affronter son Autre ni son extérieur, puisqu’il va progressivement étendre ses frontières pour embrasser le monde entier comme son domaine propre1082.
71L’Empire semble en quelque sorte être prêt à se passer de la traduction. En effet, si la nouvelle souveraineté globale est capable, par un processus complexe d’effacement des frontières, d’intégrer toutes les altérités, alors il n’y a plus de raison pour se soumettre à l’exercice aliénant de la traduction (aller vers l’autre ou accueillir l’autre). L’illusion que susciterait l’Empire serait parfaite si nous devions en arriver là. Pour Hardt et Negri, le rapport à l’altérité ne s’est pas simplement annulé du fait de l’indétermination des frontières de l’intérieur et de l’extérieur propres au contexte postmoderne. Il est seulement devenu plus subtil.
72En ce sens, la question des différences culturelles et du racisme qui était très marquée à l’époque des impérialismes (l’Asiatique, l’Indien, l’Arabe, le Noir, le Nègre, etc.) n’est plus abordée de la même manière dans le paradigme de la postmodernité.
[...] [C]e serait une erreur [...] de poser l’apartheid ou les lois de Jim Crow comme le paradigme de la hiérarchie raciale. La différence n’est pas écrite dans la loi et l’imposition de l’altérité ne va pas aux extrêmes de l’Altérité. L’Empire ne pense pas les différences en termes absolus ; il ne pose jamais les différences raciales comme une différence de nature, mais toujours comme une différence de degré ; jamais comme nécessaires, mais toujours comme accidentelles1083.
73C’est dire que, d’une part, la responsabilité de voyager, d’aller vers l’étranger en traduisant l’autre, n’a plus à être assumée, et que, d’autre part, la différence – quoique de « degré »– est si réduite, ou supposée telle qu’elle ne fait pas l’objet d’un effort de connaissance de l’autre comme autre mais prend pour acquis sa transparence, sa traductibilité spontanée et son déchiffrement immédiat.
74À l’âge de l’Empire, on ne parlera plus d’ethnocentrisme culturel, mais d’hégémono-centrisme. En effet, les différentes conceptions de la politique, de l’économie et de la culture sont elles-mêmes réduites à la seule conception que s’en fait le discours dominant de la nouvelle souveraineté impériale. À la frontière de l’économie et de la culture, le DA est le domaine juridique par excellence qui peut le mieux représenter cette hésitation départageant plus d’une vision du monde sur la manière d’octroyer des droits aux producteurs d’objets de l’esprit. Dans la foulée de ce que nous avons identifié comme une entreprise nécessaire de déconstruction fondamentale des notions pertinentes à notre thématique, on pourrait se demander ce que signifie « l’économique » ou « le culturel », non plus en fonction des seuls repères du savoir occidental, mais plus radicalement comme données humaines dans la relativité des visions du monde qui s’offrent à la connaissance. Qu’est-ce que l’économique ? Qu’est-ce que le culturel ? Mais saisis dans d’autres sphères économiques et culturelles que celles que nous connaissons.
75En attendant, on peut se demander quelle part l’on doit faire à l’économique et au culturel dans le cadre du DA. En outre, rien n’indique quelle conception du DA doit prévaloir entre celle des pays développés et celle des pays en développement. L’incitation économique, que l’on invoque volontiers pour soutenir le DA actuel, n’est peut-être pas l’argument infaillible et indiscutable que l’on veut bien croire. C’est que le rapport de continuité entre motif économique et création littéraire et artistique n’est pas nécessairement déterminé.
76Les motivations matérielles peuvent être considérées comme des investissements pour l’avenir et une source de développement économique à long terme si, et seulement si. l’on s’accorde sur le fait que la « culture » est une manne de bien-être matériel et de bénéfices tangibles perçus selon la perspective économiste. Mais quelles sont les visions des différentes cultures des pays en développement en la matière ? Est-ce que les pays en développement devraient continuer à adopter les lois et leurs présupposés philosophiques à partir de leur conception « libérale » du développement économique et culturel ? Ou devraient-ils plutôt élaborer leurs propres modèles et proposer d’une manière constructive de nouvelles orientations sur le DA de même que la méthode avec laquelle elles devraient être appliquées dans les divers environnements des pays en développement qui veulent bien s’y prêter ?
A. La dimension culturelle du développement
77Afin de tenter d’apporter quelques éléments de réponse à toutes ces interrogations, nous reprendrons dans cette section le cas déjà évoqué des licences obligatoires pour les traductions (LOT)1084.
78Les dispositions des LOT sont si cruciales qu’elles touchent à un grand nombre d’enjeux différents. De fait, alors que le DA est habituellement conçu comme une incitation à créer plus de production intellectuelle et, par conséquent, plus de richesse, il est légitime de penser, en ce qui concerne les pays en développement, qu’au-delà de sa nécessité intrinsèque et de son utilité générale, le DA devrait avoir comme qualité première la promotion du progrès et de l’avancement. Or, il faut identifier le type de progrès que promeut le DA, puisqu’il peut s’agir d’un progrès purement économique ou d’un progrès à la fois social, éducatif et culturel. Il peut s’agir, plus globalement, de tous les aspects susmentionnés de la vie d’une communauté dont il faut tenir compte en vue de planifier un projet de développement. Cela étant, est-ce que les LOT peuvent constituer un instrument de développement et, si oui, sous quelles conditions le pourraient-elles ?
79Dans la mesure où toute société est constituée de plus d’une composante (en raison de toutes les subdivisions qui structurent son organisation), tout projet de développement qui s’y destine devrait normalement être envisagé de manière adéquate. Quel que soit le projet en question, il doit prendre compte tous les aspects qui constituent la dimension matérielle et morale de la société. Ainsi, en plus de la dimension économique de son développement, il faut également se tourner vers ses dimensions sociales, éducatives et culturelles. C’est dire que si les concessions du DA – telles que prévues pour les pays en développement par l’Annexe de la Convention de Berne – sont conçues comme un instrument de développement (p. ex., les LOT), toute réalisation de projet ne devrait pas se limiter à ses seules perspectives économiques, mais s’étendre plus largement à ses autres aspects. La culture est, en ce sens, un des angles d’approche les plus importants.
80Selon l’UNESCO, le concept de la « Dimension culturelle du développement1085 » advint dans les années 1980,
[...] [lorsqu’]il n’a plus été question de définir la Culture comme une dimension accessoire, voire ornementale, du développement, mais plutôt comme la structure même de la société dans son rapport global au développement et comme la force interne de ladite société1086.
81En fait, cette définition de la culture fut adoptée à la Conférence mondiale sur les politiques culturelles qui s’est tenue à Mexico en 1982.
82Ce changement de conception se démarque de celle du développement qui avait été conçue en Occident depuis son industrialisation. De fait, jusqu’à très récemment seulement, le modèle de développement strictement économique – ou économiste – était le standard par excellence. Une pareille conception supposait qu’une société pouvait se développer principalement si les instruments économiques et les moyens nécessaires étaient – presque exclusivement – réunis pour obtenir un résultat attendu. Mais la crise sociale et les problèmes d’environnement qui commencèrent à meurtrir l’Europe au début des années 1980 ont mis au jour de nouvelles approches sur la question du développement en général.
83Sur le plan intergouvernemental, la Conférence de Mexico a établi un nouveau critère. Le rapport final déclare :
Le développement est « un processus complexe, global et multidimensionnel qui va au-delà de la simple croissance économique pour prendre en compte toutes les dimensions de la vie et toutes les énergies d’une communauté, dont tous les membres sont appelés à apporter leur contribution et peuvent s’attendre à y partager les profits1087 ».
84Alors que les concepts de culture et de développement ont évolué, les dimensions éthiques et morales de la vie en communauté ne pouvaient plus être ignorées. Le progrès doit commencer à partir de l’état présent de tous ces domaines d’une société donnée1088. Si la société en question est multidimensionnelle, alors le développement doit être pareillement multidimensionnel. Ainsi, après avoir été placée dans la périphérie des projets, la culture est devenue – au moins théoriquement – une préoccupation centrale et a donné au « développeur1089 » une meilleure vision de l’étendue des facteurs non économiques.
85La perspective holistique de la « dimension culturelle du développement », par rapport à la manière dont les forums internationaux envisagent les problèmes des pays en développement, pose un certain nombre de questions : dans un pareil contexte, est-ce que la spécificité culturelle pourrait être un facteur de dissension ou plutôt un élément de réconciliation entre les populations des nations en développement ? Quels pourraient être les bénéfices à long terme, en faveur des pays en développement, d’une attention dédiée à la dimension culturelle d’une conférence économique internationale ? Serait-il légitime de proposer – dans le cadre d’une conférence comme celle de l’Union de Berne – que des anthropologues1090, entre autres des experts en sciences humaines, participent comme consultants pour discuter de questions juridiques impliquant l’engagement des pays en développement dans le système du DA international, en vue d’assurer un souci minimum par rapport à la dimension culturelle de la conception, du développement et de l’application du DA ?
Il y a du bon sens dans la littérature du droit d’auteur : une fois les questions de développement résolues en grande partie, les questions de droit d’auteur « s’accorderont » avec les structures des pays en développement. Cette approche ignore le fait que, dans le contexte du débat Nord-Sud sur la protection du droit d’auteur, on n’a jamais tenu compte des perceptions locales de biens matériels, en particulier les biens résultant d’un travail de création, et des valeurs locales qui déterminent le type de système de protection de ces biens [...]. La recherche académique de part et d’autre tend à se concentrer exclusivement sur l’impact que pourrait avoir la protection du droit d’auteur sur l’économie1091.
86Plus spécifiquement, les LOT peuvent être considérés comme des projets de développement. Les LOT peuvent être un moyen pour que les pays en développement intègrent le système de DA, tel que disposé dans l’Annexe de Berne, dans le corps de leur législation nationale. Les LOT peuvent graduellement améliorer le niveau de protection du DA et, dans le long terme, aider les pays en développement à épouser les dispositions de la Convention de Berne. Bien que la principale perspective des LOT soit clairement juridique, elle l’est cependant dans un sens plus large que celle d’un texte de loi. Les LOT pourraient avoir été conçues comme une stratégie pour que les pays les moins développés puisse adopter une conception de la propriété immatérielle et une utilisation de la connaissance inspirées par, voire ancrées dans la tradition occidentale1092. Cette stratégie des LOT signifierait donc que l’Annexe de Berne est pleine d’effets de distorsions culturelles.
87Les facteurs culturels devraient être considérés suffisamment tôt, dès le stade de la planification. Les facteurs culturels « peuvent soit constituer des contraintes, faisant ralentir l’économie, soit servir de stimulateurs au changement social1093 ». Le « stade du développement du projet » est celui où les conférences de révision revisitent le texte de la Convention et réadaptent la lettre et l’esprit de certaines parties des lois au contexte et à l’époque sans trahir l’essentiel de l’ensemble. Ainsi, la planification dans le contexte du DA pour les pays en développement offre le moment précis où doit être faite l’incorporation de la dimension culturelle.
88Ce que nous avons cependant constaté au cours de la révision de la Conférence de Paris est plutôt différent1094. La révision de 1971 a vu la délégation de Ceylan proposer d’amender l’article II (4) ainsi : « Toute licence, conformément aux paragraphes précédents, doit être accordée uniquement aux fins de l’enseignement, de l’érudition, de la recherche ou de la promotion de la culture1095 ». Cette proposition d’amendement fut cependant « omise », omission surprenante sachant que l’OMPI compte parmi ses tâches la promotion de la culture dans la « dissémination d’œuvres artistiques et littéraires1096 ».
89Remarquons cependant que les dispositions des LOT ont été formulées, en moyenne, moins de dix ans après le grand mouvement de décolonisation des années soixante1097. Il régnait alors une atmosphère particulièrement tendue de protestation exprimée par les nations nouvellement indépendantes, mais qui a, cependant, abouti à un « compromis » entre deux grands ensembles inégaux (les pays industrialisés et les nations en développement)1098. La révision de la Conférence de Paris ne reposait pas sur un partenariat constructif visant à édifier un système de DA international en tenant compte de chaque nation et des questions conceptuelles qui devraient préserver l’identité et les valeurs culturelles des deux parties.
90Ainsi, le souci des différences dans les valeurs culturelles par rapport aux dispositions des LOT aurait au moins eu le mérite de poser les problèmes suivants : les objets immatériels (connaissance, littérature populaire, enseignement spirituel, expression folklorique, etc.) peuvent-ils être une propriété individuelle et même un objet de commerce1099 ? Le produit de l’esprit ou l’expression individuelle d’une tradition communautaire peut-il être source de richesse1100 ? La traduction est-elle une activité indépendante, une production séparée de ce qui a été communément appelé composition « originale1101 » ? La traduction est-elle considérée dans certaines parties du monde comme le seul moyen pour la circulation de la connaissance et, ainsi, échappe à tout contrôle sous le régime du DA1102 ?
91De plus, l’intégration du DA et ses applications, conçues comme un projet de développement et destinées aux pays en développement, posent également la question du « changement » qui est sous-jacente au développement. C’est que le changement implique des répercussions culturelles, sociales et politiques qu’on ne peut négliger à aucun niveau d’une société. Il est en ce sens nécessaire de se demander si l’équilibre entre les intérêts intrinsèques et extrinsèques au changement est préservé, le changement n’étant propice ou même possible que dans certaines sociétés. Car le changement n’occupe pas forcément la même place dans le système culturel de chaque société, dans la mesure où les conditions de son changement peuvent sensiblement varier. Ces éléments sont essentiels, particulièrement là où les lois et les limites qui émanent d’une vision du monde donnée sont perverties, et même remplacées par la vision du monde dominante. Il n’y a cependant pas de volonté délibérée – ni du côté du « développeur » ni de celui du « développé »– pour repenser le « changement » dans une perspective visant à préserver simultanément son identité et sa culture.
92Toute tendance vers le changement (qu’il soit de type légal ou autre) implique nécessairement un effort minimal pour prendre en considération les problématiques prémentionnées. En ce qui concerne les dispositions des LOT, les objectifs sous-jacents sont d’une telle importance – au plan global des sociétés en développement – qu’ils méritent un intérêt particulier dans les institutions intergouvernementales (OMPI, UNESCO). Ces dernières devraient éviter de recourir à des discussions exclusivement légalistes et considérer plutôt des approches ouvertes et multidisciplinaires. Celles-ci pourraient favoriser une gamme plus large de visions éclairées. Planifier le futur d’un monde global, multidimensionnel et hétérogène n’est possible que dans une perspective multidimensionnelle et hétérogène. Dès lors, l’épistémologie de référence, pour édifier un futur global dans les organisations internationales, devrait avoir la préséance.
93Cela dit, comment l’approche que nous venons de proposer peut-elle être prise en considération lorsque la tendance actuelle au niveau intergouvernemental – surtout en dehors du cadre des agences spéciales des Nations Unies – est de réduire toute chose au seul critère de l’économie ? Quelle position occupe le DA en regard de ce phénomène ? Et quels types d’influences peut-on s’attendre voir retomber sur les pays en développement ?
B. DA, développement et culture dans les ADPIC
94Alors que la Convention de Berne et la CUDA peuvent être considérées comme des instruments juridiques internationaux pour le développement, certains commentateurs mettent en question l’idée même de développement1103. R. Gana rapporte les concessions des accords des ADPIC (Aspects de la propriété intellectuelle relatives au commerce1104) pour les pays en développement à une internationalisation du droit de la propriété intellectuelle1105. Selon elle, les accords des ADPIC sont en fait uniquement fondés sur des considérations économiques et constituent une condition pour la participation dans des relations de type multilatéral1106. Ces accords représentent alors une nouvelle génération de traités internationaux qui, pour le moins, n’agissent pas d’un point de vue philanthropique.
95Inévitablement, de telles perspectives intéressées suscitent la dénonciation des motivations qui sous-tendent les ADPIC quant à la question du développement.
[U]n examen approfondi de l’accord des ADPIC révèle que les pays en développement portent sans le moindre avantage concret de développement une part disproportionnée du fardeau dans la protection du droit d’auteur. [...] [L]es points que l’accord des ADPIC veut légitimer ne consistent pas à savoir si les droits d’auteur pourraient, ou devraient, être utilisés pour atteindre le développement et la prospérité nationaux, mais plutôt comment le contrôle de ces droits détermine l’orientation et les bénéficiaires de ce développement1107.
96Cela étant, il faut noter un important paradoxe. D’un côté, les ADPIC sont présentés comme une action globale pour accomplir une croissance globale, situant ainsi la propriété intellectuelle au cœur des relations de commerce multilatérales1108. De l’autre, les ADPIC imposent que l’approche utilisée pour la protection de la propriété intellectuelle au niveau international soit déterminée seulement par le critère économique. Ce critère est clairement fondé sur un modèle particulier : le système économique du libre marché1109. Dès lors, la propriété intellectuelle ne peut pas prétendre être un instrument privilégié de développement dans un cadre qui réduit toutes les valeurs de ce qui constitue la « bonne vie » (good life)1110 au seul critère économique. Le développement, de manière générale, au lieu d’être la préoccupation majeure de toute action globale, est actuellement relégué en position secondaire. Les besoins des pays en développement sont satisfaits au moyen de différentes commissions ad hoc (p. ex., la Commission pour les PMD) qui n’ont aucun pouvoir d’influence sur l’orientation majeure des principes fondateurs de l’OMC. Les forums internationaux apparaissent donc comme des processus pseudo-démocratiques où le développement n’est pas conçu pour les pays en développement mais pour les pays développés. Ces derniers, sous le couvert des lois en vigueur et avec la légitimité de groupe qu’ils ont développée, servent leurs propres intérêts et font du développement du tiers-monde le moyen de leur propre développement. En fait, cet autodéveloppement nous rappelle étrangement celui de la période coloniale où le développement ne visait que celui de la métropole.
97Une action globale pour une croissance globale doit commencer au niveau national1111. C’est en prenant en compte les points de vue, les besoins et les contributions des pays les moins développés qu’une véritable perspective de développement est possible. Une action globale commence par un dialogue global où une perspective de développement devrait harmoniser les valeurs et les terminologies apportées par l’Occident pour être traduites vers – sinon réinventées par – les différentes visions du monde des autres nations1112.
98Cette harmonisation de visions différentes du monde nous semble être un principe de justice fondamentale. L’objectif serait un système de DA véritablement international où toutes les nations seraient égales dans la construction ou le réajustement, plutôt qu’une « internationalisation » du système actuel qui a été conçu sur la base de conceptions philosophiques particulières, ces dernières étant plutôt aliénantes et profondément inopportunes pour beaucoup de pays en développement1113.
99Un processus de développement doit être transparent et réunir des « partenaires » plutôt que des « développeurs » et des « développés ». De fait, si le critère d’acceptabilité a déjà été préalablement établi – l’approche « à prendre ou à laisser1114 »– la perspective de développement en question perd toute crédibilité. La coopération internationale est alors transformée en une légitimation légale de la primauté de la part la plus riche du monde.
100De plus, les ADPIC, en tant que tels, sont indifférents aux principes de développement et leur sont contraires. De fait, il y a trois principes complémentaires mais prépondérants propres au DA international en général et aux ADPIC en particulier. Le premier est le concept de protection de la connaissance et de son appropriation plutôt que sa dissémination – la seule perspective pour les pays en développement. Ce principe ne peut pas être défendu du point de vue de pays défavorisés, particulièrement parce que l’éducation et ses matériaux premiers constituent un problème clé pour le progrès de la société en général1115.
101Le second principe est l’aliénation de sa propre vision du monde. L’adoption d’un système juridique qui n’a pas été discuté à la lumière des identités respectives peut difficilement s’inscrire dans une perspective de développement. Ce dernier ne peut avoir lieu sans considérer les différentes composantes qui constituent la référence identitaire. En fait, il n’y a pas de développement possible si les éléments spirituels et philosophiques qui donnent équilibre et cohésion à une société donnée sont négligés en faveur d’une transplantation culturelle étrangère, quelque sophistiquée qu’elle puisse être.
102Le troisième principe, qui tient dans le contrôle des œuvres garanti au détenteur des droits d’auteur, au lieu d’un plus large accès à ses utilisateurs, est pareillement symptomatique d’un système qui favorise le progrès économique sur le développement culturel. En effet, si le développement est un projet prenant en compte tous les aspects fondateurs de la vie, alors le progrès ne devrait-il pas leur être attaché ?
103Enfin, certains suggèrent que l’application de l’accord des ADPIC par l’OMC va augmenter les sanctions commerciales à l’encontre des pays en développement1116. Si un pays en développement manque d’une structure gouvernementale interne pour faire appliquer l’accord des ADPIC, il sera davantage exposé aux sanctions commerciales imposées par le nouveau processus de résolution de conflits1117. La probabilité pour les pays en développement d’encourir de tels risques ne peut être créditée sur le compte du développement, mais sur son contraire. La perspective antidéveloppementale de l’OMC a été longuement discutée à Seattle et à Davos en 1999.
104Les véritables intentions de ces réformes juridiques internationales semblent proches des intérêts qui ont longtemps animé l’expansionnisme européen. Depuis 1944, au cœur des White Mountains du New Hampshire, la Conférence de Bretton Woods a établi le cadre pour passer dans une nouvelle ère1118. Aujourd’hui, la protection des intérêts de l’Empire – qui trouve ses origines en Europe et aux États-Unis – ainsi que le contrôle des ressources et des richesses potentielles différeront des mesures de la période coloniale. Un commentateur a dit à ce propos :
Loin d’être un simple ajustement technique à la société d’information, les changements apportés aux lois sur le droit d’auteur sont politiquement motivés. La « révolution des multimédia » leur ayant servi d’argument, certains groupes d’intérêt se sont, en effet, mobilisés pour que soit révisée la loi sur le droit d’auteur, la renforçant en faveur des détenteurs de droits1119.
105Quelle que soit la conscience des véritables enjeux et des intérêts sous-jacents de la part des pays industrialisés, une plus grande responsabilité incombe, cependant, aux pays en développement. En effet, loin du victimisme dont ils peuvent faire montre parfois, ils doivent savoir également, pour leur part, traduire les significations qui sous-tendent le discours du droit international en valeurs alternatives et oser les dire, à tout prix.
106Les dispositions pour les LOT que l’on trouve dans l’Annexe de la Convention de Berne constituent, malgré tout, un point de départ pour un nouveau système de DA international radicalement différent. Les faiblesses et le manque de cohérence par rapport aux besoins des pays en développement doivent être compensés par une perspective fondamentalement différente sur le développement. Si l’on considère le système de DA comme un moyen pour parvenir à ses véritables fins, c’est-à-dire le bien-être de tous les êtres humains, il devient nécessaire de changer l’ensemble des priorités de la vie en commun à l’échelle planétaire. Certains commentateurs prévoient hardiment que « l’on doit s’attendre à une réaction violente sur le plan économique, à moins que l’être humain soit replacé au centre du système1120 ».
107De fait, alors qu’il n’y a que peu de divergence sur le besoin fondamental d’un bien-être humain, il n’y a pas unanimité sur la manière d’y parvenir. Cependant, s’il est possible d’obtenir un accord général sur le fait que le seul horizon valable pour investir est l’être humain, alors le DA – s’il est replacé dans une perspective de développement – peut jouer un rôle non négligeable pour la construction d’un avenir plus prospère pour tous les peuples.
3. L’aspect politico-culturel : pour un droit éthique de la traduction
108Le caractère éminemment professionnel de la pratique traductive pose la question du bien-fondé de la théorie, de l’existence possible d’une autre conception de la réflexion sur la pratique traductive. La théorie de la traduction, après la phase de description scientifique et objective du phénomène, ne se réduit-elle pas parfois à une planification prescriptive de l’efficacité traductive ?
109De fait, il est des conceptions réductrices d’un côté comme de l’autre, au point que la séparation même entre les praticiens et les théoriciens est souvent injustifiée, puisque c’est du milieu même des praticiens que viennent la plupart des « théoriciens », jamais – ou si peu – le contraire. Il en est clairement fait démonstration dans les divers colloques du domaine : prendre du recul et réfléchir sur les conditions (économiques et juridiques) de la pratique traductive, c’est faire acte de théorisation au sens où le résultat des constats observés doit être mis à l’épreuve des idées et de leur projection dans l’horizon des possibles.
110Cela dit, si la nécessité de la théorie s’impose à tout le monde, encore faut-il savoir de quelle théorie nous parlons. Pour nous, la réflexion sur la pratique de la traduction est moins une « théorie » au sens statique du terme qu’un processus de pensée discontinu et inachevé qui évolue dans l’historicité même de son objet : une pensée, qui a le souci de comprendre le discours contextualisant la pratique traductive, de saisir la construction historique de la notion de « secondarité de la traduction » aujourd’hui tenue pour évidente et de percevoir enfin les portées politiques et culturelles de la traduction dans un monde qui ne semble vouloir se traduire qu’en critères économiques ou commerciaux.
111Or, pour arriver à faire ce travail de remise en contexte du phénomène traductif dans l’histoire de l’évolution des idées, des discours des institutions, il est nécessaire de s’ouvrir à une approche interdisciplinaire, où le traducteur prend de la distance et contemple les liens que sa discipline tisse avec d’autres ; c’est ce qu’Antoine Berman appelle, avec beaucoup d’autres, « la traductologie ».
112Dans cette perspective, il s’agit pour nous de montrer qu’au-delà de l’intérêt de certains pour la réglementation de la traduction, se pose également la nécessité de se pencher sur les règles qui orientent la finalité de la traduction, ces règles qui donnent forme au mandat du traducteur, à sa vocation, à son symbole et à sa valeur, en l’occurrence, le droit de la traduction.
A. De la traduction du droit au droit de la traduction
113Il est souvent question de la traduction du droit, aussi bien chez les traducteurs que chez les juristes. Traduire le droit, les lois et résoudre les problèmes que suppose pareille activité constituent le champ d’intérêt commun qui offre à ces pratiques le privilège d’être considérées du double point de vue du juriste et du traducteur. En revanche, il est moins souvent question du « droit de la traduction ». Cette rareté ne concerne pas seulement le monde traductologique, mais bien étrangement le monde juridique aussi. Alors qu’il aurait été naturel de le voir traité par les théoriciens du droit, comme le droit de la culture, le droit du livre ou encore le droit de la photographie, on ne peut manquer de constater le quasi-silence de la pensée juridique sur ce droit. S’il y eut une initiative dans ce sens depuis plus d’une décennie, elle a été le fait des traducteurs, mais ces derniers n’en furent pas les maîtres à penser1121. Au-delà du complexe que peuvent ressentir les traductologues à s’exprimer sur le droit sans être des juristes, il nous semble nécessaire – de la même manière que les traducteurs du droit le font avec compétence et audace – d’offrir aux traducteurs l’opportunité d’une réflexion pour les traducteurs sur le droit qui administre aussi bien leur profession que le produit de leur labeur.
114En effet, au sortir d’une réflexion autour de la « justesse de la traduction », il devient urgent, à l’ère des réformes et des refondations juridiques dans la course à la mondialisation, de poser le problème du point de vue de la « justice en traduction », autrement dit du traitement équitable du traducteur et de la traduction par les instances d’ordonnancement juridique. Les problèmes de type professionnel, de réglementation du métier et de présence positive dans le marché mondial sont incontestables et méritent la plus grande attention. On peut mettre en cause les gouvernements, le législateur ou encore les mécanismes d’une économie libérale qui accentuent la dépendance et la subordination de l’activité traductive aux diktats des réseaux d’édition, de distribution et de diffusion. Mais en réalité, ces difficultés prennent leur source ailleurs, plus en amont. Si la traduction possède ce statut secondaire dans la hiérarchie légalisée de l’écriture, c’est avant tout en raison du cadre philosophique dans lequel elle a été conçue.
115Ainsi, le problème du droit de la traduction, avant même d’être posé sur le terrain du droit, doit d’abord être examiné à la lumière de la pensée qui lui a donné sa fondation et son histoire. Dans le contexte historico-culturel des lois presque exclusivement occidentales qui le régissent, il faudrait se demander : qu’est-ce qu’une traduction du point de vue philosophique ? Quelles en sont les potentialités aussi bien conceptuelles que symboliques ? Qu’est-ce qu’une œuvre originale ? Qu’est-ce qu’un auteur ? Quelle est la place de la traduction dans le paysage de la production, de la transmission et de la consommation intellectuelle occidentales ? La secondarité de la traduction lui est-elle fatalement consubstantielle ? La traduction a-t-elle une valeur autre qu’instrumentale ? D’où le droit tire-t-il sa légitimité à catégoriser les diverses formes d’écriture, voire de les hiérarchiser ? Qu’est-ce que le droit international et en quoi est-il adapté à la diversité des identités, des visions du monde et des revendications postcoloniales de décentrement ou de « provincialisation de l’Europe1122 » ?, etc.
116Ces notions fondamentales privées de leurs assises idéologiques traditionnelles, il nous importera non seulement d’en souligner les incohérences et de les confronter à une réalité historique et culturelle mondiale diversifiée et relativisante, mais il faudra proposer de nouvelles idées plus en accord avec les principes d’un droit éthique de la traduction.
117Puisque tels sont les enjeux qui le nourrissent et lui donnent relief, le droit de la traduction n’est donc plus seulement le projet commun d’ordonnancement juridique d’une activité lucrative en recherche de normes, mais bien plus un droit à la traduction, c’est-à-dire un droit d’initiative, d’autonomie, d’accessibilité, de créativité et de dissémination, voire d’insémination et de métissage. Cinq principes peuvent s’énoncer à cet égard.
118Le droit (par un éditeur étranger ou un traducteur affilié à une corporation de traducteurs professionnels) de prendre l’initiative de traduire une œuvre sans le patronage de quelque instance protectrice que ce soit, sachant que l’expérience traductive- est la première protection contre l’érosion de l’œuvre par l’action du temps. À telle enseigne que c’est par la relativisation permanente du jugement que l’on fait d’une traduction qu’elle est toujours recommencée.
119Du droit d’initiative découle le droit d’autonomie dans la mesure où c’est en prenant la responsabilité de faire dialoguer deux langues, deux cultures que la traduction peut se prévaloir d’un rôle producteur de culture et se libérer du joug de l’instrumentalisme qui la confine à l’effacement et à la transparence1123.
120Le droit d’accessibilité constitue l’orientation d’une politique culturelle où la traduction, grâce à l’ouverture qui lui serait offerte sur les œuvres, devient une source de multiplication du patrimoine culturel mondial par autant de langues et de versions qu’il peut engendrer.
121Dès lors que la multiplication de l’activité culturelle est encouragée par une activité traductive accrue, la créativité n’est plus seulement un droit, mais elle devient une nécessité de compétition et de survie.
122Enfin, la traduction étant source d’un plus grand nombre de créations, elle suscite une dissémination élargie de la production culturelle parmi les langues et les peuples ; c’est donc dire que traduire encourage la rencontre d’entités culturelles et permet des métissages aussi inattendus qu’heureux.
123Le droit à la traduction ainsi compris relève donc de la contestation d’une réalité jugée insatisfaisante. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’on examine le statut de la traduction dans le cadre du droit d’auteur et que l’on constate combien celui-ci constitue un obstacle à son autonomie1124, à sa liberté et à sa reconnaissance comme source de culture « originale » au sens où elle est capable de créativité autant que la « création originale ». La libération de la traduction se heurte au droit d’auteur dans la mesure où la traduction n’est pas considérée comme complètement « originale », mais partiellement, ou seulement dans ce qui est ajouté à l’œuvre sous-jacente, parce que « dérivée », donc « seconde1125 ». De plus, la traduction n’est pas libre parce qu’elle est « autorisée », c’est-à-dire qu’elle est redevable à l’œuvre originale, et donc qu’elle en est tributaire, sans autonomie1126. À la suite de traductologues comme Venuti ou Berman, nous ne pouvons admettre qu’il s’agisse d’une fatalité consubstantielle à la traduction.
124Cela étant dit, il reste que la libération de la traduction passe par la reconnaissance de sa liberté de fait. Tentons ce syllogisme : si la traduction est une création, que toute expression artistique est essentiellement libre, alors la traduction est une expression libre. Qu’est-ce que cela impliquerait ? Que la traduction a) n’est pas subordonnée à l’œuvre originale, mais égale en droit, b) qu’elle n’est pas dérivée mais complémentaire à celle-ci, c) que l’œuvre originale n’est pas supérieure, mais différente de chacune de ses traductions, d) que « l’œuvre originale » est faite d’autres œuvres, voire de traductions et de traductions... d’autres traductions et d’autres œuvres, donc non originale.
125Face à l’audace d’une telle proposition, on pourrait aisément objecter qu’on ne peut concevoir qu’un traducteur professant de telles valeurs – la traduction comme une expression – se voie confier la traduction des débats d’un Parlement, un contrat commercial impliquant la traduction d’un manuel de pilotage d’un Airbus ou encore celle des textes sacrés qui mettent en jeu la mémoire et les croyances collectives. Or, on peut s’étonner de voir que des agents de divers domaines des professions qu’on qualifie de « librales » se voient quant à eux très normalement confier les vies d’individus incarcérés ou sur le point de mourir s’ils ne sont pas opérés, mais qu’un tel niveau de responsabilité ne soit pas concevable en principe pour un traducteur. Si la profession n’est institutionnellement pas prête à faire porter des responsabilités aussi énormes à ses acteurs, c’est qu’en amont le discours qui a contribué à cet état de fait ne peut même l’envisager, puisqu’il est complètement déterminé par le paradigme de la suprématie de l’auteur et la secondarité invétérée du traducteur. Tant que la responsabilité de la traduction n’est pas entièrement portée par le traducteur et que son nom n’est pas affiché au même niveau que celui de l’auteur, la traduction demeurera nécessairement tributaire de ce dernier et son imputation que partielle. De plus, on ne peut raisonnablement évoquer la liberté du traducteur sans supposer inévitablement son corollaire éthique, autrement dit toute la responsabilité qui l’accompagne. Faisons la comparaison dans le domaine politique : qu’est-ce qu’un citoyen d’une démocratie s’il devait être mis en demeure de choisir entre la liberté de choisir et la responsabilité de ses choix ? L’absurdité d’une telle hypothèse où l’on séparerait ces deux faces de la même pièce n’en est pas moins valable dans le cadre des perspectives que nous voudrions proposer pour un nouveau discours sur la traduction et le sujet traducteur. L’expression libre du traducteur exige non seulement un haut niveau de conformité aux principes de l’éthique sociale et professionnelle, mais également une marge d’autonomie plus particulière vis-à-vis de la traditionnelle figure tutélaire et construite de l’auteur1127.
126Trois remarques s’imposent par ailleurs. La première est que ce type de discours est évidemment fondamental dans les milieux qui, par exemple, défendent le droit des femmes qui appellent à reconnaître leur égalité en droit en même temps que la différence de leur identité féminine. La proximité de ces revendications avec les nôtres, au nom de la traduction et des traducteurs, nous indique les profondeurs historiques, philosophiques et même psychologiques du problème qui lie l’original à la traduction et l’auteur au traducteur. La deuxième remarque rapporte la critique de la notion d’originalité aux travaux en théorie littéraire qui, de Mikhaïl Bakhtine à la pensée poststructuraliste (Michel Foucault1128, Gilles Deleuze1129 et Jacques Derrida1130 ainsi que le groupe Tel Quel sur le concept d’intertextualité), ne reconnaissent dans l’œuvre originale qu’une construction dérivée d’autres œuvres sur le modèle de la traduction. Enfin, troisième remarque – invoquer la liberté d’expression représente une volonté politique culturelle au niveau mondial. Libérer la traduction, c’est libérer les « subalternes1131 » de toute dépendance culturelle envers un centre métropolitain de type colonial, dont l’avatar est diffus dans l’ensemble des relations sociales selon Foucault. La liberté de traduire doit être perçue comme la liberté de construire une représentation de soi à partir du vaste réservoir du patrimoine culturel de l’humanité, sans devoir en être comptable auprès d’une source particulière plutôt qu’auprès d’une autre. Traduire librement, c’est initier un projet de société où l’écriture de soi passe nécessairement par la réécriture des autres avec une certaine mesure d’autonomie1132.
B. Enjeux et objectifs du droit de la traduction
127En droit d’auteur – et comme l’appellation l’indique bien – on a coutume de mettre l’accent sur l’auteur, ses droits exclusifs ou cessibles, son droit de compensation ou son droit moral. Mais on met peu l’accent en revanche sur les objectifs plus lointains du droit d’auteur, tels qu’on les trouve par exemple exprimés dans la Constitution américaine. En effet, selon la juge de la Cour suprême des États-Unis, Justice Sandra Day O’Connor, dans la fameuse affaire Feist, « l’objectif principal du droit d’auteur n’est pas de rétribuer/récompenser le travail des auteurs, mais “[d]e promouvoir le Progrès des sciences et des arts utiles1133” ». L’interprétation de cet objectif global posé par Thomas Jefferson, l’un des pères fondateurs de la nation états-unienne, nous conduit à poser les intérêts de la société avant ceux de l’individu créateur. De fait, la promotion du progrès ne peut se mesurer qu’à l’échelle d’un grand nombre de contributions intellectuelles. Par ailleurs, le progrès de la science n’a de valeur qu’en vertu d’applications qui peuvent bénéficier à toute la société. Enfin, bien que l’expression anglaise useful arts (arts utiles) paraisse quelque peu instrumentaliste, il n’en reste pas moins qu’elle englobe le développement de la culture en général, y compris l’art et la littérature.
128Ainsi peut-on tirer de ces grandes lignes directrices que le droit d’auteur est censé promouvoir a) la dissémination des connaissances, b) l’intérêt éducatif du public et enfin c) la création artistique et le développement de la culture. Or, si le droit d’auteur – avant même que l’auteur n’en soit le point de mire – promeut une distribution des ressources intellectuelles au plus grand nombre, qu’il démocratise le produit de la connaissance humaine en vue d’une éducation et d’une formation plus larges et qu’il stimule la vie littéraire et artistique, il appert alors que ses objectifs dépassent de loin les seules limites des intérêts particuliers de la personne productrice d’une œuvre et qu’ils visent bien plutôt l’horizon ouvert de l’humanité dans une spatialité de plus grande envergure et dans une historicité de plus long terme.
129Prenant acte de ces visées humanistes peu communément soulignées dans le DA, il devient plus cohérent de voir dans le droit de la traduction des intentions, voire des tensions émancipatrices par rapport à la philosophie individualiste que l’on peut identifier dans les finalités qui sous-tendent le DA. Le droit de la traduction – s’il est libéré de la prétention à un « droit d’être traduit » (augmentation du capital de sa propre œuvre par l’effort des autres) plutôt qu’à celui de « traduire l’autre librement » (réfraction infinie des œuvres dans le miroir des langues ou intertextualité), – revient en fin de compte à promouvoir un droit à la culture et à la diversité culturelle. Traduire permet le dialogue avec les autres cultures, certes. Mais le droit de traduire ces dernières engage la responsabilité de s’ouvrir à la diversité à l’intérieur même des individualités, des identités et des cultures.
130Le droit de la traduction conduit au droit à la culture et à la diversité culturelle en ce qu’il appelle à une plus grande accessibilité aux produits culturels, à leur transformation et à leur régénération permanente. Ce qui signifie que – contrairement à ce que souligne le DA – la culture n’est pas seulement une question de production ou de consommation (début et fin d’une séquence économique linéaire et discursive), mais également de transmission et d’accessibilité (les conditions de réception, de transformation et d’insémination mutuelle des cultures). Le chaînon manquant correspond en fait et justement à la fonction et au symbole que représente la traduction : le passage, mieux le voyage d’une création vers des horizons de lecture et de transformation infiniment diversifiés.
131Le DA est plus conservateur qu’on ne le croit dans la mesure où il accomplit sa finalité de dissémination du savoir et de la culture par le contrôle de ceux-ci plutôt que par leur accessibilité au public. Celle-ci n’est qu’un corollaire de la protection du détenteur des droits d’auteur : ce n’est qu’en protégeant le bénéfice de l’auteur dans sa production littéraire ou artistique que la diffusion de celle-ci devient possible et aboutit à son accessibilité pour les consommateurs. Telle n’est pas la logique du droit de la traduction que nous proposons : accéder à l’œuvre littéraire ou artistique devrait être la condition fondamentale et première de tout processus de traduction. Le bénéfice pécuniaire de l’auteur, même s’il est limité à la langue de création et se perd dans les traductions, est démultiplié par le fait d’être la cause d’une insémination culturelle de grande envergure grâce aux traductions accomplies dans d’autres juridictions où le droit à la traduction serait un droit de lire, de relire et de réécrire sa propre culture en traduisant les autres librement. C’est ce que l’on pourrait appeler « le sentiment de responsabilité civique mondiale », celui-là même qui nourrit fondamentalement toute conscience agissant en faveur de l’élaboration d’un contrat social à échelle planétaire, c’est-à-dire l’idée que nous avons une dette envers l’humanité, qu’il s’agisse des générations présentes, antérieures ou futures1134.
132Il s’en suit donc que le droit à la traduction, dès lors qu’il est conçu comme l’actualisation d’une éthique sociale et par là comme l’octroi d’une plus grande liberté – puisqu’il conforte celle de l’expression et promeut celle de l’initiative –, donne une capacité d’accès plus grande à la culture et au patrimoine mondiaux ; il permet leur transformation et, par conséquent, l’élargissement de notre propre champ culturel et indirectement celui des autres ; autrement dit, il assure un travail d’éducation.
133Immanquablement, le droit de la traduction – tel que nous l’envisageons – ne laisse pas intact le droit d’auteur. Il le transforme, le réoriente et le pousse plus loin, vers ses finalités les plus sociales. Si le droit de la traduction revendique le droit des peuples à traduire, transformer leurs propres acquis par la responsabilité de se nourrir des autres, il ne le fait plus dans la perspective individualiste et à court terme de compenser le créateur d’un produit de consommation, voire ses successeurs. Il pose le principe de solidarité, d’édification à long terme et de contribution pour construire une identité culturelle indépendante et consciemment hétérogène.
134Notons cependant qu’il n’est pas question ici de remplacer le respect du droit de l’individu à être rétribué pour l’effort qu’il a produit avec plus ou moins d’autonomie par un projet anachronique de type communiste, ni même d’ailleurs d’échanger le droit d’auteur par le droit de la traduction ; il s’agit seulement de mettre en évidence l’importance de la dimension socioculturelle que souligne le droit de la traduction au regard du droit d’auteur. De fait, l’enjeu n’est pas seulement économique ; il est également de l’ordre de la politique ou de l’évolution culturelle d’une société qui cherche à s’affirmer dans un monde que menacent le nivellement et l’uniformisation.
135Au fond, le nœud de cette relecture des fondements du droit d’auteur par l’intermédiaire du droit de la traduction réside dans la sempiternelle question philosophique du rapport duel de l’essence et la représentation, de l’original et de la traduction et, par extension, de ce qui appartient à toute l’humanité et de ce qui appartient à l’individu. Car de la même manière que la philosophie de la modernité, ainsi que toute la pensée qui en a découlé, a réussi à opérer une révolution copernicienne en reconnaissant, au détriment d’une métaphysique de l’essence, l’importance de la représentation – la forme et ses transmutations –, il est fondamental que le droit passe par l’expérience de sa propre révolution épistémologique. La prise en compte, de plus en plus nécessaire, de la multiplicité des contenus du droit nous conduit forcément à réfléchir sur la diversité et la variabilité de ses formes, de ses langues et de ses champs d’application. Il ne s’agit plus seulement de traduire le droit dans ses différentes manifestations culturelles, mais d’établir le droit de traduire librement et de considérer la traduction elle-même comme l’expression de la liberté permanente à relire et à réécrire les cultures.
136En effet, la réforme de la pensée du droit d’auteur nécessite ce changement de rapports entre original et traduction sur quatre aspects : a) passer d’un rapport de subordination à un rapport de complémentarité, b) passer d’un rapport de dépendance patriarcale à un rapport d’autonomie relative, c) passer d’un rapport de colonisateur à colonisé à un rapport de différences en dialogue et enfin d) passer d’un rapport du savoir comme pouvoir à un rapport d’échange des connaissances.
137À rebours des tendances hiérarchisantes et taxinomiques attribuables aux dérives de l’économisme libéral actuel, le droit de la traduction revendique une configuration où le rapport entre l’original et la traduction n’est plus régi par la préséance du premier sur la seconde, mais par ce que Derrida, à la suite de Walter Benjamin, appelle la dette de l’original envers la traduction du fait de sa survie grâce à cette dernière : « Benjamin ne dit pas la tâche ou le problème de la traduction. Il nomme le sujet de la traduction comme sujet endetté, obligé par un devoir, déjà en situation d’héritier, inscrit comme survivant dans une généalogie, comme survivant ou agent de survie1135 ». Bien que le rapport d’interdépendance soit toujours présent, il reste qu’il n’est plus désormais conçu dans la subordination, mais bien plutôt dans la complémentarité.
138Mais cette complémentarité n’est pas une déclaration d’interdépendance généralisée et contraignante entre la traduction et l’original. Elle assure en même temps à chacun des termes sa spécificité, son autonomie et sa liberté. L’original et la traduction ne sont plus les éléments d’une simple filiation qui détermine prééminence au précédent (original) par sa seule antériorité. Ils sont bien plus les symboles d’une relation fraternelle ou conjugale (Adam et Éve) que parentale. En effet, s’il fallait concéder que c’est la relation de paternité qui régit le rapport de l’auteur et de l’original – ce n’est d’ailleurs même plus de cette façon que la critique littéraire moderne envisage le lien de l’auteur à son texte –, il n’en est rien du lien de l’original à la traduction. On néglige trop le fait que la traduction d’un texte est (le plus souvent) le fait d’une autre personne que l’auteur de l’original. Si l’on insiste pour voir une relation de filiation entre l’original et la traduction, ce ne peut être le cas entre l’auteur de l’œuvre et celui de la traduction. De la même manière qu’auteur et traducteur font par leurs œuvres des dons complémentaires, mais autonomes, au patrimoine de l’humanité, les textes constituent les éléments d’un ensemble tout en préservant leurs identités respectives, tantôt « œuvre de création », tantôt « œuvre de traduction » (avec ce que celle-ci suppose de création bien sûr). La traduction est donc relativement autonome et plus libre qu’on ne le croit, parce que l’expérience de traduction elle-même est libre – entendons-nous : dans un monde où l’accès à la culture serait à son tour libéré des catégories juridiques traditionnelles.
139À notre sens, le paternalisme dont souffre la traduction est comparable à celui du colonisateur impérial dont les prétentions de supériorité sur les « peuples sous-développés » l’ont jadis bercé de l’illusion d’être élevé au-dessus de sa véritable condition. De fait, il n’y a pas plus d’originalité dans une « œuvre originale » que dans la mémoire extensive de l’humanité. On ne crée jamais rien, on ne fait que renouveler son regard sur ce qui est. « Nous savons maintenant, écrivait Roland Barthes, qu’un texte [est] un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures variées, dont aucune n’est originelle : le texte est un tissu de citations, issues de mille foyers de la culture1136 ». C’est la préservation de la mémoire qui a ouvert à l’humanité les horizons du futur qui ne cessent d’être reconstruits par le dialogue des différences et la capacité de s’émerveiller indéfiniment devant la diversité du réel et des imaginaires.
140On sait, depuis Michel Foucault, la valeur du savoir comme instrument de pouvoir. Mieux, le savoir de l’auteur ou de l’artiste, devient, grâce à la sanctification que lui octroie le DA, le lieu d’une domination qui s’étend au-delà de sa seule sphère de savoir, jusqu’à celle qui lui permet de se transformer et de revêtir une identité différente : la traduction. Ainsi cette dernière, au lieu d’être source de dialogue et d’enrichissement du fait même de son altérité, se voit réduite à un statut d’ombre. Or traduire, c’est à la fois prendre une forme et en donner une. Le pouvoir du don, l’indépendance du savoir ne sont reconnus qu’à celui/celle qui possède un bien. À quand la reconnaissance de la traduction comme source de connaissance pour l’élaboration d’une véritable politique du « savoir-être-ensemble » ?
C. Le droit de la traduction comme politique culturelle
141Puisque le droit de la traduction est une invitation à l’émancipation des textes de l’emprise des pouvoirs qui les rattachent à leurs seules origines, qu’il est une déclaration de la liberté d’accès et d’initiative des traducteurs pour la transformation et, de fait, l’enrichissement du patrimoine culturel humain, et qu’enfin il permet le dialogue des horizons linguistiques et culturels, il en résulte que ce droit s’inscrit dans un programme de politique culturelle. De fait, par son engagement à favoriser la mise en rapport du plus grand nombre de langues hors des seules déterminations commerciales, la traduction peut s’instituer comme action politique orientée vers le rapprochement des peuples, en développant une attitude non ethnocentrique face au problème de la redistribution des richesses intellectuelles à l’ère de la révolution de l’information.
142Une politique culturelle qui revendique le droit à l’égalité des peuples, à s’éduquer dans leur langue tout en intégrant la dynamique de l’ouverture aux autres et de la rencontre entre les cultures relève d’une éthique de la rencontre, du métissage1137.
143Ce que nous proposons est un droit de la traduction désormais compris comme un droit à la traduction de soi et des autres dans une perspective de développement culturel, plus juste parce que partagé. C’est en reconnaissant mes transformations et le métissage permanent qui s’opère en moi par la traduction des autres que je comprends l’importance d’être traduit par les autres et la nécessité d’une éthique du don qui le permette, pour nous tous si loin et si près pourtant, dans la liberté et la dignité.
Notes de bas de page
993 « La valeur d’usage est la raison pour laquelle une marchandise est produite et achetée, mais n’est pas susceptible de mesure ». Voir Attac, Le développement, a-t-il un avenir ?, Paris, Mille et une nuits, p. 31.
994 « La valeur d’échange est le rapport dans lequel deux marchandises vont s’échanger et qui dépend de trois séries de facteurs s’emboîtant les uns dans les autres pour expliquer les prix [travail, rémunération, offre et demande]. » Ibid.
995 André Gorz, L’Immatériel. Connaissance, valeur et capital, Paris, Galilée, 2003 ; voir également du même auteur, « Valeur marchande et richesses premières », dans Philippe Merlant, René Passet et Jacques Robin, Sortir de l’économisme. Une alternative au capitalisme néolocal, Paris, L’Atelier/Éd. Ouvrières, 2003, p. 57-62.
996 Attac, op. cit., p. 226.
997 Voir J. Derrida, « Apparition de l’inapparent : l’“escamotage” phénoménologique », dans Spectres de Marx, op. cit. et Alexis Nouss, « La traduction comme OVNI », dans META, vol. 40, n° 3 (septembre), 1995, p. 338.
998 Attac, op. cit., p. 228.
999 C. Azaïs, A. Corsani et P. Dieuaide (dir.), Vers un capitalisme cognitif, Paris, L’Harmattan, 2000.
1000 Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, traduit de l’américain par Denis-Armand Canal, Paris, Exils, 2000, p. 344.
1001 Régis Debray, Introduction à la médiologie, Paris, PUF, coll. « Premier cycle », 2000, p. 1-31.
1002 Michael Cronin, Translation and Globalization, London/New York, Routledge, 2003, p. 20.
1003 Ibid.
1004 Jacques Derrida, Spectres de Marx. L’État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle internationale, Paris, Éd. Galilée, 1993, p. 94. C’est Derrida qui souligne.
1005 Ibid. C’est Derrida qui souligne.
1006 Ibid., p. 47.
1007 Ibid., p. 48-49. Emmanuel Lévinas tel que cité par Derrida ; voir M. Nijhoff, Totalité et infini, 1961, p. 62.
1008 Voir les interviews de Foucault, dans D. Macey, The Lives of Michel Foucault, London, Vintage, 1994.
1009 Voir Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1970.
1010 Voir OMPI, « Rapports des diverses Conférences diplomatiques », dans Centenaire de la Convention..., op. cit., p. 153.
1011 M. Cronin, op. cit., p. 9.
1012 Voir J. Derrida. Spectres de Marx, op. cit.
1013 Il faut ici distinguer en français « globalisation » et « mondialisation », ce que l’anglais ne saurait faire avec son terme unique de globalization. Nous entendons par « globalisation » le phénomène de mondialisation économique actuel lancé par les accords de Bretton Woods en 1944 et consacré par l’institutionnalisation du système économique mondial qui en a résulté par l’intermédiaire de l’OMC en 1995. (Pour une histoire de l’émergence des institutions de Bretton Woods, voir notamment Fabrizio Sabelli et Susan George, Crédits sans frontières : la religion séculière de la Banque mondiale, traduction de l’anglais par Ch. Delpart, Paris, La Découverte, 1994.) En revanche, la « mondialisation » n’est que la description neutralisée du phénomène de la souveraineté à prétention universelle tels que les impérialismes traditionnels (Empire romain, Empire ottoman, Empire britannique, etc.) qui se construisent comme un système-monde (Wallerstein) à partir d’un centre visant une extension sur une partie plus ou moins importante du monde. Voir notamment : Immanuel Wallerstein, Capitalisme et économie-monde, Paris, Flammarion, 1980 ; Immanuel Wallerstein, Le mercantilisme et la consolidation de l’économie-monde européenne, Paris, Flammarion, 1984 ; Fernand Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme, Paris, A. Colin, 1967 ; Gérard Leclerc, La mondialisation économique, Paris, PUF, 2000.
1014 M. Cronin, op. cit., p. 34.
1015 Voir la distinction que fait Cronin entre la traduction comme « communication » (faire parvenir une information dans l’espace d’une même sphère spatio-temporelle) et la traduction comme « transmission » (transport de l’information à travers le temps entre des sphères spatio-temporelles différentes). Ibid., p. 20.
1016 Toute société, toute communauté est régie par des lois. La « communauté internationale » – quelle que soit l’hypocrisie que cette formulation peut éventuellement révéler à la lumière du chaos que connaissent aujourd’hui certaines régions du monde – est gouvernée par des organisations intergouvernementales qui sont autant d’instruments juridiques internationaux selon les domaines de juridiction.
1017 Voir Leo Gross, « The Peace of Westphalia, 1648-1948 », dans American Journal of International Law, vol. 42, n° 1, 1948, p. 20-41. Cité par Michael Hardt et Antonio Negri, op. cit., note 2, p. 500.
1018 M. Hardt et A. Negri, op. cit., p. 26.
1019 Ibid., p. 27.
1020 Figure éminente dans la formation du cadre juridique des Nations unies. Voir son ouvrage Principles of International Law, New York, Reinehart, 1952.
1021 Ibid., p. 319. Cité par Hardt et Negri, dans ibid., p. 28.
1022 Ibid., p. 29.
1023 Ibid., p. 32.
1024 Ibid.
1025 Voir Jean-François Lyotard, La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
1026 M. Hardt et A. Negri, op. cit., p. 32.
1027 Ibid., p. 33.
1028 Ibid., p. 34.
1029 Ibid., p. 36.
1030 Ibid., p. 41.
1031 Ibid., p. 60.
1032 Ibid., p. 20.
1033 Voir Nicholas Kasirer, « François Gény’s Libre recherche scientifique as a Guide for Legal Translation », dans Louisiana Law Review, vol. 61, n° 2, 2001, p. 331-352.
1034 Voir George Steiner, op. cit.
1035 Roman Jakobson, « Linguistics and Translation », dans L. Venuti (ed.), The Translation Studies Reader, New York, Routledge, 2000, p. 113-118.
1036 L. Venuti, The Scandals of Translation..., op. cit., p. 50. Nous traduisons.
1037 Jacques Derrida, L’oreille de l’autre, Montréal, VLB Éditeur, 1982, p. 161.
1038 Kathleen Davis, Deconstruction and Translation, Manchester/ Northampton, St. Jerome Publisher, 2001, p. 44. Nous traduisons.
1039 « [...] la traduction dans une troisième dimension, où chacun est à la fois un donateur et un réceptionnaire – une double trajectoir ». Else Ribeiro Pires Vieira, « “Haroldo de Campos” poetics of transcreation », dans Susan Bassnett and Harish Trivedi (eds.), op. cit., p. 97.
1040 Jacques Derrida, Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1998, p. 216.
1041 Ibid., p. 222.
1042 Lawrence Venuti (1998), The Scandals of Translation..., op. cit., p. 59.
1043 Ibid., p. 9.
1044 Roland Barthes, « La mort de l’auteur », dans Le bruissement de la langue. Essais critiques IV, Paris, Seuil, coll. « Points/Essais », 1968, rééd. 1984, p. 66.
1045 R. Barthes, « De l’œuvre au texte », dans ibid., p. 77.
1046 R. Barthes, « La mort de l’auteur », op. cit., p. 69.
1047 Terence Eagleton, Literary Theory – An Introduction, Oxford, Basil Blackwell, 1983, p. 74. C’est nous qui soulignons et traduisons.
1048 Ibid., p. 77.
1049 R. Barthes (1975), « La théorie du texte », dans Ecyclopaedia Universalis, op. cit.
1050 Voir les travaux des auteurs du groupe Tel Quel.
1051 T. Eagleton, Literary Theory..., op. cit., p. 141.
1052 Selon la traduction d’Alexis Nouss et de Laurent Lamy, « L’abandon du traducteur », in TTR, vol. X, n° 2, p. 14.
1053 Voir infra.
1054 John Foster et Howard Robinson (eds.), Essays on Berkeley. A Tercentennial Celebration, Oxford, Clarendon Press, 1988, p. 3. Nous traduisons.
1055 L. Chamberlain, op. cit., p. 318. Nous traduisons.
1056 Ibid., p. 328.
1057 Voir Antoine Berman, L’épreuve de l’étranger, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 1984.
1058 L. Chamberlain, op. cit., p. 319.
1059 Voir Serge Gavronsky, « The Translater : From Piety to Cannibalism », dans Sub-Stance, 16, 1977, p. 53-62.
1060 Pour la traduction comme forme de violence, voir A. Dingwaney et C. Maier (eds.), Between Languages and Cultures. Translation and Cross-Cultural Texts, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1995.
1061 Cité par L. Chamberlain, op. cit., p. 320. Nous traduisons.
1062 Ibid. Nous traduisons.
1063 S. Bassnett et H. Trivedi (eds.), op. cit., p. 2. Nous traduisons.
1064 T. Niranjana, Siting Translation. History, Post-Structuralism, and the Colonial Context, Berkeley, University of California Press, 1992, p. 2. Nous traduisons.
1065 S. Bassnett et H. Trivedi (eds.), op. cit., p. 4. Nous traduisons.
1066 Ibid., p. 2. Nous traduisons.
1067 Ibid. Nous traduisons.
1068 Ibid., p. 3. Nous traduisons.
1069 Voir, par exemple, « WIPO Roundtable on Intellectual Property and Indigenous Peoples », 23-24 juin 1998, Genève. Disponible sur Internet à l’adresse : www.wipo.org/news/en/index.html?wipo_content_frame=/news/en/ conferences.html.
1070 J. Derrida, L’Autre cap, Paris, Les Éditions de Minuit, 1991, p. 50.
1071 Ibid., p. 52.
1072 Ibid., p. 71-72.
1073 Voir Carlos Fuentes, Aura, Londres, André Deutsch, 1990.
1074 Cité par Bassnett et Trivedi, op. cit., p. 3. Nous traduisons.
1075 Octavio Paz, « Translation : Literature and Letters », dans Rainer Schulte and John Biguenet (eds.), Theories of Translation. An Anthology of Essays from Dryden to Derrida, Chicago/London, The University of Chicago Press, 1992, p. 154. Nous traduisons.
1076 Jacques Derrida, L’autre cap, Paris, Éditions de Minuit, 1991, p. 33.
1077 J. Derrida, Le droit à la philosophie du point de vue cosmopolitique, Paris, UNESCO et Verdier, 1997, p. 26-27.
1078 Ibid., p. 33.
1079 Ibid., p. 50.
1080 M. Hardt et A. Negri, op. cit., p. 239.
1081 Voir Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, trad. Denis-Armand Canal, Paris, Flammarion, 1992.
1082 M. Hardt et A. Negri, op. cit., p. 238.
1083 Ibid., p. 244.
1084 Voir supra, chapitre II (6).
1085 UNESCO, The Cultural Dimension of Development : Towards a Practical Approach, Paris, UNESCO Press, 1995.
1086 Ibid., p. 21. Nous traduisons.
1087 Ibid., p. 23. Citation de La Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, Préambule et articles 10 à 16, Mexico, du 26 juillet au 6 août 1982. Nous traduisons.
1088 « Toutes les formes de création – mécanique, littéraire ou artistique – sont productrices de valeur [...]. [L]es lois qui protègent ces inventions [...] reflètent les valeurs sous-jacentes d’une société ». R. Gana, « Has Creativity Died in the Third World ?... », op. cit., p. 112.
1089 Les guillemets signifient la « nature artificielle » d’une pareille dénomination. Voir UNESCO, The Cultural Dimension of Development..., op. cit., p. 17. Dans un monde juste, lesdits « développés » et « développeurs » devraient plutôt être des partenaires.
1090 « En fait, seule une conception large, anthropologique de la culture peut fournir les bases nécessaires à sa description et à sa corrélation avec le développement ». Ibid., p. 23. Nous traduisons.
1091 R. Gana, « Has the Creativity Died in the Third World ?... », op. cit., p. 131. Nous traduisons.
1092 « L’individualisme sur lequel se sont basés les droits d’auteur et la nature de la commodification qui joue un rôle essentiel dans les économies libérales se reflètent clairement dans les lois modernes sur le droit d’auteur ». Ibid., p. 128. Nous traduisons.
1093 UNESCO, The Cultural Dimension of Development..., op. cit., p. 22. Nous traduisons.
1094 Voir OMPI, Les Actes de la Conférence diplomatique de la révision de la Convention de Berne (ACB), op. cit., 1974.
1095 Ibid., p. 105. Nous traduisons.
1096 Background Reading Material on Intellectual Property, Geneva, WIPO, 1984, p. 40-41. Nous traduisons.
1097 Voir Robert Sherwood, Intellectual Property and Economic Development, Boulder, CO, Westview Press, 1990, p. 69-70 ; voir également R.F. Whale, Protocol Regarding the Developing Countries, England, British Copyright Council, 1968, p. 8.
1098 R. Sherwood, op. cit., p. 69-70.
1099 Voir Anne Barron, « No Other Law ? Authority, Property, and Aboriginal Art », dans Lionel Bentley et Spyros Maniatis (eds.), Perspectives on Intellectual Property, London, Sweet & Maxwell, 1998, p. 48-51.
1100 Voir R. Gana, « Has Creativity Died in the Third World ?... », op. cit., p. 115-116.
1101 M.M. Boguslavsky, « Copyright in International Relations : International Protection of Literary and Scientific Works », traduit par N. Poulet, Sydney, Australien Copyright Council, 1979, p. 101-102.
1102 Voir Philip Altbach et al., Publishing in the Third World, op. cit., p. 1985.
1103 Voir Ruth L. Gana, « Prospects for Developing Countries Under the TRIPs Agreement », dans Vand. Journal of Transational Law, n° 29, 1996, p. 735.
1104 Intégrant toutes les conventions de propriété intellectuelles antérieurement administrées par l’OMPI dans le giron de l’OMC.
1105 R. Gana, « Has Creativity Died in the Third World ?... », op. cit., p. 120.
1106 Ibid., p. 121.
1107 Ruth L. Gana, « Prospects for Developing Countries Under the TRIPs Agreement », op. cit., p. 743. Nous traduisons. C’est nous qui soulignons.
1108 R. Gana, « Has Creativity Died in the Third World ?... », op. cit., p. 120.
1109 Ibid., p. 141.
1110 Ibid., p. 113.
1111 Ibid., p. 141-144.
1112 Ibid., p. 129-137.
1113 Ibid., p. 117-124.
1114 Celle de l’OMC.
1115 R. Gana, « Has Creativity Died in the Third World ?... », op. cit., p. 132-137.
1116 Ruth L. Gana, « Prospects for Developing Countries Under the TRIPs Agreement », op. cit., p. 771.
1117 Ibid., p. 773.
1118 Voir F. Sabelli et S. George, Crédits sans frontières..., op. cit., p. 21-22.
1119 Philippe Quéau, « Who Owns Knowledge ? », dans Le Monde Diplomatique, janvier 2000. Nous traduisons.
1120 Serge Marty et Babette Stern, « The “New Economy” in Question at the Davos Forum », Le Monde, le 30 janvier 2000, citant Sayyed Hossein Nasr. Nous traduisons.
1121 Voir Translatio, revue trimestrielle publiée en Belgique par la Fédération internationale des traducteurs (FIT) vol. 12, n° 4, 1993.
1122 Voir Dipesh Chakrabarty, Provincializing Europe, Postcolonial Thought and Historical Difference, Princeton. Princeton University Press, 2000.
1123 Voir Lawrence Venuti, The Translator’s Invisibility, London/New York, Routledge, 1995.
1124 Voir l’analyse de l’Annexe de la Convention de Berne à propos des limites aux concessions données aux traducteurs des pays en développement, dans Salah Basalamah, « Compulsory License : An Instrument of Development ? », dans IDEA The Journal of Intellectual Property Law and Technology, vol. 4, n° 40 (October), Franklin Pierce Law Center, 2000.
1125 Voir Salah Basalamah, « Translation Rights and the Philosophy of Translation », dans Journal of Contemporary Thought, Spécial Number, Paradigms for/of Translation, Published in India, vol. 15 (Summer) 2002, p. 57-74.
1126 Voir articles 8, 11, 11ter et 30 de la Convention des droits littéraires et artistiques (Convention de Berne), ainsi que les articles II. III, IV et V de son annexe (1886-1971).
1127 Voir la troisième section de la première partie.
1128 « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), dans Dits et Écrits, t. I, Paris, Gallimard, 1994.
1129 Différence et répétition, Paris, PUF. 1e éd. 1968, rééd. 1998.
1130 « Des tours de Babel », dans Psyché ou inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1987, rééd. 1998.
1131 SPIVAK, Gayatri Chakravorty. « Can the Subaltern Speak ? ». in Bill Ashcroft, Gareth Griffiths, and Helen Tiffin, eds., The Post-Colonial Studies Reader, London, Routledge, 1995, p. 24-28.
1132 Voir Antoine Berman, L’épreuve de l’étranger, op. cit., chapitres 2 et 3.
1133 Article 1, section 8, clause 8 de la Constitution des États-Unis. Nous traduisons.
1134 Voir Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès. Survivre à l’hypercapitalisme, Montréal, Boréal, 2000.
1135 Jacques Derrida, « Des tours de Babel », dans Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1998, p. 214.
1136 Roland Barthes, Le bruissement de la langue, op. cit., p. 67.
1137 Alexis Nouss, « Traduction », dans François Laplantine et Alexis Nouss, Métissages. D’Arcimboldo à Zombi, Paris, Pauvert, 2001. p. 561-562.
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