I. Situation de l’Europe du xviiie au xixe siècle
p. 8-9
Texte intégral
1Le contexte historique de la genèse du « droit de traduction » ne coïncide pas avec celui du droit d’auteur, mais il l’influence profondément. En effet, alors que le Statut d’Anne (1710) et les affaires Millar v. Taylor (1769) et Millar v. Donaldson (1774) – premières pierres de l’édifice du copyright – avaient pour décor le début du XVIIIe siècle britannique, et les lois sur la propriété littéraire de 1791 et de 1793 celui de la Révolution française, c’est en revanche tout le XIXe siècle qui constitue l’arrière-fond historique de la naissance du nouveau droit relatif à la traduction. Non seulement s’agit-il du siècle de la révolution industrielle européenne – révolution qui aura des répercussions importantes sur l’évolution du droit de la propriété littéraire et artistique – mais il s’agit également de celui des révolutions populaires (sociales, politiques et culturelles) qui ont respectivement et directement fondé les nations européennes modernes que nous connaissons aujourd’hui. Cette double particularité du XIXe siècle représente un cadre général dans lequel nous pouvons mettre en évidence au moins quatre domaines d’intérêt directs pour la question du droit de traduction : l’activité littéraire, l’industrie du livre, la valeur des langues et la contrefaçon.
2Si, comme le dit Alain Viala, c’est à l’âge classique que la Naissance de l’écrivain11 a eu lieu, c’est en revanche à l’âge romantique – au XIXe siècle plus généralement – que fut celle de l’écrivain professionnel. Mais le destin du traducteur étant inséparable de celui de l’écrivain et vice-versa, notons d’ores et déjà la simultanéité du développement des traductions et des productions originales. En effet, c’est au moment même où les moyens industriels de production du support de la littérature commencent à voir le jour et où les guerres ont laissé place à une circulation plus libre des gens et des biens à travers l’Europe que l’engouement pour la littérature étrangère s’est, à partir de 1814, peu à peu imposé en France.
3Ainsi, l’augmentation de la production originale et des traductions étant le résultat, d’une part, du double progrès des technologies de l’imprimerie et des moyens de transport, et, d’autre part, du développement de l’alphabétisation, l’activité littéraire est nécessairement liée aux contextes socio-économique et politique qui ont eux-mêmes motivé l’élaboration d’une législation pour la protection des droits des auteurs dans leurs œuvres traduites.
4C’est dans ce contexte particulier de l’histoire européenne que l’activité littéraire du siècle des romantismes européens était, avec le développement de l’industrie du livre et de la contrefaçon, pour le moins intense. C’est durant cette période que l’on situe l’extension du phénomène de la professionnalisation de la production littéraire – déjà amorcé au XVIIIe siècle avec Pope, Johnson et Wordsworth en Grande Bretagne, Lessing et Klopstock en Allemagne et les grandes figures des Lumières françaises – à un cercle beaucoup plus large d’écrivains. De fait, alors que les auteurs qui vivaient de leur plume étaient rares au XVIIIe siècle, ils devenaient toujours plus nombreux au fur et à mesure que le siècle suivant déroulait ses nouvelles inventions et conditions socioculturelles qui lui étaient propres, au point que, selon Benjamin, des lecteurs devenaient à leur tour des auteurs.
5La tendance au XIXe siècle à la démocratisation de l’écriture et à la prise de conscience de sa valeur marchande est le premier pas d’un phénomène spécifique à l’Europe et à ses extensions occidentales et qui, dans le siècle suivant, ira en s’élargissant à la totalité de la planète. En ce sens, étant donné que nous ne pouvons illustrer notre propos en passant en revue les développements de l’activité littéraire de tous les pays européens et américains, nous nous contenterons de présenter ceux, fondateurs, de la Grande-Bretagne et, plus particulièrement, de la France.
Notes de bas de page
11 Alain Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Les Éditions de Minuit, coll.
« Le sens commun », 1985 ; voir chapitre 3 surtout « Les droits contre les lois », p. 85-122.
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Le droit de traduire
Ce livre est cité par
- Ma, Mingrong. (2021) How did a novice translator form the view of translation?: a multi-textual investigation of Lin Yutang at St John’s University. Asia Pacific Translation and Intercultural Studies, 8. DOI: 10.1080/23306343.2021.1978226
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