De Tevye the Dairyman à Fiddler on the Roof : entre contraintes et libertés
p. 145-168
Texte intégral
1. La naissance d’un genre : la comédie musicale
1Au XVIIIe siècle, des compositeurs d’opéra souhaitent inclure de la comédie dans leurs spectacles. Mais cela est difficile dans la mesure où le comique est essentiellement verbal. La musique nuit alors à la compréhension des dialogues. « Le rythme est un ressort essentiel du comique, or on chante beaucoup moins vite qu’on ne parle. Si le compositeur privilégie la musique, la comédie se traîne lamentablement, mais s’il respecte le débit normal de la parole, la musique devient une informe bouillie sonore » (Orrey & Milnes 1991 : 82). Afin de pallier ce problème, des compositeurs d’opéra font le choix de dissocier l’émotion de l’information. La solution consiste à n’utiliser la musique que comme ornement et à donner au langage parlé le temps d’expliquer le comique. La musique supplée donc au texte parlé et devient secondaire. C’est sur ce principe que se développe la comédie musicale américaine, « sœur de l’opérette française via l’Angleterre » (Oster & Vermeil 2008 : 9).
Les Américains ont cette force de pouvoir faire du spectacle avec du n’importe quoi, comme par exemple avec la guerre, la politique, l’homosexualité, etc. C’est un peu, selon moi, le côté négatif du musical. Mais, le côté positif c’est qu’ils arrivent à faire du vrai spectacle même s’il y a quelque chose de décadent dedans. (Taraud 20091
Les comédies musicales, qui sont des spectacles incluant des parties chantées et dansées, sont, dans la plupart des cas, des adaptations. Des librettistes trouvent effectivement leurs inspirations dans différents genres, comme des pièces théâtrales, des films, des légendes, des mythes, des contes de fées, des biographies, etc. L’adaptation d’un support pour la scène musicale peut apparaître comme une « facilité » pour les créateurs des comédies musicales puisqu’elle leur apporte une sécurité, un réconfort.
2Le terme d’adaptation fut utilisé, pour la première fois, par Jacques Amyot (1513-1593). Lors de la traduction des œuvres antiques, cet humaniste français fit le choix de les adapter aux goûts et aux mœurs de son époque. Selon lui : « L’office d’une propre traduction ne gist pas seulement à rendre fidèlement la sentence de son autheur, mais aussi à adomber la forme du style et manière de parler d’icelui » (Cary2 1963 : 17 in Ballard 1992 : 123). Il ne traduisit pas uniquement l’auteur, mais il y apporta sa touche personnelle. L’adaptation est considérée comme « la limite extrême de la traduction » (Vinay & Darbelnet 1958 : 52). Plus tard, ce procédé fut davantage utilisé pour désigner le passage d’un genre à un autre, comme celui du roman littéraire à la scène théâtrale. Le texte de départ est réécrit pour arriver à un texte second. Dans le domaine musical, nous parlons également d’adaptation dans la mesure où des librettistes américains trouvent, en règle générale, leurs inspirations dans des supports qui ont déjà rencontré un succès. C’est la création d’une œuvre seconde par rapport à une œuvre de départ, la réécriture d’une langue orale par rapport à une langue livresque.
3Certains compositeurs et paroliers, désireux d’écrire une comédie musicale à partir d’une œuvre littéraire, font appel à des librettistes. La mission de ces derniers est de récréer un texte second par rapport à un texte d’origine. Ils réécrivent un texte qui est destiné à être joué, vocalisé et chanté. Le colloque « Le double en traduction ou l’ (impossible) entre-deux » est pour nous l’occasion de nous poser la question du double lors de l’adaptation d’une œuvre littéraire pour la scène musicale. Nous choisissons d’étudier le passage de l’œuvre littéraire Tevye the Dairyman, écrite entre 1894 et 1916 par l’écrivain juif-allemand Sholem Aleichem, à Fiddler on the Roof, jouée pour la première fois en 1964 à l’Imperial Theater à New York. Comme le souligna Pierre Larthomas : « La transformation du texte choisi en spectacle suppose un processus complexe qui a été défini par Jacques Copeau comme “le passage d’une vie spirituelle et latente, celle du texte écrit, à une vie concrète et actuelle, celle de la scène” » (Larthomas 1985 : 58).
2. L’adaptation d’une œuvre littéraire pour la scène musicale
2.1. La réécriture du titre
4Parmi les éléments du paratexte3, « la définition même du titre pose quelques problèmes » (Genette 1987 : 54). Le titre se généralisa au XIXe siècle. Avant cela, il n’occupait pas de place particulière et n’était pas réellement mentionné, ou de façon distincte, dans les premières ou dernières lignes du texte. Dans les années 1440-1460, grâce à l’invention de l’imprimerie, le titre prit progressivement de l’importance. En effet, l’écriture fut diffusée de manière plus vaste et rapide. Le livre se répandit et le titre commença à apparaître, vers 1475-1480, sur la page dite de « titre ». Depuis lors, c’est l’élément qui sert à nommer un livre, une chanson, un poème, un article, une pièce de théâtre, etc. L’une de ses fonctions est d’être incitative. À ce sujet, Henri Benac expliqua :
Le titre, première appréhension de l’œuvre (avec la couverture pour le livre, la bande-annonce pour le film…) par le lecteur ou le spectateur potentiel, doit le séduire, le pousser à lire, à voir le film, etc. Il établit ainsi un « contrat de lecture » et l’œuvre est censée répondre aux attentes créées par un titre « alléchant ». (Benac 1988 : 508)
Le titre séduit un client à la recherche d’un ouvrage ou bien un public à l’affût d’un divertissement. Il attise la curiosité du lecteur et du spectateur.
5Le titre original, Tevye the Dairyman, ne fut pas retenu pour nommer la comédie musicale. Dans un premier temps, le musical devait se faire connaître sous le nom de Tevye. Le librettiste choisit un titre éponyme pour désigner la comédie musicale. Cela aurait ainsi permis au spectateur de savoir que le musical avait pour héros un homme, Tevye. En règle générale, l’utilisation d’un titre éponyme donne une plus grande ampleur, dans l’histoire, au personnage qui porte le nom de l’ouvrage. Le nom du héros est la première approche du lecteur ou du spectateur par rapport à l’histoire. Cependant, le titre éponyme Tevye ne fut pas conservé et se trouva remplacé, dans un deuxième temps, par Fiddler on the Roof. La transformation du premier titre peut s’expliquer par le fait que les titres des comédies musicales jouent un rôle important dans la thématique du musical. Ils donnent effectivement une bonne idée du genre, comme par exemple une comédie musicale qui se déclare par l’érotisme. Nous pensons à Gentlemen Prefer Blondes (Les Hommes préfèrent les blondes). Or, en titrant la comédie musicale Tevye, Joseph Stein n’explicitait pas suffisamment l’intrigue du livret. Fiddler on the Roof n’est pas simplement l’histoire de Tevye, un laitier juif, mais c’est aussi le bouleversement de la tradition par les trois premières filles de ce dernier. Dès lors, soucieux de la perception du titre par le spectateur anglo-américain, le compositeur Sheldon Hamick fit remplacer le titre éponyme Tevye par Fiddler on the Roof. Cette transformation s’opéra grâce à une toile du peintre d’origine russe Marc Chagall, à savoir Le Violoniste (1912-1913). Marc Chagall représenta les figures récurrentes dans la tradition juive et le folklore russe. Nous pouvons ainsi citer le violoniste, le bœuf comme par exemple dans Homme et bœuf, de 1912. Le violoniste était un personnage communément présent lors des fêtes et cérémonies religieuses. Ainsi, en choisissant de titrer la comédie musicale Fiddler on the Roof le parolier Sheldon Harnick donna le visage d’une culture, celle de la culture juive. Fiddler on the Roof apparut comme un titre explicite pour ceux qui étaient familiers de la vie et du vécu de Marc Chagall. Mais, il resta énigmatique pour ceux qui ne connaissaient pas la peinture de Marc Chagall. Dès lors, désireux d’apporter à tous les spectateurs la même information par rapport au titre, Sheldon Harnick écrivit un monologue dans le prologue. Ce monologue fut reformulé par le librettiste Joseph Stein.
A fiddler on the Roof. Sounds crazy, no? But in our little village of Anatevka, you might say every one of us is a fiddler on the roof, trying to scratch a pleasant, simple tune without breaking his neck. It isn’t easy. You may ask, why do we stay up here if it’s so dangerous? We stay because Anatevka is our home. And how do we keep our balance? That I can tell you in a word-tradition!4 (Stein, Bock & Harnick 1964: 2)
6Si nous analysons l’adaptation du titre original Tevye the Dairyman par Fiddler on the Roof nous pouvons constater que la fidélité du parolier envers Sholem Aleichem est discrète, mais pertinente. En effet, dans Tevye the Dairyman comme dans Fiddler on the Roof un personnage important est contenu dans le titre : Tevye pour l’un et Fiddler pour l’autre. Dans l’œuvre littéraire, Tevye est présent dans tout l’ouvrage alors que dans la comédie musicale, le violoneux5 ne donne pas la réplique. Ses apparitions sur scène, qui se comptent au nombre de trois, sont toujours stratégiques. Tout d’abord, il ouvre la comédie musicale par un air de violon dénotant la culture juive. Ensuite, il apparaît dans la scène cinq de l’acte un qui est le climax6. En effet, dans cette scène, Tevye apprend qu’il est exclu de son petit village d’Anatevka. Il doit rassembler ses affaires et partir. Et enfin, le violoneux clôt, toujours en musique, la comédie musicale. En conclusion, malgré la réécriture totale du titre du texte source, la fidélité à Sholem Aleichem se trouve dans la conception du titre, chacun valorisant son personnage le plus central.
7Nous pouvons également constater que le titre Fiddler on the Roof répond à une des valeurs du genre musical. Comme le souligna l’historien Alain Masson : « Le noyau de la connotation de comédie musicale emprunte évidemment sa substance au lexique de la musique, ce qui permet au genre de se donner comme pure catégorie artistique » (Masson 1981 : 21 -22). De nombreux titres de comédies musicales renferment des termes musicaux. Quelques exemples vont nous permettre d’illustrer notre propos : Banjo on My Knee, Broadway Melody, Music in My Heart et The Sound of Music (La Mélodie du bonheur). Tous ces titres comportent des mots « issus du monde musical ». La vivacité de la comédie musicale est, pour le public, perceptible dès la lecture du titre. Ainsi, désireux de répondre à cette caractéristique du genre musical, Sheldon Hamick inclut le terme musical fiddler dans le titre.
8En conclusion, la réécriture du titre reste fidèle au titre du texte source dans sa conception et fidèle dans la caractéristique du genre musical par l’emploi d’un terme de musique.
2.2. La gestion des personnages
9L’écriture d’une histoire, qu’elle soit fictive ou réelle, écrite ou orale, qu’elle se présente sous la forme d’un roman, d’une pièce de théâtre ou d’un scénario, demande une étape importante de la part de ceux qui la rédigent : l’élaboration des profils des personnages. Ces derniers sont la base de tout support puisque c’est autour d’eux que vient se greffer une structure narrative. Ils ont des caractéristiques propres, une personnalité et un physique. L’écrivain, tout comme le dramaturge et le librettiste, met non seulement en place des personnages mais leur attribue aussi un rôle bien particulier dans l’histoire.
10Le librettiste Joseph Stein se trouva face à vingt-neuf personnages et un destinataire, présents dans l’œuvre littéraire. Lors de l’écriture du livret musical Fiddler on the Roof, ce professionnel traita les personnages selon deux critères : tout d’abord en fonction du rôle et de l’implication qu’il souhaitait leur donner dans l’histoire musicale, et ensuite selon les règles et les valeurs du genre musical.
2.2.1. La fidélité
11La première stratégie traductologique adoptée par le librettiste fut le littéralisme. En s’attachant au sens strict du texte source, Joseph Stein donna vie à six personnages présents dans Tevye the Dairyman. Ces six personnages sont les trois premières filles de Tevye, à savoir Tzeitel, Hodel et Chava. Ces dernières vont tomber amoureuses de trois hommes. Elles vont alors désirer briser la tradition du mariage forcé. En effet, dans le village d’Anatevka, la marieuse est celle qui doit choisir des époux aux filles pour aller ensuite les proposer au père, le chef de famille. C’est ce dernier qui conclut ou non un accord avec le futur gendre. L’histoire de Fiddler on the Roof est donc le bouleversement de la tradition. Dans les deux genres que sont le genre littéraire et le genre musical, les filles vont à l’encontre du mariage forcé.
12Joseph Stein prit aussi la décision de reproduire fidèlement Parchik, l’étudiant de Kiev aux idées révolutionnaires. Celui-ci, dans l’œuvre littéraire comme dans la comédie musicale, va faire la connaissance de Hodel. Il va en tomber amoureux et va décider de se fiancer avec elle. Le librettiste conserva le déroulement de cette relation amoureuse dans le musical.
13Les deux autres personnages pour lesquels la littéralité fut adoptée sont Fruma Sarah et Grandma Tzeitel. Ces deux femmes jouent un rôle très important dans la scène du faux cauchemar. Dans Tevye the Dairyman, Tevye feint de faire un cauchemar pour ensuite le raconter à sa femme Golde afin de la convaincre de laisser Tzeitel épouser le tailleur du village. Cette scène fut conservée par le librettiste lors de l’écriture de Fiddler on the Roof, ainsi que les rôles imaginés par Sholem Aleichem pour Fruma Sarah et Grandma Tzeitel.
2.2.2. La contrainte de modification
14La comédie musicale est un genre qui possède des règles et des valeurs. Certains thèmes comme la mort et le suicide vont à l’encontre du genre musical. En effet, « la mort, irréversible, grave, est un moment puissamment narratif, propre à constituer une sanction morale ou un dénouement tragique, donc éloigné de la légèreté du genre » (Masson 1981 : 67). Le décès touche le corps dans la mesure où les fonctions respiratoires s’arrêtent. Cependant, dans le domaine musical, la manifestation du corps ne doit jamais être grave, c’est pourquoi le thème de la mort est très souvent exclu de ce genre. Dès lors, Joseph Stein, à la fois respectueux de cette valeur et désireux d’insérer les personnages de Golde, Motel et Shprintze dans le livret musical, modifia les destins tragiques de ces trois individus. En effet, dans Tevye the Dairyman, les deux premières personnes, Golde et Motel, décèdent et la troisième se donne la mort. Tout comme la mort, « le chômage, le suicide, la jalousie et le désespoir sont exclus avec plus de soin que jamais » (Masson 1981 : 265).
15Une seconde contrainte conduisit le librettiste à modifier la quatrième fille de Tevye, Shprintze. Cela concerne la vieillesse, c’est-à-dire la transformation physique par le passage de la puberté à l’âge adulte. « L’espérance de vie des habitants de la comédie musicale est […] extrêmement grande, mais leurs chances de vieillissement sont à peu près nulles » (Masson 1981 : 71). Dès lors, dans le texte source, Shprintze est une petite fille qui devient femme et qui, suite à un chagrin d’amour, se suicide, alors que dans le texte cible, Shprintze apparaît sous les traits d’une petite fille et le reste durant tout le musical. Cette contrainte thématique liée au vieillissement des personnages amena également le librettiste à modifier Bielke, la cinquième fille de Tevye. Dans le texte de départ, Bielke est une petite fille qui devient femme, alors que dans le texte d’arrivée Bielke est une petite fille qui ne grandit pas.
16La modification des personnages se fit au niveau thématique, mais aussi au niveau phonologique. Destinée à être jouée, la comédie musicale doit être compréhensible par tous et la prononciation accentuée des mots ne peut pas perturber le spectateur.
Rien à l’oral ne distingue de façon constante le nom propre du nom commun si ce n’est l’absence d’article pour bon nombre d’entre eux (anthroponymes en français ; anthroponymes et toponymes en anglais) […]. On peut considérer que la majuscule est la marque écrite de l’appartenance à la catégorie : « nom propre ». (Ballard 2001 : 50)
17Cependant, lors de la représentation du spectacle, les spectateurs ne possèdent pas le livret qui leur permettrait de distinguer les noms propres du dialogue. En revanche, ils ont un programme dans lequel figurent les noms des personnages. Ils peuvent ainsi se familiariser, avant le spectacle, avec les personnages. Mais, comme l’indiquèrent Allen Cohen et Steven L. Rosenhaus « les défauts d’élocution sont rares dans les comédies musicales parce qu’ils peuvent être une distraction par rapport au reste du spectacle, ou gêner le spectateur dans la compréhension des mots »7 (Cohen & Rosenhaus 2006 : 87). La mission des comédiens est de prononcer distinctement les phrases et les mots qui les composent. Le travail du librettiste est de faciliter la prononciation des prénoms pour les comédiens. Dès lors, Joseph Stein, qui se trouva face à des anthroponymes dont la prononciation différait de celle de l’anglo-américain, fit le choix d’adopter la stratégie de la transcription.
18Nous avons choisi de présenter les anthroponymes dans un tableau. Dans la première colonne, nous avons indiqué les prénoms présents dans Tevye the Dairyman. Dans la colonne suivante, nous avons écrit les choix faits par le librettiste Joseph Stein, dans Fiddler on the Roof, pour ces mêmes noms propres. Dans la troisième colonne, nous avons noté la traduction française adoptée par Edmond Fleg en 1962. Cette dernière colonne nous aide à prononcer les anthroponymes et à savoir où placer l’intonation.
Tevye the Dairyman | Fiddler on the Roof | Un Violon sur le toit (Tèvié le laitier) |
Tevye | Tevye | Tèvié |
Golde | Golde | Goldè |
Tsaytl | Tzeitel | Tseitel |
Hodl | Hodel | Hodel |
Chava | Chava | ‘hawè |
Shprintze | Shprintze | Sprinntsè |
Beilke | Bielke | Beilkè |
Efrayim | Yente | Efroïm |
Motl Komzoyl | Motel Mamzoil | Mottoul Kamisol |
Pertchik | Perchik | Pfefferl |
Layzer Wolf | Lazar Wolf | Leizer Wolf |
Gandma Tsaytl | Grandma Tzeitel | Grand’mère Tseitel |
Frume Soreh | Fruma-Sarah | Froumè-Sorè |
Chvedka | Fyedka | ‘hvodkè |
Les anthroponymes inscrits en gras sont ceux qui furent transformés par le librettiste. Des contraintes d’ordre phonologique amenèrent donc Joseph Stein à faire ces transformations. Nous nous proposons d’analyser la modification graphique de quatre noms propres afin de comprendre les raisons de ces transformations.
19– Tsaytl devint graphiquement Tzeitel : les deux voyelles « ay » devinrent « ei » afin d’obtenir le son de la diphtongue qui lui correspond, soit /eɪ/, le graphème « e » entre le « t » et le « 1 » fut rajouté pour avoir le son //, et la consonne « s » se transforma en « z » afin de donner le son /ts/. Ainsi, en 1961, Tsaytl devint Tzeitel. En 1969 et en 2005, les deux adaptateurs français conservèrent cette modification graphique.
20– Motl Komzoyl devint Motel Kamzoil : tout comme pour l’anthroponyme Tsaytl, le graphème « e » entre le « t » et le « l » fut rajouté afin d’obtenir le son //, la voyelle « o » fut remplacée par un « a » pour avoir le son /a/ et le « y » se transforma, dans le texte cible, en « i », ce qui donne le son /ɔɪ/. Dès lors, en 1961, Motl Komzoyl devint Motel Kamzoil. En 1969, le graphème « z » de Kamzoyl devint « s » afin d’obtenir le son [s] alors qu’en 2005, cette consonne fut préservée.
21– Pertchik devint Perchik : la consonne « t » située entre le « r » et le « c » fut supprimée. En effet, en anglo-américain, ces deux consonnes se prononcent /tʃ/. Le son /t/ se trouve déjà dans sa prononciation. Par conséquent, la consonne « t », présente dans Pertchik, était de trop. Elle fut donc supprimée. En 1961, Pertchik devint Perchik. En 1969 et en 2005, les deux adaptateurs français conservèrent cette modification graphique.
22– Chvedka devint Fyedka : la réunion des sons /tʃ/ et /vi : / obtenus par les consonnes « ch » et « v » était difficilement prononçable pour un Anglo-Américain. Le « ch » se vit donc supprimé. Puis, le librettiste adopta la stratégie de la transcription, stratégie qui consiste à « représenter les sons effectivement prononcés » (D.L.L.8 : 498 in Ballard 2001 : 27). Le graphème « v », présent dans l’anthroponyme Chvedka, devint un « f » puisque dans la langue russe la consonne « v » se prononce [f]. Ensuite, la voyelle « y » fut rajoutée afin d’obtenir le son /i : /. En 1961, Chvedka devint Fyedka. En 1969 et en 2005, les deux adaptateurs français préservèrent ce changement graphique.
23La graphie des anthroponymes du texte source différa dans le texte cible, permettant donc une prononciation plus facile de ceux-ci pour les comédiens.
2.2.3. La liberté de modification
24La comédie musicale possède plusieurs valeurs, dont le dévoilement des acteurs, chanteurs et danseurs. Afin de répondre à cette caractéristique, le librettiste prit la liberté de modifier la personnalité de deux personnages du texte original, à savoir Tevye et Lazar Wolf. Dans les deux genres, le genre littéraire et le genre musical, ces deux individus expriment ce qu’ils ressentent, engendrant ainsi des émotions chez le lecteur et le spectateur. Mais les identités de Tevye et Lazar Wolf divergent dans les deux supports. En effet, en ce qui concerne Tevye le laitier, Sholem Aleichem peignit un homme pathétique, doux et maladroit, qui trouva refuge dans les Écritures auxquelles il fit régulièrement référence. Dieu lui apporta non seulement du réconfort mais aussi des réponses. A contrario, Joseph Stein mit en scène un homme drôle, attachant et rêveur. C’est un personnage énergique et malin. Cependant, malgré une modification au niveau de la personnalité de ce personnage, Joseph Stein conserva la profession de Tevye : un laitier vendant du fromage, du lait et du beurre. La raison de cette préservation du métier peut s’expliquer par le fait que selon les Écritures
La Palestine, la terre promise, est souvent désignée […] comme un pays où « ruissellent le lait et le miel » (Exode, III, 8, et Lévitique, XX, 24) pour indiquer qu’il s’agit d’une contrée paradisiaque où les nourritures les plus naturelles et les plus simples sont aisément disponibles. (Malaguzzi 2006 : 181.
Le lait symbolise « la nature même de l’être humain, la vie active […]. La blancheur du lait représente l’innocence et la bonne action » (Malaguzzi 2006 : 181). En choisissant de faire de son personnage principal un laitier, Sholem Aleichem le caractérisa de manière implicite par ce qu’il produisait ; c’est un homme travailleur. Malgré les difficultés de la vie, ce dernier ne cessa de livrer sa marchandise aux clients. Joseph Stein resta fidèle à cette volonté de faire de Tevye un laitier.
25Concernant Lazar Wolf, le boucher du village, celui-ci joua un rôle capital dans l’œuvre littéraire. En effet, il fut l’homme qui souhaita épouser la première fille de Tevye, Tzeitel. Joseph Stein conserva le rôle joué par Lazar Wolf. Il prit aussi la liberté de supprimer des éléments de détail relatifs à ce personnage. Dans le texte de départ, Lazar est un homme vieux, veuf, père de deux enfants, amusant et soucieux de son avenir : il ne veut pas finir ses jours seul, d’où sa proposition de mariage à Tzeitel. A contrario, dans le texte d’arrivée, c’est un homme vieux, veuf, colérique et capricieux. Vexé de ne pas avoir la fille de Tevye en mariage, il s’énerve et s’emporte : « Reb Tevye, I’m not marrying your daughter. I don ’t have to listen to your sayings »9 (Stein, Bock & Harnick 1964 : 93).
2.2.4. La transformation
26La stratégie de la transformation fut adoptée par Joseph Stein afin de répondre aux valeurs de la comédie musicale. Comme l’indique Alain Masson :
Point de comédie musicale sans personnage féminin bizarre, théoriquement bizarre. […] Les personnages féminins fantaisistes ou apparemment paradoxaux ne constitue[nt] pas une couche symbolique du musical, mais plutôt un motif obligé, dans la mesure où il a gardé sa valeur constituante. (Masson 1981 : 161)
Soucieux de répondre à cette valeur du genre musical, le librettiste transforma le marieur du village en marieuse. Dans le texte source, le marieur se fit connaître sous le nom d’Efrayim, alors que dans le texte d’arrivée, la marieuse prit le prénom de Yente. Malgré le fait que le librettiste fit apparaître le marieur sous des traits différents, celui-ci conserva le rôle de la marieuse au sein d’une communauté juive. En effet, selon la tradition juive, le marieur « apaisait », « soulageait » des parents en leur proposant des époux/épouses pour leurs enfants. Il tenait une fonction honorable et respectée. Ainsi, par cette transformation, Joseph Stein resta non seulement fidèle à Sholem Aleichem puisqu’il mit en scène une marieuse, mais aussi aux principes du genre musical dans la mesure où il créa une femme « bizarre ». En effet, Yente ne choisit pas souvent des maris appropriés aux jeunes filles. Prenons l’exemple de Tzeitel, alors âgée de 17 ans, qui eut comme prétendant un homme beaucoup plus vieux qu’elle. « But Marna, the men she finds. The last one was so old and he was bald. He had no hair »10 (Stein, Bock & Harnick 1964 : 11).
27Puis, Joseph Stein transforma le destinataire. En effet, dans Tevye the Dairyman, Tevye le laitier s’adressa à Sholem Aleichem lui-même : « You’ve been wondering, have you, Pan Sholem Aleichem, where I’ve been all this time ? »11 (Aleichem 2004 : 53). Une relation de complicité se créa entre les deux hommes. Désireux de préserver cette complicité, Joseph Stein mit en scène un laitier s’adressant non pas à l’écrivain, ni au librettiste mais au public : « You may ask, how did this tradition start ? I’ll tell you – I don’t know ! »12 (Stein, Bock & Harnick 1964 : 2). Par cette interpellation au public, Tevye brisa le « quatrième mur », théorie élaborée par André Antoine pour désigner la ligne invisible séparant le public des acteurs. D’après lui, la salle de spectacle et la scène étaient deux mondes différents qui ne cohabitaient pas. Or, engendrer des émotions dans le cœur des spectateurs est un enjeu particulier au musical. Briser ce « quatrième mur » apparut alors comme une solution. Le public devint le confident de Tevye. En conclusion, le destinataire est présent dans le texte de départ comme dans le texte d’arrivée mais sous des traits différents, chacun répondant au genre qui lui correspond.
2.2.5. La liberté de supprimer et de créer
28Tous les personnages figurant dans les huit livres de Sholem Aleichem n’eurent pas de deuxième vie sur scène. Une raison temporelle, liée au genre musical, peut expliquer la suppression, par le librettiste, des neuf personnages.
Les comédies musicales modernes durent environ deux heures et trente minutes, dont quinze à vingt minutes pour l’entracte. […] Bien sûr, les spectacles peuvent être plus courts ou plus longs que la moyenne. Mais si un spectacle de Broadway dure moins d’une heure et trente minutes, les spectateurs peuvent avoir le sentiment d’avoir été trompés s’ils ont payé plein tarif, et si cela dure plus de trois heures, le producteur doit payer les heures supplémentaires aux musiciens et aux personnes responsables de la scène. La plupart des producteurs ne veulent pas de ces dépenses supplémentaires13. (Cohen & Rosenhaus 2006 : 77)
Le librettiste respecta cette durée moyenne en supprimant, par exemple, les deux époux des deux dernières filles de Tevye nommés Ahronchik et Podhutzur. Il conserva malgré tout les rôles de Shprintze et Bielke.
29Joseph Stein prit aussi la liberté de créer des personnages, et ce afin de renforcer l’impératif de vraisemblance souhaité par la comédie musicale. En effet, « le musical se refuse dans les meilleurs cas la tentation d’un réalisme naïf » (Masson 1981 : 108). L’histoire de Fiddler on the Roof se passe dans le village d’Anatevka, le librettiste inventa donc les villageois. Le public fit ainsi la connaissance de Nahum le mendiant, d’Avram le bouquiniste, de Mordcha l’aubergiste et de Yussel le chapelier. Ces quatre personnages, dans la comédie musicale, seront victimes d’un pogrom, tout comme la famille de Tevye. Cela permet de faire comprendre au public que c’est l’ensemble de la communauté juive qui fut touché par cette décision du gouverneur russe et non pas uniquement la famille de Tevye. Puis, le librettiste, en collaboration avec le parolier Sheldon Harnick, créa le personnage du violoneux. Ce dernier est la représentation symbolique du peuple juif en Russie. Nous avons expliqué son rôle quelques lignes plus haut dans le sous-chapitre 2.1. intitulé « La réécriture du titre ».
2.3. La production d’une langue orale par rapport à une langue livresque
30La création du double en traduction, dans le domaine de la comédie musicale, concerna principalement le texte. La mission du librettiste fut de re-créer un texte second entretenant avec le texte original des relations d’équivalences. La plupart des comédies musicales sont des adaptations. Les librettistes donnent ainsi une seconde vie à une œuvre qui remporta ou non un succès. En ce qui concerne Tevye the Dairyman, c’était une œuvre connue de la population juive et hébraïque. Joseph Steinbeck expliqua lui-même : « J’avais bien aimé lire les histoires de Tevye quand j’étais enfant, j’ai donc proposé de les prendre en considération »14 (Altman & Kaufman 1971 : 20). Afin de ne pas perturber voire choquer les spectateurs par une comédie musicale éloignée de son texte de base, le librettiste fit le choix de respecter le contenu du livre de départ.
31Des raisons d’ordre temporel amenèrent Joseph Stein à réécrire le texte de départ. En effet, s’il avait choisi de reprendre fidèlement les phrases présentes dans l’œuvre de départ, il aurait été en possession d’un livret de plusieurs heures. Afin de résoudre ce problème, le librettiste décida de réduire la longueur des phrases. Un exemple va nous permettre d’illustrer notre propos. Pour cela, nous choisissons d’analyser l’adaptation d’un échange entre Tevye et Lazar Wolf pour la scène musicale. Ce dialogue, situé dans le livre numéro trois de Tevye the Dairyman, concerne la proposition de mariage de Lazar Wolf faite à Tevye par rapport à Tzetiel.
“Now that we ’re alone with only four eyes between the two of us,” says Layzer Wolf to me, “you and I can talk business. It’s like this: I ’ve been wanting to speak to you for quite a while, Reb Tevye. I even asked your daughter several times to have you come see me. You see, lately I’ve had my eye on- ”ʼ
“I know you have,” I said. “But it won’t do you any good. It’s out of the question, Layzer Wolf simply out of the question.”ʼ
“But why?” he asks, […]
“Because there’s no hurry,” I say. “She’s still young. The river won’t catch fire if we wait a little longer.” […]
“Excuse me, Reb Layzer Wolf,” I say, “but do you have any idea what we ’re talking about?”’
“I should say I do, Reb Tevye,” he says. “But perhaps you’d like to tell me.”ʼ
“With pleasure,” I say. “We ’re talking about my brown cow that you want me to sell you.”
“Hee hee hee,” he says, […]. “Your brown cow, no less, that’s a good one… ho ho ho!”
“But what do you think we were talking about, Reb Layzer Wolf?” I say.
“Why not let me in on the joke?”
“Why, about your daughter!” he says. “We’ve been talking all along about your Tsaytl!”15 (Aleichem 2004 : 37)
Voici comment cet échange fut réécrit, par Joseph Stein, pour la comédie musicale. Il se trouve dans la scène quatre de l’acte un.
Lazar: “Tevye, I suppose you know why I wanted to see you”.
Tevye (Drinks.): “Yes, I do, Reb Lazar, but there is no use talking about it”,
Lazar (Upset): “Why not?”
Tevye: “Whyyes? Why should I get rid of her?”
Lazar: “Well, you have a few more without her”. […]
Tevye: “Why is it important to you?”
Lazar: “Frankly, because I am lonesome”.
Tevye (Startled): “Lonesome? What are you talking about?”
Lazar: “You don’t know?”
Tevye: “We ’re talking about my new cow. The one you want to buy from
me”.
Lazar (Stares at Tevye, then bursts into laughter.) “A milk cow! So I
won’t be lonesome!” (He howls with laughter. Tevye stares at him.)
Tevye: “What’s so funny?”
Lazar: “I was talking about your daughter. Your daughter, Tzeitel!”16
(Stein, Bock & Harnick 1964: 42)
Par cet exemple, nous pouvons constater que les répliques de Fiddler on the Roof sont plus courtes que celles de Tevye the Dairyman. Nous remarquons également que malgré la réécriture complète du texte de départ, Joseph Stein resta fidèle quant à la structure. En effet, dans les deux genres, Lazar fut le premier à prendre la parole. Puis, les deux hommes commencèrent à converser sur un sujet différent. Et enfin, c’est Lazar qui éclaire l’incompréhension en expliquant qu’il parle de Tzeitel, la fille de Tevye, et non de la vache du laitier. Ainsi, l’enchaînement des phrases fut conservé dans l’adaptation.
32Le librettiste prit aussi la décision de préserver certains termes clés des conversations adaptées. Des mots et/ou expressions se retrouvent effectivement dans les deux genres. Cette stratégie traductologique permit à Joseph Stein de rester fidèle, par l’emploi des mots, à l’écrivain Sholem Aleichem et de ne pas perdre, par la même occasion, l’identité du texte source. Afin d’illustrer notre propos, nous nous proposons d’étudier l’échange entre Tevye et Motel lorsque ce dernier vient demander au laitier la main de Tzeitel. Ce dialogue se situe dans le livre numéro trois de Tevye the Dairyman.
“Just what are you trying to tell me?" I asked. “You don’t happen to have a match for my Tsatyl, do you?”
“One just her size!” he says in tailor talk.
"A serious proposal?” I say […]
“The perfect fit!” he says with another look at my girls. […]
“In that case,” I say, “perhaps I can ask you who it is”.
“Who is it?” he says […] “The match I have in mind for you, Reb Tevye, is none other than myself.” […]
"Are you crazy?” I said. “Since when can you be the matchmaker, the father-in-law, and the groom all rolled into one?”17 (Aleichem 2004: 47-49)
Voici comment cet échange fut réécrit pour la scène musicale. Celui-ci se trouve dans la scène 6 de l’acte 1.
Motel: “I have a match for Tzeitel”.
Tevye: “What kind of match?”
Motel: “A perfect fit”. […]
Tevye: “All right. Who is it?” […]
Motel: “It’s me – myself”. […]
Tevye […]: “Him? Himself (To Motel) Either you ’re completely out of your mind or you ’re crazy. (To the audience) He must be crazy. (To Motel) Arranging a match for yourself. What are you, everything? The bridegroom, the matchmaker, the guests all rolled into one? I suppose you’ll even perform the ceremony. You must be crazy!” […]18 (Stein, Bock & Harnick 1964: 64-66)
Par cet exemple, nous pouvons constater que les mots importants de la conversation, inscrits en gras, figurent dans le texte d’arrivée. Les idées formulées par Sholem Aleichem sont présentes dans l’adaptation. Le librettiste effectua « une reformulation à partir du sens abstrait (au sens de sens ‘extrait’ du texte) et puis des opérations de comparaison avec les formes de départ afin de s’assurer de la qualité du rendu » (Beylot 2005 : 5). Le dialogue du texte cible entretient donc avec le texte source une relation d’équivalence, et ce à deux niveaux : au niveau de la structure et de l’enchaînement des phrases et au niveau des mots employés.
33Une contrainte liée à la compréhension conduisit le librettiste à supprimer les phrases écrites en hébreu. En effet, dans le texte original, le laitier Tevye fit régulièrement référence aux Écritures. L’insertion de passages hébraïques permit aux lecteurs de découvrir que les habitants d’Anatevka firent usage de cette langue lorsqu’ils se référèrent aux textes fondamentaux et aux Écritures. L’hébreu est la langue « dont l’autorité réside dans les textes fondamentaux et la religion » (Ertel 2002 : 99)19. Quant au yiddish, correspondant à l’allemand du XVIe siècle, c’est la langue de tous les jours. Dès lors, face aux phrases religieuses, le librettiste décida de les supprimer. Cependant, il fit le choix d’inclure, de manière dispersée et dans un contexte précis, trois termes étrangers, à savoir Amen, L’Chaim et Mazel tov. L ’Chaim fut introduit par sa traduction anglaise soit to life signifiant « à la tienne » en français. Grâce à cette stratégie traductologique, le librettiste préserva la couleur locale. Joseph Stein inséra également, dans la chanson To Life, L’Chaim, deux phrases russes permettant ainsi de préciser le fait qu’à cette époque, vers 1905, les Juifs vivaient avec les Russes et que leur cohabitation était parfois tendue voire difficile.
“Za va sha, Zdarovia,
Heaven bless you both, Nazdrovia,
To your health, and may we live together in peace”20 (Stein, Harnick & Bock 1964: 50).
2.4. La création d’un double : le livret musical
34Le librettiste Joseph Stein eut pour mission d’écrire un livret basé sur une œuvre littéraire. Il dut adapter une langue livresque pour la scène musicale, créer un texte second en gardant des relations d’équivalence avec le texte de départ. Nous pouvons comparer le librettiste à un travailleur dans le bâtiment. En effet, tout comme l’artisan a besoin de ciment et de briques pour construire un pont qui tienne debout, le librettiste a besoin d’évènements et de personnages afin d’écrire une histoire, de scénariser tout en suivant un ordre narratif. Tous les éléments permettant la création d’un livret figurent dans un texte de départ.
35Les choix traductologiques de Joseph Stein, lors de l’écriture du double, furent divers. Tout d’abord, il prit la décision de commencer la comédie musicale par l’histoire contée dans le livre numéro trois et ce, suite à des contraintes temporelles. En effet, les comédies musicales ont une durée moyenne de deux heures trente. Il décida alors de ne raconter que les histoires des livres numéros trois, quatre et cinq et de ne conserver, des cinq autres livres, que des éléments de détails. Nous pouvons donner les exemples du penchant rêveur de Tevye raconté dans le livre numéro deux et du pogrom expliqué dans le livre numéro huit. Les éléments figurant dans les cinq autres livres l’aidèrent donc à lier toute l’histoire. Ensuite, il fit le choix de ne pas raconter chronologiquement les histoires des trois livres retenus. Afin de ne pas faire diriger l’attention du public sur une seule et unique intrigue, à savoir le mariage de Tzeitel qui est situé dans le livre trois, Joseph Stein décida de raconter en parallèle les histoires des livres numéros trois, quatre et cinq. L’ordre chronologique ne fut donc pas préservé. « Ayant à rapporter des événements, tout narrateur a le choix entre suivre l’ordre dans lequel ceux-ci sont censés se dérouler (c’est l’ordre chronologique), et en adopter un autre (c’est le régime des « anachronies », pour reprendre l’expression de Genette » (Gardies 1993 : 87). Puis, le librettiste prit la liberté d’inventer des dialogues. Tevye the Dairyman fut raconté avec la focalisation interne. Le lecteur découvrit donc l’histoire à travers les yeux de Tevye. Dès lors, Joseph Stein créa des dialogues entre les trois filles de Tevye et leurs amoureux. Le spectateur apparaît comme un confident. Le librettiste lui annonce les évènements en avance, et c’est ensuite que Tevye les découvre. Suite à cela, Joseph Stein, respectueux de répondre au réalisme de la comédie musicale, décida de représenter des scènes de la vie quotidienne d’une communauté juive. Nous pouvons donner les exemples de la scène religieuse du Chabbat, la cérémonie de mariage de Tzeitel et Motel et le pogrom subi par les villageois d’Anatevka. « Le musical refuse dans les meilleurs cas la tentation d’un réalisme naïf » (Masson 1981 : 108). Joseph Stein respecta donc cette particularité de la comédie musicale. Enfin, Joseph Stein prit la décision de ne changer ni les dénouements des histoires des livres numéros trois, quatre et cinq, ni la fin tragique de l’œuvre originale. Ainsi, tout comme dans l’œuvre littéraire, Tzeitel épousa Motel, Hodel se fiança avec Perchik et partit le rejoindre en Sibérie, Chava s’éprit d’amour pour un Russe et décida de quitter la maison familiale pour se marier avec lui ; elle fut bannie du foyer familial. Puis, tout comme dans Tevye the Dairyman, les villageois d’Anatevka furent contraints d’abandonner leur village. Il conserva la fin tragique et dérogea à la règle du happy-end. La comédie musicale se termina par la mise en scène de personnages submergés par la tristesse, le chagrin et l’inquiétude puisqu’ils durent quitter leurs maisons.
36Après avoir créé la base écrite, le compositeur Jerry Bock et le parolier Sheldon Harnick greffèrent des chansons au texte. En règle générale, les numéros musicaux se comptent au nombre de quatorze. « Alors qu’il n’y a pas de règles à ce sujet, la grande majorité des comédies musicales ont quatorze ou quinze chansons dans le livret. Cela peut dépendre de la nature du spectacle et de la longueur des chansons »21 (Cohen & Rosenhaus 2006 : 71). Les chansons sont placées à des moments stratégiques : elles commentent indirectement l’histoire et véhiculent des émotions. Le compositeur et le parolier de Fiddler on the Roof décidèrent d’écrire une chanson ouvrant la comédie musicale. « Le résultat fut “Tradition”, chanson qui met en place la scène et le ton de l’histoire, qui introduit les personnages, et qui présente le thème et le corps du spectacle »22 (Cohen & Rosenhaus 1971 : 64). Cette chanson mit en place le décor. Les numéros musicaux permettent également aux acteurs d’exprimer des émotions. En règle générale, il est plus facile de dire ce que nous ressentons en chantant qu’en parlant. Pour illustrer notre propos nous allons donner l’exemple de la chanson « If I Were a Rich Man ». Ce numéro musical renforça le penchant à la rêverie de Tevye, élément du livre numéro deux conservé par Joseph Stein. Afin de donner plus de force aux sentiments qu’éprouva Tevye, le compositeur Jerry Bock et le parolier Sheldon Harnick remplacèrent le langage parlé par du langage chanté. Lorsque nous analysons plus en détail cette chanson, nous découvrons que Sheldon Harnick conserva, dans le texte cible, les mots clés présents dans le texte source. Il écrivit une chanson tout en préservant les mots choisis par Sholem Aleichem. Un extrait de la chanson « If I Were a Rich Man » mis en parallèle avec le texte original va nous permettre d’illustrer notre propos. Le passage ci-dessous se situe dans le livre numéro deux de Tevye the Dairyman.
I imagined ourselves living in the middle of the town, in a huge house with a real tin roof, and lots of wings, and all kinds of rooms and alcoves and pantries filled with good things. My wife Golde, a regular lady now, walking from room to room with a key ring in her hand – why, she looked so different, so high-and-mighty with her pearls and double chin, that I hardly recognized her!23 (Aleichem 2004: 29)
Voici comment ce paragraphe fut utilisé dans l’écriture d’un paragraphe de la chanson Fiddler on the Roof.
I’d build a big, tall house with rooms by the dozen
Right in the middle of the town,
A fine tin roof and real wooden floors below. […]
I see my wife, my Golde, looking like a rich man ’s wife,
With a proper double chin,
Supervising meals to her delight24 (Stein, Bock & Harnick 1964: 22- 23)
Par cet exemple, nous pouvons constater que les mots clés, inscrits en gras, contenus dans le texte de départ, furent conservés pour écrire le texte d’arrivée. Malgré une différence de forme, un dialogue pour l’un, une chanson pour l’autre, le contenu resta identique. La fidélité à Sholem Aleichem s’observa donc dans l’écriture des numéros musicaux de Fiddler on the Roof.
37Des chansons furent aussi écrites pour indiquer au spectateur la couleur locale. Joseph Stein fit effectivement le choix de représenter des moments de la culture juive, et Jerry Bock renforça cette volonté par la composition d’une chanson typique russe titrée « Chavaleh ». Comme l’expliquèrent Altman et Kaufman « Jerry composa une musique qui avait la qualité de cette merveilleuse vieille chanson folklorique russe intitulée “prairie” »25 (Altman & Kaufman 1971 : 200). Sheldon Harnick écrivit les paroles de cette musique folklorique et décida de lui donner le titre de « Chavaleh », surnom de Chava. L’une des caractéristiques du surnom est « de véhiculer […] une charge affective ou de marquer un certain degré de familiarité » (Ballard 2001 : 179). Le numéro musical, voulu par Jerry Bock, vint renforcer la tristesse de Tevye. En effet, celui-ci venait d’apprendre que sa fille Chava, sa Chavaleh, avait résolu de se marier avec un Russe. N’approuvant pas sa décision, Tevye fit le choix de l’exclure du foyer familial et de la considérer comme morte. C’est un moment riche en émotions et la musique renforce cette tristesse.
38Diverses raisons conduisirent le compositeur Jerry Bock et le parolier Sheldon Harnick à composer d’autres numéros musicaux : nous pensons à « Sunrise, Sunset » pour représenter la cérémonie de mariage au sein de la communauté juive, à « The Tailor Motel Kamzoil » pour faire avancer l’histoire et à « Do You Love Me ? » pour combler un désir. En effet, Sheldon expliqua à ce sujet :
À chaque fois que je voyais la chanson « Est-ce que tu m’aimes ? » jouée sur scène, se rappelle Sheldon, je me suis rendu compte que j’avais les larmes aux yeux et je ne savais pas pourquoi. Finalement il me vint à l’esprit que j’avais écrit mon fantasme à propos de mes propres parents dans cette chanson sur la façon dont j’aurais aimé qu’ils soient. Mes parents se battaient tout le temps, et en fantasme j’aurais aimé qu’ils se tiennent une fois la main et qu’ils se disent : « Oui, je t’aime »26. (Altman & Kaufman 1971 : 37)
« Do You Love Me ? » est effectivement une chanson qui explique la relation amoureuse entre Tevye et Golde. Ces deux personnages se sont liés suite à la tradition du mariage arrangé. Le chant renvoie de fortes émotions.
39En conclusion, la mise en forme du livret musical Fiddler on the Roof se fit en deux temps. Tout d’abord, le librettiste Joseph Stein se chargea d’écrire l’histoire, c’est-à-dire le langage parlé. Puis, le compositeur Jerry Bock et le parolier Sheldon Harnick eurent pour mission de greffer des numéros musicaux dans le livret. Ils remplacèrent des passages parlés par des passages chantés. Les chansons se greffèrent ainsi au texte.
En guise de conclusion
40La production d’une comédie musicale basée sur un ouvrage littéraire est considérée comme une adaptation, dans la mesure où c’est la création d’un double par rapport à un texte de départ. Dans le domaine musical, et plus particulièrement celui de la comédie musicale, c’est l’écriture d’une langue orale par rapport à une langue livresque. L’adaptateur donne ainsi une seconde vie à une œuvre déjà existante. En ce qui concerne Fiddler on the Roof, histoire basée sur Tevye the Dairyman, le texte d’arrivée entretient des relations d’équivalences avec le texte de départ. En effet, lors de l’écriture du livret, le librettiste resta fidèle au texte source, et ce à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il adopta la stratégie du littéralisme par rapport à quelques personnages. Ensuite, il préserva la couleur locale du texte source par l’insertion de termes hébreux et de phrases russes et par la conservation de l’enchaînement des phrases, de la structure et des mots clés présents dans les dialogues de départ. Enfin, il réécrivit un texte second en conservant les histoires complètes de trois livres et des éléments de détail des cinq autres histoires. La fin, qualifiée de tragique car les villageois doivent quitter leurs maisons, ne fut pas modifiée. C’est une fin riche en émotion, et l’émotion, comme le souligne Josette Feral, « c’est la peau d’un tam-tam qui vibre quand on le frappe, la caisse de résonance d’un violon, la faculté de l’écho, la vibration qui est provoquée quand notre âme est frappée par quelque chose qui vient de l’extérieur peut-être… » (Féral 2001 : 109). Cependant, la création d’un double en traduction requiert des changements. En effet, le terme d’adaptation désigne le passage d’un genre à une autre. Le changement d’un genre, qu’il soit littéraire, artistique, musical, implique des modifications, des transformations. Ainsi, en ce qui concerne l’adaptation d’une œuvre littéraire pour la scène musicale, des transformations furent apportées. Ces diverses transformations furent guidées par des contraintes liées aux règles et aux valeurs du genre musical. Des contraintes d’ordre thématique amenèrent le librettiste à modifier des personnages, des contraintes d’ordre phonologique conduisirent Joseph Stein à changer la graphie de quelques anthroponymes et des contraintes d’ordre temporel amenèrent le librettiste à réécrire des dialogues plus courts. Le contenu des échanges entre les personnages, dans Fiddler on the Roof, resta fidèle au texte source Tevye the Dairyman. De plus, comme le souligna l’adaptateur français de comédie musicale Christophe Mirambeau : « Le public doit saisir inconsciemment et immédiatement ce qui lui est dit ; il n’a pas le temps de réfléchir à ce qu’il vient d’entendre, il faut que cela passe, que cela entre, sur-le-champ »27 (Mirambeau 2009). Les spectateurs doivent comprendre, tout de suite, l’histoire. La reformulation des dialogues fut donc de rigueur.
41Le double en traduction, dans le domaine musical, signifie que le librettiste navigue entre les contraintes et les libertés pour rester fidèle au texte source. Le texte d’arrivée est une adaptation du texte de départ. Le compositeur, en collaboration avec le parolier vient ensuite greffer des chansons sur le texte. Les chansons sont écrites pour renforcer une idée.
Bibliographie
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Références
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Harrap’s Unabridged, Volume 1 : Anglais-Français, Edinburgh, Chambers Harrap Publishers Ldt, 2001.
Rencontres
LAPORTE Stéphane, Paris, 10/02/2009.
MIRAMBEAU Christophe, Paris, 21/09/2009.
TARAUD Éric, Paris, 21/09/2009.
Notes de bas de page
1 Rencontre avec l’adaptateur français des chansons de Cabaret, Éric Taraud, à Paris, le 21/09/2009.
2 Edmond Cary, Les Grands traducteurs français, Genève, Georg, 1963.
3 Terme inventé par Gérard Genette en 1981 pour désigner l’« ensemble des éléments éditoriaux qui accompagnent un texte publié et qui orientent la lecture (titre, dédicace, préfaces, notes, etc.) » (Dictionnaire culturel en langue française 2005).
4 Adaptation française de Stéphane Laporte : « Un violon sur le toit. Plutôt bizarre, non ? Pourtant, dans notre petit village d’Anatevka, c’est comme si chacun jouait du violon sur son toit, comme si chacun essayait de tirer un joli petit refrain de son instrument sans se briser le cou. C’est pas facile. Vous allez me demander : pourquoi est-ce qu’on reste là-haut si c’est tellement dangereux ? On reste parce qu’Anatevka, c’est chez nous… Et comment est-ce qu’on garde l’équilibre ? Alors là, l’explication tient en un mot : la TRADITION ! » (Laporte 2005 : 3).
5 Le terme de « violoneux » renvoie au violoniste du village, à celui qui joue de la musique traditionnelle. Il est ainsi traduit par fiddler en anglo-américain. Alors que le mot « violoniste » renvoie au musicien de violon dans un orchestre par exemple et est alors traduit par violinist ou violin player en anglo-américain (Harrap’s Unabridged, Volume 1 : Anglais-Français, 2001).
6 Le climax est défini par Pierre Jenn comme « le moment où, vers la fin du film, l’émotion du spectateur est censée atteindre son point culminant grâce à une action particulièrement intense par laquelle la résolution sera consommée » (Nacache 1995 : 105).
7 Notre traduction de : « speech impediments are rare in musical theatre because they can be a distraction from the rest of the show, or hinder the audience ’s ability to understand the words ».
8 D.L.L. renvoie à l’ouvrage de Jean Dubois, Mathée Giacomo, Louis Guespin, Christiane Marcellesi, Jean-Baptiste Marcellesi, Jean-Pierre Mevel, Dictionnaire de linguistique Larousse, Paris, Larousse, 1973.
9 Adaptation française de Stéphane Laporte en 2005 par : « Reb Tevye, je me marie pas avec ta fille. Je n’ai pas à écouter tes proverbes ».
10 Adaptation française de Stéphane Laporte : « Mais Maman, tu as vu les hommes qu’elle trouve ? Le dernier avait cent ans et il était chauve. Il avait pas de cheveux » (Laporte 2005 : 6).
11 Traduction française d’Edmond Fleg : « Pour sûr, vous êtes étonné, Reb Scholem Alei’chem, qu’on ne voit plus Tèvié depuis si longtemps, et qu’en un coup, il est tout gris devenu » (Fleg 1962 : 87).
12 Adaptation française de Stéphane Laporte : « Vous allez me demander d’où nous vient cette tradition, et je vais vous répondre… J’en sais rien » (Laporte 2005 : 3).
13 Notre traduction de : « Modern musicals have an average playing time of around two and a half hours, including a fifteen – to twenty – minute intermission. […] Shows can run shorter or longer than the average, of course. But if a Broadway show runs much less than an hour and a half, audience members may feel cheated if they paid full price; and if it runs longer than three hours, the producer must pay overtime to the musicians and stagehands, and most producers will not consider a show that entails this added expense ».
14 Notre traduction de : « I had enjoyed reading the Tevye stories as a child, so I proposed that we consider them ».
15 Traduction française d’Edmond Fleg : « Maintenant, qu’il me fait, nous sommes là tout seuls. Nous pouvons une fois schmussè, bavarder, entre les quatre-z-yeux. Déjà longtemps j’ai voulu vous parler, Reb Tèvié. Combien de fois, lemoschel par exemple, je vous ai laissé dire par votre Tseitel, votre fille… Vous devez savoir que j’ai jeté un œil sur… »/ « Oui, je sais que vous avez jeté un œil dessus, Reb Leizer Wolf. Mais, même si vous auriez jeté deux œils dessus, ça ne veut pas aller, Reb Leizer Wolf, ça ne veut pas aller ! »/ « Et pourquoi ? » qu’il me fait ; […] « Pourquoi ? D’abord primo, parce que ça ne me presse pas, l’eau ne brûle pas encore ! » […]/ « De quoi est-ce que vous pensez que nous parlons tout ce temps, Reb Leizer Wolf ? » que je dis./ « Et vous, Reb Tèvié, qu’il me dit, de quoi est-ce que vous pensez que nous parlons tout ce temps ? »/ « De quoi je pense que nous parlons tout ce temps ? que je dis. De ma mauvaise vache que vous voulez m’acheter, que je dis. Voilà de quoi nous parlons tout ce temps », que je dis./ « Ah ! Ah ! Ah ! qu’il dit. […] Oui, c’est juste d’une vache ! et d’une mauvaise encore !… »/ « Alors de quoi est-ce que vous pensez que nous parlons tout ce temps ? que je dis. Voyons dites seulement, Reb Leizer Wolf ! Moi aussi, que je rie une fois ! »/ « De votre Tseitel, de votre fille nous parlons tout ce temps ! qu’il me dit » (Fleg 1962 : 63-65).
16 Adaptation française de Stéphane Laporte : « Tevye-tu sais certainement pourquoi je tenais à te voir »./ « Oui, Reb Lazar, mais tu perds ton temps »./ (Perturbé) « Ah, bon ! Pourquoi ? »/ « Pourquoi veux-tu que je me débarrasse d’elle ? »/ « Mais, parce que tu en as d’autres ! » […]/ « Allons, bon ! Pourquoi ? »/ « Je vais être franc… Parce que je me sens seul »./ « Tu te sens seul ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? »/ « Qu’est-ce que je raconte ?!! »/ « On parle bien de ma petite vache laitière. Celle que tu veux m’acheter »./ (Fixe TEVYE du regard, puis éclate de rire) « Une vache laitière ! Pour plus être seul ! (Il hurle de rire. TEVYE le regarde sans rien dire)/ « Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? »/ « Je parlais de ta fille. De ta fille Tzeitel ! » (Laporte 2005 : 23-24).
17 Traduction française d’Edmond Fleg : « Quoi ? comment ? qu’est-ce que tu dis ? que je réponds. Est-ce que peut-être tu saurais un parti pour ma Tseitel ? »/ « Pour votre Tseitel, bien sûr, que je sais un parti ! »/ « Quelque chose au moins qui irait ? » que je réponds […]/ « Quelque chose qui irait sur mesure », qu’il me répond […]/ « Alors dis une fois qui est-ce que c’est, le garçon ? »/ « Qui est-ce que c’est le garçon ? qu’il me fait. Le garçon, c’est moi ». […]/ « Est-ce que tu es devenu fou-meschugguè, que je lui dis, ou bien est-ce que tu as seulement perdu l’esprit ? Alors tu es le schad’hen, et tu es le ‘hossen ? » (Fleg 1962 : 47-49).
18 Adaptation française de Stéphane Laporte : « J’ai un parti pour Tzeitel »./ « Ah ! quel genre de parti ? »/ « Du sur-mesure ». […]/ « Très bien. C’est qui ? » […]/ « C’est moi… moi-même ». […]/ « Lui ? Lui-même ? […] Soit tu es tombé sur la tête, soit tu es devenu fou. (Au public) Il est tombé sur la tête. (A MOTEL) Tu arranges ton propre mariage ? Tu comptes tout faire ? Le marié, la marieuse, les invités ? J’imagine que tu comptes aussi célébrer la cérémonie ?… Tu es tombé sur la tête » (Laporte 2005 : 34-35).
19 Conférence de Rachel Ertel intitulée « Hantise de mort, hantise de mots : traduire le yiddish » en 2001, in Dix-huitièmes assises de la traduction littéraire (Arles 2001), Arles, Atlas/Actes Sud, 2002.
20 Adaptation française de Stéphane Laporte : « Zava Shazdarovia ! À votre santé, Nazdrovia ! Plaise au ciel que nous vivions toujours dans la paix ! (Laporte 2005 : 27).
21 Notre traduction de : « While there are no rules about this, the vast majority of musicals have fourteen or fifteen songs in the score. To some extent this may depend on the nature of the show and the length of the songs ».
22 Notre traduction de : « The result was ‘Tradition’, which sets the scene and the tone, introduces the major characters, and presents the theme and spine of the entire show as well ».
23 Traduction française d’Edmond Fleg : « Je vois devant les yeux une grande maison, au milieu de la ville, une maison avec de la tôle sur le toit, avec des écuries, avec des grandes chambres et avec des petites chambres, avec des caves et avec des greniers ; et une balebostè, une dame, comme on dit, tourne, dedans, avec les clefs ; et cette dame, c’est ma Goldè. Elle a reçu tout à fait une autre figure, un ponem avec deux mentons, et un cou avec deux cents perles ! » (Fleg 1962 : 49).
24 Adaptation française de Stéphane Laporte : « Je bâtirais un vrai manoir tout en marbre blanc, de la cave jusqu’au toit, des tas de pièces avec du parquet ancien. […] Je vois d’ici ma femme, en véritable femme de riche, avec deux ou trois mentons, surveillant de près tout son intérieur » (Laporte 2005 : 12).
25 Notre traduction de : « Jerry did a piece of music that had the quality of that marvelous old Russian folk song ‘Meadowland’ ».
26 Notre traduction de : « Each time I saw ‘Do You Love Me ? ’performed in the show,” Sheldon recalls, “I found that it brought tears to my eyes and I didn’t know why. Eventually it occurred to me that I had written my fantasy about my own parents into the song – about the way I wished my parents had been. My parents were fighting all the time, and in fantasy I wished they had held hands once in a while and said, ‘Yeah…I love you ’ ».
27 Rencontre avec l’adaptateur français Christophe Mirambeau, le 21/09/2009 à Paris.
Auteur
Étudiante en deuxième année de doctorat à l’Université Catholique de l’Ouest et Collège Doctoral d’Angers, où elle fait une thèse sous la direction du Professeur Yannick Le Boulicaut dans le domaine de la traductologie et plus particulièrement dans celui de la comédie musicale.
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Pour une interdisciplinarité réciproque
Recherches actuelles en traductologie
Marie-Alice Belle et Alvaro Echeverri (dir.)
2017
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 1
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2011
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 2
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2012
La traduction dans les cultures plurilingues
Francis Mus, Karen Vandemeulebroucke, Lieven D’Hulst et al. (dir.)
2011
La tierce main
Le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIe siècle
Kristiina Taivalkoski-Shilov
2006
Sociologie de la traduction
La science-fiction américaine dans l’espace culturel français des années 1950
Jean-Marc Gouanvic
1999