Introduction
p. 13-15
Texte intégral
1« Écouter l’autre ».
2Pendant sa vie, les humbles et les ouvriers du Nord, parlant de lui, disaient : « Maxence ».
3Il vivait retiré, à l’écart des foules, et recevait peu. Et s’il questionnait beaucoup, il ne révélait rien de lui-même.
4« Ce qui me touche, je le tais ! » avouait-il parfois. Et quand Albin Michel, son éditeur, le supplia de rédiger quelques notes biographiques pour les lecteurs avides, il lui envoya, le 10 janvier 1943, une courte page, un curriculum vitae des plus restreints : « Puiqu ’il faut parler de Mo-â, voici quelques notes. Ne les donnez pas toutes ensemble. Soyez bref. »
5Sa mère, son père, son épouse restaient dans l’ombre. Et son enfance, les difficultés familiales et les deuils ne pouvaient s’exprimer que traduits en romans, endossés par d’autres héros habitant ailleurs.
6Autour de lui, chacun avait adopté cette attitude, on était secret à force de discrétion. Et la solitude rendait sauvage, et la sensibilité à fleur de peau faisait cabrer à tout essai d’intrusion.
7Après la mort de Maxence, l’oubli estompa la gloire, et l’écrivain « régional » tomba en désuétude.
8Pourtant, de temps à autre, on apprenait qu’un étranger l’adoptait comme sujet de thèse. Londres, Québec, Bonn, Louvain, Tokyo publiaient des études, des mémoires. Peu à peu les romans devenaient pages d’histoire : Les grèves et la lutte des classes dans le Nord ? Lisez donc Quand les sirènes se taisent ! – La première guerre mondiale ? Confer Invasion 14 ! – La vie quotidienne en Flandre ? Voir La Maison dans la Dune et Maria, fille de Flandre ! On finit par reprocher au romancier d’avoir romancé, de changer une date ou le numéro d’une maison. On se mit à le juger en historien qui aurait fait erreur parfois et volontairement. Et l’on s’efforça de lire entre les lignes pour une découverte de vie privée, pour une approche psychanalytique de l’œuvre.
9 Sur la Grand’place de Gouda, en Hollande, la Maison de Justice se dresse comme une nef prête à prendre le large. En haut du grand escalier double, une devise conseille aux arrivants : « Altérant Partent audite », « Écoutez l’autre partie ».
10Ce livre, c’est l’autre partie, à écouter.
11Notre histoire familiale nous colle à la peau ; il n’y a que nous qui pouvons y toucher sans égratigner ; ou alors il faut attendre qu’elle se desquame et tombe. Sarah, la fille de l’écrivain, savait bien qu’il faudrait dire un jour qui il était. Mais c’était encore trop à vif, trop brûlant. Elle réagissait avec force chaque fois qu’elle se sentait atteinte. A chaque demande de documentation en vue d’une biographie, elle répondait : « Un jour, nous l’écrirons ». Elle disparut sans avoir pu honorer ce contrat.
12Sa mort a aiguisé le problème : les proches et les amis de Maxence vieillissent et disparaissent. Il est temps de mettre ensemble tous les souvenirs, de réanimer certains personnages de romans, les événements familiaux éclairants, et cette atmosphère de calme, de silence, de lucidité presque conventuels qu’il créait autour de lui. Les écrits, notes et manuscrits sont promis au grand public ; encore faut-il qu’ils soient revitalisés, sous peine de rester grimoires à décrypter.
13 Écoutez l’autre !
14Denis, Elisabeth, Térèse, ce petit reste d’une famille qui tremble encore d’être avilie, mise à nu...
15Maître Rohart, le Chanoine Spanneut, Paul Callens, les confidents d’hier, j’allais dire les frères d’armes.
16Le « petit René », qui semble encore aujourd’hui remettre sa menotte dans la main d’un papa, quand il revit ses jeux au long du canal.
17Écoutez Jeanne Duhain et Suzanne Delannoy, qui recréent la bibliothèque universitaire ou les courées de l’Épeule.
18Découvrez peu à peu comment l’amitié peut naître sans qu’on y pense entre deux partenaires de travail, un romancier et son éditeur, un peintre et son modèle.
19Écoutez aussi les témoins des lendemains : l’Abbé Lehembre marqué par Pêcheurs d’hommes, Roger Vercel ou Jean Samaille, médecins à cause de Corps et Âmes, à travers Corps et Âmes.
20Et ces deux retraités qui se retrouvent quarante ans après leurs bancs d’école, et qui rêvent : « Tu te souviens, les dictées et les lectures qui nous emballèrent ! – On devrait faire une exposition Van der Meersch ! » Écoutez Jean Pétition et Jean-Pierre Deperchin, et tous les visiteurs de cette exposition, y compris Blanchette Brunoy, oui, la vedette du film de 1939, la Karelina de L’Empreinte du dieu.
21 Écoutez l’autre.
22– Est-ce une biographie ? – Tout a été contrôlé ; on a voulu être vrai. Mais c’est Maxence qui écrit bien des pages !
23– Alors, c’est une biographie à la manière de Van der Meersch ?
24– Quel beau compliment !
25Les Amis de Maxence Van der Meersch
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