Modalité d’une lutte contre l’antisémitisme autour de la Seconde Guerre mondiale
p. 181-213
Texte intégral
1L’idée d’un combat civilisationnel est révélatrice de l’ampleur du défi posé à l’Église par les régimes totalitaires dans les années 1930. Si le régime fasciste pouvait entretenir une certaine proximité avec le corporatisme au fondement de la pensée sociale chrétienne, le nazisme représentait quelque chose de radicalement nouveau. Ses appels au sang et au peuple, son idéologie raciste, venaient heurter de plein fouet les conceptions universalistes de l’Église. L’Église fut mal préparée à affronter la subversion nazie. L’idéologie nazie s’est emparée des formes du message chrétien, elle a investi le langage et les codes de l’Église, et y a injecté ses propres mythes. La pensée nazie a su investir les formes de la pensée chrétienne, mais en les vidant et en les rebâtissant autour du principe racial. Il faut relire Victor Klemperer pour bien saisir la subversion opérée par le nazisme : « Le nazisme a été pris par des millions de gens pour l’Évangile, parce qu’il se servait de la langue de l’Évangile », analyse-t-il1. Klemperer a bien montré l’effrayante stratégie de nazification sémantique, qui dénature les mots les plus communs jusqu’à les vider de leur sens. « Langue de croyance, puisqu’elle vise au fanatisme », la langue du Troisième Reich était « étroitement proche du christianisme, ou plus exactement du catholicisme »2. La propagande nazie a su capter un langage produit plus tôt dans l’histoire par l’Église, pour le transposer dans un cadre nouveau dominé par l’idée de race3.
2Qu’il y ait eu de forts égarements de la part des chrétiens face au nazisme et à son antisémitisme s’explique par un manque de discernement quant à l’impossibilité de concilier l’idéologie raciste et la doctrine de l’Église4. Alors que le discours dominant en Europe appelait à sauvegarder le génie de la race, les glissements ont pu s’opérer sans résistance, de la haine théologique du juif, déjà fortement relayée par l’animosité populaire, à la haine raciale ; de l’antisémitisme d’Église à l’antisémitisme nazi. La construction théologique du Juif, qui s’exprimait si souvent sous la forme d’un antisémitisme haineux, a préparé la large passivité chrétienne face au déferlement de l’antisémitisme nazi.
3Actualisé au sein d’un système de pensée racialisé, l’antisémitisme du début du XXe siècle (postulant un Juif inconvertissable ou inassimilable) devait conduire dans sa version nazie à l’idée d’un conflit sans compromis entre le Juif et l’Aryen. Reprenant les grands thèmes de l’antisémitisme religieux, mais en portant à son plus haut degré de cohérence la haine raciale du Juif, l’antisémitisme nazi a néanmoins favorisé un nouveau climat de pensée dans les rangs catholiques. Une réflexion s’entame sur le caractère hautement anti-chrétien du nazisme et l’exclusion mutuelle de l’antisémitisme et du christianisme dès la fin des années 1930. Comme le comprit très bien Nicolas Berdiaeff dès la première moitié des années 1950 : « Les formes prises de nos jours par la persécution, reviennent, d’un point de vue chrétien, à la condamnation finale de l’antisémitisme. C’est dans ce fait que se trouve la vertu du nazisme »5. Hiérarchiser les races, prétendre à leur concurrence vitale et, à terme, à une fragmentation de l’humanité, devait provoquer une vive réaction de la part de la pensée catholique dont la vision était portée par l’unification du genre humain.
4C’est ainsi que l’idée d’une contradiction essentielle entre antisémitisme et christianisme a permis par contre-coup de légitimer la voie philosémite contre la voie antisémite. Cependant, les stratégies adoptées pour lutter contre l’antisémitisme nazi ont largement différé entre philosémites et Saint-Siège. Plus que jamais, le philosémitisme est apparu comme un lieu de tension au sein de l’Église, un lieu révélateur de la disparité flagrante dans l’appréciation catholique de la « Question juive ».
1/ Déplacement du philosémitisme anti-libéral
5Le philosémite trouve son origine et sa justification théologique dans la lecture de l’Épître aux Romains de saint Paul. Les chapitres 9-11 soulignent en effet la place incontournable qu’occupent les Juifs dans l’économie chrétienne du Salut. C’est sur cette base que s’est construit le philosémitisme, dès la deuxième moitié du XIXe siècle.
6Le philosémitisme a néanmoins connu des évolutions remarquables dans la première moitié du XXe siècle, tout particulièrement à partir des années 1920. Bénéficiant du changement de perspective induit par la reconstruction intellectuelle de la pensée chrétienne autour du primat de la charité, le philosémitisme a pu prendre des directions inédites et se poser en adversaire résolu du postulat antisémite en milieu chrétien.
7Cependant, il faut noter que le philosémitisme moderne, tout en succédant au philosémitisme anti-libéral du XIXe siècle, n’a pas éradiqué son prédécesseur, bien au contraire. Le philosémitisme anti-libéral a perduré dans les milieux intransigeants et ouverts à une charité mesurée mais toujours mâtinée des conceptions triomphalistes et apocalyptistes de la pensée catholique du XIXe siècle. Coexistent ainsi, à partir des années 1930, deux branches philosémites répondant à deux systèmes de pensée de plus en plus distincts.
8Nous avons déjà pu parler du décret de condamnation des Amici Israel. Dans ce texte du 25 mars 1928, le Siège apostolique « condamne la haine contre le peuple choisi par Dieu autrefois, cette haine que l’on désigne d’ordinaire sous le vocable d’antisémitisme ». Or, la haine dont parle le texte, c’est avant tout la haine raciale, la haine qui débouche sur l’action violente. Le décret condamne certes l’antisémitisme. Mais l’antisémitisme racial, non l’antisémitisme préventif de l’Église. Ni la dépréciation religieuse, théologiquement argumentée, ni l’appel à exclure les Juifs de la société idéalement chrétienne, sont délégitimés. Le discours philosémite moderne devenait bon gré mal gré l’apanage du camp non-conformiste ; tandis que l’antisémitisme était clairement désavoué dans le texte du décret. Alors que la proposition philosémite moderne commençait à s’opposer à la proposition antisémite, le philosémitisme anti-libéral a pu apparaître aux plus intransigeants comme un moyen commode de perpétuer le programme antisémite de l’Église sous couvert d’amour des Juifs.
9Les thèses de Julio Meinvielle témoignent de ce déplacement. Julio Meinvielle (1905-1973) est l’auteur d’une théologie structurée du philosémitisme anti-libéral. Les référents apocalyptiques y apparaissent comme une toile de fond aux propos tenus sur Israël. Le plus souvent sous-entendus, ils renvoient à un mode de pensée propre aux anti-libéraux du XIXe siècle. Théologien argentin, représentant de ce fondamentalisme sud-américain qui s’opposa âprement aux thèses que Maritain soutient à partir des années 1930, Julio Meinvielle devait perpétuer le philosémitisme des frères Lémann dans une version violemment antijudaïque, en opposition très nette aux thèses portées par Maritain à la même période. Il publie en 1936 un ouvrage qui devint avec le temps emblématique de la doctrine philosémite anti-libérale telle qu’elle se présente des années quarante à nos jours : El judío en el misterio de la historia (« Les Juifs dans le mystère de l’histoire »).
10Chez Meinvielle, la filiation avec le premier philosémitisme est évidente. Refusant de considérer le Juif dans ses aspects économique, politique, sociologique ou anthropologique, Meinvielle prétend « donner une explication du juif, et, dans ce cas, la seule explication possible, une explication théologique »6. Il se réfère de ce fait aux épîtres de saint Paul, mais en produit une lecture très durcie dans le sens d’un antisémitisme d’Église. C’est ainsi qu’il avance que « les chrétiens, qui ne peuvent pas haïr les juifs, qui ne peuvent les persécuter ni les empêcher de vivre, ni les troubler dans l’accomplissement de leurs lois et coutumes, doivent cependant se préserver du péril judaïque »7. Julio Meinvielle opère ainsi une jonction très explicite entre le philosémitisme anti-libéral et l’antisémitisme d’Église, et les réunit dans un même discours. Il énonce :
Aussi l’Église, avec une grande sagesse et suivant la doctrine des Apôtres sur les interventions de la Synagogue, quand elle était forte dans le domaine temporel, s’est opposée à l’entrée des juifs dans les peuples chrétiens. Elle savait que c’était un peuple dangereux, qui complotait la perte des chrétiens. Peuple sacré, sans doute, on ne devait pas le persécuter, et il devait être traité avec respect, ainsi qu’il convenait à la grandeur de ses pères. Mais peuple ennemi, dont il était nécessaire de se mettre en garde et de se défendre. La discipline du ghetto correspondait à leur triste condition.8
11Quant à la conversion des Juifs, qui intéressait tant les frères Lémann, Léon Bloy, ou leurs héritiers spirituels, elle n’est abordée que de manière limitée dans El judío en el misterio de la historia, et à la manière d’un « fait métahistorique proprement eschatologique », c’est-à-dire d’un sujet dont l’auteur ne peut vraiment parler puisque l’événement dépasse les considérations de l’histoire qu’il entreprend de saisir et de présenter9.
12Le discours philosémite anti-libéral est apparu à la lumière des années quarante et cinquante comme le discours chrétien sur le Juif le plus apte à accompagner le discours de type intransigeant. Loin des débordements outranciers de l’antisémitisme, le philosémitisme a pu devenir un lieu d’affrontement entre deux visions du monde. C’est ainsi que la question de la place des Juifs dans l’histoire divisa profondément Meinvielle et Maritain ; comme si la place accordée aux Juifs par la pensée de chacun des deux penseurs devait être le reflet ou le test de l’ensemble de leurs positions philosophiques.
13Il est assez troublant de remarquer que chaque texte (celui de Maritain, celui de Meinvielle) répond très exactement à l’autre, comme si chacun des auteurs voulait se situer par rapport à l’autre. Maritain a-t-il écrit son texte de 1937 en réponse à celui de Meinvielle ? L’idée est séduisante, d’autant plus que Maritain était encore présent en Argentine en 1936, au moment de la sortie du livre de Meinvielle. Meinvielle a-t-il rédigé ses thèses en réaction à celles de Maritain ? Certes, Maritain n’a pas encore publié le texte de son « Impossible antisémitisme » lorsque Meinvielle publie son El judío en el misterio de la historia (il faudra attendre l’année suivante, 1937) ; mais les thèses maritainiennes sont connues10. Certainement doit-on voir dans cette synchronie des écritures un révélateur de l’opposition réciproque qui se tisse entre les deux systèmes de pensée. Comme si chacun des textes tentait de subvertir les thèses portées par l’autre, et à travers elles l’ensemble de son système philosophique.
14Nous avons déjà montré toute la nouveauté des propositions maritainiennes dans un chapitre précédent. Le philosémitisme maritainien manifesta une récapitulation de la doctrine de l’Église fondée sur le primat thomiste de la charité. Subversif par rapport au philosémitisme anti-libéral, la vision maritainienne permit de construire le philosémitisme dans d’autres lieux de la pensée. Mais tout aussi subversif fut le philosémitisme de Meinvielle, ce dernier entendant donner aux propositions du philosémitisme anti-libéral une résonance qu’elles ne pouvaient avoir un demi-siècle plus tôt. Construit dans les conditions propres au XXe siècle, tout discours sur le Juif ne pouvait être qu’une réécriture engageant une certaine vision de l’Église et de sa place dans le monde.
15Les thèses de Meinvielle sont simples : aucune coopération n’est possible entre Juifs et chrétiens. Au contraire de la cité pluraliste de Maritain, la cité de Meinvielle est le lieu de tensions déterminées à s’affronter. Son argumentation théologique peut être résumée en trois points :
Substitution. Le peuple juif a été privé de sa mission salvatrice par l’Église. « Ce n’est […] pas la descendance charnelle d’Abraham qui sauve, mais son union spirituelle par la foi au Christ »11.
Vocation. Là où Maritain produit une réflexion sur le Mystère d’Israël face à l’Église, Meinvielle soutient l’idée que le Juif, parce qu’il n’a pas reconnu le Christ, pervertit sa vocation originale. De fait, « ce peuple est devenu en partie infidèle à sa vocation, et c’est pour cela qu’il accomplit dans l’humanité la mission sacrée et diabolique de corrompre et de dominer tous les peuples. […] Toujours le juif, emporté par la frénésie de la domination mondiale, rafle les richesses des peuples et sème la désolation »12.
Tension. Sur la base de ces deux premiers points, il apparaît donc que Juifs et chrétiens ne peuvent que s’opposer. « Depuis que le Christ fut élevé sur le Mont du Calvaire, le monde a été livré à deux forces véritablement opposées : la force juive et la force chrétienne »13.
16Les éléments d’opposition aux thèses maritainiennes sont partout présents dans l’ouvrage. Le Padre argentin y revient encore à l’occasion de son brûlot anti-Maritain de 1945, De Lamennais à Maritain, traduit et publié en français en 1956. Le motif juif y apparaît sans grande variation, puisque Meinvielle ne démord par de son antienne : « Le païen ignore l’Église ; le Juif la déteste. Le Païen construit un monde ignorant du surnaturel ; le Juif le construit avec le recours à un surnaturel diaboliquement inversé »14. Si le réquisitoire s’attaque globalement aux thèses d’Humanisme intégral, le reproche de Meinvielle vise principalement l’ouverture de la « cité maritainienne » aux forces athées, libérales, matérialistes, socialistes, communistes, juives… les Juifs pouvant finalement y « persécuter l’Église, sans montrer leurs mains, et au nom de la Loi »15. La diatribe prend alors le chemin de longues digressions qui tendent plus ou moins ouvertement à associer les attaques contre l’Église aux forces juives débridées par la société postrévolutionnaire.
17Contrairement à Maritain, Julio Meinvielle témoigne d’une incapacité à sortir de catégories théologiques et historiques figées et dominées par ce que le théologien argentin présente comme une loi immuable : la « loi de persécution de la Synagogue contre l’Église »16. Pour le Padre, l’opposition des Juifs et des Gentils est une « catégorie historique qui illumin[e] tout le mystère du Christ et de sa Rédemption de l’Univers »17. Il existe une loi de tension dialectique du Juif et du gentil qui fonctionne (ou en tout cas qui doit fonctionner) comme un repoussoir de la société humaine vers le christianisme. C’est ainsi que Meinvielle énonce : « si les nations ne veulent pas tomber sous la domination du juif, elles doivent se soumettre au joug suave de la loi du Christ. Si au contraire elles rejettent le royaume public de Jésus-Christ, elles devront nécessairement tomber sous la loi judaïque »18.
18Chez Meinvielle, le déterminisme théologique s’associe à la rhétorique et à l’hyperbole pour brosser une vision obligatoirement conflictuelle du Juif et du chrétien : « L’israélite fut toujours de conditions naturelles perverses, dominé par un orgueil et une grande avarice » affirme Meinvielle19. Il est dans l’histoire un « agent de l’iniquité »20, celui qui tient la première place dans le royaume du mal. « Ennemis théologiques » selon la volonté de Dieu21, d’après Meinvielle, Juifs et chrétiens doivent inévitablement s’affronter.
19L’opposition apparaît sur plusieurs points essentiels entre le philosémitisme de Meinvielle et celui de Maritain. Nous en retiendrons deux, dont découlent l’ensemble des thèses avancées.
20La première de ces oppositions apparaît dans la manière dont la charité est conçue. Charité évangélique, ordonnatrice de l’ensemble de l’œuvre philosophique de Maritain, elle est une charité pratique et limitée pour Meinvielle. Ce dernier prévient : la « Charité n’est pas sentimentalisme qui consent à toutes les erreurs et les infractions des autres. La charité, c’est procurer efficacement le bien réel (éternel et temporel) des autres, et haïr à tout moment le mal »22. Au vu de la présentation que nous avons faite des thèses de Meinvielle, il est aisé de comprendre que ce mal dont parle le théologien argentin n’est ni plus ni moins que le Juif à qui il faut refuser toute charité pratique.
21Cette première opposition est soutenue par une vision de l’histoire différente de celle portée par Maritain. Car si la loi de tension dialectique avancée par Meinvielle se rapproche de la loi du double progrès constant de Maritain, les sources différent et engagent des perspectives très contrastées. C’est ainsi que Meinvielle bâtit sa vision des Juifs sur une lecture de l’Épître aux Thessaloniciens de saint Paul : « Ces gens-là ont mis à mort le Seigneur et les Prophètes, ils nous ont persécutés, ils ne plaisent pas à Dieu, ils sont ennemis de tous les hommes, quand ils nous empêchent de prêcher les païens pour leur salut, mettant ainsi en tout temps le comble à leur péché » (I Tes 2, 15-16). « Catégorie historique permanente »23 de l’opposition à l’Église, le Juif agit dans l’histoire pour contrer l’influence chrétienne. Référence à une loi particulière chez Meinvielle, référence à une loi générale chez Maritain : voilà toute la différence entre les deux perspectives. Alors que Meinvielle particularise l’action négative des Juifs, Maritain sait l’intégrer dans un système plus large de pensée.
22Julio Meinvielle s’appuie sur saint Paul pour définir le rôle du peuple juif dans l’histoire. Mais à la différence du philosémitisme tel qu’il se structure vers la fin des années 1930, Meinvielle fait appel aux écrits pauliniens pour n’en retenir que les éléments à charge contre le judaïsme. Faisant preuve d’une métaphysique aveugle, alimentée par la vision hallucinée d’une Synagogue persécutrice de l’Église, il produit une vision déterministe de l’histoire dans laquelle l’Église ne peut que s’opposer au Juif. Il prévient :
Mais plus est élevée la grandeur d’Israël, qui a été prédestiné dans le Christ, plus grande devra être sa fidélité au Christ. Malheur à ce peuple s’il en vient à répudier Celui qui est son salut ! Alors il continuera à être le premier, mais le premier dans l’iniquité. Et tout ce que le monde peut produire de plus inique et de plus pervers sortira de ce peuple.24
23Associé aux forces libérales, socialistes, communistes de son temps, le Juif continue de servir de figure transhistorique à la corruption morale que l’Église doit combattre.
24Meinvielle représente le point le plus avancé de l’argumentation philosémite anti-libérale, mais aussi son stade terminal. Après 1936, date de la publication d’El judío en el misterio de la historia, l’argumentation conservatrice varia peu. Philosémitisme sclérosé, incapable de récapitulation, mais uniquement de durcissement, le philosémitisme de Meinvielle trouva après-guerre sa place dans les milieux conservateurs encore imprégnés des idéaux du catholicisme du XIXe siècle. L’influence de Meinvielle atteint les cercles vaticans à partir de 1946, et prospère en Europe parmi les milieux les plus intransigeants25. Cependant, son analyse reflète largement les positions intransigeantes catholiques sur la « Question juive » à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Le Juif est perçu comme un agent du mal, opposé à l’Église, tandis que les commandements évangéliques s’appliquent difficilement à sa personne.
25Notons pour finir que le livre de Meinvielle connut une première édition en français en 1959, au moment de la convocation du second Concile Vatican II, et une seconde au début de l’année 1965. édité par les Documents-Paternité, avant que le Concile se prononce sur le document final « Sur les Juifs », cette deuxième édition semble indiquer la vision philosémite la plus en vue parmi les traditionalistes français et sud-américains, jusqu’à aujourd’hui26.
2/ Le visage anti-chrétien de l’antisémitisme
26Le renouvellement du philosémitisme pendant la première moitié du XXe siècle s’est coulé dans une lecture renouvelée des épîtres de saint Paul. Préparée de loin dans la deuxième moitié du XIXe siècle, mais vraiment opérante à partir des années 1920, cette relecture s’est déployée dans un champ marqué par la valorisation des conceptions thomistes de la charité. Plus grande des vertus théologales selon saint Thomas, la Charité est ordonnatrice de toutes vertus. Or, l’intelligence thomiste de la Charité ne s’encombre pas des conceptions réparatrices de la spiritualité du Sacré-Cœur. Elle ordonne au contraire une vision active et directement appliquée au sujet. Cette vision nouvelle du philosémitisme a connu un second déploiement à la fin des années trente. Largement appuyée et diffusée par les milieux sioniens et maritianiens, la perspective d’un mystère d’Israël a offert un nouvel espace théologique pour penser la relation de l’Église à Israël. De fait, les milieux philosémites s’en sont emparés dès la publication de la proposition maritainienne pour structurer leurs arguments contre l’antisémitisme ambiant.
27L’attention que Jacques Maritain porte à l’antisémitisme dans les années 1930 est largement connue27. De la fin des années trente au milieu des années cinquante, le philosophe prit la parole et la plume contre l’antisémitisme à de nombreuses occasions, souvent décisives. Aux États-Unis, où il résida pendant la Seconde Guerre mondiale, Maritain n’hésita pas à publier plusieurs ouvrages sur le sujet, ou encore à appuyer la réédition du livre de John Oesterreicher, « Racisme, Antisémitisme, Antichristianisme », aux Éditions de la Maison Française (1943). Ce livre, il est vrai, avait paru juste avant la Guerre aux éditions du Cerf, avec l’aimable préface du philosophe de Meudon. Les idées de Maritain sur les Juifs devaient connaître une diffusion très large, bien au-delà des frontières nationales, et constituer la base de réflexions menées par d’autres.
28La pression des événements a convaincu Maritain qu’il était temps de combattre ouvertement l’antisémitisme en milieu chrétien. Cependant, l’aspect circonstanciel seul ne peut rendre compte de la cohérence des vues de Maritain. Il n’est pas tout à fait de notre propos de reprendre les différents moments de la lutte menée par Maritain contre l’antisémitisme. Notre objectif est bien plutôt de comprendre de quelle manière Maritain en est venu à dégager sa proposition philosémite des thèses antisémites partout soutenues.
29Dans une Europe de plus en plus saturée de haine antisémite, il fallait peut-être la clairvoyance et le courage d’un prophète de l’ancien temps pour discerner tout ce qui pouvait faire de l’antisémitisme (de l’antisémitisme racial, mais aussi de l’antisémitisme d’Église) un mouvement radicalement antichrétien. Comme le soulignait Henri de Lubac (1896-1991, SJ), dans un livret publié en 1942 à Fribourg :
Ce n’est pas parce qu’on la lance sous le nom tristement à la mode d’antisémitisme qu’une propagande antichrétienne sera moins antichrétienne. Elle sera seulement plus perfide, plus dangereuse, parce que moins directe apparemment et moins franche. Bien des chrétiens, trop peu au courant de leur foi et trop sollicités déjà par une foule d’idées et de sentiments peu compatibles avec elle, ou simplement trop ignorants de la « malice du siècle » et trop peu en garde contre ses artifices, risqueront de mordre à cet appât grossier.28
30Cette compréhension de la nature éminemment anti-chrétienne de l’antisémitisme se trouvait déjà avancée un demi-siècle plus tôt par les catholiques dreyfusards, par Anatole Leroy-Beaulieu notamment. Enseigné par l’histoire, ce dernier avait saisi la logique marcioniste de toute attaque contre les Juifs et le judaïsme : « les attaques inconsidérées contre l’Ancien Testament et contre l’ancienne loi risquent d’atteindre la nouvelle Alliance »29, prévenait-il. Cependant, seul le développement de la persécution nazie permit de vérifier l’intuition de Leroy-Beaulieu. Dès 1933, la persécution a concerné Juifs et catholiques allemands30. Réagissant dans un premier temps au déferlement antisémite nazi, l’opinion catholique s’est vite repliée sur la défense de ses propres intérêts. Néanmoins, conscients des nécessités d’un front commun contre l’idéologie nazie, les tenants du second philosémitisme ont élaboré une compréhension de l’antisémitisme comme essentiellement contraire à toute doctrine chrétienne, et même plus : comme relevant d’un antichristianisme qui ne dit pas son nom. C’est ainsi que l’originalité des positions de Maritain et du second philosémitisme ressortent avec d’autant plus de force, comparée à l’argumentation anti-libérale développée par Julio Meinvielle.
31Le virage pluraliste de Jacques Maritain devait s’accompagner d’une prise de conscience renouvelée du visage anti-chrétien de l’antisémitisme.
32Le texte de Maritain publié en 1937 révèle une prise de distance nette d’avec l’antisémitisme. Émerge à cette occasion l’idée de deux manières irréconciliables d’envisager la Question juive : une voie antisémite et une voie « catholique et paulinienne » (l’expression est de Maritain) qui est celle du philosémitisme. Maritain cerne alors la spécificité de chacune de ces voies :
Entrer par la violence et la haine, ouverte ou masquée, prudente ou enragée, dans une guerre charnelle dirigée à l’extermination, à l’éviction ou à l’asservissement des Juifs […] c’est la position antisémite. L’autre manière est proprement chrétienne. Elle consiste à entrer par la compassion aux douleurs du Messie et par l’intelligence de la charité dans une lutte spirituelle dirigée à l’accomplissement de l’œuvre de la délivrance du genre humain […] c’est la position catholique ou paulinienne.31
33Ce que Maritain nomme antisémitisme correspond autant à la traditionnelle haine chrétienne du Juif qu’aux dérives raciales les plus récentes. Il continue :
Il est difficile de ne pas être frappé de l’extraordinaire bassesse des grands thèmes généraux de la propagande antisémite. Les hommes qui dénoncent la conspiration mondiale d’Israël pour l’asservissement des nations, le meurtre rituel, l’universelle perversité des Juifs procurée par le Talmud, ou qui expliquent que l’hystérie juive est cause de tous les maux soufferts par le dolichocéphale blond aux yeux bleus, […] ou que les Juifs sont unis comme un seul homme dans le dessein de corrompre moralement et subvertir politiquement la chrétienté […] semblent nés pour attester qu’il est impossible de haïr le peuple juif en restant intelligent.32
34Antisémitisme et philosémitisme s’excluant mutuellement, Maritain fait de la voie paulinienne la seule voie catholique, la seule voie légitime de l’Église. Allant plus loin que Léon Bloy en son temps, le philosophe délégitime l’utilisation de la figure du Juif comme ennemi théologique de la chrétienté.
35Cependant, les arguments de Maritain contre l’antisémitisme présentent une gradation nette de 1937 à 1943. L’impossible antisémitisme développe un premier réquisitoire contre l’antisémitisme d’Église, cohérent avec les positions de Maritain sur le pluralisme de la cité chrétienne et la primauté de la charité33. Le philosophe énonce :
C’est en obéissant à l’esprit du monde, non à l’esprit du christianisme, que des chrétiens peuvent être antisémites. Au point de vue de sa caractérisation morale dans les perspectives catholiques, et lorsqu’il se répand parmi ceux qui se disent les disciples de Jésus-Christ, l’antisémitisme apparaît comme un phénomène pathologique qui révèle une altération de la conscience chrétienne, quand elle devient incapable de prendre ses responsabilités dans l’histoire et rester existentiellement fidèle aux hautes exigences de la vérité chrétienne.34
36Les mots sont forts et tout droit dirigés contre les thèses d’un antisémitisme d’Église. Maritain s’attaque ainsi au repli catholique des antilibéraux, incapables d’entrer en relation avec le Monde autrement qu’en terme d’opposition ; inaptes aussi à réactualiser la pensée catholique aux sources premières des Évangiles. C’est toute l’idée d’une tradition vivante qui apparaît dans ce texte, d’une fidélité existentielle au message christique, d’une modernité de la pensée catholique.
37Maritain reconnaît en 1938 une aggravation du problème antisémite du fait de la compréhension de plus en plus racialisée du Juif, le racisme allemand venant finalement transformer et exaspérer l’antisémitisme politique en France35. Mieux documenté qu’en 1937 sur la situation des Juifs en territoire allemand, grâce à sa lecture d’Israel unter den Völkern, Maritain accorde pourtant à l’antisémitisme une place presque légitime dans son système de pensée. La haine du Juif est l’un des pendants du Mystère d’Israël : « Haïs du monde, c’est leur gloire, comme c’est aussi la gloire des chrétiens qui vivent de la foi », « ainsi haïr les Juifs et haïr les chrétiens vient d’un même fond, d’un même refus du monde, qui ne veut pas être blessé, ni des blessures d’Adam, ni des blessures du Messie, ni par l’aiguillon d’Israël, pour son mouvement dans le temps, ni par la croix de Jésus pour la vie éternelle »36. Antisémitisme et anti-christianisme manifestent la résistance du Monde au mouvement de résolution messianique. Manquement à la charité, l’antisémitisme a pourtant une « essence spirituelle » indéniable : « surnaturellement étrangers », les Juifs dérangent le Monde par « leur passion de l’absolu et l’insupportable stimulation qu’elle inflige. C’est la vocation d’Israël que le monde exècre »37. Collatérale à l’exercice de la vocation juive, la haine du Juif est inévitable pour le Maritain de 1938. Pour le philosophe, « la question n’est pas de savoir si les Juifs vous sont sympathiques ou antipathiques, c’est l’affaire de tempérament, mais s’ils ont le droit à la commune justice et à la commune fraternité humaine »38. Peut-être encore sous l’emprise du schéma bloyen, Maritain reconnaît dans un même mouvement la haine surnaturelle que le Juif provoque, et l’impossibilité pour l’Église de succomber à cette haine. Avançant encore d’un cran dans sa démonstration, il constate : « pourtant ce n’est pas peu de choses pour un chrétien de haïr ou de mépriser, ou de vouloir traiter d’une manière avilissante la race d’où son Dieu et la Mère immaculée de son Dieu sont issus. C’est pourquoi le zèle amer de l’antisémitisme tourne toujours à la fin en un zèle amer contre le christianisme lui-même »39. Admettant l’imperfection des chrétiens, reconnaissant leur manquement à la charité, Maritain voit dans l’antisémitisme une faiblesse prête à se retourner contre le christianisme et sa mission historique.
38Cette vision des choses légitimait pratiquement toute lutte contre l’antisémitisme en soulignant l’incontournable solidarité entre chrétiens et Juifs face aux persécutions nées du monde moderne. Subséquemment, cette perspective permettait à la fois de dépasser l’idée traditionnelle d’une inévitable opposition entre Juifs et chrétiens et déplaçait l’ensemble du discours sur le Juif en dehors du cercle de justification de l’antisémitisme. En un mot : l’antisémitisme devenait contradictoire et destructeur pour le christianisme lui-même. Il faut se souvenir de ces quelques lignes de 1906, écrites au moment de la réception de Jacques dans l’Église, pour bien comprendre la pensée du philosophe sur l’antisémitisme :
Le grand obstacle au christianisme ce sont les chrétiens. Voilà l’épine qui me perce. Les chrétiens ont abandonné les pauvres, – et les pauvres parmi les nations : les Juifs, – et la Pauvreté de l’âme : la Raison authentique. Ils me font horreur. Bloy est dans le peuple chrétien comme un prophète dans le peuple juif : en fureur contre son peuple. (Mais tout de même dans ce peuple.) Dans une situation pareille, il faut redoubler de soumission intérieure et d’attente, et d’amour de l’Église.40
39De la même façon que Léon Bloy, Jacques Maritain était des plus attentifs à l’incurie des chrétiens face à leur responsabilité morale. La haine du Juif était pour le philosophe la marque d’une inconsistance, d’une contradiction latente à dépasser dans l’apostolat, la prière et la charité. Prenant la parole en 1942 sur les ondes d’une radio new-yorkaise, Maritain concluait encore son message par ces mots adressés aux Juifs français :
Mes amis juifs, permettez qu’un chrétien vous dise non seulement la compassion, mais le respect sacré que lui inspirent vos douleurs. Dans l’abîme de souffrance où vous êtes plongés, vous rendez témoignage, par votre inexprimable agonie, à la grandeur d’Israël […]. Et c’est pour les nations aussi que vous souffrez mystérieusement…41
40Collatérale à la vocation juive dans le temps chrétien, la haine du Juif devait être dépassée pour que soit aisé l’avènement des temps messianiques. Cependant, la souffrance juive découlait encore, pour Maritain, de la mission attribuée aux Juifs dans le Monde. Si la mission et la souffrance juives inspiraient le respect sacré du philosophe, celui-ci n’avait pas encore totalement perçu l’anti-christianisme fondamental à l’œuvre dans la haine du Juif.
41Le texte de 1938 reconnaît que l’antisémitisme conduit inexorablement à l’anti-christianisme. La contradiction entre christianisme et antisémitisme apparaît à deux niveaux. Manifestation d’une carence de la charité chrétienne, l’antisémitisme révèle les manquements du chrétien face au message évangélique. Parce que la mission chrétienne et la mission juive visent toutes deux à la résolution des temps, mais aussi du fait de la parenté religieuse entre Juifs et chrétiens, l’antisémitisme peut par conséquent se retourner contre l’Église et armer le camp de l’anti-christianisme. Pour ces deux raisons, l’antisémitisme ne peut pas être cautionné par l’Église, mais combattu par elle : au nom de la foi et de la raison.
42En l’absence d’un argumentaire de Maritain allant dans ce sens avant 1938, il semble qu’il faille attribuer à John Oesterreicher la parenté de cette double constatation. Juif converti au catholicisme, l’abbé John Oesterreicher fut l’un des fondateurs à Vienne de l’Œuvre St. Paul (Das Pauluswerk, œuvre fondée en 1934 et dédiée à l’apostolat parmi les Juifs et à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme). Éditeur de la revue Die Erfüllung (« L’Accomplissement »), il avait perçu l’incompatibilité radicale entre christianisme et antisémitisme dès le milieu des années 1930. En relation avec le P. Devaux (Supérieur de Notre-Dame de Sion) à la même époque, puis avec Jacques Maritain, dont il sollicita un article pour un numéro spécial de l’Erfüllung, consacré à l’antisémitisme42, John Oesterreicher put quitter l’Autriche cinq semaines après l’Anschluss. Il fut hébergé un temps à Paris. En France, il continua à œuvrer dans le même sens qu’en Autriche. À savoir : démontrer que
l’antisémitisme, qui est contraire à cet amour, prêche la haine contre des créatures de Dieu et finit par être une haine contre Dieu Lui-même. C’est une rébellion contre la miséricorde et la foi de Dieu, conservant le peuple d’Israël malgré son aveuglement, afin qu’il se convertisse et qu’il retourne vers Lui. [...] La conception antisémite aboutit généralement à la conception antichrétienne [...] L’antisémitisme, menaçant les juifs, contient en soi le danger de détruire finalement l’unité catholique.43
43Cette thèse fut tout particulièrement défendue dans un ouvrage des plus remarquables : « Racisme, Antisémitisme, Antichristianisme », écrit au début de l’année 1939 et publié pour la première fois au Cerf, puis réédité aux Éditions de la Maison Française en 1943 aux côtés d’autres ouvrages de résistance signés par des intellectuels français exilés aux États-Unis. À la fois compilation, commentaire et critique des différents textes emblématiques du racisme nazi, « Racisme, Antisémitisme, Antichristianisme » confrontait la doctrine antisémite du IIIe Reich aux doctrines les plus établies de l’Église. Certainement l’une des voix les plus éloquentes dans la dénonciation catholique de l’antisémitisme nazi, John Oesterreicher affirmait sans détour que « par sa doctrine et par ses attitudes, l’antisémitisme attaque l’Église dans son essence même. [...] L’antisémitisme du Troisième Reich et de ses satellites est une trahison à l’égard du Christ. Il le renie, il le crucifie à nouveau. Il est la contradiction la plus profonde à son esprit »44.
44Cette découverte du visage antichrétien de l’antisémitisme, Maritain avoua en avoir vraiment compris la portée grâce aux écrits de Maurice Samuel, c’est-à-dire après 1940, après la publication de The Great Hatred, qui analysait si extraordinairement l’antisémitisme comme « l’expression de la haine cachée du Christ et du christianisme »45. John Oesterreicher proposait déjà une interprétation similaire dans son ouvrage, en écho aux écrits du théologien calviniste Karl Barth. Joseph Lémann, dans son étude de 1886, expliquait lui aussi « l’aversion haineuse des hérétiques contre les Juifs » par « l’aversion qui les animait contre l’Église catholique », la religion juive apparaissant alors comme la « base du catholicisme » qu’il fallait saper pour ruiner plus sûrement l’Église46. Cependant, prudent à tirer des conclusions, Maritain n’alla pas plus loin que cette constatation dans son texte de 1938 : les procédés antisémites « ressemblent curieusement à ceux qui haïssent les prêtres en invoquant les Monita secreta des Jésuites »47…
45Les années 1940-1943 furent pour Maritain une période de maturation, qui déboucha sur la compréhension de l’antisémitisme comme une force essentiellement anti-chrétienne. Dans son ouvrage de 1940, Maurice Samuel constatait :
Mais les fascistes nazis cachent à eux-mêmes le fait de ce transfert, et le résultat de tout ceci est l’ambivalence singulière de la propagande antisémite à laquelle j’ai fréquemment fait allusion. Le Christ et le christianisme ne sont pas nommément attaqués ; mais leur signification doit être effacée de la terre, et les valeurs qu’ils prônent doivent être minées par la méthode indirecte. Et ainsi les Juifs sont haïs en tant qu’ils ont donné le Christ, mais dénoncés en tant qu’ils l’ont tué.48
46Alors que Maritain avait perçu dès avant-guerre que toute haine du Juif débouchait logiquement sur une attaque du christianisme à ses racines, il faut attendre l’année 1943 pour que le philosophe inverse la perspective de son affirmation et appréhende l’antisémitisme comme la principale manifestation de la haine nazie de l’Église et du Christ.
47L’antisémitisme, comme type de racisme, brise l’unité humaine dans son idée (cette même unité humaine au fondement de la pensée catholique depuis la fin du XIXe siècle, et vers laquelle toute la production philosophique de Maritain tend). À travers les thèses de l’antisémitisme raciste, le nazisme manifestait son opposition au christianisme à deux niveaux : dans sa négation de la racine juive du christianisme ; dans son attaque frontale contre l’une des idées structurantes de la vision catholique, à savoir l’idée d’unité du genre humain.
48Opérant un retournement par rapport aux thèmes du philosémitisme anti-libéral ou de l’antisémitisme d’Église, Maritain avança une idée dont la prospérité permit de développer la lutte chrétienne contre l’antisémitisme. Contrairement à la construction théologique classique, qui faisait du Juif la catégorie trans-historique de l’ennemi de l’Église, Maritain soutint l’idée que l’antisémitisme était une catégorie essentielle de l’anti-christianisme. L’antisémitisme apparaissait comme « le fondement à une furieuse aversion pour la révélation du Sinaï et les lois du Décalogue. […] Il cherche à balayer la race du Christ de la face de la terre parce qu’il cherche à balayer le Christ de l’histoire humaine »49. Pour cette raison, la lutte contre l’antisémitisme devait s’apparenter à une œuvre de défense du christianisme.
3/ Le Saint-Siège et la question raciale
« Priez, Orate, fratres ! » Sinon, vous ne feriez qu’œuvre humaine, et, à l’heure présente, en face des forces adverses, l’œuvre purement humaine est vouée à la stérilité, c’est-à-dire à la défaite ; ce serait la faillite de votre vocation.
Allocution du cardinal Pacelli lors de l’inauguration de la basilique Sainte-Thérèse à Lisieux, 1937
Aussi bien le principal, au point de vue de l’existence dans l’histoire, n’est-il pas de réussir (ce qui ne dure jamais) mais d’avoir été là (ce qui est ineffaçable).
Jacques Maritain, Religion et culture, 1930
49Le Saint-Siège, nous l’avons vu, était resté prudent face au développement inédit de la Question juive à la fin des années 1930. Le souverain pontife avait-il retiré sa confiance au mouvement d’apostolat initié à la suite de la suppression des Amici Israel ? Les données manquent, qui puissent venir préciser les positions du Saint-Siège en la matière50. Nous souhaitons néanmoins apporter un court éclairage sur la question des positions du Saint-Siège face à la Question juive, du milieu des années 1920 à la fin des années 1930.
50Certaines sources archivistiques nous laissent penser que, au-delà des silences de Rome sur les Juifs, certaines pratiques discursives étaient autorisées, tandis que d’autres étaient sous surveillance. La discrétion de l’apostolat apparaît ainsi comme une stratégie missionnaire à l’époque moderne. Encouragements, réticences et obstacles pouvaient être distillés très discrètement par Rome, tandis que le mot d’ordre fondamental pouvait se formuler ainsi : « Les affaires sacrées ne s’affichent pas ». Cependant, la radicalité des thèses racistes portées par la pensée nazie devait conduire le Saint-Père à prendre la parole en réaction aux persécutions anti-juives menées par le IIIe Reich.
51La pensée chrétienne, avançant l’idée d’une nature humaine, close et déterminée, prônant l’inégalité naturelle des hommes, a pu servir de substrat aux premières pensées racialisantes du milieu du XIXe siècle. L’Église n’évoluait pas, après tout, dans le paradigme démocratique51. Pour autant, l’inégalité naturelle ne signifiait pas hiérarchie des races ; et l’idée d’une nature humaine concernait indifféremment tous les êtres humains sans que soit remise en cause l’idée de leur dignité. Les dérives de la pensée raciale se sont produites du fait de leur éloignement du cadre doctrinal chrétien. Et si la pensée chrétienne a préparé le chemin aux dérives scientistes de la fin du XIXe siècle, elle en a aussi combattu les abus.
52Il y a, entre les théories raciales du XIXe siècle et leur développement raciste du XXe siècle, le même écart qu’entre la pensée de Darwin sur L’Origine des espèces (1859) et leur transposition dans le domaine anthropologique menée par Herbert Spencer, ce que l’on appela le « darwinisme social ». Mort en 1882 à Turin, Gobineau fut modestement enterré au cimetière central. Ce n’est qu’en 1932 que le régime fasciste fit apposer une plaque célébrant la pensée de Gobineau : « Le temps et les événements exaltent l’image du penseur visionnaire », mentionne cette plaque. Mais inversement, le temps et les événements contribuèrent à reconstruire la pensée de Gobineau dans un climat de pensée devenu raciste.
53Attentif à la naissance et à la formation des civilisations, Gobineau était aussi fortement marqué par l’idée de leur déclin et de leur chute. Il ouvre son étude Sur l’inégalité des races humaines (deux volumes, 1853-1855) par la réflexion suivante : « La chute des civilisations est le plus frappant et en même temps le plus obscur de tous les phénomènes de l’histoire »52. Tenant d’un pessimisme historique face aux civilisations et à leur caractère périssable, il constatait : « Toutes les civilisations qui nous ont précédés ont pensé, comme nous, s’être cramponnées au rocher du temps par leurs inoubliables découvertes. Toutes ont cru à leur immortalité »53.
54Réécrites par Houston Chamberlain, les thèses de Gobineau servirent de fondement aux conceptions racistes de l’État nazi. Chamberlain ajouta deux idées absentes des écrits de Gobineau : celles d’une pureté de la race et celle d’une compétition entre les races. Au contraire de Chamberlain, Gobineau concevait les races comme une réalité de peuples frères mais non point égaux. Son Essai sur l’inégalité des races humaines partait d’une constatation : « L’idée d’une inégalité native, originelle, tranchée et permanente entre les diverses races, est, dans le monde, une des opinions les plus anciennement répandues et adoptées »54. L’idée de lutte nécessaire entre races en est globalement absente55. Considérant tout à la fois l’apport de chaque race à l’idée de civilisation et les attitudes propres à chaque nation, Gobineau concluait :
Il tombe sous le sens que ces nations si différentes doivent avoir des destinées bien diverses, bien dissemblables, tranchons le mot, bien inégales. Les plus fortes joueront dans la tragédie du monde les personnages des rois et des maîtres. Les plus faibles se contenteront des bas emplois.56
55De tendance légitimiste, le comte de Gobineau transcrivait ainsi dans la pensée raciale une certaine vision de l’inégalité sociale avancée par l’Église. Encyclique tardive, datée de 1891, Rerum novarum n’en rappelle pas moins les présupposés de l’Église quant à l’existence d’une inégalité entre les hommes voulue par la nature. Nous citons :
Mais contre la nature, tous les efforts sont vains. C’est elle, en effet, qui a disposé parmi les hommes des différences aussi multiples que profondes ; différences d’intelligence, de talent, de santé, de force ; différences nécessaires d’où naît spontanément l’inégalité des conditions. Cette inégalité d’ailleurs tourne au profit de tous, de la société comme des individus. La vie sociale requiert dans son organisation des aptitudes variées et des fonctions diverses, et le meilleur stimulant à assumer ces fonctions est, pour les hommes, la différence de leurs conditions respectives.
56Entre la vision raciale communément admise au XIXe siècle, et qui se résume à la simple croyance que la notion de race renvoie à quelque chose de défini, et la pensée de l’Église, n’existait aucune contradiction. L’idée de race n’était qu’une représentation des choses sans conséquence pour la pensée chrétienne. Dans un contexte marqué à la fois par le nationalisme européen et l’extension coloniale, les catégories de Soi et de l’Autre se retrouvaient l’une et l’autre exprimées dans celles de la race et de la nation.
57Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que l’idée de race suscite de premières interrogations. Dans son essai sur la « Grandeur et décadence de l’Europe », publié en 1895, Paul Valéry s’interrogeait sur le devenir des nations européennes. Faisant montre du même pessimisme que Gobineau, il questionna cependant l’idée de nation et en reconnut le caractère indéterminé. Et il ajoutait : « Mais il en est ainsi de tous les mots de grande importance. Nous parlons facilement du droit, de la race, de la propriété. Mais qu’est-ce que le droit, que la race, que la propriété ? Nous le savons et ne le savons pas ! ». « Notions puissantes, à la fois abstraites et vitales » mais aussi « symboles vagues et impurs à la réflexion », Paul Valéry soulignait toute la difficulté à définir un contenu aux mots race et nation57.
58Si les thèmes se perpétuent, ils sont réactualisés à chaque fois par le milieu idéologique qui les porte. Les mêmes caricatures s’infiltrent partout, mais leur signification et leur portée changent selon les référents idéologiques et les barrières morales que la culture impose. Ainsi, si la haine de l’Autre est toujours potentiellement meurtrière, seul le XXe siècle a décuplé ce potentiel meurtrier en potentiel génocidaire. Tant que la haine demeura théologique, le meurtre du Juif se limita au symbole. Nous partageons la thèse de Raul Hilberg lorsque celui-ci décrit l’entreprise d’extermination sérielle des Juifs par le Reich nazi comme une nouveauté extrême58. Produit d’un racisme radical, idéologique, implacable, l’antisémitisme nazi a fait partie des défis majeurs auxquels l’Église a été confrontée au XXe siècle.
59Si la pensée raciale a pu bénéficier, dans un premier temps, d’une certaine légitimité aux yeux de l’Église, il est apparu de plus en plus clair pendant l’entre-deux guerres que celle-ci se construisait en dehors de la pensée chrétienne et contre elle. De là, naquit une certaine méfiance du magistère vis-à-vis des « types existentiels » auxquels on prêtait qualités et défauts sur la base d’une constatation « naturelle » adaptée à la catégorisation des types humains.
60Revenant sur la perméabilité des chrétiens à la pensée raciale, John Oesterreicher s’exclamait en 1943 : « Combien de chrétiens ont préparé la voie au racisme par le flirt avec le nationalisme hérétique, par l’abandon pratique du commandement évangélique de charité, par un certain antisémitisme qu’on adoptait sous couvert de religion ! »59. La pensée catholique intransigeante avait, en effet, resserré les liens entre « catholicisme patriotique » et propagande antisémite tout au long de l’entre-deux guerres, excluant dans un même temps le Juif des contrées de la charité chrétienne. Cette exclusion fut à l’origine même d’une grande passivité des catholiques face à l’ampleur de la persécution juive.
61Au fondement de la mystique nazie, le rapprochement entre nation et race prit un caractère d’absolu, tandis que la principale caractéristique de l’antisémitisme raciste des Nazis fut d’être émancipée de ses cadres religieux d’origine. L’antisémitisme raciste n’avait plus pour référent l’enseignement chrétien mais l’exaltation de la race.
62Cependant, il ne faut pas croire que la réponse du Saint-Siège se fit immédiatement en réaction au déferlement antisémite nazi. Fondée sur la connaissance que nous avons aujourd’hui du génocide juif, notre attente part du principe que l’Église devait élever la voix contre les persécutions anti-juives60. Or, l’Église catholique de la fin des années 1930 accepte mal l’idée d’un front commun ou d’une collaboration interconfessionnelle ou interreligieuse61. L’Église devait défendre en premier lieu ses intérêts. « Ne compte, pour le magistère romain, que la communauté catholique », nous rappelle très justement F. Béderida62.
63Pie XI avait pris conscience que la doctrine raciale nazie, bien plus que l’antisémitisme, était un coin enfoncé dans la doctrine chrétienne. C’est ainsi que le souverain pontife promulgua l’encyclique Mit Brennender Sorge le 14 mars 1937. Fruit d’une collaboration entre l’épiscopat allemand et le Vatican, l’encyclique était rédigée en langue allemande, et adressée de ce fait aux catholiques allemands. Trois points sont à retenir dans l’argumentation, qui viennent éclairer les motivations réelles du Saint-Siège.
64Premier point : une circonstance. L’encyclique énonce :
La modération témoignée par Nous, en dépit de tout, n’était pas inspirée par des considérations d’utilité terrestre, moins encore par une faiblesse inopportune, mais simplement par la volonté de ne pas risquer d’arracher, avec l’ivraie, quelque plante précieuse ; par l’intention de ne pas porter publiquement aucun jugement avant que les esprits n’en fussent venus à comprendre l’inéluctable nécessité de ce jugement ; par la résolution de ne nier définitivement la loyauté d’autrui que lorsque l’irréfutable langage de l’évidence aurait arraché le camouflage sous lequel systématiquement on dissimulait l’assaut lancé contre l’Église.63
65L’encyclique prend note de l’éloignement irrémédiable du « christianisme positif » nazi à l’égard des doctrines de l’Église catholique et en appelle à une prise de conscience que le christianisme proposé par les idéologues nazis n’est en rien compatible avec le magistère romain.
66Deuxième point : une présentation des divergences fondamentales entre la doctrine nazie et la doctrine catholique, tout particulièrement sur le sujet racial. L’encyclique prévient :
Si des hommes qui ne sont même pas unis dans la foi au Christ viennent vous présenter la séduisante image d’une Église nationale allemande, sachez que ce n’est autre chose qu’un reniement de l’unique Église du Christ, l’évidente trahison de cette mission d’évangélisation universelle à laquelle, seule, une Église mondiale peut suffire et s’adapter.64
67Contre l’idée d’une Église nationale fondée sur « le sang et le sol », l’Église rappelle la catholicité de l’Église et sa mission universelle. Par extension, l’idée raciale ne peut que contredire l’idée catholique.
68Troisième point : un appel. L’encylique conclut :
Nous avons pesé chacun des mots de cette lettre à la balance de la vérité, et de l’amour aussi. Nous voulions, ni par le silence inopportun devenir complice de l’équivoque, ni par trop de sévérité exposer à l’endurcissement le cœur d’aucun de ceux qui vivent sous Notre responsabilité de Pasteur et auxquels Notre amour de Pasteur ne s’applique pas moins du fait que, pour l’heure, ils se fourvoient dans les chemins de l’erreur et de l’infidélité.65
69Le texte s’adresse donc à tous les catholiques allemands qui se sont éloignés du magistère romain pour lui préférer les thèses du « christianisme positif » nazi.
70Allant dans le même sens que l’encyclique, le pape Pie XI, « pape des missions », a pu prononcer ce discours le 28 juillet 1938, face aux élèves du collège romain de la Propagande :
Pas de séparatisme ! Nous ne voulons rien séparer de la famille humaine. Nous considérons le racisme comme une barrière érigée entre homme et homme, entre nation et nation… On oublie que le genre humain, tout le genre humain, est une seule, grande et universelle race, – bien que cette expression « race humaine » soit peu sympathique… Les hommes sont avant tout une grande et unique famille de vivants. Naturellement, il y a place pour des races spéciales, comme pour tant d’autres variétés. De même que dans les compositions il y a des variations où le même thème revient toujours mais avec des intonations diverses, ainsi n’y a-t-il dans le genre humain qu’une seule, grande, universelle, catholique famille…66
71C’est en juin 1938 que le pape Pie XI commanda à trois jésuites le projet d’une encyclique, bientôt intitulée Humani Generis Unitas (HGU), « l’unité du genre humain ». Nous sommes aujourd’hui particulièrement bien documentés sur l’histoire de cette « encyclique cachée »67.
72Humani Generis Unitas ne traite que très secondairement des Juifs et de l’antisémitisme. Sur les 179 points que compte l’encyclique, seuls 21 points concernent le magistère catholique sur les Juifs. C’est une encyclique sociale taillée dans la même veine que Rerum Novarum ou Quadragesimo Anno, avec un objectif similaire : présenter la doctrine sociale de l’Église au miroir des thèses qui s’opposent à elle. Humani Generis Unitas se voulait une lettre encyclique de clarification et de combat. Son rôle était d’armer intellectuellement les rangs catholiques contre ses adversaires les plus menaçants.
73Du fait de son enracinement dans la lutte des classes, le communisme brisait l’idée d’unité humaine au fondement de la pensée chrétienne. Contre l’utopie socialiste, Rerum Novarum rappelait l’inévitable inégalité des conditions humaines tout aussi bien que la profonde unité du genre humain, « l’erreur capitale [consistant] à croire que les deux classes [sociales, bourgeoise et ouvrière] sont ennemies l’une de l’autre comme si la nature avait armé les riches et les pauvres pour qu’ils se combattent mutuellement dans un duel obstiné ». En germe déjà, se trouvait l’idée d’une « réalité relationnelle » unissant une humanité variée mais nécessairement une et indivisible ; une idée qui affina sa formulation tout au long de sa confrontation avec les utopies (socialiste, communiste, fasciste, féministe) du XXe siècle68. Encyclique majeure de la fin du XIXe siècle, celle-ci offrit les bases conceptuelles (reprises par l’encyclique Quadragesimo anno de 1931) d’un soutien catholique aux régimes corporatistes de la première moitié du XXe siècle, tout autant qu’elle permit de lutter contre les dérives de la pensée socialiste ou raciste pendant la même période.
74Il faut replacer sur un plan théologique l’opposition historique de l’Église au communisme et au racisme. De la même façon, le nazisme, par son exaltation de la race, affrontait la doctrine de l’Église sur le plan de l’unité humaine. Le danger du racisme était donc plus large, plus profond, que celui de l’antisémitisme. C’est aux sources de la pensée raciale du nazisme qu’il fallait frapper, sans d’ailleurs paraître trop associer l’Église à la défense des Juifs69.
75Le constat de l’Église était invariable depuis la fin du XIXe siècle :
L’unité du genre humain se trouve, pour ainsi dire, perdue de vue par cause du désordre poussé à l’extrême que l’on aperçoit dans tout ce qui a trait à la vie en société dans notre monde contemporain, qu’il s’agisse des rapports entre les particuliers ou des relations entre les groupements entre les peuples (HGU, 1).
76Que cela fut par l’égalitarisme ou l’individualisme des sociétés démocratiques, ou par l’idée communiste d’une lutte des classes : le monde moderne avait brisé l’unité de la chrétienté. En réaction, la pensée de l’Église avait développé le thème d’une nouvelle unité humaine à réaliser dans le Christ (6), d’une « unité véritable dans la pluralité réelle » (123)70. Cependant, le racisme venait contester à sa façon l’idée catholique d’une unité du genre humain. Le racisme apparaît ainsi aux yeux du magistère comme un « mouvement de particularisation, de séparation, de différenciation […] au sein de l’unité humaine » (96), tandis que l’extension totalitaire de « la valeur de la race, mise au centre, exclusive, simplifiée à outrance […] réalise un type de société exactement semblable à celui de l’internationalisme que le racisme fait profession de réprouver » (124). Idée dangereuse autant que séduisante, l’idée raciste avait pu progresser sans rencontrer beaucoup de résistances de la part des catholiques, certains fidèles soutenant même l’idée « que la doctrine et la pratique du racisme n’ont rien à voir avec l’enseignement catholique sur la foi et les mœurs, rien à voir avec la philosophie et qu’elles demeurent purement politiques » (112). C’est à réduire la fracture prévisible du monde catholique sous la pression des discours racistes que l’encyclique devait travailler.
77La rédaction de Humane Generis Unitas fut élaborée dans un contexte de radicalisation croissante des thèses racistes, en Europe et aux États-Unis. La responsabilité de rédiger l’encyclique fut confiée au jésuite John LaFarge (1880-1963). Fervent anti-communiste, journaliste et rédacteur-en-chef du très influent magazine America, John LaFarge s’était déjà illustré aux États-Unis par ses écrits contre le racisme anti-noir. Sa déclaration de 1937, assimilant le racisme à une hérésie, avait fortement impressionné le pape Pie XI.
78L’idée que le « problème des races » ne pouvait être résolu devenait alors de plus en plus populaire. Les thèses du « pessimisme racial » concernaient tout aussi bien l’Amérique du Nord que l’Europe. Comme l’analysait très justement John LaFarge,
dans le Vieux Monde, comme nous en sommes maintenant trop douloureusement conscients [aux États-Unis], le slogan du pessimisme racial a contribué au conflit international, et pour la première fois dans l’histoire mondiale nous trouvons une guerre menée au nom du racisme en tant que tel, au nom d’une doctrine qui proclame l’infériorité essentielle d’un homme sur un autre du seul fait de son héritage racial ou biologique.71
79Pour répondre à ce mouvement de radicalisation raciale, un mouvement catholique interracial s’était créé aux États-Unis au milieu des années 1930. Se définissant lui-même comme un « programme d’action sociale qui vise spécifiquement à l’établissement de relations justes et charitables entre groupes raciaux », ce mouvement se fondait sur l’affirmation que le Corps mystique du Christ « réunit toutes les nations, langues et races » et travaille à l’unité du genre humain72. Son objectif était de « combattre le préjugé, l’ennemi spécifique de la justice interraciale ; et [d’]établir une justice sociale pour tous les groupes et toutes les classes, comme la condition nécessaire à des relations justes et charitables entre les races »73.
80C’est sur le terrain de la justice et de l’unité du genre humain que devait s’opérer la jonction entre la compréhension métaphysique de la haine antijuive portée par Maritain et l’entendement racial de l’antisémitisme développé par John LaFarge. Haute figure de la lutte contre le préjugé racial aux États-Unis, John LaFarge avait guidé le philosophe français dans les rues de Harlem à l’occasion de son séjour américain de 193474. Les archives témoignent d’une relation épistolaire cordiale jusqu’en 1960. Se témoignant une amitié réciproque et sans défaut, les deux hommes s’estimaient hautement. John LaFarge signait dans le magazine jésuite America des recensions très accueillantes des ouvrages de Maritain traitant de l’antisémitisme. Réunis dans un même combat contre la « fausse doctrine du racisme, laquelle contredit la raison et la Révélation tout à la fois »75, les deux hommes travaillaient chacun dans leur sphère à la lutte contre l’antisémitisme. L’analyse que Maritain développe dans « Les Juifs parmi les nations » a rencontré l’approbation entière du jésuite. John LaFarge avait lu le texte de la conférence « immédiatement » et « avec le plus profond intérêt, parce que cette question ici, comme à peu près partout, est péniblement actuel [sic]. Je l’ai lu en conjonction avec le livre de notre Père Bonsirven, Juifs et Chrétiens ; et je trouve tous les deux bien complémentaires »76. Réagissant à la réflexion de Maritain sur l’existence d’une « mystique » propre aux « antisémites », le jésuite avait avancé ce judicieux parallèle : « Il me semble qu’il y a une sorte de mystique anti-sémite, semblable à la mystique socialiste ou communiste »77. Là, se situait peut-être l’origine du rapprochement opéré par John LaFarge entre internationalisme et racisme dans l’encyclique Humani Generis Unitas78.
81Il paraît à peu près certain que John LaFarge ne fut pas l’auteur des 21 points de l’encyclique concernant le magistère catholique sur les Juifs. Proche de Maritain, lecteur de Bonsirven, LaFarge ne partageait pas les thèses anti-libérales portées par l’encyclique. Georges Passelecq et Bernard Suchecky ont défendu avec justesse l’idée d’une rupture dans le flot du texte de l’encyclique, et ont attribué la section sur « Les Juifs et l’antisémitisme » à l’un des collaborateurs du P. LaFarge, le P. Gustav Gundlach, auteur en 1930 de l’entrée « Antisemitismus » dans le Lexikon für Theologie und Kirche79. Dans son article, le P. Gundlach soutenait tout particulièrement la distinction entre « un antisémitisme de type raciste et ethnique incompatible avec l’enseignement de l’Église » et « un antisémitisme, sinon tout à fait chrétien, du moins acceptable par l’Église, visant à préserver la société chrétienne avec des “moyens moraux et légaux” de l’influence néfaste des Juifs dans la vie chrétienne »80. La distinction était encore d’actualité à la veille de la guerre et trouvait naturellement sa place dans le texte de « l’encyclique cachée ». Loin de développer des thèses marginales, Humane Generis Unitas faisait écho aux positions tenues par l’ensemble de la hiérarchie catholique sur le sujet juif81.
82Il faut dire ici quelques mots des conceptions sociales de l’Église à la fin du XIXe siècle. Formulées tardivement par le magistère romain à travers l’encyclique Rerum Novarum du 15 mai 1891, ces conceptions s’appuient encore sur des positions très anti-libérales82. L’objectif de l’encyclique était de refaire chrétienne la société. Elle énumérait les principes moraux que doivent inspirer les lois sociales, et soumettait l’économie à l’éthique chrétienne du travail. Dans le domaine de la « Question juive », les conceptions portées par la vision sociale de l’Église se teintaient d’un fort antisémitisme83. Il faut relire le marquis de La-Tour-du-Pin (1834-1924), compagnon de route de Maurras et de l’Action Française, pour en saisir les implications :
L’Église et les princes qui gouvernent selon les maximes tiennent le Juif à distance du peuple chrétien. Ils ne le persécutent pas ; ils ne le traitent pas en ennemi, parce que cela répugnerait à la charité, mais en étranger ; c’est-à-dire en citoyen d’une autre nation. […] Dans la cité chrétienne les Juifs ne sont pas persécutés à raison de ce qui leur est propre, de ce qui constitue le droit de leur nation. Mais on est en défiance de leur perfidie, et ceux qui prennent un masque pour pénétrer dans la société chrétienne et la corrompre encourent à juste titre le châtiment des traîtres.84
83Le projet social de l’Église était alors clair : « c’est le Moyen Âge entier à faire revivre ! », s’exclamait La-Tour-du-Pin85. Le projet chrétien de société se trouvait là résumé dans un « Moyen Âge » borné aux XIe-XIIIe siècles ; dans un Moyen Âge qui savait maintenir la distinction sans exercer la persécution. Aussi, La-Tour-du-Pin idéalisait-il l’organisation en ghetto et en faisait-il le support de toute vision sociale de l’Église :
Au point de vue familial et social, un mot résume la situation faite au Juif : le ghetto. Ce terme n’a pas historiquement un sens odieux. Il signifie seulement que l’interdiction des rapports familiaux et sociaux entre juifs et chrétiens, prononcée par l’Église, était traduite dans la vie civile par des dispositions protectrices, qui maintenaient l’ordre entre les deux sociétés en les séparant l’une de l’autre par l’habitation et même le vêtement.86
84Joseph Lémann décrivait fort justement le principe de l’antisémitisme d’Église dans son ouvrage de 1886 : dans une société devenue chrétienne, quelque part autour de cet âge d’or des XIIe et XIIIe siècle, les Juifs ne cherchaient nullement à investir les domaines propres à l’Église : ceux de l’enseignement et de la justice. Ces domaines ressortissaient de la responsabilité de chaque communauté de foi. Or, l’idée laïque a remis en cause le principe d’une éducation confessionnelle ; si les principes d’une séparation entre Juifs et chrétiens ont un sens dans une société chrétienne, ils n’en ont plus aucun dans une société laïque et démocratique. Les thèmes de l’antisémitisme d’Église ont prospéré parce que l’Église considérait encore les sociétés européennes comme des sociétés chrétiennes per se. Les conditions d’égalité religieuse nées de la Révolution française ont conduit l’Église à envisager à nouveau sa relation avec le judaïsme dans une perspective de compétition, dans cet esprit de concurrence qui a animé Juifs et chrétiens jusqu’au XIIe siècle87.
85Humane Generis Unitas reproduit des thèses semblables à celles avancées par les frères Lémann quelques sept décades plus tôt. Se fondant sur le narratif paulinien, l’encyclique remarque que la séparation judéo-chrétienne a résulté en « une tension perpétuelle entre Juif et chrétien, qui ne s’est à proprement jamais relâchée » (HGU, 141). Aussi,
la haute dignité que l’Église a toujours reconnu à la mission historique du peuple juif, ses vœux ardents pour sa conversion, ne l’aveuglent pas cependant sur les dangers spirituels auxquels le contact avec les Juifs peut exposer les âmes. Elle n’ignore pas qu’elle doit veiller à la sécurité morale de ses enfants. Et cette obligation n’est certes pas moins urgente aujourd’hui que par le passé. Tant que persiste l’incrédulité du peuple juif et que se maintient son hostilité contre le christianisme, l’Église doit, par tous ses efforts, prévenir les périls que cette incrédulité et hostilité pourraient créer pour la foi et les mœurs de ses fidèles (142).
86Cependant, l’encyclique n’envisage le conflit que dans l’ordre spirituel : « La prétendue question juive, dans son essence, n’est une question ni de race, ni de nation, ni de nationalité territoriale, ni de droit de cité dans l’État. C’est une question de religion et, depuis la venue du Christ, une question du christianisme » (133). L’antagonisme entre Juifs et chrétiens est d’ordre idéologique et se déroule autour des valeurs spirituelles (149). Pour cette raison, l’Église se refuse aux « méthodes persécutrices de l’antisémitisme » (144) : les « campagnes de haine et d’avilissement menées contre les Juifs » compromettent l’Église « en l’impliquant dans les machinations et les luttes politiques, en interprétant en un sens de politique toute humaine sa défense – bien légitime – des principes chrétiens de justice et d’humanité » (147). Au contraire, la foi chrétienne « invite à appeler de nos vœux le moment où Juifs et Gentils seront réunis dans la maison du Père commun, et à prier pour en hâter le jour attendu » (151).
87L’encyclique exprimait là des conceptions partagées par une large part de la hiérarchie catholique. Son argumentation peut aisément être comparée à d’autres propos de même portée. Le cardinal Laurentin, préfet de la Sacrée Congrégation des Religieux, ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait :
L’antisémitisme, s’il est la haine de la race juive, est antichrétien, évidemment, et contraire aux principes de l’Évangile : celui-là, il faut le combattre en rappelant le véritable esprit de Jésus-Christ ; en rappelant aussi les devoirs de la justice, qui sait distinguer entre juifs et juifs, et ne généralise pas ; les devoirs de la charité qui apprend à haïr le mal et à respecter les personnes. Il arrive en outre que l’antisémitisme constitue un acte de défense sociale, comme peut-être en Europe centrale : il faut alors le comprendre et, tout en se défendant, observer le respect des personnes (1928).88
88Ou encore, peut-on citer la réplique du cardinal Van Rossum au P. Devaux la même année, lorsque ce dernier interroge le Préfet de la Propagande sur le sujet de l’antisémitisme :
Au sujet de l’antisémitisme, le Cardinal [Van Rossum] dit simplement que le Saint-Office avait déclaré sa pensée dans le décret, mais qu’il reste certain que, lorsque les juifs se montrent anti-chrétiens, il faut bien se défendre, sans toutefois généraliser les mauvais cas, ce qui serait commettre une injustice et une erreur.89
89Les thèses de Humane Generis sont d’époque. Elles soutiennent le principe d’un antisémitisme d’Église et visent encore à défendre l’ordre social-chrétien. Placé en vis-à-vis, ce texte de René Schwob peut jeter quelque lumière sur les propos de l’encyclique, et peut-être sur les conceptions d’une époque :
En vérité, un chrétien ne peut, sans se renier lui-même dans ce qu’il a de meilleur, être encore antisémite. Entendons-nous : il n’a pas le droit d’être antisémite sans distinction. Et qu’on donne aux Juifs non chrétiens un statut particulier me semble être de stricte justice. Mais qu’on n’oublie pas, surtout, que la seule solution au problème n’est pas une solution politique ; qu’elle n’est pas ailleurs que dans la conversion. [Les antisémites] cherchent la solution laïque d’un problème qui ne relève que de la vérité chrétienne. Ils proposent la force où l’amour seul et la lumière ont droit. L’antisémitisme, sur le plan de la nature, est une solution insuffisante. Sur le plan chrétien, elle est monstrueuse. La seule issue pour un pays d’avoir enfin raison de ses Juifs, c’est d’être fidèle, lui-même, à sa propre mission, en redevenant profondément chrétien, et qu’on prenne à l’égard des Juifs inassimilés, pour maintenir des valeurs nationales (à la condition que ce soient de vraies valeurs), des remèdes de fortune, soit. Mais qu’on sache surtout qu’ils sont des remèdes de fortune. Et qu’il n’y a pas plus de salut pour un peuple que pour un individu hors des voies de la vie et de la vérité.90
90Rien ne distinguait alors l’antisémitisme d’Église du philosémitisme antilibéral, si ce n’est l’esprit de charité et de justice qui teintait le second, et était absent du premier.
91Le nazisme a poussé au paroxysme un processus commencé par l’Église : celui de la déshumanisation du Juif, présenté comme altérité radicale du chrétien. Mais là où l’Église régulait doctrinalement cette séparation radicale en rappelant la nécessité de conserver le peuple juif comme « peuple témoin » de la réussite de l’Église, le nazisme a déplacé l’altérité radicale sur le plan de la race et du conflit des races, appelant inexorablement à la suppression physique du Juif.
92Le pape Pie XI ne promulgua pas Humani Generis Unitas. LaFarge confia le texte de l’encyclique au P. général Ledochowski à la fin septembre 1938. Quant au Saint-Père, il semble en avoir pris connaissance avant son décès, lequel intervient le 10 février 1939. Le projet de rédaction lui fut-il pour autant soumis immédiatement ? Rien de moins sûr.
93Cependant, le pape n’attendit pas que le document lui soit rendu pour se prononcer sur la dégradation de la situation juive en Europe. Alors même que l’Italie fasciste s’alignait sur les mesures racistes de son voisin nazi, le pape improvisa une allocution devant les participants au pèlerinage de la Radio catholique belge. Méditation « improvisée », celle-ci rappelait que la descendance d’Abraham était unique, mais qu’elle se réalisait dans le Christ :
Par le Christ, nous sommes de la descendance spirituelle d’Abraham. Non, il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme. Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre, de prendre les moyens de se protéger contre tout ce qui menace ses intérêts légitimes. Mais l’antisémitisme est inadmissible. Nous sommes spirituellement des Sémites.91
94Pie XI ancrait très fortement sa spiritualité dans une reconnaissance de la judéité des acteurs du Nouveau Testament92. Le lien spirituel unissant Juifs et chrétiens lui était évident.
95Les paroles du pape semblent se référer à la lettre de saint Augustin au Primat de la province Bisacène (lettre CXCVI). Dans cette lettre, saint Augustin développe la doctrine de saint Paul sur la différence entre les Juifs selon la chair et les Juifs selon l’esprit, affirmant : « Nous [chrétiens] sommes donc juifs, non selon la chair, mais selon l’esprit, car nous sommes la postérité d’Abraham », ou encore, selon les traductions : « Nous sommes des juifs non pas charnellement mais spirituellement, nous sommes la semence d’Abraham, non selon la chair mais selon l’esprit de la foi ». Les mots frappent évidemment par leur similitude. Mais, extraits du contexte de la lettre de saint Augustin, ces mots prennent une signification nouvelle dans la bouche du pape. Alors que saint Augustin les utilisait dans le cadre de la polémique judéo-chrétienne, afin d’insister sur la caducité de la foi juive après la venue de Jésus-Christ, Pie XI inverse le sens discursif et fait de ces mots une occasion de se souvenir du lien unissant Juifs et chrétiens.
96« Spirituellement nous sommes Sémites ». L’affirmation a quelque chose d’une détonation dans l’Europe de la fin des années 1930. Cependant, si nous avons signalé le fameux discours de Pie XI aux pèlerins belges, c’est aussi pour en montrer ses limites. Discours de nature « confidentielle », il a permis à la tradition philosémite, en quête de reconnaissance et de soutien depuis la condamnation des Amici Israel, d’appuyer sa démarche sur quelques mots décisifs pour son combat : « Spirituellement, nous sommes sémites »… Pour autant, le discours ne fut jamais publié aux Actes apostoliques. Pie XI semble avoir tout particulièrement bien cerné les contradictions entre antisémitisme et christianisme sans pouvoir vraiment les dépasser. Tributaire d’une vision tout à fait inadéquate et inadaptée du Juif, encore imprégnée des antiennes du philosémitisme anti-libéral du XIXe siècle, tenant d’une conception largement diplomatique de l’Église, convaincu que l’Église ne devait pas se prononcer trop ouvertement sur le sujet juif, le pape Pie XI ne pouvait se permettre de donner à ses mots – spontanés, dit-on – un caractère trop autorisé. Soumis à l’impératif de défendre l’intérêt catholique, Pie XI était limité dans ses propos par le succès de la rhétorique anti-juive du nazisme.
Conclusion
97Jacques Maritain a étayé la voie d’une dissociation entre philosémitisme et antisémitisme catholique dès la fin des années 1930. Largement diffusées par le réseau sionien, ces nouvelles perspectives ont ouvert des horizons inédits de collaboration interreligieuse, avec des effets sensibles en Angleterre93. Cependant, le philosémitisme de Maritain, tout en correspondant aux besoins d’une époque, subissait l’assaut répété des tenants les plus acharnés de l’anti-libéralisme catholique, très influents parmi la hiérarchie catholique. La difficulté d’une réconciliation entre Juifs et chrétiens apparaît là : dans le contraste avec les thèses anti-libérales adoptées par le magistère catholique, et exaspérées par une frange intransigeante encore influente.
98L’objectif pour l’Église était avant tout de préserver les masses catholiques de la confusion nazie. Le combat de l’Église catholique contre l’antisémitisme nazi fut mené sur la base d’une distinction entre antisémitisme d’Église et antisémitisme raciste, à l’intérieur d’une conception anti-libérale de la cité chrétienne. Soutenant ainsi des distinctions de plus en plus inaudibles dans le fracas des armes et des persécutions, le magistère catholique témoignait d’une incapacité à renouveler son discours sur les Juifs. Dès lors, seul l’esprit de charité pouvait parvenir à différencier mépris théologique et haine raciale. Mais qu’en était-il de cet esprit de charité en temps de guerre ?
Notes de bas de page
1 KLEMPERER Victor, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Pocket, « Agora », 2003, p. 162.
2 Idem, p. 152-153.
3 Voir l’analyse particulièrement fine de : STEIGMANN-GALL Richard, The Holy Reich – Nazi Conceptions of Christianity 1919-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 293 p.
4 KRIEG Robert A. a pu montrer la diversité des procédés d’accommodement face au nazisme dans : Catholic Theologians in Nazi Germany, Londres, Continuum, 2004, 234 p.
5 BERDYAEV Nicolas, Christianity and Anti-Semitism, New-York, Philosophical Library, 1954, p. 26-27.
6 MEINVIELLE Julio, Les juifs dans le mystère de l’histoire, Paris, Documents-Paternité, no 107-108, janvier-février 1965 [1re édition, 1936], prologue à la première édition.
7 Idem, p. 22.
8 Id., p. 109-110.
9 Id., p. 121.
10 Si l’on suit l’assertion de COMPAGNON Olivier, Jacques Maritain et l’Amérique du sud. Le modèle malgré lui, Lille, Septentrion, « Histoire et civilisations », 2003, p. 120.
11 MEINVIELLE Julio, Les juifs dans le mystère de l’histoire, op. cit., p. 3.
12 Idem, prologue à la troisième édition.
13 Idem, p. 19.
14 MEINVIELLE Julio, De Lamennais à Maritain, Buenos Aires, Ediciones Theoría, « Biblioteca de ensayistas contemporáneos », édition augmentée 1967 [1re édition, 1945], p. 196. Voir sa réédition récente : MEINVIELLE Julio, De Lamennais à Maritain. Du mythe du progrès à l’utopie de la “ nouvelle chrétienté”, Bouère, Dominique Martin Morin, 2001, 317 p.
15 MENVIELLE Julio, De Lamennais à Maritain, op. cit., p. 197.
16 En relation avec l’Épître aux Galates (4, 28) : « Et vous frères, vous êtes les fils de la Promesse, à la manière d’Isaac. Mais de même qu’alors celui qui est né selon la chair persécutait celui qui est né selon l’Esprit, de même aujourd’hui ». MEINVIELLE Julio, Les juifs dans le mystère de l’histoire, op. cit., p. 109.
17 Idem, p. 121.
18 Id., p. 111.
19 Id., p. 9.
20 Id., p. 15.
21 Id., p. 18.
22 Id., p. 130.
23 Id., p. 108.
24 Id., p. 8.
25 COMPAGNON Olivier, Jacques Maritain et l’Amérique du sud. Le modèle malgré lui, op. cit., p. 98-99.
26 La réédition récente des Juifs dans le mystère de l’histoire aux éditions Saint-Remi, avec une préface élogieuse de son responsable, Bruno Saglio, en témoigne.
27 Voir essentiellement : MARITAIN Jacques, L’impossible antisémitisme, précédé de Jacques Maritain et les Juifs par Pierre Vidal-Naquet, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, 215 p., CHEVALIER Yves, « Le combat de Jacques Maritain contre l’antisémitisme », paru dans Sens, 8-2004, p. 419-440 et CHARMET Bruno, « Charles Journet, Jacques Maritain. Leur combat contre l’antisémitisme à la lumière du troisième tome de leur correspondance (1940-1949) », paru dans Sens, 5-1999, p. 403-439.
28 DE LUBAC Henri, « Un nouveau “front” religieux », paru dans DE LUBAC Henri, CHAINE Joseph, RICHARD Louis et BONSIRVEN Joseph, Israël et la foi chrétienne, Fribourg, luf, 1942, p. 9. De Lubac défend dans ce chapitre les richesses chrétiennes de l’Ancien Testament dont a hérité le christianisme. « En vérité, tout cela est notre héritage. Tout cela est devenu notre chair » dit-il, rappelant pour conclure les mots de Pie XI, « Spirituellement, nous sommes des Sémites » (voir plus loin dans ce chapitre).
29 Cité par DELMAIRE Danielle dans « Innovation et solitude : les catholiques dreyfusards », paru dans BECKER Annette, DELMAIRE Danielle et GUGELOT Frédéric (dir.), Juifs et chrétiens : entre ignorance, hostilité et rapprochement (1898-1998), Actes du colloque des 18 et 19 novembre 1998, Université Charles-de-Gaulle – Lille III, Lille, Conseil Scientifique de l’Université Charles-de-Gaulle, « Travaux & Recherches », 2002, p. 31.
30 Encore peu documentée, l’idée d’une persécution anti-catholique trouve quelques supports dans : KAMMERER Jean, Mémoire en liberté. La baraque des prêtres à Dachau, Paris, Brepols, 1995, 183 p. Voir aussi l’incontournable : CONWAY John S., The Nazi Persecution of the Churches 1933-1945, Vancouver, Regent College Publishing, 1968, 474 p.
31 MARITAIN Jacques, L’impossible antisémitisme, op. cit., p. 74.
32 Idem, p. 75.
33 Si le thème de la charité accompagne partout les thèses philosémites depuis les écrits des frères Lémann, la jonction entre charité thomiste et philosémitisme s’accomplit pleinement au début des années quarante, c’est-à-dire à la faveur de l’étude de Maritain sur saint Paul et tout particulièrement : MARITAIN Jacques, La pensée de Saint Paul, Paris, Corréa, « Les pages immortelles », 1947 [1re édition, 1941], p. 145-162.
34 MARITAIN Jacques, L’impossible antisémitisme, op. cit., p. 111.
35 Ibidem.
36 MARITAIN Jacques, L’impossible antisémitisme, op. cit., p. 122.
37 Ibidem.
38 Id., p. 121. L’argument était déjà défendu par les catholiques dreyfusards, sans pour autant s’insérer dans une vision d’ensemble.
39 Id., p. 127.
40 Souvenir de 1906, reproduit dans : MARITAIN Jacques, Carnet de Notes, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 41.
41 MARITAIN Jacques, L’impossible antisémitisme, op. cit., p. 153.
42 Archives Jacques Maritain, Kolbsheim. Lettre de John Oesterreicher à Jacques Maritain du 6 juillet 1936.
43 Archives Jacques Maritain, Kolbsheim. Lettre de T. Devaux à Jacques Maritain du 21 février 1937, reprenant le texte de l’abbé Oesterreicher.
44 OESTERREICHER John M., Racisme, Antisémitisme, Antichristianisme, New York, Maison française, 1943, p. 150-151.
45 SAMUEL Maurice, The Great Hatred, New York, Knopf, 1940, p. 36.
46 LÉMANN Joseph, L’entrée des israélites dans la société française et les États chrétiens, Paris, Avalon, 1987 [1re édition, 1886], p. 167.
47 MARITAIN Jacques, L’impossible antisémitisme, op. cit., p. 75. Fait référence à un opuscule publié en 1614, et donnant des instructions aux Jésuites afin d’acquérir pouvoir et richesses. C’est un faux qui alimenta la polémique anti-jésuite.
48 SAMUEL Maurice, The Great Hatred, op. cit., p. 139.
49 D’après une communication sur « Le Droit raciste à l’assaut de la civilisation » à l’occasion de la conférence annuelle de l’Institut de Droit Comparé de New York (25 janvier 1943). Le texte fut reproduit dans la revue The Commonweal, 4 juin 1943.
50 Voir essentiellement : CHENAUX Philippe, « Le Saint-Siège et la question de l’antisémitisme sous le pontificat de Pie XI », paru dans Revue d’Histoire Ecclésiastique, Louvain, vol. 99 (3-4), juillet-décembre 2004, p. 700-722.
51 Quoique les ambiguïtés abondent ici aussi. Voir pour la troisième République : REYNAUD PALIGOT Carole, La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine 1860-1930, Paris, Presses universitaires de France, « Science, histoire et société », 2006, 368 p.
52 Nous citons depuis le corpus de textes reproduit dans : BOISSEL Jean, Gobineau polémiste. Les races et la république, Jean Paul Prévert, « Libertés », 1967, p. 66.
53 Idem, p. 68.
54 Id., p. 78
55 LÉVI-STRAUSS Claude le souligne encore, à l’occasion d’une brochure publiée à l’UNESCO en 1952. Voir : Race et histoire, Paris, Denoël, « Folio essais », réédition de 1987, p. 10. Il revient dans cet opuscule sur les confusions entre la notion biologique de race et les productions sociologiques et psychologiques des cultures humaines, pour dégager les voies d’une collaboration entre cultures.
56 BOISSEL Jean, Gobineau polémiste, op. cit., p. 82.
57 VALÉRY Paul, Regards sur le monde actuel et autres essais, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1945 [1re édition, 1895], p. 31.
58 HILBERG Raul, La destruction des Juifs d’Europe, Paris, Fayard, 1988, 1099 p.
59 OESTERREICHER John M., Racisme, Antisémitisme, Antichristianisme, New York, Maison française, 1943, p. 189.
60 Voir le préambule à notre essai et plus spécifiquement notre article : « Les “silences” du pape Pie XII : genèse et critique d’un procès biaisé », paru dans Revue d’Histoire Ecclésiastique, Louvain, vol. 99 (3-4), juillet-décembre 2004, p. 758-766.
61 La collaboration des catholiques anglais au sauvetage des Juifs allemands à la fin des années trente ne se produisit que sur l’exemple des Quakers anglais. La règle voulait que chacun agisse pour les siens. Seuls, les événements de la guerre mirent en lumière les possibilités de former un front spirituel commun contre la menace nazie. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point dans une prochaine étude des relations judéo-catholiques en Angleterre.
62 Collectif, Le dernier avertissement - Pie XI : encyclique Mit Brennender Sorge / Goebbels : Dernier avertissement aux catholiques allemands, Paris, Romillat, « Retour au Texte », 1994, p. 7. Les propos tenus à l’occasion de la table ronde du 9 mars 1994, et qui servent d’introduction à la publication française du texte de l’encyclique aux éditions Romillat, nous paraissent néanmoins des plus insuffisants. Lu à la lumière de l’allocution pontificale du 30 septembre 1938 (« Spirituellement, nous sommes sémites… », voir plus loin), l’encyclique Mit Brennender Sorge ne peut être que mal interprété. Car il n’est nul part question de lutter contre l’antisémitisme. Et si le texte suggère à l’occasion que « les livres sacrés de l’Ancien Testament sont entièrement parole de Dieu et forment une partie substantielle de la Révélation » (p. 35), c’est avant tout pour lutter contre la dérive marcioniste du « christianisme positif » nazi.
63 Idem, p. 29.
64 Id., p. 45.
65 Id., p. 64.
66 Cité dans : DE LUBAC Henri, Le fondement théologique des missions, Paris, Seuil, « La Sphère et la Croix », 1946, p. 96.
67 Voir : PASSELECQ Georges et SUCHECKY Bernard, L’encyclique cachée de Pie XI : Une occasion manquée de l’Église face à l’antisémitisme, Paris, La Découverte, « L’Espace de l’Histoire », 1995, 321 p. et HECHT Robert A., An Unordinary Man. A Life of Father John LaFarge, S. J., Lanham, Scarecrow, 1996, p. 103-124. Il ne faut pas exagérer le caractère secret de cette encyclique. Jacques Maritain, qui connaissait personnellement John LaFarge (en charge de la rédaction de l’encyclique) et correspondait à l’occasion avec lui, en avait eu vent. Il en a touché quelques mots au président de Yad vaShem, Arieh Léon Kubovy, en 1956. Celui-ci mentionne le fait dans une lettre postérieure. Archives Jacques Maritain, Kolbsheim. Lettre d’Arieh Léon Kubovy à Jacques Maritain du 30 août 1960. Certainement, John LaFarge en avait ébruité l’affaire, notamment après que le projet de publier l’encyclique fut abandonné par le pape Pie XII.
68 Voir aussi notre article : « Margaret Fletcher and the Roman Catholic thinking on women before the First World War. An idea of woman and woman’s higher education », paru dans Women’s History Magazine, 58, Spring/Summer 2008, p. 34-37. Communication donnée à l’occasion du Fifteenth Annual Conference of the Women’s History Network sur « Thinking Women. Education, Culture and Society », organisé les 1-3 septembre 2006 à l’université de Durham.
69 La rhétorique nazie savait parfaitement jouer de l’image d’une Église « enjuivée » pour servir ses propres intérêts et discréditer le discours chrétien. Et peut-être faudrait-il voir là l’une des raisons majeures du « silence » de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale. À moins que Pie XII n’ait pas perçu la spécificité de l’antisémitisme nazi et considéré ce dernier comme l’épiphénomène d’un combat de civilisation se jouant sur d’autres lieux de la pensée.
70 Nous avons déjà pu montrer comment les frères Lémann et Jacques Maritain affrontent ce thème de l’unité humaine dans leur œuvre respective. Voir les chapitres II, 1 et III, 1 de cet essai. Le thème fut d’ailleurs repris par Maritain à l’occasion d’une conférence prononcée à Paris le 8 février 1939, et reproduite en 1941 dans l’ouvrage Crépuscule de la civilisation. Il composa l’un des éléments majeurs de la « résistance spirituelle » au nazisme, au titre que ce dernier « s’oppose au christianisme en rejetant tout universalisme et en brisant l’unité naturelle elle-même du genre humain, pour imposer l’hégémonie d’une essence raciale jugée supérieure » (MARITAIN Jacques, Crépuscule de la civilisation, Montréal, L’Arbre, 1941, p. 40 ; le même ouvrage s’attaque par ailleurs au communisme pour les mêmes raisons, p. 31-40).
71 Archives John LaFarge, Georgetown University, 42 :9. Texte de la conférence « International Justice », septembre 1939.
72 Idem.
73 Idem.
74 « Maritain in Harlem », paru dans America – A Catholic Review of the Week, 24 novembre 1934.
75 Archives John LaFarge, Georgetown University, 42 :9. Recension de l’ouvrage « A Christian looks at the Jewish Question (Jacques Maritain) » par John LaFarge.
76 Archives Jacques Maritain, Kolbsheim. Lettre de John LaFarge à Jacques Maritain du 3 avril 1938.
77 Idem.
78 Mais il faut aussi convenir d’une influence de LaFarge sur Maritain. Le philosophe, peu habitué à manier la question de l’antisémitisme dans son acceptation raciste, fit néanmoins part de cette réflexion au magazine Commonweal (l’un des organes du mouvement Catholic Worker de Dorothy Day et de Peter Maurin) : « Les prétextes sociaux, moraux, politiques et économiques les plus variés, invoqués contre le Juif, ne sont pas mieux fondés que n’importe quel autre prétexte dont les divers groupes d’une même communauté civile peuvent se réclamer pour se haïr et s’entredéchirer. […] Le malheur est là : une fois qu’ils ont pénétré l’esprit des hommes, ils ne peuvent être extriqués qu’avec difficulté ; parce que le raisonnement de l’homme ne peut distinguer qu’avec difficulté l’essentiel de l’accidentel. En réalité, racisme et antisémitisme sont une psychose de masse irrationnelle. Ils tirent leur force de leur irrationalité, de la même façon que le ferait un délire. Si vous voulez reconnaître cette croissance irrationnelle comme maligne et virulente, il vous faut avoir recours aux lumières de la rationalité tout aussi bien qu’à celles de la supra-rationalité » (MARITAIN Jacques, « Racist Law and the True Meaning of Racism », paru dans The Commonweal, 4 juin 1943).
79 PASSELECQ Georges et SUCHECKY Bernard, L’encyclique cachée de Pie XI : Une occasion manquée de l’Église face à l’antisémitisme, Paris, La Découverte, « L’Espace de l’Histoire », 1995, p. 94 et 205.
80 GUNDLACH G., « Antisemitismus », paru dans Lexikon für Theologie und Kirche, Fribourg, Herder, 1930, p. 504-505. Cité par le P. Dujardin dans son article sur : « Les relations entre chrétiens et Juifs depuis 50 ans. Aperçu historique », paru dans Théologiques, 11/1-2 2003, p. 22.
81 Le point 151 de Humani Generis Unitas se réclame explicitement du postulatum des frères Lémann. Voir le chapitre deuxième du présent essai.
82 AUBERT Roger, « L’encyclique Rerum Novarum, une “charte des travailleurs” », paru dans ROSART Françoise et ZELIS Guy, Le Monde Catholique et la Question Sociale (1891-1950), Bruxelles, Vie Ouvrière, 1992, p. 11-28.
83 Voir aussi la redécouverte des conceptions antisémites du catholicisme social chez Léon Déhon. THIBAUD Paul, « À propos du projet de béatification du Père Léon Déhon », paru dans Sens, 9/10-2005, p. 476. Les milieux français liés au catholicisme social furent très réceptifs aux thèses de l’antisémitisme. Il faut regarder en Angleterre et aux États-Unis pour percevoir un renversement significatif des liens unissant catholiques sociaux et antisémitisme, notamment du fait d’une compréhension de la notion de justice comme traduction sociale de la vérité religieuse. Voir notre article : « From a social question with religious echoes to a religious question with social echoes. The “Jewish Question” and the English Catholic Worker (1939-1948) », paru dans Houston Catholic Worker, Vol. XXV no 3, mai-juin 2005, p. 4-5.
84 DE LA-TOUR-DU-PIN LA CHARCE (Marquis), Vers un ordre social chrétien. Jalons de route 1882-1907, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1907, p. 335.
85 Idem, p. 350.
86 Id., p. 335-336.
87 Notons que les dénonciations catholiques de la persécution anti-juive, lorsqu’elles ont existé, ont souvent retenu la dimension raciale et violente de l’antisémitisme nazi. Somme toute, cette dénonciation ne rentrait pas en collision avec les idées de l’antisémitisme d’Église, qui pouvait à l’occasion être intégré dans le texte de protestation. L’antisémitisme d’Église était conçu comme une barrière dressée contre l’influence juive dans une société idéalement chrétienne. L’objectif de cet antisémitisme idéologique était de protéger l’essence des sociétés chrétiennes contre toute influence anti-chrétienne.
88 Archives des Pères de Sion, Paris, R12. Lettre circulaire du 15 octobre 1928.
89 Archives des Pères de Sion, Paris, I68. Polycopié « Œuvre d’Israël à Paris. Notes – souvenirs du Père Devaux ». Aucune date.
90 SCHWOB René, « Être chrétien », paru dans Collectif, Les Juifs, Paris, Plon, « Présences », 1937, p. 325 et 326.
91 Cité dans : PASSELECQ Georges et SUCHECKY Bernard, L’encyclique cachée de Pie XI : Une occasion manquée de l’Église face à l’antisémitisme, op. cit., p. 181.
92 René Schwob en témoigne, lui qui rapporte son audience auprès du Saint-Père dans : Itinéraire d’un Juif vers l’Église, Paris, Spes, 1939, p. 184 et 192.
93 Que l’on pense au Sword of the Spirit (FOURCADE Michel, « Une croisade contre le Nazisme ? The Sword of the Spirit », paru dans Religious Writings & War. Les discours religieux et la guerre, Colloque organisé à Montpellier les 25-27 novembre 2004 par le CERPAC, Actes s. d. Gilles Teulié, « Les Carnets du Cerpac » no 3, Université Paul-Valéry – Montpellier III, p. 199-223) ou au Council of Christians and Jews (BRAYBROOKE Marcus, Children of one God. A History of the Council of Christians and Jews, Londres, Mitchel, 1991, 190 p). Voir aussi notre article : « La réception de Jacques Maritain par le catholicisme anglais », paru dans Cahiers Jacques Maritain, no 50, 2e semestre 2005, p. 2-14.
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