Chapitre II. Établir le personnage
p. 45-70
Texte intégral
Le personnage ne peut pas être conçu seulement comme une entité isolée et autonome. Il entre dans un réseau complexe de relations, dans un cercle social qui définit en grande partie sa personnalité et oriente son comportement. Le romancier doit « établir » son personnage, dans le sens que donnait le XIXème siècle à ce verbe : « mettre dans un état, dans un emploi avantageux, dans une condition fixe1 ».
1.L’enfant isolé ou rejeté
L’orphelin
1La situation d’orphelin constitue un véritable topos des romans de l’époque. Près de la moitié des romans dont le personnage principal est un enfant présentent des orphelins2, par la guerre, comme Chérie Haudancourt3, par un accident du travail, comme les deux frères du Tour de la France par deux enfants, ou par la misère et la maladie, telle la « petite Lazare » de Marie-Robert Halt. On peut aussi considérer comme des orphelins les nombreux enfants trouvés qui ne se soucient pas de rechercher l’existence d’une hypothétique famille, tel Dick Sand, le « capitaine de quinze ans » chez Jules Verne, couramment dénommé « l’orphelin » au cours du récit. La fréquence de cette situation a un fondement historique, dans la mesure où l’espérance de vie à cette époque est très brève, et la mortalité puerpérale, extrêmement importante. Mais des considérations esthétiques justifient aussi ce choix.
2L’intérêt romanesque de cette situation est très grand. L’enfant privé de parents, en général enfant unique, vit une profonde solitude. Sa condition est donc attendrissante et pathétique. Les écrivains qui visent un public populaire, amateur d’émotions, jouent volontiers sur cette corde sensible4. Le héros avance dans la vie sans appui familial, et se trouve donc confronté à des épreuves qu’il doit affronter seul. Mais la condition d’orphelin est en certaines circonstances un élément positif. L’enfant connaît ses origines ; l’existence et la mort de ses parents ne sont pas un mystère, mais un savoir constitué et clos. A l’inverse d’un enfant trouvé, il n’a pas à se poser le problème de son identité ; celle-ci étant connue, c’est son individualité qu’il doit construire, en toute indépendance. Ainsi peut s’interpréter le mot ironique que Jules Renard prêtera à Poil de Carotte, « tout le monde ne peut pas être orphelin5 ». Chez Jules Verne, les quinze jeunes naufragés de Deux ans de vacances souffrent de la séparation d’avec leurs familles. Mais Gordon, l’Américain6, sans attaches familiales ni géographiques, est un être solitaire, ne comptant que sur ses propres ressources ; et quand il est envisagé de s’établir durablement dans l’île, son absence d’attaches fait de lui un héros exemplaire, qui exerce un rôle dominant dans la petite communauté. De même, Pauline Quenu dans La Joie de vivre, affranchie, par la mort, de ses parents et de leur attachement à l’argent, se consacre en toute liberté à son œuvre de bonté. Zola joue, avec discrétion, du pathétique lors de l’arrivée de la petite fille à Bonneville, avec un effet de synecdoque : « On ne voyait que sa jupe de deuil et ses petites mains gantées de noir7 ».
3Le choix d’un héros orphelin est particulièrement fréquent dans les romans destinés à la jeunesse. Simone Vierne interprète ce phénomène comme un élément important de la situation initiatique qu’elle trouve dans les romans de Jules Verne. Tous les héros défavorisés, et en particulier les orphelins, particulièrement précoces, montrent un « développement exceptionnel de leurs qualités8 ». Selon les écrivains et le public visé, l’accent est donc mis, soit sur le pathétique et l’émotion, soit sur la force morale que cette situation procure aux héros.
L’enfant sans père : le bâtard
4A cette époque, la condition de bâtard fait peser sur l’enfant illégitime une réprobation, comme s’il devait expier la « faute » de ses parents. Les romans populaires, volontiers moralisateurs, ont usé et abusé de ce motif, comme l’a prouvé Anne-Marie Thiesse pour la période 1900-19149. En 1879, déjà, Le Fils de Coralie, d’Albert Delpit10, montre que la filiation illégitime et l’inconduite de la mère pèsent sur la destinée d’un individu par ailleurs sans reproche : le livre n’est que l’histoire de ses fiançailles rompues, puis rétablies au-delà des préjugés. Le roman de Léopold Stapleaux, L’Infanticide11, explique, sinon justifie, le meurtre d’un nouveau-né par sa grand-mère, qui craint que la famille ne soit déshonorée par la naissance de l’enfant que sa fille a eu d’un aventurier12. Alexis Bouvier écrit Le Fils d’Antony, roman qui constitue la suite du drame d’Alexandre Dumas et commence sur la célèbre réplique qui termine la pièce : « Elle me résistait, je l’ai assassinée !13 » Seulement il imagine qu’Adèle d’Hervey n’est pas morte, et qu’elle est enceinte d’Antony... On imagine les péripéties complexes qui peuvent naître de cette situation de bâtard d’un bâtard.
5La recherche de la paternité, thème important des romans populaires, revêt une tout autre portée dans des romans qu’Umberto Eco appelle « problématiques » par opposition aux précédents14. Cela peut devenir une quête qui oriente toute la vie du héros. Le roman de Daudet, Jack, repose essentiellement sur cette donnée. Le fils d’Ida de Barancy comprend, à l’âge de huit ans, qu’il n’a pas de père déclaré et que sa mère invente affabulation sur affabulation15. Ces filiations imaginaires apparaissent un temps comme flatteuses, mais l’enfant souffre bientôt, confusément, d’être en butte à toutes les moqueries. Ce n’est que dans la troisième partie du roman, quand Jack est devenu adulte et qu’il songe à se marier, qu’il prend vraiment conscience de sa situation, telle que la voit la société. Ce que Jack ignore encore, c’est que la jeune fille qu’il aime, Cécile, est dans la même situation, vécue comme un déshonneur grave par les grands-parents, et ressentie comme une profonde blessure quand le mauvais docteur Hirsch fait révéler à Cécile ses origines16 par la mère Salé. Le roman aurait pu s’acheminer vers une fin heureuse ; il n’en est rien, et Jack va parcourir, jusqu’à la mort, les épreuves de la déchéance et de l’abandon.
6Le poids de l’opinion publique est grand, dans l’aristocratie mais aussi dans le monde ouvrier, et même quand le père est identifié, comme on le voit dans L’Assommoir17. La condition de bâtard est pour le héros enfant l’une des plus difficiles à vivre.
L’enfant circulant
7Dans plusieurs situations, l’enfant « circule », comme on le dit de l’argent : comme l’argent, il peut être perdu, volé, donné, échangé, réclamé. Le statut de l’enfant dans de nombreux romans est en effet tout à fait étrange, quand on considère l’indifférence avec laquelle il passe de mains en mains. L’étonnante fréquence de cette donnée s’éclaire d’abord par l’intérêt suscité chez de nombreux lecteurs, avoué ingénument dans l’avis suivant, inséré dans Le Passe-Temps pour annoncer la prochaine publication d’un feuilleton nouveau :
Que de sombres mystères, que de drames tristes et sanglants s’attachent à la vie de ces pauvres petits êtres recueillis par la pitié publique dans cette grande et lugubre maison de la rue Denfert, et qui ne connaissent jamais les caresses et les baisers d’une mère. Abandon, rapt, suppression et substitution d’enfant, tous les crimes, toutes les misères, amènent là les innocentes victimes des passions humaines. On suivra avec une poignante émotion, dans le livre de M. Deslys, les étranges et curieuses aventures, les dramatiques péripéties amenées par un de ces vols d’enfant, par une substitution ourdie avec une infernale habileté. L’administration du Passe-Temps espère un très grand succès des Enfants trouvés de Paris18.
8Zola, au cours de l’épisode de la fête de Gervaise dans L’Assommoir, utilise ce pathétique comme élément psychologique du roman, avec la chanson de Madame Lerat. Il s’agit de montrer comme ces êtres un peu frustes sont sensibles à certaines valeurs familiales, traitées par la chanson sur le mode de l’émotion et de la religiosité19.
9Autour de l’enfant trouvé se développe une série de topoï : la découverte, la reconnaissance, l’explication, avec leurs parodies. La découverte est un motif obligé dont les romans populaires font relativement peu varier les circonstances : au coin d’une rue (Sans famille), dans une chambre d’hôtel (Le Petit Gosse de Busnach). Les exceptions ont valeur plus symbolique : les statues de la cathédrale assurent une protection spirituelle à Angélique, dans Le Rêve, de Zola. On rencontre, dans des romans bien différents, une sorte de transposition de la légende biblique de Moïse, dérivant dans une corbeille au fil d’un fleuve20 : dans Le Roi vierge, Catulle Mendès imagine une telle origine pour Brascassou, un personnage maléfique dont on apprend un peu plus tard qu’il est le fils d’une prostituée et d’un client occasionnel21 ; il est donc un être « à la dérive », sans attaches, sans passé. A l’inverse, dans un roman écrit en collaboration par Jules Verne et André Laurie, L’Epave du Cynthia, l’enfant que l’on a trouvé, en mer, attaché sur une bouée qui porte le nom du bateau, est accompagné de signes qui évidemment faciliteront plus tard son identification : des initiales brodées sur un trousseau luxueux, un hochet d’or et de corail, gravé d’une devise latine22. La valeur symbolique d’une telle situation est certaine, même si la vraisemblance n’y trouve pas trop son compte. Une main mystérieuse, criminelle, a rompu les amarres de l’enfant nouveau-né avec ses origines. Le jeune héros est prêt pour la quête ou pour toutes les aventures de la liberté.
10La condition d’enfant trouvé constitue parfois pour le jeune héros un véritable handicap. Verne et Laurie, dans le roman cité ci-dessus, dénoncent les préjugés qui s’y attachent en les prêtant à un personnage secondaire23 :
Ce fut bien autre chose quand elle sut qu’Erik était moins encore qu’un paysan, – un enfant trouvé. Cela lui parut tout uniment monstrueux et déshonorant. Elle n’était pas éloignée de penser qu’un enfant trouvé prenait place, dans la hiérarchie des êtres, au-dessous du chat et du chien24.
Hector Malot, par la bouche de son héros, cherche à combattre ces a priori25qui pèsent sur la personnalité de Rémi et l’empêchent de révéler à Madame Milligan sa véritable condition ; s’il avait parlé, le cours de sa destinée en aurait été immédiatement changé, et le dénouement aurait été anticipé :
[Je] me trouvai lancé de nouveau dans des aventures qui m’auraient été épargnées, si, ne m’exagérant pas les conséquences d’un odieux préjugé, je ne m’étais pas laissé affoler par une sotte crainte26.
11Tant pis pour Rémi, tant mieux pour le lecteur qui ne demande qu’à faire durer son plaisir en attendant la probable résolution de l’énigme des origines posée par l’incipit. L’enfant trouvé apparaît donc comme un être à part, un peu marginalisé dans la société, dont la quête fondamentale va être celle d’une famille et d’une identité. C’est la situation de base de Sans famille, roman tout à fait exemplaire de ce point de vue. Depuis Freud, on connaît l’importance de cette quête des origines dans la formation de la personnalité ; mais les romanciers du siècle précédent en avaient, intuitivement, comme les auteurs des contes populaires, senti l’intérêt narratif.
12De telles situations induisent bien entendu d’inévitables scènes de reconnaissance, plus ou moins bien amenées, plus ou moins émouvantes27. Ce dénouement, classique au théâtre, trouve parfois dans le roman une meilleure motivation, et peut être préparé tout au long de l’œuvre, permettant au lecteur attentif d’exercer sa sagacité, que de fausses pistes égarent parfois ; ainsi Rémi, dans Sans famille, est-il mis, au terme d’une quête difficile, en présence de la famille Driscoll, qu’on lui dit être sa « vraie » famille. La froideur de l’accueil déconcerte le jeune garçon, et ses propres réactions encore plus.
J’étais indigné contre moi-même. Eh quoi ! je ne ressentais pas plus de joie à me retrouver enfin dans ma famille ; j’avais un père, une mère, des frères, des sœurs, j’avais un grand-père, j’étais réuni à eux et je restais froid. [...] J’étais donc un monstre ? Je n’étais donc pas digne d’avoir une famille28 ?
C’est parce que la reconnaissance doit traditionnellement mettre en jeu l’émotion et la sensibilité, que Rémi éprouve ce sentiment d’étrangeté qui, dans une lecture rétroactive ou pour un lecteur perspicace, prouve qu’il n’a aucun lien de sang (ni d’ailleurs de classe sociale) avec la famille prétendue.
13Les explications de la situation d’enfant trouvé sont diverses : l’enfant peut avoir été volé, ou enlevé, vendu ou donné, ou abandonné purement et simplement. Le motif du rapt, impliquant souvent des saltimbanques, apparaît dans le roman populaire, par exemple Le Petit Gosse de William Busnach, où le héros va rendre à ses parents la petite Suzanne qui leur a été volée ; l’œuvre de Busnach ressemble étrangement sur ce point au Romain Kalbris de Malot29. La récurrence de ce motif dans la littérature pour la jeunesse est frappante et correspond manifestement à des fantasmes enfantins : à la fois la crainte d’être enlevé, et le doute sur la véritable filiation, le fameux « roman familial ». La question de l’héritage ou la vengeance est aussi une des causes du rapt d’enfant. C’est pour capter un héritage que James Milligan dans Sans famille, que Toronthal dans Mathias Sandorf de Jules Verne30, font disparaître de tout jeunes enfants. La cupidité des uns contraste avec l’innocence des autres.
14Ce sont là des schémas rebattus que les écrivains plus exigeants ont raillés. Emile Zola, dans son étude sur Flaubert, définit les caractères du roman naturaliste en commençant par récuser « toute invention extraordinaire ». Et, au nom de la reproduction exacte de la vie, il poursuit : « On n’y rencontre plus des enfants marqués à leur naissance, puis perdus, pour être retrouvés au dénouement31 ». Jules Vallès se livre à une parodie, à la fois humoristique et amère, de ce type de scène, dans L’Enfant. Jacques Vingtras ne peut avoir aucun doute sur sa filiation ; mais, à de nombreuses reprises, il prête à sa mère une volonté de l’abandonner, et invente cette étrange scène de reconnaissance, où, sur son postérieur, la marque des violences subies servirait de signe :
Ma mère ne voulait plus me reconnaître ; je commençais à croire que j’étais orphelin !
Je n’avais cependant qu’à l’entraîner et à lui montrer, dans un coin, certaine place couturée et violacée, pour qu’elle criât à l’instant : « C’est mon fils ! » Un reste de pudeur me retenait32.
C’est donc une reconnaissance à rebours, anatomiquement parlant, d’abord, et aussi parce que le lien de la mère et de l’enfant est assuré par la violence, et non par la tendresse, comme le voudrait le schéma traditionnel. Les valeurs du roman populaire se trouvent tout à fait inversées.
15En d’autres circonstances, ce n’est ni par ruse ni par violence que le lien familial est brisé, mais avec le consentement des parents, selon un topos que l’on pourrait appeler « l’enfant-marchandise ». Il est frappant de voir dans tant de romans cette circulation de l’enfant d’un foyer à un autre. Les terribles contraintes économiques dans certaines familles ouvrières sont une justification sociologique probable de ce phénomène. Zola, analyste attentif de ce milieu dans L’Assommoir et dans Germinal, montre bien le lien établi entre l’enfant et l’argent : celui qu’il coûte, celui qu’il pourrait rapporter. La proposition d’un « vieux monsieur de Plassans » qui demande à se charger de l’éducation de Claude, est perçue par Gervaise et Coupeau comme « une bonne chance33 ». Dans Sans famille, le petit Italien Mattia, futur ami de Rémi, a été, lui aussi, cédé par sa mère, aimante pourtant, à Garofoli, dont elle ne soupçonnait pas la cruauté. Et Lise elle-même, la petite fille muette, est donnée par sa tante, qu’elle embarrassait, à une généreuse dame anglaise, qui se révélera, pour le réconfort du lecteur, être Madame Milligan. De telles transactions sont humiliantes pour l’enfant, qui se voit réduit à l’état d’un objet cessible. Rémi assiste ainsi à la conclusion d’une discussion où sa valeur marchande est exposée sous ses yeux :
Vitalis étala sur la table huit pièces de cinq francs, que Barberin, en un tour de main, fit disparaître dans sa poche34.
16L’enfant est perçu aussi comme l’enjeu d’un commerce, au pensionnat Moronval, au début de Jack. Ici, les parents donnent leur enfant et paient. Mais que les versements viennent à ne plus être assurés, et l’enfant se trouve réduit à l’état de domestique, comme il arrive au descendant du roi de Dahomey, le petit Mâdou35.
17Nous avons signalé l’importance sociologique du phénomène de l’abandon : le romancier qui veut porter témoignage de son époque ne peut donc pas ignorer ce phénomène, et en évoque les causes : la pauvreté, mais aussi la honte et l’ignorance de la fille-mère, telle Adèle, dans Pot-Bouille, qui après un pénible accouchement, descend déposer le nouveau-né dans la rue et pense, soulagée parce qu’elle n’a rencontré personne : « Enfin, une fois dans sa vie, la chance était pour elle36 ! ». L’abandon est utilisé par Zola d’une façon beaucoup plus symbolique, dans Le Rêve. Angélique, enfant de père et mère inconnus, déposée aux Enfants-Assistés37, a été ballottée de famille en famille, et finit par se sauver. Elle est découverte à l’abri d’une cathédrale et, tout au long du roman, cette cathédrale, et plus précisément les saints et les saintes évoqués par ses sculptures et ses vitraux, vont constituer la véritable parenté spirituelle de la petite fille. On rejoint, sur un mode plus littéraire et poétique, l’enfant perdu de la chanson de Madame Lerat, « l’enfant du Bon Dieu ».
18La mise en nourrice est une variation sur cette situation. On connaît l’importance du phénomène. Rousseau avait déjà soulevé la question, dans Emile. Jules Vallès pose, dès la première page de L’Enfant, avec un humour qui masque la nostalgie, le motif de l’abandon affectif. Mirbeau, polémiste, dénonce aussi la mise en nourrice dans des articles de presse38. Mais comme romancier, c’est le rejet du fils par le père qu’il met en œuvre dans Sébastien Roch.
19L’enfant que l’on fait « circuler » d’une telle façon apparaît donc dans ces romans comme un être dévalorisé. Les romans populaires ou s’adressant à un public enfantin mettent surtout l’accent sur des situations extraordinaires, faisant peu de cas de la vraisemblance. Les romanciers plus soucieux de nuances dans l’analyse psychologique insistent, eux, sur les répercussions affectives des situations vécues, ouvrant ainsi la voie à une réflexion sur le lien entre les expériences de la petite enfance et le développement de la personnalité.
L’enfant sans mère
20L’absence de la mère dans les œuvres que nous étudions est, contre toute attente, un phénomène considérable. Dans quatre de nos dix romans principaux, la mère du héros est morte : Le Tour de la France par deux enfants39, La Joie de vivre, Chérie40, et Sébastien Roch41. Deux mères sont idéalisées, mais lointaines : Madame Milligan dans Sans famille, vraie mère de Rémi, qui possède toutes sortes de qualités mais reste inconnue ou inaccessible tout au long du roman ; et la mère de « Pierre » dans Le Roman d’un enfant, liée au monde mystérieux du dehors dans les premiers souvenirs de l’enfant :
Et ma mère ? J’aurais surtout souhaité sa présence à elle ; mais je la savais sortie dehors, dans ces rues longues dont je ne me représentais pas bien les extrémités, les aboutissements lointains42.
21C’est une autre forme d’absence que vit Jack par rapport à sa mère, Ida de Barancy, une absence affective, puisque le premier chapitre du roman présente sa tentative pour mettre l’enfant en pension, puis, le même soir, son départ pour un bal costumé où, significativement, elle se rend déguisée en « Folie »43. L’irresponsabilité d’Ida est présentée comme la cause de tous les malheurs de l’enfant. Il est significatif que dans un seul roman sur dix, Petit Bob, apparaisse une mère peinte vraiment d’une manière positive. Une constante apparaît : l’aventure romanesque repose fondamentalement sur le conflit entre les mères et les enfants, ou leur séparation.
Le refus de l’enfant
22Par une autre forme de conflit, dans de nombreux romans, l’enfant est considéré comme un gêneur par son entourage, et d’abord souvent, parce que son existence même est une cause de pauvreté. C’est un leitmotiv chez Zola, par exemple dès les premières pages de L’Assommoir, où Gervaise suggère ironiquement à Lantier de porter les enfants au Mont-de-piété44. D’un roman de Zola à un autre, les dialogues se font écho : « Sept enfants, mais pourquoi ? Bon Dieu... Il faut dire que les ouvriers ne sont guère sages », dit Monsieur Grégoire devant la Maheude45 ; et, comme en réponse, Claude Lantier explique à Sandoz : « Ça pousse sans qu’on y songe46 ! »
23Pour des raisons d’ordre plus personnel, bien des femmes – dans des milieux plus aisés ou plus avertis – refusent l’enfant, perçu comme une menace pour la beauté de leur corps ; ainsi pense Christine, épouse et modèle du peintre Lantier, que son mari vient d’insulter :
Son enfant, ah certes, oui, il aurait mieux fait de ne pas naître ! C’était lui peut-être la cause de tout. Elle ne pleura plus, elle excusait déjà le père, elle se sentait une colère sourde contre le pauvre être, pour qui sa maternité ne s’était jamais éveillée, et qu’elle haïssait, maintenant, à cette idée qu’il avait pu, en elle, détruire l’amante47.
24C’est à cause de cela, et afin de continuer à mener la vie mondaine qu’elle aime, que Gabrielle, l’héroïne de Mondaine d’Hector Malot48, met sa santé en péril pour empêcher son enfant de naître. L’avortement est un topos naturaliste, sans doute à cause de son caractère clandestin, puisque criminel, à cette époque ; mais, au-delà des scènes crues et violentes dont il peut être le prétexte, le motif de l’avortement est aussi le signe que l’enfant gêne, que même à l’état d’embryon il représente une force menaçante pour ses parents. Maupassant a évoqué cette idée plusieurs fois dans ses romans, Mont-Oriol par exemple. Et, dans Notre Cœur, il met dans la bouche de l’écrivain Lamarthe une violente diatribe contre les femmes modernes :
Non, ce ne sont pas des femmes.[...] Celles-ci sont incapables d’amour, et elles ne veulent pas d’enfants ; quand elles en ont, par maladresse, c’est un malheur, puis un fardeau. En vérité, ce sont des monstres49.
On trouve, dans ces romans de la fin des années 1880, un écho des débats autour du malthusianisme, dont Zola donnera une réfutation enthousiaste et lyrique, avec Fécondité, en 189950.
25Enfin, le refus de l’enfant peut avoir des causes plus philosophiques, comme l’imagine Zola dans La Joie de vivre, au moment de la naissance du petit Paul, l’enfant de Lazare et Louise :
Lazare, la tête tournée contre le mur, éclata en sanglots. Il y avait en lui un immense désespoir, l’idée qu’il aurait mieux valu mourir tous, que de vivre encore après de telles souffrances. Cet être qui naissait, le rendait triste jusqu’à la mort51.
On voit l’image pathétique que beaucoup de romans nous présentent de l’enfant, en cette fin du XIXème siècle. Il apparaît souvent comme un être à la dérive, rejeté, dévalorisé.
2.Modèles familiaux
Des parents écrasants
26Le héros enfant n’est pas toujours isolé : parfois, il est doté d’un entourage important qui l’influence. Dans L’Enfant, de Vallès, la mère est présente de la première à la dernière ligne du roman. Ses jugements normatifs et ressassés servent toujours de référence à Jacques, qu’il s’y conforme ou non. Il n’est pas de chapitre où elle ne soit évoquée, ne serait-ce qu’à titre de contrepoint dans les moments de liberté, comme sur le bateau qui les conduit à Nantes. Vallès fait se succéder ces deux phrases :
Ma jeunesse s’éveille, ma mère dort.
... Ma jeunesse s’éteint, ma mère est réveillée52 !
27C’est à elle que revient le mot de la fin, marquant jusqu’au bout mesquinerie et incompréhension53, même si l’humour tempère un peu la dureté de la situation. Tout le roman est organisé autour d’elle, et c’est au prix de bien des difficultés que Jacques obtiendra enfin sa « délivrance ».
28La figure paternelle est souvent présente dans les romans, ce qui s’explique d’abord par des raisons sociologiques. Michelle Perrot l’a signalé : « Figure de proue de la famille comme de la société civile, le père domine de toute sa stature l’histoire de la vie privée au XIXème siècle54. » Cette affirmation est vérifiée dans la plupart des romans, où le père, mort ou vivant, exerce une forte emprise. Mort, il lègue à ses enfants un nom et une morale. L’importance du patronyme est soulignée par G. Bruno dans l’épigraphe du chapitre II du Tour de la France par deux enfants : « Le nom d’un père honoré de tous est une fortune pour ses enfants ». Volden, le charpentier de Phalsbourg, reste un modèle pour ses fils. Dans une autre classe sociale, Goncourt dote son héroïne, Chérie, d’un père exemplaire, dont les exploits sont longuement contés, même si l’enfant n’en a pas de souvenirs. Le père du narrateur du Roman d’un brave homme, d’Edmond About, est un véritable héros, qui cumule les qualités physiques, morales et sociales. Mort dans un incendie qu’il tentait de combattre, ce personnage parfait reste un modèle pour son fils tout au long de l’existence. On a dans ce dernier cas l’exemple d’une littérature édifiante et morale, où l’image du père mort contribue à la construction de la personnalité de l’enfant.
29Vivant, le père constitue aussi une figure de référence, mais il est alors une force oppressive, sur le modèle caricatural du pater familias. Les romans les plus critiques, tels ceux de Vallès et de Mirbeau, l’évoquent de cette façon. Dans la première moitié de L’Enfant, Antoine Vingtras apparaît comme une figure falote qui appelle la dérision. Mais, à la moitié du roman, son rôle se modifie et il endosse une personnalité autoritaire, tout aussi dérisoire mais beaucoup plus dangereuse, car il devient capable de violence. Il faut attendre la toute dernière page du roman pour que Jacques comprenne que sous cette apparence a subsisté le père affectueux, qui savait chanter, rire, boire, et aimer, mais n’a pas su le dire et a obligé Jacques à de douloureux efforts pour construire sa personnalité.
30A partir de ce modèle de pater familias, Mirbeau construit une intrigue inverse. « Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, quincaillier à Pervenchères » qui fait ânonner à son fils ces prénoms et ce nom solennels, est avant tout une présence bavarde et envahissante. C’est pour sa vanité personnelle qu’il envoie l’enfant chez les Jésuites, causant ainsi tous ses malheurs. Confit d’orgueil et se grisant de grandes phrases, il est présenté comme un monstre d’égoïsme et d’autosatisfaction, d’autant plus dangereux que le romancier lui donne une apparence débonnaire. L’enfant subit cet écrasement moral pendant toute une partie du récit. Mais vient le jour où Sébastien, adolescent, a pris conscience de sa force morale, forgée par les épreuves, et résiste à son père, justement au moment où celui-ci apparaît comme une brute capable de meurtre. Alors on assiste à un brusque retournement des rapports de force : « Vaincu, dompté par ce regard d’enfant, M. Roch laissa retomber à terre le couteau et s’enfuit.55 » Ces mots constituent la clôture de la première partie, un véritable pivot du roman. Dès lors, Sébastien peut vraiment commencer, avec toutes les difficultés que l’on sait, son chemin vers une vie d’homme, que d’ailleurs il n’atteindra pas. La figure paternelle est, en cette fin du siècle, remise en question par certains écrivains qui suggèrent la nécessité, pour devenir adulte, de « tuer le père ».
Le poids de l’héritage
31Le premier héritage est biologique. Notion intuitivement perçue depuis des siècles, l’hérédité est formulée en termes scientifiques au milieu du XIXème siècle. On sait le rôle fondateur de cette notion dans la conception des Rougon-Macquart. Les enfants apparaissent comme les premières victimes de cette transmission familiale. « Il y a peu d’enfants dans les Rougon-Macquart qui ne soient pas scrofuleux, anémiés, chlorotiques », écrit Colette Becker56. Louiset, le fils de Nana, les enfants Maheu dans Germinal, les petits pauvres du village de Bonneville, dans La Joie de vivre, entre autres, sont de misérables dégénérés, présentés comme les victimes de l’hérédité à laquelle s’ajoute l’influence aggravante d’un milieu malsain. Mais le cas de Pauline Quenu est intéressant, car un peu différent. Pauline figure sur l’arbre généalogique des Rougon-Macquart, dans son état de 1878 :
Pauline Quenu. Née en 1852. Mélange équilibre. Ressemblance physique et morale de la mère et du père. Etat d’honnêteté57.
32La petite fille participe donc d’une hérédité et d’une tradition ; mais Pauline est l’un des rares personnages des familles Rougon et Macquart que l’hérédité n’a pas pénalisés, d’autant plus qu’elle a échappé à leur influence éducative. Elle constitue une sorte d’exemple a contrario de l’oppression familiale.
33L’héritage, au sens patrimonial du mot, est aussi une donnée importante de la vie familiale, dans la société du XIXème siècle, déjà dominée par des forces de type économique. C’est un élément récurrent des intrigues romanesques ; on sait l’importance qu’il avait chez Balzac. La poursuite de l’héritage comme ressort de l’action triomphe dans le roman populaire dès le Second Empire58. A cause d’un héritage, des frères s’affrontent, des familles se déchirent. L’enfant, par sa seule existence, est l’enjeu d’une lutte parfois violente, et des êtres cupides peuvent abuser de sa faiblesse. Cette tradition romanesque persiste dans certaines œuvres de notre période. Ainsi la petite Sava, la fille du héros de Jules Verne, Mathias Sandorf, a-t-elle mystérieusement disparu, et l’on apprend plus tard qu’elle a été enlevée par des malfaiteurs qui convoitaient son immense fortune. Ici, Jules Verne ne semble pas s’être complètement dégagé des archétypes du roman-feuilleton visant un public populaire. Des considérations économiques donnent à l’enfant un rôle de victime chez Zola, dans La Terre. La propriété foncière y a l’importance que l’on sait, et l’héritier présomptif est présenté comme un danger, puisqu’il conduit à morceler le patrimoine. C’est ainsi que Lise et Buteau considèrent l’enfant que porte Françoise :
L’idée de cet enfant qui poussait, qui allait leur prendre pour toujours la maison et la terre, les hanta ; et ils ne rencontraient plus la jeune sœur, sans que leur regard, tout de suite, se portât sur son ventre59.
L’enfant est donc un danger, il gêne, et les adultes cupides sont prêts au meurtre pour l’éliminer.
34Une autre forme d’héritage, plus abstraite, se présente aussi dans les romans. Moralement, certains enfants sont chargés d’un poids souvent bien lourd : on leur demande de réaliser les ambitions déçues d’un adulte. Ainsi, Lazare, dans La Joie de vivre, est-il particulièrement écrasé par sa mère que la vie a frustrée :
Lorsqu’il leur vint un fils, celle-ci [Mme Chanteau] reporta sur cet enfant son espoir d’une haute fortune, le mit au lycée, le fit travailler elle-même chaque soir. [...] On patienterait, on attendrait les succès du fils, qui devait les tirer de leur vie médiocre60.
Un tel investissement social et affectif est lourd à porter pour le jeune héros. Il débouche sur l’alternative de la réussite ou de l’échec ; mais, s’il y a matière à roman, c’est vraisemblablement que l’écrivain a fait le choix d’une issue négative. Pour l’adulte, l’échec de l’enfant représente l’écroulement de ses rêves, Daudet le montre dans une scène très frappante des Rois en exil, à propos du petit dauphin Zara, diminué par la perte accidentelle d’un œil :
[La reine Frédérique] lui montra le pauvre infirme, blotti dans ses jupes, leur chef d’œuvre écroulé, ce débris, cette épave d’une grande race61.
L’enfant, investi d’une responsabilité qu’il ne perçoit pas bien, apparaît comme une victime, chargé de culpabilité, enjeu innocent d’un défi extérieur à lui. L’ambition parentale est la cause principale de la destruction totale de la personnalité du héros, dans Sébastien Roch. Le roman de Mirbeau est un violent réquisitoire contre ces parents abusifs qui étouffent l’enfant d’une façon quasi criminelle.
35La rigoureuse organisation familiale choisie par Zola, donnant un rôle essentiel à l’hérédité, n’était pas appréciée de tous ses contemporains ; on rapporte un propos de Daudet qui rêve de « conseiller à Zola, maintenant que l’arbre généalogique des Rougon-Macquart est complet, de se pendre à la plus haute branche62 ». Serait-ce jalousie de confrère ? Ou Daudet a-t-il, en tant que romancier, une tout autre conception des relations familiales à mettre en œuvre dans un roman ? En effet, on trouve dans les notes préparatoires de Jack les remarques suivantes :
Ferai-je jamais un livre sur la famille ? Ses cruautés, ses injustices, les aveuglements des parents, les cœurs qui se séparent, les intrusions, les greffages ; la famille, ce groupe d’individus que la nature forme et qu’elle s’amuse à composer d’éléments disparates, buissons d’épines cruelles63.
La famille, source d’oppression et de déchirement, se trouve donc remise en question par la présentation qu’en font certains auteurs, et non des plus contestataires.
Des parents de substitution
36L’enfant placé dans une telle situation ne peut que rêver d’échapper à cet écrasement. D’une façon symbolique, l’organisation de certains romans lui permet de choisir, sinon sa famille, du moins des parents selon son cœur. On sera peut-être surpris de trouver chez Malot une apologie de la famille dont l’affection a été « volontaire64 » par rapport à la famille biologique. Il est vrai que cette réflexion est placée dans la bouche du petit Mattia, qui a été vendu par sa mère. Le narrateur, dans le dernier chapitre, intitulé « En famille », tient, lui, des propos plus conventionnels65. Mais on observe, au cours de bien des romans, l’élection, par les héros, de parents de substitution.
37Aux mères absentes matériellement ou affectivement, les romanciers substituent une mère de remplacement ; il s’agit presque d’une constante dans les romans que nous étudions. Cela peut être justifié par les convenances sociales66, ou parfois tout simplement par la nécessité ne pas laisser l’enfant seul, d’assurer auprès de lui une certaine sécurité matérielle. Dans les situations où la mère est morte, ou totalement absente, la mère de substitution est celle qui procure la nourriture, qui tient la maison, et ce rôle peut être rempli par des personnages divers : une sœur aînée par exemple, comme Etiennette Acquin dans Sans famille. Les différentes hôtesses qui accueillent André et Julien dans Le Tour de la France par deux enfants remplissent à la fois les fonctions nourricière et affective67. Les enfants ne sont jamais mal reçus, jamais déçus dans leur confiance, le livre présente l’image d’un monde idéalisé où toute femme est spontanément maternelle, même si son apparence semble rude au premier abord comme dans le cas de Madame Gertrude.
38Les femmes, dans L’Enfant, sont sans cesse comparées à Madame Vingtras du point de vue du rôle maternel. Jacques, adoptant les jugements de convention qu’on lui a inculqués, s’exclame « Qui remplace une mère68 ? » mais c’est pour ajouter immédiatement : « Mon Dieu ! une trique remplacerait assez bien la mienne ! » Tout au long de sa petite enfance, Jacques observe les voisines, les mères de ses camarades, et elles lui font prendre conscience de l’amour qui manque à la sienne69. Mais il en est une qui, dès la première page, remplit totalement ce rôle maternel, c’est Mademoiselle Balandreau, la « bonne vieille fille » qui, tout en feignant d’assumer le rôle répressif de la mère, lui évite les corrections, lui glisse un bonbon en cachette, va le conduire à l’école : « J’ai le cœur bien gros quelquefois et je lui conte mes peines en sanglotant70 ». Son apparition dès le début du roman assure le parallélisme avec le rôle de la mère biologique, et elle est de nouveau évoquée dans Le Bachelier : c’est grâce à elle que finalement Jacques obtient sa liberté définitive, puisqu’en mourant elle lui lègue sa petite fortune, et lui assure donc l’indépendance71. On rencontre donc, dans beaucoup de romans, ce type de personnage placé en parallèle avec la mère véritable, qui permet d’intéressants effets : comparaisons, contrastes, surprise même, chez Vallès. Ces mères de substitution permettent de remplacer un système de valeurs conventionnel par un autre où domine l’affectivité.
39Parmi les substituts des parents absents ou défaillants, notons l’importance donnée par beaucoup d’auteurs aux oncles et aux tantes. Dans les structures parentales de nombreuses sociétés, on sait combien le rôle des oncles, protecteurs et initiateurs, est important. Il en est de même dans beaucoup de romans. Placés auprès de l’enfant, vivant au foyer souvent, ils exercent des rôles divers. Pour Jacques Vingtras, l’oncle curé et surtout l’oncle Joseph le menuisier, sont des figures protectrices et positives, qui s’opposent implicitement à l’image dévalorisée du père. Joseph constitue même pour Jacques un modèle de vie72, contrairement à ses parents. D’autres oncles ou tantes sont plutôt dans les romans des figurants, soit protecteurs, soit dangereux73.
40D’autres adultes qui entourent le personnage enfant se rattachent à des types fonctionnels. Naturellement, dans les romans où le rôle principal est dévolu à l’enfant, ces personnages sont à l’arrière-plan : parents plus ou moins proches, domestiques, médecins, maîtres, prêtres, tous ont une influence sur le jeune être en formation ; l’influence est présentée comme positive lorsque l’enfant trouve sur son chemin un mentor ou des « adjuvants » qui deviennent des parents de substitution74. C’est surtout le cas dans la littérature destinée aux enfants, qui se doit de présenter une image optimiste de la vie. Mais les romans destinés aux adultes, quel que soit le niveau du public auquel ils s’adressent, montrent plutôt les embûches tendues à l’enfant par les adultes, et qu’il devra éviter.
3.Les paires d’enfants
41Cet entourage adulte étant posé, reste à nous demander comment le romancier « établit » son personnage par rapport à ses contemporains, quels contacts il lui ménage et dans quelle intention.
La fratrie
42Les compagnons les plus proches de l’enfant semblent devoir être, logiquement, ses frères et sœurs. Or, nous constatons que l’enfant, comme personnage principal est enfant unique dans plus de la moitié des romans. Jack de Barancy, Jacques Vingtras, Pauline Quenu, Chérie Haudancourt, Sébastien Roch sont des enfants uniques ; Rémi aussi, du moins le croit-il jusqu’à la découverte de sa vraie famille. Il s’agit, on l’a vu, d’une réalité sociologique ; dans la mesure où l’on tente à cette époque de contrôler les naissances, la fréquence de cette situation trouve une première explication.
43Mais on ne peut considérer les romans comme de simples documents. Une intention d’ordre esthétique ou moral est à l’œuvre, puisque, comme nous l’avons vu, certains écrivains comme Vallès ou Mirbeau réaménagent la réalité vécue, dans la fiction, pour créer des héros enfants uniques. On voit se dessiner une structure familiale réduite à trois personnages ou même deux, dans le cas, fréquent, nous l’avons vu, où l’un des parents est mort ou absent. Structure souvent étouffante, où l’enfant est l’objet d’une continuelle surveillance75. La solitude de l’enfant qui n’a pour interlocuteurs, à la maison, que des adultes, en est accrue. Enfin, l’enfant n’ayant pas de semblable, pas d’alter ego76, en est d’autant plus considéré comme exceptionnel77. L’absence de frères et sœurs place donc le personnage d’enfant dans une situation d’isolement qui le met en valeur et donne une grande importance à son développement personnel.
44Il est cependant des cas où la relation entre les frères est importante et constructive. Un couple fraternel remarquable est constitué par André et Julien Volden, qui affrontent mieux ainsi leur situation d’orphelins. Le rôle de l’aîné est quasiment celui d’un père78, souligné au chapitre LVI, quand Julien sympathise avec le petit apprenti orphelin, Jean-Joseph, qui lui fait ressentir sa chance : « Vous avez un grand frère, vous ; mais moi je n’ai personne du tout79 ». La relation des deux frères est un élément fondamental du livre, en particulier pour l’évolution du caractère du petit Julien, qui, grâce au bon exemple d’André, mûrit et progresse tout au long du voyage. La variante féminine de cette situation se trouve dans Au Bonheur des dames, roman dans lequel Denise Baudu se considère comme la mère de ses deux jeunes frères ; elle trouve dans cette responsabilité une raison supplémentaire de tenir bon dans les difficultés et de faire montre de sa force morale.
45Si la rivalité fraternelle apparaît dans de nombreux romans populaires, en particulier ceux de Ponson du Terrail, comme une des bases de l’action et des péripéties, elle concerne des héros adultes. Jamais nous n’avons trouvé de personnages jeunes, en proie à cette rivalité. Le sujet serait sans doute fécond, mais délicat à traiter et peu édifiant. La relation de fraternité est donc limitée, dans nos romans, à des situations relativement rares et stéréotypées : la solitude de l’enfant unique, ou la fusion du couple fraternel.
L’enfant dans un duo
46L’insertion du personnage d’enfant dans la société passe aussi par une relation à deux. Dans la plupart des romans sur l’enfance, l’amitié a la part belle et constitue un lien privilégié entre l’enfant et le monde. Dans Sans famille, après la mort du père substitutif, Vitalis, et l’emprisonnement du père adoptif, Monsieur Acquin, c’est une nouvelle étape de la vie de Rémi qui commence avec la rencontre du petit Mattia, au début de la deuxième partie. C’est une étrange relation à vrai dire, au début, entre ces deux petits vagabonds démunis, qui se vouvoient cérémonieusement ; les deux enfants arriveront cependant à une relation beaucoup plus aisée au travers de leur voyage et de leurs aventures communes, jusqu’à un dénouement digne des romans roses, Arthur Milligan épousant Cristina, la sœur de Mattia. Malot suggère la complémentarité des deux enfants, le réalisme de Mattia tempérant l’enthousiasme souvent excessif et étourdi de Rémi. On remarque aussi que l’un de ces enfants est Italien, l’autre, Anglais, quoiqu’il ne l’apprenne que plus tard. Or ces différences d’origine ethnique jouent souvent un rôle dans les effets ménagés par les romanciers quand ils constituent ces paires enfantines. L’antithèse est une figure privilégiée quand on parle d’amitié, contrairement à la ressemblance dans les couples fraternels. En amitié, le Nord s’unit au Sud, les blonds aux bruns. Jack, dans le roman de Daudet, enfant blond habillé par sa mère en Ecossais, avec kilt et toque, a pour ami Mâdou, le petit héritier du trône de Dahomey, dont la peau noire le fascine tout autant que ses récits exotiques. L’amitié en dépit des différences, c’est aussi ce que nous trouvons dans La Joie de vivre, du moins au moment où Pauline et Louise vivent leur amitié sans la jalousie qui les a d’abord opposées. L’une est blonde, l’autre est brune, Louise a été élevée au couvent, dans les rêves et l’hypocrisie, Pauline est une autodidacte, qui parle franchement et librement80. Les contrastes physiques et sociaux servent donc à mettre en valeur les paradoxes du sentiment amical et à mieux constituer, par des jeux d’opposition, chacun des personnages.
47Cette amitié est souvent un soutien puissant pour le héros d’un roman d’apprentissage. Dans l’itinéraire difficile de Sébastien Roch, Bolorec est le seul compagnon sur qui il puisse compter d’un bout à l’autre du récit. Ce garçon taciturne partage avec Sébastien la condition d’exclu, à cause de sa laideur, à cause de la profession de son père81. Leur amitié est silencieuse, fondée sur des éléments non dits : l’amour de l’art, de la musique en particulier. C’est d’ailleurs cela qui les perdra ensemble, sous le coup d’une accusation fausse qui les déshonore. Mais Bolorec réapparaît dans la deuxième partie du roman, à travers des lettres qui touchent Sébastien et l’intriguent. Celui-ci se replie sur lui-même, celui-là se tourne vers l’action révolutionnaire clandestine. C’est à Bolorec que revient le mot de la fin dans le roman, après la mort de Sébastien, un mot plein de désir de revanche, et d’espoir : « Ça n’est pas juste... Mais tu verras... tu verras...82 ». Et la dernière phrase montre Bolorec, chargé du corps de son ami, continuant difficilement sa marche. La présentation de ce couple d’amis permet à l’auteur de différencier deux attitudes, celle de l’enfant qui subit passivement le sort et celle de l’enfant qui réagit aux mêmes brimades par une prise de conscience révolutionnaire. Ce qu’il peut y avoir de désespérant dans le personnage de Sébastien est tempéré par l’espoir de Bolorec. La mise en place d’un « duo » dans l’intrigue romanesque a donc essentiellement un intérêt psychologique, permettant une dissociation du personnage en deux tendances différentes ou contraires. Son absence est souvent significative aussi, constituant un écart qui insiste sur la solitude du personnage.
4.l’enfant dans un groupe
48Le romancier crée souvent un environnement social pour le héros enfant, avec d’autres enfants ou plus rarement des adultes. Que ce groupe soit constitué de façon aléatoire ou non, il place l’enfant devant le monde et lui fait assumer un rôle, celui de victime ou celui de héros.
La victime
49L’existence d’autres enfants oblige le personnage à se comparer à autrui, expérience qui peut être douloureuse. Ainsi, le narrateur du Roman d’un enfant peint-il l’isolement du héros un soir de Mardi-Gras, quand il entend les rumeurs de la ville :
Les cris lointains des masques et le bruit de leurs tambours venaient me poursuivre jusque dans ma retraite de jeune savant et m’y apportaient une insupportable tristesse. [...] Cela devenait une vraie angoisse, subite, inattendue, – mais fort mal définie. Confusément, je souffrais d’être enfermé, moi, et penché sur des choses arides, bonnes pour des vieillards, quand dehors les petits garçons du peuple, de tous les âges, de toutes les tailles, et les matelots, plus enfants qu’eux, couraient, sautaient, chantaient à plein gosier83.
Le même enfant, forcé d’aller au collège, dira, quelques chapitres plus loin, le malaise qu’il éprouvait face à ses condisciples, si différents de lui84.
50Le personnage inséré dans une collectivité doit affronter des réactions parfois violentes. Malgré son optimisme foncier, Malot donne ainsi, au chapitre XVII de Sans famille, une image très sombre des réactions des enfants en groupe. Les petits protégés du méchant Garofoli se montrent d’une grande cruauté à l’égard de leurs pairs :
Debout devant leur maître, les enfants se tenaient immobiles ; à cette plaisanterie cruelle, ils se mirent tous ensemble à rire d’un rire forcé85.
Malot, quelques lignes plus haut, avait prévenu le jeune lecteur de cet instinct mauvais : « A vivre avec les méchants on peut devenir méchant soi-même86 ». La vie en groupe incite donc à la cruauté, ou peut-être révèle une violence latente, comme on le voit dans les premiers chapitres de Deux ans de vacances. Les jeunes collégiens néo-zélandais qui viennent d’échouer sur une île déserte sont parfaitement policés, selon la bonne éducation des collèges anglo-saxons. Pourtant, leurs relations, dans un premier temps, tournent à un rapport de forces d’où la violence physique n’est pas exclue87.
51C’est surtout chez Mirbeau que nous trouvons une image sombre du groupe, qu’il soit composé d’enfants ou d’adultes. Arrivé au collège, Sébastien Roch se trouve en butte à l’hostilité des autres enfants ; le chapitre II de la première partie insiste particulièrement sur cette violence faite à l’enfant, avec des images récurrentes de la chasse en meute :
Un quincaillier !... Qu’est-ce que ça mangeait !... un quincaillier...! c’était peut-être venimeux !... Quelques-uns proposèrent de donner la chasse à cette bête inconnue et malpropre. Et le rire recommença, renforcé cette fois par d’autres rires plus aigus et de plus insultantes moqueries. Ils imitaient l’aboiement des chiens, le claquement des fouets, le son de la trompe, le galop d’une chasse à travers les halliers88.
52De même, dans la deuxième partie, Sébastien, grandi (il a dix-neuf ans), assiste au défilé d’un régiment de dragons, avec tous les habitants de sa petite ville de Pervenchères, et il note dans son journal :
La foule grossit, poussée là par un même instinct sauvage, car c’est maintenant une foule. Elle me paraît absolument hideuse. Jamais encore, il me semble, je n’ai si bien compris l’irréductible stupidité de ce troupeau humain.[...] C’est le retour instantané à la bête de combat, à l’homme des massacres d’où je descends. Et je suis pareil à cette foule que je méprise89.
Le parallélisme de ces deux passages, que distingue seulement une accession du héros à la conscience claire dans la deuxième partie, permet à Mirbeau de montrer, d’une part la violence foncière des êtres, qui est un des motifs fondamentaux de son œuvre, d’autre part la fragilité et la solitude de l’enfant soumis si souvent à cette violence, systématiquement anéanti par les forces oppressives de la société adulte : l’école et l’armée en particulier.
53Tous les romans de la période étudiée ne sont pas aussi noirs, il s’en faut de beaucoup, mais le rôle joué par l’enfant est souvent, tout de même, celui d’une victime qui doit lutter contre des forces plus ou moins obscures. Ecrasement de la victime, ou triomphe final du droit sur la force, c’est dans cette alternative que consiste l’enjeu de beaucoup de romans.
Naissance du héros
54Si le groupe accentue la solitude du personnage, il peut aussi permettre à l’enfant de révéler sa vraie nature et de s’affirmer comme héros, au sens épique du terme. Depuis le romantisme, au moins, la solitude est un élément constitutif du héros. Jacques Vingtras est, ainsi, très seul. De même que Vallès resserre, nous l’avons vu, la cellule familiale, pour accentuer l’isolement de son personnage, de même l’absence, au milieu de nombreux camarades, d’un ami véritable, contribue à faire du héros un solitaire. La découverte de la camaraderie révolutionnaire, au cours du séjour à Paris, renforce Jacques dans l’idée qu’il ne peut véritablement communiquer avec personne, lors de son retour à Nantes :
Qui me donnerait des conseils ? – Des copains ? Je suis plus vieux qu’eux, même s’ils ont mon âge. On ne les a pas battus tant que moi. Ils n’ont pas connu Legnagna et la maison muette90.
Ce n’est que dans Le Bachelier que le jeune homme, enfin délivré de la pesante tutelle familiale, fait l’apprentissage de l’amitié. Dans L’Enfant, le héros se dégage progressivement, que ce soit indiqué dans le registre comique, ou avec plus de sérieux. Au chapitre XIII, Jacques a gagné un lapin à la loterie et se voit, dans une scène burlesque, suivi par une foule de plus en plus nombreuse que sa réussite fascine. Le jeune garçon est très gêné de cette célébrité inattendue : « Je suis en avant, à quelques pas de la colonne, seul comme un prophète ou un chef de bande...91 ». Au chapitre suivant, une scène parallèle apparaît ; lors d’un retour au Puy, Jacques retrouve d’anciens camarades et mesure son prestige : « Je marche quelquefois à reculons devant la bande [...]. Je suis un peu le chef, celui qu’on écoute92 ». Entre la solitude et la singularité perçues dans le premier exemple, et le prestige de cette situation nouvelle, la maturité grandissante du héros est perceptible. Hors de l’emprise familiale, Jacques découvre un type de relation beaucoup plus valorisant pour lui.
55Les groupes d’enfants tendent à se structurer et à s’organiser, donnant naissance à des chefs. L’opposition des enfants et des adultes, impliquant un certain nombre de secrets enfantins, est une première manière de donner cohérence à une réunion d’enfants. Loti analyse cette relation dans Le Roman d’un enfant, racontant les jeux d’imagination qu’il organise avec une petite bande d’enfants, en vacances à Castelnau :
Nous tenions, du reste, nos découvertes dans le plus amusant
93mystère ; il y avait maintenant entre nous comme un secret de tribu .
Le narrateur occupe dans ces jeux une situation dominante d’organisateur. C’est surtout chez Jules Verne, dans Deux ans de vacances, que l’on constate le passage de la violence et de l’anarchie primitives à une organisation sociale fortement structurée. La première distinction, celle de l’âge, scinde le groupe en deux sous-groupes bien différenciés, les « petits » et les « grands », ces derniers exerçant une autorité spontanée sur les plus jeunes. Les « petits » sont souvent désignés par ce terme collectif, et peu individualisés. Jules Verne l’a voulu ainsi, et a retravaillé son texte en ce sens, comme le montrent deux lettres à Hetzel : « Je suis, d’ailleurs, d’accord avec vous qu’il faudrait faire grouiller davantage les petits » et, un mois plus tard : « Je suis lancé dans les modifications convenues pour le premier volume de Deux ans de vacances, suppression d’enfants, grouillement, etc.94 ». Au contraire, les « grands » sont plus différenciés et tendent à s’organiser. Leurs aptitudes naturelles permettent une spécialisation des tâches : Doniphan dirige la chasse, Moko sera le cuisinier, Gordon met en œuvre ses connaissances scientifiques, Baxter son inventivité technique. Une société plus harmonieuse se met en place, comme c’est presque toujours le cas dans les récits de naufrage chez Jules Verne. Des chefs se dégagent du groupe, au nombre de trois, et peu à peu l’idée se fait jour qu’il est nécessaire de structurer l’autorité. La pensée politique de Verne sur ce point est cependant peu nette, comme le montre un certain flottement dans le choix des verbes, on lit dans la même page : « ne serait-il pas convenable de choisir un chef ? [...] Nommons un chef [...] Il pourra être réélu [...] Gordon fut proclamé chef95. » Un an plus tard, cependant, les institutions de la petite colonie sont mieux organisées et nous avons le compte-rendu d’une véritable élection, avec le décompte des voix. Mais quand des adultes arrivent sur l’île, l’organisation mise en place s’efface devant l’autorité et la force d’Evans ou de Walton et de sa bande. La république d’enfants n’était que provisoire.
56Par la vie en groupe, le romancier peut donc mettre en valeur, pour le héros enfant ou adolescent, soit le sentiment d’une profonde solitude, d’une différence fondamentale entre lui et les autres, soit l’émergence d’une personnalité charismatique ou au moins dominante. La socialisation permet de mettre au jour les traits importants de la personnalité.
57« L’établissement » du personnage dans un environnement familial ou social est, dans un projet réaliste, indispensable pour la constitution d’une figure qui s’impose au lecteur. Dans le cas de l’enfant, grande est la place donnée à la solitude, celle de l’enfant privé d’attaches, pathétique, ou celle, plus douloureuse encore, qui est vécue au milieu des autres. L’enfant est réduit à l’état d’une chose qu’on peut prendre, laisser, donner, selon le bon vouloir de l’adulte. Paradoxalement, le personnage acquiert, du fait de cette situation, beaucoup plus de relief, attire l’attention pour se constituer comme héros. Quand la famille existe, elle est dans la plupart des cas une force oppressive, tant par la personnalité des parents que par les déterminations héréditaires qu’elle implique. L’ironie de Gide, présentant la famille comme une « cellule sociale » où l’on est en prison96, trouve dès cette époque sa justification dans beaucoup de structures romanesques. On attendrait de la littérature pour la jeunesse qu’elle présente un tableau un peu plus idéalisé : mais les héros y sont le plus souvent déracinés, en quête d’une famille ; cependant un dénouement heureux consacre, dans la plupart des cas, la reconstitution de la cellule familiale, de même que dans le roman populaire. Les romans de réflexion se montrent, eux, beaucoup plus critiques. Le personnage d’enfant se caractérise par l’inaccompli. Son entourage le conduit à se demander : qui suis-je ?, mais aussi : que puis-je devenir ? comment m’affirmer dans le monde, sans y être écrasé ? Le lecteur suit avec sympathie cette quête constitutive de la personnalité. « Etablir » le personnage, ce n’est donc pas seulement lui donner un ancrage plausible, c’est aussi mettre en place des forces agissantes, positives ou négatives, qui font progresser le héros.
Notes de bas de page
1 Dictionnaire de Littré.
2 Nous entendons par là orphelins des deux parents. Le cas de l’absence de l’un des parents sera étudié plus loin.
3 Son père est tué à Sébastopol et sa mère en devient folle de chagrin, ce qui est la cause de sa mort prématurée.
4 Adolphe Dennery avait connu un immense succès avec son mélodrame Les Deux Orphelines en 1874, et publia en 1887 un volumineux roman dérivé de la pièce (éd. Rouff).
5 Jules Renard, Poil de Carotte, Flammarion, 1894, Gallimard, « Pléiade », I, p. 742.
6 « Orphelin de père et de mère, il n’a d’autre parent que son tuteur, ancien agent consulaire, qui, après fortune faite, s’est fixé dans la Nouvelle-Zélande », Deux ans de vacances, p. 43.
7 La Joie de vivre, p. 812 et 813.
8 Simone Vierne, Jules Verne et le roman initiatique. Contribution à l’étude de l’imaginaire, éd. du Sirac, 1973, p. 292.
9 Anne-Marie Thiesse, Le Roman du quotidien. Lecteurs et lectures populaires à la Belle Epoque, Le Chemin vert, 1984, p. 144.
10 Albert Delpit, Le Fils de Coralie, Ollendorff, 1879.
11 Paru dans le journal Le Passe-Temps en 1882.
12 La meurtrière se suicide juste après son acte. Dans le même roman, un adolescent, bâtard qui a été enlevé à sa mère par son père et confié à un oncle, se demande pourquoi ses condisciples l’appellent « Antony » et ce n’est qu’en découvrant le drame d’Alexandre Dumas qu’il comprend sa situation (Ibid., p. 388).
13 Rouff, 1881. En feuilleton dans Le Bon Journal, 16 février – 8 juin 1890.
14 Umberto Eco, De Superman au surhomme, 1978, trad. Grasset, 1993, Le Livre de poche Biblio-Essais, p. 17.
15 Voir Jack, p. 9, 10, 94, 318 entre autres.
16 Voir p. 94, 332, 356, 436.
17 « La première querelle du ménage [Coupeau et Gervaise], un soir, était venue au sujet d’Etienne. [...] Ce mioche n’était pas à lui, il ne savait pas pourquoi il le tolérait dans la maison ; il finirait par le flanquer à la porte » (RM II, p. 489).
18 Le Passe-Temps, n° 1959, 26 septembre 1883. On trouvait déjà le même sujet, et le même attendrissement, dans L’Enfant du Faubourg, d’Emile Richebourg.
19 « "L’enfant perdu que sa mère abandonne, / Trouve toujours un asile au saint lieu. / Dieu qui le voit le défend de son trône. / L’enfant perdu, c’est l’enfant du bon Dieu. [...]” Quand le refrain recommença, plus ralenti et plus larmoyant, tous se lâchèrent, tous viaupèrent dans leurs assiettes, se déboutonnant le ventre, crevant d’attendrissement. » (RM II, p. 589-590).
20 Livre de L’Exode, chapitre 1.
21 Catulle Mendès, Le Roi vierge, 1881, éd. Obsidiane, 1986, p. 51 et 55.
22 Verne et Laurie, L’Epave du Cynthia, Hetzel, 1885, p. 26 et passim. Hector Malot n’en avait pas fait tant, les « beaux langes » de Rémi ayant été démarqués avant son abandon (Chap. XXXVII, p. 506).
23 Kajsa, la nièce du bon docteur qui a recueilli le jeune Erik pour faire son éducation.
24 L’Epave du Cynthia, p. 115.
25 George Sand les avait présentés dans François le Champi, 1850.
26 Sans famille, XIII, p. 265.
27 Voir Umberto Eco, De Superman..., p. 27.
28 Sans famille, XXXIV, p. 490.
29 Hector Malot, Romain Kalbris, dans Des Enfants sur la route, coll. Bouquins, Robert Laffont, 1994, chap. X, p. 95 sq.
30 Hetzel, 1885.
31 Zola, « Gustave Flaubert » (1875), dans Du roman, p. 132.
32 L’Enfant, p. 167.
33 L’Assommoir, chap. IV, RM II, p. 464. On constate le même « marché » passé dans l’intérêt de l’enfant, dans L’Epave du Cynthia, de Verne et Laurie.
34 Sans famille, p. 190. Ces quarante francs représentent bien peu, surtout si l’on compare ce maquignonnage avec la scène du chapitre XXIX où Rémi achète deux cent quatorze francs une vache pour Mère Barberin ! (p. 435).
35 Jack, I, 3, p. 52-53. C’était, dans Les Misérables, la situation de Cosette chez les Thénardier après la mort de Fantine.
36 Zola, Pot-Bouille, RM III, p. 371.
37 Zola avait réuni des renseignements sur les usages et les procédures de cet établissement.
38 « La Pouponnière » Le Journal, 12 décembre 1897, recueilli dans Combats pour l’enfant, p. 191.
39 Le Tour de la France par deux enfants, III, p. 580 et IV, p. 584 : « Les pauvres enfants, ayant perdu leur mère de bonne heure, n’étaient plus accoutumés à ces soins et à ces douces attentions maternelles » [celles de Mme Etienne],
40 La mère de Chérie Haudancourt est morte après avoir été anéantie pendant des années par la folie ; voir les chapitres III et XV en particulier.
41 Il n’est fait aucune allusion à Mme Roch dans les onze premières pages du roman. Ce n’est qu’incidemment qu’on apprend qu’elle est morte : « Le bruit courut que M. Roch allait se remarier » (p. 687). Elle semble ne tenir aucune place dans la pensée de Sébastien avant la seconde partie du roman.
42 Le Roman d’un enfant, II, p. 47.
43 Jack, p. 18 et 184.
44 RM, II, p. 384. C’est, nous l’avons vu, à cause d’Etienne qu’éclate la première dispute entre Gervaise et Coupeau.
45 Germinal, RM III, p. 1211.
46 L’Œuvre, RM IV, p. 159.
47 Ibid., p. 255. Déjà, dans Manette Salomon (1867), les frères Goncourt avaient évoqué cette crainte de la maternité pour la femme qui sert de modèle, fière de son corps.
48 Hector Malot, Mondaine, Charpentier, 1888.
49 Guy de Maupassant, Notre Cœur, II, 3. p. 1104. Louis Forestier signale en note que ce passage est directement inspiré de Schopenhauer.
50 Réédité dans la collection « Les Introuvables », L’Harmattan, 1993.
51 La Joie de vivre, p. 1100.
52 L’Enfant, p. 283.
53 Rappelons que Jacques vient de se battre en duel pour défendre son père et qu’il a enfin obtenu de partir pour Paris pour y vivre indépendant. Mme Vingtras brosse ses vêtements, et conclut : « Une autre fois, Jacques, mets au moins ton vieux pantalon ! » (p. 388).
54 Histoire de la vie privée, p. 121.
55 Sébastien Roch, p. 962.
56 Colette Becker, Lire le réalisme et le naturalisme, Dunod, 1992, p. 84.
57 L’arbre généalogique est inséré en hors-texte dans le volume II des RM, après la p. 800.
58 Le premier épisode des Drames de Paris, de Ponson du Terrail, s’intitule L’Héritage mystérieux, publié en 1857, réédité en 1991 par les éditions Complexe.
59 La Terre, RM IV, p. 475. Voir aussi p. 534, 566, 572.
60 La Joie de vivre, p. 884.
61 Alphonse Daudet, Les Rois en exil, Œuvres II, Pléiade, p. 1102. C’est nous qui soulignons.
62 Louis de Robert, De Loti à Proust, p. 130.
63 Œuvres complètes, Librairie de France, 1929-31, 20 volumes, vol. VI, p. 475. Notons que Daudet n’évite pas la métaphore botanique.
64 Sans famille, XXXI, p. 457.
65 Voir XLII, p. 557.
66 Comme dans Chérie, avec Mme Tony-Freneuse, le chaperon (LII, p. 177).
67 La mère Etienne, p. 582, la fermière lorraine, p. 595 sq., Madame Gertrude, p. 604 sq., l’hôtesse de Besançon, p. 634, entre autres.
68 L’Enfant, p. 212, de même que la phrase suivante.
69 Mme Grélin, p. 146, Mme Haussard, p. 164, Mme Vincent et Mme Fabre, p. 202, la mère de Malatesta, p. 248.
70 Ibid., p. 158.
71 Le Bachelier, chap. XV, Œuvres de Vallès, I, p. 549. Les parents détournent d’ailleurs une partie de cet héritage.
72 L’Enfant, XXIII, p. 360, 362, 364. On trouve aussi ce rôle de l’oncle comme substitut du père dans Le Tour de la France par deux enfants.
73 Ainsi les tantes Acquin dans Sans famille, la tante Rosalie, « acariâtre et méchante » dans Sébastien Roch (p. 693) mais, à l’inverse, les tantes du Roman d’un enfant, qui forment un chaleureux cercle de famille.
74 Ainsi Vitalis dans Sans famille.
75 Voir dans L’Enfant au chapitre X l’opposition dessinée entre la famille Vingtras, et les voisins Fabre et Vincent.
76 Alors que la gémellité est si souvent exploitée dans le conte populaire, nous n’en avons trouvé qu’une seule occurrence : Soeur Louise, de Charles Deslys (Dentu, 1878), qui insiste sur la ressemblance et la communication tacite entre le frère et la sœur.
77 C’est le cas aussi pour le héros du Roman d’un enfant, doté d’une sœur et d’un frère beaucoup plus âgés que lui (c’est un élément autobiographique authentique : Marie et Gustave Viaud avaient respectivement 19 et 14 ans de plus que leur benjamin, Julien). Il se trouve donc dans la situation d’un enfant unique également, d’autant plus surprotégé que le frère et la sœur jouent des rôles parentaux.
78 II est même comparé à « la plus tendre des mères » quand il veille l’enfant malade au chapitre LXXI, p. 725.
79 Le Tour de la France par deux enfants, p. 689.
80 Voir La Joie de vivre, chapitre IV, p. 899.
81 « Il était fils de médecin, profession non acceptée et fertile en brimades. » (Sébastien Roch, p. 773).
82 Ibid., p. 1079.
83 Le Roman d’un enfant, XXXII, p. 132.
84 Ibid., XLIX, p. 180.
85 Sans famille, XVII, p. 307.
86 Ibid., p. 306.
87 Voir par exemple chapitre II, p. 26. William Golding, dans Lord of the Flies, 1954 (trad. Sa Majesté des mouches, Gallimard, 1956), exploitera cette donnée plus complètement et dans une perspective encore plus pessimiste que celle de Jules Verne.
88 Sébastien Roch, p. 750. Voir aussi p. 784 : « Des poings tendus, des gueules hurlantes, des mains déchireuses, des foules sauvages, une sensation obscure et pénible de l’éternelle haine, une confuse et rapide vision du meurtre universel, tout cela lui cause un malaise. »
89 Ibid., II, 2, p. 1004-1006.
90 L’Enfant, XXV, p. 381.
91 Ibid., XIII, p. 226.
92 Ibid., XIV, p. 237.
93 Le Roman d’un enfant, LXXI, p. 229.
94 Lettres du 15 août 1887 et du 18 septembre 1887 à Jules Hetzel fils, BN, ms, Lettres à Hetzel, vol. 74, NAF 17005, folios 59 et 63. C’est Jules Verne qui souligne.
95 Deux ans de vacances, p. 208. C’est nous qui soulignons.
96 Dans son Journal, Edouard, personnage des Faux-Monnayeurs, détourne ironiquement l’expression « cellule sociale » chère à Paul Bourget, et parle, à propos de la famille, de « régime cellulaire » : « L’éducation qui contrarie l’enfant, en le gênant le fortifie. [...] L’avenir appartient aux bâtards » (p. 1021-1022).
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