Précédent Suivant

Chapitre I. Choisir un personnage d’enfant ?

p. 19-44


Texte intégral

Nous sommes le siècle de la revanche pour les simples et les faibles... C’est partout ainsi – sur les rayons des bibliothèques et sur les pierres des barricades.
Jules VALLÈS1.

1.Place de l’enfant dans l’intrigue

L’enfant est loin d’être un personnage privilégié pour la période qui nous occupe. On a signalé la rareté de sa présence dans les romans feuilletons, surtout ceux qui peignent la bourgeoisie2. Même chez Jules Verne3, 6,5 % seulement des personnages sont des enfants, proportion étonnante qui montre que, même dans les livres dits « pour enfants », le héros n’est pas forcément un enfant, loin de là ; Deux ans de vacances fait figure d’exception, avec ses quinze jeunes personnages. Dans beaucoup de romans destinés aux adultes, l’enfant est totalement absent. André Gide signale et interprète cette absence qui l’étonne, dans l’une de ses conférences sur Dostoievski :

Nous trouvons dans toute la littérature française une horreur de l’informe, qui va jusqu’à une certaine gêne devant ce qui n’est pas encore formé. Et c’est ainsi que je m’explique le peu de place que tient l’enfant dans le roman français, comparativement à celle qu’il tient dans le roman anglais, et même dans la littérature russe. On ne rencontre presque pas d’enfants dans nos romans, et ceux que nos romanciers, bien rarement, nous présentent, sont le plus souvent conventionnels, gauches, inintéressants4.

Précisément, à l’époque où Gide prononce ces mots, on verra apparaître, dans la littérature française, de plus nombreux personnages d’enfants et d’adolescents, signe d’un goût nouveau pour l’analyse de « l’informe ». Mais leur relative absence au XIXème siècle admet d’autres explications.

1Si le roman est, comme l’a défini Huysmans, le livre de « l’éternelle séduction et [du] non moins éternel adultère5 », il sera plus pratique pour la conduite de l’intrigue d’éviter que les protagonistes soient chargés de famille, ou qu’une grossesse éventuelle vienne tout compliquer. Jean Borie a montré6 la naissance en cette fin du XIXème siècle du « célibataire », vieux garçon assumant et même revendiquant son isolement. C’est la situation de nombreux écrivains de premier plan de la période : Flaubert, Maupassant, Huysmans, Jules et Edmond de Goncourt, pour ne citer que les plus célèbres, furent des célibataires endurcis. Serait-ce une raison pour éviter le personnage enfantin ? L’enfant n’est-il pas, pour beaucoup d’écrivains, un monde inconnu ou méconnu, qui fait un peu peur ? Temps dont on a perdu le souvenir, l’enfance intimide : autant n’en pas parler. Cette « fin de siècle » peint avec prédilection un monde morbide, un monde qui se meurt, où l’enfant n’a guère de place.

L’enfant, « germe » de l’adulte

2Un certain nombre de romans font à l’enfant une place bien particulière : le protagoniste est un adulte, mais une partie du récit raconte l’enfance de ce personnage. Ou bien le héros enfantin du début du roman fait ensuite place à un adulte, ou bien l’enfance est rappelée dans un retour en arrière qui intervient souvent au chapitre deux, après un début qui nous a familiarisés avec le héros adulte. Ce rôle « explicatif » d’un personnage enfant ou adolescent est justifié par des nécessités liées à l’intrigue ou au projet de l’écrivain.

3Dans le roman populaire, l’intrigue mise en place est souvent très complexe, voire embrouillée. Le procédé explicatif est utilisé par exemple dans un roman d’Emile Richebourg7, L’Enfant du faubourg. Dans ce roman8, dont l’intrigue est à peu près impossible à résumer, c’est à la page 225 que le titre devient compréhensible, grâce à un retour en arrière. Vingt ans sont évoqués en deux pages. Il est clair qu’ici l’enfance n’intéresse pas véritablement le romancier, uniquement soucieux d’expliquer pourquoi ce personnage doute, à vingt ans, de son identité. Le rôle explicatif du personnage enfantin peut être conçu aussi dans une intention morale. Le « brave homme » d’Edmond About consacre huit chapitres sur seize, 100 pages sur 280 à raconter son enfance et en particulier sa scolarité, peinte d’une façon très positive. Le désir d’exemplarité est ici manifeste, et About, qui s’adresse à de jeunes lecteurs, veut exalter les vertus du travail scolaire et du travail manuel, récompensés l’un et l’autre dans l’âge adulte par une belle réussite sociale9.

4Dans le roman psychologique, l’enfant « explicatif » apparaît à la fin de notre période de référence, par exemple chez Catulle Mendès, Paul Bourget, Paul Margueritte. Il ne s’agit plus d’une raison fonctionnelle ou morale, mais d’une évolution due à l’expansion des sciences humaines. Michel Raimond a bien analysé le rapport entre les nouvelles théories psychologiques (de Hartmann, Ribot, Taine) et l’apparition d’un nouveau héros de roman10. Les premiers travaux de ces psychologues commencent à faire apparaître l’importance des années d’enfance dans la formation de la personnalité, consciente ou inconsciente. Avant les premiers travaux de Freud, qui datent des années 1890, tout un courant de pensée se forme, qui pressent que bien des comportements d’adultes, en apparence déroutants, trouvent leur explication dans l’enfance. Les romanciers vont tout naturellement exploiter cette idée, en présentant des éléments de l’enfance qui peuvent influer sur l’homme fait.

5Les forces qui agissent sur l’enfant sont, au premier chef, les relations familiales. Bourget, dans Le Disciple, fait écrire par Robert Greslou une longue confession que le héros appelle lui-même une « dissection », dans laquelle, numérotant méthodiquement les paragraphes, il parle de ses premiers souvenirs, de son père, de sa mère. Le héros adulte est annoncé par « l’enfant méditatif pour lequel penser c’était déjà se demander toujours et à propos de toutes choses : Pourquoi ?11 ». L’adverbe que nous soulignons marque avec insistance cette filiation de l’enfant à l’adulte. La fonction explicative du personnage a ceci de particulier que la narration, menée par un narrateur omniscient dans la majeure partie du roman, est assurée par le personnage de Greslou lui-même dans un « manuscrit » intercalé, où il s’analyse et s’explique pour son maître, le philosophe Adrien Sixte. Il en est de même dans André Cornélis12, autre roman de Bourget, que l’auteur appelle, dans sa dédicace à Taine, « un roman d’analyse exécuté avec les données actuelles de la science de l’esprit [...] ; simple planche d’anatomie morale13 ». On voit ici s’exprimer le scientisme, le milieu familial de l’enfant apparaît dans le roman comme un élément servant à éclairer l’analyse.

6Une autre influence est souvent présente dans ces rétrospections, c’est celle de l’école, de la vie en pension et des condisciples. Cela peut être longuement développé, ou réduit à un court paragraphe. Il semblerait que l’épisode explicatif soit une sorte de passage obligé. Nous verrons plus loin que la peinture, en général sous les couleurs les plus noires, de la période scolaire, est une constante dans les romans de l’époque.

7Il y a donc bien un topos explicatif, strictement fonctionnel dans le roman populaire, plus subtil dans ces romans psychologiques ou romans d’analyse, où apparaît une image de l’enfant, contenant l’adulte comme le « germe » contient la plante14. Cette idée avait depuis longtemps été pressentie, et Balzac, par exemple, avait déjà employé un tel procédé15. Mais cette façon d’expliquer le héros prend beaucoup plus d’importance dans la période qui nous intéresse, les rétrospections s’amplifient. Le déterminisme de l’époque permet la cohérence du personnage romanesque, l’homme fait s’expliquant par les influences subies au cours de sa formation.

L’enfant, personnage secondaire

8Dans un tiers des romans environ, l’enfant apparaît comme un figurant ou comme un personnage secondaire. Figurant, il prend parfois sa place dans un décor quasi théâtral de familles accablées d’enfants, comme dans Autour d’un clocher, de Fèvre et Desprez : dans le village de Vicq, qui sert de cadre au roman, « des enfants morveux, roses sous la crasse, grouillaient sur le pas des portes ». L’ambiance assez négligée de ce village se trouve ainsi caractérisée par de brèves notations, comme celles aussi qui peignent les enfants de l’instituteur Quilgars, dont les « mioches » sont bien envahissants16. La recherche du pittoresque, dans ce roman naturaliste, passe par l’évocation de ces enfants figurants.

9La présence d’un bébé ou un petit enfant peut servir de caution à un personnage adulte qui vise à se poser comme sérieux ou tendre17, c’est le cas de l’actrice surnommée « Bonne-Ame », sœur de la Faustin dans le roman d’Edmond de Goncourt, qui, pour se donner une image de respectabilité, traîne partout à sa suite son petit garçon de sept ans :

Petit bonhomme déjà entré dans la vie de ce monde, prenant part à ses conversations, écoutant ses confessions, et témoin de ses débats d’affaires et de toutes sortes. Misérable enfant, amené comme un joli petit animal dans les soupers de cabinet, et qu’on oubliait, et qu’à moitié réveillé, un garçon de café ramenait, au petit jour, à sa mère18.

En quelques lignes, Goncourt trace ici le bref portrait d’un personnage qui, sans avoir d’importance fonctionnelle dans l’histoire, sert à l’étude de mœurs. Mais l’enfant figurant est quelquefois plus individualisé, doté d’un nom et prenant la parole. Dans Bel-Ami de Maupassant, la petite Laurine de Marelle apparaît à plusieurs reprises ; c’est elle qui décerne au héros le surnom qui lui restera et qui montre son charme sur toutes les femmes, si jeunes soient-elles19.

L’enfant, personnage principal

10Tout lecteur, même le plus naïf, sait en général distinguer dans le récit romanesque le protagoniste, ce personnage « principal », dont l’adjectif qui le qualifie semble impliquer une hiérarchie entre les différents intervenants du récit. Des signes placés comme autant de jalons par l’auteur permettent de repérer très rapidement cette position dominante du personnage dit « principal ».

11On pense, tout d’abord, à l’indication donnée par le titre. Mais il existe des pièges et de fausses pistes. Par exemple, le roman d’Armand Silvestre, Rose de Mai, place moins au premier plan la petite fille ainsi surnommée que le peintre Maxime Aubry, son père adoptif20. Titre et sous-titre sont presque contradictoires à cet égard dans le roman d’Henry Gréville, Suzanne Normis, roman d’un père21. Le protagoniste est celui que l’on suit à travers le temps ou l’espace de la fiction. Bien des romans trouvent leur début et leur fin dans les étapes de la vie d’un personnage, de sa naissance à sa mort pour les cas extrêmes. Jack et Sébastien Roch commencent tous deux au moment où le jeune enfant prend conscience de sa solitude face à l’égoïsme de certains adultes, et se terminent avec la mort du héros, à l’âge de vingt ans pour l’un comme pour l’autre. Par l’espace, le lecteur est attaché à un personnage particulier, dans le cas de ces nombreux romans de la route, où le héros constitue le lien entre les épisodes racontés, comme dans Le Tour de la France par deux enfants et dans Sans famille. Le monde extérieur n’existe alors que dans la mesure où il est perçu, ou connu, par le personnage principal dont nous sommes bien obligés d’épouser la vision22.

12Enfin, le protagoniste est celui dont l’action est déterminante pour l’ensemble des personnages présentés. Ainsi, dans le roman de Jules Verne, Un capitaine de quinze ans, l’ensemble des passagers du navire désemparé est dominé par le jeune mousse, Dick Sand, brusquement promu à d’importantes responsabilités, et qui les exerce avec assurance23. Et si, dans Deux ans de vacances, il semble au début difficile de distinguer un personnage principal parmi cette sorte d’être collectif que forme la communauté des quinze naufragés, très vite, des signes marquent Briant et le singularisent : seul Français avec son frère dans ce groupe d’Anglo-Saxons, il a la maîtrise de la navigation, permet au navire d’aborder l’île sans trop de dégâts, montre le sang-froid et l’autorité d’un chef. Il se distingue de la masse des autres par son action et par tout un jeu d’oppositions. Le repérage du protagoniste doit être facilité au lecteur de la littérature destinée à la jeunesse.

13S’il est relativement rare que l’enfant, dans les récits destinés aux adultes, occupe cette place privilégiée24, cela arrive. Hector Malot, réfléchissant sur l’ensemble de son œuvre dans Le Roman de mes romans, dénombre dix de ses romans dans lesquels l’enfant tient une place primordiale : les quatre explicitement destinés à un lectorat enfantin25, mais d’autres encore26, et il justifie ainsi ce choix :

Quand j’envisage la place que l’enfant tient dans la vie, je ne peux trouver démesurée celle que je lui ai donnée : tout ne part-il pas de27 l’enfant, tout n’y ramène-t-il pas ?

En cette fin du XIXème siècle, les écrivains découvrent la richesse et la complexité de l’enfant et vont lui accorder une place importante, voire primordiale. La formule de Vallès citée en épigraphe de ce chapitre montre bien que le choix du personnage d’enfant, « revanche pour les simples et les faibles », peut revêtir une valeur idéologique.

2.Garçon ou fille ?

Un choix idéologique

14Dans les œuvres où l’enfant occupe la place de personnage principal, plus de la moitié présentent un ou plusieurs garçons. De rares romans28 donnent une importance à peu près égale aux personnages masculins et féminins. Dans une certaine conception du roman d’aventures ou du roman d’apprentissage, un héros masculin est plus à même d’être lancé par son créateur sur les routes, à travers des dangers et des vicissitudes dans lesquels il serait plus délicat d’engager une petite fille29. Tout au plus on adjoint au jeune héros une compagne qu’il protège tout en menant à bien sa propre quête, comme le fait William Busnach dans Le Petit Gosse, où Gilbert, errant à la recherche de sa famille, s’enfuit d’un cirque en compagnie de « Djamila », elle aussi enfant arrachée aux siens30.

15Les personnages de petite fille ou de jeune fille sont parfois considérés comme fades ou mièvres. Il faut dire qu’à cette époque, les stéréotypes fleurissent, concernant les comportements masculins et féminins, par exemple dans Le Tour de la France par deux enfants, dont les deux personnages masculins permettent d’exalter certaines qualités dites « viriles31 ». Une phrase, dès le premier chapitre, donne le ton :

[André] tenait par la main son frère Julien, un joli enfant de sept ans, frêle et délicat comme une fille, malgré cela courageux et intelligent32 plus que ne le sont d’ordinaire les jeunes garçons de cet âge .

Le monde dans lequel cet ouvrage pédagogique veut faire entrer les héros, et les lecteurs qui s’identifient à eux, est bien un monde à prédominance masculine et même les auteurs féminins, on le voit, sacrifient à ces stéréotypes. Zénaïde Fleuriot prête à son héros Robert (un petit garçon de douze ans qui se prépare à partir en vacances au bord de la mer et rédige son journal), la remarque suivante :

Une seule chose m’ennuie, il y a une petite fille. J’ai remarqué que les petites filles sont souvent difficiles, babillardes, ennuyeuses et se plaignent de tout comme des dames nerveuses33.

Peut-être les préjugés accumulés ici reflètent-ils une idéologie commune à l’époque, peut-être sont-ils une traduction de la crainte du sexe opposé chez les enfants de cet âge34.

16Cependant la remise en question de ces idées reçues sur les rôles masculins et féminins est sensible dans certains romans de cette époque. La volonté de nuancer les personnages apparaît tout particulièrement dans le choix, aux frontières de l’enfance et de l’âge adulte, d’un type très intéressant, bien que délicat à étudier : la jeune fille.

Une figure privilégiée : la jeune fille

17La présence de l’adolescente parmi les personnages de roman n’est pas une nouveauté. On y voit des jeunes filles depuis la fin du XVIIIème siècle. Mais les personnages dessinés alors se montrent, soit très conventionnels comme la Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, soit dotés d’un rôle de comparse ou même d’instrument comme Cécile Volanges dans Les Liaisons dangereuses. Balzac a esquissé quelques figures de jeunes filles, Eugénie Grandet, Pierrette, dans les romans du même nom, mais il semble que pour lui ces personnages n’ont pas un intérêt majeur, et la vieille Sylvie Rogron par exemple a infiniment plus de relief que sa jeune pupille35. Jules Sandeau36, George Sand37, s’y sont essayés également. Mais ces personnages restent empreints de conventions38.

18L’intérêt pour le personnage de la jeune fille s’accroît à l’époque que nous étudions. Charles Le Goffic le signale dans son recensement, en 1890, de la production romanesque contemporaine39. Les Goncourt, Zola, Maupassant, Gyp (avec Mademoiselle Loulou et Petit Bleu40), ont créé d’intéressants personnages, moins conventionnels. On a donc affaire à un engouement dont il convient de se demander les causes. Le goût des naturalistes pour la physiologie peut les inciter à l’étude de la puberté et de ses transformations physiques et morales41. Mais cette explication ne peut suffire. Goncourt présente sa création de Chérie comme une nouveauté radicale par rapport aux personnages qui l’ont précédée :

Il est peu de livres sur la femme, sur l’intime féminilité [sic] de son être depuis l’enfance jusqu’à ses vingt ans. [...] Je n’ai pu me résoudre à faire de ma jeune fille l’individu non humain, la créature insexuelle, abstraite, mensongèrement idéale des romans chic d’hier et d’aujourd’hui42.

Sur la jeune fille, qu’elle soit d’une famille aristocratique, bourgeoise ou ouvrière, l’influence du milieu est pleinement visible. Zola a créé, dans Germinal, deux jeunes filles : Catherine Maheu, dont il avait longtemps pensé faire le personnage principal du roman, et Cécile Grégoire, écrivant, à propos de cette dernière : « Elle est bien la résultante des faits et du milieu, dont j’ai besoin43 ». Ces deux personnages forment une antithèse dans le livre ; à part leur âge, tout les sépare. Pourtant elles sont toutes les deux les produits d’un milieu et d’une éducation. La condition de dépendance de la jeune fille fait ressortir encore mieux ces influences. En 1884, dans le roman qui précède immédiatement Germinal, Zola crée Pauline Quenu. L’héroïne de La Joie de vivre, que sa condition d’orpheline a peut-être favorisée pour parvenir à une certaine liberté de pensée et d’action, se montre une jeune fille évoluée et intelligente ; ainsi, lors de la visite du chantier de l’usine avec Lazare : « Pauline risquait des réflexions pratiques, d’une grande justesse parfois44 » ou encore :

Elle envoyait carrément au diable son Schopenhauer, dont [Lazare] aurait voulu lui lire des passages : un homme qui écrivait un mal45 atroce des femmes ! elle l’aurait étranglé...

Les mœurs évoluent, la condition féminine avec elles. A la fin de notre période, Gyp trace quelques figures audacieuses de jeunes filles libres d’allure et de langage, comme cette « mademoiselle Loulou », jeune aristocrate de quinze ans, qui prépare son baccalauréat et ne se gêne pas pour éconduire dans un langage parfois vert les prétendants qui ne sont pas de son goût.

19L’intérêt pour le personnage d’adolescente n’est pas seulement sociologique, il est aussi lié à un goût nouveau des romanciers pour l’exploration psychologique des êtres complexes. Maupassant a l’occasion de rendre compte, dans une chronique pour Le Gaulois, de la parution quasi simultanée de La Joie de vivre et de Chérie. Il écrit un article remarquable, intitulé La Jeune Fille, dans lequel, romancier et critique tout à la fois, il s’interroge sur les raisons qui ont, jusque là, arrêté les écrivains dans le choix d’un tel sujet :

Il est fort difficile, presque impossible, de connaître la jeune fille. Les romanciers aujourd’hui, procèdent bien plus par observation que par intuition et, pour raconter un cœur de jeune fille, il faut au contraire procéder bien plus par intuition, par divination, que par observation. La jeune fille nous demeure inconnue parce qu’elle nous est étrangère. [...] Descendre en cette âme est d’autant plus difficile qu’elle s’ignore elle-même, qu’elle n’est point formée, pas encore épanouie, qu’elle ne peut montrer que les germes, que les ombres des sentiments, des instincts, des passions, des vertus ou des vices qui se développeront quand elle sera femme46.

Les difficultés signalées par Maupassant semblent avoir stimulé de nombreux romanciers.

20Il serait excessif, pourtant, de croire que le nouveau visage de ce personnage aurait supplanté dans la littérature les pâles figures de convention que nous évoquions en commençant. Les stéréotypes coexistent pendant longtemps avec les personnages plus originaux ou plus nuancés que nous venons de citer. En 1889, c’est-à-dire plusieurs années après qu’on a pu lire les romans où apparaissent Chérie Haudancourt, Pauline Quenu ou « Loulou » de Presles, voici comment est dépeinte la jeune fille dans un roman d’Armand Silvestre, Rose de Mai. Un jeune homme envisage d’adopter un bébé trouvé par hasard :

Et il se la figurait déjà, quelques années plus tard, en robe blanche, comme Ophélie, coiffée d’un chapeau de paille et promenant, dans les allées vertes, cette mélancolie charmante des jeunes filles qui sentent comme un printemps intérieur s’épanouir en elles et de mystérieuses larmes mouiller leur sourire, comme les pluies d’avril traversant un rayon de soleil47.

Ce texte a beau dater de la fin de notre période, il est bien conventionnel par rapport aux autres figures féminines que nous avons évoquées. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’est en rien porteur d’ironie ou de dérision, le rapport au contexte le montre bien. Il faut croire qu’une telle accumulation de clichés correspondait à l’attente de certains lecteurs (ou lectrices). On voit à travers cet exemple, qui est loin d’être unique, comme, à une époque donnée, coexistent des niveaux d’invention et de création tout à fait différents.

3.Différents degrés de fiction

21L’invention du personnage fait intervenir un autre choix, que l’on peut schématiser par l’opposition du réel et de la fiction. L’enfant qui sera au centre du roman emprunte des traits parfois à un référent réel, parfois à un référent textuel ou à une combinaison des deux.

L’enfant, personnage historique ou réel

22Intervenir dans l’Histoire, y laisser son nom et sa marque peut difficilement être l’apanage d’un enfant, qui n’a que rarement eu le temps ou l’occasion d’épanouir sa personnalité. Quelques héros ayant réellement existé, cependant, figurent dans les romans, mais plus souvent comme personnages secondaires qu’au premier plan. Un enfant a fasciné ses contemporains : le Prince Impérial, Eugène-Louis-Napoléon, né en 185648. Ce fils unique de Napoléon III fut utilisé par la propagande officielle pour symboliser la stabilité et la continuité du régime. Zola, dans le roman qui dépeint les milieux politiques, Son Excellence Eugène Rougon, fait allusion au jeune prince à plusieurs reprises. Tout le chapitre IV nous décrit la cérémonie de son baptême. Devant un grand concours de peuple défilent les voitures officielles ; dans l’une d’elles :

On distinguait nettement, dans un nuage de dentelles blanches, la tache rose du prince impérial, tenu sur les genoux de la gouvernante des Enfants de France.

Cette « tache rose » au milieu d’un grand cortège pompeux montre admirablement la disproportion entre la fragilité du nouveau-né et l’utilisation politique qui est faite de son existence même. On retrouvera ce personnage, comme figurant, à deux reprises dans la suite du roman49. Le jeune prince réapparaît sous la plume d’Edmond de Goncourt dans Chérie50. La coexistence, dans le roman historique, de personnages réels et d’autres fictifs pose en certains cas d’ardus problèmes de vraisemblance. Mais, s’agissant d’un personnage enfantin, l’invraisemblance est moins criante puisque le modèle n’a pas une grande notoriété.

23C’est d’un modèle bien réel, mais non historique, qu’il est question dans Jack. Daudet l’affirme clairement dans l’appendice au roman qu’il intitule : Histoire de mes livres. Jack. L’histoire du personnage est présentée, dans ce texte publié en 1888, comme absolument authentique : « C’est Raoul D..., le Jack de mon livre, tel que je l’ai connu vers la fin de 186851. » L’exil du jeune garçon dans une lointaine banlieue, l’indifférence sotte d’une mère quelque peu mythomane, la mort du jeune homme délaissé à l’hôpital, sont vrais. « J’invente peu », dit Daudet dans le même passage. C’est un témoignage précieux que celui du créateur, qui met l’accent sur l’authenticité du personnage, et sur la cruauté de la vie, plus grande que celle de la fiction52. Un autre personnage ayant un référent plus ou moins réel figure dans le même roman, Jack, c’est le « petit roi de Dahomey », Mâdou-Ghézo, que Daudet présente au cours de l’épisode de la pension Moronval. Très curieusement, le personnage appartenant à la fiction semble être pris, quelques années plus tard, pour réel. Le Bon Journal écrivait, le jeudi 3 avril 1890 :

De récents événements ont mis au premier rang de l’actualité le roi de Dahomey, ce potentat nègre de l’Afrique qui s’est déclaré ennemi irréconciliable des Européens et surtout des Français.
La haine du roi de Dahomey paraît devoir être d’autant plus violente que le souverain se venge à la fois de bienfaits reçus et d’humiliations subies.
L’éducation du roi de Dahomey actuel est racontée dans un chapitre de Jack, par M. Alphonse Daudet. [...] L’éminent écrivain a tracé avec un saisissant relief le portrait de ce futur massacreur. [Suit la reproduction du chapitre III de la première partie de Jack].

Cette incroyable confusion du réel et du fictif53 est intéressante, en tant qu’elle manifeste une lecture référentielle du roman, bien éloignée sans doute de l’intention de l’écrivain, pour qui ce personnage joue un rôle quasi symbolique, placé auprès de Jack comme une préfiguration de sa décadence.

24L’enfant dans un roman est donc rarement, ce qui est bien compréhensible, la représentation d’un modèle historique célèbre. Il est, beaucoup plus souvent, à l’image d’un être réel : l’auteur, ou certains de ses proches : « J’ai envie de raconter une histoire. Saurai-je un jour raconter autre chose que mon histoire54 ? » Drieu La Rochelle, dans l’incipit de son « roman », Etat-civil, pose avec force et concision un problème important. Lorsqu’il s’agit de l’enfance, l’écrivain se sert presque forcément de souvenirs personnels ou des représentations de ses proches, et la limite entre l’autobiographie et le récit de fiction est parfois difficile à établir.

De la vie au roman

25Pour faire de son histoire une histoire, il faut la « romancer ». Ce verbe d’usage courant est défini ainsi par le Dictionnaire Robert : « Présenter sous forme de roman, en donnant les caractères du roman, en déformant plus ou moins les faits ». C’est ce « plus ou moins » qui nous intéresse ; il faut tenter de déterminer les modes de la déformation du réel dans l’élaboration du personnage d’enfant.

26Pour aucun des auteurs ayant spécifié des dates dans la fiction, il n’y a exacte correspondance entre sa vie et celle de son héros. Celui qui s’en rapproche le plus est Mirbeau, né en 1848, qui fait naître Sébastien Roch en 1852 ; d’autres aspects autobiographiques de l’œuvre peuvent d’ailleurs être repérés. Pour certains écrivains, le rapport peut être cherché, non dans leur propre vie, mais dans celle de leurs enfants. La Comtesse de Martel, alias Gyp, a trois enfants de neuf à cinq ans au moment où elle publie les aventures de son petit Bob. Elle s’est certainement inspirée de leurs attitudes et de leurs mots d’enfants55.

27Les opérations qui transforment la vie en roman constituent les degrés de ce que Michel Raimond a appelé « les modalités de la dépendance56 » qui lie les personnages à leur créateur. Le mode romanesque le plus simple est la transposition. Suivant l’un des critères avancés par Philippe Lejeune57, il suffit de modifier simplement les noms, par exemple, ou de changer les lieux, pour que le récit autobiographique devienne récit romanesque. Si le personnage se montre en quoi que ce soit différent de ce que nous savons de l’auteur, nous pouvons postuler le caractère romanesque de l’œuvre. Il deviendra donc hasardeux, à tout le moins, de considérer le récit d’enfance comme un document utilisable par un biographe58.

28La question du nom est un critère simple de la transposition romanesque. Dans tous les romans que nous étudions, le nom du héros enfant est différent de celui de son auteur. Certes, des lecteurs attentifs repèrent aisément la ressemblance graphique des noms : Jules Vallès / Jacques Vingtras ; mais Vallès a par ailleurs transformé les noms de tous les autres personnages : par exemple, Matoussaint représente un condisciple de l’auteur au Lycée de Nantes, nommé Chassin. Vallès a publié un texte autobiographique, Souvenirs d’un étudiant pauvre59 . Dans ce livre de souvenirs, si on retrouve des scènes très proches de certains passages de L’Enfant, le personnage porte son nom de Vallès et l’auteur affirme nettement le caractère fictif de Jacques Vingtras : « C’est bien à l’hôtel Lisbonne que Chassin demeurait, tout comme le Matoussaint du roman. » La lecture de ces Souvenirs d’un étudiant pauvre permet justement de mesurer la distance qui sépare le pur témoignage de sa mise en œuvre romanesque. Vallès y précise encore : « Je me vois obligé de répéter ici que je n’invente rien dans le cours de ce récit. J’écris à la diable et en toute franchise60. » A contrario, L’Enfant est donc considéré par son auteur lui-même comme une œuvre élaborée, ayant fait l’objet d’un certain nombre de choix.

29Un autre ouvrage pose un problème de patronyme, plus délicat ; il s’agit du Roman d’un enfant. On sait que le nom « Pierre Loti » a été adopté pour pseudonyme en 1880 par Julien Viaud, après un jeu complexe de masques61. Dans une véritable autobiographie, donc, s’il racontait son enfance, il devrait s’appeler Julien. Or, le narrateur-personnage ne se nomme que deux fois, ou plutôt est nommé par d’autres personnages : « Je m’entendis appeler : “Pierre ! Pierre ! mon petit Pierrot !” [...] C’était Lucette62 ». Plus curieusement encore, quand il reproduit les souvenirs de vacances de sa sœur qu’il prétend transcrire « textuellement63 », il se donne le nom de Pierre. En réalité, dans le texte authentique de Marie Viaud64, elle l’appelait Willie... preuve sans doute que le goût du déguisement et du masque était de famille. D’autres noms d’ailleurs ont été modifiés par Loti, comme ceux de ses tantes, ou occultés, comme celui de la ville de Rochefort, aisément identifiable, simplement appelée « la petite ville ». Bien des aspects de la réalité ont été modifiés par l’écrivain, ce qui permet de considérer cette œuvre comme un roman.

30Le caractère romanesque de la construction du personnage peut provenir d’un certain nombre d’omissions. Pour faire œuvre lisible, et stylisée, les écrivains sont amenés parfois à élaguer une réalité complexe, ou à taire un détail qui modifierait par trop la ligne de l’œuvre. Curieusement, deux de nos romans présentent la même transformation : Vallès comme Mirbeau se sont imaginés enfants uniques. Jules Vallès était le troisième enfant de ses parents, deux frères morts en bas âge l’ayant précédé. Quatre autres naissances suivirent ; seule survécut sa sœur Marie-Louise, de trois ans sa cadette. Elle fut internée en 1853 et mourut en 1859. Le climat familial devait être en réalité bien différent de ce que nous montre le roman. Manifestement, le resserrement de la cellule familiale ainsi opéré rend beaucoup plus forte l’emprise des parents sur l’enfant. De la même façon, Mirbeau, dans ses trois premiers romans où tous les critiques s’accordent à reconnaître de nombreux éléments autobiographiques, présente son héros comme fils unique. Or Mirbeau avait deux sœurs, et ses biographes s’étonnent :

Dans ses lettres de jeunesse, Mirbeau n’évoquera qu’épisodiquement ses deux sœurs, mais toujours affectueusement et avec le désir d’assumer ses devoirs de frère.[...] Il est [...] surprenant que, dans tous ses récits à caractère autobiographique, les sœurs soient totalement absentes. Comme si elles n’avaient en réalité occupé qu’une place réduite dans ses années d’apprentissage65.

La situation d’enfant unique, nous le verrons en détail plus loin, donne au personnage un plus grand intérêt, narratif et pathétique.

31Outre ces omissions dans la constitution de la cellule familiale, on pourra s’étonner, toujours en comparant les œuvres et la vie de leur créateur, du silence entourant certains événements fondamentaux. Vallès, dans L’Enfant, « oublie » certains épisodes bien établis de sa vie, comme une fugue à partir de Saint-Etienne en direction de Toulon66. Surtout, la révolution de 1848 fut intensément vécue par Vallès à Nantes, avant son départ pour Paris. Or, il n’y est fait aucune allusion dans l’Enfant. Le caractère individuel de ce roman de l’autonomie acquise s’accommoderait mal de l’irruption trop violente de l’Histoire dans la narration. Omettre des éléments du réel, c’est donc transformer la vie, schématiser, simplifier, pour rendre la narration plus exemplaire et plus frappante.

32La transformation peut aussi se présenter comme le développement des possibles ; soit que le héros s’engage dans une direction que l’auteur n’a pas prise, soit que la personnalité de l’auteur s’exprime à travers plusieurs personnages différents du roman. C’est le cas, semble-t-il, dans Sébastien Roch. Bien que ce roman soit écrit à la troisième personne, contrairement aux deux précédents, Le Calvaire et L’Abbé Jules, c’est certainement celui dont le personnage ressemble le plus à l’auteur. On peut constater la coïncidence entre le destin du personnage et les souffrances endurées par le futur écrivain au collège Saint-François Xavier de Vannes, explicitement nommé ; mais Mirbeau donne à son personnage dans la deuxième partie, des traits de caractère qui ne sont pas du tout les siens, et il le fait mourir au cours de la guerre de 1870. D’autre part, Bolorec, l’ami fidèle et taciturne de Sébastien, ressemble aussi beaucoup à l’auteur, fils d’un médecin comme lui, révolté que la dernière ligne du roman nous montre marchant vers de nouveaux combats pour la justice67, comme le fera Mirbeau, ardent dénonciateur des défauts de la société. Il ne s’agit donc pas d’un roman à clés, mais d’une stylisation opérée à partir du réel.

33L’œuvre romanesque suppose une organisation destinée à donner forme et intérêt au récit, qui l’éloigne de la notation brute de souvenirs d’enfance. Nous pouvons constater dans beaucoup de nos romans une mise en œuvre concertée. Loti annonce d’emblée dès le premier chapitre du Roman d’un enfant :

Aussi voudrais-je ne pas écrire cette histoire qui serait fastidieuse ; mais seulement noter, sans suite ni transitions, des instants qui m’ont frappé d’une étrange manière68.

On remarquera cette opposition entre « écrire » et « noter ». En fait, Le Roman d’un enfant est une œuvre absolument « écrite ». Bruno Vercier l’a montré :

Ces notes qu’il affirme jetées sans ordre, au hasard des réminiscences (on reconnaît là un des topoï les plus rebattus du récit d’enfance) sont minutieusement agencées en vue de la fin : ce récit est un récit de vocation double, vocation de marin, vocation d’écrivain. L’histoire de cet enfant, son « roman », c’est aussi l’histoire de l’écrivain Loti69.

De même, le roman de Vallès et celui de Mirbeau sont des constructions qui mènent à la libération de l’un, à l’anéantissement de l’autre. Chapitres et parties structurent la matière du récit et donnent à l’œuvre une organisation que le lecteur perçoit très bien, conduit par Vallès à « la délivrance70 », et par Mirbeau à un aboutissement tragique.

34Mais d’autres romans ne s’appuient pas autant sur une matière autobiographique et sont le résultat de l’observation du réel extérieur. Le cas d’Edmond de Goncourt est un peu particulier. Les deux frères, célibataires, avaient écrit, dans leur Journal, « peut-être qu’on n’écrit bien que ce qu’on n’est pas71 ». On verra donc, en 1882, Edmond de Goncourt se mettre en quête de témoignages de lectrices pour sa « monographie de jeune fille ». L’œuvre, « fabriquée », selon le mot de l’auteur72, procède de la volonté naturaliste de représenter le réel dans tous ses aspects, si éloignés soient-ils des expériences vécues du créateur. Nous trouvons, bien sûr, le même caractère fabriqué chez Zola. L’arbre généalogique des Rougon-Macquart, les dossiers préparatoires des romans, attestent le travail d’invention et de construction qui a été réalisé.

35Enfin, dans d’autres cas, le récit romanesque montre une grande part d’invention, mais en se rattachant à une tradition intertextuelle. Il en est ainsi de ceux de nos romans que nous pourrions appeler les « romans de la route » : Le Tour de la France par deux enfants, et Sans famille. L’idée qui fera le succès du livre de G. Bruno est celle de faire voyager ses deux jeunes héros dans la France contemporaine, et surtout de créer deux personnages auxquels le lecteur pourra facilement s’identifier. Sans famille fut demandé à Malot par son éditeur, Hetzel : « Romain Kalbris ayant réussi », l’éditeur souhaitait « un roman du même genre73 ». Ce roman se situe donc à la fois dans la lignée d’une œuvre précédente du même auteur, et dans la même tradition que celui de Bruno. On trouve ainsi des « scénarios intertextuels74 » qui guident en partie l’invention de l’écrivain. L’immense et durable succès de Robinson Crusoé est à l’origine de toute une série de « robinsonnades ». Dans la préface de Deux ans de vacances, Jules Verne se réclame expressément de cette lignée, et il affirme au cours du récit que son roman est plus vrai que Robinson. Le jeune Service, passionné de lecture, prend volontiers modèle sur le roman de Defoe et sur le Robinson Suisse de Wyss75. Mais ses échecs lui font ressentir « cette différence qui sépare l’imagination de la réalité !76 ». Pourtant, Robinson n’est pas un enfant, et ce n’est qu’au prix d’inventions plus ou moins plausibles que les écrivains récupèrent le succès de ce modèle pour leurs héros77.

36En 1879, Vallès s’adresse à Daudet en une sorte de lettre ouverte78 et critique en ces termes le Petit Chose :

Je trouvai l’histoire du Petit Chose indigne de vous. Vous écriviez là un conte plutôt qu’une vie d’enfant, et l’on put craindre un moment que vous ne fussiez maniéré et prévenu au lieu d’être honnête et humain.

En revanche, Jack trouve grâce aux yeux de Vallès :

On vous a dit que cela ressemblait à du Dickens ! Où est le mal ? On peut ressembler à du Dickens, car c’est ressembler à la vie ! Il a pris les faibles et les simples pour héros de ses livres, mais toute notre79
génération en est là !

On voit ici l’esthétique de Vallès, qui rejette l’invention pure du conte, mais valorise une œuvre qui ressemble à la vie, même si elle s’inscrit dans une tradition littéraire préexistante. Ces affirmations pourraient sans doute être reprises par beaucoup d’auteurs de l’époque. Télémaque, Robinson Crusoé, Oliver Twist, David Copperfield, et d’autres, forment un corpus de base à partir duquel sont créés de nombreux personnages dans les œuvres de l’époque que nous étudions.

37Alain Pagès a montré que le roman naturaliste installe l’autobiographie « aux marges de la fiction80 ». Car le roman n’est pas seulement un témoignage individuel, l’expérience personnelle est élargie à une tout autre dimension, le personnage d’enfant est porteur d’exemplarité. Transformations, omissions, mise en ordre, imitation intertextuelle, tous ces procédés permettent, en partant du réel vécu ou observé, de créer de véritables personnages. « Romancer », c’est donc se livrer, à partir d’éléments authentiques, à un travail de transposition qui met en ordre l’expérience et lui donne sens et lisibilité. La première moitié du XXème siècle verra se poursuivre et même s’amplifier cette inspiration, autobiographique ou romanesque, qui donne forme et sens aux années d’enfance.

4.Les choix narratifs

38L’écrivain devant la page blanche est obligé, qu’il en soit conscient ou non, d’opérer avant d’écrire un certain nombre de choix fondamentaux concernant la narration81.

La voix d’un narrateur

39L’histoire peut être racontée par un narrateur extérieur. Dans le cas des romans destinés à la jeunesse, les informations que livre ce narrateur servent à améliorer la lisibilité de l’intrigue. Le lecteur obtient une sorte de supériorité sur le personnage enfant ; les embûches dans lesquelles celui-ci va tomber, les comportements de son entourage sont prévisibles pour le lecteur informé. Le roman y perd un peu d’intérêt du point de vue du suspens, mais devient plus facile à comprendre. Il est très rare, dans ce type de narration, que le récit soit dénué de tout commentaire. Le personnage est donc plus ou moins expliqué sous nos yeux, surtout dans les récits destinés à la jeunesse, où l’intention morale est fondamentale. Bruno, dans Le Tour de la France par deux enfants, a eu l’habileté d’effacer cette fonction idéologique, qui est pourtant au cœur de son livre, en confiant le commentaire à la parole des personnages, enfants ou adultes. En revanche, le narrateur chez Jules Verne est beaucoup plus explicite, portant des jugements de valeur ou tirant des comportements une généralisation :

A quoi tiennent les choses en ce monde ! En vérité, cette colonie de jeunes garçons n’était-elle pas l’image de la société, et les enfants n’ont-ils pas tendance à « faire les hommes », dès le début de la vie82 ? vie ?

Le fait de s’adresser à des enfants conduit l’écrivain à appuyer fortement ces effets, et à rendre visible une leçon morale qui risquerait de ne pas se dégager assez nettement du récit même.

40Dans le cas de la focalisation interne, l’auteur nous fait adopter la vision de l’enfant, pour qui les adultes sont souvent mystérieux. Certains romanciers arrivent admirablement, par le choix de ce point de vue, à nous faire percevoir cette opacité. Ainsi Sébastien Roch observe, un soir, le comportement du Père de Kern, dont la vraie personnalité lui est une énigme, et l’analyse qui en est donnée fait une large place à l’approximation :

Il parut à Sébastien qu’il [le père de Kern] avait l’air plus grave et paraissait fâché, non pas fâché, peut-être, mais si triste ! Son cœur s’émut83.

C’est cette naïveté de Sébastien qui causera sa perte, puisqu’elle lui fait prendre pour un chagrin qu’il voudrait adoucir l’expression d’un désir inassouvi. Au lecteur adulte de prendre, très progressivement, ses distances avec la naïveté du regard enfantin. Mirbeau ne nous donne que peu d’indices de décryptage pour les personnages qui entourent l’enfant : Kern, Bolorec, Le Toulic, le Père Recteur84. Ce procédé, parfois appelé « restriction de champ85 », est particulièrement bien venu dans le cas d’un personnage enfant. Le système de la focalisation interne, s’il est rarement maintenu d’un bout à l’autre du roman86, a donc un grand intérêt pour assurer l’identification du lecteur au héros. Cette restriction du champ oblige le lecteur adulte à comprendre la faiblesse de l’enfant dans les relations humaines.

41L’invention de la technique de « focalisation externe » est souvent attribuée aux romanciers américains du début du vingtième siècle. Or l’un des ouvrages de notre corpus est construit sur ce principe : le Petit Bob, de Gyp. La particularité de ce roman est l’adoption d’une forme dialoguée presque constante87. L’œuvre nous fait assister à des scènes de la vie quotidienne du jeune garçon. Ses sentiments ne nous sont perceptibles que dans la mesure où il est capable de les exprimer par des paroles, et ses paroles d’enfant sont souvent inhabiles à dire la complexité de ses émotions. Le narrateur se signale néanmoins par ce qu’on appellerait dans un texte dramatique des didascalies. Ces indications portent sur les gestes de l’enfant, ou sur ses intonations88, qui peuvent révéler ses sentiments. Mais, d’une façon générale, l’âme enfantine reste un mystère ; si certains mots peuvent trahir la complexité des rêves ou des perceptions de Bob, jamais l’auteur ne nous en donne un commentaire d’adulte. Petit Bob, quelles que soient ses imperfections, présente l’enfant sous un angle très original et somme toute assez moderne. Le roman dialogué connaîtra une grande vogue dans les décennies suivantes89 ; plus affranchi des contraintes temporelles et spatiales que ne l’est le texte dramatique, il permet une présentation intéressante du personnage, que nous percevons de l’extérieur, comme c’est le cas dans la vie réelle. L’enfant, riche de rêves et d’imagination, garde donc pour le lecteur une certaine opacité.

La voix du personnage

42Dans d’autres romans, le narrateur est l’un des personnages ; mais, dans la plupart des cas, si ce personnage était un enfant, il est devenu adulte quand il écrit son histoire. Son savoir s’est accru, ainsi que son expérience. Il a pu apprendre d’autrui des faits ou des pensées qui ne lui avaient pas été immédiatement perceptibles. La narration s’en enrichit, et le personnage y gagne de la complexité, de même que son entourage. Certains récits, comme le signale Michel Raimond à propos de Proust, pourraient être jalonnés de membres de phrases du type : « Je sus plus tard que...90 ». Nous rencontrons ce procédé dans Sans famille. Dès la première page du roman, on constate ce décalage entre le héros enfant et le narrateur :

Jusqu’à huit ans, j’ai cru que comme tous les autres enfants, j’avais une mère [...]. Elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je 91retrouve encore dans ma mémoire l’air et quelques paroles .

« J’ai cru que » montre que l’erreur est dissipée au moment de l’écriture. L’allusion à la mémoire suggère au lecteur l’idée d’un passé assez lointain. Les connaissances acquises a posteriori par le narrateur permettent d’assurer la cohérence et l’intelligibilité du récit d’enfance.

43Loti, dans Le Roman d’un enfant, ne cesse de marquer la distance entre l’inachèvement de son personnage et sa propre situation de narrateur adulte. Paradoxalement, le fait de s’être éloigné de cet état d’ignorance et d’innocence lui complique la tâche. On le voit par exemple, au chapitre III, à propos d’un souvenir très lointain :

Je crois que l’impression suivante fut celle-ci, que je vais essayer de traduire : impression d’été, de grand soleil, de nature, et de terreur délicieuse à me trouver seul au milieu de hautes herbes de juin qui dépassaient mon front. Mais ici les dessous sont encore plus compliqués, plus mêlés de choses antérieures à mon existence présente ; Je sens que je vais me perdre là-dedans, sans parvenir à rien exprimer92.

Ce récit d’enfance pour les adultes, publié à la fin de notre période de référence, laisse entendre que l’âme enfantine est plus complexe qu’il n’y paraît. Le narrateur adulte a aussi acquis la possibilité de comprendre certaines des réactions de son entourage, et les rapporte, non sans ironie, d’une façon qu’il n’aurait pu évidemment formuler, au moment dont il parle93.

44Une autre technique narrative consiste à faire raconter du point de vue d’un enfant, dans le rôle de témoin, les faits et gestes des adultes. C’est en particulier ce qu’a fait Mirbeau dans L’Abbé Jules. Le narrateur, Albert Dervelle, rapporte, dans un récit rétrospectif du temps de sa propre enfance, les frasques de son oncle paternel, l’abbé Jules94. C’est une technique complexe, où l’écrivain frôle facilement l’incohérence, mais qui, dans le cas du personnage enfant, présente un grand intérêt car elle permet de mesurer l’évolution ou la transformation, de mettre en regard l’ignorance de l’enfant et l’information de l’adulte. Nos exemples prouvent qu’on l’utilise aussi bien dans les récits destinés à la jeunesse que dans les romans pour adultes95.

45Avec la focalisation interne, c’est une voix enfantine qui se fait entendre au lecteur, sans médiation, selon des modalités variables. Le roman de Vallès présente beaucoup d’originalité dans la mise en œuvre de techniques narratives nouvelles96. La plupart du temps, dans L’Enfant, le lecteur a l’impression que c’est un enfant qui s’exprime. L’emploi très fréquent du présent, le « style direct libre97 », où se confondent les époques et les personnes, contribuent à cet effet ; cette voix souvent naïve porte sur les gens et sur les événements des jugements simples, ou pas de jugement du tout. Ainsi, au chapitre XVIII, Jacques assiste, sans comprendre, au renvoi de la bonne, que Madame Vingtras a surprise avec un homme :

Je vois Margoton qui fait ses paquets et à qui on règle son compte.
Elle a laissé de la viande dans son assiette : qu’y a-t-il ?
Les larmes lui sortent des yeux comme des gouttes de bouillon.
« Madame, c’était pour le bon motif !
– Pour le bon motif !... dans une cave !... »
Qu’est-ce que le bon motif ? [...] je ne comprends pas98.

Souvent une certaine équivoque porte sur la voix qui se fait entendre. Celle de l’enfant peut se mêler à celle du narrateur adulte, car il y a, peu visible, un Jacques Vingtras adulte qui s’exprime, et ce, dès le célèbre incipit :

Ai-je été nourri par ma mère ? Est-ce une paysanne qui m’a donné son lait ? je n’en sais rien. Quel que soit le sein que j’ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j’étais tout petit.

Et, si l’on peut douter encore et penser que le narrateur est ici un enfant un peu plus âgé, d’autres passages nous montrent plus explicitement l’expérience acquise du narrateur, qui analyse des comportements « aujourd’hui que le temps a versé sa neige sur ces émotions profondes99 ». Mais ce ne sont souvent que des allusions fugitives.

46Une vision comparable a été adoptée par Georges Darien dans son roman Bas-les-cœurs !100. Le narrateur est un enfant de douze ans, Jean Barbier, qui vit à Versailles avec ses parents et sa sœur ; il relate avec précision les événements de 1870 et 1871, comme il les a perçus. Sans jamais porter de jugement explicite, il rapporte les conversations des adultes, leurs comportements tout au long de ces quelques mois, passant d’un ardent patriotisme à une franche collaboration avec les Prussiens, au gré de leurs intérêts. La perspective narrative reste constante au long de ce roman. Dans un style qui rappelle souvent celui de Vallès, Darien parvient, par le procédé choisi, à donner des lâchetés adultes un tableau d’autant plus frappant qu’il est sobre. La voix de l’enfant reste toujours mesurée et évite le pathos dont les adultes, bourgeois pleins de principes, usent et abusent.

47De tels livres sont saisissants, car ils donnent vraiment à entendre une voix enfantine. Ils ouvrent la voie à des écrivains de notre siècle, tel Romain Gary qui, dans La Vie devant soi, a réussi à créer une forme de récit où l’expression de l’enfant revêt une grande vraisemblance101.

48Le choix de peindre un personnage d’enfant apparaît donc, en ce dernier quart du XIXème siècle, comme un parti pris original. Si la jeune fille était déjà, depuis l’époque romantique, un type souvent présenté, de même que le jeune homme à la conquête du monde, sur le modèle balzacien, la mise en œuvre de l’enfant plus jeune est une nouveauté. Après quelques rares précurseurs102, Rousseau avait ouvert la voie à cette idée, à la fois sous une forme théorique avec Emile, et par l’autobiographie dans Les Confessions, mais pas encore sous forme de roman. Les progrès accomplis, à l’époque que nous étudions, par les sciences humaines commencent à accréditer l’idée, riche d’implications, que les premières années de la vie, loin d’être négligeables, ont un immense retentissement sur la personnalité de l’adulte. Certains romanciers ont perçu la fécondité de cette piste pour la création de personnages. Leurs inventions sont révélatrices d’une époque de découvertes psychologiques, où le roman porte témoignage de la vie.

Notes de bas de page

1 « La Révolution », A M. Alphonse Daudet, La Rue, 21 décembre 1879, Œuvres, Bibl. de la Pléiade, II, p. 414.

2 Voir Maurice Dubourg, « Image de la bourgeoisie et idéologie bourgeoise », dans le numéro spécial d’Europe sur « Le Roman-feuilleton », n° 542, juin 1974, p. 83.

3 Luce Courville, « Inventaire alphabétique des personnages de Jules Verne », Textes et langages, n° X, Université de Nanterre, 1984.

4 André Gide, Dostoievski, Plon, 1923, Gallimard, « Idées », 1954, p. 155.

5 Préface de 1903 pour A Rebours, éd. citée, p. 47.

6 Jean Borie, Le Célibataire français, Le Sagittaire, 1976.

7 « Cet ouvrier sans orthographe du roman », écrivait au sujet de Richebourg Edmond de Goncourt, jaloux de ses contrats d’édition... (Journal, 21 décembre 1883).

8 Richebourg, L’Enfant du faubourg, Dentu, 1876.

9 Edmond About, Le Roman d’un brave homme, Hachette, 1880, réédité en 1935 dans la « Bibliothèque verte ».

10 Michel Raimond, La Crise du roman, des lendemains du naturalisme aux années vingt, Corti, 1966, p. 414-416.

11 Paul Bourget, Le Disciple, p. 70 et Paul Bourget, Le Dsiciple, .7 p0 et .67

12 Paul Bourget, André Cornélis, Lemerre, 1887.

13 Ibid., p. VII et VIII.

14 L’image est de Paul Bourget, qui emploie deux fois ce mot « germe » à quelques lignes d’intervalle, dans Le Disciple, p. 76 et 77. On lisait déjà dans Dominique, d’Eugène Fromentin (1863) cette formule : « ce germe insignifiant qu’on appelle un écolier » (éd. Plon, 1950, p. 78).

15 « Ce léger croquis d’une jeunesse, où vous devinez d’innombrables élégies, était nécessaire pour expliquer l’influence qu’elle exerça sur mon avenir », Balzac, Le Lys dans la vallée, 1835, Le Livre de poche, 1965, p. 29.

16 H. Fèvre et L. Desprez, Autour d’un clocher, Kistemaeckers, 1884, p. 24 et 33.

17 Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, note : « Enfants. Affecter pour eux une tendresse lyrique, quand il y a du monde » (« L’intégrale », II, p. 307).

18 Edmond de Goncourt, La Faustin, Charpentier, 1882, p. 11.

19 Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885, Romans, Gallimard, « Pléiade », p. 253 et 263 entre autres.

20 Marpon-Flammarion, 1890.

21 Plon, 1877. Le père étant le narrateur, on constate à la lecture que l’enfant ne prend vie qu’à travers son regard.

22 Indépendamment de la focalisation, puisque Le Tour de la France par deux enfants est en focalisation zéro, alors que Sans famille présente constamment la focalisation interne.

23 Jules Verne, Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.

24 Alors que c’est le cas dans la majorité (mais non la totalité, comme nous l’avons vu à propos de Jules Verne) des livres destinés aux enfants.

25 Romain Kalbris (1869), Sans famille (1878), La Petite Sœur (1882, adapté pour les enfants par l’auteur lui-même en 1884), En famille (1893).

26 Les Enfants (1866), Pompon (1881), Paulette (1883), Micheline (1884), Le Sang bleu (1885), Ghislaine (1887).

27 Hector Malot, Le Roman de mes romans, Flammarion, 1896, p. 239.

28 Par exemple, deux œuvres de 1887 : Histoire de trois enfants courageux, de Berthe Flammarion (Marpon-Flammarion) et Les Enfants de Marcel, de G. Bruno (Belin) ; ce dernier ouvrage revendique énergiquement les droits de la femme et ceux de l’enfant.

29 Susan Rubin Suleiman le souligne : « le modèle du Bildungsroman e dlontr Suleiman le souliagne : « le modèle du Bildungsroman dont Lukács – et qui correspond aux exemples majeurs du genre – est en fait un modèle masculin. “Aller dans le monde pour s’éprouver et se connaître” : ce programme était (et peut-être l’est toujours) envisagé surtout pour – et par – les hommes. » (Le Roman à thèse ou l’autorité fictive, PUF, « Ecriture », 1983, note de la p. 82).

30 William Busnach, Le Petit Gosse, Perrin, 1889. Les lecteurs du Romain Kalbris d’Hector Malot (1869) retrouveront chez Busnach d’étranges similitudes avec la fuite de Romain et de Diélette.

31 Cependant, comme on vient de le voir, dix ans plus tard, en 1887, le même auteur, dans Les Enfants de Marcel, fait une meilleure place aux petites filles.

32 Le Tour de la France par deux enfants, p. 577. Nous citerons toujours ce roman d’après l’édition de la collection « Bouquins », dans le recueil Des enfants sur les routes, 1994.

33 Zénaïde Fleuriot, En congé, journal de vacances, Hachette, 1874, p. 11. Robert change d’ailleurs d’avis au cours des vacances, la petite fille s’étant révélée moins pénible à supporter que prévu...

34 On voit les préjugés inverses, sur les garçons, dans Bouche en cœur, du même auteur, ainsi : « Le plus mignon garçon est un homme en petit et il en a tous les instincts de destruction », Hachette, « Bibl. Rose », 1887, p. 107.

35 Balzac, Pierrette, éd. Souverain, 1840.

36 Mademoiselle de la Seiglière, 1846, Madeleine, 1848.

37 Mauprat (1837), Gabriel, curieux roman dialogué où une jeune fille est élevée comme un garçon (1839-40), La Mare au Diable (1846), La Petite Fadette (1849) et de nombreux autres romans.

38 Les jumelles Blanche et Rose, dans Le Juif errant, d’Eugène Sue (1844-45) sont aussi fades que leurs prénoms qui constituent un véritable programme.

39 Charles Le Goffic, op. cit., p. 167.

40 Tous deux parus en 1888 chez Calmann-Lévy.

41 Voir ci-dessous, deuxième partie, chapitre IV.

42 Préface de Chérie, p. Il et III. C’est Goncourt qui souligne. Nos références renvoient à l’édition Charpentier de 1884.

43 Emile Zola, Dossier préparatoire de Germinal, édité par Colette Becker, La Fabrique de Germinal, SEDES, 1986. Le texte cité est au f° 76, p. 322.

44 La Joie de vivre, p. 865. Nous citerons ce roman, et les autres romans des Rougon-Macquart, dans l’édition Gallimard, « Bibl. de la Pléiade ». La Joie de vivre figure dans le volume III. Pour les autres, nous indiquons RM, suivi de l’indication du volume.

45 Ibid., p. 884.

46 Maupassant, « La Jeune Fille », Le Gaulois, 27 avril 1884, Chroniques, vol. 2, UGE, « 10-18 », p. 377-382.

47 Rose de Mai, Marpon-Flammarion, 1889, chapitre III.

48 Ce jeune héritier, espoir des bonapartistes, fut tué dans une guerre contre les Zoulous en 1879 , à l’âge de vingt-trois ans.

49 RM, II, respectivement p. 96, 169 et 352.

50 Chérie, LVI, p. 210.

51 Jack, p. 463. Nous citerons Jack d’après l’édition Gallimard, « Pléiade », Œuvres de Daudet, tome II.

52 « Eh oui, livre cruel, livre amer, livre lugubre. Mais qu’est-il auprès de l’existence vraie que je viens de raconter ? » (Ibid., p. 474).

53 Confusion d’autant plus étonnante que Daudet avait fait mourir son personnage au chapitre VI du roman.

54 Drieu La Rochelle, Etat-civil, Gallimard, 1921, réédité dans la coll. « L’Imaginaire ».

55 Gyp y reviendra encore plus explicitement, dans son livre Un trio turbulent (Hachette, 1929), dont les trois héros s’appellent Aymar, Thierry et Nini, comme les enfants de l’auteur.

56 Michel Raimond, op. cit., p. 473.

57 Voir Le Pacte autobiographique, Seuil, « Poétique », 1975, p. 14.

58 C’est l’erreur qu’ont commise, respectivement, Max Gallo pour Jules Vallès (Jules Vallès ou la révolte d’une vie, Laffont, 1988) et Keith Millward pour Loti (L’Œuvre de Loti et l’esprit fin-de-siècle, Nizet, 1955).

59 En feuilleton dans Le Cri du peuple, en 1884, Tusson, éd. du Lérot, 1993.

60 Ibid., p. 44, 21 (nous soulignons le mot « roman », d’une extrême importance), 97.

61 La construction de ce pseudonyme est analysée par Bruno Vercier dans « Loti : Fiction », Autofictions et Cie, RITM, Revue de l’Université Paris X, n° 6, 1993, p. 108-109.

62 Le Roman d’un enfant, p. 51.

63 Ibid., p. 102.

64 Retrouvé par Bruno Vercier et publié en annexe de son édition du Roman d’un enfant, Garnier-Flammarion, 1988, qui est notre édition de référence.

65 Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l’imprécateur au cœur fidèle, Librairie Séguier, 1990, p. 24.

66 Voir la chronologie de Roger Bellet dans Œuvres, I, « Pléiade ».

67 « Sébastien Roch n’est pas une copie conforme de son créateur [...] Il incarne seulement ce qu’Octave aurait pu devenir s’il n’avait pas disposé de cette capacité de résistance qu’il prête à Bolorec » écrit Pierre Michel, dans le recueil de textes d’Octave Mirbeau, Combats pour l’enfant, Vauchrétien, Ivan Davy, 1990, p. 92.

68 Le Roman d’un enfant, I, p. 43.

69 Bruno Vercier, « Loti : Fiction », article cité, p. 120.

70 C’est le titre du dernier chapitre.

71 Journal des Goncourt, 22 mai 1857, Laffont, « Bouquins », I, p. 263.

72 Préface de Chérie, p. II. Dans la préface de son roman précédent, La Faustin, il avait sollicité des « documents humains » pour écrire Chérie avec la collaboration d’un « très grand nombre » de femmes (Préface, p. II).

73 Malot, Le Roman de mes romans, p. 131.

74 Vincent Jouve, La Lecture, Hachette, « Contours littéraires », 1993, p. 59.

75 Roman paru en 1819.

76 Deux ans de vacances, p. 234. De nombreuses allusions reprennent cette filiation. Voir entre autres les pages 238, 245, 394. Nos références renvoient à l’édition du Livre de poche, 1967.

77 Voir l’article de Danielle Dubois : « La robinsonnade, un détournement de texte », Revue des sciences humaines, n° 225, 1992, p. 117-136.

78 « La Révolution », art. cité, Œuvres de Vallès, II, p. 411.

79 Ibid., p. 414.

80 « Naturalisme et autobiographie » dans Lectures de L’Enfant de Jules Vallès, colloque de Reims, Klincksieck, 1991, p. 255-260.

81 Nous adoptons ici le vocabulaire utilisé par Gérard Genette, notamment dans Figures III, complété par Nouveau discours du récit, Seuil, « Poétique », respectivement 1972 et 1983.

82 Deux ans de vacances, p. 317.

83 Sébastien Roch, I, V. C’est nous qui soulignons.

84 Voir Sébastien Roch p. 773, 840, 932.

85 Figures III, p. 207. Genette emprunte cette expression à Georges Blin, qui l’a utilisée pour les personnages de Stendhal.

86 Henry James a adopté systématiquement ce point de vue dans son roman Ce que savait Maisie (What Maisie Knew) 1897, trad. publiée dans la coll. 10/18. C’est un cas assez exceptionnel.

87 La distinction entre ce genre de roman et une pièce de théâtre écrite sans souci de la représentation est ténue. La Comtesse de Ségur utilise cette forme pour Les Petites Filles modèles (1859, Hachette, Bibliothèque rose), mais l’emploi du dialogue alterne, dans ce roman, avec de nombreux épisodes racontés et commentés.

88 Ainsi, en une seule page (97) les indications suivantes : « Bob, suppliant... railleur... très digne... cramponné ». Ici chaque réplique est assortie d’une telle indication, en italiques. Nos références renvoient à l’édition Hachette, coll. « Pourpre », s.d.

89 Voir Bernard Alluin, « Jean Barois et le genre du roman dialogué : l’invention d’un roman au “présent de l’indicatif” » dans Le genre du roman, les genres de romans, ouvrage collectif, Université de Picardie, PUF, 1980, p. 229-238.

90 Michel Raimond, op. cit., p. 335.

91 Sans famille, I, 1 p. 167. C’est nous qui soulignons. Nos références renvoient à l’édition Laffont, « Bouquins », dans Des enfants sur les routes, 1994.

92 Le Roman d’un enfant, III, p. 50.

93 Voir par exemple ibid., XXXI, p. 128, à propos de l’entrée au collège.

94 Cette position du narrateur qui n’occupe que le second plan du récit est très difficile à tenir avec cohérence, et Mirbeau, malgré ses précautions, y a failli. Voir p. 425 et 441.

95 Alain-Fournier a choisi, dans Le Grand Meaulnes (Emile-Paul, 1913), de faire raconter l’aventure de Meaulnes par un adolescent à peu près du même âge, François Seurel. Le protagoniste garde son mystère, mais est observé par un narrateur proche et amical.

96 Ces techniques ont été remarquablement étudiées dans l’article de Philippe Lejeune, « Le récit d’enfance ironique, Vallès », dans Je est un autre, l’autobiographie, de la littérature aux médias, Seuil, « Poétique », 1980, p. 10-31. Notre analyse lui doit beaucoup.

97 Ibid., p. 20.

98 L’Enfant, p. 300. Voir aussi l’épisode de la jeune fille délaissée, qui se suicide, p. 176

99 L’Enfant, p. 141 et 153. D’autres apparitions d’un narrateur adulte, dont on ne sait tout de même pas grand chose, sont repérables aux pages 148, 173, 207, 288, 303, 316, 344, 361.

100 Savine, 1889. Réédité en 1994 dans Voleurs !, collection « Omnibus ».

101 Romain Gary (Emile Ajar), La Vie devant soi, Mercure de France, prix Goncourt 1975, Gallimard, « Folio », 1982.

102 Les premières œuvres romanesques dont le personnage principal est un enfant, devenant peu à peu un jeune homme, nous semblent être, à l’étranger, La Vie de Lazarillo de Tormès, récit anonyme publié en Espagne en 1554, et en France, Le Page disgracié, de Tristan L’Hermite (1642, réédité en 1981 par les PU de Grenoble).

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.