Éducatrices chez Sand
p. 179-187
Texte intégral
La question de l’éducation, inséparable de la question sociale, est omniprésente dans l’œuvre sandienne. Il suffit de lire les premiers livres d’Histoire de ma vie pour en mesurer l’importance dans l’expérience personnelle d’abord, dans la pensée de l’auteur ensuite.
1En dressant un bilan pour son propre compte, elle en dénonce la stérilité, cependant sa critique dépasse largement le domaine du personnel. C’est que, avec son précepteur, comme elle le dit non sans humour, ils ont parlé de tout, sauf de l’essentiel : le « mystère de la génération », la « fonction des sexes » étaient toujours passés sous silence1. En bonne lectrice de Montaigne, elle se plaint de l’absence de toute éducation philosophique et de théorie morale : « Savoir pour savoir, voilà […] toute la moralité de l’éducation qui m’était donnée. Il n’était pas question de s’instruire pour se rendre meilleur, plus heureux ou plus sage » (OA, I, 801).
2Les personnages féminins sont très souvent présentés dans les romans comme victimes d’une mauvaise éducation, claustrale ou non, qui ne donne aux élèves qu’« une de ces niaises innocences » qui nuisent souvent au bonheur de toute la vie2. L’ignorance est donc source de malheurs : sans le développement de l’intelligence il n’y a pas d’élévation morale, comme il n’y a pas d’affranchissement non plus3. Or, dans les romans de Sand, aider, soutenir, éduquer son semblable apparaît comme à la fois un devoir et un besoin intérieur : d’où ces innombrables variétés de situations « pédagogiques », de rapports élève/éducateur qui, dans la plupart des cas, sont des rapports particulièrement dynamiques où sujet et objet changent souvent de place dans la dialectique de l’éducation sandienne.
3Ce qui frappe dans ces histoires romanesques, c’est que la situation pédagogique y est pour ainsi dire renversée : à une époque où la jeune fille est peu et mal éduquée, c’est elle qu’on trouve plus d’une fois dans un rôle d’éducateur, sans que l’état réel de l’éducation féminine y soit jamais escamoté. L’une des premières grandes éducatrices, la Lélia de 1839, veut justement combler une lacune : s’occuper de l’instruction des filles pour changer cet état de choses qui veut que « l’existence de la femme disparaisse, absorbée par celle de l’homme » (L, II, 83). Elle veut exister et veut que les autres femmes puissent exister à leur tour (L, II, 136). Ce qui signifie, entre autres, que la femme va désormais s’efforcer d’affirmer ce besoin d’autonomie par le refus, le plus souvent clairement exprimé, de certains types de comportement que l’on attendait alors de toutes femmes bien élevées, comme par exemple le goût des travaux d’aiguilles dont il est dit à propos de l’héroïne de Mauprat : « Edmée n’aimait pas les travaux d’aiguilles ; elle avait l’esprit trop sérieux pour attacher de l’importance à l’effet d’une nuance à côté d’une nuance et à la régularité d’un point pressé contre un autre point. D’ailleurs elle avait le sang impétueux ; et quand son esprit n’était pas absorbé par le travail de l’intelligence, il lui fallait de l’exercice et le grand air »4.
4L’éducatrice est le plus souvent une jeune fille amoureuse, guide et initiatrice de son amant. L’élève est à peu près du même âge que l’éducatrice5. La signification d’un tel cas de figure à l’époque romantique, et tout particulièrement dans le roman sandien, paraît claire. Il s’agit d’une « mise en personnage » du ministère spirituel de la femme, de la grande illusion du temps qui rêvait la régénération de la société par la femme, par les valeurs féminines. En paraphrasant la si juste remarque de Michèle Hecquet, faite à propos des héros populaires, on pourrait dire que, par la mise en scène de telles éducatrices, Sand donne visibilité et voix à celles qui « occupent les places où l’on n’est pas supposé penser, où l’on est "bête" »6.
5Or, ces jeunes filles ne sont pas bêtes, elles sont au contraire intelligentes, ont des connaissances, mais qu’elles ont acquises presque toujours toutes seules, grâce à leur propre volonté et persévérance. Edmée « s’était formée à peu près seule » (M, 116), comme Yseult à qui son grand-père prodiguait « tous les moyens de s’instruire »7 mais sans l’orienter aucunement. Elles parlent, argumentent et discutent : elles ont l’art de la parole8, le désir et le don de la persuasion, car leur objectif n’est pas moins que d’élever l’autre à la fois intellectuellement et moralement, voire, comme on lit dans Mauprat, de « civiliser des barbares » (M, 161). Qui lit rapidement ces romans, risque de ne voir dans les éducatrices qu’autant de personnifications conventionnelles et pour ainsi dire prématurées de l’archétype de la « Mère institutrice », image forgée par les hommes pour sécuriser un certain ordre des choses qu’ils souhaitent maintenir9. Rousseau, et bien d’autres après lui, pensait que toute l’éducation des femmes devait être relative aux hommes. Or, bien que l’esprit de Rousseau plane au-dessus de l’univers sandien, les héroïnes qui, « imbue[s] de l’Emile » (M, 152), mettent ou croient mettre en pratique les idées pédagogiques du philosophe dépassent plus d’une fois leur maître.
6Ces jeunes filles dispensent avant tout une éducation morale, mais aussi une instruction au sens propre du terme (directement ou par personne interposée), car elles sont plus ou moins instruites et, de toute façon, plus instruites que leurs partenaires qui doivent faire des efforts pour être dignes d’elles10. Si ces éducatrices sont dévouées à leurs élèves (et comment ne le seraient-elles pas puisqu’elles sont amoureuses), leur dévouement – qui est plutôt disponibilité, ouverture et écoute de l’autre – n’a rien à voir avec la soumission. Comme Lélia, elles enseignent son contraire : la fierté (L, II, 135). Edmée par exemple, que Sand a imaginée de nature aussi violente (donc virile) que son amoureux, s’exprime ainsi : « j’ai un inflexible orgueil, je ne souffrirai jamais la tyrannie de l’homme, pas plus que la violence d’un amant que le soufflet d’un mari »11. Ces éducatrices, si différentes de la rêveuse Indiana, qui ne faisait qu’attendre désespérément un libérateur, travaillent à leur affranchissement, comme à celui de leurs élèves, car elles savent qu’il n’y a pas plusieurs libertés, qu’il n’y en a qu’une seule, celle dont l’homme et la femme bénéficient également. D’où l’enjeu principal de leur travail d’éducatrice : établir avec l’autre des rapports égalitaires.
7Dans la fable proprement dite des romans, l’activité des héroïnes se limite à la sphère privée : c’est le terrain d’application des sentiments généreux. Mais il va de soi que l’effort éducatif vise bien plus que le perfectionnement et le bonheur individuel : son objectif se veut essentiellement collectif et social.
8Les éducatrices font leur apparition à un tournant de l’œuvre sandienne (dû entre autre à l’influence de Leroux). La rêverie et le désespoir cèdent la place à une foi fervente. Si ces jeunes filles prennent en charge l’éducation de l’homme, c’est qu’elles n’acceptent plus la fatalité du malheur. Elles sont convaincues que l’homme est perfectible et que le bonheur est possible. L’éducatrice sandienne, qu’elle soit noble, fille du peuple ou jeune bourgeoise, se définit essentiellement par le refus de la résignation. Elle a du courage et une force morale extraordinaire qui ne la quittent pratiquement jamais : à la fin de leur histoire Edmée parle ainsi à Bernard : « ... nous eussions été perdus si, tel que tu étais dans ce temps-là, je n’avais pas eu de la raison et de la force pour nous deux » (M, 309).
9Un certain idyllisme n’est pas bien sûr étranger à ces histoires, mais rien n’est facilement accordé aux personnages, bien au contraire. L’éducation est tâche délicate et difficile qui risque de ne jamais être achevée. Ces histoires montrent en plus que Sand, malgré sa foi apparemment absolue dans la toute-puissance de l’éducation, y voyait surtout une recherche du possible. Dans les dernières pages de Mauprat, le vieux Bernard s’adresse ainsi à ses interlocuteurs : « L’homme ne naît pas méchant ; il ne naît pas bon non plus, comme l’entend Jean-Jacques Rousseau. […] L’homme naît avec plus ou moins de passions, […] avec plus ou moins d’aptitude pour en tirer un bon ou un mauvais parti dans la société. Mais l’éducation peut et doit trouver remède à tout ; là est le grand problème à résoudre, c’est de trouver l’éducation qui convient à chaque être en particulier » (M, 314). Certains passages d’ Histoire de ma vie, où Sand expose des idées semblables, montrent plus clairement qu’elle ne mettait pas en question l’importance de l’hérédité. Elle y parle de « l’éducabilité » et de « la sauvagerie de nos instincts » comme d’« un héritage qu’il ne nous appartient pas de refuser ». Elle n’admet cependant pas « le mal éternel, le mal en tant que principe fatal », car, comme elle dit, « le progrès n’est point enchaîné par le genre de fatalité que j’admets. C’est une fatalité toujours modifiable, toujours modifiée, excellente et sublime parfois »12.
10C’est cette confiance en la perfectibilité qui soutient les éducatrices dont les modèles les plus achevés, Edmée, Yseult et Consuelo figurent dans les romans des années 30-40. Dans tous les cas, l’éducation est à la fois morale et sociale dans la mesure où, comme on lit dans Histoire de ma vie, « toute morale implique une idée de société » (OA, I, 536), idée qui est constamment présente et sous de multiples formes. Les éducatrices ont des idées républicaines, lisent des philosophes – comme pour signaler que ce n’est plus le privilège de l’homme –, ceux des Lumières avant tout, dont Montesquieu, Condillac et Rousseau. La pensée sociale, comme si souvent dans le romantisme, s’y trouve naturellement liée à la foi religieuse. Sur ce point, certains propos des éducatrices reflètent aussi un aspect bien réel de l’éducation féminine qui était essentiellement religieuse, et d’autant plus que l’Eglise, pour se défendre contre la déchristianisation, a redoublé ses efforts d’évangélisation auprès des filles et des femmes13. Yseult, par exemple, pense que, pour cette raison, les femmes ont une tâche particulière à remplir auprès des hommes. Elle parle ainsi à Pierre : « Nous autres femmes, nous naissons et grandissons dans le catholicisme, quelle que soit la philosophie de nos pères. Eh bien ! L’Evangile a pour nous de grandes leçons d’égalité fraternelle, que les hommes ne connaissent peut-être pas » (C, 296).
11La socialisation de l’élève est évidemment au programme. Car, comme le fait remarquer René Bourgeois, la « question préalable » à toute transformation n’est autre chose que de « redéfinir les rapports entre possédants et travailleurs, riches et pauvres, nobles et roturiers »14. C’est ce qui est illustré par l’exemple de Pierre et d’Yseult dans Le Compagnon du Tour de France. Leur cas est bien différent de celui qu’on voit dans Mauprat mais, au fond, l’enjeu est le même : dans un cas il s’agit de vaincre ou de modifier l’héritage biologique, tandis que dans l’autre, l’héritage social. C’est dans ce roman de formation qu’on peut le mieux saisir toute la dialectique de l’éducation sandienne. Les deux partenaires sont en quelque sorte égaux dès le début. Si la jeune fille noble y apparaît malgré tout comme éducatrice, c’est qu’elle part d’une position culturelle privilégiée ; elle peut donc, dans un premier temps, transmettre ses connaissances15, et apprendre ensuite au jeune menuisier que dans l’autre camp aussi, il y en a qui pensent comme lui. Mais l’éducatrice à son tour reçoit de son élève une leçon non moins importante : « Vous m’avez débarrassée, dit-elle, de quelques erreurs ; vous m’avez guérie de plusieurs incertitudes : en un mot, vous m’avez enseigné la justice et vous m’avez donné la foi » (C, 370). Ce qui veut dire que c’est son élève qui lui a fourni la preuve de la vérité, autrement dit, c’est grâce à lui qu’elle a pu mettre en pratique sa théorie et en connaître ainsi la réalité et la puissance. L’élève révèle donc les insuffisances des réflexions abstraites, de la pure théorie et les difficultés de la pratique. Il s’agit donc, des deux côtés, d’une série de prises de conscience. Pour emprunter ici son expression à Michèle Hecquet, à travers « l’instauration de communications de plus en plus égales » entre eux et à travers une série d’échanges de toute sorte « ils apprennent à se connaître, à connaître leur égalité »16. C’est donc grâce à l’élève que l’éducatrice, elle aussi, change, s’affranchit de plus en plus, se débarrasse de tout ce qui la liait à sa caste, convenances, manières inconscientes peut-être, mais d’autant plus fortes17. Elle cesse d’être naïve et finit par découvrir l’abîme qui sépare les belles théories de son grand-père et l’usage qu’il en fait : elle connaît, comprend enfin sa propre classe18.
12Le perfectionnement de l’éducatrice sandienne pourrait servir d’illustration, comme avant la lettre, à l’idée de Marx dans les Thèses sur Feuerbach : « l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué »19. Les éducatrices de Sand, disponibles, ouvertes, prêtes à écouter l’autre, créent elles-mêmes le sine qua non de toute véritable éducation qui est par définition une interaction de forces20. Quant à Consuelo, ce roman est avant tout l’histoire de l’apprentissage de l’héroïne qu’on voit cependant bien des fois dans un rôle d’éducatrice. Si elle est en perpétuelle évolution, c’est grâce aux multiples échanges entre elle et les autres, même si sa supériorité ne fait jamais de doute21.
13Les héroïnes, douées d’une vigueur morale exceptionnelle, mobilisent toutes leurs ressources affectives et remplissent pour ainsi dire tous les rôles féminins possibles auprès de leurs élèves. Bernard par exemple voit en Edmée non seulement sa « mère véritable » (M, 206) mais aussi, parfois, sa sœur (M, 205). L’amoureuse-éducatrice, par le cumul de ces divers rôles, devient cette figure mythique, glorifiée par le romantisme : la Femme, vouée à sauver l’Homme. Cependant, les jeunes éducatrices de Sand ne répondent guère au schéma conventionnel de la féminité. Les stéréotypes de l’essence masculine et féminine sont autrement distribués. Bénéficiant de presque toutes les qualités censées être masculines, elles sont intelligentes, cultivées et habiles aussi en exercices physiques. Physiquement et moralement fortes, elles sont surtout actives. Comme sujets de l’action, elles mènent le jeu, prennent souvent l’initiative et jouissent d’une autorité certaine. Des stéréotypes féminins, elle ne gardent que des qualités comme sentiment et grâce22. Elles s’imposent par leur simplicité, par quelque « gravité étrange » ou par leur regard « presque hardi » (C, 189). A un moment de l’histoire, Bernard par exemple voit en Edmée un jeune homme de son âge, « fier, courageux, inflexible sur le point d’honneur, généreux, capable de cette amitié sublime qui faisait les frères d’armes »23.
14On pourrait donc dire que la figure de l’éducatrice ainsi conçue, figure d’androgyne, n’est autre chose que la mise en personnage d’une revendication profonde : revendication pour la femme des privilèges masculins, comme la liberté, le savoir et l’action.
15Les romans du second Empire sont bien des fois interprétés comme des textes qui prouveraient de façon évidente que la pensée sandienne de la vieillesse n’a rien de commun avec celle de la jeunesse et de la maturité. Or, ce n’est pas si simple. Dans ces romans, les éducatrices ne manquent pas, bien au contraire. Plus raisonnables et plus émancipées que les grandes éducatrices passionnées des années 30-40, elles représentent autant de démentis à ce qu’expose un vénérable père de famille dans la Tour de Percemont, dernier roman de Sand : « l’homme, grâce au développement donné à son intelligence par une éducation plus complète, est le guide naturel de la femme dans les choses de la vie et […] la femme par sa réserve, sa pureté, s’élève jusqu’à lui et mérite le respect de son maître. Il y a donc compensation »24. Or, ces jeunes bourgeoises ne veulent pas d’une telle compensation. Rappelons des personnages comme Love, Constance Verrier, Tonine, Célie Merquem, Sarah ou Nanon25. Ces jeunes filles, presque toutes instruites, voire savantes, sont actives, courageuses, elles prennent en main leur propre sort comme elles dirigent l’éducation de l’autre. Même si l’idée de l’autorité, celle de l’homme, incarnée par un père idéal et idéalisé (dont l’autorité cependant n’a rien de pesant et d’oppressif car fondée sur l’amour), n’est pas tout à fait absente de ces histoires, on pourrait dire, avec Nicole Mozet, que la plupart de ces romans ne posent pas de front la question de l’autorité, parfois ils prennent même « le contre-pied d’une idéologie patriarcale »26. Ces histoires, qui mettent en scène un monde plus égalitaire et plus homogène, sont des textes de la République, dans la mesure surtout où les personnages ont déjà acquis une « conception moderne de la liberté individuelle »27. C’est pourquoi « l’utopie égalitaire et féministe » que Sand pressentait « peut-être comme moins irréalisable qu’au temps de sa jeunesse » romantique, semble plus vraisemblable, surtout parce que cette utopie s’intègre plus organiquement dans la réalité des rapports humains28.
16Ce qui distingue pourtant plusieurs éducatrices de cette période, c’est que leur sphère d’action s’élargit pour dépasser largement la vie amoureuse. Non seulement pour certaines d’entre elles (Love, Célie Merquem) le travail intellectuel est un besoin, voire presque un métier, mais en plus, dans ces histoires, l’éducation sociale à son tour est mise en scène et mise en pratique. A côté de leurs « principaux » élèves, elles en ont plus d’une fois d’autres à instruire et à éduquer : tout un village, toute une communauté dont elles organisent et réforment la vie, comme Tonine, Mlle Merquem ou Nanon. Le discours social des premières éducatrices se transforme ainsi en une pratique proprement dite. C’est ainsi que les éducatrices finissent par passer en classe supérieure. Elles ne se contentent pas de bons sentiments, d’interpréter, d’expliquer, de critiquer le monde, elles se proposent de le transformer.
Notes de bas de page
1 George Sand, Œuvres autobiographiques (OA), éd. Georges Lubin, Gallimard, 1971, t. I, p. 774. Rappelons ici que Lélia, en faisant sa propre éducation, étudie justement « le mystère » des « reproductions animales et végétales » et constate les effets bénéfiques de cette étude : « L’examen, qui détruit tant de croyances, fait jaillir aussi des croyances nouvelles avec la lumière. L’étude m’avait révélé des trésors, en même temps qu’elle m’avait enlevé des illusions. Mon cœur, loin d’être appauvri, était donc renouvelé ». Lélia, (éd. 1839), texte établi, présenté et annoté par Béatrice Didier, Ed. de l’Aurore, Meylan, 1987, t. I, p. 179. Voir aussi, beaucoup plus tard, le cas de Constance Verrier (1859) qui doit sa sérénité à la fois intellectuelle et morale aux études sérieuses qu’elle a faites, car elle a appris, « de 20 à 25 ans, ce que les filles sont censées ignorer ».
2 La Marquise, in Nouvelles de George Sand, éd. par Eve Sourian, Des Femmes, 1986, p. 49. Voir aussi Indiana, Valentine (Valentine et Athénaïs), Jacques (Fernande). Dans les premiers romans d’ailleurs, le savoir est surtout du côté des hommes qui jouent ainsi un rôle d’éducateur auprès des femmes. C’est ainsi, par exemple, dans Indiana, Valentine ou Jacques : Ralph, Valentin et Jacques ont pour élèves Indiana, Athénaïs et Fernande. Il y a des éducateurs qui échouent, comme André, cette « âme débile » qui ne sait « rien d’utile ». André, éd. Huguette Burine et Michel Gilot, Ed. de l’Aurore, Meylan, 1987, p. 119 et 173.
3 Voir Lélia tout particulièrement : t. II, p. 22, 60, 83, 97, 118. Lélia y parle de la femme comme victime de l’éducation première.
4 Mauprat (M), texte établi, annoté et commenté par Claude Sicard, Garnier-Flammarion 1969, p. 204. Si savoir tricoter, coudre ou filer, faire donc un travail utile est en général un signe positif, la broderie semble plutôt dévalorisée, comme dans Pauline : « Elle se livrait à un ouvrage classique, ennuyeux, odieux à toute organisation pensante : elle faisait de très petits points réguliers avec une aiguille imperceptible sur un morceau de batiste dont elle comptait la trame fil par fil. » Nouvelles, éd. cit. p. 343. Voir aussi le cas de Gabriel, il est vrai beaucoup plus complexe : Gabriel (G), éd. Janis Glasgow, Des Femmes, 1988, p. 107.
5 Il y a, bien sûr, des éducatrices plus « ordinaires », mères de famille, sœurs aînées ou gouvernantes, images plus classiques de l’éducation maternelle. Ainsi Laurence dans Pauline (1839) qui consacre à l’éducation de ses deux sœurs « ses plus douces heures de liberté » ; ses sœurs sont aussi ses filles « car elle [assure] leur bien-être à la sueur de son noble front » (Nouvelles, éd. cit, p. 378-79). Voir aussi la mère de Simon, « sainte femme », « illettrée sublime » dans Simon (1836) ; Isidora, la courtisane convertie et devenue mère adoptive (Isidora, 1845) ; Lucrezia Floriani (1846) auprès de ses enfants, Madeleine dans François le Champi (1847) ou la petite Fadette auprès de son petit frère. Quant au problème de l’homme-enfant, voir l’Introduction de Béatrice Didier à Lélia (L. I, p. 36-37).
6 Poétique de la parabole, Klincksieck, 1992, p. 16. Rappelons ici que la marquise de R…, en parlant de sa jeunesse, se dit justement « bête » (M, p. 49).
7 Le Compagnon du Tour de France (C), texte établi, présenté et annoté par René Bourgeois, Presses Universitaires de Grenoble, 1979, p. 260.
8 Comme la première éducatrice, Lélia, qui meurt encore persécutée mais préfigure toutes celles qui viendront après elle : « Lélia était la première femme qu’on eût entendue parler avec clarté et élégance sur des matières abstraites, et l’intelligence des femmes qui l’écoutaient s’ouvrait à un monde nouveau. Lélia savait les amener à ses idées sans effaroucher leurs préjugés et sans mettre leur dévotion en méfiance » (L, II, p. 118).
9 Cf. Françoise Mayeur : L’Education des filles en France au XIXe siècle, Hachette, 1979, p. 31 et Yvonne Knibiehler : Les pères aussi ont une histoire…, Hachette, 1987, p. 266.
10 Bernard dans Mauprat, Pierre dans le Compagnon du Tour de France, Jean de la Roche ou Abel dans Malgrétout.
11 Mauprat, p. 141. Il est à noter cependant que Sand laisse voir les conséquences en fin de compte subversives d’une telle attitude d’indépendance et de souveraineté. Rappelons à ce propos la réaction du comte de Villepreux quand Yseult lui dit son intention d’épouser un ouvrier. L’idylle entre père et fille cesse dès que celle-ci devient « problématique » et qu’elle impose des désirs et des intérêts différents. Rappelons aussi le cas de Gabriel (1839) qui, finalement ne réussit pas à faire valoir ses principes, c’est-à-dire à se faire accepter en tant que femme dotée de qualités masculines : « on a voulu que j’en fisse un homme – dit d’elle son précepteur ; je n’ai que trop bien réussi. Jamais elle ne souffrira un maître » (G, p. 185-6). Sa révolte n’est pas tolérée : son grand-père la fait assassiner.
12 OA, I, p. 26. Dans quelques romans plutôt tardifs, Sand montre des situations où l’éducation reste impuissante contre l’hérédité ; on peut penser à Morena dans La Filleule (1853), à Césarine Dietrich (1870) ou à Louise de Franqueville dans Nanon (1872).
13 Cf. Histoire des pères et de la paternité, sous la dir. de Jean Delumeau et Daniel Roche, Larousse, 1990, p. 332.
14 Introduction au Compagnon du Tour de France, p. 18.
15 L’image de la bibliothèque, véritable sanctuaire pour le prophète prolétaire, y fonctionne comme un puissant symbole.
16 Poétique de la parabole, p. 131 et 132.
17 Pensons à la scène où Yseult répond à son amie : « Ne suis-je pas seule ? » alors que Pierre est dans la pièce (C, 205), ce qui est à l’origine de sa prise de conscience.
18 L’attitude d’Yseult vis-à-vis de son grand-père, celle d’une génération vis-à-vis de la précédente, est d’ailleurs un bel exemple de l’idée de la continuité, telle que Sand la comprend : le progrès n’est pas synonyme de rupture.
19 L’Idéologie allemande, Ed. sociales, 1982, p. 51.
20 Edmée, présentée pourtant comme la perfection même, ne fait pas exception. Il est vrai que Bernard ne lui donne pas de leçons proprement dites, cette expérience révèle pourtant à la jeune fille bien des choses sur la vie et sur sa propre nature. Si elle ne cède sur aucun point à son élève, elle écoute l’abbé et Patience et accepte leurs conseils. A un moment donné, par amour pour son père, elle est même capable de vaincre « son caractère d’une manière héroïque » (M, 204).
21 Les éducatrices, comme Consuelo, ont très souvent une force mystérieuse à laquelle personne ne résiste et qui finit par l’emporter sur les obstacles. Voir à ce propos, dans un contexte légèrement différent, les remarques de Michèle Hecquet, (Op. cit. p 261- 262), relatives aux rapports entre Marcelle et Rose dans Le Meunier d’Angibault. Voir aussi le cas de la petite Fadette. Quant à l’influence de l’élève sur l’éducatrice, voir Isidora : « je me transforme, une enfant me gouverne » (Isidora, présenté par Eve Sourian, Des femmes, 1990, p. 234).
22 Elles n’ont même pas toujours cet attribut romanesque traditionnel qu’est la beauté. Ni Yseult, ni Consuelo ne sont belles. Elles sont cependant dotées d’une beauté intérieure, due tantôt à l’art, tantôt à l’intelligence et toujours à leur sérénité et leur intégrité morale.
23 M, 147. Pour cette dualité de l’être, voir entre autres Gabriel, Consuelo, Wanda.
24 La Tour de Percemont, Calmann Lévy, 1877, p. 237.
25 Respectivement dans Jean de la Roche (1859), Constance Verrier (1859), La Ville noire (1860), Mademoiselle Merquem (1868), Malgrétout (1870), Nanon (1872). Figures moins importantes, mais faisant partie de la série : Laura (1864), Aldine (Monsieur Sylvestre, 1865), Marie Hoche (Cadio, 1867).
26 « Mariage et révolution dans Nanon », Les Amis de George Sand, 1988, n° 9, p. 28.
27 Nicole Mozet : « Marianne (1875) comme réécriture de La Mare au Diable (1846) » in Le Chantier de George Sand. George Sand et l’étranger, Actes du Xe Colloque International George Sand, Studia Romanica de Debrecen, Debrecen, 1993, p. 127.
28 Ibid. p. 125.
Auteur
Université de Debrecen
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