1 « [W]e can begin to see that the project of translating culture within the politics of identity is not a quick fix. »
2 Je reprends le terme utilisé par Simon 1995 : 51 (TTR, « La Culture transnationale en question »).
3 Bhabba joue avec la modification de « transnational culture » qu'il transforme en « translational culture ».
4 « How newness enters the world. » (Bhabha 1994 : 212)
5 Ce texte de 1993 a été traduit en 2014. voir Lucia Quaquarelli et Katja Schubert (éd.), « La politique de la traduction », Traduire le postcolonial et la transculturalité : Enjeux théoriques, linguistiques, littéraires, culturels, politiques, sociologiques, écritures 7, trad. de Franck Lemonde, p. 17-44.
6 « the task of the feminist translator is to consider language as a clue to the workings of gendered agency. » (Spivak 1993c : 179)
7 Le concept d’« agency » est difficile à rendre en français. Parfois reporté tel quel, il est parfois traduit par « agentivité », « capacité d’agir » (dans la traduction française par Cynthia Krauss de Gender Trouble / Trouble dans le genre de Judith Butler), ou encore « puissance d’agir » (dans la traduction française par Charlotte Nordmann et Jérôme Vidal d’Excitable Speech: A Politics of the Performative / Pouvoir des mots. Politique du performatif, également de Judith Butler). Voir également le billet de Jérôme Vidal à [http://jeromevidal.blogspot.com/2010/07/la-question-de-lagency-puissance-et.html] : « La question de l’agency : puissance et impuissance d’agir et de penser en des temps obscurs », dans lequel il aborde la difficulté de traduire ce terme.
8 « [the writer is always] written by her language », où la marque du possessif anglais précise bien le genre du sujet.
9 « surrender », substantif et verbe, est rendu dans deux traductions par les verbes « céder » [la traductrice « cède devant le texte »] (Simon 1995 : 55) et « se livrer » (Lemonde 2014). Je privilégie ici le choix de Franck Lemonde, qui crée une association d’idées littéraire en jouant sur l’homophonie heureuse avec le substantif « livre ». Je couple également le verbe « se livrer » avec « s’abandonner », suivant le procédé d’accumulation développé au chapitre 3, pour superposer au sens de ce premier verbe la sensualité présente dans le deuxième, ce qui me permet, plus loin, d’utiliser le substantif « abandon ».
10 « transgress from the trace of the other » (Spivak 1993c : 178).
11 « [the] spacy emptiness between two named historical languages [into which] meaning hops » (ibid. : 180).
12 Franck Lemonde précise en note que « facilitations » est une traduction anglaise du terme freudien « Bahnung » (passage), rendu par « frayage » en français (note 4 : 19 – où il cite Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1967 : 172).
13 « so that the agent can act in an ethical way…so that the agent can be alive, in a human way, in the world » (ibid. : 181).
14 La traduction publiée indique « du traducteur ». Je la modifie ici afin de la faire correspondre aux propos de Spivak (voir également introduction critique).
15 La métaphore virile et guerrière du texte de Steiner mérite d’être reproduite dans son intégralité :
The translator invades, extracts, and brings home. The simile is that of the open-cast mine left an empty scar in the landscape. As we shall see, this despoliation is illusory or is a mark of false translation. But again, as in the case of the translator’s trust, there are genuine borderline cases. Certain texts or genres have been exhausted by translation. Far more interestingly, others have been negated by transfiguration, by an act of appropriative penetration and transfer in excess of the original, more ordered, more aesthetically pleasing. (Steiner 1975 : 298)
Le traducteur envahit, extrait et rapporte. L’image est celle d’une mine à ciel ouvert qui marque le paysage de cicatrices désolées. Comme on le verra, cette spoliation n’est qu’illusoire ou signale la traduction bâtarde. Mais encore une fois, comme au moment où le traducteur s’élançait, on rencontre des cas limites authentiques. On connaît des textes ou des genres qui ont été épuisés par la traduction. De façon plus intéressante, d’autres sont sortis sans vie d’une transfiguration, d’une pénétration-annexion, d’un transfert-appropriation qui amplifient l’original, lui imposent un excès d’ordre et de charme esthétique. (Lotringer et Dauzat 1998 : 405)
16 « [She must] solicit the text to show the limits of its language, because that rhetorical aspect will point at the silence of the absolute fraying of language that the text wards off, in its special manner. » (Spivak 1992 : 181)
17 « a form of cultural dissensus and alterity, where non-consensual terms of affiliation may be established on the grounds of historical trauma » (Bhabha 1994 : 12).
18 « In other words, if you are interested in talking about the other, and/or in making a claim to be the other, it is crucial to learn other languages. »
19 C’est aussi le titre retenu dans la traduction de Françoise Bouillot parue en 2009 dans le volume En d’autres mondes, en d’autres mots : Essais de politique culturelle. Bouillot utilise la traduction-relais de Spivak en anglais, et non le texte original en bengali.
20 Spivak conclut sa postface par ces mots : « Ignoring all warnings, Mahasweta Devi has pulled me from the web of her fiction into the weaving of her work. I present my services to her work-translation, preface, afterward-in the hope that you will judge the instructive strength of that embrace. » (Devi 1995 : 205)
21 Il est difficile de rendre le caractère polysémique de la plupart de ces termes, dont l’original n’est pas donné (l’anglais servant ici de langue-relais).
22 « [the] evolutionary lament stating that their problems are not yet accessible to our solutions and that they must simply come through into nationalism in order then to debate sexual preference ».
23 « Mahasweta’s prose, in a signature gesture, rises to the sweeping elegance of high Sanskritic Bengali. This is in the sharpest possible contrast to the dynamic hybrid medium of the rest of the narrative, country Hindi mixed in with paratactic reportorial prose. Echoes of the Indian national anthem can also be heard in this high prose. »
24 Nous proposons de ce passage la traduction suivante, aussi littérale que possible :
Remplissant toute la péninsule indienne, des océans à l’Himalaya, voici le cadavre tourmenté de la putain kamiya Douloti Nagesia, putrifiée par une maladie vénérienne, ayant vomi tout le sang de ses poumons desséchés. Aujourd’hui, en ce 15 août [jour de l’indépendance indienne], Douloti n’a laissé aucune place dans l’Inde des gens comme Mohan [le maître d’école] pour planter l’étendard du drapeau de l’indépendance. Que va faire Mohan maintenant ? Douloti est étalée dans l’Inde tout entière.
25 « The boundary becomes the place from which something begins its presencing. » (Bhabha 1994 : 5)
26 « By translation I first of all mean a process by which, in order to objectify cultural meaning, there always has to be a process of alienation and of secondariness in relation to itself. In that sense there is no “in itself” and “for itself” within cultures because they are always subject to intrinsic forms of translation. » (Bhabha 1990 : 210)
27 « Translation is also a way of imitating, but in a mischievous, displacing sense–Imitating an original in such a way that the priority of the original is not reinforced but by the very fact that it can be simulated, copied, transferred, transformed, made into a simulacrum and so on: the “original” is never finished or complete in itself. The “originary” is always open to translation so that it can never be said to have a totalised prior moment of being or meaning – an essence. » (Bhabha 1990 : 210)
28 The Predicament of Culture, de James Clifford (1988), a été traduit par Marie-Anne Sichère (Malaise dans la culture, 1998).
29 Voir aussi l’article de Sherry Simon, 1996b, « Entre les langues : “Between” de Christine Brooke-Rose », TTR, vol. 9, n° 1, p. 55-70.
30 Littéralement, « la femme qui se tient seule, debout ».
31 « Il est aussi important pour moi de bien parler que de jouer un morceau de musique sans fautes. Entendre un anglais déformé déchire mon oreille comme la craie qui crisse sur le tableau noir, comme toutes les choses bâclées, mal finies, comme toutes les formes disgracieuses. Ce qui est étrange, c’est que je sais ce qui est correct, fluide, bon, bien avant de pouvoir mettre ce savoir à exécution…
Je suis devenue obsédée par les mots. Je les rassemble, je les range comme un écureuil qui conserve des noisettes pour l’hiver, je les avale et j’en veux encore. Si j’en prends assez, alors peut-être puis-je incorporer la langue, en faire une partie de ma psyché et de mon corps… Je cherche la nuance correcte d’un coquillage nacré aux tons rosâtres que j’ai trouvé sur la plage comme si ma vie en dépendait, et d’une certaine manière, c’est vrai. Je ne peux pas vivre éternellement dans une imagination perdue au milieu d’une maison vide, balayée par les vents ; je dois en faire une habitation confortable. »
32 Je restitue ici par un calque le jeu de mots de la traductrice, qui joue sur les deux sens générés par « e-motion », l’émotion et le mouvement.
33 « As Melanie drives through the mauve desert in her mother’s white Meteor, translator Maude Laures works her way through Angstelle’s road novel. This double movement is impressed upon the real translating body, already engaged in dialogic movement with the other by the fiction’s structure. Travelling through this complex source text, the translator’s whole body is necessary and necessarily in constant e-motion between novels and languages, hoisting dictionaries, scanning the intertext, turning the pages of her memory, questioning the author, thinking of her readers. Her signature on the translated book will attest to her performance in constructing target-language meaning. »
34 « Challenging the traditional master-slave view of translation vis-à-vis writing, Brossard’s Mauve Desert posits translation as creative, not derivative, work. As production, not re-production. In a dialogue with novelist Laure Angstelle, translator Maude Laures, playing the role of Angela Parkins, even goes so far as to question the author’s intention, asking: “Why did you kill me?” (Brossard 1990: 132). While fictional author Angstelle is annoyed with the liberties taken by her translator, who boldly steps over the line of professional ethics by declaring “Reading you gives me every right” (Brossard 1990: 133), real-life author Brossard grants her real-life translator great freedom through her own adventurousness in language and in the symbolic. »
35 « Working in different languages creates different levels of complicity. When we speak in English, we are the Other. Spanish is for us the language of translation and interpretation. When we use it, we explain the condition of the Mexican-American to the monolingual Mexican. Using bilingualism implies a complicity and speaks to the experience of the Chicano as one who understands biculturalism. Those three registers operate simultaneously in the performance. They create three levels of communication with three distinct sectors of the public […].
I am very interested in subverting English structures, infecting English with Spanish and in finding new possibilities of expression within the English language that English-speaking people don’t have. I find myself in kinship with nonwhite English-speaking writers from India and the West Indies, Native Americans, and Chicanos. »
36 « To move past speaking foreign words to taking them into your body absorbing their meanings into who you are – feeling the grain of the language rough against your skin – that is the most difficult translation of all. »
37 « the deep blue shadows that fall like water between languages. Dangerous places where it’s easy to disappear. »
38 « improvises a bridge over unknowns, over ambiguities and equivalences. Touching Vietnamese words with her Australian life. »
39 « at a time of explosive innovation, and amid a real threat of surfeit and disorder, translation absorbed, shaped, oriented the necessary raw material…it established a logic of relation between past and present, and between different tongues and traditions which were splitting apart under stress of nationalism and religious conflict. » (Steiner 1975 : 247)
40 « the spilled, the broken world », Thomas Pynchon, 1990, Vineland, Trad. de Michel Doury, Éditions du Seuil, 2013 [1991].
41 « There is a growing hesitancy in pretending to offer a rationalist synthesis of the voices and forces released in the post-colonial world, as if these can simply be plotted on to the existing map of knowledge. Sometimes the voices met with may converge, but they may also separate out to the point of incomprehension and dissonance… This suggests the need to connect – without reducing to the same – those currents that seep through the contemporary critical world in the Occident, which, in condensed, displaced and partial fashion, seek to speak of an elsewhere, of other worlds, and whose co-presence and mixing disturb and decentre our previous sense of knowledge and being. It involves embracing a mode of thought that is destined to be incomplete. Western thought, with its promise of a mastery of the complete picture is confronted by the incompleteness of “the spilled, the broken world” to use Thomas Pynchon’s memorable phrase: world broken down into complexities, diverse bodies, memories, languages, histories, differences. »
i Dans son essai sur Luce Irigary, Gayatri Spivak se penche sur le sens du contraste entre l’éthique et l’érotique : « Une position éthique doit entraîner l’universalisation du singulier. On peut souhaiter ne pas être exclu de l’universel. Mais s’il existe bien un universel, celui-ci ne peut pas inclure la différence […]. Pour Irigaray, c’est bien la différence sexuelle qui constitue la limite de l’éthique. » [« An ethical position must entail universalization of the singular. One can wish not to be excluded from the universal. But if there is one universal, it cannot be inclusive of difference. […] For Irigaray, sexual difference is the limit to ethics. »] Spivak 1993b : 165)
ii Barbara Johnson utilise également l’image du pont proposée par Heidegger pour décrire la traduction. Comme Bhabha, elle cite ce dernier : « Il ne fait pas que relier des rives qui sont déjà là. Les rives n’apparaissent comme telles que lorsque le pont traverse le cours d’eau. » [It does not just connect banks that are already there. The banks emerge as banks only as the bridge crosses the stream.] Tout comme pour Bhabha, ce pont n’est pas un lien passif qui vient « après » les berges du fleuve, mais c’est lui qui les fait exister. Johnson explique que :
« La traduction est un pont qui crée de lui-même les deux champs de bataille qu’il sépare. […] Le pont de la traduction, qui paradoxalement libère dans chaque texte les forces subversives de sa propre étrangéité, réinscrit ainsi ces forces dans la plasticité d’un nouveau voisinage avec l’altérité. » [« translation is a bridge that creates out of itself the two fields of battle it separates… The bridge of translation, which paradoxically releases within each text the subversive forces of its own foreignness, thus reinscribes those forces in the tensile strength of a new neighbourhood of otherness ».] (Johnson 1985 : 148)
iii Christine Brooke-Rose a été très influencée par le Nouveau Roman en France et par Robbe-Grillet en particulier. Elle a traduit Le Labyrinthe (1957) de Robbe-Grillet (In the Labyrinth 1968). On peut noter que sa décision de ne pas utiliser le verbe « être » – le type de contrainte privilégiée des écrivains expérimentaux de l’Oulipo en France – est antérieure au célèbre roman de Georges Perec, La Disparition (en anglais A Void), écrit sans la lettre « e », la plus utilisée de l’alphabet français. Un autre roman à considérer dans ce cadre est In Transit de Brigid Brophy (Londres, 1969), qui évoque lui aussi le monde de l’entre-deux / intermédiaire du voyage aérien, et un état de confusion linguistique et sexuelle.