1 Le titre de ce chapitre est partiellement inspiré du nom historique de l’axe de recherche Voix et voies de femmes du laboratoire CECILLE, ULR 4074 (anciennement ÉCLA, EA 1763) créé par Guyonne Leduc en 2002 [document interne].
2 La citation originale, que l’on trouve aussi dans le titre de l’ouvrage de Homans, Bearing the Word: Language and Female Experience in Nineteenth-Century Women’s Writings, parle de « bearers of the word », dont l’équivalence serait plutôt « porteuses de la parole ». Il me semble toutefois important dans ce contexte de mettre en avant l’idée du mot comme vecteur de transmission.
3 « Feminist and poststructuralist theory has encouraged us to read between or outside the lines of the dominant discourse for information about cultural formation and authority; translation can provide a wealth of such information about practices of domination and subversion. » (Chamberlain 1988 : 472)
4 Cette pratique évolue aujourd’hui (voir introduction critique). Plus de quatre cents auteurs se sont ainsi récemment engagés à exiger de leur maison d’édition que le nom du traducteur ou de la traductrice figure sur la couverture de leurs ouvrages. Voir [https://actualitte.com/article/102656/auteurs/les-noms-des-traducteurs-sur-la-couverture-des-auteurs-s-engagent], consulté le 19 juillet 2022.
5 « [to] make translation visible today is necessarily a political gesture; it at once discloses and contests the nationalist ideology implicit in the marginal status of translation in universities, forcing a revaluation of pedagogical practices and disciplinary divisions which depend on translated texts. »
6 Le corpus des auctoritates désigne les « grands textes consacrés par l’Église et la “clergie” » (Berman 1988 : 24).
7 Selon la SIEFAR, le terme « traductrice » est attesté en France dès 1556 ([http://siefar.org/la-guerre-des-mots-dictionnaire/les-mots-de-a-a-z-lettre-t/], consulté le 17 juin 2021).
Traductrice – 1556 : « Or asseurée que tant vous occuperont et vous et elles les graves sentences de l’original auteur, (qu’il a si bien enrichies de diverses histoires et bons exemples) ne prendrez pié à la bassesse du stile ne rudesse du langaige de la Traductrice : ains la recevrez s’il vous plaict, telle qu’elle est, comme venant de la main et cabinet de vostre fille, et d’un mesme cœur et paternelle voulonté qu’elle se mettra en devoir vous faire perpetuel et tres humble service jusques au plus dernier de ses souspirs. » Marguerite de Cambis, « À Monsieur Loys de Cambis, Baron d’Alez, Marguerite de Cambis, Lieutenante de Nismes, sa très humble fille desire en santé vie longue », dans Boccace, Epistre consolatoire de messire Jean Boccace envoyée au Signeur Pino de Rossi (1556), Colette H. Winn (éd.), Paris, Honoré Champion, 2003, p. 2-3.
8 Voir aussi Suzanne W. Hull, 1982, Chaste, silent and obedient: English books for women, 1475-1640, Huntington Library Press. Je remercie Guyonne Leduc pour cette référence.
9 « Religion actually creates one of the paradoxes of the sixteenth century: on the one hand women were enjoined to silence while on the other they were permitted to break that silence to demonstrate their faith and devotion to God. In the name of the word of God, women could and did claim their right to speak independently from men. They wrote, translated, and published many religious works. Religion probably prevented many women from writing on secular subjects, as most female authored material in this period consists of religious compositions and translations. None the less, religion gave them a legitimate voice and an opportunity to be heard. »
10 « Debarred from original discourse by the absence of rhetorical training, urged to translation for the greater glory of God, women did translate an extensive body of religious work, usually at the prompting of father, brother, or husband, and usually works which would be particularly useful to the state or to a political faction. When their work was published, it was often anonymous; if it was known to be by a woman, it was usually restricted to manuscripts in the family circle. »
11 Mary Sidney Herbert, Countess of Pembroke, A Discourse of Life and Death. Written in French by Ph. Mornay. … done in English by the Countesse of Pembroke (London, 1592), E2v-E3r.
12 « The Triumph of Death », traduit de l’italien. Voir [https://www.poetryfoundation.org/poets/mary-sidney-herbert], consulté le 20 août 2021.
13 En France, c’est La Princesse de Clèves (1678) de Madame de Lafayette, qui est considéré comme le premier roman publié par une femme.
14 « [her] vertuous and and learned aunt, who translated so many godly books » [rather than create] « lascivious tales and amorous toyes ».
15 Titre original : Espejo de Principes y Cavalleros (El Caballero del Febo).
16 « both the boldest criticism of patriarchal ideology by a woman writer up to that time and one of the very few female-authored documents before the eighteenth century to deal with the problems of the literary woman whose imaginative voice is inhibited by patriarchal divisions of genre and gender ».
17 « une histoire profane, et une affaire plus virile que ce à quoi mon sexe m’a destinée ».
18 Pour comprendre cette référence, il faut revenir au texte de Krontiris, qui parle des associations conventionnelles du maniement des armes, de la pratique du sport et de la conversation savante avec les hommes, et de celles, féminines, avec les activités domestiques, la beauté et la futilité des propos (Krontiris 1992 : 131).
19 « Si les hommes ont le loisir de consacrer leur labeur aux gentes dames, alors il faut que nous, femmes, puissions lire ces œuvres qu’ils nous dédient ; et si nous les lisons, pourquoi ne pas nous y plonger plus avant pour y quérir la vérité ? »
20 « Il est tout aussi fondé pour une femme d’écrire une histoire que pour un homme de dédier la sienne à une femme. »
21 « Give us an inch and we’ll take a mile. »
22 « Je me suis dit qu’une femme anglaise pouvait tout aussi bien se risquer à traduire la parole qu’une femme française était censée avoir proférée. »
23 Pompey, publié en 1663.
24 Ce roman paraît en français pour le première fois en 1745, traduit, ou plutôt adapté, par Pierre-Antoine de La Place, sous le titre d’Oronoko (voir [https://books.google.fr/books/about/Oronoko_ou_le_prince_n%C3%A8gre.html?id=VPg9AAAAcAAJ&printsec=frontcover&source=kp_read_button&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false]). Voir en particulier le sous-titre « Imitation de l’anglois » et la préface dans laquelle le traducteur déclare : « Mon intention n’a pas été d’entreprendre une traduction littérale, ni de m’astreindre scrupuleusement au texte de mon Auteur. Oronoko a plu à Londres, habillé à l’Angloise : Pour plaire à Paris, j’ai crû qu’il lui falloit un habit françois. » (1745 : iv) Le texte de Behn sera retraduit une première fois par Bernard Dhuicq en 1990, puis en 2008. Cette traduction sera suivie d’une deuxième retraduction par Guillaume Villeneuve en 2009, accompagnée d’un appareil critique. Le titre variera également au cours du temps, passant d’Oronoko à Orounoko avant de revenir à l’original Oroonoko.
On consultera avec bonheur l’étude approfondie des traductions françaises d’Oroonoko rédigée par Marie-France Guénette dans le cadre de son mémoire de recherche en traduction à l’université de Montréal (2014). Voir [https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/11904], consulté le 3 mai 2021.
25 En France, c’est surtout Bernard Dhuicq, universitaire et traducteur, qui a publié plusieurs textes de référence sur Behn, son autrice de prédilection, ainsi que la traduction d’Oroonoko citée ci-dessus. Voir aussi la note de lecture rédigée par Leduc sur l’étude publiée par Dhuicq de la traduction par Behn des Maximes de la Rochefoucauld : [https://journals-openedition-org.ressources-electroniques.univ-lille.fr/1718/548], consulté le 3 mai 2021.
26 « J’eusse été tenté de dire que l’auteur, appartenant au sexe faible, ne comprenait pas le latin. Mais si tel était vraiment le cas, je crains qu’elle ne nous ait, nous qui connaissons cette langue, empli de honte. »
27 Pour plus de détail sur les circonstances de l’écriture de ce poème, voir aussi : « ’To Mr. Creech (under the Name of Daphnis) on his Excellent Translation of Lucretius’, T Lucretius Carus, The Epicurean Philosopher, His Six Books... The Second edition corrected and enlarged (1683). » On y apprend que la première traduction majeure de ce texte fut rédigée par Lucy Hutchinson, mais qu’elle resta à l’état de manuscrit. Voir [https://weblearn.ox.ac.uk/access/content/group/1803d649-431f-46cd-9428-f1dc63ef43a3/Rare%20Books/behn.html], consulté le 3 mai 2021.
28 « Jusqu’à ce jour, j’ai maudit ma naissance, mon éducation / Et plus encore les coutumes déficientes de la nation / Ne permettant pas au sexe féminin de marcher / Dans le sillage des héros défunts, ses aînés / Virgile le demi-dieu, et les vers du grand Homère / Nous restent cachés tels de divins mystères / On nous interdit toutes matières réjouissantes / On ferme nos oreilles aux pensées ravissantes / Les affreux tintements de notre temps / C’est tout ce que l’on comprend, que l’on entend / Alors par cette traduction tu sers nos connaissances / Tu nous sors peu à peu de cet état d’ignorance / Et nous rends égales de l’homme ! »
29 Il est difficile de savoir avec précision si ces informations sont exactes. Par exemple, Norman Simms (2000 : 207) suggère que Behn est née au Surinam, où ses parents s’étaient établis lors de la première vague de colonisation. Il est également possible que la deuxième information soit une fiction sous couvert d’« histoire vraie ». Voir Katharine M Rogers, 1988, « Fact and Fiction in Aphra Behn’s “Oroonoko” », Studies in the Novel, vol. 20, n° 1, p. 1-15, [http://0-www-jstor-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/stable/29532539], consulté le 17 juin 2021.
30 Quelques précisions sur cette traduction sont données par Mathias Degoute dans sa thèse de doctorat (2010 : 102) : « Le texte que produit Behn est nettement différent de l’original en cela que seules 391 maximes sont traduites sur les 413 de la 4e édition qui lui servit de support. Elle en omet ainsi 22, en invente de toutes pièces 2, amalgame à un moment donné 6 d’entre elles, en répète 4, et change de fond en comble l’ordre des Maximes » (citant Cottegnies 2000 : 13).
31 Les avis diffèrent sur ce point. Mathias Degoute, citant le même article de Line Cottegnies, indique que « près de la moitié de sa traduction relève de la réécriture libre, avec 40,5% d’adaptations, dont 29 % significativement différentes de l’original et 9,5 % en contradiction frontale avec le livre du Duc » (ibid. : 102-103).
32 « Mais de la même manière que les Français n’apprécient pas un costume ordinaire sans parure, ils ne se satisfont pas des avantages qu’ils ont, mais détruisent leur propre langue avec des répétitions et tautologies inutiles ; et en vertu d’une figure de rhétorique qui leur est propre, ils utilisent vingt lignes pour exprimer ce qu’un Anglais dirait mieux et plus aisément en cinq ; c’est là le grand malheur de la traduction du français vers l’anglais : si l’on entreprend de transformer cette langue en anglais courant, ce n’est pas une traduction. Si l’on conserve leurs fioritures et broderies, le résultat est pire que ces colifichets clinquants que l’on trouve dans leur pays. Je me suis efforcée de vous offrir le sens véritable que désirait l’auteur, et je suis restée aussi près de ses mots qu’il m’était possible de faire ; quelques ajouts, çà et là, furent nécessaires, ou cet ouvrage n’eût pas été compréhensible. J’ai utilisé du début à la fin le mot latin axis, qui correspond à axle-tree en anglais. »
33 « [the] design of the Bible was not to instruct Mankind in Astronomy, Geometry, or Chronology, but in the Law of God ».
34 « Après les Monarques, les poètes veulent leur part / Prochains sur la liste des mérites, ils ont arraché les couronnes [de laurier] pour les porter / Parmi ces gens, ne m’ignorez pas / Moi, la plus humble de ce glorieux cortège / Par un double droit je demande votre générosité / En vertu de mon sexe et au nom d’Apollon / Permettez-moi de rester en compagnie de Sappho et d’Orinda / Nymphe sacrée par vous vénérée / Et conférez à mes vers l’immortalité. »
35 Voir Claire Parfait, « Un succès américain en France : La Case de l’Oncle Tom », e-Rea, vol. 7, n° 2, 2010, [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/erea/981#tocto1n2], (par 21), consulté le 20 août 2021, et Agnès Sandras, 2020, « L’ambivalente réception de La Case de l’oncle Tom en France : pleurer ou persifler ? (Partie I. Un succès éditorial orchestré) », L’Histoire à la BnF, 20/05/2020, [https://histoirebnf.hypotheses.org/9741], consulté le 20/08/2021.
36 La phrase de Simon suggère la même origine pour le texte utilisé par Wollstonecraft (le français), mais il semble bien que Wollstonecraft traduisait directement du néerlandais. En effet, le texte original, intitulé Der kleine Grandisson, of de gehoorzaame zoon. In eene reeks van brieven en saamenspraaken, fut publié en 1788 par Maria Geertruida de Cambon van de Werken. Sa traduction française, une traduction-relais assez libre de ce premier texte néerlandais, parut sous le titre Le petit Grandisson en 1797, soit sept ans après la publication française.
Voir Annette Baudron, L’œuvre d’Arnaud Berquin : littérature de jeunesse et esprit des lumières, thèse en lettres modernes soutenue le 10 Décembre 2009 à l’université François Rabelais de Tours, dirigée par Jean-Jacques Tatin-Gourier, p. 294-297, [https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwj99eWw_K3wAhWuzoUKHcC0DC4QFjAMegQIAhAD&url=http%3A%2F%2Fwww.applis.univ-tours.fr%2Ftheses%2F2009%2Fannette.baudron_2578.pdf&usg=AOvVaw2MSTPFSgMx3ZOReJmoHC_g], consulté le 3 mai 2021.
37 Bertha Pappenheim, dite Anna O., est souvent considérée comme la première patiente de l’histoire de la psychanalyse. [https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Anna_O/183412], consulté le 3 mai 2021.
38 Le texte complet de cet essai est disponible sur Gallica : [https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k2080946.texteImage], consulté le 3 mai 2021.
39 The Dial était un magazine littéraire fondé par Ralph Emerson et Margaret Fuller, connu pour avoir accueilli les écrits des transcendentalistes.
40 « [the] misery of earthly affections and the eternal isolation in which the heart remains entombed ». Plus haut : « the calm of a doctor describing a disease ».
41 « [a work] faulty […] pale and feeble by the side of the original ».
42 « Read now, what is frequently an imperceptive version, is steadied by its period flavor. » (Steiner 1975 : 377)
43 En français dans le texte.
44 « She is in that work what a great musician is to a great composer – with something more, something greater. It is as if the Interpreter had looked into the very mind of the Master and had a share in his inspiration. »
45 « Why would anyone want to unseat her, if she is so beloved, so well established, so unquestioned? One answer is that she only went unquestioned because she suited the needs of her time so well that no one knew what questions to ask. Later critics, faced with different cultural conditions and presenting new demands – for psychological complexity, for example, for stylistic nuance – have been less ready to accept her at her word. »
46 « it produced a text which is, in many respects, indispensable to the original…The Broch-Untermeyer version moves very far towards the German form with its endless spiralling sentences, mass of composite words and emphatic substantives through which Broch tries to express a simultaneity of physical and metaphysical meanings. » (Steiner 1975 : 320-321)
On notera le sémantisme féminin (« elle a accouché… ») qu’utilise Lucienne Lotringer et qui n’apparaît pas dans le texte original. On retrouve toutefois ce sémantisme sexué dans d’autres métaphores célèbres créées par Steiner, en particulier sur la « pénétration » du texte dans la partie intitulée « Le mouvement herméneutique » qui, dans une logique similaire, met la métaphore guerrière au service de son propos (voir chapitre 5).
47 « [the] poets’ dream of an absolute idiolect…a tertium datum unique to its occasion » (Steiner 1975 : 320).
48 Je note ici les deux équivalents de midwife, qui portent chacun des connotations différentes (sagesse et labeur) que je souhaite conserver en français, même si elles ne sont pas présentes dans l’original. Ce procédé de traduction par accumulation est abordé dans le chapitre 3.
49 « we marked the main sentences in blue pencil, the unbelievably long subsidiary clauses in red, thus providing me with a kind of map, or Baedecker. Somehow or other, both Virgil and I would get through this melee. »
50 « I had developed my own method of work, and it was a musical method. Looking back, it seems as if rhythm and meaning came to me simultaneously, but I worked slavishly at the language, making liberal use of both dictionary and thesaurus. My routine became a grueling one; my working schedule was from ten to fifteen hours a day. Breaks occurred, but these came in the form of illness. I was in the grip of a relentless possession. »
51 « How strange it must seem to you to have your great work translated by a woman. »
52 « Thus Broch, like other men of his stamp, gave me to understand that whatever abilities a woman might possess, the ability to think, by his standards, was not one of them. »
53 « My close association with this work, as well as with the author, was probably the most educative experience of my whole writing life. No, of my life – without any qualifying adjective. More than any book, more than any other person, Broch probed for the truth of existence. His was the most radical, most powerful, most far-ranging mind with which I had ever made contact. This contact, it is true, was not always comfortable, for Broch was thoroughgoing in his role of Socrates, and so divested one of every pleasing self-illusion that one felt stripped to the bone. But I had had since childhood a certain stoicism in bearing the penalties one pays for knowledge. »
54 « a thing whole in itself, the result of a process in which vision as well as technique, form as well as content, merge in a body-soul relationship that assures the vitality and spirit of a creative work. »
55 « the translator has really to identify with the work he is translating in the same way that he identifies with his own creative work. He must become it. The first and final axiom for a translator might well be this: the translator should himself be translated. »
Dans le cadre de cette traduction performative, il serait tentant de choisir le féminin pour toutes les occurrences de « translator », en usant de la stratégie de détournement prônée par certaines féministes (von Flotow 1991 – voir chap. 1). Il me semble toutefois important de conserver le masculin, qui fait apparaître l’historicité et la prégnance de ce genre dans un discours qui est celui d’une femme parlant pourtant de sa propre pratique. La situation est légèrement différente, cinq lignes plus haut, car le terme n’apparaît pas dans une citation. Je replace alors « translator » dans le cadre des stratégies discursives féministes de 1996 pour souligner leur différence avec la situation d’Untermeyer en 1946 (voir également l’introduction critique).
56 « The Death of Virgil was musically conceived and executed, and it needed to be musically interpreted. But the task was not so much like transposing a composition from one key to another, as of reorchestrating a composition for another set of instruments, taking utmost care to preserve the structure, the phrasing, and the musical line, and to substitute for the original sonorities others of equal depth. »
57 « You will have perceived that I wrestled with Broch’s ideas, as they mistily emerged, as I would have done with my own adumbrations in any creative process, and that the methods brought into play
through translation were not essentially different from those demanded by a work just coming into being. With each revision, I, like the author, became more exacting. I wanted to achieve what perhaps no translation can hope to achieve. I hoped it would seem that these words and no other could express the message of The Death of Virgil. »
58 Il s’agit, rappelons-le, de la maison d’édition de Virginia et Leonard Woolf.
59 « I was pleased because this was something I felt I could do: I did not know why I had not thought of it before as a possible means of earning money. The many years I had spent translating Greek and Latin into English gave me a sense of competence; I was well trained in accuracy, at least, and that was all to the good, for Edwin’s interpretations tended to be wild and gay. We hammered out our blank verse and it was rhythmical enough, but I should not care today to be faced with these translations. »
60 « I was always translating something, and any other work I did was sandwiched between translations. »
61 « a polished rendering », expression polysémique où l’on retrouve l’idée d’une interprétation raffinée, mais aussi celle d’un texte lissé dans lequel la traductrice a gommé les aspérités culturelles. Ce principe n’est pas sans rappeler les Belles infidèles décrites par Mounin (1994 [1955]).
62 « [the] unconscious should be despised as Broch despised “the irrational,” and the notion that it could and would overwhelm European civilization in a cataclysm like the break-up of an ice-floe gone was entirely repugnant to us, even unthinkable. »
63 « From his tall height Broch looked down on us compassionately as on a pair of children who had just been learning the facts of European Life. »
64 « I find myself disliking the purposive control, the will power dominating the German sentence. I dislike its subordination of everything to those hammer-blow verbs; I dislike its weight and its clotted abstractions. I have the feeling that the shape of the German language affects the thought of those who use it and disposes them to overvalue authoritative statement, will power, and purposive drive. »
65 « So the right image for the German sentence, I suggest, is that of a great gut, a bowel, which deposits at the end of it a sediment of verbs. Is not this like the Reich desired by Hitler, who planned to make mincemeat of Europe? »
66 « But to turn classical German into sound democratic English–there is the difficulty. »
67 Il est également difficile d’identifier le genre de la traductrice à la lecture de sa préface de traduction (ici pour The Magic Mountain), dans laquelle le topos familier de la modestie se retrouve chez les traductrices comme chez les traducteurs :
The translator wishes to thank, in this place, a number of scholars, authorities in the various special fields entered by The Magic Mountain, without whose help the version in humility here offered to English readers, lame as it is, must have been more lacking still. That they gave so generously is not to be interpreted otherwise than as a tribute to a work of genius. But with all their help, the great difficulty remained: the violet had to be cast into the crucible, the organic work of art to be remoulded in another tongue. Shelley’s figure is perhaps not entirely apt here. Yet, since in the creative act word and thought are indivisible, the task was seen to be one before which artists would shrink and logical minds recoil. (Thirlwall 1966 : 15)
68 « That letter [from Mann] should have stimulated me, but it did not, although in theory I was a confirmed and express proponent of what in those long-ago days was called “women’s rights” and under my aunt’s tutelage had read assiduously the defense of women as human beings. No – partly my pride was touched at the idea of forcing myself into a commercial bargain with an unwilling author; but partly I was scared – though on grounds not that “Woman” but this particular poor specimen was unequal to the task ».
69 « for to most of the reading public, once a translator always a translator. ».
70 On pourra également lire l’essai de Mann sur le travail de traduction d’Helen Lowe-Porter, publié sous le titre Über die Übersetzerin Helen Lowe-Porter, écrit en 1945 et traduit en anglais la même année par Antonio Borgese pour le quotidien new-yorkais PM Daily. Voir [https://www.fischerverlage.de/buch/thomas-mann-ueber-die-uebersetzerin-helen-lowe-porter-9783104014654], consulté le 5 mai 2021.
71 Voir note dans le chap. 1.
72 « fallen under the spell of male discourse, translating books that speak of woman as the often treacherous or betrayed other ».
73 Le dialecte Kiltartan, contrairement au gaélique irlandais, est une dérivation de l’anglais britannique. Un article d’Alexandra Poulain sur les traductions de quatre pièces de Molière faites par Lady Gregory suggère également que ces traductions du français vers le dialecte Kiltartan faisaient partie du « projet de construction de l’identité nationale » de l’autrice. Voir Alexandra Poulain. « Lady Gregory s’en va-t-en guerre : the Kiltartan Molière », Études irlandaises, vol. 33 n° 2, 2008. Théâtres de France et d’Irlande : influences et interactions, sous la direction de Martine Pelletier et Alexandra Poulain. p. 75-89), [https://www.persee.fr/doc/irlan_0183-973x_2008_num_33_2_1839], consulté le 5 mai 2021.
74 « take a position relative to other cultures and languages. […] Is it one of domination or is the other culture, the other language seen as a model? Is there an attempt at enrichment of our own culture or is “naturalization” of the other considered the objective? We need also to consider questions relating to the distance in time, in space, which separates translations from their originals as well as those arising from the most fundamental decision of all: whether or not to translate a given text at a given time. Who the translators are and the nature of the literary institution they belong to will also necessarily affect the way translations are produced. »
i Dans Les Traducteurs dans l’histoire, le chapitre consacré aux interprètes mentionne une femme indienne du nom de Lacsohe qui fut l’interprète du conquistador Tristan de Luna en 1559, ainsi qu’une autre femme dénommée Sacajawea (c. 1790-1812), qui assista l’expédition de Lewis et Clark (Delisle et Woodsworth 1995 : 257, 259, 272).
ii De toute évidence, l’écrivaine chicana Sandra Cisneros a en tête l’histoire de la Malinche lorsqu’elle rédige sa nouvelle « Never Marry a Mexican » (« N’épousez jamais un Mexicain »), publiée dans le recueil Woman Hollering Creek and Other Stories (1991 [inédit en français]) et dont l’héroïne, qui « travaille parfois comme traductrice », se venge de la trahison de Cortés en le trahissant à son tour.
iii Par exemple, le Feminist Companion to Literature in English déclare avec une précision extraordinaire, dans sa notice intitulée « Translation », que « quatre-vingt-treize pour cent des traductrices du xviiie siècle écrivaient aussi dans le cadre d’autres genres littéraires » (Blain et al. 1990 : 1090). Ces femmes ne se seraient apparemment pas identifiées comme traductrices. Ou, pour prendre un autre exemple, les traducteur·ices de la Bible s’identifiaient plutôt aux théologien·nes qu’aux traducteur·ices.
iv Malgré la situation très différente des femmes, quelque cinq siècles plus tard, cette même question revient quand sont évoquées les traductrices du xixe siècle (Stark 1993).
v On notera que les femmes du continent européen jouissaient de plus de liberté que les Anglaises et, en 1500 déjà, ces Européennes avaient déjà établi toute une tradition d’écriture séculaire (Hannay 1985 : 5). Des érudites telles que Clémence de Barking, nonne bénédictine du douzième siècle, Hélisenne de Crenne, qui traduisit Virgile en 1541, et Madeleine des Roches, traductrice de Pythagore en 1584, ont toutes contribué à la vie intellectuelle de leur époque.
vi Par exemple, Frances Brooke (1724-1789), célèbre auteure du premier roman canadien, The History of Emily Montague (Histoire d’Emily Montaguë), a traduit vers l’anglais Lettres de Milady Juliette Catesby, à Milady Henriette Campley, son amie, roman sentimental très populaire de Marie-Jeanne Riccoboni. On lit l’influence de Madame Riccoboni dans le travail de Brooke, qui traduira aussi le roman sentimental et mélodramatique de Nicolas Framéry, Mémoires de M. le Marquis de S. Forlaix (1770) et Elémens de l’histoire de l’Angleterre (1771) de l’abbé Millot. Les propres romans de Brooke seront rapidement traduits en français et encensés dans les revues hexagonales. Elizabeth Griffin (1729-1793), dramaturge et auteure prolifique, publiera, quant à elle, plusieurs traductions du français, dont celle de La Princesse de Clèves, celle de Zayde : histoire espagnole et traduira également plusieurs volumes de l’œuvre de Voltaire.
vii Edmond Cary dans Les Grands Traducteurs français (1963) consacre un chapitre à Madame Dacier. Il y relate la polémique qui éclata entre Madame Dacier et le poète Houdar de la Motte. Tous deux avaient traduit Homère : la version en prose de Madame Dacier avait paru en 1699 et la traduction en vers de la Motte, quinze ans plus tard. Dans son Discours sur Homère, la Motte critique le travail intellectuel de Madame Dacier pour son manque de vitalité et son « adoration irrationnelle » du vieux poète grec. La Motte veut offrir à ses lecteurs une œuvre d’art vivante, un poème essentiel à son époque. L’argument de Cary, toutefois, est que les deux traductions sont bien plus similaires que ce que leurs deux auteurs ne l’avaient suspecté. Il montre que, malgré deux professions de foi opposées, Dacier et Houdar de la Motte souscrivent tous les deux à la sensibilité de leur époque et corrigent tous les deux le texte original, en particulier lorsqu’apparaissent des termes ou expressions inconvenantes.
viii Les traductions de Behn ont été publiées en plusieurs volumes en 1995 sous le titre The Works of Aphra Behn. Ces volumes sont accompagnés d’un commentaire précis et très utile de Janet Todd. Il apparaît clairement que Behn prend très au sérieux sa tâche de traductrice, restant souvent très proche de l’original tout en produisant un texte anglais remarquablement fluide.
ix Hansen explique aussi que c’est précisément la tension entre les défenseuses les plus véhémentes des droits des femmes et la branche relativement conservatrice du mouvement abolitionniste qui mena à la dissolution de la société anti-esclavagiste des femmes de Boston, la Boston Female Anti-Slavery Society, à la fin des années 1830.
x Doris Kadish souligne, toutefois, les nombreuses contradictions qui nourrissent les écrits abolitionnistes d’Olympe de Gouges et de Madame de Staël. De Staël avait reçu un esclave en cadeau, elle avait pris la défense de son amant Narbonne, qui vivait des intérêts de son épouse dans les plantations de canne à sucre antillaises, etc. Aucune de ces deux femmes n’était une abolitionniste radicale, mais toutes deux militaient pour l’amélioration du sort des esclaves (pour Olympe de Gouges, c’était au sein du système monarchiste). Voir Kadish et Massardier-Kenney (1994).
xi « Je dirais plus : lors même qu’on entendrait bien les langues étrangères, on pourrait goûter encore, par une traduction bien faite dans sa propre langue, un plaisir plus familier et plus intime. Ces beautés naturalisées donnent au style national des tournures nouvelles et des expressions plus originales. Les traductions des poètes étrangers peuvent, plus efficacement que tout autre moyen, préserver la littérature d’un pays de ces tournures banales qui sont les signes les plus certains de sa décadence. » (Œuvres complètes de Madame la Baronne de Staël-Holstein, Paris, 1871 : II, 294)
xii Ce rapport à la culture allemande fut également essentiel à l’univers intellectuel et imaginaire de George Eliot (1819-1880). Le haut niveau d’immersion d’Eliot dans la culture philosophique allemande n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur. Ses traductions de D.F. Strauss (Das Leben Jesu : The Life of Jesus, Critically Examined) et de Feuerbach (Das Wesen des Christentums : The Essence of Christianity en 1854) témoignent de sa très grande implication dans la tradition religieuse et philosophique allemande. Elle utilisa sa connaissance du judaïsme, avec lequel elle s’était familiarisée en traduisant Strauss – en particulier sa connaissance des termes et des concepts hébraïques – pour écrire Daniel Deronda (Baker 1975 : 21). Sa traduction de Strauss eut une très grande influence, à l’époque, pour son introduction « historico-critique » à l’étude de la Bible, qui replaçait la vie de Jésus au sein de son contexte historique (ibid. : 57). Sa traduction de Feuerbach est le seul ouvrage qu’Eliot signera de son propre nom, Marian Evans [NdlT : son nom changera aussi au cours du temps : appelée Mary Anne Evans à sa naissance, elle deviendra Mary Ann Evans à partir de 1837, Marian Evans de 1851 à 1854, puis Marian Evans Lewes à partir de 1854 et enfin Mary Ann Cross en 1880]. Ce travail aura pour elle une importance considérable et sa traduction est toujours considérée comme l’édition de référence.
Il y a parmi les essais d’Eliot un texte intitulé « Translations and Translators », dont la première publication date de 1855. Tout en démontrant ses capacités d’appréciation de ce qu’est une traduction réussie (en l’occurrence son admiration pour une nouvelle traduction de Kant), elle souligne que « le pouvoir requis dans la traduction varie avec le pouvoir qui ressort de l’œuvre originale » (« The power required in the translation varies with the power exhibited in the original work ») (ibid. : 339) et déclare également que « bien qu’un bon traducteur se trouve à mille lieues au-dessous de l’homme qui produit de bonnes œuvres originales, il est à mille lieues au-dessus de l’homme qui produit des œuvres originales médiocres » (« Though a good translator is infinitely below the man who produces good original works, he is infinitely above the man who produces feeble original works ») (ibid. : 342). Comme l’a montré Margaret Homans (1986), Eliot était une écrivaine qui comprenait les responsabilités qu’ont les « porteurs de mots ». Ses personnages féminins sont souvent chargés de la tâche de transmission, en tant que copistes ou en tant que messagères. Homans explique qu’Eliot, parmi d’autres auteur·es des xixe et xxe siècles, établit un lien spécial entre femme et mot qui fait ressortir le littéralisme, le corps de la langue.
xiii Il est possible de voir une relation tout aussi similaire et tout aussi remarquable dans les traductions de Paul Celan faites par John Felstiner. Voir Felstiner (1995).
xiv Il existe aujourd’hui des analyses bien plus nombreuses des travaux de Lowe-Porter.
xv Ce travail de médiation culturelle comprend aussi la traduction de textes savants. Le travail remarquable de George Eliot est un cas d’école. Lorsque la philosophe et sociologue Harriet Martineau (1802-1876) traduisit Auguste Comte vers l’anglais, ses traductions rencontrèrent un tel succès que ces textes furent « retraduits en français » pour être rendus plus accessibles (Stark 1993 : 39). La carrière de traductrice de Sarah Austin (1793-1867) fut également remarquable : Austin traduisit des œuvres majeures de la culture et de l’histoire allemandes, et rédigea des préfaces à ces traductions qui s’inspiraient des théories de Dryden et de Goethe. Elle privilégiait les stratégies dépaysantes et allait jusqu’à dire qu’« [elle] aimerait réformer la langue anglaise en y introduisant des germanismes » (cité dans Stark 1993 : 42).