1 L’extrait suivant de la préface de John Florio à sa traduction des Essais de Montaigne (dédiée à ses « bienfaitrices »), file la métaphore sexuelle en assignant un genre aux œuvres originales et aux œuvres traduites, bien qu’il précise que sa propre traduction, puisqu’il est un homme, reste « masculine ». Il rappelle à ses bienfaitrices que « les concepts des hommes restent tous les leurs » et considère ainsi sa production comme tout aussi masculine, même si les traductions « sont forcément féminines » :
None dearer (dearest Ladies) I have seene, and all may say, to your Honorable husbands then you, to you then your Honorable husbands; and then to other, then eyther is to th’ other. So as were I to name but the one, I should surely intend the other: but intending this Dedication to two, I could not but name both. To my last Birth, which I held masculine, (as are all mens conceipts that are thier owne, though but by their collecting; and this was to Montaigne like Bacchus, closed in, or loosed from his great Iupiters thigh) I the indulgent father invited two right Honorable Godfathers, with the One of your Noble Ladyshippes to witnesse. So to this defective edition (since all translations are reputed femalls, delivered at second hand; and I in this serve but as Vulcan, to hatchet this Minerva from that Iupiters bigge braine) I yet at least a fondling foster-father, having transported it from France to England; put it in English clothes; taught it to talke our tongue (though many-times with a jerke of the French Iargon) wouldset [sic] it forth to the best service I might; and to better I might not, then You that deserve the best. (§ 1 ; c’est l’autrice qui souligne)
Source : « Florio’s Preface », Montaigne’s Essays, Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592), Traduction de John Florio (1553-1625). © 1999 The University of Oregon, Domaine public, disponible à :
[http://www.luminarium.org/renascence-editions/montaigne/], consulté le 15 février 2021.
2 Simon cite De Lotbinière-Harwood en anglais (I am a translation because I am a woman), dans une citation tirée d’une publication bilingue : Re-belle et infidèle / The Body Bilingual qui brouille les frontières entre original et traduction.
3 C’est là tout le paradoxe de la déclaration de Florio (voir ci-dessus), qui affirme la masculinité de sa traduction tout en admettant que sa nature même la rend féminine et donc défectueuse.
4 Simon utilise « trouble » dans ce texte en référence à l’ouvrage de Judith Butler. Je conserve donc ce terme dans la traduction.
5 Simon a aussi conceptualisé la traduction comme « lieu » où se développent les interactions entre langues et cultures (voir introduction critique).
6 Le nom anglais « translatress » est attesté dès 1638 (voir chap. 2).
7 « The location and organization of difference are crucial to a culture’s self-representation and its distribution of power. »
8 « [O]ne of the challenges for feminist translators is to move beyond questions of the sex of the author or translator. Working within the conventional hierarchies […], the female translator of a female author’s text and the male translator of a male author’s text will be bound by the same power relations: what must be subverted is the process by which translation complies with gender constructs. » (Chamberlain 1992 : 72)
Lori Chamberlain, 2020, « Genre et discours métaphoriques sur la traduction », trad. Samantha Saïdi, GLAD!, n° 9, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/glad/2057], consulté le 20 janvier 2021.
9 La poétesse Jean Starr Untermeyer a signé la première traduction vers l’anglais de Der Tod des Vergil de l’Autrichien Hermann Broch ; Willa Muir a traduit vers l’anglais plusieurs ouvrages de Broch, Kafka et Heinrich Mann ; Helen Lowe-Porter était la traductrice attitrée de Thomas Mann ; Suzanne Levine a traduit de l’espagnol vers l’anglais des œuvres majeures d’auteur·es d’Amérique Latine (Silvina Ocampo, Clarice Lispector, Cecilia Vicuna, Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares, Carlos Fuentes, Jose Donoso, ou Julio Cortazar). Voir également chap. 2.
10 « Contemporary feminist debates over the meanings of gender lead time and again to a certain sense of trouble, as if the in-determinacy of gender might eventually culminate in the failure of feminism. Perhaps trouble need not carry such a negative valence. » (Butler 1990 : ix)
11 « A genealogical critique refuses to search for the origins of gender, the inner truth of female desire, a genuine or authentic sexual identity that repression has kept from view; rather, genealogy investigates the political stakes in designating as an origin and cause those identity categories that are in fact the effects of institutions, practices, discourses with multiple and diffuse points of origin… Precisely because “female” no longer appears to be a stable notion, its meaning as troubled and unfixed as “woman,” and because both terms gain their troubled significations only as relational terms, this inquiry takes as its focus gender and the relational analysis it suggests. » (ibid. : xi)
12 En français dans le texte.
13 L’accord de proximité me permet d’éviter le point médian. C’est également une stratégie volontaire de visibilisation du féminin car il est tout à fait possible ici d’inverser les deux termes pour satisfaire à un accord de proximité au masculin qui, invisible, ne sera pas repéré.
14 En français dans le texte.
15 Voir encore l’introduction de Florio aux Essais de Montaigne, dans laquelle il explique avoir « revêtu [sa traduction] d’habits anglais » (« put it in English clothes ») (Florio 1603 : § 1).
16 Dans le titre ci-dessus, j’utilise la supplémentation, stratégie de traduction féministe utilisée entre autres par Barbara Godard, pour rendre le double sens contenu dans « Engendered » en anglais.
17 La traduction française de Lucienne Lotringer et Pierre-Emmanuel Dauzat, Après Babel, est publiée en 1978.
18 Ce texte fondamental de 1988 voit sa première traduction française publiée en 2020 par la revue féministe française GLAD!, dans un volume consacré aux Traductologies féministes.
19 « What proclaims itself to be an aesthetic problem is represented in terms of sex, family, and the state, and what is consistently at issue is power… I would argue that the reason translation is so overcoded, so overregulated, is that it threatens to erase the difference between production and reproduction which is essential to the establishment of power. » (Chamberlain 1992 : 66)
20 « For while both translators and spouses were once bound by contracts to love, honor, and obey, and while both inevitably betray, the current questioning of the possibility and desirability of conscious mastery makes that contract seem deluded and exploitative from the start. »
21 [contemporary translation studies are struggling against] « the old binary concept of translation [which] saw original and translated text as two poles. »
22 « The translator is understood to be a servant, an invisible hand mechanically turning the word of one language into another. »
23 « [Everywhere women are] writing their way into subjective agency. »
24 « The feminist translator, affirming her critical difference, her delight in interminable re-reading and re-writing, flaunts the signs of her manipulation of the text. Womanhandling the text in translation would involve the replacement of the modest-self-effacing translator. »
Barbara Godard joue avec les mots. Le mot-valise « womanhandling » est une appropriation féministe de manhandle, que l’on pourrait rendre par « mâlemener / mâletraiter / mettre à mâle », et qui au féminin devient un jeu de mots difficile à traduire. Nous proposons un autre mot-valise, « femmener », qui laisse malheureusement de côté une partie du sens de l’original. Le double sens de replacement (replace, mais aussi re-place) est quant à lui rendu par une augmentation : « remplacer et remettre à la place qu’elle mérite ».
25 « Feminist discourse presents transformation as performance as a model for translation. […] This is at odds with the long dominant theory of translation as equivalence grounded in a poetics of transparence. »
26 « elements [that] are fused into a new whole in an encounter that is mutual, pleasurable and respectful ».
27 Le mot créé par Levine est « closelaboration », mot-valise où l’on trouve « close », « labor » et « elaboration », trois notions recouvrant le travail de proche collaboration et d’élaboration de la traduction féministe. Encore une fois, la traduction française peine à restituer tous les réseaux de sens de ce néologisme.
28 En français dans le texte.
29 « Ce soir, j’entre dans l’histoire sans écarter les jambes. »
30 Il existe plusieurs traductions de ces trois mots. Sherry Simon parle dans ses publications françaises de « supplément », de « l’utilisation de la préface et de la note infrapaginale » et de « détournement » (1991 : 13), Lily Robert-Foley parle de « nuanc[e] », de « paratexte » et d’« appropri[ation] » (2018 : 3). Anne Malena et Julie Tarif (2015 : 114) utilisent le terme de « supplémentation » (2015 : 114) que je reprends ici pour ajouter un élément performatif au « supplément » de Simon. Noémie Grunenwald, quant à elle, traduit « hijacking » par « piratage » (2021 : 94), insistant ainsi sur le caractère transgressif de cette intervention.
31 Ce qui n’est pas sans nous rappeler le mot-valise « smother-love » qui évoque « un amour maternel possessif ou dévorant » (Robert & Collins).
32 Parmi les trois techniques identifiées par von Flotow, c’est la seule qu’elle entoure de guillemets, comme si une mise à distance était nécessaire.
33 « [the] fixing of a singular, embodied female subject ».
34 C’est là une des questions abordées par Tiphaine Samoyault lors d’une conférence sur les traductions racistes (TRACT, 24 mars 2021), reprise dans l’ouvrage collectif : Faut-il se ressembler pour traduire ? (2021 : 91-108). Prenant, à la suite de Santiago Artozqui [https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/07/01/traduction-racisme-mitchell/], l’exemple des traductions de Gone with the Wind, Samoyault souligne qu’il ne suffit pas de remplacer les termes racistes d’un récit pour que ce dernier devienne non-raciste car c’est au sein de la narration, et non du lexique, que le problème se situe. Elle postule alors une réécriture non-raciste de cette narration à la place de la traduction traditionnelle, puisant ainsi dans les stratégies de détournement mentionnées dans ce chapitre, et plaidant pour « l’efficacité historique » d’une traduction qui « portera le témoignage de ce qu’une époque aura considéré comme audible, ou des efforts qu’elle aura conduits pour réparer des injustices » (2021 : 102).
35 Mary Daly, féministe radicale, laisse derrière elle son célèbre Gyn/Ecology : The Metaethics of Radical Feminism (1978), dans lequel elle plaide pour une réappropriation féministe du langage patriarcal, mais aussi de nombreuses critiques à l’égard de ses positions transphobes. Voir Kubala Julie, 2020, « Teaching “Bad Feminism”: Mary Daly and the Legacy of ‘70s Lesbian-Feminism », Feminist Formations, vol. 32, n° 1, 117-136 ; Strassfeld Max, 2018, « Transing Religious Studies », Journal of Feminist Studies in Religion, vol. 34, n° 1, 37-53.
36 « Strangely enough, people were able to perform this bizarre task without difficulty. Even more strangely, there was near total agreement on the “right” classification. Knife, Ford, pepper and chocolate were masculine, while fork, Chevrolet, salt and vanilla were feminine. This phenomenon is called “metaphorical gender”. »
37 Deborah Cameron explique surtout que les linguistes ont tendance à nier l’existence de ces constructions idéologiques de genre pour protéger le caractère scientifique de leur discipline : « any fool can claim generic he is sexist, but only the linguist can explain it is really “unmarked” » (ibid. : 97). Ces questions ont une résonance particulière en France à l’heure où de nombreuses féministes remettent en question l’existence d’un masculin générique imposé par l’Académie française qui représenterait le masculin et le féminin.
38 Rétrotraduction littérale : « Pourquoi le MAÎTRE exerce-t-il l’autorité pendant que la MAÎTRESSE attend patiemment que son maître et amant la rejoigne ? » ; « Pourquoi les CUISINIERS ont-ils tous un métier, pendant que la plupart des CUISINIÈRES sur terre se retrouvent à la maison ? »
Ces extraits de la traduction par Scott des paragraphes 671 et 672 de L’Euguélionne se concentrent surtout sur les enjeux politiques soulignés par l’autrice, parfois au détriment du côté ludique de l’original, que je reproduis ici dans une version plus extensive :
671. […] – POURQUOI le mot SERVANT n’est-il qu’un adjectif et le mot SERVANTE est-il un substantif ?
– POURQUOI les féminins normaux de certains mots sont-ils péjoratifs ou sans aucun rapport avec le masculin ?
Par exemple, pouvez-vous seulement imaginer la conversation suivante entre deux avocats ou deux auteurs célèbres, l’un mâle et l’autre femme, dont les relations ne seraient situées que sur le plan professionnel :
« Cher Maître, ravie de vous rencontrer !
– Ah ! Quelle joie de vous voir, chère Maîtresse. J’ai su que vous aviez donné naissance à un autre enfant ?
672. – Oui, un fils. J’ai maintenant deux garçons et une garce.
– Votre mari doit être enchanté. N’est-il pas entraîneur de football ?
– Non, non, c’est sa sœur qui est entraîneuse… de ski, naturellement ! » (Bersianik 1978 : 227)
La référence aux « cuisiniers » et aux « cuisinières » dans la traduction de Scott semble tirée, par compensation, du paragraphe 731 du roman : « Et depuis quand, dites-moi, des postes de chefs cuisiniers sont-ils offerts aux femmes sur le marché du travail ? Avez-vous déjà entendu qu’une grand-mère, une mère, une épouse, aient fait un procès au grand “maître queux” pour avoir utilisé les recettes dont elles étaient les auteurs ? Existe-t-il seulement un féminin à l’expression “chef cuisinier” ? » (Bersianik 1978 : 255)
39 « We need to re-sex language. »
40 « [a translation practice which] “aims to make the feminine visible in language so that women are seen and heard in the world.” »
41 « My translation spells “author”: “auther,” as a way of rendering the feminized auteure pioneered and widely used by Quebec feminists; and renders the beautiful amante, lesbian lover, by “shelove.” To further eroticize the foreign tongue, “dawn,” a feminine noun in French, is referred to as “she” in the sentence: “Dawn attracts, this is certain, dawn fascinates. She is at the edge of night, at the edge of the soul a quiet certitude, an appeasement of the eyes smitten with changes and utopias.”… By being gender-specific about the characters’ interpersonal relations in a way English grammar does not normally allow, these feminization strategies make it possible for target-language readers to identify the lesbian in the text. »
42 « More so than any other writer in Quebec, Brossard has attentively mapped the crucial points of intersection and divergence between literary modernity and contemporary feminist practices of writing and reading. »
43 « Would keeping a record of the translation process be one way to explore the interdiscursive production of meaning that is translation? The idea came to me in March when I was translating a poem of Lola Tostevin’s… I was having trouble with the translation– difficulties involving the word play. The plan had been to write a text on the translation of the poem. Both re/writings came together: the essay on the process and the translation itself. »
44 « Each word here is important in itself yet is only one instance in the web of prose. Each word, each group of words, is used again and again with new words, the words making new contexts for the word, the phrase. These are the “sonorous liaisons” confounding two words, linking one sound after another in the spiral which turns around and around on itself. “A rhythm is a rhythm is a rhythm,” Brossard echoes Stein, reading, writing, “in the heart of a suffering that was not mine in the sentences I prolong ”… Since the words construct reality, each word needs to be carefully constructed in itself, carefully reconstructed in translation, to build up the sonorous as well as syntactic, semantic chains for wor(l)ding. »
Encore une fois, la construction expérimentale de wor(l)dling, qui recoupe word (le mot) et world (le monde), rend cette expression particulièrement difficile à traduire. Merci à Frédérique Brisset, qui a suggéré le mot-valise « écriation » que je reprends ici.
45 « No final version of the text is ever realizable. There are only approximations to be actualized within the conditions of different enunciative exchanges. As such, translation is concerned not with “target languages” and the conditions of “arrival” but with the ways of ordering relations between languages and cultures. Translation is an art of approach. »
46 « The screen of representation is the white space or the gendered bodily surface on which desire inscribes its fiction. The hologram as figure for meaning making moves beyond Wittgenstein’s understanding of picture as fact. The hologram does not depict its pictorial form iconically, it performs it. »
47 « [the human need to] make reality (and consequently, also texts and objects) our own, the need to fight for the power to determine and to take over meaning ».
48 Simon fait probablement ici référence au « simpatico » de Venuti (1995).
49 « give voice, to make available texts that raise difficult questions and open perspectives ».
50 La polysémie de l’expression originale, « get under the skin », qui a les deux sens d’« énerver » et de « comprendre quelqu’un ou quelque chose », est importante à conserver car elle exprime à la fois le souhait des traductrices d’aller au fond du texte et la reconnaissance que cette démarche peut être dérangeante.
51 « lucien & moi, nous sommes québécois. des deux côtés opposés de la piste, on s’est rencontrés à travers le rock & roll / le rêve américain, nous sommes la génération pepsi, branchés image et son, nous sommes les nègres blancs de l’amérique, le rock est notre culture, elvis, jerry lee, eddy, hank, gene, roy, johnny, black roots / red-hot rhythm, anapeste interrompu : musique magnétique, marginale, subversive, rebelle, musique de guérilla urbaine. historiquement, nous SOMMES cela. »
52 La permutation entre authorized et autherized fonctionne de la même manière en anglais et en français.
53 « translation takes place where two, invariably unequal, worlds collide. »
54 « We have tried, therefore, in the translations (not always successfully) to strain against the reductive and often stereo-typical homogenization involved in this process. We preferred translations that did not domesticate the work either into a pan-Indian or into a “universalist” mode, but demanded of the reader too a translation of herself into another sociohistorical ethos. »
55 Il s’agit de l’écrivaine Krishna Sobti (1925-2019).
56 Simon utilise ici l’adjectif foreignizing, identifié par Venuti dans The Translator’s Invisibility (1995) pour décrire les stratégies de traduction sourcières qui mettent en avant l’étranger dans le texte. Voir introduction critique pour le choix français du terme de « dépaysement ».
57 « What we had gained as a result of all this was a “reader-friendly” page that did not look like an Orientalist text. What we had lost – and we are sad about it – was the variety of the regional languages. »
58 La « position scripturaire » des traducteurs, chez Antoine Berman, c’est-à-dire « leur rapport à l’écriture et aux œuvres », est associée à la « position langagière » et à la « position traductive ». La prise en compte commune de ces trois positions rend possible une « théorie du sujet traduisant » (Berman 1995 : 75).
i Cette proposition n’est pas une idée nouvelle. Qu’avaient Thomas Mann et André Gide en tête quand ils ont insisté pour que certains de leurs livres soient traduits par des hommes ? Même si presque toutes leurs œuvres ont été traduites par une seule traductrice : Helen Lowe-Porter pour Mann, et Dorothy Bussy pour Gide (voir Thirlwall 1966 ; Tedeschi 1983), ces deux auteurs pensaient qu’un lien spécial entre texte et traducteur était indispensable, du moins dans certains cas – et que ce lien ne pouvait pas se créer par la simple projection de l’imagination. Ironiquement, le traducteur que Mann avait choisi pour son livre décéda, et c’est Helen Lowe-Porter qui finit par le traduire, à la grande satisfaction de tout le monde. Pourrait-on imaginer une catégorie que l’on appellerait « écriture transversale » (cross-writing) ou « traduction transversale » (cross-translating), dans laquelle un ou une écrivain.e n’appartenant pas au « sexe adéquat » pourrait transcender ce cloisonnement ? On a assez montré que l’écriture permet de projeter un « soi » imaginaire dans des identités autres et qu’appartenir de par sa naissance à une identité culturelle ne constitue aucunement une garantie d’affiliation à celle-ci.
ii C’est aussi une indication de l’abondance relative de matériel bibliographique en anglais, par rapport au français ou à l’allemand. On trouvera des informations sur ces traductrices dans plusieurs ouvrages comme ceux de Todd (1985) et Blain et al. (1990).
iii Je ne souhaite pas trop insister sur ce point, mais je veux m’assurer que les choses sont claires. Les problématiques de genre en traduction s’appliquent aux hommes comme aux femmes. Les hommes peuvent tout à fait adopter les préceptes des théories féministes de la traduction, et les femmes sont tout à fait capables de faire de bonnes traductions de textes écrits par des hommes. Ce livre ne traite que de quelques-uns des sujets qu’englobe la question du genre en traduction. J’ai choisi de me concentrer sur les questions de genre qui ont été activées par le féminisme, et qui concernent pour la plupart les traductrices. Bruce Russell, spécialiste de l’histoire culturelle, m’a fait remarquer qu’un autre domaine de recherche à envisager serait la manière dont la traduction a servi à masquer et à travestir les identités de genre, en référence aux stratégies de dissimulation de ces identités dans les traductions anglaises de la poésie arabe homosexuelle au dix-neuvième siècle.
iv On trouvera de nombreux exemples de ce langage sexiste dans l’article de Lori Chamberlain, « Gender and the Metaphorics of Translation » (1988), (traduit en 2020 par Samantha Saïdi sous le titre : « Genre et discours métaphoriques sur la traduction » [NDlT]).