1 Myriam Suchet, dans Outils pour une traduction postcoloniale (2009, éditions des archives contemporaines), revient également sur ce concept qui pour elle est « problématique à plus d’un titre », même si elle reconnaît « son efficacité indéniable dans la théorie d’Homi Bhabha » (49).
2 Voir par exemple : Translation Sites: A Field Guide, Routledge, 2019 ; « Space », Special issue of translation, a transdisciplinary journal, Sherry Simon (éd.), 7, 2019 ; Speaking Memory. How Translation Shapes City Life, Sherry Simon (éd.), Montreal/Kingston, McGill-Queens University Press, Fall 2016 ; « The City as Translation Zone », special issue of Translation Studies, Michael Cronin and Sherry Simon (éd.), vol 7 : 2, 2014 ; Cities in Translation. Intersections of Language and Memory. London, Routledge, 2012 / Villes en traduction. Calcutta, Trieste, Barcelone, Montréal, trad. Pierrot Lambert, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2013 ; Translating Montreal: Episodes in the Life of a Divided City, Montreal/Kingston, McGill-Queens University Press, 2006 / Traverser Montréal. Une histoire culturelle par la traduction, trad. Pierrot Lambert, nouvelle préface de Sherry Simon, Montréal, Éditions Fidés, 2008.
3 Voir [https://www.concordia.ca/cunews/main/stories/2020/11/23/translation-studies-scholar-earns-concordias-highest-research-honour.html?c=/next-gen/4th-space/news], consulté le 11 mai 2021.
4 « J’ai compris que les politiques de l’identité étaient importantes en traduction. » (Oster 2023 : 77)
5 « L’objectif des théories féministes de la traduction est d’identifier et de faire l’examen critique de tout cet enchevêtrement de concepts qui relègue les femmes et la traduction au bas de l’échelle sociale et littéraire. » (Oster 2023 : 82)
6 Brian James Baer (2018 : 1), tout en citant l’apport de Teresa de Lauretis au début des années 1990, fait remonter la toute première étude du domaine à un texte de Keith Harvey publié par St Jerome en 2003 : Intercultural Movements: American Gay in French Translation (voir postface), précisant que s’ensuit un retard important dans la recherche consacrée à ce sujet. Les premiers travaux d’envergure sur les études queer en traduction datent effectivement de la deuxième moitié des années 2010. Voir : David Gramling and Aniruddha Dutta (éd.), 2016, Translating Transgender, Transgender Studies Quarterly vol. 3, 3-4, Durham, Duke University Press ; B.J. Epstein and Robert Gillett (éd.), 2017, Queer in Translation, London/New York, Routledge ; Brian James Baer and Klaus Kaindl (éd.), 2018, Queering Translation, Translating the Queer: Theory, Practice, Activism, London/New York, Routledge ; Brian James Baer, 2021, Queer Theory and Translation Studies: Language, Politics, Desire, London/New York, Routledge.
7 « La discipline qui étudie les problèmes soulevés par la production et la description des traductions. »
8 Les éditions Routledge, qui consacrent une collection entière aux Translation Studies, publient l’introduction suivante dans leur General Editors’ Preface rédigée par Bassnett et Lefevere en 1992 pour accompagner l’ouvrage de Lefevere :
The growth of translation studies as a separate discipline is a success story of the 1980s. The subject has developed in many parts of the world and is clearly destined to continue developing well into the twenty-first century. Translation studies brings together work in a wide variety of fields, including linguistics, literary study, history, anthropology, psychology, and economics. This series of books will reflect the breadth of work in translation studies and will enable readers to share in the exciting new developments that are taking place at the present time. […] (1992a : vii)
[Le développement des Translation Studies en tant que discipline indépendante a connu un grand succès dans les années 1980. Elles se sont déployées un peu partout dans le monde et vont très certainement poursuivre leur développement au cours du XXIe siècle. Les Translation Studies rassemblent des travaux issus de disciplines variées, comme la linguistique, la littérature, l’histoire, l’anthropologie, la psychologie et l’économie. Cette série d’ouvrages viendra refléter la variété des travaux en Translation Studies et permettra de partager avec son lectorat les évolutions passionnantes de la discipline au cours des prochaines années.]
9 L’expression « cultural turn » dans ce contexte semble avoir été utilisée pour la première fois par Théo Hermans (Suchet 2009 : 169). Voir Translation in Systems, St Jerome, 1999, p. 110.
10 Comme le souligne Élisabeth Lavault-Olléon, la traduction n’a jamais été comptée dans les 77 disciplines répertoriées par le Conseil National des Universités (Lavault-Olléon 2018 : § 7). On notera également que les cours de Translation Studies dans les universités américaines sont généralement des cours de théorie dispensés principalement dans les départements de littérature comparée, la traduction étant considérée comme une activité marginale dans la plupart des cercles universitaires tout comme dans la formation des étudiant·es.
11 Ce terme aurait été créé en 1973 par le Canadien Brian Harris (Harris 1988 ; Oustinoff 2007) et, même en français, il « s’entend de manière différente au Canada, en France, en Suisse ou en Belgique » (Oustinoff 2007 : 21).
12 Sherry Simon rejette d’ailleurs cette équivalence entre les deux termes, mais aussi l’idée que les deux contextes (français et anglophone) fonctionnent dans une dialectique d’opposition (voir entretien).
13 Voir entre autres Ladmiral [1979] 1994, Ballard 2006, Oustinoff 2007 et Lavault-Olléon 2018.
14 Je ne mentionne ici que les tendances utilisées en France pour théoriser la traduction littéraire.
15 Un exemple notable de « manuel » rendant compte de cette tendance est celui de Delphine Chartier publié aux Presses universitaires du Mirail en 2012 : Traduction : histoire, théories, pratiques, où l’on retrouve les grands noms de la traductologie anglophone : Catford, Nida, Reiss, Seleskovitch, mais aussi Even-Zohar, Gentzler, Hermans, Lefevere, Simon ou Venuti.
On peut aussi souligner que les Translation Studies pratiquées dans les pays anglo-saxons ne mettent généralement pas l’accent sur la mécanique d’un seul couple de langue, ce qui s’explique en partie par le statut hégémonique de l’anglais. Les cours de traductologie que l’on trouve dans les pays anglophones sont d’ailleurs généralement composés d’étudiant·es issu·es de diverses aires linguistiques, et sont centrés sur l’acquisition de théories qui pourront trouver leur application dans ces langues diverses.
16 Publié pour la première fois en 2001, il connaît aujourd’hui sa cinquième édition (2022).
17 Je reparlerai de tout ceci lorsqu’il sera question de l’intégration et de la visibilisation du féminin dans la langue.
18 Voir Suchet (2009 : 48-49) pour une amorce de discussion des nuances entre hétérolinguisme, plurilinguisme, multilinguisme et bilinguisme, et Simon (1998 : 590-592) pour sa note de lecture sur l’ouvrage de Rainier Grutman, dans lequel elle reconnaît l’utilité du terme pour comprendre la littérature québécoise du xixe siècle et ses développements ultérieurs.
19 Voir aussi le volume édité par Kathy Mezei, Sherry Simon et Luise von Flotow : Translation Effects: The Shaping of Modern Canadian Culture, publié en 2014.
20 [https://pen-international.org/fr/who-we-are/manifestos/the-quebec-declaration-on-literary-translation-translators/la-declaration-de-quebec], consulté le 13 mai 2021.
21 P.E.N. International est une organisation internationale créée à Londres en 1921. Actuellement composée de 146 centres disséminés sur toute la planète, elle défend le droit de la littérature à s’exprimer librement dans le monde entier.
22 « Des heures de plaisir. Qui auront toutefois permis d’en venir à une version beaucoup plus solide, synthétique et percutante. Même si dans le délestage, l’idée des langues minoritaires dut finalement être abandonnée, faute de consensus. » [https://nuitblanche.com/article/2015/10/la-declaration-de-quebec-sur-la-traduction-litteraire-les-traductrices-et-les-traducteurs/], consulté le 13 mai 2021.
23 « un mode d’engagement avec la littérature, […] une forme de militantisme littéraire » (Oster 2023 : 78).
24 « Variation inédite au cœur du dialogue entre le Québec et le Canada anglophone, la traduction féministe a réactivé les implications politiques de cet échange culturel. » (Oster 2023 : 77)
25 « Il y a beaucoup de points à soulever lorsqu’on parle du genre et de la traduction, ou du genre en traduction. Ce volume présente des voix diverses qui examinent la théorie et la pratique de la traduction comme un acte de communication qui traverse les frontières linguistiques et culturelles, et dans lequel le rôle des traducteur·ices est central. »
26 […] both the conference and the dinner highlighted the significance of translators as power brokers within the linguistic and cultural borders that organize power relations. By default, in a situation of social inequality marked by different valuations assigned to languages, translators will always be power brokers. […] Beyond simple opposition to inequality, progressive translators often use their social location as power brokers to build subversive and transgressive spaces among people who have shared interests and different languages. Translators who recognise the intricacies of power and the importance of the process of translation act ethically in that space. (ibid. : xiii)
[[…] Ce colloque et ce dîner ont souligné le rôle important que jouent les traducteur·ices en tant que négociateurs et négociatrices du pouvoir au sein des frontières linguistiques et culturelles qui régissent ces relations de pouvoir. Par défaut, dans une situation d’inégalité sociale marquée par l’assignation de valeurs différentes à chaque langue, les traducteur·ices seront toujours des négociateur·ices de pouvoir. […] Les traducteur·ices progressistes, au-delà de leur simple opposition aux inégalités, utilisent souvent ce lieu social de négociation du pouvoir pour créer des espaces de subversion et de transgression chez les personnes qui ont des intérêts communs dans des langues différentes. Lorsque les traducteur·ices reconnaissent toutes les complexités du pouvoir et l’importance du processus de traduction, ils et elles font une utilisation éthique de cet espace.]
27 « L’espace de la traduction n’est pas un espace vide, un rôle qui peut être rempli par n’importe qui, dans lequel les vérités se construisent à travers l’application linéaire d’un groupe d’idées aux vérités d’un autre groupe. C’est plutôt parce que la traduction rend possible la communication que les espaces traductifs permettent aux idées de rebondir les unes sur les autres. […] Le partage des idées par le biais de la traduction exige de la confiance.
28 « […] in India, Iran, Iraq, the Maghreb, South America, Latin America, Poland, Spain, early Modern Europe, and the UK, […] Hindi, […] Arabic, and Japanese, as well as the Spanish, […], feminist, gender, and queer intersections with translation in different parts of the world such as Poland, Russia, and other post-communist countries, as well as in Italy, China, and India » (ibid. : 2-3). [« […] Inde, Iran, Irak, pays du Maghreb, Amérique du Sud, Amérique latine, Pologne, Espagne, Europe à l’époque moderne et Royaume Uni, […] Hindi, […] Arabe, japonais et espagnol, […], interactions féministes, queer et de genre avec la traduction dans plusieurs régions du monde : Pologne, Russie et autres pays de l’ancien bloc de l’Est, Italie, Chine et Inde ».]
29 « The second challenge arose from the transnational aspect of this project, in particular the publishing language, English. Thirty-five of the 41 chapters were written by scholars whose first language is not English. While the dominance of English academic publishing may be a fact in many parts of the world, there are as many drawbacks as there are advantages to this fact, especially in the humanities. » (ibid : 3) [« Le deuxième défi était l’aspect transnational de ce projet, en particulier le choix de l’anglais comme langue de publication. Trente-cinq des 41 chapitres sont rédigés par des chercheuses dont la langue maternelle n’est pas l’anglais. Bien que la domination des publications universitaires en anglais soit un fait établi dans une grande partie du monde, cette situation présente autant d’inconvénients que d’avantages, surtout dans les sciences humaines. »]
30 « Le genre n’est donc jamais une identité primaire qui émerge des tréfonds de l’être, mais plutôt une construction discursive qui s’énonce dans des lieux multiples. Dans le cadre de l’étude qui nous concerne, il faut souligner que les discours sur le genre varient au cours de l’histoire. » (Oster 2023 : 87)
31 « On insistera ici sur les différentes manières dont les traductrices attirent l’attention sur leur identité de femme – ou plutôt de féministe – pour expliquer les affinités ou les frustrations qu’elles ressentent lorsqu’elles traduisent, et pour déchiffrer des textes qui exploitent eux-mêmes les ressources du genre grammatical à des fins littéraires ou politiques. Le genre n’est pas toujours un élément pertinent en traduction : il n’y a pas de caractéristique a priori qui rendrait les femmes plus, ou moins, compétentes pour leur travail. L’identité entre en jeu au moment où la traductrice mobilise le genre per se pour en faire un projet social ou littéraire. » (Oster 2023 : 87)
32 « Je ne souhaite pas trop insister sur ce point, mais je veux m’assurer que les choses sont claires. Les problématiques de genre en traduction s’appliquent aux hommes comme aux femmes. Les hommes peuvent tout à fait adopter les préceptes des théories féministes de la traduction, et les femmes sont tout à fait capables de faire de bonnes traductions de textes écrits par des hommes. Ce livre ne traite que de quelques-uns des sujets qu’englobe la question du genre en traduction. J’ai choisi de me concentrer sur les questions de genre qui ont été activées par le féminisme, et qui concernent pour la plupart les traductrices. » (Oster 2023 : 119)
33 Ce texte avait fait l’objet d’une publication anglaise dans Signs (1975) :
I think “feminine literature” is an organic, translated writing... translated from blackness, from darkness. Women have been in darkness for centuries. They don’t know themselves. Or only poorly. And when women write, they translate this darkness. […]
Men don’t translate. They begin from a theoretical platform that is already in place, already elaborated. The writing of women is really translated from the unknown, like a new way of communicating rather than an already formed language. (Husserl-Kapit 1975 : 425)
34 Citation complète : « Ce n’est peut-être pas par hasard que la traduction fût le plus fréquemment un métier de femme. Elle l’est dans le sens universalisant du féminin, là où “féminin” est une catégorie presque (je dis bien presque) ontologique, c’est-à-dire possibilité des différences, possibilité du masculin et du féminin également. C’est essentiellement un labeur de médiation sans lequel il n’y aurait point de culture. C’est le travail de suture qui reste invisible mais qui, à son tour, rend possible la visibilité. Couture = culture. Traduire c’est (se) donner en matériau à la culture. Nous sommes en traduction. » (Rakusa et Ivecovic 1989 : 61)
35 On peut aussi penser à la remarque qui suit la note de Simon sur les traductions de Thomas Mann par Helen Lowe-Porter : « Might we imagine such a category as “cross-writing” or “cross-translating” where a writer of the “wrong sex” would “pass”? Surely, it has been shown often enough that writing permits the imaginative projection of self into other identities, that membership by birth into a cultural identity is no guarantee of affiliation. » (ibid. : 168 [note 1–Chapitre 1]) [Ne pourrait-on pas imaginer une catégorie que l’on nommerait « trans-écriture » (cross-writing) ou « trans-traduction » (cross-translating), dans laquelle un ou une écrivain·e du « mauvais sexe » pourrait « passer », transcender ce cloisonnement ? On a assez montré que l’écriture permet de projeter un « soi » imaginaire dans des identités autres, et qu’appartenir de par sa naissance à une identité culturelle ne constitue aucunement une garantie d’affiliation à celle-ci.] (Oster 2023 : 119) Cette référence on ne peut plus d’actualité dans le cadre de la polémique relative aux traducteur·ices de la poésie d’Amanda Gorman montre que Sherry Simon est tout à fait consciente des mécanismes de projection inhérents à l’écriture et à la traduction, mais on pourrait aussi y voir une référence à la fluidité des genres et des cultures, et à une résistance à l’assignation (voir postface).
36 Ce texte fondamental a été traduit en anglais par André Lefevere (1977) et en français par Antoine Berman (1999).
37 Voir l’article de Simon Labrecque dans la revue Trahir (2014), qui pose bien le débat de la traduction en français de cette terminologie complexe [https://trahir.wordpress.com/2014/07/15/labrecque-forainisation/], consulté le 8 juin 2021.
38 « Under the regime of fluent translating, the translator works to make his or her work “invisible,” producing the illusory effect of transparency that simultaneously masks its status as an illusion: the translated text seems “natural,” that is, not translated. » (Venuti 2008 [1995] : 5) [« Sous le régime de la traduction “fluide”, le ou la traducteur·ice s’efforce de rendre son travail “invisible”, produisant un effet illusoire de transparence qui, simultanément, masque son statut d’illusion : le texte traduit a l’air “naturel”, c’est-à-dire non-traduit. »]
39 « La traductrice féministe, en affirmant sa différence radicale et le plaisir qu’elle prend à inlassablement relire et réécrire, exhibe les signes de sa propre manipulation du texte. “Femmener” le texte vers sa traduction implique alors de remplacer et remettre à la place qu’elle mérite la traductrice modeste qui s’efface devant lui. À sa place s’installerait une traductrice participant activement à la production du sens et qui procède selon une analyse conditionnelle, selon les termes d’un mouvement toujours transitoire, consciente du processus à l’œuvre, portant une attention autoréflexive à ses pratiques. La traductrice féministe est immodeste. Elle exhibe sa signature dans des italiques, des notes de bas de pages – même dans une préface. »
40 Les seules références au féminisme que l’on trouve dans l’ouvrage de Venuti apparaissent dans le cadre de son analyse de Mary Wollstonecraft et Shelley. Malgré la convergence de certaines de leurs idées sur la visibilisation du traducteur et de la traductrice, peu de voix féministes semblent avoir informé sa recherche : pas de référence à Godard ou à ses collègues québécoises, qui écrivent pourtant en anglais. L’article de Godard, publié par Tessera, périodique féministe, sera quant à lui republié dès 1990 dans l’anthologie de Bassnett et Lefevere intitulée Translation: History and Culture (voir note supra).
41 « Pour la traduction féministe, la fidélité n’est due ni à l’auteur·e, ni aux lecteur·ices, mais bien au projet d’écriture – auquel participent auteure et traductrice. » (Oster 2023 : 82)
42 On se rappellera aussi Judith Butler (1990), qui utilise le terme de « performance » pour parler de la manière dont se manifestent les identités de genre.
43 « “Transformance” est le nom qu’on pourrait lui donner, afin d’insister sur le travail de traduction, de mettre l’accent sur le processus de construction du sens à l’œuvre lors de cette activité de transformation, un mode de performance. Ce mot permet d’évoquer le poème sonore Trance(dance)form, performé par Penny Kemp. L’adopter, c’est souligner l’entrelacement de l’écriture féministe et de la traduction féministe, car Transformance est aussi le titre collectif du projet de ré/écriture (traduction) sur lequel Nicole Brossard a travaillé avec Daphne Marlatt. Les activités de transformance de Brossard sont un modèle pour le discours / la traduction féministe dans ses actions de re/lecture et de ré/écriture, son dialogisme. »
44 « La circulation transnationale du livre m’a aussi renvoyée à maintes reprises à une identité que je n’avais eu de cesse d’occulter et de dénier. » (ibid. : xiv)
45 Voir [https://nouvellesecoutes.fr/podcast/la-poudre/], Entretien, épisode 87 : « La révolution transféministe avec Sam Bourcier », 11 février 2021, consulté le 8 juin 2021. Bourcier parle ici de la partie des Cultural Studies qui s’occupe des problématiques de genre et qui sont apparentées aux Minority Studies dans leurs analyses des discriminations. Il existe cependant tout un autre pan des Cultural Studies qui ne se reconnaîtraient pas dans cette définition (les stars de la pop ou du cinéma, les séries télévisées, la téléréalité, le sport…), même s’il faut reconnaître que l’étude de ces champs se fait le plus souvent dans le cadre d’une étude des formes de domination.
46 Les années 2020 et 2021 ont notamment vu se développer un discours anti-communautariste puissant, accusant l’université d’un supposé « islamogauchisme » nourri en grande partie par les études culturelles américaines, alors que ces dernières sont encore minoritaires dans l’enseignement supérieur. Voir notamment [https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/12/21/genre-identites-cancel-culture-le-fantasme-du-peril-americain_6064150_4500055.html].
47 French Theory sera traduit en anglais et publié aux États-Unis en 2008.
48 La traduction de 1999, au sein d’une anthologie (voir plus loin), donnera lieu à une retraduction en 2006, puis en 2009, par Jérôme Vidal pour les éditions Amsterdam.
49 Exception notable, ancré dans les études de genre, le texte de Lori Chamberlain, « Gender and the Metaphorics of Translation », publié en 1988, a été traduit pour la première fois en 2020 par Samantha Saïdi dans le volume de GLAD! consacré aux traductologies féministes.
50 Emmanuelle Berger s’intéressait déjà en 2013 à la « “pensée américaine”, ou ce qu’on accueille sous son nom, qui semble jouer un rôle central dans l’essor des études de genre en France ». Elle remarque ainsi dans Le grand théâtre du genre que « c’est surtout dans le domaine du genre et des sexualités, et dans le croisement des études qu’on y mène avec l’analyse “postcoloniale” des rapports de “race” et de “culture”, que les penseuses et penseurs américains retiennent l’attention et ont un véritable impact, à la fois intellectuel, médiatique et politique » (Berger 2013 : 8-9).
51 Il s’agit du projet FELiCiTE (Féminismes en Ligne : Circulations, Traductions, Éditions), initié à Lyon en septembre 2018 et porté par une équipe pluridisciplinaire au sein du LabEx COMOD et du laboratoire Triangle (UMR 5206). Il est soutenu par le GIS Institut du Genre (voir [http://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?rubrique786], consulté le 25 août 2021).
52 « Qu’ils produisent des traductions, des histoires littéraires ou leurs dérivés plus succincts (ouvrages de référence, anthologies, éditions simples ou critiques), les « réécrivains » adaptent et manipulent les originaux avec lesquels ils travaillent à des degrés divers, la plupart du temps pour les faire correspondre au courant – ou à un des courants idéologiques et poétologiques dominants de leur époque. »
53 En France, rappelons-le, ce sont à l’heure actuelle plus les études de genre ou postcoloniales que les études traductologiques qui tendent à adopter ces méthodologies.
54 « La réflexivité est la seule manière de développer une traduction éthique. »
55 Kadiu présente ainsi une traduction « visible » d’une partie du Translator’s Invisibility de Lawrence Venuti, une traduction sous forme de « lettre ouverte » illustrant la métaphore dialogique de Susan Bassnett dans son essai « Writing and Translating », une traduction automatique d’une partie de la Poétique du traduire d’Henri Meschonnic, en partie inspirée par les traductions automatiques d’Apollinaire par Barbara Godard (Kadiu 2019 : 89), et une tentative de rétrotraduction d’extraits de L’Épreuve de l’étranger d’Antoine Berman.
56 Ces explicitations sont déjà plus ou moins développées par Simon. Il me revient de préciser ce qui doit l’être pour un lectorat français.
57 Parmi les questions qui se sont posées : devais-je opter pour une tendance neutralisante et tenter de trouver des reformulations épicènes afin d’éviter de trop « genrer » certains termes, ou devais-je décider d’écrire une traduction au féminin, en suivant certains des préceptes détaillés par Simon, au mépris de sa propre stratégie d’écriture, dans laquelle l’anglais est souvent ambigu ? Où se situe le « juste milieu » ? Enfin, à qui ce livre est-il destiné ? Ne risque-t-on pas de s’aliéner une partie du lectorat en optant pour une stratégie de traduction au féminin ? Sinon, ne risque-t-on pas non plus de s’aliéner le lectorat féministe à qui, in fine, cet ouvrage semble en priorité destiné ?
58 Henry, Jacqueline, 2000, « De l’érudition à l’échec : la note du traducteur », Meta, vol. 45, n° 2, 228-240, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7202/003059ar], consulté le 9 juin 2021.
59 Soulignons également le rôle de la traductrice/éditrice dans la constitution de l’index de ce volume, où j’ai visibilisé les traductrices en créant une entrée pour chaque nom (de traductrice et traducteur), au même titre que pour celui des autrices et des auteurs.
60 Simon hésite toutefois à qualifier cette stratégie de détournement (voir plus loin).
61 Le nom « translatress » a été conservé dans la traduction. Il est suivi, dans le sous-titre concerné, de sa traduction française (« traductrice »). Ce report du terme original a pour objectif de souligner les limites de l’épicène anglais dans le texte source, mais aussi de permettre la redécouverte d’un terme oublié qui porte ici toutes les possibilités du féminin : « Enter the translatress » / « The translatress in her own person speaks » (Simon 1996a : v).
62 Ces expérimentations, encore marginales mais de plus en plus nombreuses, sont développées dans la postface. Voir aussi à ce sujet l’analyse de la traduction par Jérôme Vidal de l’essai de Spivak « Can the Subaltern Speak? », dans cette même postface.
63 Certains hommes se reconnaîtront peut-être aussi dans l’appellation de « traductrices féministes ». Ce prolongement inclusif du « féminin universel » en fait non pas un instrument d’exclusion du masculin, mais bien au contraire une incitation à « tous les genres » à se reconnaître dans cette forme (Möser 2020).
64 C’est la même logique stratégique qui préside à l’extrait donné par Simon du texte de L’Euguélionne : « Le ou la coupable doit être punie », où l’utilisation de cet accord de proximité à la place de la règle établie par l’Académie française souligne la responsabilité assignée aux femmes.
65 Oxford English Dictionary, 2021, « translatress », OED Online, Oxford University Press, [https://www-oed-com.ressources-electroniques.univ-lille.fr/view/Entry/204852?redirectedFrom=translatress#eid], consulté le 19 juin 2021.
66 Oxford English Dictionary, 2021, « translatrix », OED Online, Oxford University Press, [https://www-oed-com.ressources-electroniques.univ-lille.fr/view/Entry/204853?redirectedFrom=translatrix#eid], consulté le 19 juin 2021.
67 Le TLF fait remonter le nom « traducteur » à 1540 et son féminin « traductrice » à 1643. Mais la SIEFAR atteste l’utilisation du terme « traductrice » dès 1556 dans sa notice, [http://siefar.org/la-guerre-des-mots-dictionnaire/les-mots-de-a-a-z-lettre-t/], consultée le 9 juin 2021.
68 Le terme de « translation » est également utilisé par Guy Demerson dans « translation en français moderne » des œuvres de Rabelais. La traductrice Marie-Madeleine Fragonard lui emprunte ce terme dans son édition bilingue de Rabelais (Gallimard), estimant que « le mot “traduction” ne saurait s’appliquer qu’au passage d’une langue étrangère au français ». Maurice Mourier, dans un article paru dans la revue littéraire en ligne En attendant Nadeau (Mourier Maurice, 2017, « Lost in Translation », En attendant Nadeau, 18 juillet, [https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/07/18/translation-rabelais/], consulté le 24 juin 2021), parle alors de Fragonard comme la « ’translatrice’ » de Rabelais. Le mot « translateur » est par ailleurs attesté comme synonyme désuet de « traducteur » dans le TLF (« Celui qui translate, qui traduit »), qui en donne un exemple remontant à 1847. Le TLF n’en propose toutefois pas de déclinaison au féminin. Frédérique Brisset, elle, attire l’attention sur l’acception audiovisuelle de « translation », utilisé par Jacline Moriceau « dans son acception française (197), pertinent dans la problématique du passeur de frontière puisque défini comme “action par laquelle on fait passer une chose d’un lieu dans un autre” (Littré) » (Brisset 2017 : 43). Elle ajoute toutefois que le Littré signale la connotation péjorative de « translateur », qui « “[…] se dit […] d’un écrivain qui traduit servilement” » (ibid.).
69 La France n’ayant pas l’apanage de la censure patriarcale, les grammaires prescriptives anglaises ont aussi éradiqué certaines formes neutres au cours du temps, comme l’explique Ann Bodine : « Surprising as it may seem in the light of the attention later devoted to the issue, prior to the nineteenth century singular “they” was widely used in written, therefore presumably also in spoken, English. This usage met with no opposition. » (Bodine 1975 : 131-133) Sherry Simon aurait donc eu la possibilité d’exploiter ces formes.
70 On trouve aussi en français le terme de « piratage » pour désigner cette stratégie (Grunenwald 2021 : 94).
71 « Cependant, le terme ne semble pas vraiment convenir à la description de la majorité des pratiques développées récemment en traduction féministe. Tout dans ces pratiques semble en effet indiquer une connivence et une coopération volontaires entre texte, auteure et traductrice. Auteure et traductrice opèrent en simultané, leur travail amorçant un dialogue d’influences réciproques. Pour traduire en féministe, il faut développer et déployer l’intention du texte original, et non le déformer. C’est pourquoi on trouve les exemples les plus féconds de ces pratiques là où il existe une adéquation entre texte et projet de traduction. » (Oster 2023 : 97)
72 « Le traducteur n’a de devoir de “fidélité” envers le texte original que dans la mesure où cette fidélité n’entre pas en conflit avec les éléments matériels et de moralité connus. Si un texte déficient est susceptible d’induire en erreur le lectorat (et pour cette raison seulement), alors le traducteur doit le corriger ou exprimer son désaccord, au sein ou à l’extérieur de la traduction selon le cas. »
73 On retrouve les mêmes dichotomies idéologiques dans l’opposition actuelle, très ancrée dans l’idéologie française décrite par Cusset (2010), entre un universalisme générique calqué sur des traditions séculaires principalement patriarcales, et les prises de parole communautaires, considérées comme excluantes (les réunions de femmes ou de minorités en non-mixité, par exemple).