1 Il n’y a pas ici un mot qui ne soit d’une exactitude rigoureuse : aussi cette théorie du mensonge, cette consécration de la calomnie se trouvera-t-elle parmi les phénomènes de la révolution. On ne peut avoir oublié les harangues de Danton et consorts sur la calomnie permise contre les ennemis de la liberté ; et l’on sait que ce nom d’ennemis de la liberté, comme toutes les autres dénominations révolutionnaires, aristocrates, royalistes, chouans, etc. a toujours signifié et signifie encore dans la bouche de l’exécrable faction, tous ceux qui ne sont pas ses complices ou ses esclaves. Cette définition appliquée aux faits, trouverait très peu d’exceptions. Voilà d’abord le principe. L’habitude est tellement connue, tellement avouée, qu’il serait superflu et même ridicule de vouloir la prouver : elle est au point que, si par hasard il y a quelques exceptions, l’histoire les citera comme des traits extraordinaires, comme une espèce de prodige. Il est de fait que tout ce qui s’appelle jacobin, montagnard, patriote, etc. est occupé chaque jour à composer les mensonges du lendemain. Quant au devoir, le mensonge en est un pour eux, au point que s’il arrivait qu’un d’entr’eux montrât le plus petit scrupule à cet égard, il serait traité comme un apostat, un transfuge, en un mot, comme un honnête homme. Parmi des faits sans nombre, je ne citerai que celui de vendémiaire, et il est bien avéré. On avait dit à la tribune que les sections travaillaient à affamer Paris. Cette imposture n’était pas plus absurde que mille autres qu’on débitait à toute heure. Cependant, je ne sais comment il se fit que, dans un petit comité quelqu’un dit qu’il n’était pas vrai que les Parisiens cherchassent à s’affamer eux-mêmes, et que ce conte était par trop ridicule. Un autre membre lui répondit avec beaucoup d’humeur : Cela peut n’être pas vrai ; mais cela est toujours très bon à dire à la tribune. Et il avait raison.
Au reste, prenez garde que ce système est chez eux conséquent et nécessaire. Des hommes que toute vérité accuse et condamne, n’ont d’autre arme, pour se défendre et pour attaquer (par la parole), que le mensonge. Donc ils mentiront, tant qu’ils seront à portée de mentir impunément. Dès qu’ils ne le pourront plus, ils seront sans ressource.
i Dans son rapport sur la Vendée fait au nom du Comité de salut public dans la séance de la Convention du 1er octobre 1793, Bertrand Barrère (1755-1841), orateur apprécié pour ses discours lyriques sur les succès militaires de l’an II, exigeait la « destruction » des « brigands », « fanatiques » et contre-révolutionnaires de la Vendée insurgée. Après avoir pris connaissance de ce rapport, la Convention reprit dans une proclamation officielle la même exigence : « Soldats de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d’octobre. » La Convention décréta de plus une loi qui nommait Léchelle général en chef de l’armée de l’Ouest et rappelait la nécessité impérieuse d’« exterminer les brigands de l’intérieur ».
ii Pierre Phélipeaux (ou Philipeaux) (1759-1794). Avocat élu député de la Sarthe à la Convention, Pierre Phélipeaux vota la mort de Louis XVI et soutint ensuite les prises de position des jacobins. Dans son Dictionnaire historique ou biographie universelle (Paris, 1835), F.X. de Feller écrit : « [...] il fut envoyé à la Vendée pour réorganiser les administrations de Nantes qu’on supposait entachées de “fédéralisme”. Sans trop y réfléchir, il se trouva engagé dans une lutte contre plusieurs représentants en mission dans ce même département. Ces représentants, réunis aux généraux qui se trouvaient à Saumur, avaient adopté un système de guerre et de conduite contre les insurgés vendéens. Philipeaux, de son côté s’unit aux généraux qui commandaient du côté de Nantes, et établit avec eux un système nouveau, en opposition avec celui que suivaient ses adversaires qu’il avait dérisoirement appelés “la cour de Saumur”. [...] Le parti de Saumur reprit la direction de la guerre de la Vendée, et Philipeaux fut rappelé à Paris [...] il dénonça à la tribune et dans les brochures qu’il publia les généraux qui commandaient à Saumur, comme auteurs, par leurs cruautés, de la prolongation de la guerre, et il se vit alors livré aux persécutions des jacobins, jadis ses amis. Les sociétés des “Cordeliers” et des “Droits de l’homme” le déclarèrent traître à la patrie, et un des chefs du modérantisme [...] il fut le 30 mars 1794 arrêté comme conspirateur. Le 5 du mois suivant, le tribunal révolutionnaire le condamna à mort [...] Il subit son supplice avec courage, le 5 avril 1794, jour même de la condamnation. »
iii Charles Philippe Ronsin (1751-1794). Précepteur et dramaturge avant la révolution, Ronsin devint capitaine de la garde bourgeoise du district de Saint-Roch en juillet 1789. Proche du club des Cordeliers, il fut nommé adjoint du ministre de la guerre Bouchotte en avril 1793. En mai de la même année, il partit en Vendée comme chargé de la mission d’organiser la fourniture aux armées. Début mars 1794, il défendit devant les Cordeliers l’appel à l’insurrection des hébertistes. Arrêté le 14 mars – accusé par Fouquier-Tinville d’être un « nouveau Cromwell » – il fut guillotiné le 24 mars 1794.