Antoine Berman et la « copia traductive » : de la métaphore au concept

Aurélien Talbot

doi:10.4000/books.apu.24325

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Antoine Berman et la « copia traductive » : de la métaphore au concept

Aurélien Talbot

p. 39-50

Extrait

1Antoine Berman a souligné à plusieurs reprises le lien entre traduction et métaphore. Dans son ouvrage consacré à Jacques Amyot, il parle ainsi de « la parenté immémoriale de la traduction et de la métaphore » (Berman 2012 : 97) et avance que « la traduction est structurellement liée à des métaphores et à la métaphore en général » (id. : 99).

2Dans le cadre de ces réflexions, Berman revient notamment sur la place occupée par « les métaphores picturales » de la traduction depuis la Renaissance (id. : 108). Or il peut sembler qu’à travers l’ensemble de ses travaux, Berman s’attache à creuser et à réélaborer l’une de ces métaphores picturales, à savoir celle de la traduction comme copie qui a pour corollaire la métaphore du traducteur comme copiste. Parallèlement, Berman joue aussi sur l’étymologie latine du mot copie (le latin copia renvoyant à l’idée d’abondance que l’on retrouve encore dans l’adjectif « copieux ») pour mettre l’accent sur l’une des caractéristiques fondamental

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1 Nous empruntons l’expression « métaphore structurale » à David W. Tarbet (1968 : 270) qui l’utilise à propos de la métaphore juridique dans la Critique de la raison pure de Kant.

2 Berman revient, dans de nombreux passages, sur la question de la forme discursive qu’il entend proposer à ses travaux (voir en particulier Berman 1995b : 63 ; 1999 : 15-17 ; 2012 : 155).

3 Voir Poétique 1457 b : « La métaphore est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce ou d’après le rapport d’analogie » (trad. J. Hardy, Paris, Les Belles Lettres, 1932).

4 Une note complète cette observation : « Et s’il est meilleur, ce qui arrive parfois ? Eh bien, de deux choses l’une : ou ce n’est plus une traduction, ou c’est que l’original ne valait pas grand-chose. Fatale logique de la ressemblance picturale : le traducteur ne peut qu’y être copieur, faussaire ou recréateur » (Berman 2012 : 257). C’est ce même paradigme qui fait dire à Berman qu’au XVI^e siècle « [l]e grand procès de la “copie” en art aura commencé, et la traduction sera sa première victime » (2008 : 102). Ou encore que « c’est bien l’immédiateté de la pulsion mimétique de la traduction qui, à partir du XVI^e siècle, a motivé sa condamnation » (ibid.).

5 « En rassemblant les mots qui signifient la même chose en diverses langues et en les ordonnant autour de leur signifié comme autour d’un centre commun, on pourrait examiner en quoi ces mots – qui souvent ne présentent pas la moindre ressemblance entre eux – sont tous semblables à ce signifié central » (Benjamin 2000 : 362). La mise en rapport d’un passage de Jean-Christophe Bailly où le mot espagnol « mariposa » (« papillon ») est évoqué (Bailly 1997 : 126-128), et d’un autre de La Traduction et la Lettre ou l’Auberge du lointain (Berman 1995a : 59), où l’iconicité du mot français « papillon » et « l’être papillonnant du papillon » sont mentionnés, pourrait permettre de se représenter un tel protocole.

6 Voir, par exemple, « Hölderlin ou la traduction comme manifestation » (Berman 1999 : 79-96), certains passages du commentaire sur Benjamin (Berman 2008 : 90-93) ou de L’Épreuve de l’étranger (Berman 1995a : 268-270).

7 Le passage suivant du Amyot témoigne de la dette de Berman envers Meschonnic sur cette question : « L’oralité, en bref, c’est cela : non point le “parlé” par rapport à l’“écrit”, mais cet ensemble de formes qui naissent dans les voix, et que l’écriture, de Rabelais au Joyce de Finnegans Wake ou à Guimarães Rosa, peut accueillir en son sein, et se remémorer comme sa source et son origine » (Berman 2012 : 72 et 271-272, n. 23). Chez Meschonnic, « penseur de l’oralité » selon Berman (2012 : 271), voir par exemple la déclaration selon laquelle l’oralité est « non plus l’autre de l’écrit, mais l’autre du couple oral / écrit qui confond l’oral et le parlé » (Meschonnic 1999 : 197), suivant un « un modèle triple, le parlé, l’écrit et l’oral » où « l’oral est alors une propriété possible de l’écrit comme du parlé » (id. : 117).

8 Voir, à cet égard, Berman 2012 : 172-175.

9 Berman (2008 : 104) invite ainsi à relire La tâche du traducteur à la lumière des « textes ultérieurs de Benjamin sur la reproduction de l’œuvre d’art, le cinéma ou la photographie », un programme qu’une formule synthétique d’Emily Apter (2015 : 327) permet de résumer : « La Tâche du traducteur à l’époque de la reproductibilité technique ».

10 Rappelons que si le texte Jacques Amyot, traducteur français. Essai sur les origines de la traduction en France est paru en 2012, sa rédaction est antérieure, la préface de l’ouvrage mentionnant les années 1990-1991 (Berman 2012 : 15), et qu’un séminaire de Berman portant sur « l’histoire de la traduction en France », qui s’est tenu au Collège international de philosophie dès 1987, « [avait] eu pour thème l’origine et la naissance de la traduction en France, et [avait] étudié les œuvres de deux grands “pères fondateurs”, Nicole Oresme au XIV^e siècle et Jacques Amyot au XVI^e siècle » (Berman 2008 : 9 et 12).

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