Rapport de synthèse
p. 163-174
Texte intégral
1Ces deux journées ont montré combien ce sujet d’actualité était riche et les thématiques parfaitement bien choisies. Les diverses interventions ont suscité de nombreuses questions démontrant, s’il en était besoin, sa complexité. En raison de l’évolution immédiatement postérieure à ces journées du fait des attentats de Paris et de l’état d’urgence, il nous a semblé évident de prolonger, en les actualisant, les réflexions formulées.
2Les différents intervenants ont abordé et traité la conceptualisation, le discours, voire la labellisation du terrorisme. La définition n’est pas figée même si la réponse pénale en exige une. L’identification est complexe et peut varier d’un cas à l’autre. Le terrorisme peut être local mais aussi exporté. L’examen a posteriori fait parfois oublier la qualification initiale. Tout dépend du devenir des acteurs qui peuvent même, avec un peu de chance, obtenir le prix Nobel de la paix. Des illustrations concrètes ont permis de mieux comprendre certaines situations, qu’il s’agisse du Cameroun, de l’Algérie mais aussi, pour ce qui est des ripostes, des USA et de la France.
3Les réponses et les éventuelles solutions sont tributaires d’une pluralité de conditions. Il faut connaître les origines du phénomène, l’ennemi et les enjeux.
4Les origines internes et internationales ainsi que les manifestations ont été abordées à travers des exemples concrets. Le terme de « croisade » utilisé par le Président Bush jr. et de « croisés » revendiqué par Daech, par exemple, peuvent rappeler un lointain passé. De même, la référence aux accords Sykes-Picot est parfois évoquée expliquant, par exemple, la suppression par Daech de la frontière Syrie/Irak. Il en va de même de l’abrogation du califat en 1924 justifiant la création d’un nouveau califat. L’ancien colonisateur est aussi une cible privilégiée. Les réactions tardives et la mauvaise appréciation de la montée des dangers sont aussi des explications du phénomène. À cet égard, certaines interventions extérieures, sans préoccupation du « jour d’après », au nom de « la responsabilité de protéger » qui inclut juridiquement un bilan a priori moyens/fins, ont conduit à des situations d’anarchie et ont servi de terreau à des organisations terroristes. Le rôle des USA et de la nouvelle administration irakienne limogeant 200 à 300 000 militaires de l’ancien régime, est à l’origine de la création de Daech. La débandade de l’armée syrienne à Raqqa et la prise d’une grande quantité d’armes ont donné des moyens modernes supplémentaires à Daech. L’alimentation du phénomène par certains États de la région complète cette explication. À ceci s’ajoute la lutte entre chiites et sunnites qui provoque des alliances régionales. Les rivalités entre l’Arabie saoudite et l’Iran en interdisent d’autres1. Les relations entre l’Arabie saoudite et le Yemen ont été décryptées par le vice-Président de l’Assemblée nationale du Sénégal.
5Il convient avant tout de connaître l’ennemi, son nombre, ses structures, ses forces, ses méthodes, ses objectifs affichés, ainsi que sa stratégie et sa tactique, mais aussi ses intentions cachées et les aides, visibles ou non, dont il bénéfice, pour trouver la riposte adéquate. Tout ceci implique une vision synoptique d’un phénomène dont chacun des éléments est lui-même complexe et risque d’être difficile, voire impossible, à connaître et à interpréter. Cela implique la prise en compte de la revendication d’une création inédite : un « État islamique » s’installant dans une zone qui n’était plus gouvernée en Syrie et Irak et revendiquant même une extension en Libye. De plus, la création d’un califat, le 4 juillet 2014, inclut à la fois la soumission des sunnites mais aussi l’arrivée d’individus séduits par les objectifs de cette organisation. De plus, il s’agit d’un « État » riche, revendiquant à la fois le retour au VIIe siècle avec les instruments de la modernité comme internet qui permet de recruter des adeptes de manière plus feutrée que selon les modalités traditionnelles.
6Les cas du Cameroun avec Boko Haram et de l’Algérie avec le GIA ont permis de voir les points communs et les spécificités. La proximité de populations de même origine et de même langue, mais séparées par une frontière, explique évidemment que les évènements du Nigéria débordent sur le nord Cameroun. Par ailleurs, l’assentiment plus ou moins réel de la population est aussi un élément qu’il convient de ne pas négliger. L’exemple, a contrario, d’un Sénégal tolérant a été évoqué par le vice-Président de l’Assemblée nationale sénégalaise.
7Les acteurs ont été présents dans chacune des interventions et il convient de noter particulièrement la présence des victimes dans trois communications.
8Les enjeux juridiques ou non ont fait l’objet de prises de positions variées incluant, par exemple, la géopolitique, la realpolitik et le double jeu de certaines puissances. Les intérêts divergents des protagonistes accroissent le caractère trouble de la situation. Des alliances, parfois inattendues, se créent, tributaires de remises à jour dans les priorités. Les politiques françaises et russes et, plus récemment allemande, en sont un bel exemple. Le cas de la Turquie, acteur clé, en est une autre illustration, que met en lumière l’accord avec l’Union européenne du 30 novembre 2015 visant à contenir les réfugiés moyennant une indemnisation et une relance des négociations . Rien n’est figé, ce qui rend encore plus difficile l’appréhension du phénomène.
9Enfin, les réponses juridiques ou non, nationales ou internationales, et les fausses solutions, ont été abordées tout au long des débats à la lumière avec, ici encore, des exemples concrets : ceux des USA et de la France.
10La prévention a été évoquée avec, notamment, la question de l’aide au développement et celle de l’éducation à propos du Cameroun.
11Le financement du terrorisme doit être une priorité en raison de l’attitude de certains États qui aident directement ou indirectement Daech lui en achetant du pétrole, par exemple. Il en va de même en ce qui concerne le tafic d’œuvres d’art. Cela concerne également, indirectement, les relations privilégiées, pour des raisons économiques, avec les États qui y participent2.
12Pour ce qui est des mesures internes, il s’agit de la législation et de la réglementation, adoptée après les attentats, qui visent à empêcher d’autres actes et à sanctionner ceux déjà commis. Il en va ainsi aux USA et en France. À cet égard, les risques de dérive sécuritaire et de régime d’exception3 ont été particulièrement mis en valeur avec, notamment le Patriot Act. Le cas de Guantanamo4, promis à la fermeture, où les USA ont longtemps nié leurs compétences territoriales a été évoqué par plusieurs intervenants. On ajoutera, aussi la sous-traitance de la torture dans les prisons secrètes, qui ont fait l’objet de plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Pour ce qui est de la France, l’État d’urgence décrété le 14 novembre 2015 et prolongé jusqu’au 26 février 2016 a suscité une curieuse réaction du 1er Ministre, M. Manuel Valls, devant le Sénat lors du vote de la loi, le 20 novembre 2015 :
Je suis extrêmement dubitatif sur l’idée de saisir le Conseil constitutionnel. Je souhaite que nous allions vite sur la mise en œuvre des dispositifs [...] que vous allez voter, mais il y a toujours un risque à saisir le Conseil constitutionnel. Si le Conseil répondait que la loi révisée est inconstitutionnelle sur un certain nombre de points, sur un certain nombre de garanties apportées, cela peut faire tomber 786 perquisitions et 150 assignations à résidence déjà faites. Il y a des mesures qui ont été votées hier à l’Assemblée nationale – je pense à celle sur le bracelet électronique, je suis dans la transparence – qui ont une fragilité constitutionnelle. [...] Moi je souhaite que nous allions vite car je souhaite donner [...] aux forces de l’ordre et à la justice tous les moyens de poursuivre ceux qui représentent un danger pour la Nation, la République et les Français.
13Cette prise de position qui rappelle celle du Président Sarkozy après le vote de la loi sur le génocide arménien, inquiet d’une saisine du Conseil constitutionnel qui avait pourtant eu lieu de la part des sénateurs et des députés, en janvier 2012, tend à montrer qui si un texte est contraire à la Constitution, c’est la faute des auteurs de la saisine et de la complicité du juge constitutionnel et qu’il convient d’éviter cette collusion ! Il est préférable de laisser le doute concernant une inconstitutionnalié éventuelle. Cela n’exclut cependant pas une éventuelle inconventionnalité constatée par le juge interne et éventuellement par le juge international, il est vrai, pour ce dernier, dans de nombreux mois. À cet égard, on ajoutera l’information du Secrétaire général du Conseil de l’Europe, en vertu de l’article 15 de la CEDH, indiquant que
De telles mesures sont apparues nécessaires pour empêcher la perpétration de nouveaux attentats terroristes. Certaines d’entre elles, prévues par les décrets du 14 novembre 2015 et du 18 novembre 2015, ainsi que par la loi du 20 novembre 2015, sont susceptibles d’impliquer une dérogation aux obligations résultant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. C’est pourquoi je vous prie de bien vouloir considérer que la présente lettre constitue une information au titre de l’article 15 de la Convention. Il ne s’agit donc plus de limitations permises et et proportionnées aux objectifs choisis, mais de véritables dérogations. Au 2 décembre 2015 , aucune information analogue, requise en vertu de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ne semble avoir été transmise au Secrétaire général des Nation Unies.
14Certaines réponses nationales sont mixtes, ce sont des réactions internes ayant une finalité internationale. Il en va ainsi des situations de guerre évoquées par les USA et la France5. En la matière, le droit international classique ne concerne que des relations interétatiques ce qui n’est pas le cas ici, sauf à donner à ce terme un sens non juridique. Par ailleurs la guerre implique des objectifs à long terme et non des réactions immédiates qui prendraient la forme de représailles qui sont aussi une forme juridique. Il en est de même pour la légitime défense préventive, voire préemptive, qui est une notion juridiquement institutionnalisée par l’article 51 de la Charte des Nations Unies. On utilise ainsi des notions classiques dans le cadre d’une situation totalement inédite.
15Les réponses juridiques internationales viennent de la communauté internationale dans son ensemble mais aussi celle de l’Europe.
16Pour ce qui est de la première les Nations Unies doivent pouvoir jouer un rôle malgré les divergences entre les 5 membres du Conseil de sécurité. L’Assemblée générale a voté une résolution le 8 septembre 20066 considérant que « le terrorisme… constitue une des menaces les plus graves contre la paix et la sécurité internationales ».
17Dès le 12 février 2015, le Conseil de sécurité adoptait à l’unanimité une résolution demandant que soient prises des mesures visant à tarir le financement des groupes terroristes, notamment les ressources pétrolière pour Daech. Plus récemment, le 20 novembre 2015, il a voté aussi à l’unanimité une résolution, proposée par la France, dans laquelle il
demande aux États qui ont la capacité de le faire de prendre toutes les mesures nécessaires, [...] sur le territoire se trouvant sous le contrôle de l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, en Syrie et en Iraq, [...] pour redoubler d’efforts et coordonner leur action en vue de prévenir et de mettre un terme aux actes de terrorisme commis en particulier par ce groupe, ainsi que par le Front el-Nosra et tous les autres individus, groupes, entreprises et entités associés à Al-Qaïda.
18Il les invite également à « éliminer le sanctuaire qu’ils ont créé sur une grande partie des territoires de l’Iraq et de la Syrie ». Il engage les États membres à « intensifier leurs efforts pour endiguer le flux de combattants terroristes étrangers qui se rendent en Iraq et en Syrie et empêcher et éliminer le financement du terrorisme ».
19Cette action revêt plutôt la forme de coordination des actions que de coalition du fait des trop grandes divergences entre les alliés.
20Pour ce qui est de l’Europe, les différentes positions des uns et des autres montrent une difficile politique commune. Ce sont donc, au mieux, quelques rares coopérations bilatérales.
21À la suite de ces très fructueuses prises de positions des intervenants et du public qui s’est largement manifesté se posent une question : sont-ce les nouvelles formes de terrorisme qui sont à l’épreuve du droit ou pas plutôt le droit qui est à l’épreuve, mis à l’épreuve et éprouvé par les nouvelles formes de terrorisme ? Le temps du droit n’est pas celui du terrorisme.
22Au cours des débats a été mentionné la double réponse de la répression et de la prévention ainsi que les diverses formes de répression. C’est sur ces deux points que nous aimerions apporter quelques touches supplémentaires qui viennent partiellement compléter les propos déjà évoqués.
23Il nous a semblé intéressant de jeter un œil sur les conventions existantes dans le système des Nations Unies avant d’aborder essentiellement l’attitude du Conseil de l’Europe. Par ailleurs, en ce qui concerne le cas français, en matière de répression une double question n’a pas été abordée : celle de la juridiction universelle et celle des limites que constituent les immunités de juridictions.
24La première Convention sur la prévention et la répression du terrorisme date de 1937. Elle a été élaborée par la SDN mais n’est jamais entrée en vigueur. Il convient ensuite de noter que la Déclaration universelle des droits de l’homme mentionne la situation des personnes « libérées de la terreur et de la misère ». Les Nations Unies ont élaboré 15 instruments dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cela vise notamment les sécurités maritime, aérienne, la protection du plateau continental et des matières nucléaires.
25Si les Nations Unies ont essentiellement misé sur la répression, Le Conseil de l’Europe a adopté une attitude tout à fait différente.
I. L’activité du Conseil de l’Europe face au terrorisme : entre répression et prévention
26Deux conventions et deux protocoles ont été offerts aux États membres. Elles correspondent aux deux réponses déjà évoquées : la répression puis la prévention.
1. La répression du terrorisme
271.1. La Convention du 27 janvier 1977 s’intitule « Convention européenne pour la répression du terrorisme ». Elle évoque, dans son préambule, des « mesures efficaces pour que les auteurs de tels actes n’échappent pas à la poursuite et au châtiment », en raison de la « multiplication des actes ».
28Le principal et plus efficace moyen juridique est « l’extradition ». L’article 1 affirme :
Pour les besoins de l’extradition entre États contractants, aucune des infractions mentionnées ci-après ne sera considérée comme une infraction politique, comme une infraction connexe à une infraction politique ou comme une infraction inspirée par des motifs politiques. Cela concerne des domaines déjà envisagés par l’ONU : capture d’aéronefs (La Haye 1970), actes illicites contre la sécurité aérienne (Montréal 1971), infractions contre des personnes ayant droit à une protection internationale, y compris les agents diplomatiques (1973). À ceci s’ajoute une question qui ne sera traitée qu’en 1979 à l’ONU : la prise d’otages. En outre, figurent « les infractions comportant l’utilisation de bombes, grenades, fusées, armes à feu automatiques ou de lettres ou colis piégés… L’article 2 admet que pour les besoins de l’extradition… un État contractant peut ne pas considérer comme infraction politique… ou comme infraction inspirée par des mobiles politiques tout acte grave de violence qui n’est pas visée à l’article 1er et qui est dirigé contre la vie, l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes.
29Alors que ce texte n’est pas une convention d’extradition, l’article 3 traite des modalités d’exécution des conventions d’extradition, y compris la Convention européenne d’extradition, qui seraient incompatibles avec ce nouveau texte.
30L’article 5 prévoit la possibilité de ne pas extrader si la demande « a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques… ».
31L’article 13 permet à un État de faire une déclaration affirmant « qu’il se réserve le droit de refuser l’extradition en ce qui concerne toute infraction énumérée dans l’article 1er qu’il considère comme une infraction politique… à condition qu’il s’engage à prendre en considération, lors de l’évaluation du caractère de l’infraction, son caractère de particulière gravité… ».
32Cette convention est entrée en vigueur le 4 août 1978. La France l’a ratifiée le 21 septembre 1987 avec la réserve offerte par l’article 13.1. Elle a fait aussi une déclaration affirmant la conciliation avec « le respect des principes fondamentaux de notre droit pénal et de notre Constitution, laquelle proclame dans son préambule que “tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République” et que “l’application de la Convention européenne ne saurait avoir pour résultat de porter atteinte au droit d’asile”. Enfin, la Convention s’appliquera dans les “Départements européens et d’outre-mer” ». Ce qui signifie, a contrario, que les territoires et autres collectivités d’outre-mer ne seront pas concernés !
33Au 2 décembre 2015, cette convention était ratifiée par les 46 États membres du Conseil de l’Europe. Andorre l’a seulement signée.
34En raison de l’évolution du phénomène, une adaptation a paru nécessaire. Un protocole du 15 mai 2003 a été offert aux États.
351.2. Le Protocole du 15 mai 2003 va apporter des éléments nouveaux dans trois domaines. Il fait référence aux 7 nouveaux textes, postérieurs à 1997, adoptés par les Nations Unies. Cela concerne les matières nucléaires, les aéroports, la navigation maritime, les plates-formes fixes situés sur le plateau continental, les attentats à l’explosif et le financement du terrorisme.
36Par ailleurs, à la « la commission » de tels actes, ont été rajoutés : « la tentative de commettre », « la complicité » et « l’organisation ou le fait de donner l’ordre à d’autres de commettre ou de tenter de commettre ».
37Enfin, au risque de discrimination prévu par la convention pour justifier une non extradition vont être ajoutés de nouvelle interdictions justifiées par l’évolution du droit international des droits de l’homme : l’exposition à la torture, le risque de condamnation à mort et de peine privative de liberté à perpétuité, à moins, pour ces deux derniers cas qu’il n’y ait des « assurances jugées suffisantes » que de telles peines ne seront pas prononcées ou exécutées.
38Ce texte requiert l’unanimité des États parties à la Convention de 1977 pour son entrée en vigueur. Au 2 décembre 2015 il comptait 33 ratifications et 13 signatures. Monaco n’a pas même signé.
39Le Conseil de l’Europe s’est donc penché très tôt sur la seule répression. Ce n’est qu’à la suite de ces deux textes qu’il a envisagé le second volet : la prévention.
2. La prévention s’est faite en deux temps et a justifié une convention et un protocole
402.1. La Convention pour la prévention du terrorisme du 16 mai 2005
41L’« objectif » de la Convention est fixé à l’article 2 : il « est d’améliorer les efforts des Parties dans la prévention du terrorisme et de ses effets négatifs sur la pleine jouissance des droits de l’homme… ». Cela implique des mesures nationales et une coopération internationale au moyen « d’échanges d’informations et de bonnes pratiques ». En outre, elle qualifie, dans ses articles 5, 6 et 7, d’infractions pénales certains actes préparatoires : « provocations publiques à commettre une infraction terroriste », « le recrutement pour le terrorisme » et « l’entrainement pour le terrorisme ». L’article 8 traite de « l’indifférence du résultat » impliquant « qu’il n’est pas nécessaire que l’infraction terroriste soit effectivement commise ». L’article 10 envisage « la responsabilité des personnes morales ». Toutes ces mesures impliquent le respect des obligations contenues dans la CEDH, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et « les autres obligations découlant du droit international ». L’article 13 traite de « la protection », du « dédommagement » et de « l’aide aux victimes du terrorisme ». L’article 18 adopte, en substance, la formule classique « aut dedere aut judicare ». De plus, l’article 19 considère que « les infractions prévues aux articles 5 à 7 et 9… sont de plein droit considérées comme des cas d’extradition dans tout traité d’extradition conclu entre des Parties avant l’entrée en vigueur de la présente Convention ». La réserve « d’exclusion de la clause d’exception politique » figure à l’article 20. La clause de discrimination de l’article 21 reprend les hypothèses de l’article 4 du Protocole de 2003 cité plus haut.
42L’entrée en vigueur a lieu après 6 ratifications dont 4 membres du Conseil de l’Europe. La condition fut remplie le 1er juillet 2007. Le 2 décembre elle comptait 34 ratifications. Elle n’avait pas été signée par la République tchèque, Monaco et le Lichtenstein. La France l’a ratifiée le 29 avril 2008. Aucun des États non membres du Conseil de l’Europe, à qui elle était offerte, ne l’a signée. Il s’agit du Canada, des USA, du Japon, du Mexique et du Saint Siège.
43Ce texte s’est avéré insuffisant à la lumière, ici encore, de l’évolution du phénomène.
442.2. Le Protocole du 22 octobre 2015 a pour objet de « compléter » la Convention en ajoutant des incriminations aux articles 2 à 6. Ce sont les infractions suivantes : « participer à une association ou à un groupe à des fins de terrorisme », « recevoir un entraînement pour le terrorisme », « se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme », « financer des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme » et « organiser ou faciliter par quelque autre manière des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme ».
45Il s’agit donc d’une mise à jour. Il était signé que par 19 États au 2 décembre 2015. 18 l’avaient signé lors de la cérémonie de signature le 22 octobre 2015.
46Dans un second point nous nous pencherons sur deux autres questions qu’aborde le droit français.
II. Le cas français. La répression des actes de terrorisme et ses limites : de la juridiction universelle et des immunités de juridiction
47Le lien entre les deux a été mis en exergue dans l’opinion individuelle du Président Gilbert Guillaume dans l’arrêt de la Cour internationale de justice, sur le mandat d’arrêt, RDC c. Belgique du 14 février 2002. Les immunités ne peuvent être invoquées que si le tribunal est compétent !
48Le terrorisme a fait l’objet d’une adaptation du code pénal qui reprend l’essentiel de ce qui figure dans les textes onusiens. L’article 421.1 issu de la loi du 13 novembre 2014 mentionne le détournement d’aéronefs et de navires, l’infraction de blanchiment, la protection des matières nucléaires, la protection de l’atmosphère, du sol, du sous-sol et de l’eau. Le code pénal traite aussi de la juridiction universelle. Le droit international, relayé par la jurisprudence de la cour de cassation, vient cependant apporter un bémol à la répression en prenant en considération, dans certaines hypothèses, les immunités de juridiction.
1. La juridiction universelle est envisagée aux articles 689-1 à 13 du code de procédure pénale
49En vertu de l’article 689-1 du code de procédure pénale « … peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République » des infractions énumérés aux articles suivants. Sur les 12 cas, d’inégales importances puisqu’à l’article 689-12 figurent les infractions routières, le terrorisme est concerné par 7 cas. Y figure, dès le 23 juin 1999, la Convention de 1977 précitée. À ceci s’ajoutent 6 conventions des Nations Unies, elles aussi déjà évoquées.
50L’article 689-11 du 9 août 2010 concernant la mise en œuvre du statut de la CPI peut être ajouté à l’arsenal dans la mesure où le terrorisme peut être considéré comme un crime de guerre.
Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s’est rendue coupable à l’étranger de l’un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l’État où ils ont été commis ou si cet État ou l’État dont elle a la nationalité est partie à la convention précitée. La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l’extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s’assure auprès de la Cour pénale internationale qu’elle décline expressément sa compétence et vérifie qu’aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n’a demandé sa remise et qu’aucun autre État n’a demandé son extradition.7
51Dans l’affaire Galic IT-98-9 du 5 décembre 2003, le Tribunal international sur la Yougoslavie a pris en considération la volonté de répandre la terreur dans la population civile à l’occasion de violences et d’atteintes graves à l’intégrité physiques ou à la santé de personnes à Sarajevo8. Il est même question de « crime de terrorisation »9.
52Toutefois, la compétence des juridictions françaises reste limitée. D’une part, contrairement à toutes les autres dispositions de l’article 689 du CPP, qui n’exigent que la « présence » de la personne poursuivie, ici il est question de « résidence habituelle ». D’autre part, il faut que « les faits soient punis par la législation de l’État » où les actes ont été commis. De plus, seul le ministère public est compétent pour engager les poursuites. Enfin, celui-ci doit s’assurer que la CPI décline sa compétence, qu’aucune autre juridiction internationale n’a « demandé sa remise » et qu’aucun « État n’a demandé son extradition ». Cela fait donc beaucoup de conditions et donne l’impression que la France n’a pas trop envie de juger les criminels concernés. On notera aussi l’inversion du principe de subsidiarité qui implique que la CPI n’est compétente que si l’État ne l’est pas où s’il ne remplit pas ses obligations.
53À cette possible extension des compétences française correspondent, cependant, des restrictions partielles : les immunités de juridiction.
2. Les immunités de juridiction
54Elles sont doubles. Elle concerne l’immunité de juridiction des États et l’immunité de certaines personnes.
552.1. L’immunité de juridiction de l’État libyen a été examinée dans l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 13 mars 2001 concernant l’explosion du DC 10 d’UTA au-dessus du désert du Ténéré. Elle conclut, dans un arrêt très bref : « Attendu que, pour confirmer l’ordonnance du juge d’instruction disant y avoir lieu à informer, nonobstant des réquisitions contraires du ministère public, les juges du second degré retiennent que, si l’immunité des chefs d’État étrangers a toujours été admise par la société internationale, y compris la France, aucune immunité ne saurait couvrir les faits de complicité de destruction d’un bien par l’effet d’une substance explosive ayant entraîné la mort d’autrui, en relation avec une entreprise terroriste ; Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors qu’en l’état du droit international, le crime dénoncé, quelle qu’en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’État étrangers en exercice, la chambre d’accusation a méconnu le principe susvisé ».
56Il est complété par un arrêt de la 1re chambre civile du 9 mars 2011. Alors que l’arrêt attaqué avait refusé l’immunité de juridiction en constatant que « l’existence d’un but légitime et d’un rapport raisonnable de proportionnalité sont exclus lorsque la responsabilité d’un État est recherchée sur le fondement d’actes de terrorisme » et constaté une violation de l’article 6.1 de la CEDH, la chambre civile fait prévaloir cette immunité. Le raisonnement repose très largement sur l’arrêt GC Al Adsani de la CourEDH du 21 novembre 2001, rendu à 9 voix contre 8 ! « Mais attendu que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé dans son arrêt Al-Adsani c/ Royaume-Uni du 21 novembre 2001, que “l’octroi de l’immunité souveraine à un État dans une procédure civile poursuit le but légitime d’observer le droit international” et “qu’on ne peut dès lors en règle générale considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6, paragraphe 1, des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des principes de droit international généralement reconnus en matière d’immunité des États. De même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des États” ; Attendu que, à supposer que l’interdiction des actes de terrorisme puisse être mise au rang de norme de jus cogens du droit international, laquelle prime les autres règles du droit international et peut constituer une restriction légitime à l’immunité de juridiction, une telle restriction serait en l’espèce disproportionnée au regard du but poursuivi dès lors que la mise en cause de l’État étranger n’est pas fondée sur la commission des actes de terrorisme mais sur sa responsabilité morale ; qu’ensuite, si le risque de déni de justice à l’étranger peut, dans certaines hypothèses exceptionnelles, constituer un chef complémentaire de compétence internationale des tribunaux français, il ne peut en aucun cas faire fléchir une règle par laquelle le droit français interdit aux tribunaux français de connaître d’un litige ; que le moyen n’est pas fondé ».
57Cette prévalence de l’immunité de juridiction des États rejoint la jurisprudence de la Cour internationale de justice dans l’affaire Allemagne c. Italie (et Grèce) du 3 février 2012.
58On notera, cependant, que la Convention des Nations Unies sur les immunités de juridictions des États et de leurs biens du 2 décembre 2004, ratifiée par la France le 12 août 2011 prévoit, dans son article 12, l’absence d’immunité de juridiction « … dans une procédure se rapportant à une action ou réparation pécuniaire en cas de décès ou d’atteinte grave à l’intégrité physique d’une personne... ».
592.2. La CIJ reconnaît aussi l’immunité des gouvernants dans l’arrêt RDC c. Belgique du 14 février 2002. La CPI, qui juge des individus, déroge cependant à ce principe.
60Toutefois Daech n’étant pas un État reconnu comme tel, et ses dirigeants ne bénéficiant pas de la qualité de membres de gouvernement, cette jurisprudence ne leur est, sans aucun doute, pas applicable. Il s’agit de délinquants de droit commun.
Notes de bas de page
1 Les bonnes relations avec l’Arabie saoudite tiennent non seulement à cet équilibre mais aussi au fait qu’elle est productrice de pétrole et qu’elle ne remet pas en cause l’existence d’Israël.
2 « Les finances de l’État islamique, cible d’une guerre secrète », Le Monde, 29- 30 novembre 2015.
3 Interview de M. DELMAS-MARTY, « Le droit d’exception risque de devenir la règle », Le Monde, 18 novembre 2015.
4 « Le Congrès américain bloque la fermeture de Guantanamo », Le Monde, 12 novembre 2015.
5 Le dossier du Monde diplomatique de décembre 2015, « Dans l’engrenage de la terreur » et « L’art de la guerre imbécile » formule du B. OBAMA, élu de l’Illinois, le 2 octobre 2002.
6 Résolution 60/288, A/RES/60/288, 20 septembre 2006.
7 Art. 689-11 du code de procédure pénale issue de la loi n° 2010-930 du 9 août portant adaptation du droit pénal à l’institution de la cour pénale internationale.
8 §§ 564 à 579.
9 § 600.
Auteur
Professeur émérite, Université de Rennes 1, Faculté de droit et science politique
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2001-2010. Dix ans de transparence en droit des sociétés
Edith Bary-Clément et Jean-Christophe Duhamel (dir.)
2011
Qui suis-je ? Dis-moi qui tu es
L’identification des différents aspects juridiques de l’identité
Valérie Mutelet et Fanny Vasseur-Lambry (dir.)
2015
Le renforcement de la limitation du cumul des mandats et des fonctions
Regards sur les lois ordinaire et organique du 14 février 2014
Patricia Demaye-Simoni (dir.)
2016
Explorer le champ lexical de l’égalité femme/homme
Patricia Demaye-Simoni, Valérie Mutelet et Fanny Vasseur Lambry (dir.)
2022