Le « droit pénal antiterroriste » : un vecteur de limitation des libertés et de pénalisation des mouvements sociaux ?
p. 133-143
Texte intégral
1Le terrorisme et son corolaire l’antiterrorisme sont des notions transversales qui touchent de nombreuses disciplines notamment les sciences sociales1 politiques et juridiques.
2En tant que juriste – pénaliste – c’est avec regret que j’observe ma discipline chercher à traiter les questions de terrorisme et d’antiterrorisme en éludant les paramètres autres que juridiques.
3Depuis 2001, une véritable frénésie législative a frappé le « monde occidental »2 pour qui lutter contre la menace terroriste pesant sur nos sociétés, nos modes de vie et nos systèmes politiques et institutionnels est devenue la priorité des priorités. Et aujourd’hui plus jamais le phénomène est d’actualité.
4Le péril terroriste qui ne cesse d’évoluer, voire de muter est au centre des préoccupations de tous les gouvernements. Des États-Unis à l’Iran, de la Russie à l’Arabie Saoudite, en passant par tous les États membres de l’Union européenne, chaque État a sa politique antiterroriste et dit lutter contre le terrorisme. Bien évidemment les définitions du terrorisme données par les uns et les autres sont bien différentes. Si le phénomène est universel, la définition elle est loin de l’être.
5Ces journées d’étude sont pour nous l’occasion de nous interroger sur les nouvelles formes que prend le terrorisme et l’impact qu’ont ces nouvelles formes sur nos législations. Qui du droit ou du terrorisme est à l’épreuve de l’autre ? Voilà une question qui taraude une bonne partie de la communauté juridique et qui va être au cœur de cette contribution. Les pratiques et techniques de lutte contre le terrorisme mises en place depuis une quinzaine d’années n’hésitent plus à s’inscrire sur des lignes attentatoires aux droits de l’homme et aux libertés publiques ; situation qui soulève immanquablement de nombreuses questions relatives au devenir du modèle occidental de l’État de droit.
6Les définitions des notions de terrorisme et d’antiterrorisme restent floues. Les différents intervenants se sont intéressés aux divers aspects, juridiques, politiques ou sociologiques de ces phénomènes. Il s’avère que le travail de conceptualisation est loin d’être terminé.
7La présente contribution se veut plus axée sur les aspects pénaux du phénomène et vise à s’intéresser aux applications et conséquences pratiques du droit de l’antiterrorisme. Il ne s’agit pas ici n’est pas d’être exhaustif – ces quelques pages ne sauraient suffire – mais de dégager les grandes tendances textuelles qui se sont imposées depuis les attentats du 11 septembre 2001.
8Ainsi on peut noter que de plus en plus les qualifications retenues tendent à l’incrimination de l’intention terroriste et de la participation au groupe. L’acte matériel n’est plus au centre du débat. Dorénavant, on s’intéresse à tout ce qui se passe en amont de cet acte.
9Dans le même temps, les différentes définitions dégagées par le droit positif continuent de viser les faits à caractère politique, car la volonté de déstabiliser les fondements constitutionnels d’un État ou d’une institution est toujours au cœur de la définition du terrorisme.
10Sachant que les mouvements sociaux peuvent avoir pour but de déstabiliser les fondements des entités contre lesquels ils sont dirigés ou dans lesquels ils opèrent3, ne pourraient-ils pas se voir appliquer ces législations adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ? Le droit pénal antiterroriste, vecteur de cette lutte contre la menace terroriste, ne risque-t-il pas de dévier de son but originel pour devenir un frein au développement de ces mêmes mouvements et par la même limiter les droits et libertés, fondements de l’État de droit ?
11Pour répondre à ces interrogations, je propose tout simplement que l’on fasse un état des lieux du droit pénal antiterroriste en prenant quelques exemples et que l’on s’intéresse ensuite aux conséquences que ces différentes dispositions pourraient avoir sur nos libertés et droits individuels et collectifs.
I. Une définition aux contours flous
12S’il n’existe pas de définition unique du terrorisme, nous disposons malgré tout d’un large éventail de textes internationaux, régionaux ou nationaux qui viennent définir les comportements terroristes.
1. Au niveau international
13Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, on a envisagé le phénomène terroriste sous l’angle des conventions sectorielles4, pas moins de 13 en tout. Ainsi, différentes conventions ont été adoptées afin de réprime les actions qualifiables de terroristes. Schématiquement un nouvel instrument international était adopté pour répondre à chaque nouveau comportement considéré comme terroriste : un groupuscule détourne un aéronef, l’ONU incrimine comme terroriste le détournement d’aéronef5. Un autre kidnappe des sportifs de haut niveau, l’ONU vient dire que c’est un comportement terroriste6, etc.
14À la fin des années 1990 une autre technique s’est peu à peu imposée, celle des listes communément appelées « noires » ; technique qui va définitivement s’assoir avec les attentats ayant visé les États-Unis en septembre 2001. Ces listes noires visent tous les groupes et personnalités que le Conseil de Sécurité estime être terroristes. Un exemple entre autres, la liste des personnalités ou groupes proches de l’organisation Al-Qaïda ou participant à son financement7.
15Sur le plan juridique cette technique est loin de fournir tous les gages de sécurité juridique puisque la décision d’inscription ou de non inscription sur ces listes est politique et relève des politiques.
16Ici, nul besoin d’évoquer un droit de regard des juges ou de s’attarder sur la question du respect des droits des mis en cause ; tout cela n’existe pas. Dès 2007, le parlementaire suisse, Dick MARTY, dans un rapport soumis à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe relevait toutes les difficultés soulevées par les listes noires de l’ONU comme celles de l’UE8.
17C’est en terme de procédure notamment que ces listes posent problème puisque les accusés ne peuvent pas véritablement se défendre. Dans la procédure d’inscription des listes, les échanges diplomatiques dans lesquels les accusés n’ont pas leur place viennent suppléer les tribunaux (qui certes peuvent condamner mais qui permettent toujours à l’accusé de se défendre). Au caractère politique du terrorisme, une réponse non moins politique est donc apportée au plus haut niveau par le Conseil de Sécurité.
18Les difficultés naissent du fait que le jeu diplomatique laisse une marge de manœuvre certaine aux États qui peuvent choisir de réprimer certains groupes tout en en soutenant d’autres. Tout cela n’est jamais ni officiel, ni reconnu mais bien réel. La géopolitique ne laisse que peu de place au Droit.
19Quid justement de l’impact de la géopolitique sur le droit en terme de qualification terroriste ?
20L’histoire récente nous a prouvé que les États pouvaient aisément changer leur position concernant une organisation ou une personnalité. Pierre Bourdieu nous enseigne que l’État est un organisme (vivant ?) qui a le monopole sur tout et qui agit en fonction de ses intérêts9. En fonction de la variation de ses intérêts chaque État peut être amené à modifier sa position. Chaque changement de position des États – les plus puissants notamment – va inéluctablement influencer les débats internationaux et notamment celui sur la reconnaissance ou non de la qualité de terroriste. Il s’avère ainsi que la frontière entre terroriste et non terroriste est finalement assez ténue et peut être franchie à n’importe quel moment.
21Quelques exemples récents peuvent être cités :
Nelson Mandela et Yasser Arafat étaient considérés terroristes, tout comme les organisations qu’ils dirigeaient, puis on les a vus devenir d’abord résistants, puis lauréats du prix Nobel de la Paix et enfin chefs d’État reçus partout avec les honneurs.
L’évolution inverse est aussi possible : dans les années 1980 Al-Qaïda était considérée comme un mouvement de Moudjahidines ô combien respectable, épris de liberté et en résistance contre l’oppresseur soviétique. Depuis la fin des années 90 et notamment les attentats du 11 septembre elle est devenue l’ennemi public numéro 1.
La période d’attente ou la phase de passage d’un qualificatif à un autre est une sorte de purgatoire dans lequel patientent certaines organisations qui espèrent toujours se reconnaître une certaine légitimité. Pendant cette phase de transition, ces organisations sont parfois terroristes et infréquentables et d’autres fois bien moins terroristes et beaucoup plus fréquentables. À l’instar du PKK10, et plus particulièrement sa branche syrienne (PYD)11, qui toujours placé sur les listes noires européennes et internationales, devient une organisation de plus en plus respectable parce qu’elle est concrètement la seule à en combattre une autre totalement détestable : Daech12. En témoignent les clichés diffusés sur le site de la Présidence de la République13 mettant en scène le Président Hollande avec des combattantes du PYD14.
22Ces quelques exemples nous démontrent au moins une chose : les définitions politiques du terrorisme ne sont ni viables ni fiables !
2. Au niveau communautaire
23L’Union européenne a emboité le pas aux Nations Unies. Dès le 27 décembre 2001, elle a dressé sa propre liste renouvelée tous les 6 mois15 et sur laquelle le PKK se trouve. Mais l’Union a essayé de donner sa propre définition du terrorisme. Elle ne se contente pas de lister les personnes ou entités considérées comme terroristes mais va aussi essayer de définir quels sont les comportements objectivement qualifiables de terroristes.
24En la matière, la décision cadre de 200216 demeure le texte de référence. Par cette décision, l’Union vient demander aux États membres de définir ou de redéfinir comme terroristes un ensemble d’infractions. La liste, assez longue, ne sera pas ici reprise intégralement mais rappelons juste que la décision intègre le caractère politique des infractions dites terroristes. Son article 1er dispose « Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que soient considérés comme infractions terroristes les actes intentionnels visés aux points a) à i), tels qu’ils sont définis comme infractions par le droit national, qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale lorsque l’auteur les commet dans le but de… gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale ».
25En retenant, la déstabilisation des États ou institutions comme mobile des actes de terrorisme, le droit communautaire vient s’inscrire dans une longue tradition du droit internationale qui veut que la qualification terroriste vise avant tout des faits à caractère politique. C’est précisément l’élément qui mérite une attention particulière. La « volonté de déstabiliser un État » ne correspond-elle pas à l’essence même de tout mouvement social ou revendicatif ?
26Des exemples récents sont venus nous rappeler cette réalité : les révolutionnaires de la Place Tahrir ou ceux de Bengazi n’avaient-ils pas pour seul but de déstabiliser le système étatique ou bien le régime en place ? Et cela, ne l’ont-ils pas fait en ayant recours à la violence ? Notons d’ailleurs que la réaction immédiate des chefs d’État visés par les mouvements du Printemps Arabe17 fut de dire « ces mouvements sont terroristes ». Force est de constater qu’au regard de la plupart des textes traitant de l’antiterrorisme, ils n’avaient pas totalement torts. Pourtant dans le même temps, toute l’Europe, et un peu tout le monde d’ailleurs, saluait les soulèvements populaires de ces différents peuples contre la tyrannie. Une fois encore, il s’avère que la dénomination terroriste relève d’un choix totalement politique qui entre parfaitement dans le cadre de ce qu’Howard Baker (Howard Becker) appelle la labellisation18. L’utilisation du qualificatif « terroriste » vise ainsi à dénigrer celui qui s’oppose à vous. En le dénigrant, le dominant espère retirer toute légitimité à l’opposant. Nous ne savons toujours pas comment dissocier le terroriste du combattant de la liberté. Nous ne savons pas non plus dissocier celui qui réclame des droits légitimes de celui qui veut pousser la société dans l’obscurantisme. Les États viennent dire qui est terroriste ou non ; à charge ensuite pour le droit interne de chacun de ces États de venir appréhender le terrorisme au niveau national.
II. L’arsenal juridique de lutte contre le terrorisme en France
27En France, il n’existe pas de liste noire nationale. Seuls existent des fichiers tenus par les services de renseignement qui viennent recenser les personnes considérées comme proches d’organisations terroristes. Depuis les attentats de janvier 2015, nombreuses sont les personnalités politiques qui évoquent ces fichiers en soutenant qu’on pourrait prévenir de nouveaux attentats en soumettant tous ceux qui y sont recensés à plus de contrôle ou à un meilleur contrôle. La polémique est lancée et elle n’est pas prête de prendre fin.
28Plutôt que d’avoir recours à ces listes, le droit positif français préfère lister un ensemble d’infractions qui peuvent recevoir la qualification terroriste lorsqu’elles sont commises intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur19. Le Code pénal ne donne donc pas une définition précise du terrorisme, le choix a été fait par le législateur d’incriminer certains comportements ayant des visées terroristes.
29Ces infractions prennent la qualification terroriste dès lors qu’elles « sont commises intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Cette rédaction est importante puisqu’elle nous rappelle clairement que les infractions terroristes sont des infractions intentionnelles, leurs mobiles étant de troubler gravement l’ordre public.
30Pour en arriver à la rédaction actuelle des articles 421-1 et suivants du Code Pénal, la France a adopté quelques 15 lois en matière de terrorisme, c’est-à-dire que contrairement aux idées reçues notre arsenal juridique est très fourni. La la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme est la première du genre. Cette loi fait d’ailleurs suite aux attentats survenus en France au milieu des années 80 ; à ce titre elle est la première d’une longue lignée de lois votées en réaction à l’actualité.
31Le gouvernement actuel ne déroge pas à la règle, depuis 2012 trois lois ont été adoptées :
Celle du 21 décembre 201220, qui vient sanctionner l’apologie et/ou l’incitation au terrorisme sur Internet ;
Celle du 13 novembre 2014, qui vient compléter les mécanismes déjà existants. Cette loi a fait l’objet d’un avis de la CNCDH du 25 septembre 201421 ;
Celle du 24 juin 2015, dite « loi sur le renseignement », qui vise par le biais d’une surveillance généralisée sur internet à lutter contre la préparation d’attentat.
32Cette accumulation de textes impacte considérablement la lisibilité de notre arsenal pénal de lutte contre le terrorisme. Elle ne permet plus une lecture claire de la législation antiterroriste. Situation qui faisait écrire au Professeur FAYARD que tenter de « dresser le bilan d’une législation récente dans une matière aussi dense que le terrorisme, alors que les textes ne connaissent aucun répit depuis longtemps, c’est un peu se risquer sur le terrain d’une entreprise impossible »22. Cet avis est d’ailleurs partagé par la CNCDH qui dans l’avis précédemment cité estimait qu’une « fois de plus, […] l’élaboration à un rythme effréné de projets de loi ne permet pas une évaluation complète et rigoureuse du droit en vigueur, de manière à ce que soit dressé un bilan de la pertinence et de l’efficacité des mesures existantes ».
33Malgré tout, on peut relever que certaines tendances se dégagent de ces différents textes.
1. On s’éloigne de plus en plus de l’élément matériel de l’infraction pour se rapprocher dangereusement de la répression de la seule intention
34L’incrimination du fait terroriste en lui-même n’est plus discuté. Afin d’améliorer la prévention des actes de terrorisme, le choix a été fait de s’intéresser à tout ce qui gravite autour de l’acte matériel en lui-même. Ainsi, les notions de financement, de soutien, d’apologie (au cœur de la loi sur le renseignement) de participation à l’entreprise terroriste sont celles qui reviennent le plus souvent lorsqu’on évoque la répression du terrorisme.
35N’oublions pas que si notre Code pénal prévoit la possibilité d’un acte terroriste individuel, en matière de lutte contre le terrorisme on continue à réfléchir en terme de réseau. Pour faire simple nul nécessaire de prouver que l’agent a commis un acte, la seule preuve de sa participation à un groupe, de sa participation au financement ou bien d’un soutien un peu trop virulent suffiront à le réprimer au titre de la participation à un groupe ou une entente établie en vue de la préparation d’actes de terrorisme23. Pour éradiquer les réseaux potentiels, il faut ratisser le plus large possible pour éviter les attentats en préparation ou envisagés.
2. La répression ne vise ainsi plus l’agent ou l’auteur de l’acte terroriste en lui-même mais de tous ceux qui gravitent autour de lui
36On va cette fois venir incriminer le groupe. En matière d’antiterrorisme, l’article 421-2-1 du Code pénal dispose que « constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupe formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ». Cet article vient réprimer de manière autonome la participation à l’association terroriste et ce sans la moindre référence à un quelconque élément moral. La participation à un groupement peut se voir réprimer sans rechercher s’il y avait une quelconque intention terroriste. En l’état actuel des choses, le simple fait d’être en lien avec un individu accusé de terrorisme peut valoir une accusation de participation à une telle association.
3. Le contre coup sur les droits et libertés individuels et collectifs
37Depuis septembre 2001, le monde occidental est pris dans un cercle vicieux : pour combattre le terrorisme des interventions politiques ou militaires ont lieu un peu partout dans le monde24. Ces interventions plus ou moins réussies ont pour contre coups d’apporter sur notre sol ou bien de réveiller sur notre sol un ensemble d’individus prêts à tout pour se venger, pour faire le Djihad, pour faire mal, pour mettre le désordre, etc…
38Pour enrayer le phénomène on doit prendre les dispositions légales permettant d’arrêter la marche de ces illuminés. On va venir demander au Droit de régler un problème que les politiques ont créé. S’il n’est pas question de justifier le passage à l’acte, on ne peut raisonnablement passer outre ce background politique ou géopolitique ô combien important en la matière.
39Il convient de rappeler que dès 2001, George W. Bush, et les néo-conservateurs dont il se faisait le porte-parole, évoquaient la « war on terrorism »25. Cette nouvelle doctrine et le vocabulaire qui va avec sont loin d’être anodins. Il ne s’agit plus à partir de 2001 de pendre quelques mesurettes contre des groupes plus ou moins organisés, il s’agit véritablement de déclarer la guerre à une nouvelle forme de terrorisme.
40Il est vrai qu’avec Al-Qaïda, le terrorisme a un pris une nouvelle tournure : il n’est plus limité géographiquement et les prétentions territoriales ou idéologiques ne sont plus au cœur des revendications. La menace devient diffuse et surtout les moyens mis en œuvres sont sans commune mesure avec ceux précédemment mis en œuvre. La guerre a aussi été déclarée au sens propre puisqu’à peine quelques semaines après le 11 septembre l’Afghanistan26 et quelques mois plus tard l’Irak27 étaient attaquées.
41Au niveau interne, la réponse des néo-conservateurs américains fut sommes toutes assez simple : il faut restreindre des libertés pour sauvegarder la sécurité. Ce sont les ennemis intérieurs qui sont visés et pour les éradiquer, on va avoir recours à un texte pour le moins restrictif de liberté : le « Patriot act » adopté le 25 octobre 2001. Ainsi l’état d’esprit belliqueux dans lequel se trouvait l’administration Bush a trouvé une traduction juridique. Moins de deux mois après les attentats, les États-Unis sont venus se doter avec cette loi d’un arsenal législatif lui permettant de surveiller, contrôler etc. pour prévenir tout nouvel attentat.
42En France et en Europe, cette position très radicale n’a pas fait l’unanimité en 2001 mais depuis l’idée a fait son chemin et aujourd’hui un peu partout le débat fait rage : ne faut-il pas limiter les libertés pour sauvegarder la sécurité ?
43Le simple fait que ce débat ait pu s’imposer de ce côté de l’Atlantique est déjà en lui-même symptomatique des maux qui touchent notre continent. N’oublions pas que depuis la fin de la deuxième guerre mondiale l’idéal européen est imprégnée de la liberté sous toutes ses formes : liberté de commerce, liberté de circulation, liberté d’installation… À l’heure actuelle, les défenseurs d’une politique plus stricte mettent en avant l’argument selon lequel l’Europe est devenue une cible potentielle pour les terroristes car justement elle accorde trop de liberté aux ennemis mêmes de la liberté. Pour les adeptes de cette position, une limitation des libertés – voire de l’État de droit dans son ensemble – est nécessaire pour lutter contre le terrorisme.
44Cette conception est discutable en de nombreux points. Tout d’abord, rappelons que certains États ont déjà succombé à la tentation du tout sécuritaire (ou du moins « du quasi tout sécuritaire ») : les États-Unis et la Russie par exemple. Alors que les américains se dotaient d’instruments juridiques unanimement reconnus comme liberticides : Guantanamo, recours à la torture, les SuperMax Detention, la Russie, elle, optait pour des méthodes plus que limites en Tchétchénie. Dans les deux cas, l’échec n’a pas pu être évité. L’État de droit en a pris pour son grade mais le terrorisme n’a pas disparu et semble-t-il nombre des terroristes visés sont devenus des martyrs aux yeux de ceux qui ont décidé par la suite de suivre leurs traces. Finalement, les solutions sécuritaires ne donnent pas forcément les résultats que l’on attend.
45Pour en revenir à notre thème de départ de la présente contribution, l’impact des législations antiterroristes sur les mouvements sociaux, nous pouvons voir que si les mesures adoptées pour enrayer le terrorisme n’ont pas véritablement permis d’y mettre fin, elles ont néanmoins ouvert la voie à une limitation de nombre de nos libertés. Grâce à cet arsenal législatif on peut aujourd’hui surveiller les individus et groupes considérés comme trop subversifs. N’oublions pas que la subversion politique n’est jamais bien vue par les gouvernements (et ce, quels qu’ils soient). Or la subversion politique est au centre des méthodes et moyens d’action des mouvements sociaux.
46L’Europe telle que nous la connaissons a mis plus de 60 ans à se construire en prônant justement l’ouverture et la liberté. Ceux qui soutiennent l’idée d’une Europe qui doit limiter la (les) liberté(s) pour assurer sa sécurité s’inscrivent dans un mouvement qui dépasse le simple débat juridique. Ils participent d’un renouveau néo-conservateur qui n’hésitent pas à soutenir que dans certains cas l’État de Droit peut être limité. Un parallèle peut être fait avec les débats économiques du moment. On peut voir que ceux qui remettent en cause l’État providence tel que l’Europe l’a réinventé depuis la 2e Guerre Mondiale sont ceux-là mêmes qui prônent une limitation de l’État de Droit. L’idée centrale étant que l’État providence n’a plus lieu d’être parce que le monde a changé, qu’il faut libéraliser pour enrichir et qu’on ne plus accorder les mêmes droits sociaux qu’en 1945. Cette idéologie trouve écho dans les théories juridico-politiques qui soutiennent que l’État de Droit doit lui aussi être limité au regard des dangers qui le guette. Leurs logiques semblent très proches.
47Ainsi, ce débat sur les nouvelles formes du terrorisme à l’épreuve du droit n’est que le reflet d’un débat bien plus général sur le modèle de société que le monde occidental, l’Europe et plus particulièrement la France souhaitent voir se concrétiser. Doit-on véritablement sacrifier nos libertés à notre sécurité ? La réponse est certes à débattre mais une chose est sûre au regard de notre histoire proche : il est facile de bouger le curseur de la liberté vers la sécurité mais en revanche il est extrêmement dur – voire impossible – de ramener le curseur de la sécurité vers la liberté.
48Cette contribution ayant été rédigée avant le 13 novembre 2015, mon choix a été fait de ne pas l’actualiser et ne pas y inclure tous les débat autour de l’État d’urgence sous lequel nous nous trouvons et auquel nous devons nous habituer.
49C’est avec la plus grande émotion que je m’incline devant la mémoire de toutes les victimes de ces attentats qui ont touché Paris et avec elle chacun de nous.
Notes de bas de page
1 M. WIEWORKA, Sociétés et terrorisme, Fayard, 1988.
2 Appellation qui ne me satisfait guère mais qui malheureusement s’est imposée dans le langage commun. Sur le plan conceptuel, cette notion renvoie au choc des civilisations de Samuel HUNTINGTON.
3 A. TOURAINE, Critique de la Modernité, Fayard, 1992.
4 https://treaties.un.org/Pages/DB.aspx?path=DB/studies/page2_fr.xml&clang=_fr
5 Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs. Signée à Tokyo le 14 septembre 1963 (Déposée auprès du Secrétaire général de l’Organisation de l’aviation civile internationale).
6 Convention internationale contre la prise d’otages. Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979.
7 http://www.un.org/press/fr/2014/SC11575.doc.htm.
8 D. MARTY, rapport « Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union européenne », 2007, http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/2007/ fdoc11454.htm
9 P. BOURDIEU, Sur l’État, Cours au Collège de France 1989-1992, Paris, Seuil, 2012.
10 Parti des Travailleurs du Kurdistan, reconnu terroriste au niveau international et européen.
11 Parti de l’Unité démocratique.
12 Organisation située à cheval entre la Syrie et l’Irak et qui s’est autoproclamée « État Islamique ». Elle est au centre de tous les débats aujourd’hui.
13 Information reprise par la chaîne France 24 : http://www.france24.com/fr/20150210-france-kurdes-syrie-francois-hollande-paris-état-islamique-pyd-ypg-pkk-turquie-terroriste et le Figaro http: //www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/02/09/97001- 20150209FILWWW00419-hollande-recoit-des-kurdes-syriens.php notamment.
14 Parti de l’Union Démocratique, branche syrienne du PKK.
15 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex : 32001E0931
16 DC cadre 2002/475/JAI ; http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv : l33168
17 Cette appellation ne me parait guère adéquate mais elle fait partie de ces notions qui sont entrées dans nos langages courants.
18 Notion tirée des travaux du sociologue de l’école de Chicago, H. Becker, Outsiders.
19 Articles 421-1 et s. du Code pénal recensent toutes les infractions qui peuvent se voir qualifier de terroristes.
20 La loi n° 2012-1432 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.
21 CNCDH, Assemblée plénière, Avis sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, 25 septembre 2014.
22 Y. MAYAUD, « La politique pénale d’incrimination du terrorisme à la lumière de la législation récente », AJ Pénal, 2013, p. 442.
23 Article 421-2-1 du code pénal.
24 Ici, le choix est fait de ne pas citer de source particulière sachant que les interventions en Lybie, en Irak voire en Syrie continuent d’occuper quotidiennement nos débats dans la presse et les médias.
25 La guerre contre le terrorisme.
26 Les premiers bombardements ont eu lieu dans la nuit du 7 au 8 octobre 2001, c’est-à-dire moins d’un mois après les attentats du 11 septembre.
27 Officiellement elle a débuté le 20 mars 2003.
Auteur
Doctorant à l’Université Paris Ouest La Défense Nanterre, Membre du Centre de droit pénal et de criminologie
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
2001-2010. Dix ans de transparence en droit des sociétés
Edith Bary-Clément et Jean-Christophe Duhamel (dir.)
2011
Qui suis-je ? Dis-moi qui tu es
L’identification des différents aspects juridiques de l’identité
Valérie Mutelet et Fanny Vasseur-Lambry (dir.)
2015
Le renforcement de la limitation du cumul des mandats et des fonctions
Regards sur les lois ordinaire et organique du 14 février 2014
Patricia Demaye-Simoni (dir.)
2016
Explorer le champ lexical de l’égalité femme/homme
Patricia Demaye-Simoni, Valérie Mutelet et Fanny Vasseur Lambry (dir.)
2022