Écriture et pouvoir : l’exemple de l’aphorisme dans L’Homme révolté d’Albert Camus
p. 145-152
Texte intégral
L’écriture, la parole camusienne vacillent entre deux infinis : le verbe total et le silence ineffable, le soupir. D’un côté, l’écriture prolixe, paroxystique. De l’autre, la concision qui frôle le silence. Tout est dans le non-dit, parole en pointillé, en suspension, flottant entre le blanc, le silence qui enserre la pensée, l’aphorisme.
1Il existe dans L’Homme révolté de Camus des foyers de concentration, des « énoncés simples » dont la deixis textuelle est indigente, qui semblent fermés sur eux-mêmes. Le discours s’appuie sur de véritables fragments de « savoir » pour se légitimer et s’authentifier. L’énoncé aphoristique affiche de façon ostentatoire sa nature « autre » par rapport à l’énoncé philosophique. La réflexion sur ces idées permet de tirer des conclusions, à dégager des théories sur la vie, sur les hommes ; le ton devient sentencieux. Par ce discours du savoir universel, une voix affiche une supériorité qui prétend à l’omniscience : elle juge les différentes idées et théories, institue une norme de référence et introduit une rupture entre les niveaux d’énonciation.
2Mais avant d’aborder la question de l’aphorisme, rappelons que L’Homme révolté est l’œuvre la plus ambitieuse de Camus, la plus philosophique également. Dédié à Jean Grenier, l’ancien professeur de philosophie, l’ouvrage a mûri lentement au long de neuf années de gestation et de multiples lectures. Avant même sa publication en octobre 1951, L’Homme révolté s’est attiré les foudres des surréalistes, en la personne d’André Breton, furieux de ce que Camus avait écrit de Lautréamont et de Rimbaud. Puis, à leur tour, les existentialistes, par le biais d’un article critique publié dans la revue des Temps modernes, ont condamné les vues de Camus. L’ampleur prise par cette polémique prouve surtout, au-delà de son aspect « sensationnel », l’importance de L’Homme révolté. « Parmi mes livres, c’est celui auquel je tiens le plus », affirmait Camus. Œuvre de lucidité et d’analyse, L’Homme révolté est sans doute, selon la définition judicieuse de Maurice Nadeau, « une réflexion de l’époque sur elle-même ».
3L’Homme Révolté se situe dans le prolongement du Mythe de Sisyphe : « Cet essai, explique Camus, se propose, de poursuivre, devant le meurtre et la révolte, une réflexion commencée autour du suicide et de la notion d’absurde ». Ainsi, cherchant une règle d’action, Camus va examiner la révolte, seule attitude humaine possible face à l’absurde. Or, la révolte pourrait conduire au meurtre et à la démesure. Faut-il justifier le meurtre pour justifier la révolte ? Ne peut-on pas, puisque l’innocence est impossible, chercher à découvrir le principe d’une culpabilité raisonnable ?
4L’Homme révolté est un grand tour d’horizon historique, littéraire, artistique, philosophique, où défilent toutes les formes qu’a prises la révolte, et toutes ses déviations, ses perversions. Dans les cinq parties qui constituent le livre, Camus passe en revue différentes attitudes, différentes situations, s’appuie sur de multiples références. « L’homme révolté », la première partie, s’ouvre sur la définition de la révolte. L’attitude de celui « qui dit non » est positive parce qu’il « ne renonce pas ». La seconde partie, « La révolte métaphysique », définit cette forme de révolte comme « le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création tout entière ». Il se révolte contre l’injustice et défie Dieu. « La révolte historique », la troisième partie, analyse les rapports de la révolte et de la révolution, corollaire de la revendication de la liberté. La quatrième partie, « Révolte et art », envisage les rapports de la révolte et de l’art « qui exalte et nie en même temps ». En contestant le réel, l’artiste ne l’oublie pas. Il en célèbre certains aspects et le transcende. La dernière partie, « La pensée de midi », propose la renaissance d’une civilisation qui puisse faire de la révolte un acte honorable où le meurtre ne sera qu’une exception sans lendemain. C’est la recherche d’une mesure, la « pensée de midi ».
5Parce qu’il est persuadé que ce qu’il écrit regorge de vérités évidentes, Camus use et abuse du style catégorique, c’est-à-dire qui affirme. C’est le style du juge, de l’iconoclaste qui renverse les idoles-mythes de l’intelligentsia de gauche, qui dénonce les mensonges des staliniens. C’est le style de l’agressivité polémique, cinglant, coupant, parfois glacé, parfois passionné.
6Camus, dans son Introduction aux « Maximes », apprécie Chamfort parce que celui-ci n’écrit pas de maximes et qu’il procède au contraire par remarques : « Ce sont des traits, des coups de sonde, des éclairages brusques, ce ne sont pas des lois »1 Il l’exalte alors en ces termes :
Chamfort, au contraire de La Rochefoucauld, est un moraliste aussi profond que Madame de La Fayette ou Benjamin Constant et [...] il se place, malgré et à cause de ses aveuglements passionnés, parmi les plus grands créateurs d’un certain art où, à aucun moment, la vérité de la vie n’a été sacrifiée aux artifices du langage2.
7L’originalité de Chamfort est aussi bien dans les anecdotes, bons mots cyniques (qui, loin de chercher une portée universelle, visent à épingler le singulier), que dans le caractère très subjectif de l’énonciation.
8Dans L’Homme révolté, les énoncés aphoristiques, qui semblent provenir d’un hors-texte, abondent. L’aphorisme apparaît comme un procédé discursif qui, tout en possédant les marques linguistiques de l’énonciation proverbiale, n’appartient pas au stock des proverbes reconnus. Le texte est émaillé de parémies, de « vérités évidentes » qui constituent un véritable cas de plurivocité. L’énoncé aphoristique condense la pensée en une phrase autonome, que sa brillance stylistique désigne d’emblée comme un élément textuel sécable. Il se présente comme une classe de discours où apparaissent des régularités, des faits de structure constants, des paramètres et des variations qui véhiculent tout un système de valeurs.
9L’aphorisme apparaît dans L’Homme révolté de Camus comme un mode d’expression spontané dont le caractère mémorable tient à la profondeur d’une morale. Mais s’il s’imprime facilement dans l’esprit, c’est parce qu’il est bref et doté de structures spécifiques et qu’il repose sur des procédés de mise en valeur susceptibles de lui communiquer force et vigueur. Le fonctionnement de l’aphorisme suppose qu’on retienne comme signifiante la forme. Et, sans doute, retrouvons-nous, à ce niveau, une fonctionnalité de traits formulaires (grammaticaux, rythmiques, rhétoriques), propres à conférer à l’aphorisme camusien l’autonomie qu’il requiert. Le caractère disjoint et stéréotypé de la « formule » dans le discours de Camus, comme forme opposée aux longues périodes et aux élans lyriques détruisant la musique et la fluidité discursive pour atteindre un au delà, qu’il soit du sujet, du langage ou de l’énonciateur, se manifeste essentiellement par l’intermédiaire d’un certain nombre de structures syntaxiques. En voici quelques exemples :
sujet + V. attributif + attribut :
« L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’il est » (II, 420)
« L’avenir est la seule transcendance des hommes sans Dieu » (II, 572)sujet + présent gnomique + objet :
« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent » (II, 707)
« La mesure, née de la révolte, ne peut se vivre que par la révolte » (II, 704)Les segmentations de phrases avec présentatif :
« La vraie passion du XXe siècle, c’est la servitude » (II, 637)
« La seule excuse de Dieu, c’est qu’il n’existe pas » (II, 476)
« Respirer, c’est juger » (II, 19)
10La prose discontinue de Camus multiplie les formes discursives et joue de la variété héritée de la tradition moraliste, notamment d’une variation d’une situation d’énonciation. L’aphorisme pose le sens et l’essence des notions dans la tension sémantique que comprend la mise en relation syntaxique des lexies. Le verbe copule « être » établit les rapprochements les plus inattendus. Il y joue un rôle doublement déterminant : c’est lui qui opère la mise en relation syntaxique et la corrélation sémantique. Énoncé de vérité clos sur lui-même, qui dans sa forme même tend à définir l’essence, l’aphorisme se caractérise par le mode a-personnel, universel de son énonciation : usage du présent gnomique, à valeur universelle et atemporelle, référence à des classes, à des notions abstraites (l’homme, l’avenir, la générosité, la mesure), absence des marques du discours selon Benveniste (je / tu – ici – maintenant). Avec ce genre d’aphorisme, on est pleinement dans l’ordre du « ON-vrai ». Cette structure aphoristique qui représente un modèle, une sorte d’idéal formel est concurrencée par une forme personnelle d’énonciation qui tend vers un régime de contingence et de subjectivité. Dans le registre de l’énonciation aphoristique, la « définition » stricte peut céder la place à des formes syntaxiques plus « relâchées » comme le recours à la segmentation. Notons aussi le cas de la proposition simple dont le verbe n’est pas la copule « être », et qui prédique une qualité du sujet syntaxique, sans que cela constitue une définition de ce dernier. Cet aphorisme « remarque » est le produit exclusif de l’instant, de l’éclair, de la « fusée » baudelairienne. L’écriture aphoristique se situe dans la synergie opérée au sein de L’Homme révolté entre l’instant – l’instantané – et l’universel. De la contingence de l’instant à l’universalité aphoristique, telle nous semble être la caractéristique de la poétique de l’aphorisme camusien.
11Notre but n’est pas de faire un classement exhaustif des aphorismes et nous avons seulement retenu les types les plus productifs et les plus caractéristiques. S’il n’y a qu’un très petit nombre de schémas classificatoires stricts, c’est que Camus, utilisant la forme de la définition, en joue dans une intention paradoxale. Alors que la définition stricte doit reposer sur une organisation hiérarchique reconnue et acceptée de concepts, il crée des inclusions inattendues qui mettent en question les classifications courantes : qu’il y ait opposition entre les deux parties de l’aphorisme ou hétérogénéité sémantique débouchant sur la métaphore, le résultat est un rapprochement imprévu entre deux notions. Dans cette optique, la forme de l’aphorisme sert à introduire une relation originale entre les concepts.
12L’aphorisme dans L’Homme révolté ne représente pas une syntaxe de l’unité mais une syntaxe de la diversité dans laquelle la signification jaillit de façon impromptue. L’énoncé formulaire, fondé sur des contrastes, des rapports inédits, revient avec une insistance et une force expressive qui assurent la pérennité de la pensée. L’aphorisme dans L’Homme révolté de Camus contient, sur un mode didactique, une évidence lumineuse, un message oraculaire, une conception de l’homme et de la vie. Cependant, il tend souvent à substituer à la logique et à la vraisemblance un discours paradoxal (cher aux moralistes du Grand Siècle) qui rend bien compte de la complexité des choses et des hommes.
13Parce qu’il est bref, l’aphorisme camusien n’argumente ni ne démontre : il affirme brutalement. Par conséquent, ce que l’on gagne en concision, on le perd en nuances. L’aphorisme privilégie souvent le paradoxe pour mieux réveiller le lecteur : à ce dernier de faire l’effort de pensée pour comprendre comment on peut en venir à affirmer ce qu’il énonce :
14« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent » (II, 365).
15« Le génie est une révolte qui a créé sa propre mesure » (II, 324).
16L’aphorisme tire sa force et son originalité de cette écriture paradoxale. À l’opposé des valeurs et des lieux communs, il est précisément une dénégation de la norme. Contrairement à l’opinion courante, Camus crée des rapports nouveaux entre présent et avenir, révolte et mesure... Le paradoxe dessine un indécidable, un entre-deux qui produit un indubitable effet de dissonance, un clair-obscur de la forme. Le rejet de la logique admise, la création de relations inédites, le choix même de la brièveté décuplent la force et l’ambiguïté de l’aphorisme. La formule frappe l’imagination, crée une émotion afin de susciter la réaction du lecteur. Le paradoxe est une forme d’expression privilégiée de la liberté de pensée. Renverser la pensée commune est un jeu d’autant plus attrayant qu’il conduit à des vérités très profondes.
17Ce goût pour le paradoxe provient d’une vive sensibilité à la complexité des choses, attentive à un monde multiforme en proie aux séismes historiques et à l’éclatement d’une société. Le paradoxe est le lieu focal d’une esthétique de la surprise, du choc, de l’émotion ou du vertige, voire du non-conformisme au sens large. Asyndètes, ruptures syntaxiques, décalages lexicaux, juxtapositions brutales ou raccourcis permanents sont l’expression de la pensée camusienne qui déroute le lecteur en l’introduisant dans une autre logique, qui ne conçoit la pensée que comme heurt et opposition de contraires, thèse et antithèse en même temps irréductibles et inséparables. Le paradoxe camusien recèle de ce fait une rhétorique de la persuasion qui prend le lecteur de vitesse et le met devant « la vérité accomplie » du dit, sans qu’il ait le temps de la vérifier par une démonstration.
18Le repérage d’un aphorisme relève cependant moins d’un test binaire d’identification (trouvable/introuvable) que de la reconnaissance d’un processus complexe, à l’aide d’une grammaire. Faire une liste, en effet, amène à isoler la formule dans L’Homme révolté et en particulier de son contexte. Or, ce dernier contribue pour une large part à pré-dire l’aphorisme comme tel. S’interroger sur l’insertion aphoristique dans L’Homme révolté conduit, par-là même, à une réflexion sur le fonctionnement global de cette œuvre.
19Ce que l’énoncé aphoristique réalise, c’est la désignation d’une certaine pratique énonciative, une virtualité de « savoir » qui s’accomplit en un discours, lequel n’a de sens que parce qu’il est énoncé dans un contexte. La forme brève ne se suffit pas à elle-même : elle exige la prolifération, le nombre, pour se soutenir. Elle est une pierre dans un édifice qui, pour autonome qu’il soit en apparence, a besoin, sinon du ciment de la liaison syntagmatique, du moins du précis assemblage paradigmatique : perles sans fil visible du construit, pierres solitaires mais solidaires par leur emboîtement sémantique et formel.
20L’aphorisme camusien n’est pas en effet un énoncé importé dans le discours, ne fait pas l’objet d’une citation. Bien qu’il se rapporte à un état de fait d’une manière unique et absolue, il n’est pas marqué comme provenant (réellement ou fictivement) d’un hors-texte. L’aphorisme apparaît doublement lié au discours. Au niveau de l’énonciation, il doit être pur de toute marque d’un sujet ou d’une temporalité singulière, mais cette objectivité ne prend existence que par une énonciation, donc un sujet fortement ancré dans son histoire. De même, au niveau de l’énoncé, n’étant pas citation, il doit nettement s’articuler avec le contexte. Loin qu’il y ait rupture avec l’environnement textuel, le lien se fait explicite. À l’origine énonciation objective, autonome, l’aphorisme se teinte à leur contact avec le contexte d’une nuance affective et acquiert finalement un caractère lapidaire.
21L’aphorisme camusien s’inscrit par ailleurs dans un corps textuel dont il procède et qu’il vivifie. L’écriture formulaire peut surgir de manière incidente dans le cours du développement d’une idée, comme une réflexion échappée à l’auteur, comme le jaillissement fulgurant d’une vérité ressentie de longue date et qui trouve d’elle-même son expression la plus haute :
22« Le révolté défie plus qu’il ne nie » (II, 41).
23L’idée surgit sans lien, comme une trouvaille spontanée, qui ouvre de nouvelles représentations. Mais le cas se présente rarement : Camus est soucieux d’insérer l’aphorisme dans un contexte qui l’explique, le justifie. C’est le paraphe et le sceau visible apposés à une idée. Issu du développement d’une idée, il va s’y fondre pour la ponctuer et lui donner une résonance intemporelle et universelle. L’aphorisme conclut une analyse ou une argumentation. Véritable point d’orgue, il prolonge description ou récit par une moralité qui signifie, en termes généraux et sous une forme concentrée à l’extrême, ce que suggérait la description ou le récit.
24L’aphorisme camusien s’attache, au-delà de l’individu, à l’existence humaine, problématique, aléatoire, mais peu sensible aux événements de l’époque. Le Camus des aphorismes a des préoccupations humanistes, il évoque avec passion l’obsession de la justice, de la mesure, de la révolte, de la liberté et l’amour passionné de la vie... Mettant l’accent sur l’aspect tragique de l’existence, il fait toutefois appel à une joie supérieure, au « gai savoir ». Le philosophe cède le pas au moraliste et le souci d’une valeur l’emporte, pour lui, sur celui de la vérité. Le moraliste en dernier recours pénètre les dessous du jeu et peut se permettre de poser la question décisive sur l’être de l’homme. L’aphorisme, éclair de la pensée sur les remous intérieurs, caractérise une investigation fulgurante, rebelle au discours continu et cohérent.
25Le recours à l’aphorisme dans L’Homme révolté semble ainsi être le dernier refuge de l’écrivain, l’atomisation et l’isolement étant la seule réponse à un monde en mutation et en décomposition. Si la période, chez Camus, est ouverture, chant, la formule est par contre fermeture, éclair. Cette forme n’est pas seulement l’expression d’un éclatement, la vision d’une réalité morale, elle est aussi recherche de la vérité, quête d’une voie/voix aux frontières du moi et de l’universel. Elle est médiatrice entre l’histoire individuelle et l’histoire planétaire. La perspective morale tient le milieu entre l’analyse objective et l’introspection. Elle est ruse générale pour parler de soi sur un mode apparemment général, pour concentrer la totalité des événements dans la sphère du for intérieur3. L’aphorisme devient le témoin d’une singularité qui se dresse contre les idées reçues et qui se méfie de toute pensée systématique. Elle est avec la poésie une forme de résistance au sens commun et de refus d’une forme de rationalisme mortel qui étouffe l’effervescence même de la vie. Aucun recours au royaume des fins, au futur, ne saurait justifier l’attentat contre le présent, contre la vie, inaliénable valeur. C’est ici qu’une morale de l’être s’oppose irréductiblement aux morales du faire, et que Camus se sépare de l’existentialisme et du marxisme. Les intuitions discontinues sont des avertissements, parfois désespérés, des appels de poète qu’il fait entendre dans la cité des philosophes et des rhéteurs. A défaut d’une cohérence logique, souvent illusoire et superficielle, avertissements, appels ont une cohésion interne, née d’une certitude inébranlable. L’analyse, en creusant, découvre non une mine d’idées, mais un jaillissement, une source vive. Il faut aller y retremper le raisonnement.
26Les codes culturels figurés dans les énoncés aphoristiques sont porteurs de l’idéologie qui détermine l’écriture de l’écrivain. Mais l’énonciation de cette idéologie à travers les codes de l’écriture n’est pas univoque. Énoncée dans l’analyse ou l’argumentation, elle est un discours parmi d’autres discours. Plus exposée sans doute, elle s’ouvre même aux risques de la provocation des partis pris les plus outrés, à visée quasi polémique.
27L’énonciation de l’aphorisme dans L’Homme révolté vise à affirmer l’autorité, le Pouvoir au sens le plus essentiel de ce mot, de son énonciateur. C’est le discours du Savoir, qui est aussi celui du Pouvoir-dire. En se posant comme celui qui sait, l’énonciateur propose une image de lui-même, laquelle est d’abord, et fondamentalement, une conception du texte. D’une certaine manière, il n’est pas interdit de dire que son arbitraire, en provoquant le lecteur, tend à l’annexer à son tour dans ce dispositif énonciatif qu’est l’essai. L’aphorisme camusien articule patiemment les relations d’un côté entre les différentes strates du texte, de l’autre entre un « dedans » qui manifeste l’intimité croissante de l’énonciateur avec son propre langage et un « dehors » qui met en scène une connivence entre un énonciateur et un coénonciateur.
Notes de bas de page
Auteur
Université de Sfax
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