Identité numérique et réseaux sociaux
p. 121-130
Texte intégral
1L’identité numérique est une notion régulièrement employée dans divers secteurs allant du marketing à la recherche scientifique. Sa définition en revanche reste assez floue et indéterminée. Avant de traiter d’identité numérique, une approche de l’identité est nécessaire. Cette dernière est elle aussi une notion aux contours difficilement définissables tant elle revêt des dimensions, natures, logiques et critères divers. Elle est pour autant indispensable dans la compréhension de son extension électronique, l’identité numérique. Elle aussi très à la mode, la notion d’identité fait partie de ces concepts en Sciences humaines et sociales, indispensables pour penser les phénomènes sociaux. L’identité est, pour le sociologue Jean-Claude Kaufmann1, une obsession issue de la modernité et d’une mutation civilisationnelle. L’identité serait même selon lui, élevée au rang de religion. Elle est, en tout cas, un enjeu considérable dans les sociétés contemporaines ; un enjeu psychosocial, religieux, culturel et politique. Kaufmann avance que la société d’individualisation dans laquelle nous évoluons incite l’individu à effectuer des choix dans ce qui avant allait de soi : il doit choisir ses rôles sociaux et multiplier les « casquettes ». Ce phénomène d’identité « à la carte » n’est pas indifférent à celui de revendications des minorités depuis la seconde moitié du XXe siècle, incitant les individus à « trouver » leur place et à choisir ce qu’ils conservent ou mettent de côté de leurs origines (culturelles, religieuses...). En prenant une définition stricto sensu de l’identité, nous trouvons sur le Grand Robert2 « ce qui est identique à soi-même » (dimension psychologique) ou « caractère de ce qui est un » (dimension philosophique). Elle est également la résultante de traces laissées par un individu formant une représentation de cet individu. Elle est aussi le résultat d’un processus de différenciation par lequel un individu se singularise. Pour Erving Goffman3 par conventions sociales et par souci de standardisation (respect des normes sociales), l’individu est un acteur qui se met en scène constamment. L’identité correspond donc à l’ensemble des traces caractéristiques données par un individu-acteur à d’autres individus-spectateurs au sein d’un réseau social. Cette mise en scène de soi ne prend effet que dans un contexte social et par le biais de dispositifs de communication. L’individu utilise désormais Internet comme médiateur de son identité. Transposons le paradigme de l’identité sur le support numérique : à quoi l’identité numérique renvoie-t-elle ? Elle peut être définie comme « la collecte de traces (écrits, contenus audio ou vidéo, messages sur des forums, identifiants de connexion...) que nous laissons derrière nous, consciemment ou non au fil de notre navigation »4. N’émergeant plus de relations en face à face, l’identité est dématérialisée et exprimée par le prisme des interfaces numériques, la mise en scène de soi correspond à de nouveaux paramètres de l’identité. Cet article a pour objectif de dresser un bref panorama des questionnements induits par les formes de présence sur le web et les stratégies de l’expression et de l’exposition de soi. Il n’a pas autre prétention que d’être une réflexion sur la littérature actuelle de l’identité numérique en Sciences de l’Information et de la Communication. Nous pouvons en revanche poser quelques questions. Puisque disposer d’une identité numérique implique d’être présent sur le World Wide Web, nous pouvons nous demander ce que signifie « être présent » sur le Web ? Dans quelles circonstances produit-on de l’identité numérique ?
2Puisque l’identité est une « mise en scène », quelles sont les formes de la représentation de soi sur Internet ? Internet étant un instrument de visibilité, des stratégies se développent-elles dans les pratiques des utilisateurs ? L’article se déclinera en trois parties. Nous traiterons en premier lieu de la présence numérique et des traces de l’identité sur le Web. Nous parlerons ensuite de l’extériorisation de soi. Enfin, nous évoquerons la question de la visibilité et des stratégies identitaires.
I. Présence numérique et traces de l’identité
Que signifie avoir une identité numérique ?
3Avoir une identité numérique implique d’avoir une présence sur le Web. Louize Merzeau5, spécialiste de l’identité numérique, préférera parler de présence numérique plutôt que d’identité numérique. Elle explique que ce terme renvoie au caractère marchand de la présence en ligne et défini l’individu non plus comme Sujet mais en tant qu’Objet de calcul. L’individu sujet présent en ligne devient rapidement une cible marketing par agrégation de traces numériques. Pour Merzeau la notion d’identité numérique est fortement teintée d’un aspect marketing et l’expression employée ne rend pas compte de l’ensemble de la vie connectée d’un individu. À cette expression elle lui préfère donc celle de « présence numérique » qui valorise l’individu et son identité et ne les condamne pas à une perpétuelle organisation et stratégie de l’identité. Le terme d’identité numérique ne rend pas compte de la part d’imprévu dans la présence numérique.
4Merzeau propose de ne pas voir l’individu uniquement comme une cible marketing et un programmateur de sa propre identité mais de le concevoir comme un Sujet réel et imprévisible n’étant pas toujours dans une logique de représentation. Ce faisant elle qualifie la présence numérique d’expérience vécue. Cette présence se rencontre par l’existence de traces laissées au fil des navigations.
5De la question des traces sur Internet, Olivier Erzscheid6 développe l’idée d’une documentation de l’homme. Ce dernier serait « un document comme les autres » et le web, un « catalogue global des individualités humaines ». L’identité numérique est donc une succession de traces laissées par un utilisateur, indexées et destinées à la marchandisation de cette indexation. Dès l’inscription sur un réseau social l’individu participe à l’indexation de ses données en précisant son orientation sexuelle, sa confession, son appartenance politique, ou encore sa situation maritale et son secteur professionnel. Ensemble de données ensuite potentiellement commercialisées. Une fois que l’utilisateur dépose une donnée sur le web elle ne lui appartient déjà plus. Les paramètres de confidentialité ne changent en rien cette réalité, ni même le fait de se désinscrire d’un réseau social. Pour Erzscheid, l’homme n’est plus propriétaire de son identité.
6Louize Merzeau stipule que « l’exposition des données personnelles, fait du profil (sur réseau social) un contenu, soumis à l’appréciation d’autrui ». Chacun est juge de l’identité de son « ami » facebook ou de son « abonné » twitter, etc. Le réseau social centralise au sein des communautés ou groupes d’amis, l’identité de chaque individu qui est plus ou moins publique, selon les paramètres de confidentialité. Dans un groupe d’amis facebook un sujet A est réciproquement juge de l’identité d’un sujet B. Parallèlement, ces sujets sont liés par une forme d’appartenance, si ce n’est à un groupe politique, du moins à un groupe d’amis, qui lui permet, comme l’expose Francis Jauréguiberry7, d’avoir une « identité partagée » à laquelle le sujet A est arrivé par « conformisme identitaire », c’est à dire qu’il a évalué sa propre représentation de soi en fonction des normes d’intégration à tel groupe virtuel. Ce faisant, malgré une part d’imprévisible, l’individu en ligne, consciemment ou non, extériorise une identité répondant aux normes de communication d’un dispositif technique et du groupe social auquel il appartient.
7Manuel Castells8 évoquait la nécessité, quelle que soit la situation, d’être dans une « réalité virtuelle », car quoi qu’il arrive la réalité est toujours perçue par des signes et des symboles, et dans la vie physique également. Sur le web la présence de l’individu n’est perceptible que par un ensemble de signaux inscrits sur les plateformes, qu’il laisse derrière lui, et donc de traces. Fanny Georges9 se pose elle aussi la question : que signifie « être présent » dans un monde chargé par les représentations, c’est à dire par les images de soi ou de son environnement ? Elle préfère la notion d’existence à celle de présence. Dans la conclusion de son article elle dit ceci : « Dans le réel, le corps donne d’emblée existence à la personne, lui permettant de se manifester aux yeux des autres et ainsi de construire son identité par différenciation. A l’écran, la personne doit prendre existence : si elle n’agit pas et ne laisse pas de traces d’elle-même, elle est invisible pour un autre. Cette nécessité de prendre existence en laissant des traces est un changement radical du paradigme de l’identité ». Prendre existence, c’est se rendre présent, nous dépassons alors l’idée de présence puisqu’est introduite la nécessité de l’action pour prendre existence.
8Selon Georges l’individu en prenant existence sur le Web passerait par un processus qui serait voisin de la conceptualisation de sa propre identité. C’est l’idée que nous allons développer dans un deuxième point. Conceptualiser demande un travail réflexif, donc une réflexion sur soi. Comment est-ce que je me représente sur Internet ? Est-ce que je le fais le plus fidèlement possible ? Est-ce que j’embellie la réalité ?
II. L’extériorisation de soi : représentation et manipulation de soi
Manipule-t-on son identité ?
9L’identité virtuelle est supposée pour Francis Jauréguiberry, être un reflet, la représentation de l’identité réelle de la personne. L’identité en question n’est reconnue que si elle est mise en relation avec autrui. Pour Jauréguiberry, il s’agit en fait d’une « manipulation de soi » car je cite « L’individu manipule sa propre identité afin d’être réellement pris par ses interlocuteurs pour celui qu’il fantasme d’être » et non celui qu’il est. Mais si l’identité virtuelle, construite sur un travestissement de la réalité reçoit la reconnaissance des internautes avec lesquels l’individu en question échange, alors « le soi virtuel cesse d’être pur avatar fantasmé pour se mettre à exister réellement aux yeux de ses correspondants ». C’est une vision qui peut paraître un peu pessimiste dans la mesure où elle implique la notion de mensonge sur les réseaux sociaux. Madeleine Pastinelli10 s’est posé la même question à travers les IRC11, les plateformes de chats. Elle dit qu’il n’y a pas nécessairement mensonge à proprement parler mais « manipulation de l’information de soi » en tant que pratique qui intervient inévitablement en situation de sociabilité, que ce soit sur un forum, sur facebook, twitter, un blog ou dans la vie matérielle. Tout dépend de la plateforme sur laquelle l’individu évolue. S’il est sur une plateforme de chat dont l’objectif assumé est en fait de se rencontrer dans la vie réelle (c’est le cas des sites de rencontre amoureuse), il est inévitable que la représentation soit la plus fidèle possible à la réalité et que le « décalage identitaire » qu’il y a entre identité réelle et virtuelle soit faible. Elle fait une distinction intéressante entre ce qui est « vrai » et ce qui est « réel ». Le premier est ce qui renvoie à l’essence, ce que l’on est et le second à l’existence, c’est à dire la mise en scène de soi. Ce qui signifie que sur Internet l’individu peut se rapprocher le plus près possible de ce qui est réel mais non pas de ce qui est vrai car il est obligé comme le disait Georges de « prendre existence » par un dispositif technique, sur une plateforme et aux yeux d’autrui. Pour Jauréguiberry il y a deux issues possibles à la manipulation de son identité sur le web : soit Internet agit comme une « drogue du moi », l’objectif est donc d’être « mieux que moi », « plus que soi », ou « autrement que soi » et l’individu répond à la pression de « réussir sa vie » dans une société contemporaine qui prône la norme de la « réalisation de soi » ; dans cette issue la représentation sur le web exprime une tension identitaire. La seconde issue est l’« ouverture identitaire » par laquelle « l’individu s’essaie à différents sois virtuels, non pas pour s’y perdre, pour s’y oublier, mais au contraire pour mieux se situer et mieux se penser dans sa capacité créatrice ». C’est une issue plus valorisante et optimiste, qui correspond à une « expérimentation critique des limites de son moi par le sujet ». Cela rejoint ce que F. Georges dit des interfaces numériques comme les réseaux sociaux, c’est à dire qu’elles « changent le regard porté sur soi, sur l’autre et sur le monde ». Elle a une approche sémiotique de l’identité numérique sur les réseaux sociaux en tant qu’« elle se tisse entre l’ensemble des signes saisis par le Sujet et l’ensemble des signes valorisés par le dispositif ». La représentation de soi c’est l’ensemble des signes observables à l’écran qui manifestent l’utilisateur, qui le rendent existant. Elle découpe l’identité numérique en trois ensembles de signes : l’identité déclarative, l’identité agissante et l’identité calculée. La première renvoie à l’ensemble des données saisies par l’utilisateur. Exemple : en s’inscrivant sur une plateforme nous donnons un nom ou un pseudonyme. L’identité agissante correspond à l’ensemble des messages que le système d’un logiciel de réseau social enregistre, c’est-à-dire A est désormais ami avec B ; B a partagé une vidéo, ou commenté le post de C. Enfin, l’identité calculée est l’ensemble des calculs établis par le logiciel sur le profil de l’utilisateur. C’est l’identité quantifiée de l’utilisateur. D a 152 amis et fait partie de 5 groupes. Nous pouvons ainsi mettre en avant grâce à ce modèle les différents types d’identités qui se jouent sur un seul profil utilisateur de facebook par exemple. Sachant que la représentation de soi correspond à l’identité déclarative, c’est à dire l’image descriptive que l’utilisateur donne de lui-même. Les trois identités sont une même information mais trois points de vus différents, elles sont imbriquées puisque l’identité agissante d’un utilisateur détermine son identité calculée. Ce modèle permet de faire une analyse quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0 sur la représentation de l’individu sur les réseaux sociaux. Ce qu’elle appelle l’emprise culturelle correspond à l’ensemble des règles du jeu social fourni par tel ou tel dispositif. Par exemple un utilisateur ne se représente pas de la même façon sur facebook ou sur Myspace, non seulement car ils n’ont pas la même fonctionnalité mais aussi parce que les emplacements de l’identité numérique sur ces logiciels ne sont pas les mêmes. Nous avons beau « manipuler » le soi, il n’en reste pas moins que l’individu doit composer avec les règles de chaque réseau social. L’emprise culturelle c’est à la fois l’identité que le dispositif permet de mettre en place et l’usage qui en est fait par l’ensemble des utilisateurs dont le Sujet fait partie. Cela formate une identité. Ses travaux sont très complémentaires de ceux de Dominique Cardon qui a dressé une ébauche très intéressante du design de la visibilité sur le Web 2.0 pour qui « L’identité numérique est […] une coproduction ou se rencontrent les stratégies des plateformes et les tactiques des utilisateurs ». Sachant que de nos jours sur le Web 2.0 les tactiques en question sont effectivement numériques, l’utilisateur valorise son identité par le nombre. Plus nous faisons appel à de l’identité agissante, plus nous récoltons d’identité calculée et par conséquent plus nous sommes visibles. La visibilité est un enjeu considérable sur les réseaux sociaux. Quand un individu consulte le profil d’un de ses amis, il va prêter plus attention au nombre d’amis qu’il a qu’à ses centres d’intérêts par exemple. L’identité déclarative alors prédominante sur le Web 1.0 devient moins importante sur le Web 2.0.
10L’identité numérique est dépendante de plusieurs facteurs, à commencer par le contexte social dans lequel elle s’exprime (normes sociales du moment/ emprise culturelle), par l’usage qu’on souhaite faire d’une plateforme de communication, mais elle dépend aussi de l’affordance de ces plateformes, c’est à dire de l’identité numérique qu’elles permettent de mettre en place, contrôlant ainsi la mise en scène de soi (règles du jeu des réseaux sociaux évoquées plus haut).
III. Visibilité et stratégies identitaires
Quels sont les formats stratégiques de l’identité ?
11En raison de la traçabilité d’un Sujet à travers les éléments de son identité numérique il est devenu nécessaire de contrôler un minimum la représentation de soi numérique. Dominique Cardon12 a fait une première tentative de cartographie du web 2.0 en analysant les formats de l’identité numérique ainsi que les stratégies identitaires mises en place à partir de ces formats. Un logiciel de réseau social prédétermine en partie la mise en scène de soi du sujet nous l’avons dit. C’est pour cette raison que les formats (les supports, les logiciels...) ne peuvent être étudiés que mis en rapport avec des stratégies de visibilité ou d’invisibilité. Cardon part du postulat qu’un blog ne propose pas les mêmes « règles du jeu » dont nous parlions plus haut qu’une plateforme de micro-blogging comme Tweeter. Sur tous les réseaux sociaux, la question de la visibilité est centrale, avec toujours pour certaines plateformes l’obsession du chiffre « Combien ais-je d’abonnés ou d’amis ? ». Intervient la question de la frontière entre le privé et le public puisque que les réseaux sociaux offrent la possibilité de paramétrer la confidentialité. S’inscrire sur un réseau social c’est déjà se signaler en donnant son adresse mail, son nom ou son pseudonyme, en donnant son âge et son sexe ; c’est donc se rendre visible. Une fois inscrit le sujet étant au centre d’un réseau relationnel, sa visibilité augmente en même temps que ses connexions et ce malgré les paramètres de confidentialité mis en place. « La fabrication identitaire apparaît alors comme un processus dynamique, public et relationnel qui couple l’expression à la reconnaissance ». En acceptant une demande d’amis sur facebook ou un abonné sur Tweeter l’individu reconnaît l’identité de l’autre et ce, que cet autre en question conserve son nom ou se présente avec un pseudonyme. À un moment donné l’individu qui conserve son nom et met une photo de lui se met lui même en situation de mise à l’épreuve du réel. Un sujet qui se présente sous couvert d’anonymat et se représente par un avatar est théoriquement à l’abri d’une telle situation et est plus libre d’un « dévoilement de soi » (Cardon). Cet anonymat/pseudonyme et l’avatar/photographie constitue ce que F. Georges appelle le « ligateur autonyme », il est ce qui fait passer du réel au projeté et fait passer l’identité de l’individu en des entités numériques supposées être la conceptualisation de l’identité réelle. Cardon a essayé de typologiser les formats de visibilité sur le web en mettant en avant 5 formats types :
12Le Paravent : il concerne par exemple les sites de rencontres et l’individu est visible uniquement par moteur de recherche et par le biais de critères objectifs. Les internautes sont alors cachés à l’intérieur de catégories objectives. Le Clair-obscur ensuite : il y a dévoilement de l’identité mais uniquement au sein d’un réseau relationnel d’amis, dans une petite communauté. Les individus hors de ce réseau social ne peuvent pas avoir accès à ses informations. Généralement les membres qui suivent l’actualité de l’individu le connaissent dans la vie physique. La visibilité Phare ensuite qui s’oriente plus vers le partage autour de centres d’intérêts ou de loisirs. Dans ce cas il y a beaucoup d’aspects de l’identité qui sont dévoilés sans pour autant que ce soit intime. Cela concerne le partage de vidéos sur Youtube par exemple, plateforme sur laquelle l’objectif est d’avoir le plus de vues et d’avis possibles et de fidéliser l’audience en même temps que se faire de nombreux amis. Là l’accessibilité ne pose pas de problème, les profils ont une grande visibilité. Il y a ensuite le Post-it, qui correspond aux pratiques de microblogging comme Tweeter qui sont des plateformes axées sur la mise en contexte de l’individu : ou est-il en ce moment ? Et que fait-il ? Ce qui est visible sur cette plateforme c’est surtout la disponibilité de la personne. Et enfin, la Lanterna magica, qui renvoie aux plateformes de jeux de rôle en particulier, comme World of Warcraft. Dans ces jeux l’individu peut se permettre de se créer entièrement une nouvelle identité, nous rejoignons ici ce que Jauréguiberry disait sur le rapport fantasmé de l’identité sur Internet qui est à son paroxysme sur ce genre de plateforme. Sur la lanterna magica nous sommes visibles par avatar. Dans ce cas-là il n’y a pas de tension identificatrice entre l’entité réelle et l’entité virtuelle, puisque l’objectif est de déconstruire son identité réelle. Ces formats de visibilité indiquent que maîtriser un tant soit peu son identité numérique, c’est aussi et surtout maîtriser son réseau de relations. Plus nous avons de relations, plus nos traces et notre visibilité nous échappent, plus notre identité numérique nous échappe également. C’est un enjeu très important, de construction et de valorisation de soi, mais il peut également y avoir des enjeux professionnels, avec les réseaux de professionnels, sentimentaux avec les chats de rencontre, voire confessionnels, puisqu’il y a des sites de rencontre confessionnels... Il est important, mais cela ferait l’objet d’une autre communication, de savoir mettre en place des stratégies de visibilité qui protègent un peu notre identité, comme multiplier les adresses mails, changer les mots de passe, réguler ses relations, utiliser l’anonymat quand c’est possible... du moins pour se protéger ou pour améliorer sa e-réputation (gestion de son identité numérique).
Pour conclure
13La différenciation entre une représentation de soi en « face à face » et une représentation électronique de son identité déclarative, change en effet le paradigme de l’identité, comme le disait Georges et implique de penser l’extériorisation de son identité de façon différente et adaptée aux dispositifs de communication. Comme nous avons pu le voir, la difficulté va au-delà de cette dichotomie entre « espace réel » et « espace virtuel », puisque le Web 2.0 offre lui aussi une multitude de possibilités d’extériorisation de soi (Cardon et les formats de visibilité). Un avantage de ces supports de communication est qu’ils laissent le temps à l’individu de penser sa représentation, contrairement aux situations de face à face. En revanche, l’individu en question est presqu’immédiatement dépossédé de son identité, des traces (et signaux) qui indiquent des éléments de cette identité. La multiplication des supports de réseaux sociaux entraine également des dissociations de l’identité, plus importantes que dans la vie matérielle. Dans cette dernière « je » peux être à la fois boulangère, mère, épouse et joueuse de poker. Sur Internet mon rôle de boulangère peut s’exprimer à travers des forums professionnels, des forums de cuisine… Mon passe-temps de joueuse de poker est lui décliné sur plusieurs plateformes : des forums de discussion sur le poker, des groupes d’« amis du poker » sur facebook et des plateformes de jeu sur lesquelles j’ai un avatar. Les subdivisions de l’identité de ma personne sont multiples et indéfinies.
14Les attributs du profil fictif de cette personne sont alors agrégés par des moteurs de recherches qui résument d’un simple clic les éléments de son identité. Ils sont également des éléments sujets à du ciblage marketing. En reprenant la définition stricto sensu de l’identité, il est délicat de retrouver le « caractère de ce qui est un » sur le Web, tant les déclinaisons numériques de l’identité sont potentiellement nombreuses.
15Cela implique par conséquent non seulement une modification des modes de représentation, mais également une quantification de l’identité, devenue un élément qualitatif d’une personne. Quantité est gage de qualité. Plus l’individu a d’amis, plus son identité est reconnue et valorisante. Ces enjeux se manifestent notamment par le choix de format que l’utilisateur souhaite employer pour mettre en place une représentation de soi valorisante socialement ou professionnellement, impliquant ainsi une forme de manipulation conceptuelle de l’identité.
16Les enjeux de l’identité numérique, bien que de plus en plus traités en Sciences de l’Information et de la Communication, restent encore inconnus sur du long terme. Ce qui est certain c’est que le Web 2.0 modifie les rapports à soi et à l’autre et rend l’identité d’une personne, potentiellement vulnérable, puisque publique.
Notes de bas de page
1 Jean-Claude Kaufmann, « L’identité, une nouvelle religion ? », conférence du 22 mars 2006, conférence en ligne sur le site de la Cité des Sciences, http://www.cite-sciences.fr/fr/conferences-du-college/seance/c/1239026848329/l-identite-une-nouvelle-religion/p/1239022827697/, consulté le 20 octobre 2013.
2 Le Grand Robert, Langue Française, par Université de Bordeaux (PRES), version numérique, consulté le 20 octobre 2013.
3 Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, tome 1, « La présentation de soi », Le sens commun, Les éditions de minuit, 1959.
4 Olivier Ertzscheid, Qu’est-ce que l’identité numérique ? Enjeux, outils, méthodologies, Encyclopédie Numérique, tome 1, Open Edition Press, Marseille, 2013, consultable en ligne sur Open Edition Press.
5 Louize Merzeau, « Présence numérique : les médiations de l’identité. Les Enjeux de l’information et de la Communication », 2009, consultable en ligne :
http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux.
6 Olivier Ertzscheid, « L’homme, un document comme les autres », Hermès, CNRS Éditions, n° 53, 2009/1.
7 Francis Jaureguiberry, « Le Moi, le Soi et Internet ». Sociologie et Société, vol. 32, n° 2. Montréal, 2000, p. 135-151.
8 Manuel Castells, L’ère de l’information, tome 2, « Le pouvoir de l’identité », Fayard, Paris, 1999.
9 Fanny Georges, « Représentation de soi et identité numérique, Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0. », in WEB 2.0, Réseaux, La Découverte, mars-avril 2009, p. 165-194.
10 Madeleine Pastinelli, « Quand le vrai s’oppose au réel. Discours identitaires et mise en scène du soi dans les bavardages d’Internet », Buica, C. et Simard, N (dir.). L’identité : zones d’ombre. Québec et Montréal, CELAT, 2002, p. 235-253.
11 Internet Related Chat.
12 Dominique Cardon, « Le design de la visibilité : un essai de cartographie du web 2.0 », Réseaux, « Réseaux sociaux de l’Internet », vol. 6, n° 152, 2008, p. 165-193.
Auteur
Doctorante contractuelle en Sciences de l’Information et de la Communication
Université Bordeaux Montaigne
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