Les normes comptables internationales : la transparence en question
p. 45-56
Texte intégral
1Le temps est loin où René Savatier pouvait écrire que « le droit comptable est au service de l’homme »1. Depuis l’introduction des normes internationales de comptabilité dites normes IFRS (International Financial Reporting Standards), la comptabilité a manifestement changé d’orientation et le droit comptable est au service, non plus de l’homme mais de l’investisseur. Le passage aux normes IFRS constitue plus qu’un changement de référentiel, un véritable changement de matrice : aux principes d’essence juridique succèdent des règles d’inspiration économique et financière. Ce faisant, la comptabilité prend une direction diamétralement opposée au plan comptable général, autrefois clef de voûte de l’architecture comptable en droit interne.
2Les normes IFRS sont proposées à l’adhésion par un normalisateur international privé, l’IASB, International Accounting Standards Board. Ce dernier entend renouveler le sens de la comptabilité qui devient moins un système de collecte, de saisie et de traitement de l’information que les produits qui en résultent2. Les normes dites IFRS ne sont donc pas des normes de méthode mais des normes de contenu, fondées sur des « principes » et non sur des « règles ». Ces normes de contenu ont une inspiration essentiellement financière et visent la satisfaction des besoins d’information des investisseurs. Le cadre conceptuel3 de l’IASB est très clair sur ce point : le paragraphe 10 prend le soin de préciser que « comme les investisseurs sont les apporteurs de capitaux à risque de l’entreprise, la fourniture d’états financiers qui répond à leurs besoins répondra également à la plupart des besoins des autres utilisateurs susceptibles d’être satisfaits par des états financiers ». C’est donc sans surprise que les normes IFRS se tournent vers le marché et prônent les indicateurs économiques, se démarquant ainsi nettement du plan comptable général qui se revendique d’une conception partenariale et patrimoniale de l’entreprise.
3Les conséquences d’un changement de langage comptable dépassent largement le champ de la technique et elles concernent au premier chef la sphère juridique. En effet, le référentiel comptable est, bien plus qu’un choix de technique, un choix de politique économique et juridique. Les normes IFRS permettent de délivrer une information financière qui s’attache à refléter, par-delà la présentation juridique des opérations, leur substance économique et une appréciation à la valeur actuelle4.
4Jusqu’à l’acculturation des normes IFRS en droit interne français, l’information comptable visait à établir une représentation chiffrée du patrimoine juridique de l’entreprise. Le droit de propriété et son évolution au cours d’un exercice étaient donc au cœur de la méthode comptable. Les normes IFRS opèrent un changement fondamental, qui va bien au-delà du changement de méthode : les règles internationales entament leur rupture avec l’analyse juridique pour refléter les droits, les obligations et les avantages économiques qui sont à la disposition d’une entité5.
5Le détachement des notions juridiques et comptables se réalise principalement par l’introduction du principe dit « substance over form », soit la primauté de la substance économique sur la forme juridique. Le retraitement des rapports juridiques ne tend donc pas à restaurer une réalité juridique, mais à donner une certaine vue de la réalité économique propre à satisfaire l’investisseur. La précision est d’importance car elle introduit une contingence liée au destinataire de l’information : la réalité économique d’une situation donnée varie en fonction de l’intention du destinataire6. La doctrine a déjà mis en évidence les limites du traitement juridique des faits, dès lors que la comptabilité doit composer avec une diversité d’utilisateurs, par le biais d’une information unique7. La réalité économique de l’émetteur est polymorphe, parce que l’objectif d’information qu’elle dessert est lui-même contingent.
6Nous ne développerons pas l’ensemble des conséquences juridiques des normes IFRS ; en revanche, nous poserons la question de leur transparence. En effet, le changement de référentiel est justifié par l’objectif de transparence et de comparabilité des états financiers. Pourtant, au lendemain d’une crise financière dont l’ampleur et la gravité auront déjoué toutes les prévisions, la pertinence et la légitimité de ces normes comptables se trouvent remises en cause. Les normes IFRS sont-elles un instrument au service de la transparence ou un facteur d’opacité ?
7Poser la question de la transparence d’une norme suppose, en premier lieu, de s’attarder sur celle du normalisateur. C’est donc la gouvernance et l’organisation institutionnelle de l’IASB qui retiendra d’abord notre attention (I). La délégation du pouvoir comptable à une entité de droit privé constitue, de toute évidence, un risque de partialité et de conflit d’intérêts, ce qu’illustre particulièrement la méthode d’évaluation dite « fair value » (II). La comptabilité peut donc être source de partialité et de désordres dont l’ampleur est souvent mésestimée. Le séisme qui a agité le monde financier et économique après la crise dite des subprimes a été l’occasion de reposer la question du sens et du rôle de la comptabilité : au lendemain de cette crise financière, la transparence de la comptabilité est plus que jamais d’actualité (III).
I/ L’opacité institutionnelle : la délégation du pouvoir comptable à l’IASB
8L’IASB tient les commandes de la normalisation comptable8, en proposant aux États l’adhésion à des normes d’information financière. Toutefois, l’adoption des normes publiées par l’IASB n’est pas automatique ; elle est subordonnée à un avis consultatif de l’EFRAG9, à une décision d’approbation par le Comité de réglementation comptable européen et à la décision finale de la Commission européenne. La réglementation comptable résulte donc d’un partenariat protéiforme entre des institutions de droit public, de droit privé, nationales ou internationales. Ainsi, la Commission européenne participe activement à l’élaboration d’un cadre harmonisé de l’information financière, en collaborant avec de nombreux organismes, généralement connus sous leurs acronymes : l’ARC10, l’EFRAG, le CESR11, la FEE12…
9Les normes IFRS ont été introduites par la voie d’un règlement communautaire13 du 19 juillet 2002, dans lequel le Parlement européen et le Conseil affirment la nécessaire convergence des normes comptables actuellement appliquées sur le plan international, l’objectif étant, à terme, de créer un jeu unique de normes comptables mondiales. À cette fin, l’Union européenne a imposé aux États membres l’utilisation des normes IFRS dans les comptes consolidés des sociétés dont les titres sont négociés sur un marché réglementé.
10L’incorporation des normes IFRS atteste d’un changement de tendance très marqué ; l’information diffusée par les émetteurs vise essentiellement à protéger les investisseurs et à préserver la confiance envers les marchés financiers. Rarement les institutions européennes auront fait autant prévaloir les aspects économiques sur toute autre considération, notamment juridique, ce qui est traduit par un vocable purement économique : le règlement entend ainsi établir un marché des capitaux sur la base d’un rapport « coût-efficacité »14, notion caractéristique des sciences économiques. Le règlement de 2002 affiche une « règle de raison », qui n’est pas sans rappeler la méthode employée en droit de la concurrence, afin de guider l’application du référentiel comptable. La mise en œuvre des normes IFRS se trouve ainsi subordonnée à un objectif supérieur, celui de « fournir une image fidèle et honnête de la situation financière et des résultats de l’entreprise » ainsi qu’à la notion « d’intérêt public européen15 ». L’article 3 conditionne ainsi l’adoption des normes IFRS à une série de conditions cumulatives : n’être pas contraire au principe d’image fidèle qui régente les comptes annuels et consolidés des émetteurs, répondre à l’intérêt public européen et satisfaire aux critères d’intelligibilité, de pertinence, de fiabilité et de comparabilité exigés de l’information financière nécessaire à la prise de décisions économiques et à l’évaluation de la gestion des dirigeants de la société16. La critique, récurrente, relative au déficit de lisibilité de l’agencement normatif se double ici de celle liée au manque de sécurité juridique. En effet, la notion d’intérêt public européen n’est nullement définie et relève, pour l’heure, de la divination.
11Le normalisateur de l’IASB a été durement mis en cause à l’occasion de la crise dite des subprimes : tour à tour ont été décriés l’opacité de son mode de fonctionnement, le dogmatisme de certains principes – notamment la fair value et la primauté du bilan –, ainsi que le refus d’entamer un dialogue avec les autres normalisateurs. Certains ont même dénoncé un référentiel de « dogmatique comptable à prétention mondialiste17 ».
12C’est surtout le manque de transparence et le déficit de légitimité qui retiendront plus particulièrement notre attention. En effet, l’IASB est une entité de droit privé qui répond à des intérêts particuliers voire partisans : la dimension collective et l’intérêt public échappent aux préoccupations du régulateur. La lecture du cadre conceptuel laissait pourtant espérer une approche partenariale de la comptabilité ; en effet, s’il est rappelé que « l’International Accounting Standards Board est un normalisateur comptable indépendant financé de manière privée », il est également précisé que « le but de l’IASB est de développer, dans l’intérêt public, un ensemble unique de normes comptables de haute qualité, compréhensibles et applicables, réclamant une information transparente et comparable dans les états financiers généraux. L’IASB coopère avec les normalisateurs comptables nationaux pour parvenir à une convergence mondiale des normes comptables18 ».
13Mais l’épreuve des faits démontre au contraire le refus de partager la prérogative normative. Les causes de la crise financière ont été, en partie, dévoilées dans une série de rapports qui, pour la plupart, sont extrêmement critiques à l’égard de la comptabilité et de son normalisateur. Le rapport d’information sur les « enjeux des nouvelles normes comptables » commandé par la commission des Finances de l’Assemblée nationale met parfaitement en exergue la confiscation du pouvoir comptable par une entité de droit privé : « par une singulière ruse de l’Histoire, les États européens, crispés sur leur souveraineté au point d’empêcher que soient élaborées de véritables normes comptables européennes, se sont résolus à l’unanimité, et dans une indifférence quasi-générale à abandonner leur pouvoir de normalisation comptable à un organisme international privé absolument inconnu en dehors d’un petit cercle d’initiés, l’IASB sur lequel ils n’ont aucun contrôle19 ».
14Il faut rappeler que cette délégation du pouvoir comptable à l’IASB s’est faite dans une quasi ignorance des enjeux sous-jacents, en occultant le débat parlementaire20. L’absence de dialogue se retrouve en aval du processus normatif : les utilisateurs des normes IFRS n’ont aucune influence sur l’IASB21 qui reste hermétique aux revendications des tiers. Récemment, la Commission Européenne a été très critique sur le processus de nomination du futur président de l’IASB ; plutôt que d’associer les principaux régulateurs de marché, l’IASB a choisi de faire appel à un cabinet de chasseurs de tête22.
15Dans un rapport publié le 28 juillet 2009, le groupe de travail joint IASB/ FASB a réitéré avec force son indépendance totale vis-à-vis du pouvoir politique, ce dont commence à s’inquiéter le législateur national. Les auteurs du rapport intitulé « Normes comptables et crise financière, Propositions pour une réforme du système de régulation comptable » posent sans ambages la bonne question : « est-il normal que la production des normes comptables échappe à la sphère de la responsabilité publique et reste le domaine réservé d’entités privées23 ? ».
16La réforme de la comptabilité passe par plus de transparence et plus de discussions sur la finalité des normes. Peut-être, faut-il même exiger des instances de normalisation comptable de rendre explicites les principes fondateurs des normes produites qui, insistons sur ce point, n’ont jamais été validés par une instance démocratique24.
II/ L’opacité technique : la juste valeur en question
17La juste valeur a été définie comme le prix qu’une contrepartie indépendante serait prête à payer, dans des conditions de concurrence normale, pour obtenir un actif financier ou exigerait pour supporter un passif financier. Contrairement à l’opinion commune, la juste valeur n’est pas équivalente au prix du marché25. Pour la valorisation des instruments financiers, le prix du marché n’est retenu qu’en présence d’un marché actif ; dans le référentiel comptable international un instrument financier est considéré comme coté sur un marché actif si des cours sont aisément et régulièrement disponibles auprès d’une bourse, d’un courtier, d’un négociateur, d’un secteur d’activité, d’un service d’évaluation des prix ou d’une agence réglementaire et que ces prix représentent des transactions réelles et intervenant régulièrement sur le marché dans des conditions de concurrence normale26. Dans le cas des sociétés cotées, l’évaluation à la valeur de marché permet de réduire l’écart entre la valeur comptable des capitaux propres et la valeur boursière de l’entreprise27 : c’est donc une mesure à la fois cohérente et fiable pour les investisseurs.
18Mais il est des cas où le prix de marché ne peut être retenu. En effet, le régulateur distingue deux types de fair value, la valeur de marché et la valeur de modèle28. La première découle de l’observation sur un marché actif et liquide de transactions portant sur un instrument identique à celui détenu par l’entreprise. Lorsque de telles observations ne sont pas disponibles, il est fait recours à une valeur de modèle selon des approches hiérarchisées :
- des prix sont disponibles, mais le marché n’est pas actif et liquide ; on utilise ces prix en tenant compte de l’illiquidité du marché ;
- des prix sont disponibles, mais pour un instrument similaire ; on utilise ces prix en les corrigeant pour tenir compte des différences entre les instruments ;
- aucun prix n’est disponible, on procède alors à une valorisation par modèle, en s’appuyant en particulier sur l’actualisation des flux futurs ou les modèles de valorisation des options.
19L’évaluation à la juste valeur est donc une technique relativement délicate à mettre en œuvre, d’autant plus que la plupart des instruments financiers ne font pas l’objet d’une cotation active. Le cas des dérivés en est probablement la meilleure illustration : si certaines options font l’objet d’une cotation, le bilatéralisme et le gré à gré restent la règle générale lors des négociations. En l’absence d’une valeur de marché, l’émetteur va devoir procéder à une modélisation. La valeur obtenue n’est pas un prix mais une évaluation de ce que pourrait être ce prix. Dès lors, il y a aura autant d’évaluations qu’il y aura d’évaluateurs et un même instrument financier peut se trouver valorisé de différentes manières par plusieurs entités29.
20C’est cet aspect contingent et subjectif qui laisse planer un doute sur la transparence de la fair value. La mesure retenue dépendra du jugement de l’évaluateur, dont on peut légitimement douter de l’impartialité. Tout à la fois juge et partie, l’entité pourrait être tentée de retenir les estimations et les modèles qui lui seront favorables. La dangereuse tentation est toujours présente de glisser d’une reddition de comptes classique à une opération de communication financière. Dans certains cas, l’utilisation de la juste valeur mérite même les plus grandes réserves. Ainsi, l’application de la fair value au bilan des banques permet à ces dernières d’enregistrer dans leurs comptes de résultat des profits correspondant à la baisse de la valeur de marché de certaines de leurs dettes. Une banque qui aurait émis une dette de 100 à 6 % qui ne serait plus cotée que 80 pourrait enregistrer dans son compte de résultat un profit, non imposable, de 20. On entrevoit les conséquences d’une telle possibilité pour les établissements bancaires américains acculés à la faillite lors de la crise des subprimes. Comme l’ont dit, non sans ironie, certains auteurs, si Lehman Brothers avait pu publier les comptes de son troisième trimestre 2008, ce profit aurait pu être plus important que la perte de dépréciation de ses actifs : le failli aurait été profitable et le patient mort guéri30 ! C’est ainsi que Deutsche Bank a pu présenter, en 2008, un résultat négatif de 3,9 milliards de dollars ; sans utilisation de la juste valeur, le résultat était négatif de 9 milliards de dollar31...
21La question centrale qui a été mise en lumière par la crise financière de 2008 est de savoir quel est l’organe légitime pour déterminer qu’un marché est actif. Autrement dit, qui mesure le seuil à partir duquel un marché n’est plus actif ? Ce n’est donc pas le normalisateur comptable qui est en cause mais la cohérence entre une normalisation comptable qui renvoie à des prix de marché et la normalisation de ces marchés32. Les critiques formulées ne concernent peut-être au final pas tant la juste valeur elle-même que le modèle social et de gouvernance véhiculé par les normes internationales et que symbolise cette disposition particulière33.
22Néanmoins, il peut paraître inquiétant de constater que le régulateur international semble déterminé à maintenir le cap d’une comptabilité arc-boutée sur la juste valeur. C’est oublier que la fair value, si elle n’est pas à l’origine de la crise comptable, ne saurait pour autant être l’unique moyen de détermination d’une valeur. L’IASB laisse pourtant la voie ouverte à une extension du périmètre d’application de la fair value : à moyen terme, toutes les positions financières ne présentant pas les caractéristiques d’un prêt classique seront valorisées en fair value avec impact sur le résultat34.
23Ce choix de la valorisation en fair value par le résultat n’est pas neutre d’un point de vue économique car il s’accompagnera, selon les experts35, d’une augmentation de la volatilité du résultat. Si ce risque n’est pas décisif pour les investisseurs, il peut le devenir pour l’économie réelle. L’extension de la fair value impliquera donc l’accroissement des valorisations comptables au prix de modèle qui demeurent plus complexes à estimer et qui restent entourées d’une marge d’incertitude très élevée. Le normalisateur prône la transparence mais il risque d’en résulter une plus grande opacité des résultats comptables.
24La régulation comptable doit donc trancher les divers intérêts en présence : entre ceux des investisseurs de court terme et ceux des autres utilisateurs – parmi lesquels les entités publiques notamment –, l’IASB a manifestement privilégié les premiers. Non sans surprise au demeurant, puisque la fair value s’inscrit dans la ligne de pensée libérale de l’Ecole de Chicago dont le modèle théorique s’appuie sur la mesure de la performance par la variation des postes d’actif et de passif du bilan. Dans cette optique, l’entreprise devient la représentation d’un portefeuille d’actifs et de passifs échangeables. Cette perception conduit à une théorie comptable partisane qui occulte les intérêts des autres tiers intéressés. L’appel à une théorie comptable alternative se fait entendre : à cet égard, il peut être opportun de retenir différentes valeurs d’un même bien, en retenant l’hypothèse que la valeur d’un bien financier n’est pas en toutes circonstances son prix de marché, et qu’elle peut dépendre de l’intention du portage, ou « mode de gestion effectif36 ».
III/ La comptabilité après la crise : une reprise en main par le législateur national ?
25La gravité de la crise financière aura eu le mérite de poser la question du rôle de la comptabilité et de mettre en exergue son importance sur l’économie réelle. De nombreuses propositions se font entendre pour réformer le capitalisme financier ; parmi celles-ci, nous retiendrons celles qui ont trait à la révision du système comptable international.
26Le rapport « Normes comptables et crise financière, Propositions pour une réforme du système de régulation comptable » est particulièrement pertinent car il a le mérite d’ouvrir une réflexion sur les fondements conceptuels de la normalisation comptable et la définition du modèle sous-jacent de l’entreprise. Les auteurs posent le principe selon lequel la comptabilité doit être l’objet d’un débat démocratique et doit rester une prérogative de l’État. Si les conditions d’un renforcement de la représentation de l’intérêt public ne sont pas respectées ou en cas de désaccord sur les principes fondateurs des normes, il est suggéré la création d’un EASB (European Accounting Standards Board) public, en appui de l’IASB, dont la mission serait l’exercice souverain d’un pouvoir effectif d’amendement et de propositions de nouvelles normes. Cette instance de régulation comptable supranationale européenne serait dotée de pouvoirs élargis : amender, dans des circonstances de marché exceptionnelles, des modalités d’application des normes comptables établies par l’IASB ; créer et gérer un observatoire de la liquidité, dont les travaux serviraient de support aux décisions de suspension des normes ; mettre sur pieds une Haute Autorité de Valorisation, composée d’experts pouvant intervenir dans des litiges de valorisation de produits structurés et en appui éventuel des missions de commissariat aux comptes en cas de doute dans un processus de validation des valorisations ; contrôler l’organisation et le fonctionnement du marché de gré à gré…
27Enfin, les auteurs proposent la mise en place d’une structure de validation des projets de création de produits structurés, à l’image de la Food and Drug Administration sur les médicaments aux États-Unis ou des Mines pour les automobiles. La « mise sur le marché » des produits structurés serait subordonnée à la validation des modalités de la valorisation comptable et de son contrôle par les commissaires aux comptes. Les fonctions de cette instance supranationale de régulation comptable pourraient être assurées, soit par la création d’une nouvelle Autorité, soit par une structure regroupant les Autorités européennes de normalisation comptable.
28Incontestablement, ces projets démontrent le souhait que les instances représentatives de l’intérêt public reprennent en main la comptabilité qu’elles ont laissé échapper. L’objectif de transparence sera-t-il mieux servi ? Si ces projets sont riches d’ambitions, il reste encore à savoir quels seront les moyens proposés pour les satisfaire et quelle sera la volonté politique pour les mettre en œuvre. On rappellera néanmoins que la transparence d’une règle ne saurait automatiquement se déduire de celle de son émetteur. La transparence comptable supposerait que la normalisation s’effectue en fonction de données techniques et juridiques ; or, les considérations d’ordre politique sont encore nettement présentes dans les débats en cours37. Ainsi, le rapport d’information sur les « enjeux des nouvelles normes comptables38 » adopte un ton à la fois national et militant, ce qui rendra d’autant plus délicate l’entreprise de conviction des partenaires européens. Le législateur a formulé une série de mesures qui tendent finalement à ancrer le lobbying et la défense des intérêts particuliers dans l’univers de la comptabilité39. Il est urgent de prolonger la réflexion sur le rôle et la portée de la comptabilité ; il est tout aussi urgent de lui rendre sa fonction première, être au service de l’homme.
Notes de bas de page
1 R. SAVATIER, Le droit comptable au service de l’homme, Paris, Dalloz, 1969.
2 V. : B. COLASSE, « IFRS : un défi et une opportunité pour l’enseignement de la comptabilité », Revue Française de comptabilité, février 2006, n° 385, p. 38.
3 Le cadre conceptuel fixe les principes directeurs des normes ; il constitue ainsi le guide de compréhension générale de ces normes. Le cadre conceptuel de l’IASB n’a pas été publié sous la forme d’un règlement (contrairement aux IAS et aux IFRS). Il a cependant été publié en annexe aux « Observations concernant certains articles du règlement (CE) n° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 19 juillet 2002, sur l’application des normes comptables internationales ainsi que la quatrième directive (78/660/CEE) du Conseil, du 25 juillet 1978, et la septième directive (83/349/CEE) du Conseil, du 13 juin 1983, sur la comptabilité ».
4 V. les dossiers réalisés par l’AMF, not. : « Comment l’adoption des normes comptables internationales va-t-elle affecter la relation des investisseurs avec le marché ? », in Les entretiens de l’AMF, 18 novembre 2004.
5 Sur les conséquences d’un tel changement, v. : M. TELLER, « Les normes IFRS : vers un schisme juridique », Bulletin Joly Bourse, 2007, n° 6, p. 705.
6 Sur l’ambivalence d’une vérité comptable v. D. VIDAL, « La vérité et le droit (comptable) », Revue de Droit comptable, 1987, n° 2, p. 63.
7 V. not. : F. PASQUALINI, « La diversité des utilisateurs de l’information comptable et l’unicité de l’information », Revue de Droit comptable, 1991, n° 1, p. 5.
8 Sur l’historique de cette institution, v. G. GELARD, « De l’IASC à l’IASB : un témoignage sur l’évolution structurelle de la normalisation comptable internationale », Revue Française de Comptabilité, n° 380, septembre 2005, p. 14. Depuis 2000, quatre organismes composent la structure d’ensemble : une fondation (l’IASCF), un conseil (l’International Accounting Standards Board), un comité d’interprétation (l’IFRIC) et enfin un comité consultatif dénommé Standards Advisory Council (SAC).
9 Un organisme technique de droit privé, l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) a été créé en 2001 par les préparateurs, les utilisateurs et les membres de la profession comptable qui ont en charge la gestion de l’information financière en Europe. Il a deux objectifs principaux : apporter une contribution proactive aux travaux de l’IASB et donner un avis technique quant à l’adoption des normes comptables internationales de l’IASB en effectuant une évaluation technique des normes et interprétations, avant leur adoption en Europe.
10 L’Accounting Regulatory Committee ou, en français CRC, Comité de Réglementation Comptable européen a été créé par la Commission européenne, conformément à l’art. 6 du règlement CE n° 1606/2002 du 19 juillet 2002. Son rôle consiste à fournir un avis sur les propositions de la Commission d’adopter une ou des normes comptables internationales conformément à l’art. 3 du règlement CE n° 1606/2002. Il est composé de représentants des Etats membres et est présidé par la Commission européenne.
11 Le CESR (Committee of European Securities Regulators) ou Comité des régulateurs européens, a été créé en juin 2001 par la Commission européenne. Les missions du CESR sont d’améliorer la coordination entre régulateurs de marché, conseiller la Commission européenne et travailler à améliorer la cohérence et la mise en œuvre quotidienne de la législation communautaire dans les États membres.
12 La Fédération des Experts comptables européens (FEE) est une association internationale créée le 1er janvier 1987. Elle est l’organisation représentative de la profession comptable en Europe.
13 Règlement (CE) n° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002 sur l’application des normes comptables internationales.
14 4e considérant, cf. Règlement n° 1606/2002 précité.
15 V. le 9e considérant : « Pour qu’une norme comptable internationale puisse être adoptée en vue de son application dans la Communauté, il faut, en premier lieu, qu’elle remplisse la condition fondamentale énoncée dans les directives précitées du Conseil, à savoir que son application doit fournir une image fidèle et honnête de la situation financière et des résultats de l’entreprise, ce principe étant apprécié à la lumière des directives précitées du Conseil sans impliquer une stricte conformité avec chacune des dispositions de ces directives. Il faut ensuite que, conformément aux conclusions du Conseil du 17 juillet 2000, elle réponde à l’intérêt public européen et, enfin, qu’elle satisfasse à des critères fondamentaux quant à la qualité de l’information requise pour que les états financiers soient utiles aux utilisateurs », cf. Règlement n° 1606/2002 précité.
16 V. : art. 3, §2, cf. Règlement n° 1606/2002 précité.
17 V. : C. HOARAU et R. TELLER, in Contrôle, Comptabilité, Audit, numéro spécial consacré à la mondialisation et aux normes comptables internationales, décembre 2007, p. 3.
18 Conceptual Framework, IASB, july 2005.
19 « Les enjeux des nouvelles normes comptables », Rapport d’information du 10 mars 2009, n° 1508, p. 7.
20 « Le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2004-1382 du 20 décembre 2004 portant adaptation de dispositions législatives relatives à la comptabilité des entreprises aux dispositions communautaires dans le domaine de la réglementation comptable, déposé le 17 mars 2005 – ordonnance fondamentale qui a transposé en droit français le règlement (CE) n° 2002/1606 rendant obligatoires les normes IFRS pour l’établissement des comptes consolidés des sociétés faisant appel public à l’épargne – n’a jamais été examiné par l’Assemblée nationale », in « Les enjeux des nouvelles normes comptables », Rapport précité, p. 8.
21 Ainsi, le rapport d’information relève que « […] les autres parties prenantes, notamment les entreprises, estiment avoir du mal à se faire entendre d’experts qualifiés « d’autistes » ou « d’ayatollahs de la comptabilité » par certaines personnes auditionnées par la mission d’information. Les décisions sont ainsi prises sans que quiconque sache réellement quels arguments ont pesé dans un sens comme dans l’autre, l’ampleur même des consultations lancées préservant la totale liberté de décision de l’IASB », p. 14.
22 V. : J. BENJAMIN, La Tribune, 17 août 2010, p. 14.
23 Rapport au Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, 13 octobre 2009.
24 Cette proposition ressort notamment du Rapport au Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi précité.
25 V. en particulier S. LEFRANCQ, « Juste valeur ou valeur injuste : le débat sur l’évaluation des instruments de marché », Revue Française de Comptabilité, 2009 n° 418, p. 31.
26 IAS 39, § AG71.
27 B. BON MICHEL et B. PIGE, « La crise financière : rôle des agences de notation et des auditeurs », Revue Française de Comptabilité, 2008, n° 416, p. 44.
28 IAS 39 §AG71 à AG82.
29 V. S. LEFRANCQ, « Juste valeur ou valeur injuste : le débat sur l’évaluation des instruments de marché », op. cit. Comme le relève l’auteur, « l’idée d’une parfaite transparence de la comptabilité nous semble cependant illusoire et l’image renvoyée comporte inéluctablement des interprétations, des choix et des évaluations propres à l’entreprise sur lesquels la communication exhaustive est impossible ».
30 P. QUIRY et Y. LE FUR, « S’enrichir de sa propre décrépitude ? », Lettre Vernimmen, n° 80, 2009.
31 Voici les gains sur dépréciation de leurs dettes ainsi enregistrés par les principales banques mondiales en 2008 (en millions de dollars) : Deutsche Bank 7 794 ; Barclays 2 084 ; Morgan Stanley 5 600 ; JP Morgan 1174 ; Citi 4 558 ; Goldman Sachs 1 116 ; Crédit Suisse 3 151 BNP Paribas 1 079 ; UBS 2 517. Source : P. QUIRY et Y. LE FUR, op. cit.
32 B. PIGE, « IFRS et gouvernance : le rôle des normes comptables internationales dans la crise financière », Revue Française de Comptabilité, 2009, n° 424, p. 28.
33 S. LEFRANCQ, « Juste valeur ou valeur injuste : le débat sur l’évaluation des instruments de marché », Revue Française de Comptabilité, 2009 n° 418, p. 31.
34 Une exception étant prévue pour les titres de fonds propres. V. Exposure draft, Fair Value classification and measurement, 14 juillet 2009.
35 V. D. MARTEAU et P. MORAND, « Normes comptables et crise financière, Propositions pour une réforme du système de régulation comptable », Rapport au Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, 13 octobre 2009.
36 Il s’agit d’une proposition du rapport Normes comptables et crise financière, Propositions pour une réforme du système de régulation comptable, précité. La valorisation en fair value de l’ensemble des actifs et passifs financiers est la négation de la co-existence, dans le bilan, de valeurs d’échange (portefeuille de trading par exemple) et de valeurs d’usage (titres de participation stratégique, dette émise, certaines tranches de titrisation…). Un même actif peut avoir deux valeurs différentes selon son mode de gestion effectif : sa valeur d’échange est affectée d’un spread de liquidité, pas sa valeur d’usage.
37 Sur ce point, v. G. GELARD, « Le rapport à l’Assemblée nationale sur les enjeux des nouvelles normes comptables : une lecture critique », Revue Française de Comptablité, n° 423, juillet-août 2009.
38 Rapport du 10 mars 2009, n° 1508, op. cit.
39 À titre d’illustration, voici les principales propositions :
Proposition n° 1 : « associer les commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, via un avis, à la nomination du Président de l’Autorité des normes comptables » ;
Proposition n° 7 : « élargir le financement de l’IASB/IASC en instituant un financement public de ceux-ci via le budget communautaire » ;
Proposition n° 10 : « ne nommer au sein de l’IASB que des ressortissants de pays qui appliquent les normes IFRS, pour un mandat de 3 ans, renouvelable une fois, en prêtant une plus grande attention aux compétences économiques et financières des candidats » ; Proposition n° 13 : « l’Union européenne ne doit pas s’interdire de faire pression autant que nécessaire sur l’IASB pour orienter les normes IFRS dans un sens favorable à ses intérêts et à ceux des Etats-membres » ;
Proposition n° 15 : « surveiller étroitement via le “conseil de surveillance” de l’IASC, l’EFRAG et l’ECOFIN, la convergence entre les normes IFRS et les US GAAP afin que celle-ci ne se traduise pas par un alignement des premières sur les secondes ».
Auteur
MCF, Université de Nice Sophia-Antipolis CREDECO-GREDEG, CNRS, UMR 6227
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