Eugénie
p. 108-133
Texte intégral
1Stendhal admirait Byron et Shelley. Il se vantait d’avoir rencontré le premier dont il adore le Dom Juan. Dans ses multiples brouillons de testaments, il demande plusieurs fois à être enterré auprès du second, « mon ami Shelley (pyramide de Cestius) »206. Pour lui, les petites filles n’avaient pas grande valeur romanesque, mais l’on verra qu’il en va différemment en ce qui concerne l’inspiration, ou, pour user de termes plus modernes, la genèse romanesque.
Stendhal, Ségur, Rostopchine
2Stendhal est nommé auditeur au Conseil d’État en 1810. Il a vingt-sept ans. Il avait assez œuvré pour obtenir ce succès, qui lui promet une belle carrière. En outre, il aime Napoléon. Bien plus tard, il continuera à penser que « ce Conseil était respectable. [...] Excepté les gros, ses ennemis avec folie, Napoléon avait réuni, dans son Conseil d’État, les cinquante Français les moins bêtes »207. C’est là qu’il connaît le comte de Ségur, qui présidait parfois la section de l’intérieur. Ce grand-maître des cérémonies, il le traite de Lilliputien, bien qu’« on eût pu [lui] demander tous les procédés délicats et même dans le genre femme s’avançant jusques à l’héroïsme »208. Il croise aussi son fils, le comte Philippe, qui vingt ans plus tard lui « servira d’exemple pour le caractère que j’abhorre le plus à Paris : le ministériel fidèle à l’honneur en tout, excepté les démarches décisives de la vie »209. Et il continue, inspiré par ce symbole de la platitude et de la bassesse du Paris de la Restauration. « En 1828 ou 26. le bon Philippe était occupé à faire un enfant à une veuve millionnaire qu’il avait séduite et qui a dû l’épouser (Mme Greffulhe, veuve du pair de France). J’avais dîné quelquefois avec ce général Philippe de Ségur à la table de service de l’Empereur. Alors, le Philippe ne parlait que de ses treize blessures, car l’animal est brave. »210
3Tous deux font la campagne de Russie, Stendhal au service de l’intendance, et Philippe de Ségur comme aide de camp de l’Empereur. De Moscou, Stendhal envoie son journal sous forme de lettre à son ami Félix Faure, où il décrit le grand incendie. Devant fuir la capitale,
enfin, nous arrivons à un bivouac ; il faisait face à la ville. Nous apercevions très bien l’immense pyramide formée par les pianos et les canapés de Moscou, qui nous auraient donné tant de jouissance sans la manie incendiaire. Ce Rostopchine sera un scélérat ou un Romain ; il faut voir comment son affaire prendra. On a trouvé aujourd’hui un écriteau à un des châteaux de Rostopchine ; il dit qu’il y a un mobilier de tant (un million, je crois), etc., etc., mais qu’il l’incendie pour ne pas en laisser la jouissance à des brigands. Le fait est que son beau palais d’ici n’est pas incendié211.
4L’armée française se dirige vers le sud-ouest, sur la route de Kalouga, où se trouve la maison de campagne de Rostopchine, que Stendhal se targue d’avoir saccagée :
Quelles idées n’ai-je pas eues dans ma calèche pendant ma campagne de dix-huit jours de Moscou à Smolensk ! J’en avais écrit très peu sur un volume de Chesterfield pillé par moi, à la maison de campagne de Rostopchine ; il a été perdu avec le reste. Pour moi, ce n’est qu’avec respect que je parcourais la maison de campagne du comte Rostopchine, ses livres en désordre, et les manuscrits de ses filles. [...] A demi-lieue de Moscou, je me permis de ramasser par terre un petit traité manuscrit sur l’existence de Dieu212.
5Une drôle de coïncidence, tout de même, qui fait lire à Stendhal avant tout le monde, des écrits de la créatrice des « petites filles modèles », la future comtesse de Ségur. Car la fille de Mme Rostopchine épousera le neveu de ce Philippe de Ségur dont Stendhal a une si mince opinion. Quant au maître des cérémonies dont il ne pensait guère mieux, il avait un frère qui devait agréer davantage au romancier. Alexandre de Ségur (1756-1805), ami de Laclos, comme nous l’avons vu, et très introduit auprès du duc d’Orléans, était le fils d’une liaison adultère de sa mère avec le baron de Besenval. Alexandre était au courant, et admirait ce père dont il fut l’exécuteur testamentaire et dont il édita les Mémoires qui parurent à sa propre mort213. Ce livre a beaucoup plu à Stendhal qui l’a lu à sa sortie, l’a relu en 1809, en 1811, et en cite une anecdote au début de De l’Amour214.
6Mais la coïncidence la plus étonnante est celle qui relie Stendhal à Eugénie de Montijo enfant (elle a dix ans et demi quand il en fait la connaissance, et pas encore treize quand elle quitte Paris), et cette amitié, à la rédaction de La Chartreuse de Parme.
7Cette rencontre a eu plus de conséquences pour lui que pour elle. Eugénie s’en souviendra assez peu et arrangera ses réminiscences. Mais, chez Stendhal, on assiste à une première apparition de la petite fille fatale, dont l’image va commencer à envahir le XIXe. puis le XXe siècle. La piccola maga, ainsi appelle-t-il l’un des modèles de Lamiel, beau type de petite fille terrible et enchanteresse. On y a vu une allusion à une de ses maîtresses italiennes, Giulia Rinieri215. Mais Eugénie de Montijo ne mériterait-elle pas davantage ce titre de « petite magicienne », nabokovien avant la lettre ?
Les Montijo à Paris
8Stendhal écrit les Souvenirs d’égotisme, où il se remémore avec tant de mépris le comte de Ségur et son fils, en 1832. Quelques années encore et, lors d’un long congé de son poste de consul à Civitavecchia, il fait la connaissance d’Eugénie de Montijo, grâce à Prosper Mérimée. Celui-ci. ainsi que Sutton Sharpe, un avocat anglais, fait partie du petit groupe d’amis, de « garçons » au sens flaubertien du mot (ce sont tous des célibataires endurcis), que fréquente avec le moins de déplaisir Stendhal.
9Mérimée, lors de son voyage en Espagne en 1830, avait connu Mme de Montijo qui lui a fourni la source de sa Carmen. Il est piquant de noter à cet endroit que l’auteur de La Vénus d’Ille et d’autres contes fantastiques, avait courtisé Mary Shelley lors du séjour de cette dernière à Paris en 1828. Plusieurs lettres sont échangées par la suite, mais le flirt tournera court. Stendhal, quant à lui, connaissait Frankenstein. Quand on en représente une adaptation à Paris, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, il n’est pas tendre :
J’ai vu M. Cooke la première fois qu’il a joué Le Monstre. La pièce elle-même est à peu près inintelligible. Ceux qui n’ont pas lu le roman de Mrs Shelley ne peuvent comprendre pourquoi le monstre hait le magicien qui l’a créé. Le jeu de Cooke a excité tour à tour la terreur et les larmes des dames216.
10Mary Shelley avait pourtant apprécié cette version théâtrale. Elle refuse, quant à elle, d’écrire un compte rendu sur les Promenades dans Rome, composées en août-septembre de cette même année, et publiées l’année suivante, parce qu’elle les trouve common-place217.
11En été 1834, la guerre civile et le choléra chassent la comtesse de Montijo et ses deux filles d’Espagne. On peut reconstruire les quelques jours précédant leur départ de la manière suivante : le 15 juillet 1834, Cipriano, comte de Teba, fait son testament ; le 16, meurt son frère aîné, Eugenio, parrain et oncle d’Eugénie dont elle a hérité le prénom ; le 17 serait le jour du « massacre des moines » accusés d’être des graisseurs, auquel auraient assisté horrifiées, du haut de leur balcon, les petites filles ; le 18, départ. Mérimée suit de loin leur périple, à travers ses correspondants dans le Sud-Ouest de la France, et attend leur arrivée à Paris. Comme de nombreuses familles réfugiées, elles s’arrêtent à Perpignan, où le général Castellane les remarque218, et séjournent à Pau et à Toulouse, où elles rencontrent un ami de Mérimée, à qui l’écrivain répond :
Je suis enchanté que la comtesse de Montijo vous plaise. Vous ne me parlez pas de Paca et de son autre fille. Je les ai laissées récitant des fables et dansant le fandango sur une table. Je m’imagine que maintenant on monterait sur une table pour les voir danser219.
12Non, pas encore. Eugénie est née le 5 mai 1826 à Grenade durant un tremblement de terre, soutient-elle. Elle n’a donc que neuf ans. C’est une légende tenace que cette naissance durant un tremblement de terre. Seul un historien récent220 s’est posé la question de vérifier si c’était vrai, et il a dû conclure prudemment qu’en effet des secousses sismiques s’étaient produites le mois précédent à Grenade, mais sans aucune évidence qu’il y en ait eu une précisément le 5 mai 1826 (date anniversaire, comme on n’a pas manqué de le souligner, de la mort de Napoléon).
13Pendant le Second Empire, les conjectures sur l’âge d’Eugénie feront rage. Son acte de mariage y avait contribué en mentant sur sa date de naissance : 1828221. Une fois l’Empire tombé, en 1876, sa mère intentera un procès (qu’elle gagnera) contre des journaux ayant propagé des calomnies sur la bâtardise d’Eugénie et de sa sœur aînée Francisca de Sales, que l’on surnommait Paca. Elle produit des attestations des actes de mariage et de baptême des deux enfants, ainsi que du testament de Don Cipriano222, dont on ne manquera pas de nier l’authenticité.
14Cipriano Palafox y Portocarrero appartient à la famille Guzmàn et a hérité du titre de comte de Montijo à la mort de son propre frère :
Sa mort et la loi le faisait d’un coup et de droit plusieurs fois Grand d’Espagne, Comte de Montijo, Duc de Penaranda de Duero, comte aussi bien de Ablitas que de Moya, Marquis de Ardales, etc...223
15Eugénie Guzmán y Palafox (le nom de Montijo lui a été attribué abusivement, selon les règles patronymiques françaises qui divergent de l’usage espagnol) arrive à Paris au début de l’été 1835, dans la première décade de juillet, car le 11, Mérimée écrivait à un ami, Charles d’Aragon : « Le comte et la comtesse de Montijo sont à Paris ».224
16Les fillettes sont mises en pension au couvent du Sacré-Cœur (qui se trouvait Hôtel de Biron, rue de Varenne). Elles fréquentent les Delessert. Leur mère est très amie de Valentine de Laborde, qui deviendra la maîtresse de Mérimée, épouse de Gabriel Delessert, préfet de police à Paris entre 1836 et 1848, et elles-mêmes s’amusent avec leurs enfants, Cécile et Edouard, qu’elles vont visiter à la Préfecture. Cécile Delessert restera une confidente d’Eugénie, adulte et impératrice.
17Stendhal ne fera toutefois leur connaissance que plusieurs mois plus tard, à Paris, où, libéré de l’ennuyeux consulat sur les terres de l’Eglise, il restera trois ans. Mais juste avant de quitter Civitavecchia pour le long et légendaire congé durant lequel il écrira la Chartreuse, il traite une affaire délicate. Le 3 mai 1836, Pierre Bonaparte, fils de Lucien, prince de Canino, le frère aîné de Napoléon, tue un gendarme. Le consul Beyle aura le temps de rédiger le rapport que signera Galloni d’Istria, son substitut, et donne de cet événement une version favorable à Pierre, rejeton bonapartien des plus remuants, futur grand-père d’une petite fille géniale dont on reparlera.
18Quand il est enfin libre, Mérimée se propose de lui présenter « une admirable Espagnole ». Je vous mènerai à mon retour chez une excellente femme de ce pays qui vous plaira par son esprit et son naturel. C’est une admirable amie, mais il n’a jamais été question de chair entre nous. Elle est d’un type très complet et très beau de la femme d’Andalousie. C’est la comtesse de Montijo, autrefois comtesse de Teba dont je vous ai souvent parlé ».225 Dans cette même lettre, il lui annonce qu’il est amoureux (de Valentine Delessert) et peste contre la bêtise morale de la duchesse de Broglie.
19C’est entre fin 1836 et mars 1839 que Stendhal fréquente les petites Montijo. Eugénie quittera Paris avant d’atteindre ses treize ans et ne reverra plus Stendhal. Elle ne savait pas que le chapitre de Waterloo lui était dédié.
20Les documents qui nous renseignent sur cette période de l’enfance d’Eugénie sont de trois sortes :
les lettres : les siennes, celles de sa sœur, de sa mère, de Mérimée, de Stendhal.
les souvenirs : très peu sont autographes. Il s’agit toujours de propos rapportés par les dévots d’Eugénie, généralement à une époque tardive.
le palimpseste des notes autobiographiques de Stendhal, qui a tenu un journal durant certaines époques de sa vie, mais pas pendant celle qui nous occupe.
Un journal intime chiffré
21Période pourtant fascinante puisque c’est celle où il prépare puis compose la Chartreuse. Il écrit ses réflexions intimes sur ses livres, et surtout sur les couvertures, les pages de garde, des feuilles blanches, qu’il fait par la suite interfolier dans les reliures. Et surtout, il date226. Et ceci, à partir du moment où, consul à Civitavecchia, il se trouve dans cette situation paradoxale, de se sentir « exilé » dans sa patrie d’élection. Car il déteste Civitavecchia, petit port dans les états pontificaux, où l’a amené, après la révolution de 1830, la protection du comte Molé, ayant été éloigné, pour des motifs politiques, des états italiens gouvernés par l’Autriche.
22Comme il relit souvent ses livres, il peut arriver qu’un volume soit couvert de notes d’époques différentes, se corrigeant ou se modifiant l’une l’autre. Par exemple, le tome II de La Nouvelle Héloïse est griffonné, sur les première, seconde, troisième et quatrième de couverture, de traits datant du 8 avril 1823, du 4 décembre 1826, du 3 septembre 1836 et du 29 août 1838. Je ne cite pas La Nouvelle Héloïse par hasard : c’est l’une de ses premières lectures, découverte voluptueuse, qui fit de lui. dit-il, un voleur de livres. Il se relit beaucoup lui-même : l’Histoire de la peinture en Italie, les Mémoires d’un touriste, Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme. Dans ces trois derniers textes, il fait relier des feuillets écrits précédemment, célébrant des événements personnels qui accompagnaient l’écriture.
23Ces volumes font partie de sa bibliothèque de Civitavecchia, mais c’est à Paris qu’il les a sous la main, et c’est maintenant à Milan qu’on peut les consulter227. Si on les somme, ce ne sont que quelques dizaines de lignes, souvent écrites en chiffre ou mêlant un anglais et un italien macaroniques au français.
Une correspondance enfantine
24Quant aux petites filles, elles écrivent le même jour aux mêmes personnes, selon le rite sacré de la correspondance, devoir féminin et éducatif. Paquita date, pas Eugénie.
25En ce mois de juillet 1836 où Mérimée promettait à Stendhal de l’inviter chez Mme de Montijo, Paca, la sœur d’Eugénie, communique à son père que toutes deux sont sorties du Sacré-Cœur228. Elles n’y seront donc restées qu’une année scolaire.
26C’est maintenant une gouvernante anglaise, Miss Cole, qui s’occupe d’elles. Pendant le mois d’août, elles voient des feux d’artifice ; on leur donne deux poupées anglaises.
27C’est en automne, cette année-là (le 12 novembre 1836), selon la légende, qu’Eugénie à dix ans, en visite à la Préfecture de police chez les Delessert, aurait aperçu Louis-Napoléon en route pour l’exil. En effet, Louis-Napoléon avait raté son coup d’état. Mais cela n’avait pas manqué de réactiver des souvenirs chez Stendhal qui relit et annote le Mémorial de Las Cases : « B[eyle] arrangea la Vie de Nap[oléon] du 9 novembre 1836 à juin 1837. »229
28Le lendemain du nouvel an 1837, Eugénie relate à son père qu’on a voulu tuer le roi. Elle lit la vie de Napoléon, mais aussi « les Robinson ». Sa sœur Paca, quant à elle, l’informe qu’elles connaissent « un monsieur qui s’appelle M. Beyle et qui est très aimable et très bon pour nous [...]. Il nous raconte toutes les choses qui se sont passées du temps de l’Empire ». Elle remarque que les Espagnols sont plus généreux que les Anglais parce qu’ils aiment Napoléon.
29Bien longtemps après, Eugénie confiera au précepteur de son fils combien « les soirs où venait M. Beyle étaient des soirs à part. Nous les attendions avec impatience, parce qu’on nous couchait un peu plus tard ces jours-là. Et ces histoires nous amusaient tant ! »230
30Si elles sont frappées par les récits de ce conteur d’exception, lui-même ne mésestime ses petites auditrices, dont il anticipe les réactions à ses paradoxes d’historien. Toujours projetant ses Mémoires sur Napoléon, Stendhal note, dans un exemplaire de ses propres Mémoires d’un touriste, qu’il a fait interfolier :
Napoléon fit bien d’usurper le pouvoir le 9 novembre 1799 (quatre 9). Il sauva la France à Marengo et à Austerlitz.
Mais (ceci scandalisera Mlle Éoukenia), il eût été heureux pour le bonheur du plus grand nombre qu’il fût tué à la fin de 1805. A partir de ce moment il a agi dans l’intérêt de la famille Bonaparte, non dans celui de la France231.
31Éoukénia est le nom qu’il donne à Eugénie, selon une transcription approximative de la jota espagnole, et qu’il abrège souvent en Éouké, voire Éouk.
32Eugénie est la fille d’une mère ambitieuse. Elle reçoit une éducation conforme au modèle (on l’envoie au Sacré-Cœur, l’un des pensionnats les plus à la mode) mais déviante sous certains aspects (elle n’y reste qu’un an, durant l’absence de sa mère, rappelée en Espagne). Cette mère s’installe dans le quartier du faubourg Saint-Honoré, appellation qui définit une société attachée à l’Empire, mais ralliée aux idées de la Restauration, où « deux catégories de gens du monde cohabitaient : les aristocrates de tendance libérale, et les étrangers, avec une partie des ambassades » ; ce qui correspond, terme à terme, à la comtesse de Montijo232. Le père étant peu présent, elle mène une vie assez libre à laquelle elle mêle ses filles. Elle a un salon où elle reçoit des intellectuels, et Eugénie est en cela atypique, par rapport aux petites filles de l’époque, qu’elle s’intéresse à la politique. Le motif du retrait du Sacré-Cœur n’est pas connu ; c’est certainement une décision de leur mère ayant cédé au désir de ses filles de rentrer chez elles. On leur donne alors des gouvernantes et institutrices, anglaises comme il se doit, d’abord Miss Cole, puis Miss Flower. On leur fait faire de la gymnastique, rue Jean-Goujon, c’est-à-dire, près de chez elles, chez cet Amoros, Espagnol né à Valence en 1769, ministre de l’intérieur et gouverneur de plusieurs provinces sous Joseph Bonaparte, qui était passé en France en 1814. Adepte de la méthode Pestalozzi, il s’est fait connaître en écrivant des manuels sur l’éducation physique. Les deux sœurs s’y rendent le dimanche et s’y amusent beaucoup.
33Petites filles excentriques mais qui s’adonnent aux très normales occupations de l’enfance féminine de l’époque :
la couture et la broderie : « Nous faisons de jolis ouvrages [...] : ma sœur, un petit panier et moi une pelote et nous allons commencer deux sacs très jolis » ; son père lui demande un dessous de lampe, « mais nous avions déjà fait des pantoufles pour ta fête ainsi qu’une bourse » ;
la mode : « Je te prie, si cela ne te dérange pas beaucoup, de nous envoyer de la dentelle noire pour nos mantelets d’hiver [...]. Veux-tu m’envoyer aussi de l’argent pour m’acheter un manchon, car je suis grande à présent et je voudrais être à la mode » ;
le dessin : « Nous avons été au salon de peinture, mais rien n’égale nos tableaux » ;
les jeux et les sorties, comme un feu d’artifice, « deux poupées anglaises », une pièce au Cirque Olympique, une soirée chez le duc d’Albe, les promenades à Versailles ;
les livres : le Robinson Crusoé et le Robinson Suisse.
34Au printemps, le 26 mars 1837, les deux sœurs font leur première communion. Et en avril, elles jouent de la musique avec Stendhal, ce qui le charme assez pour qu’il le note, avec la date précise (le 15 avril) en haut d’une page de garde, à la fin de ses Menagiana où il a souligné des bons mots et coché des anecdotes : « Music with Pa and Éouké ».
35Ces petites filles vont au théâtre. jouent du piano avec les amis de leur mère, et visitent aussi les musées : Eugénie voit le sphinx et décrit trois momies, « une grande et deux petites »
36contente d’un portrait qu’ de sa personne et qu’elle juge ressemblant. Elle récrimine contre la guerre qui la prive de la présence paternelle.
37Toujours en avril 1837, Eugénie continue à écrire à son père ses menus faits et gestes et ce qui l’a impressionnée : des enfants sont morts du croup, les fêtes de Louis-Philippe ont eu lieu, le dimanche elle va au Gymnase où Paquita a gagné le prix de saut. Mérimée a promis de lui faire tirer au pistolet avec de la poudre. Enfin, elles ont passé une soirée chez le duc d’Albe (peut-être déjà celui qui deviendra le futur mari de Francisca).
38En été, les deux petites filles sont à Clifton, en Angleterre. Elles prennent des cours : « Toute la journée nous sommes à la pension à apprendre l’anglais », écrit Paca à son père en été 1837. Car les langues étrangères sont fondamentales dans l’éducation des jeunes filles. Elles écrivent en français à leur père, et ce n’est qu’en novembre 1838, à douze ans, qu’Eugénie peut lui annoncer qu’elle « commence à lire l’espagnol », sa langue maternelle.
39Elles rentrent fin août, puis vont à Versailles où Mérimée leur rend visite, ainsi qu’à leur mère, le 11, le 17 septembre, par les Gondoles de Versailles, départ rue de Rivoli à onze heures et quart, et le 19, par les Accélérées. Avec Sutton Sharpe, il emmène la comtesse voir l’orang-outang au Jardin des Plantes, service que Mérimée rend, en cette période, à de nombreuses dames. Ce soir-là, la comtesse reçoit aussi Stendhal233 .
40Le 30 novembre 1837, Stendhal s’émerveille :
Singulière lettre digne de paraître dans un roman. Quelle singularité de conception, quelle hardiesse ! Mon mot ! Apparemment inventé sur ma parole : Ecrivez à [quelques mots illisibles]. Je vous aime plus que vous ne m’aimez. Exactly as at eighteen. – Ecris-tu à [quelques mots illisibles], – Non, j’écris à M.R. Éouké. Perte de la bourse ; bagatelle234.
41Cette note appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, Stendhal se réfère à une lettre amoureuse d’une femme, puis restitue un bref dialogue jaloux de deux répliques, où à la curiosité sur le nom d’une correspondante, éventuelle rivale, Stendhal répond par le nom d’Éouké (« M.R. » ne s’explique pas, et peut-être s’agit-il d’une mauvaise transcription de « Mlle »).
42Moins de deux semaines après, le mardi 12 décembre 1837, il a « passé le commencement of the evening with Éouké » :
Éouk me raconte la fureur des Espagnols contre un article du journal. La France faisait 200 millions de commerce avec l’Espagne ; cette année 15 millions. Thiers ne savait comment tuer le temps aux eaux des Pyrénées en septembre 1837, et passait son temps à un tir au pistolet235.
43Au tout début de l’année suivante, Beyle va au « bal de la rue d’Angoulème »236. La comtesse de Montijo habitait au 24, de cette rue, aujourd’hui baptisée de la Boétie, entre l’avenue des Champs-Elysées et le faubourg Saint-Honoré.
44Le 24 mars 1838, Stendhal écrit de Bordeaux à Domenico Di Fiore : « Je pense bien souvent à vous et aux deux Espagnoles de douze ans. »237
45Et vingt mois plus tard, le 30 novembre 1839, au même correspondant, mais cette fois, de Civitavecchia : « Je regrette vivement mes deux amies de quatorze ans, ces deux charmantes Espagnoles. »238 On voit qu’il suit à peu près l’âge des fillettes (l’aînée en a bien quatorze, et la benjamine treize à ce moment-là), et qu’il les associe à Domenico Di Fiore (un de ses meilleurs amis, le seul en qui il ait complètement confiance en matière amoureuse) : c’est dans le laps de temps entre ces deux souvenirs que les relations avec les jeunes Montijo vont devenir plus intenses et mêlées à la rédaction de la Chartreuse.
46Il semble, d’après les lettres, que Paca était plus réfléchie que sa cadette, mais péchait d’orgueil, obligeant Mérimée à lui asséner des « mercuriales ». Rivales un temps auprès du duc d’Albe, c’est Paca qui sera choisie. Mais il est tout aussi clair que Stendhal préfère Eugénie. Il parle généralement des deux fillettes ensemble. Mais il lui arrive de nommer Eugénie seule, jamais Paca.
La campagne de Versailles
47Resserrons-nous à ce calendrier de quelques semaines où Stendhal voit Eugénie à Versailles, compose la Chartreuse, lui dédie Waterloo, la voit partir et quitter Paris.
48Le 29 août 1838, Stendhal va à Versailles où il dîne à l’hôtel du Réservoir. Il fait allusion à une « battle » (et même la « bataille de Versailles », ce qui indique, dans son code, la campagne pour la conquête d’une femme), et il indique I see them239. Je les vois. Qui ?
49Deux jours plus tard, le 1er septembre 1838, il écrit le chapitre « de la vivandière et Alexandre »240. Tel s’appelait encore Fabrice Del Dongo, comme Alessandro Farnese dont l’histoire avait inspiré Stendhal. Il s’agit donc du récit de la bataille de Waterloo, qui est rédigée en premier, alors que telle ne sera pas sa place dans le roman sous sa forme définitive.
50Les Montijo, mère et filles, sont à Versailles. En outre, Eugénie annonce à son père que Mérimée et Beyle, ainsi qu’un autre monsieur, sont venus leur rendre visite le 13 septembre. Elle est contente, elle a eu de bonnes notes. Pour le moment, elle n’a plus de leçons et fait des promenades.
51Dans un agenda où l’on pourrait voir à quoi Stendhal passait ses journées, en congé à Paris, la troisième semaine de septembre se passerait ainsi : le lundi 17, Stendhal va à Enghien, où se trouve Saint-Gratien, la maison de Custine, dont il connaît les mœurs (qu’il réprouve) tout en l’admirant, lui. Custine, comme Stendhal et Shelley, a été inspiré par Beatrice Cenci sur laquelle il a composé une pièce. Mais le mercredi, Beyle est de nouveau à Versailles, avec Mérimée et Sutton Sharpe, ayant pris les Accélérées « à deux heures très précises ». Durant le voyage, « Académus » (surnom que Stendhal octroie à Mérimée) parle de femmes, de ces « modèles de grâce » qu’étaient celles du juste milieu sous la Restauration.
52Le vendredi, « insistance Mélanie, insistance Giulia ». Mais, victime de ses propres notes sibyllines, il ne se rappellera plus pourquoi en les relisant, deux ans plus tard (Mélanie Guibert et Giulia Rinieri Martini sont d’anciennes amours de Stendhal. Cette dernière, même après s’être mariée, continue à le voir. Peut-être était-ce elle, la jalouse qui lui demandait à qui il écrivait). Le samedi, il participe à un dîner d’académiciens qui l’horripilent.
53Il débute la semaine suivante en dînant au Rocher de Cancale, un des meilleurs restaurants de l’époque, situé sur les boulevards, et très à la mode. Mardi, il relit De l’amour. Mercredi, il se rend à Saint-Cloud. Et jeudi (27 septembre), Giulia Rinieri, qui était à Paris, repart pour Florence.
54Il est donc libre de resonger à sa bataille versaillaise et le mercredi suivant, un 3 octobre, il rend sa première visite à la « Duchesse » chez qui il rencontre Clémentine Curial (encore une ancienne passion), son protecteur le comte Molé qui faisait partie du conseil général du département pour l’arrondissement de Pontoise, le Préfet (Gabriel Delessert ou M. Aubernon, préfet de Versailles et pair de France, qui résidait rue des Réservoirs ?). Il fait beau. Il lit du Shakespeare et un peu d’espagnol241.
55Le 9, un mardi, il écrit plusieurs fois dans ses Nouvelles de Scarron (dont il veut réécrire l’une d’elles, l’Alzire), qu’il passe toute la matinée à aller et venir entre le chemin de fer et le Café du Pont de Fer sous Saint-Germain. De là, le soir, il se rend à Versailles, chose possible par le train qui assurait le service « de Versailles à Saint-Germain, et retour », avec départ de Saint-Germain à 7, 9 et 11 h le matin et à 5 et à 7 h. le soir. On pouvait aller à Versailles par cinq routes : par Sèvres, Saint-Cloud, Meudon et Saint-Germain (par voie ferrée) et par la Seine (par bateau à vapeur)242. Deuxième visite à « Fifteen », donc la « Duchesse » elle-même, ou quelqu’un qui habite chez elle. Mais elle est « not at home ».
56« Allé the third october. C’est assez ce me semble », commente, piqué, Stendhal. Il y insiste, toujours sur son exemplaire de Scarron, mais sur le second volume : « Second visite to 15, the first the 3 oct. jealous of the tourist, and N. accomplie non d’action mais de connaissance ». Stendhal avoue en avoir parlé à S.S. (Sutton Sharpe) deux semaines auparavant, « imprudence avec ces canailles là »243.
57Il paie ses dettes à son copiste, et tout à coup, le lendemain, comme par dépit, il décampe pour aller visiter la Normandie et la Bretagne, le temps de voir le musée de Nantes, de regarder des églises, de contempler un peu la nature, de réfléchir sur « la grammaire contenue dans les commentaires de Voltaire sur Corneille »244.
58Pendant ce temps-là, on mesure et on pèse Eugénie, au Gymnase Amoros, où elle est élève d’éducation physique. Elle a douze ans et demi, elle mesure 1,45m et pèse 35 kg.
59Le certificat porte en outre les indications suivantes : Tempérament : sanguin nerveux. Santé : bonne. Teint : blanc rosé. Couleur des cheveux : roux. Forme du visage : ovale. Caractère : bon, généreux, actif, ferme. Inclination pour les exercices : grande245.
60De plus, « presque tous les matins, Mlle Cécile et M. Edouard Delessert [...] venaient s’ébattre et prendre avec Mlle Eugénie de Montijo, leur amie, des leçons de gymnastique sous l’habile direction de M. Delestrée, alors sous-officier du bataillon des sapeurs-pompiers de Paris »246. Ces mêmes jours, elle écrit à son père « qu’elle est grande à présent ». Ce qui lui paraît justifier une demande d’argent pour acheter de la dentelle noire et un manchon.
61Le 4 novembre 1838, Stendhal est de retour à Paris :
Opus repris. [...] The same 4, I see 15 after same coldness.
Fleur me give un bon conseil. I go to 15 and am reçu with joy. Is it true from the mother ? Empressement of the eldest daughter. I look not at the old favorite. Le sang sur doigt. Je corrige les vingt premières pages of the Chartreuse.
Si l’absence était fausse, l’imagination de Domque lui fait des monstres, mais en revanche his courage lui [illisible]. Sans Fleur jamais je ne retournais to the fifteen247.
62Traduction : Stendhal a repris son œuvre le 4, et le même jour il voit celle qu’il surnomme Quinze après toujours la même froideur. Mais son ami Di Fiore lui donne un bon conseil : il va chez « 15 », est bien reçu. Mais la mère est-elle sincère ? La fille aînée est empressée. Lui ne regarde pas l’ancienne favorite. Le sang sur le doigt : épisode troublant qui fait penser à Emma Bovary quand, « tout en cousant, elle se piquait les doigts, qu’elle portait ensuite à sa bouche pour les sucer » lors de la première visite de Charles. Topos érotique, peut-être, puisque, dans les plans et scénarios de Flaubert, cet épisode figurait déjà, mais plus explicitement glosé : « – sang au doigt de Léon qu’elle [Mme Bovary] suce / amour si violent qu’il tourne / au sadisme / plaisir du supplice. »248
63Ce après quoi, Stendhal corrige les vingt premières pages de la Chartreuse. Puis, il analyse : si « 15 » a fait répondre qu’elle n’était pas chez elle, l’imagination de Dominique (le pseudonyme que Beyle s’est attribué) lui a fait voir les choses pire qu’elles n’étaient. Mais son courage lui a permis de..., de quoi ? de surmonter sa timidité ? De toutes façons, les conseils et les encouragements de Di Fiore ont été déterminants. De nouveau il juxtapose ces deux événements euphorisants : l’écriture et la séduction, la bataille de Waterloo et la plus heureuse des victoires.
64Pour une fois, avec une certaine logique, il reprend son exemplaire des Œuvres complètes de Shakespeare, où il avait noté le 1er septembre qu’il avait commencé à écrire le chapitre de la vivandière et d’Alexandre et dans la foulée un osculus (un baiser), mais on ne sait de qui, et il ajoute à la suite :
Le 2 septembre 1838, je dictais la vue postérieure de Waterloo par Fabrice. Je reprends cette rapide production le 4 novembre, jour de la plus heureuse et plus agréable victoire par les conseils de [Di Fiore],
(Demander toujours his conseils.)
Le 8 novembre, je corrige ledit Vater et je change Alexandre en Fabrice. Le texte cousu et à livrer en est à la page 80. Mosca will be D. Pèdre249.
65Le péan continue, et toujours avec ses deux thèmes parallèles, l’amour et le chapitre de Waterloo, appelé « Vater », assez ironiquement étant donné l’évidente rivalité, dans le roman, entre Fabrice et son père, lequel, durant la bataille, lui vole son cheval.
66Stendhal est tellement pris par son ivresse d’écriture qu’on le voit moins souvent en ville. Eugénie remarque que « M. Beyle est disparu et nous ne savons pas où il est passé, il a ordonné à son portier de dire à tout le monde qui le demanderait qu’il est à la chasse, ainsi nous ne savons pas de ses nouvelles ». Mais cela ne saurait durer puisque le 13 novembre, Stendhal voit les « two sisters »250. Le surlendemain, le 15, est la fête d’Eugénie. Le manuscrit de la Chartreuse en est à la page 270. Peu après, Stendhal note dans un exemplaire de Tom Jones : « Admirable et pour moi bien sentie représentation de Don Juan samedi 17 novembre 1838. The two sisters were there mardi. J’en suis à 310 of the black Chartreuse ». En deux jours, il a écrit quarante pages.
67« Le 10 décembre 1838, jusqu’à 1 heure au rout of the two sisters. Chants espagnols de Mlle Torino. »251 Et cinq jours plus tard, relisant les mésaventures de Fabrice à Waterloo, Stendhal inscrit dans la marge :
J’ai fait ce détail pour Éouk, le 15 décembre 1838252.
68Il inscrira également sur deux exemplaires de la Chartreuse :
Para v. P. y E. 15 x. 38 [Para usted/vosotras Paquita y Eugenia 15 décembre 1838].
Je pensais à Eouk ; j’eus l’idée de faire un récit de bataille intelligible pour elle. Peu auparavant, je lui contais quelques batailles de Napoléon253.
69Pourquoi le 15 décembre ? Sur la dernière épreuve, il écrira qu’entre le 10 et le 20 décembre, il était en plein dans le « grand feu de l’émotion ». L’auteur fait donc d’abord une dédicace à la seule Eugénie, puis y ajoute Paca, enfin explique pourquoi. Selon Mérimée, cette manie stendhalienne des inscriptions était une « innocente manière de se ménager des surprises à soi-même, lorsqu’on se retrouve dans des lieux où l’on a pensé fortement à quelque chose. »254 Pour l’avoir obstinément recopiée si souvent, cette dédicace devait renvoyer pour Stendhal à une « pensée », à un sentiment puissant.
70Il allait terminer son roman :
The 3 septembre 1838, I had the idea of the Char. I begined after a tour in Britanny, I suppose, or to the Havre. I begined the 4 nov till the 26 December255.
Le 3 septembre 1838. j’ai eu l’idée de la Chartreuse. J’ai commencé après un voyage en Bretagne, je suppose, ou au Havre. J’ai commencé le 4 novembre jusqu’au 26 décembre.
71C’est un peu plus qu’une idée qu’il a eue le 3 septembre, et la fameuse date du 4 novembre n’est pas en réalité celle du vrai début de la Chartreuse. mais seulement celle d’une « victoire » amoureuse. Il est naturellement très intéressant que Stendhal continue à faire l’amalgame entre la rédaction du chapitre de Waterloo qu’il racontait à Eugénie (et qui constituait alors « les vingt premières pages », rédigées d’ailleurs deux jours après avoir engagé la « bataille » de Versailles), le début de la composition du roman et la conquête d’une femme (qui ne peut être que « Fifteen »).
72En février 1839, arrive la première feuille d’épreuve de la Chartreuse. Un mois plus tard. Don Cipriano meurt, mais la nouvelle arrivera en retard. La comtesse était déjà partie, laissant ses filles aux mains de Miss Flower, sous la supervision de Mérimée. Deux jours après la mort de leur père, dont elles ignorent tout, les deux petites filles sont expédiées. Stendhal les accompagne : « 17 mars 1839, départ of Éouké, cour des Messageries. »256
73Ce même jour, sous la signature de Frédérick de Stendhal, paraît dans le Constitutionnel l’épisode de Waterloo.
74Il y a à peine une semaine qu’elles sont parties que Stendhal note, dans la marge de ses épreuves : « P y E in Olo » [ « Paquita y Eugenia in Oloron »]257. En effet, Eugénie a écrit une lettre à Mérimée, datée d’Oloron, où elle mentionne le fait qu’elles ne peuvent pas passer la montagne et séjournent donc dans la région.
75Stendhal finit de corriger les épreuves de la Chartreuse, et le 6 avril 1839 sort : « La Chartreuse de Parme, par l’auteur de Rouge et Noir. Deux volumes in-8°, ensemble de 53 feuilles 3/4. Impr. d’Everat, à Paris.– A Paris chez Ambroise Dupont, rue Vivienne, n° 7. Prix : 15 francs ».
Qui est Fifteen ?
76Troublantes coïncidences. Pendant une grande partie de la rédaction de la Chartreuse, les Montijo sont à Versailles. Or, à Versailles, le 29 août, se livre une « bataille », mot qui, pour Stendhal, désigne toujours une campagne de séduction. Le 3 octobre, première visite chez la « Duchesse » ; le 9, deuxième visite, où Fifteen n’est pas chez elle ; et le 4 novembre, victoire. Une autre bataille, ou peut-être la même, menée tambour battant, due aux bons conseils de Domenico Di Fiore, une fois que Giulia Rinieri est repartie pour l’Italie. La mystérieuse « Versaillaise »258, dont la « battle » coïncide avec la rédaction d’un chapitre de Waterloo, serait donc la même personne que « Fifteen », rentrée à Paris en octobre pour le début de la saison, conquise le 4 novembre, jour où l’« opus » reprend. Ce qui est sûr, c’est que « la Duchesse » (ensuite surnommée « Fifteen ») a deux filles et reçoit le même monde proche de Stendhal : Mérimée, le préfet, mais aussi le comte Molé et Clémentine Curial. Cette duchesse qui a deux filles, dont la plus jeune est la « favorite » (Eugénie ?), ressemble étrangement à la comtesse de Montijo, qui signait en second lieu, duchesse de Penaranda.
77Etait-elle femme à se prêter à un tel caprice ? S’il n’a « jamais été question de chair » entre elle et Mérimée, cela n’empêche qu’elle eut des amants, dont Louis de Viel-Castel et Lord Clarendon (diplomate anglais à Madrid, ville qu’il quittera alors même que la comtesse y revient précipitamment pour assister son mari). Toutefois, il y aurait alors une certaine muflerie de la part de Stendhal. Si la comtesse est « Fifteen », elle a cédé le 4, et le 11 novembre, ainsi que le raconte ingénûment Eugénie à son père, il fait répondre par son concierge qu’il n’est pas là.
78On pourra peut-être expliquer le sobriquet « 15 » le jour où on connaîtra l’adresse exacte de Mme de Montijo rue d’Astorg (elle eut successivement trois adresses à Paris : 37, rue de la Ville-l’Évêque, 24 rue d’Angoulême, et rue d’Astorg259), car Stendhal calquait souvent son code sur le nom des rues : « Adèle of the gate » pour sa cousine, parce qu’elle habitait près de la porte Saint-Denis, « Mme Azur » pour Alberthe de Rubempré qui demeurait rue Bleue... Peut-être le 15 était-il considéré comme un chiffre propice par la comtesse de Montijo : son mari était né le 15 septembre 1784 ; ils se sont mariés le 15 décembre 1817, après que le comte eut reçu le permis de rentrer en Espagne, cette même année, le 15 janvier,260 enfin, le grand palais Ariza, demeure familiale des Montijo dont finalement le cadet hérite, se trouve au 15, plazuela del Angel à Madrid. Ajoutons que la fête d’Eugénie tombait le 15 novembre. Cette dernière était aussi superstitieuse, avec certains à peuprès quand ça l’arrangeait. Ainsi déclare-t-elle détester le dimanche, parce que c’est le jour de la semaine où est mort son père261. Or celui-ci a succombé à « une maladie chronique » le 15 mars 1839 qui était un vendredi.
L ’amant, la mère et sa fille
79Plusieurs fois dans la vie de Stendhal, on retrouve cette constellation amoureuse particulière : l’amant, la mère et sa fille, et cela, dès sa première aventure avec ses cousines Rebuffel. Epris de la jeune Adèle de quatorze ans qu’il courtise alors qu’il en a lui-même dix-neuf, c’est finalement la mère « qui se donna l’amoureux de la fille »262 . Elle avait quarante-quatre ans. Magdelaine « fut, semble-t-il sa première maîtresse >>263 . A cette époque aurorale de la sexualité stendhalienne, c’était la fille qui l’intéressait, mais c’est la mère qu’il a eue. Ainsi en a-t-il été, plus paternellement, pour Bathilde Curial. Elle était la fille de cette Clémentine pour laquelle il éprouva une profonde passion dans les années 1824-1827. François Michel avait bien saisi cette prédilection pour l’enfance féminine, qu’il fait peut-être plus innocente qu’elle n’était :
Durant ce séjour à Monchy, Stendhal n’est pas encore amoureux de Clémentine et ce n’est pas habileté de soupirant s’il témoigne une particulière gentillesse aux enfants de la comtesse, notamment à la jeune Bathilde, qui avait alors dix ou onze ans. Ne nous étonnons pas : Stendhal que l’on s’est plu à se représenter trop uniformément comme un cynique Méphistophélès [...] a marqué à toutes les époques de sa vie d’infinies tendresses pour les enfants264.
80Comme ça devait lui plaire de fasciner les deux sœurs bouche bée avec ses histoires de Napoléon (où il en profitait peut-être pour se faire un peu mousser), tout en lutinant la mère (en pensant aux petites filles). Tout ceci soutenu, à partir de la victoire décisive, par l’excitation privée du roman qui volait. C’était comme un accord où l’écriture et le sexe filaient, s’alimentant réciproquement, ce qu’il résume dans sa lettre à Balzac :
Je compose 20 ou 30 pages, puis j’ai besoin de me distraire ; un peu d’amour quand je puis ou un peu d’orgie ; le lendemain matin j’ai tout oublié, en lisant les 3 ou 4 dernières pages du chapitre de la veille, le chapitre du jour me vient. J’ai dicté le livre que vous protégez [la Chartreuse] en 60 ou 70 jours265.
81Vanteries ? Peut-être. Mais ce programme idyllique correspondait à peu près à ce qui s’était passé.
82Auguste Filon, le précepteur du prince impérial, et le premier divulgateur de cette histoire, était plus venimeux :
Jamais l’Impératrice n’a lu, je crois, une ligne de Stendhal. Elle conservait, soixante ans plus tard, toutes ses illusions sur lui. C’était, pour elle, un vieux monsieur très bon, qui adorait les petites filles et qui parlait admirablement. Ce flétrisseur d’âmes avait éveillé en elle les instincts héroïques ; ce réaliste sans pitié lui avait inoculé la passion du grand et ce que j’appellerai le sentiment du merveilleux dans l’Histoire266.
83En décembre 1839, Eugénie écrit à Stendhal, de Madrid : elle a bien reçu sa lettre, elle apprend à peindre à l’huile, elle fait allusion aux désordres politiques en Espagne et cite le général carliste Maroto. Manuela Kirkpatrick, sa mère, avait d’ailleurs été taxée de carlisme, durant son séjour à Paris. Bien qu’étant tous deux fidèles à Napoléon Bonaparte, les époux connaissaient des divergences politiques, le comte optant pour le libéralisme selon le pari des isabelinos, et la comtesse pour l’absolutisme à la mode des carlistes.
84Le 6 mars 1840, alors que le consul, de retour à Civitavecchia, n’a plus revu ses petites amies depuis une année, il note, dans le manuscrit de son dernier roman, Lamiel, qui restera inachevé :
Par un grand hasard un peu de vie réelle id est incertitude sur l’événement de demain est venu se mêler à la vie contemplative et d’artiste tout occupé to make Lamiel. This year for the first time (last sentiment before Earline) I have seen this sentiment : Il préfère le séjour de CV to celui de Lutèce. La vue de la mer, puis l’idée de la contempler en promenant sous prétexte de chasse ont fortifié ce sentiment. Au fait, Lutèce without Pakit and Éouké and their mother, was rather insipid.
If this history of Earline perhaps write to [Di Fiore] that I ask un congé for this year. Mon désir serait d’aller à Madrid et peut-être après cela à Constantinople, à 10 jours de CV267.
85Finalement, Stendhal préfère Civitavecchia, sa vie forcément contemplative, sa vue sur la mer, ses promenades, à Paris, qui sans Paca, Eugénie et leur mère, lui semble insipide. D’où son désir d’aller à Madrid, où l’invitent ses amies.
86En juin, c’est la comtesse de Montijo qui lui écrit qu’elle regrette la rue d’Astorg. « Paca est une belle fille avec beaucoup de bon sens. Eugénie toujours jolie sans la moindre prétention ». En invitant Stendhal, elle précise que Mérimée doit arriver fin août, et récrimine contre la révolution qui menace ses biens. Eugénie, quant à elle, décrit à Stendhal sa visite à Tolède, et Paca prie Stendhal de venir les voir par Valence, « ce qui rendra heureuses vos petites amies ; nous recommencerons nos bonnes causeries ». Elle méprise les autres jeunes filles espagnoles. « Vous devez être bien content à présent que l’on va apporter les cendres de Napoléon ; moi aussi, je le suis et je voudrais être à Paris pour voir cette cérémonie ». Les cendres seront ramenées à Paris le 15 décembre 1840.
87On sait que l’impératrice avait gardé un excellent souvenir de Stendhal. Vingt ans après, Eugénie écrit à sa sœur, la duchesse d’Albe :
Chère Paquita. Qui aurait dit, étant enfants, ce qui devait nous attendre, et quand M. Beyle nous racontait les campagnes de l’Empire que nous écoutions si bien, le mépris qu’on avait pour Marie-Louise, qui m’aurait dit : Vous allez être partie active dans la seconde scène de ce poème et on vous jugera avec autant de sévérité qu’on l’a fait pour Marie-Louise si vous agissez comme elle ?
et à la même, de Grenoble, le 6 septembre 1860 :
Chère Paca mia, Je suis à Grenoble, la patrie de M. Beyle. Ce matin, j’ai été voir le musée et la première chose que j’aperçois, c’est son portrait que j’ai reconnu sur le champ. Toute notre enfance est revenue à ma mémoire et c’est avec le plaisir qu’on revoit un ami que j’ai regardé ce portrait qui le représente tel que nous l’avons connu, quand il nous racontait les batailles de l’Empereur et que nous l’écoutions avec tant de plaisir.
88Lorsque l’impératrice rédige cette lettre, sa sœur est mourante. Grenoble est une des étapes de son voyage triomphal en Savoie et dans le comté de Nice annexés, voyage qui, malgré l’agonie de Paca, figure parmi ses trois plus beaux souvenirs, tout de suite après le baptême du Prince impérial (où elle se sent la fondatrice d’une dynastie) et le Te Deum pour Solférino (quand elle est régente)268.
89Chaque fois qu’est évoqué Stendhal dans ses rapports avec Eugénie, c’est toujours l’homme qui racontait les batailles de l’Empereur. depuis ces passages épistolaires que nous venons de citer jusqu’aux souvenirs répétés par Augustin Filon ou le comte Primoli. D’après ce dernier, elle se serait écrié :
« Si je me souviens de Monsieur Beyle ! C’est le premier homme qui ait fait battre mon cœur, et avec quelle vioence ! » Elle attendait son retour, avec sa sœur, « et la reprise de ses histoires sur l’Empereur, que son départ pour Cività-Vecchia [sic] avait interrompues : il nous avait laissées toutes palpitantes, attendant avec angoisse la suite de ce roman merveilleux qu’il avait vécu269.
90Que Stendhal ait éprouvé une attraction envers la benjamine, c’est ce que prouve la dédicace chiffrée de la bataille de Waterloo, un privilège étonnant et presque unique dans son œuvre. Et Clélia Conti à sa première apparition dans la Chartreuse fait penser à la petite Eugénie : elles ont le même âge, douze ans.
91Il est bizarre de dédier à une petite fille une scène de bataille (destinée à devenir un grand modèle de la littérature et à changer une fois pour toutes les lieux communs de l’ epos). D’autant plus que la scène en question comporte des éléments inconvenants pour une jeune fille de l’époque. Stendhal racontait-il à ses protégées les histoires de femmes dont est constellée la bataille de Fabrice ?
Dom Juan éducateur
92En cet été-automne 1838, Stendhal raconte des batailles aux petites Montijo ; en mène une, amoureuse et victorieuse ; en rédige une, littéraire et perdue, dans la Chartreuse. Il s’agit d’un tissu connectif serré qui se trame entre le processus créateur et le processus biographique, qui ne passe pas par la logique de la transposition du vécu au littéraire, mais par un même élan dans l’une et l’autre dimension (homogénéité « énergétique » depuis toujours rêvée comme idéale par Beyle).
93On peut comprendre alors qu’une vérité se révèle, sous la coquetterie de Stendhal qui aime à provoquer en soulignant comment Waterloo a été écrite pour une petite fille. Une situation excitante proche d’un donjuanisme où se complaît Stendhal : la duplicité du précepteur qui séduit les jeunes esprits, fait l’amour avec la mère, et laisse cours à son génie dans la solitude. « Stendhal est un instituteur raté », écrit Philippe Berthier, et il en donne pour preuve les lettres de « direction » à sa sœur Pauline, dont elle profita peu270. De Pauline à Lamiel persiste chez Stendhal le rêve de former une compagne idéale, à travers « une éducation a contrario, une éducation à la critique et à la révolte, mais aussi à l’hypocrisie systématique »271. Le destin d’Eugénie fut plus à la mesure d’un tel pédagogue, bien qu’il eût probablement peu apprécié la médiocrité de la culture impériale, dont le représentant le plus assidu et fêté aux Tuileries et à Compiègne, était Octave Feuillet.
94Peu de temps après le départ d’Eoukénia, le 13 avril 1839, Stendhal voit une femme dans la rue qu’il appelle Amiel et conçoit l’idée de ce qui va devenir l’éducation sentimentale d’une fille, sous la direction du spirituel, vaniteux et bossu Sansfin. Celui-ci (qui nourrit le projet de déniaiser Lamiel, et, du même coup, pourrait-on dire, de se faire épouser « de la main gauche » par la duchesse de Miossens, protectrice de la jeune fille : de nouveau, un beau triangle) use avec elle d’un langage et d’un enseignement libertin. On pourrait comparer ses tirades – beaucoup plus violentes, naturellement, dans le roman inachevé – avec le ton de son unique lettre à Eugénie qui ait survécu.
95Le 10 août 1840, en effet, Stendhal lui écrit et expose, sur un ton badin, quelques éléments de sa philosophie : une exaltation de la révolte et de la jeunesse en histoire, et un appel au stoïcisme dans la vie. Pour se consoler de la perte d’un million, « le mieux serait de n’y plus penser », mais de commencer dès à présent à se préparer « une occupation pour votre vieillesse. Pensez à toutes ces choses dix ans avant qu’elles arrivent ». Lui a trouvé la sienne : « Je compte passer la vieillesse, si j’y arrive, à écrire l’histoire d’un homme que j’aimai [Napoléon], et à dire des injures à ceux que je n’aime pas. Mais il ne faut pas qu’une femme écrive. »
96Lamiel, à seize ans, « était déjà une petite misanthrope » qui, si elle ne pouvait voir la guerre (comme Fabrice), voulait « voir chez les autres » et « mettre en pratique » elle-même la fermeté de caractère. De la manière que l’on sait, si on a lu ce roman inachevé.
La petite fille et les grandes choses
97Mais pourquoi dédier Waterloo à Eugénie ? Dans cette grande défaite, Stendhal ne sera pas le seul à voir un commencement. Hugo aussi. Un commencement ambigu. Comme l’est la dédicace à une petite fille. Mais précisément, Waterloo n’est pas le début de la Chartreuse. Balzac lui avait suggéré de le déplacer en ouverture du livre, ce qui aurait comporté toute une série de laborieuses corrections, qui, bien qu’esquissées, sont restées lettre morte.
98Waterloo avait beau être la fin d’un monde, une impérissable catastrophe ; il fallait bien en tirer la leçon. « Une petite fille déstabilise le monde en refusant le rôle qui, de toute éternité, lui était réservé. Révolution minuscule : mais peut-être, dans la modernité, n’y a-t-il plus de révolution possible que celle-là. »272 Ou n’est-ce pas plutôt l’homme qui s’est créé un interlocuteur, un nouvel objet de désir, créant, par là même, un futur sujet social, au rôle, jusque-là, inexistant. Waterloo, la montagne, aurait alors accouché d’une souris. C’est d’ailleurs toujours ce qu’on répondait à Eugénie quand, enfant, elle se vantait d’être née durant un tremblement de terre273. Le rêve de l’Eve future est rapetissé aux dimensions de l’humain miniature, de ce qu’il y avait de plus insignifiant, une fois fait le tour des grandes figures du Désir, l’éphèbe du monde grec et latin, la femme de l’amour courtois, l’enfant mâle du discours rousseauïen. Après Waterloo, littérairement, ne seront plus possibles que l’oxymoron et le paradoxe ; Tolstoï, qui a reconnu sa dette envers Stendhal, fait voir toute la scène où Koutouzoff décide la retraite de Moscou à travers les yeux et le point de vue de Malacha, une petite paysanne de six ans. L’homme, devant l’Histoire, n’y voit pas plus clair qu’une petite fille. Peut-être moins274. S’il est vrai qu’à Mme Montijo reprochant à Paca et à Eugénie d’abuser de sa complaisance, Stendhal répondait : « Cela me fait du bien. Il n’y a plus que les petites filles qui sentent les grandes choses. »275
Calendrier Stendhal-Eugénie
99Ce calendrier permet de résumer d’un coup d’œil, sinon la nature, du moins la fréquence et la scansion des relations que Stendhal entretint avec Eugénie, sa mère et sa sœur, ainsi qu’avec la dénommée Fifteen, dans l’hypothèse où celle-ci ne serait autre que Mme de Montijo elle-même. Y figure également et brièvement l’indication de la source d’ où ce renseignement est extrait.
Date | Nature et source |
2 janvier 1837 | première mention de Beyle (lettre de Paca) |
avant avril 1837 | référence à Eouké (Vie de Napoléon) |
samedi 15 avril 1837 | musique avec Paca et E. (Journal) |
31 août 1837 | Paca écrit à Stendhal (lettre au consul Alletz276) |
septembre 1837 | visites de Stendhal aux Montijo (Corr. de Mérimée) |
jeudi 30 novembre 1837 | Stendhal écrit à Eouké (Journal) |
mardi 12 décembre 1837 | soirée avec Eugénie (Journal) |
jeudi 3 janvier 1938 | bal rue d’Angoulème (Journal) |
24 mars 1838 | référence à Paca et E. (lettre à Di Fiore) |
mercredi 29 août 1838 | battle de Versailles (Journal) |
jeudi 13 septembre 1838 | visite aux Montijo (Corr. de Mérimée) |
mercredi 19 septembre 1838 | visite aux Montjo (Ibid.) |
mercredi 3 octobre 1838 | soirée chez la Duchesse (Journal) |
mardi 9 octobre 1838 | visite à 15 (Journal) |
dimanche 4 novembre 1838 | visite et victoire (Journal) |
dimanche 11 novembre 1838 | Stendhal a disparu (lettre d’Eugénie) |
mardi 13 novembre 1838 | voit les « two sisters » (Journal) |
lundi 10 décembre 1838 | les « two sisters » et leur « rout » (Journal) |
vendredi 15 décembre 1838 | dédicace à Paca y E. |
dimanche 17 mars 1839 | départ de Paca et E. (Journal) |
samedi 23 mars 1839 | Paca y E. in Olo |
30 novembre 1839 | souvenir aux petites Espagnoles (lettre à Fiore) |
décembre 1839 | lettre d’Eugénie à Stendhal |
6 mars 1840 | Paris insipide sans les Montijo (Journal) |
27 juin 1840 | lettre de Mme de Montijo et lettre de Paca |
10 août 1840 | lettre de Stendhal à Eugénie. |
Notes de bas de page
206 10 et 11 décembre 1832 et, de nouveau le 22 mai 1834, in Stendhal, Œuvres intimes, édition établie par V. Del Litto, Paris, Gallimard, 1982, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, p. 999-1000.
207 Stendhal, Souvenirs d’égotisme, in Œuvres intimes, ibid., t. II, p. 450.
208 Ibid.
209 Ibid., p. 448.
210 Ibid., p. 449.
211 Stendhal, Journal, 4 octobre 1812, in Œuvres intimes, éd. cit., t. I. p. 833.
212 4 février 1813, ibid., p. 833.
213 Mémoires de M. le Baron de Besenval... publiés par son Exécuteur Testamentaire... précédées d’une notice sur la Vie de l’Auteur, Paris, Buisson, an XIII [1805]– 1806, 4 vol.
214 V. Bruno Pincherle, « Il capitano di Vésel e il gendarme di Cento », Giornale Storico di Parma, 23-25 settembre 1950, repris dans In compagnia di Stendhal, Milano. All’Insegna del Pesce d’oro, 1967, p. 209-235.
215 V. l’édition critique établie par J.-J. Ham de Lamiel, Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p. 257.
216 Esquisses de la société parisienne, de la politique et de la littérature. Esquisse VIII. publié dans la Revue britannique, juillet 1826. et dans New Monthly Magazine, au mois de septembre de la même année. Voir Stendhal, Paris-Londres. Chroniques, éd. de Renée Denier, Paris, Stock, 1997, p. 727.
217 Emily W. Sunstein, Mary Shelley, Romance and Reality, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1989.
218 C’est le mari de Cordélia Greffulhe, la correspondante de la duchesse de Broglie, dont nous reparlerons. Il note la présence des Montijo à Perpignan dans son Journal.
219 Lettre de Mérimée à Léonce de Lavergne, le 23 janvier 1835, in Prosper Mérimée, Correspondance générale, établie et annotée par Maurice Parturier, avec la collaboration de Pierre Josserand et Jean Mallion. Deuxième édition, s.l., Privat, 1972, vol. I, p. 385.
220 Harold Kurtz, The empress Eugénie, London. Hamish Hamilton, 1964. L’auteur remercie l’Observatoire de Grenade, l’institut géographique de Madrid et le Kew Observatory pour les détails sur le tremblement de terre à Grenade, mais ses conclusions sont étrangement évanescentes : « When the spring of 1826 brought tremors and earthquakes to Granada, Doña Manuela was pregnant once more. In the morning of May 5th, subterranean rumbling presaging desaster drove her into the garden where, since the earthquakes of the previous montli, a tent had been erected ». (p. 10. C’est moi qui souligne.)
221 Reproduit dans, par exemple, Jean Autin, L’Impératrice Eugénie ou l’empire d’une femme, Paris, Fayard, 1990, p. 88.
222 Qui seront publiées par Frédéric Masson (dans L’Impératrice. Notes et documents, Paris, Librairie générale, 1877). On trouve le texte espagnol des actes de baptême dans : D. Juan B. Ensenat. La emperatriz Eugenia intima (Barcelona, Montañer y Simón, 1909, p. 10, note 1).
223 Felix de Llanos y Torriglia, Maria Manuela Kirkpatrick, comtesse de Montijo. Bilbao-Madrid-Barcelona, Espasa-Calpe, 1932, p. 37. « Mais la loi d’incompatibilité entre le titre de Teba et celui de Montijo fit passer l’héritage des Guzmán sur la tête de la fille aînée », précise Frédéric Masson, op. cit.. p. 16. Paca était donc comtesse de Teba. A la mort de leur père, en 1839, les deux fillettes changèrent de nouveau de titre : l’aînée devint comtesse de Montijo (et sa mère, comtesse douairière), et la cadette, comtesse de Teba. C’est sous ce titre que Napoléon III l’a connue.
224 Prosper Mérimée. Correspondance, éd. cit., I, p. 444.
225 Lettre de Mérimée à Stendhal, 5 juillet 1836, ibid., II, p. 59 ss. Reproduite également dans Stendhal, Correspondance, édition établie par V. Del Litto, Paris, Gallimard, 1968, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », vol. III, p. 532-534.
226 Victor Del Litto a recomposé le journal intime de Stendhal d’après ces deux critères : il a transcrit et fait suivre chronologiquement toutes les notes dispersées dans les marges et les pages des manuscrits et des livres stendhaliens, à condition qu’elles soient de nature autobiographiques et datées.
227 J’ai consulté ces livres déposés dans le fonds Bucci (Biblioteca Comunale « Sormani » de Milan), et corrigé, là où cela me semblait opportun, la transcription. Pour les volumes que je n’ai pas pu consulter, tels que l’exemplaire annoté des Mémoires d’un touriste (fonds Primoli), et l’ Histoire de la peinture en Italie, Paris, Levavasseur. 18312, je me réfère à l’édition citée du Journal.
228 S’il n’y a pas de références, les indications chronologiques sont tirées, quand les informatrices sont les petites Montijo. des Lettres familières de l’impératrice Eugénie, publiées par les soins du duc d’Albe avec le concours de F. de Llanos y Torriglia et Pierre Josserand, Paris, Le Divan, 1935, 2 vol. Quelques lettres d’enfance ont été publiées précédemment par Robert Sencourt, The life of the empress Eugénie, London, Ernest Benn Ltd, 1931, parce que l’auteur avait eu accès aux archives d’Albe. L’orthographe et la syntaxe y sont d’ailleurs respectées, alors que les éditeurs de 1935 les corrigent, peut-être parce que l’une des accusations récurrentes dans les pamphlets contre Eugénie est sa méconnaissance du français.
229 Stendhal, Notice autobiographique datée du dimanche 30 avril 1837, in Œuvres intimes, édition établie par V. Del Litto, Paris, Gallimard, 1982, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, p. 980.
230 Augustin Filon. Mérimée et ses amis, Paris, Hachette, 1894, p. 87.
231 Fonds Bucci. reproduit in Stendhal. Voyages en France. Textes établis, présentés et annotés par V. Del Litto, Paris, Gallimard, 1992, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 774. Stendhal avait fait relier des cahiers foliés au début et à la fin. Cette note se trouve dans le cahier à la fin du tome I. Il a été écrit par un copiste, Bonnaire, dont il reste d’ailleurs le reçu daté du 11 octobre 1838, qui est publié séparément dans le Journal, éd. cit., p. 331.
232 Anne Martin-Fugier. La Vie élégante ou la formation du Tout-Paris 1815-1848, Paris, Fayard, 1990, p. 107-109.
233 Ces renseignements, d’après Prosper Mérimée, Correspondance, éd. cit., II, p. 127-178, passim.
234 Journal, éd. cit., p. 302.
235 Ibid., p. 305-306.
236 Ibid., p. 308.
237 Stendhal, Correspondance, édition établie par V. Del Litto, Paris, Gallimard. 1968, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », vol. III, p. 260.
238 Ibid., p. 312.
239 Fonds Bucci. Journal, éd. cit., p. 325. Il s’agit de l’exemplaire de La Nouvelle Héloïse, dont la couverture est truffée de notes prises à des moments très divers, que j’ai décrit ci-dessus. Une autre note, restée inédite, est de la même date : « Versailles, 29 août 38 / L’homme s’[illisible] d’ / avoir de la finesse/ mais s’empoisonne/ B[illisible] du Réservoir ».
240 Fonds Bucci. Journal, éd. cit., p. 326. Le tome I des Œuvres complètes de Shakespeare comprend un cahier relié à la fin. Sur le folio 1, sous cette note datée donc du 1er septembre, se situe les notes du 8 novembre sur les étapes de la rédaction de la Chartreuse. V. infra.
241 Fonds Bucci, The Works of Shakespear. Volume the Second. Dublin. Printed by and for George grier son. mdccxxvi, page de garde, début verso. Voici ma transcription : « Third October 1838/ The Duchess was at home, / Acad speacks on the author/ with Cravat [?]. Lady Cl./ amiable enough, the/ Préfet amiable, and Dijon/ good for me. Tems admirable./ Je bouquine un peu ce matin/ This and le volume Espagnol 1 f. ». Journal, éd. cit., p. 329.
242 Almanach spécial de Versailles, Versailles. Locard-Davi, 1838.
243 Fonds Bucci. Les Nouvelles tragi-comiques de Mr Scarron. A Paris, Chez Michel David, m. dcc. xxvii, tomes I et II. Il semble qu’il soit allé à ce café du chemin de fer le jour précédent aussi, puisqu’on remarque une note écrite au crayon, sur la page de garde du tome I, au recto, que je déchiffre (c’est beaucoup dire) ainsi : « foule de [mot illisible]/ dans les hypocrisies/ Palais [mot illisible]// Café du Ch de Fer/ 8 octobre 1838 ». V. la transcription des autres notes à cette date dans Journal, éd. cit., p. 330- 331.
244 Ibid. p. 338.
245 Rapport du Gymnase Amoros, 19 octobre 1838, publié par René Sencourt, op. cit., p. 41, puis dans les Lettres familières de l’impératrice Eugénie, op. cit., p. 235 note.
246 J. Tripier Le Franc, M. Gabriel Delessert. Paris, Dentu, 1859, p. 136, cité in Prosper Mérimée, Correspondance, éd. cit., II, p. 231, note 1.
247 Journal, éd. cit.. p. 338.
248 Gustave Flaubert, Plans et scénarios de Madame Bovary, présentation, transcription et notes par Yvan Leclerc, Paris. CNRS éd.-Zulma, 1995. p. 17.
249 Voir note supra, et Journal, éd. cit., p. 338.
250 En effet, Stendhal note le 17 que les deux sœurs « were there mardi » dans son exemplaire de The History of Tom Jones, a foundling. By Henry Fielding, esq. Vol. II. Paris, Didot, m. dcc. lxxx, sur la troisième page de garde, à la fin.
251 Fonds Bucci. Exemplaire de Paolo Sarpi, Opere del padre Paolo dell’Ordine de’ Servi e theologo della Serenissima Repubblica di Venetia... Volume primo. In Venetia, appresso Roberto Meietti, m. dc. lxxxvii, page de garde. Journal, éd. cit., p. 341. Je lirais plutôt hier que le 10 décembre.
252 Michel Crouzet lit « J’ai fait ce début » [et non détail]. V. Stendhal ou Monsieur Moi-même, Paris, Flammarion. 1990, p. 669.
253 Ces trois notations ne sont pas transcrites dans le Journal reconstitué mais figurent en note dans toutes les éditions critiques de la Chartreuse, sauf la troisième, qui est citée cependant dans l’édition sous la direction de Victor Del Litto et Ernest Abravanel (Genève, Le Cercle du Bibliophile, 1969, t. I). Elles sont enregistrées, respectivement, sur les épreuves de la Chartreuse, dans l’exemplaire dit Chaper, et dans l’exemplaire dit Royer, selon leur ordre de rédaction. La date du 15 décembre est celle de la dédicace, puisque le chapitre était déjà rédigé depuis longtemps. Stendhal l’a certainement écrite sur son manuscrit qu’il relisait ce jour-là, puis l’a retranscrite sur les épreuves, enfin dans les deux éditions citées. Pourquoi précisément à ce moment-là ? Il était en train de se relire, ce qu’il note le lendemain, dans un exemplaire du Rouge et le Noir : « Je relis ou parcours, relire m’ennuie, les quarante premières pages pour les comparer to the forty of la Chartreuse ». Œuvres intimes, op. cit.. t. II. p. 341. C’est Paul Hazard, par ailleurs un pionnier des études sur la littérature enfantine, qui a déchiffré en premier la seconde dédicace, très cryptique, dans « Enigmes stendhaliennes ». Revue d’Histoire littéraire de la France, janvier-mars 1914, p. 192-193.
254 Prosper Mérimée, Lettres à la famille Delessert, op. cit., p. 112.
255 Journal, éd. cit., p. 341.
256 Journal, éd. cit., p. 344.
257 Sur les épreuves de la Chartreuse, t. II. V. Paul Arbelet, « Un dernier amour... », loc. cit.
258 Pour l’énigme versaillaise. François Michel propose le nom de la baronne Lacuée (Fichier stendhalien, Boston, G.K. Hall & Co, 1964, entrée « Versailles »). Par ailleurs, il attribuait le n° 14 à la comtesse Cini (v. supra) dans la liste des femmes ayant compté pour Stendhal. Dans son article, « Les amours de Sienne » (publié en 1950 dans Le Divan, puis recueilli dans les Etudes stendhaliennes, Paris, Mercure de France, 1972), François Michel ajoutait : « Combien d’aventures ou de velléités d’aventures ! [...] Il y aura la comtesse Sandre [Cini], Mme Quatorze et Mme Quinze, sur qui je reviendrai un jour prochain, fût-ce pour dire, touchant cette dernière, que nous ne savons rien d’elle » (p. 155). Mais il n’y est pas revenu.
259 « Cette maison de la rue d’Astorg où je me trouvais si heureuse entourée des amis qui m’aimaient » (lettre du 27 juin 1840 à Stendhal, citée supra). Le Bottin de Paris pour l’année 1838 (Annuaire général du commerce, de l’industrie et de l’agriculture de France et des principales villes de France comprenant la liste générale des adresses de Paris) est muet sur l’adresse de Mme de Montijo, comme l’Almanach de Versailles de cette même année.
260 Félix de Llanos Y Torriglia, op. cit.
261 Selon le témoignage de son neveu, le duc d’Albe, in L’Impératrice Eugénie. Conférence prononcée à l’institut français de Madrid, 1952, p. 37.
262 Stendhal, Vie de Henry Brulard, in Œuvres intimes, éd. cit., t. Il, p. 550.
263 André Doyon et Yves Du Parc, « Une cousine marseillaise de Stendhal : Madame Rebuffel », Stendhal-Club 37. 15 octobre 1967, p. 54.
264 François Michel, « Bathilde Curial. Une enfant à travers l’œuvre de Stendhal » (1950), in Etudes stendhaliennes, op. cit., p. 79.
265 Brouillon de lettre à Balzac, Civitavecchia, 16 octobre 1840, in Stendhal, Correspondance, éd. cit., III, p 394.
266 Augustin Filon, Souvenirs sur l’impératrice Eugénie, Paris, Calmann-Lévy, 1920, p. 14.
267 Dans le manuscrit de The last romance. Earline, transcrit par François Michel, « Les secrets d’Earline », in Revue des Sciences Humaines, oct.-déc. 1953, p. 341. Dans ce long article, François Michel identifiait Earline avec la comtesse Cini. Egalement dans Journal, éd. cit., p. 371.
268 V. Maurice Paléologue, Les Entretiens de l’impératrice Eugénie, Paris, Plon. 1928 : ces entretiens se sont déroulés entre 1903 et 1919.
269 J.-N. Primoli, « L’enfance d’une souveraine. Souvenirs intimes », La Revue des Deux mondes, 15 octobre 1923, p. 770.
270 Philippe Berthier, Lamiel ou la boîte de Pandore, Paris, PUF, 1994, p. 29.
271 Lorenza Maranini, Origine e senso di un personaggio stendhaliano : Lamiel, dans Il ‘48 nella struttura della Education sentimentale. Pisa. Nistri-Lischi, 1963, p. 176- 177.
272 Philippe Berthier, op. cit., p. 104.
273 J.N. Primoli, op. cit., p. 756.
274 La Guerre et la Paix, livre III, 3e partie, chapitre 4.
275 J.-N. Primoli, op. cit., p. 771.
276 Voir Gilbert Nigay, « Stendhal, la famille de Montijo et le consul Alletz », Stendhal-Club 6, 15 janvier 1960, p. 144-148.
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