Les sept filles de Shelley et Byron
p. 55-87
Texte intégral
1La situation ne change guère quand les filles de Wollstonecraft, Staël ou Genlis arrivent en âge de procréer. Toutefois, avec le Romantisme, l’enfance dans son entier est réévaluée.
2Certes, la catastrophe continue. Que l’on considère le cas de Shelley et de Byron : à eux deux, et en l’espace de cinq ans, ils ont mis au monde sept filles. Pour n’avoir, à elles sept, que deux pères, elles n’en totalisent pas moins six mères. Quatre enfants seulement ont survécu jusqu’à l’âge adulte.
3Ce tableau demande quelques éclaircissements. Les deux poètes conçoivent leurs dix enfants en un espace restreint de six ans et demi. Il faudrait y ajouter un avortement spontané de Mary Shelley le 16 juin 1822.
4Tous ces enfants sont nés en Angleterre, sauf les deux derniers, Elena Adelaide à Naples, et Percy à Florence.
5Si l’on prend le petit échantillon formé par les enfants de Shelley et de Byron, on notera que le taux de mortalité infantile est de 60 %, le rapport masculin/féminin de 30 à 70 %, que le taux de mortalité infantile est de 57 % pour les filles et de 46 % pour les garçons, que l’espérance de vie est de 22 ans et 8 mois. Tableau désolant : le taux de mortalité des enfants Shelley-Byron se rapproche de celui des enfants trouvés.

Ianthe, ou l’oubli
6Ianthe est née le 23 juin 1813. Son père, Percy Bysshe Shelley, n’avait pas vingt-et-un ans et sa mère, Harriet Westbrook, dix-huit. A partir de là, tous les ans, il va naître un petit Shelley, toujours reconnu. Le jeune poète aristocrate, athée, en rupture de ban, aime la paternité, mais à peine Ianthe est-elle née que commence la mésentente entre ses parents. Shelley, par ailleurs végétarien et « naturiste », prône l’allaitement maternel et la liberté corporelle du nourrisson. Harriet, quant à elle, se procure immédiatement une nourrice, sous la supervision de sa sœur, Eliza (dont le nom a été donné au bébé ; Ianthe, étant le nom mythologique d’une héroïne du poème que Shelley vient d’écrire, Queen Mab).
7Au moins deux anecdotes sur Shelley témoignent d’une vision obsédante du sein. Affecté par le refus d’Harriet de nourrir sa fille, Shelley prenait Ianthe dans ses bras, la berçait, et tentait même de lui donner son propre sein91. La seconde, plus célèbre, a été racontée par Polidori dans son journal. Elle se déroule trois ans plus tard, la nuit du 18 juin 1816. Après avoir écouté des strophes d’un poème de Coleridge, Christabel, dites par Byron, Shelley est saisi de terreur et d’hallucinations. En particulier, celle d’une femme qui avait des yeux au bout des seins. Mary, sa compagne, avait un fils de six mois qu’elle allaitait encore. C’étaient les jours qui allaient voir une autre naissance, celle de Frankenstein, à laquelle la paternité ambivalente de Shelley n’est pas étrangère. Ambivalence qu’illustre au mieux une « caricature » écrite par Claire Clairmont dans son journal : « Lui [Shelley], l’air très gentil et souriant. Un petit Jéus-Christ qui joue dans la pièce. Il dit, en saisissant un couteau et avec un air doux : Je vais tranquillement assassiner ce petit enfant. »92
8En septembre 1813, Ianthe, qui n’a que quatre mois, voyage avec ses parents, poursuivis par les dettes, jusqu’à Edimbourg où la famille s’installe pour l’hiver. Shelley se passionne pour le végétarianisme93. Il a complètement rompu avec son père. Mais à la fin de novembre, il décide de rentrer à Londres. Il dépose femme, enfant, belle-sœur chez ses amis de Boinville à Bracknell, près de Windsor, où il ne va pas tarder à louer une maison. Il flirte avec Cornelia, la fille de la famille, dont la mère est une amie de Fanny Burney.
9Puis il part traiter ses affaires seul à Londres avec celui qu’il considère comme un mentor et un « père » philosophique, William Godwin. Mais durant cet hiver-là, les disputes avec Harriet deviennent si fréquentes, qu’il se sépare d’elle. Il déteste sa belle-sœur « de tout mon cœur et de toute mon âme. La voir caresser ma pauvre petite Ianthe [...] est un spectacle qui me soulève d’une indicible sensation de dégoût et d’horreur »94. Une semaine après, il se remarie pourtant avec Harriet (leur premier mariage en Ecosse à la suite d’une fugue, et alors qu’il était encore mineur, pouvait être légalement attaqué) et conçoit leur deuxième enfant, un fils, qui naîtra prématurément le 30 novembre de l’année suivante. En avril, Ianthe, sa mère et sa tante, mais pas son père, partent pour la mer à Southampton et à Bath. On aurait pu les croire réconciliés, mais Shelley se rappellera cette période, quelques mois plus tard, en ces termes : « Je vis toute l’étendue de la calamité que mon union imprudente et cruelle avec Harriet [...] avait produite. C’était comme si deux corps, l’un vivant et l’autre mort, s’étaient unis dans une communion terrible et abominable. »95 Image féconde, si l’on peut dire, quand on connaît la suite de l’histoire. D’un côté, un des corps en question, celui d’Harriet, va effectivement périr, et de mort volontaire. De l’autre, la régénération des cadavres est l’idée qui sous-tend la création de Victor Frankenstein, dont le monstre est un collage de « matériaux » arrachés à la fosse commune.
10Chez Godwin que Shelley fréquente assidûment, un nouveau membre de la famille est apparu, la fille âgée de seize ans de son premier mariage avec Mary Wollstonecraft, qui jusque-là séjournait chez des amis en Ecosse. Comme Elizabeth Villiers, la petite héroïne de Mary Lamb, elle avait l’habitude d’aller lire sur la tombe de sa mère, dans le cimetière de St Paneras. William Godwin, s’était remarié avec une voisine, Mary Jane Clairmont, veuve elle-même, qui avait déjà deux enfants, un garçon et une fille, du même âge que Mary (Jane, qui se fera appeler plus tard Claire, a huit mois de moins). Les deux petites filles sont élevées ensemble, avec une troisième, Fanny Imlay, née d’une précédente liaison de Mary Wollstonecraft.
11Mary va maintenant sur la tombe de sa mère en compagnie de Shelley, et c’est là qu’elle se déclare à l’amoureux transi et adultère qu’est devenu Shelley. Elle piétine ainsi allègrement tous les sages conseils en matière de stratégie matrimoniale que distillaient les romans contemporains de Fanny Burney et de Jane Austen.
12Shelley rappelle Harriet encore enceinte à Londres et lui dit tout. La réaction d’Harriet confirme les sensations mortifères de Shelley, mais naturellement inversées : « Vous imaginez ce que j’ai pu ressentir à cette révélation, » écrit Harriet à une amie commune quelques mois plus tard, après la fugue de Shelley et de Mary Godwin sur le continent. « J’ai dû m’aliter pendant quinze jours, après [...]. Bref, l’homme que j’aimais est mort. C’est un vampire. »96
13En effet, le 28 juillet 1814, Shelley avait « enlevé » Mary et Jane à quatre heures du matin. Jane Clairmont se révèle vite une épouvantable compagne de voyage, tout du moins pour Mary, car, entre autres motifs de désagrément, elle badine avec Shelley. Exit la pauvre Ianthe de treize mois de la vie de son père, même s’il fera tout pour en obtenir la garde ainsi que celle de son petit garçon, en vain, après la mort d’Harriet. (Dans sa dernière lettre avant de se suicider, Harriet supplie Shelley de laisser Ianthe à sa sœur Eliza, tout en lui attribuant comme une évidence la garde de Charles. Mais ni sa sœur ni son mari ne respectent ses dernières volontés. Au terme d’une bataille légale, les enfants sont confiés à un tuteur. Shelley n’a jamais revu sa fille.)
14Ianthe a survécu et mené une vie extrêmement réservée, à la recherche du silence. Elle épouse Edward Jeffries Esdaile le 27 septembre 1838, dont elle aura un enfant. Elle meurt à soixante-trois ans.
Medora, sous le signe de l’inceste
15La postérité a pardonné Shelley, au vu de son génie et de sa sincérité. Mais elle a mis longtemps. « My gentleness and my sincerity » ne peuvent être reconnues que par ceux qui en sont également doués, écrivait-il, alors que, conséquence de ses « arrangements domestiques », il était traité comme un « paria de la société »97. Non seulement il abandonnait son enfant et sa femme enceinte qui n’avait pas vingt ans, mais il enlevait la fille, encore plus jeune, de l’homme qui l’avait accueilli chez lui. sans la moindre perspective de pouvoir jamais l’épouser ni l’enrichir. « S’il y a un crime énorme et consternant dont je frémirais qu’on m’accuse, c’est de séduction »98, pensait-il. Mais c’est bien ce dont on ne pouvait manquer de l’accuser. Ce que fait, a posteriori, Robert Southey, le poète-lauréat qu’il avait tant aimé dans sa prime jeunesse, devenu maintenant un ennemi :
Interrogez votre cœur et demandez-lui si vous n’avez pas été la seule et directe cause de [la] destruction [d’Harriet]. Vous avez corrompu ses opinions ; vous l’avez privée de ses principes moraux et religieux ; vous avez débauché son esprit [...]. Vous vous êtes mis, par la raison, dans un état d’esprit si pernicieux que votre personnage, avec ses arrangements domestiques comme vous les appelez, pourrait fournir le sujet d’un drame plus instructif et à peine moins douloureux, que la détestable histoire des Cenci99.
16Déjà persécuté pour ses idées subversives et pour son athéisme (cause de son renvoi d’Oxford et de l’interdiction de ses livres), Shelley est, pour la société somme toute restreinte qui connaît son histoire, un séducteur, et un séducteur incestueux. Aucune de ces accusations, tout bien considéré, n’est d’ailleurs fausse.
17Il en va de même pour un autre jeune aristocrate de l’époque, George Gordon Byron, dont les faits et gestes sont toutefois universellement commentés. Le 20 mai de cette même année, quelques semaines avant la fugue de Mary et Shelley, il assistait en tant que parrain au baptême d’une petite Elizabeth Medora Leigh. De nouveau, c’est ici le second prénom qui compte puisqu’il est emprunté à l’héroïne du Corsaire, poème de Byron qui avait connu dès sa publication, en janvier, un immense succès. Ses lecteurs, et surtout ses lectrices, sont fascinés par ses héros cyniques et sentimentaux. Jane Austen ridiculise cet engouement général, dans une lettre à sa sœur Cassandra, par un épigramme destiné à la plus stricte intimité : « J’ai lu le Corsaire, j’ai raccommodé mon jupon, et maintenant je n’ai plus rien à faire. »100
18Officiellement, le père de Medora est George Leigh, qui a épousé sa cousine Augusta. D’ailleurs George est également le cousin de Byron, mais, Augusta qui s’appelle aussi Byron de son nom de jeune fille, est la demi-sœur du jeune dandy au pied bot dont les amours défrayent la chronique (c’était la fille d’un précédent lit de Lord Noel Byron). Ils la défraieraient encore plus si l’on savait (ce qui finira par se faire) que Byron pense être le père de ce nouveau-né, puisqu’il entretient depuis presqu’un an un amour incestueux avec Augusta. Toutefois, il ne sera jamais certain de cette paternité, car Augusta n’avait pas interrompu ses rapports conjugaux pendant leur liaison. Liaison qui en « vaut la peine – je ne peux pas vous dire pourquoi, et ce n’est pas un singe [le bébé né d’un inceste était un singe selon une croyance ancienne] et s’il l’était – ce serait sûrement de ma faute »101, écrit-il à sa confidente, Lady Melbourne, à qui il ajoutera plus tard qu’Augusta est un être exquis dont « la seule erreur a été entièrement de ma faute – et à cet égard je n’ai aucune excuse – sauf la passion – qui n’en est pas une »102. Pour être présent à la naissance de Medora, il a renoncé à un voyage à Paris où il voulait assister au départ de Napoléon dont la chute l’a affecté. Cependant il ne s’est plus jamais soucié de Medora par la suite, alors que ses deux autres filles auront droit à des déclarations d’amour et même, pour l’une d’entre elles, à sa présence. On n’a même aucune certitude que Medora soit vraiment sa fille, version qui a été répandue, après leur séparation, par Annabella, sa femme légitime, qui avait intérêt à étayer les pires suspicions sur son compte. Mais Byron n’a-t-il pas écrit à un ami, peu après la naissance d’Allegra :
A côté de ma petite légitime, j’ai enfanté une il-légitime depuis (pour ne rien dire d’une autre avant), et je compte sur l’une d’entre elles pour être l’oreiller de ma vieillesse, à supposer que j’atteigne jamais – j’espère que non – cet âge désolant. J’ai un grand amour pour ma petite Ada, bien qu’elle puisse en venir à me torturer comme...103
19Medora, quatrième enfant du ménage Leigh qui en aura encore trois autres, est ensevelie dans une vie de famille dominée par la gêne financière. A sa naissance, Byron donne de l’argent à Augusta et l’engage à planifier ses dépenses, étant lui-même continuellement endetté (les dettes étaient, outre la quête d’un meilleur climat et le goût de l’aventure, le principal motif des départs à l’étranger des jeunes nobles, comme ce fut le cas pour Shelley et Byron). Augusta lui répond, en l’engageant à faire une fin, c’est-à-dire à se marier.
20Byron, à Londres, se lance dans des tractations matrimoniales, lesquelles, entre des hauts et bas constants, finissent par le mener à épouser, le 2 janvier 1815, Annabella Milbanke, « votre A », écrivait-il à lady Melbourne qui en était la tante, et à qui il oppose « mon A », sa sœur bien-aimée.
21Si Medora est née des rapports incestueux entre Byron et sa demi-sœur, elle s’est attachée à reproduire ce schéma, sur un mode mineur. Quand elle a onze ans, sa sœur Georgiana se marie avec Henry Trevanion. Elle est souvent appelée à tenir compagnie au jeune couple, et. à l’âge de quinze ans, finit par vivre chez eux, car sa sœur attend un enfant. « Quelques mois passèrent – je fus déshonorée – et avec toutes les apparences de devenir mère », raconte-t-elle104. Son beau-frère l’a séduite, et ils s’enfuient ensemble. Elle accouche à Calais, clandestinement, en 1830 d’un petit garçon qu’elle ne garde pas. Sa liaison avec son beau-frère se poursuit, malgré l’opposition du colonel Leigh. « Je croyais alors, bien que ma sœur et son mari m’aient dit le contraire, que le colonel Leigh était mon père [...]. On n’avait appris à aucun d’entre nous à l’aimer et à le respecter. Mais, chose étrange, j’étais sa préférée. »105
22Medora et Trevanion iront chercher refuge en France, où ils vivent sur la côte normande, sous le nom de M. et Mme Aubin. Une fille, Marie, naît en 1834. Désormais séparée de son beau-frère, elle décide de faire appel à lady Byron qui accepte de l’aider. Elle se rencontrent à Tours en 1840. Leur voyage vers Paris s’interrompt temporairement à Fontainebleau où « retenue par la maladie, lady Byron m’informa de la cause du profond intérêt qu’elle éprouvait, et devait toujours éprouver, à mon égard. Son mari était mon père »106. Les rapports entre les deux femmes s’enveniment par la suite, et elles se séparent. On retrouve les traces de Medora dans l’Aveyron, où elle épouse en 1848, sous son vrai nom, un soldat nommé Taillefer, originaire d’un village voisin, avec qui elle avait conçu un garçon, Elie. Mais elle meurt de petite vérole l’année suivante. Devenu cocher, puis valet de chambre, son mari périra presque trente ans plus tard en tombant d’une tour. Son fils passe sous la protection d’un notable du village qui correspondait avec lady Byron et lui envoyait des nouvelles de cette lamentable famille107.
23Medora haïssait sa mère, allant jusqu’à s’allier avec lady Byron qui lui avait proposé sa protection en échange de ces mauvais sentiments. Mais Medora était incontrôlable. Le signe sous lequel sa naissance était placée lui fera descendre tous les échelons de la dégradation (pour les standards de l’époque). A Saint-Affrique, elle termine pourtant sa vie dans la considération de ses voisins, comme épouse Taillefer.
Requiem pour une petite morte de dix jours
24Alors que Byron passait sa fielleuse lune de miel dans le Yorkshire en 1815, Mary Shelley accouchait d’une petite fille, née prématurément de sept mois, le 22 février.
25Un enfant d’un jour est assez vieux pour mourir, écrivait Heidegger. Et cette intégrité de « l’étincelle » de vie (comme disait Mary Shelley) à l’instant de sa manifestation est précisément la question qu’elle pose dans Frankenstein, et qui nous pose, à nous, tant de difficultés aujourd’hui quand il s’agit de distinguer exactement à quel moment a lieu son apparition. Peut-être la vie n’est-elle pas aussi instantanément entière ni parfaite qu’on l’a longtemps pensé. Et c’est peut-être aussi ce que dit Frankenstein, après que Mary Shelley eut fait son deuil d’une petite fille qui aujourd’hui aurait survécu sans difficulté, mais dont on prévoyait alors dès sa naissance qu’elle n’allait pas survivre. C’est Shelley qui raconte les premières heures de la petite fille :
Maie [surnom de Mary] est en travail, et après encore un très petit nombre de douleurs, elle accouche d’une petite fille – cinq minutes après arrive le dr Clarke. Tout va bien. Maie parfaitement bien et tranquille. L’enfant n’a pas tout à fait sept mois. L’enfant n’est pas censée vivre. S[helley] reste avec Maie. Très agité et épuisé.
jeudi 23 [février 1815] – Mary très bien – L’enfant vivante contre toute attente, mais n’est pas encore censée vivre.
vendredi 24 février – Maie toujours bien. Symptômes favorables chez l’enfant – nous pouvons nourrir un peu d’espoir. Hogg vient à 2 h. Fanny [Imlay] s’en va. Visite du dr Clarke. Confirme nos espoirs pour l’enfant. S[helley] très mal.
samedi 25 – L’enfant va très bien – Maie très bien aussi – tire du lait toute la journée – Shelley va très mal – dans la soirée Hogg vient – il a sommeil et part tôt108.
26Finalement, quand la petite fille a cinq jours, on a tellement repris espoir qu’on lui procure un berceau. C’est Claire qui s’en charge.
27La petite fille n’est pas baptisée. Elle n’est pas même nommée – elle n’a pas de nom puisqu’elle doit mourir. Pourtant, elle se remet. Mary l’appelle toujours mon bébé, et lui applique le genre neutre. Le 28, Mary se lève.
mercredi 1er [mars 1815] – nourris le bébé – lis Corinne et travaille – S[helley] et C[laire] sortis toute la matinée [...]
jeudi 2 [mars 1815] – Agitation à cause du déménagement – lis Corinne – nous partons moi et mon bébé à 3 h – S[helley] et C[laire] n’arrivent pas avant 6 h. – Hogg vient dans la soirée –
vendredi 3 – nourris mon bébé – parle et lis Corinne – Hogg vient dans la soirée.
samedi 4 – lis parle et nourris – S[helley] lit la vie de Chaucer – Hogg vient dans la soirée et dort.
dimanche 5 – S[helley] et C[laire] vont en ville – Hogg ici toute la journée – lis Corinne et nourris mon bébé – parle dans la soirée.
28Une sorte de brève routine s’instaure, scandée par une triade de verbes : « read talk and nurse ». Ne lis pas n’importe quoi, mais précisément Corinne, que lisent toutes les femmes, en qui elles trouvent un modèle, une héroïne belle, géniale, libre, anéantie par le carcan des conventions auxquelles finit par se soumettre même son compagnon idéal. Lord Nelvil épouse celle que la société et son père lui conseillent d’épouser. Corinne se suicide.
29A la fin de la lecture, le matin,
lundi 6 – trouvé mon bébé mort – Envoie chercher Hogg – parle – une journée atroce – dans la soirée lis la chute des Jésuites – H[ogg] dort ici.
30C’est dans la lettre par laquelle Mary Shelley appelle Hogg à ses côtés qu’elle raconte les circonstances de la mort de sa fille :
Mon très cher Hogg mon bébé est mort – voulez-vous venir me voir aussitôt que vous pourrez – je désire vous voir – Il allait parfaitement bien quand je suis allée me coucher. Je me suis réveillée la nuit pour lui donner à têter il semblait dormir si bien que je n’ai pas voulu le réveiller – il était déjà mort mais cela, nous ne l’avons compris qu’au matin – apparemment il doit être mort de convulsions [From its appearance, it evedently died of convulsions]. Viendrez-vous – vous êtes un être si calme et Shelley craint une fièvre de lait – car je ne suis plus mère à présent.
31A l’aurore du journal intime, le moi s’épanche peu. C’est un empêchement de l’expression sur certains arguments. Mary Godwin se trouve dans une situation infernale. Shelley, en pleine crise (tuberculeuse, pense-t-on alors), est toujours sorti avec Claire. Hogg, que Shelley lui a désigné comme amant dans une tentative de triangle amoureux, a toujours sommeil. Quatre jours avant la mort de la petite prématurée, elle doit même entreprendre un déménagement. Pour terminer, tout le monde s’accorde à trouver la mort du bébé sans nom un incident regrettable mais prévisible dont faire rapidement son deuil. Tel n’est pas le cas, pour Mary. Et il y a presque une nuance d’étonnement dans son journal de souffrir autant.
Jeudi 9 [mars 1815] – Lis et parle – pense toujours à mon petit bébé – c’est vraiment dur pour une mère de perdre son enfant – [...] Lis Fontenelle La pluralité des mondes.
Lundi 13 [mars 1815] – S[helley] H[ogg] et C[laire] vont en ville – reste à la maison, fais du filet et pense à mon petit bébé mort – c’est bête, j’imagine, mais dès que je reste seule avec mes pensées et que je ne lis pas pour me distraire, j’en reviens toujours au même point – que j’étais une mère et que je ne le suis plus.
32Elle n’a que dix-sept ans. Elle se trouve peu raisonnable de ne pas réussir à distraire ses pensées aussi facilement que ses compagnons le lui préconisent. C’est dans ce hiatus entre la sensibilité (personnelle) et la raison (des autres) qu’il faut comprendre ce détail grotesque : le soir même de la mort de son enfant, Mary lit La Chute des Jésuites109, lecture certainement indiquée par son libre penseur de compagnon. « Apparemment », écrit Mary, le bébé doit être mort de convulsion (elle utilise deux formes hypothétiques).
33Le deuil prend fin avec le récit d’un rêve :
dimanche 19 [mars 1815] – Rêvé que mon bébé revenait à la vie – qu’il avait seulement eu froid et que nous le frottions près du feu et qu’il vivait – Je me suis réveillée mais il n’y avait pas de bébé – Je pense à la petite chose [the little thing] toute la journée.
34Le lendemain, elle note de nouveau qu’elle a rêvé de son enfant mort. C’est la dernière remarque le concernant. Mais l’année suivante, à l’anniversaire de sa mort, elle se souviendra combien, alors, « mes moments intimes étaient tout affligés de réflexions sur la certitude de la mort »110.
35Pendant ce temps-là commencent les Cent-Jours ; Napoléon envahit la France, ce que Mary note dûment. La présence de Claire l’exaspère à tel point que lorsque celle-ci quitte finalement le domicile de Shelley (Claire confiera des décennies plus tard que c’est la jalousie de Mary qui l’avait contrainte à partir111), le 13 mai, moins de deux mois après la perte de sa fille, Mary Shelley écrira : « Je commence un nouveau journal avec notre régénération. » Qui plus est, elle est de nouveau enceinte (mais probablement ne le sait pas encore) puisque son deuxième enfant, un fils, naîtra le 24 janvier 1816. Quoi qu’il en soit, Claire n’est pas partie pour longtemps, et William mourra à trois ans.
Ada, et le calcul
36Cette même année 1815, le 10 décembre, naît Ada, le seul enfant légitime de Byron, une autre A. Sa femme Annabella commence à avoir des soupçons sur la nature de ses rapports avec sa demi-sœur. Ce motif de l’inceste, dont la réalité a souvent été mise en doute par les critiques, n’est toutefois donné que plusieurs semaines après l’abandon du toit conjugal, qui suit de peu la naissance d’Ada. Dans la furibonde bataille épistolaire et légale qui s’en suit, Annabella entend garder Ada et n’avoir aucun tort. Les traitements que lui a infligés son mari lui ont donné la certitude qu’il était sujet à des crises de folie.
37Ada, pour sa mère Annabella, est le gage et la sanction qui lui permettent d’abandonner Byron tout en restant pour toujours sa femme légitime et la mère de son unique enfant légitime. Il y a chez elle tout un calcul libidinal inconscient et un calcul social délibéré. Le fait que ce soit une petite fille n’est pas un amoindrissement : au contraire, c’est une garantie sur l’emprise qu’elle exercera sur son enfant (une sorte de double féminin, fécondé par le génie paternel, sans son immoralité), et même le fait qu’elle soit destinée à perdre un jour ou l’autre son illustre patronyme, un soulagement, et non une diminution. De toutes manières, les généalogies des familles nobles n’oublient jamais de qui sont issues les filles. L’ironie de l’histoire voudra qu’Ada remplace, en se mariant, le nom brûlant d’un héros réel, par celui non moins évocateur d’un héros fictif. Elle deviendra comtesse de Lovelace.
38Le nom complet d’Ada à sa mort, à trente-six ans, le même âge que son père, est une mini-histoire, où se révèlent les strates d’investissements réels et imaginaires, collectifs et individuels : Augusta Ada Byron King comtesse de Lovelace112.
39Augusta, donc, comme sa tante, la demi-sœur de son père, dont les relations incestueuses avaient été le principal motif de la séparation. C’est à la fois, comme nous l’avons vu, une coutume (donner au nouveau né le nom d’un membre de la famille), et un défi (puisqu’Augusta est, à tort ou à raison, la pomme de la discorde).
40Ada, le deuxième nom, est le vrai, l’unique, destiné en propre au nouveau membre de la famille. C’est ici un palindrome et, comme l’a immortalisé Nabokov, presque un homonyme, en anglais, de l’ardeur : Ada or Ardor. Ce nom serait lointainement présent dans la famille, et contiendrait une allusion sexuelle113. Mais, dans la Genèse, Ada, qui a deux fils, patrons des pasteurs nomades et des musiciens, est l’épouse de Lamech, descendant de Caïn. Poète, voyageur, Byron se sentait apatride, se voulait rebelle et traître à ses frères.
41Puis vient le nom du mari, King, lequel à la mort de son père, acquiert le titre de comte de Lovelace, patronyme aristocratique connu, qui évoque l’amour et les dentelles. Mais surtout, depuis la parution du best-seller de Samuel Richardson, Clarissa (1747-48), ce nom propre attribué au héros fascinant et négatif du roman, dom juan retors et cruel qui persécute et viole la jeune fille du titre, est devenu par antonomase le vil séducteur.
42Quand Ada est née, ses parents vivaient encore ensemble, pas pour longtemps. Mais le souci que Byron exprime le second jour, c’est que le bébé ait les jambes et les pieds bien conformés. Sa hantise qu’il soit mal formé est identique au fantasme que l’enfant d’Augusta, Medora, soit un monstre.
43Quelques mois plus tard, séparé de sa fille et à l’étranger, Byron dédie à Ada le troisième chant de Childe Harold, qui connaîtra un immense succès, et où il évoque avec amertume la catastrophe de Waterloo et la chute de Napoléon. Il termine ce chant par plusieurs strophes où il exprime ses sentiments à l’égard d’Ada encore bébé :
Ma fille ! Ce chant a commencé par ton nom !
Ma fille ! Par ton nom il doit donc finir !
Je ne te vois pas. Je ne t’entends pas. Mais personne
Ne saurait être plus absorbé en toi. Tu es l’amie
Vers qui s’étirent les ombres d’années lointaines.
Tu n’auras peut-être jamais vu mon front,
Mais ma voix se mêlera à tes visions futures,
Et atteindra ton cœur, quand le mien sera froid,
Un gage et un accent même du moule de ton père.
44« Absorbé en elle », le père est un fœtus, fils de sa fille, dans cette image renversée de la descendance. Puis il regrette de ne pouvoir jouir de son enfance :
Te tenir légèrement sur un tendre genou
Et imprimer sur ta douce joue un baiser paternel,
Ceci, semble-t-il, ne m’était pas destiné.
Pourtant, c’était dans ma nature114.
45En Angleterre, Ada n’était pas née depuis une semaine qu’Annabella s’interrogeait sur ses sentiments à son égard. Le 16 décembre 1815, elle écrit une poésie The Unnatural Mother (« La mère indigne ») où elle attribue la cause de son indifférence envers son bébé à la souffrance que le comportement de Byron lui a infligée. Un an plus tard, dans son journal, elle demande à Dieu de « bénir et confirmer mon humble résolution d’être une bonne mère »115.
46Les observateurs, contemporains ou posthumes, se sont souvent demandé si elle l’était, justement. Elle allaite elle-même Ada, mais la sèvre à deux mois et part à Londres s’occuper de ses démêlés conjugaux avec ses avocats. Quand Ada souffre de sa dentition, elle incise les gencives de sa fille : « Je me flatte d’être une habile praticienne, et la nourrice est choquée par mon manque de pitié. »116 Ses biographes, surtout les plus modernes, stigmatisent son autoritarisme, sa duplicité, sa dureté. Mais qu’on se souvienne des conseils de Maria Cosway. La mère du début du XIXe siècle se trouvait coincée entre des impératifs contradictoires. D’un côté, on lui disait qu’elle devait allaiter pendant des mois son enfant ; de l’autre, on lui recommandait d’éviter tous les soins corporels et matériels, jugés avilissants (ils appartenaient au domaine de la domesticité) et surtout susceptibles de diminuer l’autorité maternelle et la disponibilité sociale et affective due au mari et/ou aux obligations mondaines. Le résultat, est qu’Ada pleure en la voyant, « fait que je connais trop bien et ressens trop amèrement »117.
47Annabella Milbanke prend alors en main l’éducation de sa fille, ce qui signifie diriger la bonne, puis la gouvernante, non sans éprouver des élans de jalousie envers celles-ci, qu’elle considère comme « une plaie ». Elle est attentive au développement d’Ada. dont elle tient un journal, notant, par exemple, le 18 décembre 1817 (Ada vient d’avoir deux ans) :
Ses plaisirs sont de faire deux grand B – et de se les faire faire – de jouer avec des pastilles de cire – de regarder des images – de jouer avec des boules de billard – de courir dans la galerie – de se promener en voiture – de voir des coffrets – bagues et bracelets – de jouer avec le chien et le chiot de bois – avec de l’argent118.
48Ada, à cinq ans et demi, reçoit des leçons « le matin d’arithmétique, grammaire, orthographe, lecture, musique, chacune ne dépassant jamais un quart d’heure – l’après-midi, de géographie, dessin, français, musique, lecture, tout ceci accompli avec alacrité et docilité »119. La seule motivation pour l’enfant doit être un sens du devoir et le désir de plaire à ceux qu’elle aime.
49Byron, de loin, demande souvent de ses nouvelles, par l’intermédiaire d’Augusta. Alors qu’il est sur le lac de Genève, à l’époque où il s’amuse à inventer des histoires de fantômes avec les Shelley, il lui envoie « quelques paquets de cachets – colliers – boules etc. – et je ne sais quoi – formés de cristaux – d’agates – et d’autres pierres – toutes du Mont-Blanc achetées sur place et emportées par moi – exprès pour que vous vous les partagiez avec les enfants – y compris votre nièce Ada, pour qui j’ai choisi une boule (de granit – une substance tendre d’ailleurs – mais la seule ici) qu’elle pourra jouer à faire rouler – quand elle sera assez grande – et assez dissipée – ainsi qu’un collier de cristal, et tout ce que vous aurez envie d’y ajouter pour elle – l’amour ! »120
50Annabella ne lui parle jamais de son père, ou le moins possible. Il y a un portrait de lui, chez ses grands-parents, mais recouvert d’un voile. Il se plaint de ne rien savoir « d’Ada, la petite Electre de mon Mycènes ; la morale Clytemnestre ne me donne pas beaucoup de ses nouvelles. Mais un jour viendra l’addition, même si je ne suis plus là pour le voir... ».121 Le complexe d’Electre, déjà... Où l’on voit le genre de sentiments maternels que Byron envisage pour sa fille, et le rôle qu’il se dans le roman familial.

51Il insiste pour avoir un portrait d’elle et envoie un pendentif contenant une mèche de ses cheveux. Il tient en particulier à ce qu’elle apprenne l’italien et la musique. Il se souvient de son anniversaire, et quand elle a cinq ans, il note dans son journal « un fait étrange », c’est que tous les membres de sa famille sont des enfants uniques, y compris Ada et sa fille naturelle.
Un tel enchevêtrement d’enfants uniques, tous reliés à une seule famille, est assez singulier et ressemble presque à une fatalité. Mais les animaux les plus féroces sont ceux qui ont les progénitures les plus rares en nombre, comme les lions, les tigres, et même les éléphants qui sont doux en comparaison...122
52Il ne considère donc pas le fait d’être des demi-sœurs comme un lien de fraternité, et révèle ici une conception originale de la généalogie, qui le concerne en premier lieu, étant lui aussi un fils unique.
53Quand il est à Missolonghi, il éprouve des inquiétudes pour la santé d’Ada, dont il a su qu’elle souffrait de migraines et de maux d’yeux. Il s’identifie immédiatement, rappelant qu’il avait pâti au même âge de malaises semblables et se demande s’il ne s’agit pas d’une puberté précoce. Annabella se décide alors à lui faire envoyer, toujours par Augusta, un portrait (une silhouette), puis une description d’Ada. Elle a huit ans. Sa mère dépeint une enfant remarquablement médiocre : elle est naturelle, très observatrice, elle aime construire des bateaux et des navires, mais attention, elle n’a pas beaucoup d’imagination (sans en être totalement dénuée), elle n’est pas très persévérante, elle préfère la prose à la poésie, ses traits ne sont pas réguliers (bref, elle ne ressemble pas du tout à son père)123.
54Ce à quoi Byron répond :
En ce qui concerne la santé d’Ada. je suis content de savoir qu’elle va beaucoup mieux. Mais je pense qu’il faut que lady B. sache, afin qu’elle y veille opportunément, qu’une bonne partie de la description de son indisposition et de ses tendances ressemble de très près aux miennes à son âge, sauf que j’étais beaucoup plus impétueux. Sa préférence pour la prose (aussi étrange que cela puisse paraître) était, et est vraiment semblable à la mienne (car je déteste lire de la poésie, et ai toujours détesté le faire), et je n’ai jamais rien inventé que des « bateaux » et des « navires », et généralement tout ce qui a trait à l’Océan. J’ai montré le compte rendu au colonel Stanhope, qui a été frappé par la ressemblance de certaines de ses parties à la lignée paternelle même maintenant. Mais il convient aussi de mentionner, même si c’est désagréable, que ma récente attaque, et une attaque très sévère, avait toutes les apparences d’épilepsie. Pourquoi – je ne sais pas, car c’est tard dans la vie – sa première apparition à trente-six ans – et autant que je sache, ce n’est pas héréditaire, et c’est justement pour que cela ne le devienne pas, que vous devriez dire à lady B. de prendre quelques précautions dans le cas d’Ada. Mon attaque ne s’est pas répétée, et je la combats par l’abstinence et l’exercice, jusqu’à présent avec succès124.
55Byron exprime de loin une grande tendresse pour sa fille Ada. De près, son autre fille Allegra avait droit à moins d’attentions. On peut y voir peut-être une distinction entre la fille légitime et la fille naturelle. Mais ce qui plaît surtout à Byron, c’est l’idée de la petite fille. A tel point que dans la même lettre où il épanche toute sa prévenance envers Ada, il exprime un autre projet :
J’ai obtenu la libération de quelque vingt-neuf prisonniers turcs – hommes, femmes et enfants – et les ai renvoyés à mes propres frais à leurs pénates, mais l’une d’entre eux, une jolie petite fille de neuf ans appelée Hato ou Hatagi, a exprimé le vif désir de rester avec moi, ou à mes soins, et je suis presque décidé à l’adopter. Si je pensais que lady B. pouvait la faire venir en Angleterre comme compagne pour Ada (elles ont environ le même âge), nous pourrions facilement veiller à elle ; sinon, je peux l’envoyer en Italie pour son éducation125.
56On peut imaginer l’effet que ce genre de générosité pouvait avoir sur lady Byron. Deux mois après avoir écrit cette lettre, il était mort. « Ada a pleuré, écrit Annabella Byron à une amie, mais que pouvait représenter un être qu’elle n’a jamais vu pour une enfant comme elle ? »126
57Ada a toujours été un objet de curiosité pour ses contemporains. En outre, elle est noble et riche et instruite, en particulier en mathématiques, qui avaient été un penchant de sa mère. Penchant que Byron avait moqué, en l’appelant « ma princesse des parallélogrammes »127 .
58Après avoir tenté une fugue avec son précepteur, Ada s’attelle de nouveau à l’arithmétique et à la géométrie pour se discipliner. Elle se marie et elle appelle son fils aîné Byron. Elle aura deux autres enfants.
59Si Ada est connue aujourd’hui, c’est à cause de l’étrange coïncidence qui voit la fille de Byron devenir une commentatrice du premier prototype d’ordinateur, la « Machine Analytique » de Charles Babbage. Elle fait le lien entre tradition et modernité, poésie et technologie, intuition féminine et rationalité masculine. Le fait que l’un des programmes informatiques les plus connus, issu de PASCAL, ait été baptisé de son nom, est le résultat de cette vue paternaliste.
60Son titre de gloire est d’avoir traduit et annoté l’article d’un ingénieur italien qui présentait la machine de Babbage. L’article avait été publié dans la Bibliothèque Universelle de Genève, et résultait d’une conférence que Babbage en personne avait tenue à Turin sur sa machine. En 1843, paraissent la traduction et les longues notes d’Ada, qui signe A.A.L. (Augusta Ada Lovelace)128. Ces années 1840 sont en effet pour elle un tournant : en 1841, elle a connu Medora, qui lui est présentée par sa mère comme sa demi-sœur, en même temps que lui est révélé l’inceste paternel qui en est à l’origine.
61Apparemment, elle prend assez bien la chose, mais se montrera d’une excentricité croissante, s’attachant à de nombreuses lubies, dont le messmérisme, les paris dans les courses de chevaux, la carrière musicale...
62En fait, Ada était surtout pour ses contemporains la fille de Byron, et c’est en tant que telle que l’on déterre et honore aujourd’hui ses écrits mathématiques. Elle-même développe envers son père une fascination mêlée d’épouvante, semblable à celle qu’éprouvaient les lecteurs moyens anglais. Mais c’était chez elle augmenté de doutes sur son identité : ai-je du génie ? suis-je un monstre ?
Clara, ou la mort à Venise
63Alors que tout Londres bourdonne du scandale de la séparation entre Byron et sa femme, Claire va servir de trait d’union entre Shelley et lui. Ou tout du moins, chacun va se servir d’elle pour connaître l’autre. Ainsi, quand elle envoie des lettres ardentes à Byron, celui-ci ne répondra que lorsqu’il aura saisi la nature de ses liens familiaux avec Godwin et Shelley. Le 20 avril 1816, elle arrive à ses fins et couche avec lui (trois jours plus tôt, elle fêtait ses seize ans). Le lendemain, elle présente Mary à Byron, qui était curieux de la connaître (en tant, si l’on peut dire, que fille de ses parents). Ce dimanche, il signe l’acte de séparation d’avec sa femme, à qui il écrit une lettre (contenant une bague pour Ada) lui demandant de lui envoyer des nouvelles de sa fille par l’intermédiaire d’Augusta. Le surlendemain, il quitte Londres en direction du continent, départ qui connaît une immense publicité129.
64Byron, qui pense séjourner au bord du lac de Genève, a formellement interdit à Claire de le suivre seule et sans chaperonnage, mais celle-ci va manœuvrer auprès des Shelley pour s’installer non loin. A noter que Villa Diodati est très proche de Coppet où le poète rend souvent visite à Mme de Staël, et que, pour y arriver, il passe par Milan où il rencontre Stendhal fugitivement à l’opéra.
65Shelley s’arrange alors pour affronter un long voyage et pouvoir ainsi bénéficier de ce vivifiant voisinage. Mais Claire s’aperçoit qu’elle est enceinte et l’été est pourri. Mais pourri à un point qu’on appellera 1816 « l’année sans été »130. Tandis que se déroule, pour animer les longs jours de pluie, le célèbre jeu de société où chacun des participants doit inventer une histoire de fantômes, commencent les délibérations autour de l’embryon de Claire et de son avenir.
66Cette grossesse, qui lui est annoncée un peu en retard, réactive chez Mary Godwin, des turbulences autour du thème de la naissance, de la maternité et de la mort. Ainsi quand elle se casse la tête pour trouver une histoire de fantômes et complaire à Byron et à Shelley, c’est une idée fondée sur la génération qui lui vient à l’esprit. Quand elle en fait part à Shelley, celui-ci l’encourage à la développer, et à en faire, mieux qu’une simple nouvelle, un roman.
67Sur le lac, tandis que Mary écrit Frankenstein, Claire recopie le troisième chant de Childe Harold que Byron vient de composer. Elle est enceinte de lui. et on peut se demander ce qu’elle pensait quand elle devait calligraphier le premier vers : « Ada ! fille unique de ma maison et de mon cœur ». L’adjectif est dur à avaler, d’autant plus que Medora était née l’année d’avant, et qu’il faut bien entendre cet adjectif « unique » comme un décret de légitimité. Peut-être Claire espérait-elle avoir sa revanche en accouchant de l’« unique » garçon de Byron, légitime ou pas.
68Les Shelley rentrent en Angleterre avec Claire. Mary continue à écrire son roman, mais une série d’événements catastrophiques se déchaîne. Sa demi-sœur, Fanny Imlay, se suicide, et deux mois plus tard, la femme de Shelley se suicide à son tour.
69Mary se trouve alors à Bath, pour faire compagnie à Claire lors de sa grossesse qui doit rester secrète. Entre les deux suicides, un fragment de lettre de Mary à Shelley nous donne une idée de ce qu’était une femme qui écrivait à cette époque :
Mon beau bébé m’a réveillée ce matin et je me suis habillée à temps pour prendre mon cours de dessin avec Mr West et (Dieu merci) j’ai fini cet horrible et ennuyeux dessin que j’ai mis si longtemps à faire – J’ai aussi fini le chapitre 4 de Frankenstein qui est très long et qui vous plaira, je crois.
Et où êtes-vous ? et que faites-vous mon amour béni [...]. – Mais pour le choix d’une résidence – cher Shelley – je vous en prie ne soyez pas trop rapide et ne vous attachez pas trop à un seul endroit – Ah – si vous étiez vraiment un elfe ailé et pouviez voler par dessus les montagnes et les mers et fondre sur le bon petit endroit – Une maison avec une allée et une rivière ou un lac – de nobles arbres et des montagnes divines, qui serait le petit trou de souris où nous nous retirerions – Mais qu’importe – donnez-moi un jardin et absentia Clariœ et je remercierai mon amour de ces faveurs. [...] Dites-moi seriez-vous heureux d’avoir un autre petit braillard ? Vous allez prendre l’air grave en lisant ceci, mais je ne veux rien dire de particulier131.
70Il apparaît, dans cette lettre, que l’écriture n’est qu’une des multiples occupations d’une jeune femme aux intérêts certes intellectuels, mais dont le train de vie, grâce à son compagnon, n’est plus celui de la bourgeoisie, mais de l’aristocratie. On y voit qu’elle prend des cours de dessin, qu’elle n’a guère la charge matérielle de son enfant, que Shelley est capricieux et habitué à changer de résidence. L’idée de « maison » qu’expose Mary est ambitieuse (un lac, des montagnes, des arbres : les trois éléments concomitants d’un paysage idéal, qui sera aussi celui de Stendhal), mais finalement un trait bourgeois plus ancien réapparaît : il suffira d’un jardin (pas même d’un parc), et surtout de « l’absence de Claire ». Ce passage est très souvent cité parce qu’il décrit au mieux, dans sa brièveté foudroyante, les sentiments que Mary éprouvait envers Claire.
71On y voit aussi un Shelley que la paternité dérange, quand elle prend la forme d’un « petit braillard » en chair et en os ; et une Mary que la maternité enchante, jusqu’à devenir prescience. Quand elle écrit cette lettre, elle est déjà probablement enceinte (sa fille Clara naîtra exactement neuf mois plus tard, le 2 septembre 1817 ; et Shelley reste absent jusqu’au 14 décembre).
72Quand arrive la nouvelle du suicide d’Harriet quelques jours plus tard, elle est en plein milieu du récit émouvant de sa créature monstrueuse (comme les chapitres ont été modifiés, on suppose qu’il s’agit de l’apprentissage du monstre et de sa vie cachée auprès du cottage des De Laceys). L’aspect le plus horrible de la tragédie, pour les deux amants, est la conscience qu’ils ont du caractère objectivement providentiel de cette mort : malgré leur commune hostilité à l’institution du mariage, ils se marient deux semaines plus tard.
73Mary Shelley se situe exactement à la jonction entre le modèle de la femme accomplie des Lumières et celle d’épouse et mère dévouée du XIXe siècle. Ainsi, au XVIIIe, écrire comporte-t-il pour une femme des significations sexuelles : comme pour Sarah Debee, un amour obsédant de Restif de la Bretonne, qui, tout en étant courtisane, ou peut-être parce qu’elle est courtisane, écrit des pièces de théâtre. Ecrire est alors une activité qui rentre dans l’arsenal de la séduction et du libertinage, surtout si celle qui le fait n’est pas issue des classes élevées de la société, et en particulier de la seule dont la caractéristique est l’interdiction du travail, la noblesse132. (Tout le problème de Shelley étant par ailleurs de pouvoir se comporter comme un libertin à l’intérieur d’un système d’idéalisation morale.)
74William Godwin en était particulièrement conscient et, malgré ses propres convictions, explose de rage quand Mary s’enfuit avec Shelley, et il le leur fera payer (littéralement) jusqu’à la fin. Seul le mariage atténue sa réprobation, ce qu’il explique (non sans se rengorger) dans une lettre à son frère :
Selon les vulgaires idées de la société, elle [Mary] s’est bien mariée, et j’ai de grands espoirs que ce jeune homme sera un bon mari pour elle. Vous vous demanderez, j’imagine, comment une fille n’ayant pas un sou de fortune personnelle a pu trouver un si bon parti. Mais tels sont les hauts et les bas de ce monde133.
75En septembre 1817, Mary annonce dans la même entrée de son journal qu’elle a accouché le mardi 2, que son Frankenstein a trouvé un éditeur, qu’elle a lu six romans (dont Glenarvon par Caroline Lamb, la scandaleuse transposition de ses amours avec Byron). En janvier était née la fille de Byron et de Claire Clairmont qu’on avait provisoirement appelée Alba. Celle qui vient de naître s’appelle Clara (comme Alba dont c’est aussi le premier prénom, en hommage certainement à sa propre mère) et Everina (comme la sœur encore en vie de Mary Wollstonecraft).
76Les épreuves de Frankenstein commencent alors à arriver, et c’est Shelley qui les corrige en grande partie, car Mary est « fatiguée, et je n’ai pas la tête très claire ainsi je vous donne carte blanche pour faire les changements qui vous plairont »134 .
77Elle a peur que son lait ne suffise pas à Clara : « La petite lady prend du lait de vache [...] En cet instant, je suis entourée de bébés. Alba gratte et gazouille – William s’amuse à s’enrouler dans un châle et Miss Clara contemple le feu. »135 Mais le lait de vache dérange Clara et Mary a besoin d’un reconstituant, « un petit peu de Madère », coupé d’eau, peut-être, ou mieux, du chocolat, mais on n’en trouve pas à Marlow. « Venez voir vos gentils bébés et le petit commodore [Alba] qui est pleine de vie et une enfant singulièrement intéressante – je ne peux la voir sans penser aux expressions des lettres de ma mère au sujet de Fanny – Si les yeux d’une mère ne sont pas partiaux, elle ressemblait à cette Alba – elle mentionne ses yeux intelligents et sa grande vivacité. Mais ceci est un sujet mélancolique. »136
78Deux jours plus tard, elle détaille le comportement de chaque enfant : « Le comportement de [William] envers les deux petites filles serait un argument en faveur de ceux qui prônent l’affection naturelle instinctive. Il ne s’approche pas d’Alba, et si elle vient vers lui, il pousse un cri inquiet jusqu’à ce qu’on l’emmène – mais il embrasse Clara – lui caresse les bras et les jambes et rit de les trouver si doux et jolis. »137
79Dans ces lettres, le principal souci de Mary, après celui de retrouver Percy, est de se débarrasser de Claire et d’Alba sans toutefois compromettre leur bien-être, ni heurter la sensibilité de son mari, qui apprécie la société de Claire et qui aime Alba. Il y a une certaine perfidie à comparer Alba à Fanny, dont le suicide est récent, qui avait toujours été considérée comme la moins douée des filles du foyer Godwin ; ou à souligner combien William ressent instinctivement de l’attraction envers sa sœur Clara et de la répulsion envers Alba. Shelley peignait de petites scènes intimes à Byron qui disaient exactement le contraire : « Depuis que je vous ai écrit la dernière fois, Mary m’a fait le don d’une petite fille. Nous l’appelons Clara. Petite Alba et William, qui sont de grands amis, et s’amusent à se parler dans un langage parfaitement incompréhensible, sont terriblement perplexes devant cette étrangère qu’ils trouvent très bête de ne pas venir jouer avec eux par terre. »138 Ou bien : « Elle est la compagne de jeux de William, qui l’aime tant qu’il comptera parmi ceux qui, nombreux et sincères, pleureront son départ. Ils s’asseoient par terre ensemble et s’amusent pendant des heures de la plus sociable des façons ; petit William lui fourre dans la bouche plus de la moitié des raisins secs qu’on lui a donnés. »139
80Shelley décide de quitter à nouveau l’Angleterre. Tout d’abord, son poème, Laon and Cythna, qui est sorti sous le titre de La Révolte de l’Islam, après que son éditeur l’eut obligé à censurer le thème de l’inceste entre les deux jeunes héros, frère et sœur, a été ignoré des critiques et du public. Ensuite, il est malade et les médecins lui recommandent un climat plus tempéré. Enfin, il rapproche Alba de son père, poussant ainsi celui-ci dans ses derniers retranchements.
81Les mois de janvier et de février 1818 se déroulent à Londres où Frankenstein vient de sortir. Trois jours avant le départ, William, Clara et Alba sont baptisés, le 9 mars, à l’église Saint Giles-in-the-Fields. A cette occasion, Alba change de nom et devient Allegra. Les Shelley partent et arrivent à Milan, espérant en vain trouver une maison sur le lac de Côme où attirer Byron. Mais celui-ci est bien trop occupé à Venise. Ils lui envoient sa fille, puis s’installent de l’autre côté de la péninsule, sur le versant tyrrhénien, très fréquenté par les Anglais à cette époque. Mais quand Claire insiste pour revoir Allegra qu’elle a accepté de confier à son père, Shelley se propose de l’accompagner. Le plaisir de rencontrer et de parler avec Byron l’amène à faire passer le bien-être d’Allegra et de Claire avant celui de Clara, sa fille, qui va en mourir. C’est qu’Allegra est « sa petite préférée », tandis que Clara « ne peut pas encore se souvenir de moi ».
82La situation est compliquée. Byron la résume, et explique la solution qui a été trouvée, en ces termes :
Allegra va bien, mais sa mère (que le diable la confonde !) est arrivée l’autre jour en caracolant par dessus les Apennins pour voir son enfant, ce qui a mis mes amours vénitiennes (qui ne sont pas des plus tranquilles) en pleine combustion ; et j’étais dans un beau guêpier, jusqu’à ce que je l’aie expédiée dans les monts euganéens où elle se trouve à présent avec son enfant. J’ai refusé de la voir par peur qu’il en résulte une addition à la famille, elle doit rester avec l’enfant un mois puis s’en retourner à Lucques ou à Naples, où elle a des parents (elle est anglaise, vous savez), et renvoyer Allegra à Venise. Je lui ai loué ma maison à Este pour ses vacances maternelles140.
83Shelley fait donc venir Mary et ses enfants à Este, où ils arrivent le 5 septembre. Clara est malade. Quelques jours plus tard, Shelley, alors à Padoue pour consulter un docteur, demande à Mary de l’y rejoindre avec Clara, qui ne survit pas à ce voyage. C’est lui qui se charge d’annoncer la nouvelle à Claire : « Nous sommes arrivés à Venise hier à cinq heures environ. Notre petite fille avait montré des symptômes de faiblesse croissante [...]. D’autres, pires, étaient apparus. Un autre docteur était arrivé. Il me dit qu’il n’y avait plus d’espoir. En une heure à peu près – comment pourrais-je te le dire – elle est morte, silencieusement, sans douleur. Et maintenant elle est enterree. »141
84Clara, âgée de douze mois et quelques jours, en proie à une gastroentérite et à ses dents qui percent, ballottée de la Toscane à Este puis à Padoue et à Venise, meurt dans les bras de sa mère, dans l’entrée d’une auberge. Ces déplacements frénétiques avaient été rendus nécessaires par un scénario compliqué destiné à convaincre Byron (qui ne voulait pas voir Claire, ni même qu’elle réside dans la même ville que lui ; qui aimait Shelley ; qui n’admettait pas que Claire puisse voyager seule avec Shelley ; qui avait peur qu’on critique son comportement envers Allegra, etc...) et par les problèmes de santé de Claire – assez mystérieux – et de Shelley, que des gâteaux italiens avaient intoxiqué.
85De nouveau, tout le monde raisonne Mary Shelley. « Tout ceci est assez désespérant, n’est-ce pas ?, mais doit être supporté », concluait Shelley. Ce n’est pas la mort d’un bébé qui peut offusquer les beautés du monde, sauf si l’on s’y complaît, lui écrit son père142. Et de nouveau, elle se raisonnera. Mais elle avait bien connu Clara, elle.
Elena Adélaïde
86Après avoir rendu Allegra à son père et récupéré la bonne, Elise, Shelley, Mary, Claire et le petit William resté seul partent pour Rome, conduits par Paolo Foggi, un nouveau domestique de la famille. Ils y restent quelques jours puis repartent pour Naples, leur destination, où ils arrivent le 1er décembre 1818 et qu’ils quitteront le 28 février 1819. Ces deux dates sont importantes car elles encadrent deux autres dates, celles de la naissance et du baptême d’une mystérieuse petite fille, Elena Adélaïde Shelley. Le certificat de baptême est signé par Shelley, qui la reconnaît comme enfant légitime, mais pas par Mary Shelley, qui est pourtant indiquée comme la mère, et par deux témoins. Clara n’apparaissait dans le journal de Mary Shelley qu’au moment de sa naissance, de son baptême et de sa mort. De même, les seules choses que l’on connaisse d’Elena Adélaïde, à partir des données administratives, sont sa date de naissance, de baptême et de décès (27 décembre 1818, 27 février 1919, 9 juin 1820).
87Le mystère autour de cette naissance est absolu et a tourmenté de nombreux chercheurs qui ont passé leur vie à essayer de le percer. Si Shelley n’était pas le père, qu’est-ce qui le liait à cette enfant ? L’a-t-il adoptée par un accès de philanthropie (tentation qu’il avait déjà connue, toujours à l’égard de petites filles) ? Qui peut bien être la mère ? Toutes les hypothèses ont été faites : Elise, Claire, une inconnue, mais pas Mary, qui d’ailleurs semble avoir ignoré cette affaire jusqu’aux tentatives de chantage et aux rumeurs scandaleuses qui finirent par exploser quand la petite Napolitaine est morte.
88En tout cas, elle a pesé assez lourd sur la conscience des trois adultes. Shelley versait une pension pour sa subsistance à une famille nourricière à Naples. De cette petite fille, on ne possède que l’adresse, la cause de la mort due à une « fièvre de dentition » et les deux prénoms. Deux prénoms peut-être pas si innocents. On sait que Shelley avait une stratégie de dénomination pour ses enfants (proche de celle de Byron). Le premier prénom est familial et reprend celui d’un membre de référence dans la famille : William, Clara, Percy, Eliza, Charles. Le second est celui qui est vraiment adopté et renvoie à un mythe personnel : Ianthe, Everina, Florence, Allegra.
89Elena pourrait donc avoir pour origine le prénom de la petite sœur de Percy Shelley, Hellen. Il avait essayé en son temps de l’enlever pour son propre bien et pour la convertir à sa cause. Il lui avait écrit une lettre à cet effet, alors qu’elle avait douze ans (il était déjà marié avec Harriet) :
Ce n’est par parce que tout le monde me hait que tu dois en faire autant. Pense à toi, mon enfant, et écris-moi pour me dire ce que tu penses. Là où tu te trouves à présent, tu ne peux pas faire ce qui te chante. Tu es obligée de te soumettre à d’autres. Ils ne te laisseront pas marcher et lire et penser (s’ils connaissaient tes pensées) à ta guise bien que tu aies autant le droit qu’eux de le faire. Mais si tu étais avec moi, tu serais avec quelqu’un qui t’aime, tu pourrais courir et sauter lire écrire penser tout à ton aise143.
90Quant à Adélaïde, c’est un nom familial de la maison de Savoie (Savoie que les Shelley traversaient à l’époque de la conception, et surtout patrie d’Elise). Peut-être alors Adélaïde était-elle fille de Shelley et d’Elise ? C’est d’ailleurs le compagnon d’Elise, Paolo Foggi, qui semble avoir tenté un chantage dès le lendemain de la mort de la petite fille.
91Quand, en août 1821, Shelley part à Ravenne pour essayer de convaincre Byron de venir vivre près de chez eux avec Allegra, il demande à Mary d’écrire une lettre aux Hoppner pour le défendre des calomnies que ceux-ci ont répétées à Byron et desquelles Byron demande des comptes à Shelley : celui-ci aurait conçu une enfant avec Claire et l’aurait abandonnée à Naples, et c’est Elise qui l’aurait avoué à Mrs Hoppner. Mary écrit une longue lettre indignée, où, pour réfuter cette accusation, elle fournit cependant certains indices :
Avant que je ne parle de ces faussetés, permettez-moi de dire quelques mots concernant cette misérable. Vous savez qu’elle s’attacha à Paolo alors que nous voyagions vers Rome, et qu’à Naples on parla de mariage. Nous essayâmes tous de l’en dissuader ; nous savions que Paolo était un vaurien, et nous avions une si bonne opinion d’elle que nous pensions qu’il était indigne d’elle. Par hasard, je vins à savoir que sans se marier ils avaient eu une liaison ; elle était malade, nous appelâmes un docteur qui dit qu’il y avait danger de fausse couche. Je n’aurais pas renvoyé cette fille sans la lier d’une manière ou d’une autre à cet homme. Nous les mariâmes chez Sir W.A. – elle nous quitta144.
92Si la mère est bien Elise, et que le père ne peut être Paolo Foggi qui ne la connut qu’en septembre, il ne reste plus que Shelley lui-même. Ceci pourrait expliquer le chantage de Paolo et le désespoir que Shelley ressentit durant son séjour à Naples. Il en repartit avec sa femme, le lendemain du baptême d’Elena Adelaïde.
Alba allegra
93Aube joyeuse. Tels sont les deux noms de la fille naturelle de Lord Byron. Sa vie a peut-être en effet été allègre, à coup sûr mouvementée ; mais elle n’a pas dépassé le stade de l’aube. Sa conception, sa naissance, ses premières années sont liées à la rencontre et au compagnonnage mythiques entre Mary, Percy Shelley, Byron et Polidori. Allegra partage, géographiquement et chronologiquement, la même origine que de nombreux vers parmi les plus célèbres du romantisme anglais. Sa gestation accompagne celle d’un fantôme, d’un vampire et d’un monstre. Le fantôme, imaginé par Byron, sera publié dans Un Fragment, à la suite de Mazeppa, en 1819 ; Le vampire : un conte par John Polidori sort presque en même temps ; le monstre est Frankenstein, ou le Prométhée moderne de Mary Shelley qui les précède d’une année en librairie.
94La fille de Claire Clairmont et de Byron naît le dimanche 12 janvier 1817, à quatre heures du matin. Elle est d’abord prénommée Alba (Lord Byron lui-même était surnommé Albé par ses amis), « faute de tout droit à lui conférer une désignation chrétienne »145. La venue au monde d’un « new baby B. » est annoncée par son père à Augusta146. Deux jours après, il résume l’affaire en ces termes à son ami, Douglas Kinnaird, qui par ailleurs remplissait les fonctions de banquier :
Je t’ai parlé de cette jeune fille au caractère fantasque, et tu l’as vue une fois je crois, qui s’était introduite auprès de moi peu avant mon départ de l’Angleterre. Cependant tu ne sais pas que je l’ai retrouvée à Genève avec sa sœur et Shelley. Je ne l’ai jamais aimée ni n’ai feint de l’aimer, mais un homme est un homme, et si une fille de dix-huit ans vient se pavaner devant vous à toute heure du jour et de la nuit, il n’y a qu’une chose à faire. A la suite de quoi elle s’est retrouvée enceinte, et elle est retournée en Angleterre pour contribuer au peuplement de cette île désolée. J’ignore si la fécondation a eu lieu avant que je quitte l’Angleterre ou plus tard – notre relation (charnelle) avait commencé antérieurement à mon départ –, mais à l’heure actuelle elle a enfanté, ou elle va enfanter incessamment. L’autre question qui se pose est : le gosse est-il de moi ? J’ai de bonnes raisons de penser que oui, car je sais, autant qu’on puisse savoir ce genre de choses, qu’elle n’a pas vécu avec S[helley] depuis que nous nous connaissons, tandis qu’elle l’a fait copieusement avec moi. Voilà ce qu’il en coûte de « se répandre n’importe où » (comme dit Jackson) et au diable l’affaire ! C’est ainsi qu’on vient parfois au monde147.
95Alba vit avec sa mère près des Shelley, à Londres, où Percy Bysshe a recommencé à voir les Godwin. Son mariage avec Mary a beau les avoir quelque peu amadoués, ils ignorent par ailleurs tout de la grossesse de Claire, et la naissance de sa fille leur est soigneusement cachée.
96Peu après, toute la petite troupe s’installe à Marlow où Alba passe pour la fille d’un ami londonien, et Claire reprend son statut de jeune fille. C’est là que Mary Shelley qui vient de terminer son premier jet de Frankenstein, se met à le corriger, tandis que son mari compose le poème qui s’intitulera La Révolte de l’Islam. Il décrit Alba à son père : « Elle est très belle, et bien qu’elle soit plutôt délicatement charpentée, elle jouit d’une excellente santé. Elle a les plus beaux yeux que j’aie jamais vus chez un enfant si jeune. Elle a les cheveux noirs, les yeux d’un bleu profond, et la bouche d’une forme exquise. »148
97Le 14 mai, Mary termine la rédaction de Frankenstein. Les cheveux noirs d’Alba tombent et repoussent plus clairs : « Il y a une dispute à présent sur leur couleur. Clare dit qu’ils sont auburn », communique Shelley à son père, en ajoutant que William et elle sont baignés dans de l’eau froide149.
98Sa première année a sans doute été heureuse, au sein de la famille Shelley. Claire la nourrissait à la demande ; elle raconte à Byron qu’elles dorment ensemble. Mais cette situation ne pouvait durer. Sa présence commençait à faire jaser. On disait que c’était la fille de Shelley et de Claire. « Il me semble excessivement dangereux qu’ Alba reste ici. Toutefois je ne vois pas ce qu’on peut y faire », écrit Mary à Shelley150.
99Quand la décision est prise de quitter l’Angleterre, Alba devient Allegra, selon le désir de son père, qui ne participe pas à la cérémonie mais est décrit, dans l’acte de baptême, comme « pair, sans domicile fixe, en voyage sur le continent ». Il avait promis à Shelley : « Je la reconnaîtrai et l’élèverai moi-même, en lui donnant le nom de Biron (pour la distinguer de la petite légitime) et j’entends la baptiser Allegra, qui est un nom vénitien. »151
100Le jour de l’anniversaire d’ Alba, Claire avait écrit à Byron :
Comme j’aimerais que vous la voyiez : elle est si intéressante en ce moment. Je ne dirais pas qu’elle est jolie bien qu’elle soit certainement loin d’être laide mais son visage a de bons points pour lui – de beaux yeux d’un bleu profond éblouissant le plus proche que j’aie jamais vu de la couleur des eaux du lac de Genève sous un ciel d’été, des lèvres roses et proéminentes et un petit menton carré partagé au milieu exactement comme le vôtre. [...] Son nez ne va pas ; ses joues non plus et sa silhouette est tout à fait celle d’un garçon. Elle ne sait ni parler ni marcher mais quand quelque chose ne lui plaît pas, elle appelle Papa à son secours. La violence de sa nature est décourageante, mais si mêlée d’affection et de vivacité que je ne sais si je dois en rire ou en pleurer. Cher ami. comme je vous envie. Vous aurez une petite chérie qui rampera à vos genoux et vous tirera jusqu’à ce que vous la souleviez – puis elle s’assiéra au creux de votre bras, vous lui donnerez des grains de raisin de votre assiette et une goutte de vin de votre verre et elle se considérera comme une petite reine de la création. Quand elle sera plus grande [...], vous pourrez vous perdre dans la contemplation d’une créature qui grandit entre vos mains. Vous pourrez la regarder et penser « c’est mon œuvre ». [...] Que vous raconter de nouveau ? Mary vient de publier son premier ouvrage, un roman intitulé Frankenstein ou le Prométhée moderne. C’est merveilleusement réussi et plein de génie, et l’histoire est d’un genre si soutenu et extraordinaire que nul ne saurait imaginer qu’elle a été écrite par une personne si jeune. Je suis ravie, et malgré les sentiments d’envie que je nourris secrètement pour ne pas être capable d’en faire autant, tout disparaît quand je pense que c’est une femme qui s’avèrera dans le futur un ornement et un argument en notre faveur152.
101Cette lettre révèle franchement et ingénûment, franchise et naïveté qui avaient dû plaire à Byron en leur temps, mais aussi avec un pathos et une pétulance qui maintenant devaient prodigieusement l’énerver, l’usage privé que Claire faisait de sa fille. C’est d’abord un lien tangible avec son père fuyant. Comme elle n’arrive à établir aucun contact avec lui, elle se sert d’Alba, tout en modulant ses effets, car Byron pourrait bien finir par méconnaître totalement aussi celle-ci. Toutefois, elle sait que la naissance d’Alba, si proche de celle de la légitime Ada, renouvelle chez lui les élans sentimentaux qu’il avait connus quand il avait dû la quitter.
102Le désir profond qu’a Claire de confier sa fille à Byron, pourtant si peu fiable, est motivé par des considérations sociales : reconnue par un père noble et élevée par lui, Alba aura une position nettement meilleure qu’avec sa mère (« Je vous ai envoyé ma fille parce que je l’aime trop pour la garder. Avec vous qui êtes puissant, noble, et l’admiration du monde entier, elle sera heureuse »153). Mais ce désir est aiguisé par une identification avec sa fille : en l’envoyant vivre avec lui, c’est un peu elle qui y va aussi. La vie imaginaire qu’elle attribue à Byron et Alba, est celle d’un couple, où l’enfant est à la fois la femme et la créature, la compagne et l’œuvre. Ce fantasme, elle le réitère, sous une double dénégation, un an plus tard : « J’ai bien peur de dire que vous aimeriez vous voir en vieux Cenci dans vingt ans, mais si je vis, Allegra ne sera jamais une Béatrice. »154
103On remarquera au passage que c’est ici Byron qui est assimilé à Cenci, alors que précédemment c’était Shelley qui lui avait été comparé par Southey. Cette même tragédie des Cenci inspirait Stendhal et Shelley. Comme il s’agit d’un inceste et d’un parricide, qui concernent un père et sa fille, ces coïncidences deviennent ici significatives.
104Enfin, la lettre de Claire décrit la cohabitation avec le couple Shelley et montre quelques autres particularités de cette situation imbriquée. Claire a rivalisé avec Mary, tout d’abord en essayant de monopoliser Shelley ; puis en cherchant un compagnon qui lui soit l’égal sinon le supérieur, aussi bien d’un point de vue culturel que social. Elle a ensuite écrit un roman que Byron a jugé idiot, alors qu’il admirera celui de Mary. Tout en reconnaissant la grandeur du couple qui la soutient, elle doit admettre sa jalousie et sa rancœur qu’elle sublime en idées féministes (les Shelley qui, eux, reçoivent des lettres de Byron où celui-ci exprime son exécration pour Claire, cherchent précautionneusement à la persuader qu’elle n’a plus aucun espoir à nourrir de ce côté-là).
105Période orageuse donc, puisque Byron se déclarait disposé à élever sa fille, mais à condition de n’avoir aucun rapport avec Claire. Il ne lui écrit pas, et pose même un oukase : il se chargera d’Alba, mais Claire devra renoncer à jamais à la voir. Le comportement de Byron donne ici rétrospectivement raison à Annabella, l’épouse légitime, et à ses calculs retors pour empêcher toute revendication paternelle.
106Shelley est outré. Tout en adoptant le point de vue de Byron, il en relève la cruauté, et conseille à Claire, dans ces conditions, de garder Alba. Mais celle-ci « rejette ses conseils sincères » et le traite « avec un mépris qu’[il] n’avai[t] jamais mérité de sa part ». C’est qu’en effet, comme nous l’avons vu, le départ d’Alba auprès de son père, assouvissait chez Claire un profond désir frustré.
107Byron n’entend nullement ni venir prendre Allegra ni même envoyer quelqu’un la chercher, malgré les louanges de Shelley sur son caractère qui « a perdu beaucoup de sa vivacité, et est devenu doux et affectueux ». Même Claire s’est résignée, pour le bien de sa fille, et pensant que Byron reviendrait sur ses dernières exigences pour remplir ses promesses du temps où elle n’était qu’enceinte : qu’il ne se séparerait jamais de sa fille avant qu’elle ait sept ans, qu’il admettrait sa mère auprès d’elle, quitte à la présenter comme une de ses tantes.
108Le 28 avril 1818, Claire confie sa fille à leur bonne Elise qui l’accompagnera à Venise. Byron commente : « La bâtarde est arrivée – tout à fait ça – en pleine santé – bruyante – et capricieuse ».
109Puis Shelley, Mary, Claire et les deux enfants partent pour Pise et Livourne, et enfin Bagni di Lucca. Au mois d’août, Byron a confié Allegra au consul britannique à Venise, d’où Elise envoie des lettres alarmantes. Claire décide alors de partir voir sa fille et Shelley de l’accompagner. Claire pense encore qu’Allegra est entre les mains de Byron un puissant levier pour assurer la continuité d’un lien avec lui.
110Dans son poème. Julian et Maddalo (alias Shelley et Byron), Shelley dépeint la fille du comte :
Le plus joli jouet que douce Nature ait jamais fait
Un être sérieux, subtil, sauvage et pourtant gentil,
Gracieuse sans le faire exprès et sans arrière-pensées.
Avec des yeux – Oh. ne me parlez pas de ses yeux – On dirait
Des miroirs jumeaux du ciel italien, qui pourtant brillent
D’un sentiment des choses que seul le visage humain
Laisse entrevoir si profondément : c’était
Ma petite préférée : j’avais bercé
Ses membres délicats quand elle vint
Dans ce morne monde ; et pourtant elle parut
Reconnaître son ancien compagnon de jeu,
Moins changé qu’elle en six mois ou presque ;
Car, sa timidité initiale évanouie,
Nous nous assîmes et fîmes rouler des boules de billard.
111On sait que ce voyage s’est fait aux dépens de la vie d’une autre petite fille, Clara Shelley. Pendant un mois, Claire pourra profiter de sa fille, mais en octobre, Allegra est rentrée chez son père à Venise. Le mois suivant, Byron fait ajouter un codicille à son testament :
Je lègue à Allegra Biron [...] la somme de cinq mille livres sterling, que mes exécuteurs testamentaires lui verseront le jour de son vingt-et-unième anniversaire, ou de son mariage, à condition qu’elle n’épouse pas un citoyen natif de Grande-Bretagne.
112Il pensait que sa qualité de fille naturelle aurait gravement handicapé Allegra en Angleterre, tandis qu’en Italie, une bonne éducation dans un couvent catholique et une dot, même médiocre, auraient suffi à lui procurer « un mariage très respectable ». Ils passent l’hiver à Venise, mais l’année suivante, la vie d’Allegra suit les aléas des rapports amoureux entre Byron et sa nouvelle maîtresse, Teresa Guiccioli. En août, elle est à Bologne. Son père lui apprend à dire « Buon dì, papà » et remarque qu’elle ne peut prononcer le r, comme sa sœur, Augusta. En automne, elle souffre d’une « fièvre tierce » dont on la guérit par des doses massives de quinquina. Teresa Guiccioli est confinée par son mari à Ravenne, où Byron finit par décider d’aller la rejoindre, toujours accompagné d’Allegra. Là, la fillette passe l’hiver en compagnie de Teresa Guiccioli qui, pour l’amuser, l’emmène en voiture sur le Corso ou se promener dans la pinède, ou encore voir les mosaïques de Saint-Apollinaire en Classe. En été, Byron loue une villa à la campagne « exprès pour elle. Elle a deux bonnes ».
113Toute une correspondance s’est installée. Entre Byron et ses amis à qui il parle d’Allegra, généralement pour en louer la beauté, critiquer ses défauts (« vanité et entêtement »), incidemment pour remarquer qu’il ne ressent aucun sentiment paternel. Entre Byron et Shelley qui essaie de modérer les passions (rôle inaccoutumé pour Shelley) ; entre Byron et Claire qui réclame, soit parce qu’elle veut voir sa fille, soit parce qu’elle désapprouve les méthodes de Byron en matière d’éducation ; sans compter les Hoppner (le mari est consul à Venise) qui s’évertuent à envenimer une situation qui n’a pas besoin de l’être. Ce sont eux qui en premier font état des médisances d’Elise sur un enfant naturel, fruit des amours de Shelley et de Claire, abandonné aux Enfants-Trouvés, ou qui d’un autre côté trouvent Allegra « tranquille et sérieuse comme une petite vieille, ce qui nous peine beaucoup ». Le tout culminant au moment où Byron décide d’envoyer Allegra en pension dans un couvent alors qu’elle n’a pas même cinq ans. C’est qu’en effet Byron s’est mis à comploter avec les carbonari, cache des armes dans son palais, et pense aux dangers que cette activité pourrait comporter pour sa fille.
114Ce couvent, bien qu’il soit sis en un endroit étonnamment insalubre, est une pension pour enfants riches. Une petite fille doit payer soixante-dix écus pour y être admise, et apporter un lit, une toilette, une commode, deux chaises, dix-huit chemises, une robe de drap noir. Elle doit en outre offrir un dîner pour le jour de son arrivée, un agneau pour Pâques, deux chapons à Noël. La clôture était complète, les enfants ne sortaient jamais. On leur apprenait la grammaire italienne (l’italien est devenue la langue maternelle d’Allegra), la géographie, la cosmographie, l’arithmétique, et les arts d’agrément habituels : dessin, chant et musique, broderie en or et en argent, et même à confectionner des fleurs artificielles. L’histoire se limitait aux « saintes anecdotes ». L’écriture se confondait avec la calligraphie. C’était d’ailleurs la sœur qui enseignait l’arithmétique qui s’en chargeait.
115Dans la dernière visite que Shelley rend à Allegra, il peste contre cette éducation. Il trouve qu’on ne cultive pas assez son intellect, qu’elle ne sait que ses prières, le Paradis, le nom de tous les saints, et qu’elle ne parle que de l’Enfant-Jésus, ce qui a le don de l’exaspérer. Cette visite a lieu début juillet 1821, et c’est dans la lettre où il la relate à Mary qu’il accuse réception de celle de sa femme destinée à Mrs Hoppner pour réfuter les racontars d’Elise au sujet de la petite Elena Adélaïde.
116Selon Shelley, Allegra demande plusieurs fois en italien à voir son père, et sa mère (mais de qui parle-t-elle ? de Claire, qu’elle n’a pas vue depuis trois ans et dont il est impossible qu’elle se souvienne, ou de Teresa Guiccioli, qu’elle a fréquentée lorsqu’elle vivait chez son père ?). Mais quand elle envoie une lettre à son père, toujours en italien :
Mon cher papa.
Puisque c’est la saison de la foire, je désirerais tant une visite de mon
papa, car j’ai beaucoup d’envies à satisfaire, ne voudra-t-il pas faire
plaisir à sa petite Allegra qui l’aime tant ?
117Byron commente dans la marge : « Lettre assez honnête mais pas très flatteuse – puisqu’elle tient à me voir à cause de la foire, et pour en tirer un pain d’épices paternel – à mon avis. »155
118Peu avant sa naissance, en résumant les circonstances qui avaient porté à sa conception, Byron avait conclu, en haussant mentalement les épaules : « C’est ainsi qu’on vient parfois au monde. » Allegra est morte on ne sait au juste de quoi, probablement de la typhoïde. Son père trouvait qu’elle était gâtée. Mais elle est morte au couvent, à cinq ans, bâtarde, sans son père ni sa mère, fille de lord, riche, et seule. « C’est ainsi parfois qu’on meurt. » Même quand on est une petite fille.
119Byron voulait que sa fille soit enterrée dans l’église de Harrow, en Angleterre, où il avait passé son enfance. Il indiquait l’endroit précis, à gauche en entrant, et le texte de la plaque de marbre qui devait y être apposée, avec son nom et sa qualité de fille de G.G. Lord Byron. Mais le révérend Cunningham et les administrateurs de la paroisse s’y opposèrent, et le petit cercueil, expédié d’Italie, fut enseveli dans le cimetière.
120L’histoire désormais mythique de Shelley et de Byron méritait d’être encore une fois racontée, et ceci pour deux raisons. Tout d’abord, parce qu’elle est mal connue en France. Ensuite parce que, si on l’évoque en plaçant au centre des événements non plus les poètes, ni même leurs compagnes, mais bien leurs filles, cette histoire offre encore d’autres facettes.
121Byron et Shelley sont devenus des classiques de la littérature, mais leurs œuvres ne sont guère lues. De Byron est restée encore très attrayante la somme de sa correspondance et de ses journaux. De Shelley, surtout une image biographique extraordinaire. Mary Shelley, elle, continue à être lue ; ou, tout du moins, son Frankenstein continue à l’être. Quant à Claire Clairmont, dont la production littéraire est presque inexistante, elle est devenue, de par son rôle dans la vie des trois auteurs, un personnage que Les Papiers d’Aspern de Henry James n’ont fait que mettre davantage en lumière. Sa correspondance et son journal, récemment publiés, animent cette silhouette connue jusque-là surtout par ses travers, amplement stigmatisés dans la correspondance des Shelley et de Byron.
122Les filles ayant survécu ont suscité à leur tour la curiosité. C’étaient Ianthe, Ada, Medora. Sur la première, rien au cours des décennies n’a transpiré. Mais Ada a inspiré plusieurs biographies, dont l’une est consacrée en bonne partie à Medora. Même la petite Allegra a su éveiller l’intérêt d’une historienne renommée, Iris Origo.
123Dans cette aventure littéraire, et extra-littéraire, qui relie dans une trame incroyablement romanesque où se mêlent l’amour, la mort, la guerre et le génie, comme les plus simples des gestes quotidiens, trois personnages qui ont marqué et marquent encore l’imagination, un des liens est la paternité. Byron et Shelley l’ont vécue de manière différente, apparemment, mais une certaine rêverie autour de leurs filles, leur est commune. A commencer par l’image de la fille bâton ou oreiller de vieillesse. Shelley parle de Ianthe « chez qui je pourrais plus tard trouver le réconfort de la compassion »156 . Cette représentation, hypothèse, sinon hypothèque sur l’avenir de l’enfant, projette dans le lointain la réalisation d’un couple entre un père sénile et une fille non mariée (une vierge et en même temps une vieille fille). Pour Allegra, Byron imagine même plusieurs scénarios possibles. De la part de tous deux, il y a un intérêt pour les petits riens, les trivia de la puérilité, déterminé par une conception alors naissante de l’enfance comme âge poétique de la découverte, de l’enthousiasme, de la sincérité, de l’incontamination sociale. A tous deux, la fille légitime est soustraite et revendiquée par la partie maternelle, avec interdiction de visite.
124Mais l’on voit apparaître aussi deux éléments plus obscurs : d’un côté, une profonde indifférence, assez traditionnelle en ce qui concerne un âge si menacé et décevant qu’il décourageait l’investissement ; de l’autre, une indubitable cruauté.
125A une époque où le conte populaire connaît un regain d’intérêt chez les poètes et les hommes de lettres, Shelley et Byron, chacun à sa manière, incarnent la figure de l’ogre, ce qui n’aurait peut-être pas déplu à Byron (bien qu’il ait exprimé chagrin et culpabilité à la mort d’Allegra), mais aurait horrifié Shelley. Pourtant ses vues éducatives ne sont-elles pas inquiétantes ?
Je voudrais trouver deux jeunes personnes n’ayant pas plus de quatre ou cinq ans, et je préférerais que ce soient des filles car elles sont généralement plus précoces que les garçons... Je me retirerais du monde avec mes élèves, et dirigerais leur éducation dans quelque endroit isolé. Elles ne connaîtraient rien des hommes ou des coutumes jusqu’à ce que leur esprit ait suffisamment mûri pour me rendre capable de mesurer comment les impressions du monde, alors réintroduit, agissent sur l’esprit quand celui-ci a été dérobé au préjugé humain157.
126En 1812, n’ayant encore jamais rencontré Godwin avec lequel il entretient une correspondance, Shelley lui demande de lui envoyer une de ses filles, Fanny par exemple, afin qu’elle vive dans la « commune » où déjà cohabitent trois femmes, Harriet, sa sœur, et Miss Hitchener. Et, en 1817, à Marlow, entouré de Mary enceinte (de Clara), de son fils William, de Claire et d’Alba, il adopte une petite villageoise, Polly Rose, afin de l’instruire.
127Le plaisir que tous deux, Shelley et Byron, éprouvent à l’idée d’avoir des filles est lié à une soif de pouvoir, à un désir de séduction, à une curiosité intellectuelle, à une intolérance narcissique, à une négligence quotidienne, qui en font des pères abusifs. Les mères sont complices ou dupes. Cette ambivalence de l’adulte comme ogre, à la fois violeur et sauveur d’enfants, fasciné par ce qui lui semble la forme la plus pure d’humanité mais en même temps ravageur de cette innocence, est, on le sait, montrée par Michel Tournier dans Le Roi des Aulnes. Avec Gilles et Jeanne, l’écrivain imagine que le facteur déclenchant qui oriente Gilles de Rais vers la monstruosité, est précisément la rencontre avec la perfection et la sainteté enfantine incarnée par Jeanne d’Arc, dont il a été le compagnon d’armes.
128Quand, un peu plus de trois mois après Allegra, meurt Shelley, noyé à l’âge de vingt-neuf ans, il ne reste plus à Mary qu’un petit garçon qui, lui, ne mourra pas prématurément. Pour nous, elle a laissé, avec Frankenstein, une réflexion sur ce que signifie, pour un homme et une femme, mettre au monde un enfant, et peut-être, plus particulièrement, mettre au monde une petite fille.
Notes de bas de page
91 Anecdote citée par Barbara Charlesworth Gelpi (Shelley’s Goddess. Maternity, Language, Subjectivity, Oxford University Press, 1992), qui en fait remonter l’origine à l’ami de Shelley, Thomas Love Peacock, et en tire les conséquences kleiniennes que l’on peut imaginer sur la position maternelle ainsi que sur la dialectique du bon et mauvais sein dans la psyché du poète.
92 The Journals of Claire Clairmont, ed. by Marion Kingston Stocking, Harvard University Press, 1968, p. 184.
93 Il traduit deux essais de Plutarque sur ce thème et en écrit un de sa propre plume : On the vegetable System of Diet. V. The Prose Works of Percy Bysshe Shelley, ed. by E.B. Murray, Oxford, Clarendon Press, 1993.
94 Lettre à Thomas Jefferson Hogg, le 16 mars 1814, in The Letters of Percy Bysshe Shelley, edited by Frederick L. Jones, Oxford University Press, 1964, vol. I, p. 384.
95 Lettre au même. 3 octobre 1814, ibid., I, p. 402.
96 Lettre à Catherine Nugent, 20 novembre 1814, ibid., I, p. 421.
97 Lettre à Leigh Hunt, 8 décembre 1816, ibid., I, p. 517.
98 Lettre à J.H. Lawrence, 1812, cit. par Richard Holmes, Shelley The Pursuit, London. HarperCollins, 19942, p. 153.
99 Lettre de Robert Southey à Shelley, août 1820, cit. in Letters of Percy Bysshe Shelley, op. cit., II, p. 232.
100 Lettre à Cassandra, 5 mars 1914, in Jane Austen’s Letters, op. cit., p. 257.
101 Lettre à lady Melbourne, 25 avril 1814.
102 Ibid., 7 octobre 1814.
103 Lettre à Thomas Moore, 2 février 1818, Venise.
104 Medora Leigh. A History and an Autobiography, edited by Charles Mackay. London, Richard Bentley. 1869, p. 123-124.
105 Ibid., p. 127.
106 Ibid. p. 135-136.
107 Roger de Vivie de Regie, « Médora Leigh la fille de Lord Byron ? ». La Revue des Deux Mondes. 1er décembre 1926, p. 610-653. Voir également Frédéric Jacques Temple. Le Tombeau de Medora. Biographie de la fille cachée de lord Byron. Paris, Les éditions de Paris, 2000. qui reprend l’article précédent en y ajoutant quelques renseignements sur Jean-Louis et Elie Taillefer.
108 Les citations du journal et la lettre adressée à Hogg (v. infra) sont tirées de The Journals of Mary Shelley 1814-1844, edited by Paula R. Feldman and Diana Scott-Kilvert, Baltimore and London, The John Hopkins University Press, 1987.
109 Il s’agit de Despotism ; or, the Fall of Jesuits, d’Isaac D’israeli, paru en 1811, précise l’édition citée du Journal de Mary Shelley.
110 Lettre à Leigh Hunt, 8 mars 1817, The Letters of Mary Wollstonecraft Shelley, ed. by Betty T. Bennett, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1980, vol. I, p. 32.
111 Confidences notées par Edward Silsbee, en 1876 (Claire Clairmont avait alors soixante-dix-huit ans) et citées par Marion K. Stocking dans son édition de The Clairmont Correspondence, ed. by Marion Kingston Stocking, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1995, vol. I, p. 25.
112 V. dans la bibliographie les nombreuses et récentes biographies consacrées à Ada Byron Lovelace. Elle a également inspiré un roman écrit par William Gibson (le célèbre auteur de science-fiction) et Bruce Sterling, The Différence Engine (New York, Batham Books, 1991). Un film a été tiré de sa vie par la cinéaste Lynn Herschmann Leeson en 1997 : Conceiving Ada, avec dans le rôle d’Ada, Tilda Swinton, et Timothy Leary dans celui d’un directeur de thèse.
113 Selon Malcolm Elwin, Lord Byron’s Family. Annabella, Ada and Augusta 1816- 1824, London, John Murray. 1975. p. 9.
114 Childe Harold’s Pilgrimage, Canto the Third, strophes CXV et CXVI.
115 Cit. par Dorothy Stein, Ada. A Life and a Legacy, Cambridge Mass.-London E.. The MIT Press, 1985., p. 18
116 Lettre à sa mère, citée par Malcolm Elwin, Lord Byron’s Family. Annabella, Ada and Augusta 1816-1824, London. John Murray. 1975, p. 51.
117 Lettre à lady Noël, sa mère, 8 septembre 1817, cité in Doris Langley Moore, Ada countess of Lovelace, Byron’s legitimate Daughter, London, John Murray, 1977.
118 Cité in Doris Langley Moore, op. cit.. p. 17.
119 Cité in Dorothy Stein. op. cit.. p. 24.
120 Lettre à Augusta Leigh, Diodati, Genève, 8 septembre 1816.
121 Lettre à John Murray, Bologne, 7 juin 1819.
122 Note 109 des écrits intimes, publiée avec les journaux de Byron, décembre 1821.
123 Voir cette lettre en entier, publiée et corrigée par Doris Langley Moore, op. cit., p. 22.
124 A Augusta Leigh, Missolonghi, lundi 23 février 1824.
125 Ibid.
126 Cité par Doris Langley Moore, op. cit.
127 Lettre à Lady Melbourne, 18 octobre 1812.
128 « Sketch of the Analytical Engine invented by Charles Babbage Esq., by L.F. Menabrea, of Turin, Officer of the Military Engineers, translated with notes by A.A.L. », Taylor’s Scientific Memoirs, 3, 1843. p. 666-731. Le texte de Menabrea avait été publié dans la Bibliothèque Universelle de Genève, 82, octobre 1842.
129 Ce calendrier serré est établi par Marion K. Stocking dans son édition des lettres de Claire Clairmont, op. cit., I.
130 Voir, sur les causes et les effets du climat durant cet été-là, Richard Freeborn, « Frankenstein’s Last Journey », Oxford Slavonie Studies, New Series, XVIII, 1985, p. 102-119.
131 Lettre du 5 décembre 1816. in The Letters of Mary Wollstonecraft Shelley, op. cit., I.p. 22-23.
132 V. Restif de La Bretonne, Sara ou la dernière aventure d’un homme de quarantecinq ans, prés, de Marcel Béalu, Paris, Nouvel office d’édition, 1963.
133 Lettre de William Godwin à son frère, 21 février 1817, cit. in Letters of Percy Bysshe Shelley, op. cit., I, p. 525.
134 Mary Shelley à Shelley, 24 septembre 1817, The Letters of Mary Wollstonecraft Shelley, op. cit., I, p. 42.
135 28 septembre 1817, ibid., p. 46.
136 5 octobre 1817, ibid., p. 52.
137 7 octobre 1817, ibid., p. 53.
138 Shelley à Byron, 24 septembre 1817, Letters of Percy Bysshe Shelley, op. cit., I. p. 557.
139 17 décembre 1817, Ibid., I. p. 584.
140 Lettre de Byron à Augusta Leigh, 21 septembre 1818.
141 Lettre de Shelley à Claire Clairmont, 25 septembre 1818, Letters of Percy Bysshe Shelley, op. cit., II, p. 40-41.
142 Lettre de William Godwin à Mary Shelley, 27 octobre 1818, citée in Letters of Percy Bysshe Shelley, op. cit., Il, p. 41, n. 2. « Seules des personnes très ordinaires et d’une disposition pusillanime, se laissent écraser par une calamité de cette nature ».
143 Lettre de Shelley à sa sœur Hellen, fin 1811, ibid., I, p. 205-206.
144 Lettre de Mary Shelley à Mrs Hoppner, Pise, 10 août 1821, ibid., II, p. 656.
145 Shelley à Byron. 23 avril 1817, ibid.
146 Lettre de Byron à Augusta Leigh, 18 décembre 1817.
147 Lettre de Venise, le 20 janvier 1817.
148 Lettre de Shelley à Byron, 23 avril 1817, The Letters of Percy Bysshe Shelley, op. cit., I, p. 539.
149 Lettre de Shelley à Byron. 9 juillet 1817, ibid., I, p. 547.
150 16 octobre 1817, The Letters of Mary Wollstonecraft Shelley, op. cit., p. 56.
151 Lettre de Byron à Douglas Kinnaird, 13 janvier 1818.
152 Lettre de Claire Clairmont à Lord Byron, 12 janvier 1818, in The Clairmont Correspondence, op. cit., I, p. 109-111.
153 Lettre de Claire Clairmont à Lord Byron, 26 avril 1818, ibid., p. 115.
154 Passage rayé de la lettre de Claire Clairmont à Lord Byron datée du 15 mai 1819, ibid., p. 127.
155 Cit. par Iris Origo, Allegra, London, Hogarth Press, 1935.
156 Lettre déjà citée à Thomas Jefferson Hogg, 16 mars 1814, in The Letters of Percy Bysshe Shelley, I. p. 384.
157 Shelley à Merle, été 1811. Cit. par Richard Holmes, op. cit.
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