Antoine Blondin, chroniqueur du Tour de France
p. 295-302
Texte intégral
1En 2015, le Tour de France est passé par Saint-Rome-de-Tarn, petite ville située à moins de 15 km de Saint-Affrique, dans l’Aveyron. Il faut 15 minutes environ en voiture, un peu plus d’une heure en bicyclette, un peu plus de trois heures à pied, pour rallier Saint-Rome-de-Tarn depuis Saint-Affrique. Il me plaît de penser qu’Alain Viala, en vacances sur ses terres, s’est joint au public de la route du Tour pour regarder passer la caravane, en pique-niquant au bord du chemin. Ce n’est au demeurant ni la première, ni la dernière fois que le Tour traversait l’Aveyron. Après-guerre, Millau a été cinq fois ville-étape du Tour, en 1954, 1955, 1960, où il prit une journée de repos, 1987, et 1990. En 1954, le Tour passe une première fois par Saint-Affrique, venant de Toulouse, en route pour Millau : Ferdi Kübler, qui finira deuxième du Tour, remporte l’étape, tandis que Louison Bobet s’empare du maillot jaune (il gagne le Tour cette année-là). En 1960, le Tour passe à nouveau par Saint-Affrique, avant d’arriver à Millau, où Roger Rivière est en deuxième position : une chute terrible lors de l’étape suivante interrompt pour toujours une carrière pourtant joliment entamée. En 1983, à nouveau, l’année où Alain Viala soutient un doctorat d’État qui deviendra deux ans plus tard La Naissance de l’écrivain, le Tour traverse Saint-Affrique, au moment de la fête nationale, alors que Roquefort-sur-Soulzon, à 11 km de là, est ville-étape. J’y vois une heureuse configuration astrale. C’est une autre époque du cyclisme, puisque c’est Laurent Fignon qui gagne le Tour. Et peut-être Alain Viala a-t-il vu, ce jour-là, l’échappée emmenée par Lucien Van Impe être rejointe, précisément à Saint-Affrique, au 243e km de l’étape. Le Tour a également traversé ses terres en juillet 2005, comme pour inaugurer le viaduc de Millau (dessiné, bien sûr, par un Anglais, Norman Foster) : le peloton qui se dirigeait d’Albi vers Mende se devait de saluer à Saint-Affrique le régional de l’étape, à présent installé en partie en Angleterre. C’était une autre époque du cyclisme, encore, celle où le peloton était emmené par un homme dont l’histoire n’a gardé aucune trace, un Texan qui aurait trouvé avantage à rester sur ses terres, un dénommé Lance Armstrong. En 2017, le Tour de France est un peu plus au nord, du côté de Rodez.
2La bicyclette, on le sait, est un objet poétique, d’Alfred Jarry à Paul Fournel, de Flann O’Brien à Quentin Blake. Les écrits sur le cyclisme ou le Tour de France font appel au vocabulaire des genres littéraires : Jacques Augendre et Marcel Bidot, Souvenirs ou L’épopée du Tour de France ; Jean-Paul Ollivier, La Tragédie du parjure ; Christian Prudhomme, Le Tour de France, coulisses et secrets. Des écrivains l’ont célébré : Tristan Bernard, Compagnon du tour de France, Jacques Perret ou Henri Troyat, qui, parmi tant d’autres, ont suivi le Tour. Une anthologie récente retrace cette histoire1, une autre, composée depuis Oxford bien sûr, nous invite à relire la littérature pour mieux enfourcher notre bicyclette2. Il y a quelque chose d’éminemment littéraire dans le Tour de France, dans cette course cycliste métamorphosée en épopée, analysée de façon célèbre par Barthes. Mais cette transformation, comment s’opère-t-elle ?
3Le Tour de France invite à la lecture. Sa création remonte à 1903, mais son invention s’appuie sportivement sur le tour de France automobile qui existe depuis 1901, symboliquement sur le tour de France des compagnons, littérairement peut-être aussi sur Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, dans lequel des générations d’enfants ont appris à lire. Conçue pour favoriser les ventes du journal L’Auto, que finance l’industrie automobile, et pour faire concurrence au journal Le Vélo de Pierre Giffard, la course du Tour permet de développer le lectorat. Le public prend connaissance des étapes grâce au journal : elles sont, dès les débuts de l’épreuve, autant destinées à être lues qu’admirées sur le bord de la route. Plus tard, le Tour deviendra un objet radiophonique, avant d’être télévisuel. Et de nos jours, le journal sert de support aux images, déjà vues par le lecteur, la veille, à la télévision, ou sur le site internet du journal L’Équipe. Le Tour est en effet inséparable de la lecture, reste marqué par cette origine : jusqu’au maillot jaune qui reprend la couleur des pages du journal L’Auto (le maillot du premier du tour d’Italie, lui, est rose, comme les pages de la Gazzetta dello Sport). Parallèlement, la bicyclette est l’objet de toutes les attentions de la part des écrivains, témoignant d’une fascination pour la machine ou pour célébrer la poésie de la liberté. Ces deux tendances se rejoignent alors dans la célébration du Tour, dans la construction de l’épreuve sportive en objet littéraire.
4Toute la rhétorique qui met en forme l’expérience de la course pour les lecteurs porte la marque de cette parenté, qu’il s’agisse du vocabulaire du spectacle, de celui de l’épopée ou encore de celui de la tragédie ou du drame. Cette rhétorique apparaît souvent dans le sport, mais peut-être jamais avec autant de constance que dans le traitement de la course cycliste. La proximité entre bicyclette et écriture, entre le Tour de France et sa célébration littéraire, s’incarne en particulier dans l’œuvre d’Antoine Blondin. On sait que l’auteur de Monsieur Jadis ou l’école du soir et de Un singe en hiver faisait partie des « suiveurs » du Tour, et qu’il livrait une chronique régulière pour le journal L’Équipe. Elles donnent une idée assez nette de l’activité de Blondin, de la façon dont se définit, pour un écrivain, le Tour de France, et au-delà, d’une pensée du cyclisme qui s’y développe. Il ne s’agit pas de reportages, mais de billets : Blondin reste écrivain, ne devient pas journaliste.
5La chronique présente certaines caractéristiques : elle a une longueur et une structure identiques de jour en jour, elle affiche clairement l’individualité de l’auteur, elle établit une relation entre le lecteur et le chroniqueur, elle repose sur un plaisir de lecture attendu3. C’est dire que la chronique s‘appuie nécessairement sur des formules pour pouvoir être reconnaissable : elle façonne un style qui varie peu d’un numéro à l’autre. Elles ne sont dès lors pas faites pour être relues in extenso en volume. Il faut les parcourir, s’y promener, retrouver au hasard tel cycliste, telle étape, tel passage obligé du Tour4. C’est dans ces chroniques que se forge aussi cette rhétorique, tenue maintenant pour banale, voire clichée, où la course cycliste s’est métamorphosée en épopée. Certes, la métaphore, qui permet de penser le sport, existe avant Blondin et marque le langage (cf. « les forçats de la route »). Mais au cœur d’un journal qui rend compte des étapes, jour après jour, la présence du chroniqueur n’est pas sans infiltrer la rhétorique générale du quotidien, n’est pas sans imprimer de façon indélébile dans le langage dont pourront faire usage les journalistes, la métaphore centrale du Tour comme épopée.
6À relire Blondin, le Tour revêt rarement les apparences d’une compétition sportive. C’est plutôt une manière d’être, un milieu, une « civilisation », une culture : « le cyclisme, qui associe des hommes à des paysages, des personnalités à des structures du sol et du climat, possède sa topographie légendaire »5. Le Tour que célèbre Blondin, chronique après chronique, dépasse la compétition sportive et il en tente l’analyse dans Sur le Tour de France, ouvrage distillé de ses chroniques pour L’Équipe. C’est d’abord une géographie, celle de la France, dont il sait apercevoir les spécificités, et indiquer à son lecteur l’esprit qui l’anime : on a souvent dit que le Tour célébrait le paysage, à l’instar de l’hélicoptère de la télévision qui donne les plans larges de la route du Tour. Chez Blondin, cette pulsion se retrouve au détour d’une phrase (« À la sortie de Millau, le soleil grillait les causses à perte d’horizon »6), ou dans un morceau de chronique, à l’occasion du départ du Tour à Cologne en 1965 par exemple :
Voilà qu’on débarque, à la nuit, en Allemagne fédérale. Le tentacule d’une autoroute géante vous happe pour vous déposer au pied d’une cathédrale dentelée comme un sapin. Un fleuve aux dimensions d’une barbe d’empereur s’étale entre deux falaises de buildings gothiques. Une énorme cité, presque tapie en contrebas des berges, à la manière de Londres ou de Rouen, fait valoir sur un ciel, façon Burgraves, les fûts de ses clochers et de ses cheminées. On serait totalement dépaysé si le décor ne répondait assez exactement à l’idée qu’on s’en fait.7
7ou dans la célébration de la France rurale empreinte d’ironie nostalgique : « les vignerons posaient la hotte, le roulier dételait ses chevaux, le moissonneur planquait ses engins au détour des chemins creux pour ne pas perturber la magnificence des horizons »8. Le chroniqueur se fait voyageur : « Ce soir, j’ai le cœur auvergnat. Je replonge dans un canton de mon terroir paternel. Je rejoins mes amis, les cafetiers, les bougnats, tous les Français moyens et tempérés du centre de la France… »9. Et c’est bien sûr le suiveur qui rend hommage au paysage français, par le truchement de la Grande Boucle, cet « éternel retour en des lieux choisis »10. Car Blondin dit clairement cette identité du Tour et de la France : « le Tour en marche se présente désormais comme une parcelle itinérante de territoire français neutralisée sur 60 kilomètres de long et 100 mètres de large, qui se déplace à 40 à l’heure »11. Il ne lui reste alors qu’à revendiquer le Tour de France pour patrie.
8Au-delà du rapport à la géographie primordiale du Tour, qu’esquissent les chroniques, Blondin transforme, étape après étape, la course cycliste en objet esthétique. Un prémonitoire Texan, celui-ci suiveur du Tour, soulignait à l’attention de Blondin que le Tour était une œuvre d’art, figurative et abstraite à la fois. La métaphore revient régulièrement. La cathédrale, par exemple, unit l’histoire de France et sa géographie, se donne comme un emblème lorsqu’il s’agit de célébrer les « domestiques », bâtisseurs modernes de cathédrales12. Le récital de musique permet de rendre hommage à l’œuvre des cyclistes. Tel coureur peut donner « le dernier récital du vieux lion »13. Mais c’est l’ensemble du peloton qui se transforme, sous la plume de Blondin, en chorale :
On serait donc tenté de penser qu’il n’y pas de « moindres coureurs » sur le Tour de France et que chacun a sa place dans la grande famille grégaire : les ténors et les choristes, qui sont venus là pour accomplir plus et mieux que leur apprentissage. Bien sûr, la moindre accélération d’un Anquetil ou d’un Merckx donnera le ton, et c’est la partition d’un Ocana ou d’un Maertens dans la montagne qu’on guettera, plutôt que celle d’un Blocher ou d’un Joël Millard. Il reste qu’au même moment d’autres musiques concourent à l’harmonie de l’ensemble et que certains solistes peuvent se faire entendre, que l’on n’attendait pas.14
9Dans sa forme même, le Tour revêt les apparences d’une œuvre littéraire : une épreuve de montagne est épisode complet, avec une exposition, une intrigue, et un dénouement. Merckx, battu par Thévenet, en 1975, unit les deux ressorts de la tragédie antique, « la terreur et l’admiration »15. La nature de l’épreuve requiert de se plonger dans d’autres registres, d’adopter le style homérique pour conter les étapes et les épreuves16. Le langage construit le Tour en œuvre littéraire, et en retour l’épreuve elle-même détermine la langue qui permet d’en rendre compte, et choisit ainsi ses chantres : « Univers essentiellement mythique, dont la légende sensible, entretenue par la chose vue, se survit par tradition orale, la geste du Tour de France a besoin d’être vécue par ceux dont la vocation est de la célébrer »17. Tous les éléments de la métamorphose de l’épreuve sportive en épopée sont ici présents, articulés dans une définition du Tour comme univers mythique, que l’on perçoit au travers d’une geste, d’une légende, d’une tradition orale où la conversation autour des sportifs s’est muée en célébration, où le Tour mérite d’autres intermédiaires que la télévision, et requiert des aèdes capables de chanter cette épopée. Ici se nouent tous les éléments qui font du Tour un monde littéraire, antique, dont les péripéties s’inscrivent dans le registre épique. Dès lors, le discours peut décliner à l’envi les variations sur le Tour, tantôt épopée naturelle car il affronte les éléments, tantôt mythologie moderne alliant possibilités humaines et progrès technique, tout en étant conscient de son versant plus sombre, celui d’un cyclisme prêt à dévorer ses enfants. Le mythe appelle le rite, et Blondin de les égrener. L’épopée convoque ses héros, qu’il convient de célébrer : Louison Bobet, arrivant vers Avignon où « des milliers de voix clament qu’il faut lui remettre les clefs de la cité »18, Raymond Poulidor, à la « vocation providentielle »19, les héros maudits aussi, Roger Rivière, Tom Simpson tombé « pour avoir voulu trop bien faire »20. Et puis Merckx, qui porte en lui toutes les contradictions du monde, personnage mythique qui les résout dans la figure paradoxale « d’un barbare qui serait en même temps un classique »21.
10Chaque étape peut suivre un modèle littéraire, telle étape reprenant le mélodrame de Cyrano, l’ombre de Hugo planant sur la plupart. Le passage des coureurs fait surgir sous la plume de Blondin des « à la manière de… ». Pastiches parfois forcés, hommages littéraires composés sur la route du Tour, ils s’inspirent de Daudet ou de Kipling, de Jacques Dutronc ou de La Fontaine, de Du Bellay ou de Verlaine, de Prévert ou de Péguy. Ils dessinent également une généalogie de Blondin, un univers littéraire qu’il habite, comme il a pris ses quartiers dans le Tour. À Millau, justement, c’est La Fontaine qu’il invoque : « Un jour sur pédalier, allait je ne sais où / Un Busto au long bec, emmanché d’un long col… »22. Et à Albi, à propos du dopage, Mme de Sévigné : « Ma toute bonne, nous aurions eu une randonnée bien fastidieuse, aujourd’hui, si notre société n’avait été agitée par une histoire que m’ont rapportée les cahiers de M. Goddet qui est notre moderne Saint-Simon : il tient son journal en main »23.
11 Cette invention systématique d’un langage, cette variation infinie de la course, de geste homérique en légende bretonne, de poème virgilien en rite chrétien, Blondin l’installe au sein du journal L’Équipe. Elle y définit et entretient un rapport à la course cycliste, fondé sur une écriture. Certes, cette écriture a ses procédés : l’énumération homérique le cède parfois au calembour, la poésie de la lutte au pastiche sans devenir, la tragédie antique à l’exercice de style qui sonne creux. La répétition du même confine parfois au procédé. Le « passage avide », le culte de la personnalité transformé en « personnalité de l’occulte », tout cela sent davantage son Frédéric Dard – et encore, il faut relire Vas-y Béru, pour la course de Bérurier, qui prend le départ « entre le petit Breton de l’équipe des bonbons au poivre Atchoum, Yanik Kinique, et l’Anglais Abbee Nokle, le grand espoir de la margarine Legras ».
12Chez Blondin, c’est l’effort pour adapter le langage à l’épreuve cycliste qui frappe, la recherche de l’expression qui ne sonne pas juste, mais suggère au contraire un écart, une façon de voir le monde en décalage. Il s’agit d’abord de placer la course dans un contexte naturel, non seulement dans le paysage mais dans un environnement physique directement signifiant : « Un horizon de citadelles où Vauban s’illustra, un massif forestier d’une densité exceptionnelle, placé sous le patronage de saint Hubert composaient un décor propice à l’état de siège et à la chasse. C’est effectivement sous ce double signe que l’étape d’hier s’est déroulée d’une gorge à l’autre… »24. La logique du lieu détermine le déroulement et la compréhension de l’étape. L’étape suivante, remportée par un Irlandais, transpose l’environnement naturel du pays du vainqueur sur le nord de la France :
Au fil de sa pédalée, nous avons vu les prairies revêtir la verdure du Longford et il nous a semblé que la pluie portait les embruns du canal Saint-Georges, que les pelouses de Roubaix débordaient sur Landsdowne Road, que les maisons de brique rouge aux toits crénelés ouvraient leurs fenêtres à crémaillère sur les cottages de Dawson Street.25
13Le passage par la forêt de Brocéliande, ou à proximité de la tapisserie de Bayeux, transforme le peloton en chevaliers. Pour Blondin, qui retrouve une aspiration de Jules Renard à pouvoir travailler en pleine nature26, la nature est donnée par le Tour de France. Le Tour n’est donc pas l’occasion de découvrir le paysage français, de parcourir la province avec les caméras de France-Télévision, mais la course cycliste elle-même opère cette transformation du paysage, le rend lisible en même temps qu’elle en révèle la nature profonde. Le paysage garde aussi la mémoire du Tour, la montagne surtout, le Ventoux, le col des Aravis, le Tourmalet, l’Aubisque. Blondin en célèbre encore les écrivains, Jean Giono à Manosque, Jean Giraudoux dans le Limousin, Maurice Genevoix à Divonne-les-Bains, Paul Morand au château de l’Aile, au bord du Léman, Roger Nimier en Bretagne, Rimbaud dans les Ardennes. Ainsi se dessine, en creux, une histoire littéraire du Tour, une géographie de la littérature française, un rapport au terroir et aux écrivains dont le Tour livre la logique.
14C’est l’être profond du coureur cycliste que Blondin tente d’apercevoir, dans la course : le débutant sur le Tour célébré en solitaire, le coureur abandonné par ses confrères, qui se retrouve orphelin car le peloton est sa maison, l’équipe d’Anquetil, faite de meneurs d’hommes, un « gang très près de la vie où l’on a le sang chaud, la provocation facile et l’injure homérique dans la mesure où elle stimule l’ardeur des protagonistes »27, le coureur cycliste britannique qui incarne davantage que son destin personnel, celui de tout le pays : « La présence de l’Union Jack en préface de la course devrait stimuler les imaginations. Dix minutes d’avance en cinquante kilomètres, quatre minutes conservées à l’arrivée, nous restituaient d’une façon tangible l’image d’une Angleterre comme une île solitaire, entourée d’admiration de tous côtés »28. Parmi tous ces coureurs, certains reviennent avec insistance, Merckx, on l’a dit, Poulidor, bien sûr, Bobet ou Anquetil, mais d’autres encore : Geminiani, Van Impe, Thévenet, Hinault, après l’abandon de son aîné. L’écrivain se doit de célébrer les héros, de les accompagner dans leurs exploits, de leur reprocher leurs faiblesses, de les introniser, comme Hinault, justement, dans « le cadre d’un triomphe romain »29.
15Car c’est enfin l’essence du cyclisme et du Tour que Blondin esquisse à petites touches : navigation à travers le pays ; famille où l’on risque de pénétrer « avec des gaucheries de fils adoptif »30 ; aventure à la « manière de western sans cesse recommencé »31 ; vase clos et cité ouverte ; planète vagabonde. Blondin compose un monde, celui du Tour, où vivent organisateurs et suiveurs, coureurs et spectateurs. Où la voiture du suiveur est à la fois une maison et une table de travail, le lieu d’où comprendre le Tour. Où la nature détermine la course qui, en retour, inscrit son histoire dans le paysage. Cet univers qui permet d’échapper, au temps de Blondin comme à présent, aux vicissitudes du monde, s’incarne, sous la plume de l’écrivain, dans tous les registres de la littérature : de la comédie au mélodrame, de la poésie, celle qu’il pastiche comme celle qu’il fait surgir, à l’épopée, marquant ainsi la langue de son empreinte.
Notes de bas de page
1 Benoît Heimermann, Ils ont écrit le Tour de France : La Grande Boucle vue par les écrivains, Paris, Flammarion, 2013.
2 Edward Nye, À Bicyclette, Paris, Les Belles Lettres, 2000.
3 Voir Jean-Pierre Castellani, « L’ironie du sport. Le Tour de France raconté par Antoine Blondin », Roman 20-50, 2014-2, n° 58, p. 61-72.
4 D’où, sans doute, le sentiment de lassitude éprouvé par certains lecteurs : voir Christophe Mercier, « Antoine Blondin ou la mélancolie », Commentaires, 2004-3, n° 107, p. 831-833.
5 Antoine Blondin, Sur le Tour de France [1977], Paris, La Table Ronde, 1996, p. 10.
6 Ibid., p. 67.
7 Antoine Blondin, Tours de France : Chroniques de « L’Équipe » 1954-1982, Paris, La Table Ronde, 2001, p. 369-370.
8 Ibid., p. 724.
9 Ibid., p. 503.
10 Ibid., p. 781.
11 Sur le Tour de France, op. cit., p. 27.
12 Ibid., p. 111. Cf. aussi à propos des anciens coureurs : « Cette sorte d’homme possède pourtant de rares vertus ; ils contribuent à bâtir la cathédrale, portant à dos la pierre et la posant en silence » (A. Blondin, Tours de France, p. 303).
13 Ibid. p. 105.
14 Ibid., p. 109.
15 Ibid., p. 154.
16 Ibid., p. 84 : « Je défie quiconque a suivi cette épreuve d’échapper au style homérique quand il s’agit de faire revivre les voyages et les passes d’armes auxquels il s’est trouvé mêlé ».
17 Ibid., p. 85.
18 Ibid., p. 21.
19 Ibid., p. 103.
20 Ibid., p. 71.
21 Ibid., p. 150.
22 Tours de France, op. cit., p. 214 ; Manuel Busto était un coureur cycliste.
23 Sur le Tour de France, op. cit., p. 46. Sur le dopage, voir aussi le texte de Jean Rouaud à propos d’un célèbre bidon tendu à Anquetil, qui effectue sa résurrection, et condamne Poulidor : « Aux Rouletabille, témoins étonnés de ce miracle de la résurrection, on affirma que le fameux bidon contenait du champagne, ce qui, à première vue, constitue une faute de goût. Imagine-t-on du Dom Pérignon dans un flacon en plastique ? Qu’on reprenne la scène, que Geminiani se dresse par le toit ouvrant de sa voiture, qu’il fasse sauter d’un geste de prince russe le bouchon d’un magnum et le tende débordant de mousse blanche à son forçat à la peine, lequel, lâchant son guidon, boirait à plein goulot avant de s’offrir un bain de petites bulles en s’aspergeant la tête avec le reste et de lancer la bouteille vide par-dessus la montagne en hurlant qu’il n’y a plus de Pyrénées. Sinon nous croirons qu’il s’agissait d’un vulgaire cocktail à base d’amphétamines », cité par B. Heinemann, Ils ont écrit le Tour de France, op. cit., p. 179.
24 Tours de France, op. cit., p. 303.
25 Ibid., p. 305.
26 Ibid., p. 495.
27 Ibid., p. 431.
28 Ibid., p. 511.
29 Ibid., p. 824.
30 Ibid., p. 14.
31 Ibid., p. 749.
Auteur
Maison Française d’Oxford (2003-2008)
Sorbonne - Université (Paris)
V.A.L.E.
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