« L’amitié dit, ffffaut pas s’en plaindre ! »
p. 261-274
Texte intégral
1On trouve, dans les manuscrits de Diderot connus sous le nom du Fonds Vandeul et conservés à la Bibliothèque nationale de France, un petit recueil inédit qui contient quelques poèmes, une saynète et un conte aux teintes grivoises, deux lettres ou adresses, dont l’une aborde la galanterie par des compliments mathématiques. On y fête l’amitié et se plaint de la séparation, du départ. Voilà mon sujet.
2C’est une certaine exubérance de la part du copiste qui a attiré mon attention au départ. Sa joie manifeste devant les quatre « f » du « ffffaut pas s’en plaindre ! » – l’encre plus noire, la pointe de la plume qui s’appuie plus fort que d’habitude, épaississant ainsi pleins et déliés, et tout simplement la dimension hors norme des lettres elles-mêmes – le tout m’a signalé un changement subit de la part du copiste, un état plus éveillé, un oubli momentané du devoir professionnel et de son souci de l’écriture régulière, rapide. Bref, soudain disparaît l’effacement de soi du copiste payé à la page, et surgit à la place un vrai engagement, de l’émotion même. Et du coup ça m’a réveillée aussi, moi qui essayais, un peu ébahie parmi ces manuscrits de textes pour la plupart si célèbres, de reconnaître les différentes mains pour mieux comprendre les étapes différentes du copiage et de la correction telles que Herbert Dieckmann et Paul Vernière ainsi que les éditeurs savants des œuvres de Diderot à leur suite les ont démêlées1. Et il se trouve que, comme Vernière nous l’a montré, on peut sans difficulté différencier les copistes et parfois même cerner des moments comme celui-ci où le copiste s’implique lui-même, ne serait-ce pour la simple joie physique de tracer quatre « f » de suite, et du coup de sortir du train-train de la syntaxe régulière.
3Le poème dont fait partie ce « ffffaut » exceptionnellement impératif s’intitule « À Madame d’Épinay sur son départ du Bourgneuf » et il est tout à fait charmant, enjoué, affichant sa tristesse de façon impérieuse, affectueuse, exigeante, dans le style bien sûr de ce genre de poème, qui n’est pas nouveau2. Et plus j’ai lu ce poème et le recueil en entier, qui fait douze feuillets, et contient 26 éléments différents, plus cela m’a intéressée, à la différence, paraît-il, de Dieckmann et de Vernière3. L’un n’apprécie pas le recueil et l’autre désapprouve l’écriture du copiste, qu’on connaît selon le système de Vernière par la lettre « H » – c’est le dernier des huit principaux copistes recensés par lui - et dont il dit que l’écriture est « fort laide, fine, anguleuse, étroite et peu lisible »4. Fort laide ! On se sent idiot de l’avoir appréciée, ainsi que quelque peu protecteur envers le copiste lui-même, dont on a déjà signalé l’élan attachant des « f » énormes.
4Quant au recueil lui-même, voici l’état des lieux qu’en donne Dieckmann – habile, érudit, et rapide comme à son ordinaire :
12. CHANSON À Mlle DE VALORI, MADAME DE MAUX, Mlle DE LECÉ [corrigé en Lugré ?] POUR LEUR FETE, LE JOUR DE SAINT-JEAN. 12 feuillets non chiffrés. C’est un recueil de poésies et de scènes, avec deux adresses en prose intercalées. Sans nom d’auteur. Si ce recueil est de Diderot, c’est une œuvre d’occasion. Que Diderot avait un penchant et un goût pour la bergerie, nous le savons par ses lettres à Madame d’Épinay (voir aussi Lettres à Sophie Volland, III, 33 sq.). Le manuscrit est en partie abîmé, et le texte souvent illisible.5
5Si le nom d’auteur manque, un titre général manque tout autant ; celui que lui donne Dieckmann n’est que le titre du premier morceau, mais il s’agit bel et bien, comme il le dit, d’un recueil à part entière, jalonné, tissé par son thème de l’amitié. En demandant « s’il est de Diderot », Dieckmann sème le doute, ce qui est déjà un petit signe de dévalorisation critique, puisque dans ce volume relié de manuscrits qui porte le titre de Mélanges de Diderot et qui fait partie du Fonds Vandeul sous la cote NAF. 24.937, on doit supposer qu’ils sont de Diderot, s’ils ne portent pas d’autre nom. Mais il est vrai qu’on n’en trouve pas de trace dans les écrits publiés du philosophe, ni nulle part ailleurs ; il n’y a aucun élément biographique qui y fasse référence non plus. Le manque d’élément positif déstabilise le critique positiviste ; on n’ose plus s’y intéresser. Et Dieckmann, en critique défenseur des valeurs esthétiques, y ajoute son grain de sel en nommant cet écrit de la « bergerie », et cela, on comprend qu’il faut l’éviter, car il explique que Diderot avait « un penchant et un goût » pour ce genre de littérature ; sous-entendu, que s’il s’exprimait dans ce genre, c’est que c’était plus fort que lui. Bref, soit ce recueil n’est pas de Diderot, soit il est du sous-Diderot, du pas-vraiment-Diderot. Et le coup de grâce : le manuscrit est abîmé et « le texte souvent illisible ». Pour l’avoir transcrit, je peux dire qu’il comprend un peu moins de 4000 mots, répartis en 22 poèmes (chansons, sonnets, épigrammes, rondeaux, et autres), une saynette, un conte, deux lettres ou adresses. De ces 4000 mots, entre 40 et 50 sont illisibles, c’est-à-dire environ 1 % de l’ensemble, en général à cause du papier abîmé sur les bords ; parfois ces mots manquants se devinent. Ce « souvent illisible » est donc un « souvent » subjectif. L’effet n’a pas manqué pour autant ; jamais publié avant la découverte du Fonds Vandeul, et jamais publié depuis ; la critique n’en parle pas, ni du recueil ni de ses éléments séparés, et aucun des poèmes n’est repris dans les Œuvres complètes6. Ce qu’on y trouve par contre, c’est son « Hymne à l’amitié pour être chanté et récité dans son temple », savamment présenté par Jean Varloot, lequel explique que cet « Hymne » fut publié dans la Correspondance littéraire le 1er juin 1771, commandé par Grimm pour fêter Mme de Prunevaux, la fille de Mme de Maux, et que Diderot aurait voulu ne pas avoir à l’écrire, comme on le sait, car il supplie son ami Jean Devaines de le faire à sa place7. « L’hymne à l’amitié » ne se trouve donc pas écarté, vu les deux éléments clés de la publication et d’une lettre qui en parle. Que Grimm signale que l’Hymne « est de M. Diderot » n’est pourtant pas une preuve certaine de sa paternité, surtout si l’on sait que Diderot essaya d’esquiver la tâche. Sa publication dans les Œuvres complètes suggère une certitude là où il n’y en a pas, coupant le Diderot du non-Diderot, y installant une frontière, laquelle comme toutes les frontières est beaucoup moins étanche que le terme nous le fait croire. En tout cas, ce recueil, plus ample, plus curieux et plus informe que ce que Grimm a publié, vaut la peine qu’on s’y attarde, qu’il soit de Diderot ou non, ou, ce qui est encore plus probable, de multiples auteurs : on y relève un auteur homme, qui évoque « ma compagne » et « ma femme », et une auteure femme qui s’exclame qu’« on [la] croit folle »8. On y reviendra.
6Décrivons l’objet. Il débute par une « Chanson à Mademoiselle de Valori, Mme de Maux, Mlle de Lecé pour leur fête, le jour de Saint Jean » (f° 156rv) qui comporte trois strophes de 8 vers chacune, et doit être chantée sur l’air « Nous autres bons villageois ». On y trouve un vocabulaire noble et des rimes assez communes, du genre désir/plaisir, vœux/feux, fleurs/cœurs, mais ce sont des « garçons de caffé » qui prennent la parole en ouverture ; la chanson se termine sur des bouquets offerts en hommage aux dames. Ces dames existaient réellement ; Jeanne-Catherine de Maux (1725- ?) fut pendant un certain temps la maîtresse de Diderot9, tandis que Jeanne-Louise-Caroline de Valori ou Valory (1724-1788), fille du Marquis Guy-Louis-Henry de Valori (1692-1774) « célèbre par son ambassade en Prusse au début du règne de Frédéric II », était l’amie d’enfance de Mme d’Épinay, l’amie et collaboratrice de Grimm, éditeur de la Correspondance littéraire10. Diderot apprécie Mlle de Valori et écrit à son propos à Mme d’Épinay : « Aimez toujours bien tendrement votre Jeanne, car c’est une fille charmante »11. Mlle de Lecé est probablement la nièce du Marquis ; son nom s’écrit de différentes manières, soit Delsay Valory ou de Lece Valori, et on en trouve un portrait à la gouache de Carmontelle de 1763 ; celui-ci avait également dessiné Mme d’Épinay en 1759, et Diderot et Grimm en 1760 ; ces portraits se trouvent au Musée Condé à Chantilly. S’appelait-elle « Jeanne » aussi ?
7 Si la première chanson met l’accent sur le village et l’intimité avec son air « Nous autres bons villageois », la deuxième, appelée tout simplement « Chanson » (f° 156v-157v), tout en restant très centrée sur « ces lieux », se permet une petite pointe de nostalgie, avec le sien, « c’est deux à deux qu’on voyage ». Le thème/motif du « caffé » devient encore plus net, cette chanson (de quatre strophes de six vers chacune, avec un refrain de quatre vers) y revient à plusieurs reprises, liant caffé et amitié par son refrain :
De ce caffé que l’amitié nous apprête
La franchise fait les honneurs
C’est dans ces lieux dans ces lieux qu’est la fête La fête des cœurs.
8Ces deux chansons d’ouverture, dont la deuxième s’adresse à « [l’] aimable et sensible Jeannette, / Hotesse d’un caffé charmant » et qui indique à « Mademoiselle de Lecé » de chanter les trois dernières strophes « à sa tante », la « Jeanette » du début (et la Marquise de Valori, peut-être), lient étroitement ces motifs du café et de l’amitié, une liaison que Madame de Genlis fera critiquer à l’un de ses personnages, le vicomte de Saint-Méran, dans son roman épistolaire Les Mères rivales (1800)12. Saint-Méran pérore ; il annonce : « j’ai voyagé et je n’ai trouvé qu’en France le véritable goût de la société » ; il vante à la fois « la tempérance naturelle » et « la sociabilité » des Français, mais ce qu’il désapprouve tout à fait, c’est la transformation d’un salon en café :
Il n’y a plus d’intérêt et de suite dans des conversations sans cesse interrompues par ce tripotage qui transforme un salon en un véritable café. Comment causer en mangeant des gâteaux, en voyant à toute minute des domestiques entrer et sortir, et la maîtresse de la maison clouée devant une bouilloire et uniquement dévouée à faire chauffer de l’eau ? Comment n’être pas distrait par ce bruit de tasses et de cuillers, et par ce papillotage éternel ?13
9Désolante, cette critique sévère du va-et-vient de la sociabilité, qui préfère la concentration sur une seule chose, la conversation, et qui vante l’esprit français tout en rejetant ce qui y était très couramment associé, c’est-à-dire le luxe (des gâteaux !) et le « papillotage », synonyme ici de « frivolité » ; il s’agit bel et bien d’une critique post-révolutionnaire qui insiste sur la sévérité des mœurs. Mais Mme de Genlis, par son tableau désapprobateur du salon bruyant, nous fournit une toile de fond qui nous aide à reconstituer le contexte d’avant-Révolution de ces chansons qui fêtent à la fois l’amitié, l’hôtesse, et le café.
10 Ces deux chansons sont suivies par une scène ou saynète (f° 158r-159r), encadrée par deux chansons, l’une sur l’air « M. le curé » et l’autre « Lisette est faite pour Colin » ; un meneur, une nourrice, un ami, et un assesseur y figurent (le rôle de l’assesseur reviendra plus tard) : on assiste à une petite histoire grivoise où un meneur essaie d’introduire sa femme dans la maison, parce qu’un mariage se prépare à la hâte et qu’il paraît qu’on va avoir très bientôt besoin d’une nourrice ; on vient « offrir la petite fourniture de lait pour [sa] progéniture », muni d’un « certificat du curé de chez nous qui assure que le lait de ma femme n’est qu’un lait de deux ans » ; il se trouve qu’il n’en est rien et que le certificat contient plutôt une nouvelle petite chanson pour fêter « Jeanne » et lui offrir « ce bouquet [que] L’amitié vous […] donne ».
11Après cette saynette curieuse, on lit deux sonnets et ensuite deux épigrammes entrelacés : les deux sonnets (f° 159v-160r) commencent par le même vers (« Votre prudence est endormie »), les deux épigrammes (f° 160r) presque par le même vers (« L’amour si cherement m’a vendu mon lien » ; « L’esprit si cherement nous vendit son lien ») ; le premier sonnet s’appelle « Vers de Trissotin » et la première épigramme « Épigramme lue par Trissotin dans la piece » tandis que le deuxième sonnet reprend le thème du « Jean », étant intitulé « À M. XXX sur son départ (il s’appelle Jean) ». Il se termine sur ce triplet enjoué : « Si vous ne venez à l’instant / Chanter et rechanter nos jeannes / Nous vous plantons la comme un jean ». La deuxième épigramme s’adresse à « un Jean de la troupe ». C’est dans cette partie du recueil aussi qu’on trouve la première mention d’une séparation envisagée et dont « l’aimable compagnie » s’efforce de dissuader l’ami qui s’appelle « Jean », et même, de l’obliger à priser l’amitié au-dessus de la famille (« Abandonnez femme et enfant »).
12À partir de ce moment, on ne parle plus de fêter le jour de Saint-Jean, même si on continue à fêter les amis ; c’est plutôt le départ qu’on regrette, que ce soit celui de l’écrivain ou du destinataire. « Aux Messieurs et Dames du Bourgneuf, ce Jeudi 27e » (f° 160v-161r) – Bourgneuf est le domaine familial des Valori, « près d’Etampes »14 – et l’adresse ou lettre qui s’ensuit est écrite par quelqu’un d’absent, qui regrette ses amis. Il répond aux sonnets et à l’épigramme, parce que
Ils viennent de couper la [trame]
Du beau projet que j’avois fait.
J’avois obtenu de ma tête
De ne penser à vous que quatre fois par jour
Et ce maudit sonnet à l’oubli que j’apprête
Vient de jouer un nouveau tour.
Je me disois en quittant la campagne
Tu vas retrouver ta compagne
Occupe toi bien d’elle, et crains de regretter
Le cercle de plaisir que tu viens de quitter.
13L’écrivain (masculin, il évoque sa compagne et fera allusion à sa femme dans la « lettre ») témoigne d’un bel effort d’amitié, puisqu’il enchaîne deux poèmes – le premier de quatre strophes de quatre vers chacune, dont provient l’extrait ci-dessus et le deuxième un sonnet (en partie illisible) dans le style antique où il se représente en simple laboureur en train de « prolonge[r] son sillon », « la main sur mes bœufs » – et une adresse à « Messieurs et Dames ». Il y espère qu’ils s’amusent à lire leur « charmante parodie » mais leur signale que sa femme « est scandalisée au dernier point quelle société qui dit sérieusement en vers quittez votre femme [et] vos enfans ». On voit alors qu’il s’agit d’une paternité d’écriture soit véritablement multiple – ces deux poèmes et la lettre répondant aux sonnets et épigrammes qui les précèdent – soit dont la paternité partagée serait feinte. Qu’on est censé entendre de multiples voix en train de s’écrire par contre ne fait pas de doute.
14Un autre sonnet (f° 161v) et une autre épigramme (f° 162r), les deux « à Belise sur son départ » prennent le relais ; le sonnet déclare que « ma pauvre muse est étourdie » du fait du départ de « Belise »,
En échange aurez à Paris
Pour le cœur, de très faux amis,
Pour l’esprit, de fades brochures.
Quatre des sens seront réduits
À merde, cris, fard et vieux fruits.
15Le sonnet se termine en disant que l’auteur « vous plain[t] sérieusement ». L’épigramme reprend en le retournant deux lignes de la première épigramme du recueil (celle qui est « lue par Trissotin dans la piece ») qui avaient décrit un carosse bien doré : « Et quand tu vois ce beau carosse / Où tant d’or se releve en bosse » devient ici : « Et quand tu vois ce beau carosse / Où peu d’or se releve en bosse » – c’est « pour mieux rouler dans le pays / Et plus rapidement t’ôter à tes amis ». Dans les deux, c’est le ressentiment à la fois envers ce qui sépare les amis qui s’affiche (le carosse trop rapide), et envers cette ville de Paris qui attire l’ami mais qui, en le leur enlevant, se fait détester et détestable.
16On lit ensuite un groupe de trois sonnets entrelacés entre eux (f° 162r-163r) et à ceux qui précède, et des « vers sur une source » (f° 163r) qui est un peu à part. Les premier et troisième sonnets se font écho ainsi qu’au Misanthrope (I, 1) de Molière, qu’ils citent : « Parodie du sonnet du Misanthrope, pour charme des yeux ». Le premier insiste sur la raison, l’autre sur le cœur : « La raison, il est vrai, soulage / Et berce parfois nos amis […] ». On lit dans la « Parodie du sonnet de l’assesseur pour charme des yeux » : « Le cœur aisement se soulage / Et scait supporter son ennui […] ».
17 C’est, on s’en souvient, la deuxième fois qu’on fait référence à l’« assesseur ». Le sonnet qui se trouve au milieu, le « Sonnet en réponse à celui de Trissotin » continue sur le même thème du regret, demandant « Aura-t-on toujours la manie, / D’abandonner les meilleurs gens / Pour n’éprouver que les tourmens / D’une fastidieuse vie ? ». Il paraît que ce poète est femme : « Oh ciel ne plus voir ses amis / Et quitter des plaisirs chéris / Pour être toujours mal assise […] »
18Ce poète, est-ce Mme d’Épinay ? Le poème qui s’adresse à elle et se plaint de son départ se trouve sur la page suivante.
19Les huit « Vers sur une source » détournent l’image courante d’une source d’eau vers celle d’argent, évoquant un « rezeau de soie » – on suppose une bourse de soie – qui ne s’ouvrira que « pour l’amie, pour l’honnête indigent / Toujours pour la raison, jamais pour la folie » : s’agit-il d’une bourse confiée à Mme d’Épinay à son départ, peut-être par Grimm ?
20S’ensuit le poème par lequel on a débuté, « À Madame d’Épinay sur son départ du Bourgneuf » (f° 163v-164r), Bourgneuf étant le domaine de la famille de Valori comme on l’a déjà vu. Il comprend trois strophes de quatre vers et un rondeau à part, le tout relié par son refrain « L’amitié dit, ffffaut pas s’en plaindre ». Le ton s’assombrit d’un cran, le poème s’ouvrant sur un « Hélas » et s’adressant à « notre aimable fugitive ». Le poète dont la muse « triste et plaintive / En vain veut tenter le projet » de lui « accorder l’honneur du sonnet » se plaint de son incapacité tout en se refusant le droit de se plaindre :
Quant à moi je commence à craindre,
De ne vous donner aujourd’hui
Que de la prose et de l’ennui,
L’amitié dit, ffffaut pas s’en plaindre.
21Si triste soit-il, le brio de ces « ffff » répétés, même sans le geste amplificateur du copiste, confère un certain air de résolution enthousiaste et contagieux au poème, surtout vu qu’il s’agit du refrain qui est repris dans le titre du rondeau et à la fin de ses deux strophes. On le reverra réapparaître de nouveau dans « L’Envoi » vers la fin du recueil. On voit le poète faire appel à la philosophie :
Il est venu cet instant si vilain !
De mettre en jeu quelque philosophie
Le plaisir fuit, nous nous plaignons en vain
Mais au moment où tu nous es ravie
C’est bien en l’air que Dame raison crie
Ffffaut pas se plaindre.
22Dans le cercle autour de Madame d’Épinay, la philosophie joue bien sûr un grand rôle, et n’est pas le propre d’un seul individu. L’auteur reste masqué.
23 Une lettre ou adresse à « Madame » s’ensuit (f° 164rv), lui faisant des compliments galants mais quelque peu alambiqués :
En faisant le calcul des bonnes et agreables qualités en général je ne puis me servir que de l’addition et de la multiplication en calculant les vôtres. Il est tant de femmes pour lesquelles on ne pourroit en cette circonstance employer que la soustraction et la division que je me laisse facilement persuader que vous êtes de toutes la plus aimable.
24Après cette ouverture où l’auteur s’essaie à l’arithmétique galante, et quatre lignes après une interdiction de plainte, il se met, justement, à se plaindre dans le genre comique : « Mon existence morale souffre de l’excessive chaleur et des parcelles de sable que le vent nous pousse dans le néz. Ce que nous appellons visage entre nous autres savans est en moi très endommagé ». Il termine sa lettre sur un envoi qui insiste toujours sur ses souffrances et leur effet sur sa capacité d’écrire : « Je vous envoie Mad.e de mauvais vers fait dans les intervales lucides que mes maux et souffrances veulent bien me laisser ».
25Après cette lettre on trouve un autre « Sonnet Parodie de celui du Misanthrope à Bedon ou pour Bedon »15 (f° 164v-165r) dont les premières lignes font écho aux autres sonnets-parodies du Misanthrope et reprennent les mêmes rimes (« Le devoir il est vrai soulage / Et perce tant soit peu l’ennui ») ; il insiste sur le même thème de l’ennui, de la séparation, et des plaisirs disparus. Ce sonnet est suivi par un conte grivois en 24 vers, « La Bévue » (f° 165rv), qui fait disparaître l’humeur sombre des regrets et évoque le ton des fabliaux. On y raconte – de par une « Dame Lezée » – est-ce une référence à Mlle de Lecé ? - un certain couple flamand et protestant qui se couche « sans chemise » quand il fait chaud ; quelqu’un frappe à la porte, la dame ouvre – toujours sans chemise –, celui qui est là demande s’il a « à Monsieur Flamand l’honneur de [s]’adresser » – et la dame, scandalisée de ce qu’il ne s’est pas rendu à l’évidence, lui donne un coup de pied au nez ; c’est la dame elle-même qui raconte cette « énorme bévüe ».
26Une ballade (f° 165v-166r), un envoi (f° 166r), un rondeau « à ma chère tante » (f° 166rv), une chanson « sur l’air : O filii. Etc » (f° 166v), un autre rondeau (f° 166v), et une dernière chanson « sur l’air : Jardinier ne vois-tu pas etc » (f° 167rv) concluent le recueil, revenant sur ses thèmes principaux de l’amitié et du départ ; le moment grivois a passé. Il y a de nouveaux éléments : on évoque à deux reprises et dans deux poèmes à auteurs différents, l’un masculin (« Qui nous retient captif […] ? » dans la « Ballade ») et l’autre féminin (« On me croit folle » dans « Envoi »). La « Ballade » monte le ton – le regret général se concrétise autour de la « triste expérience » de la « ville et [des] procès », tandis que l’amitié toujours jusqu’ici collective paraît passer à l’amour pour une seule personne : « l’assesseur » (lui, encore : qui est-ce ?) va devoir « vous » quitter :
Pour l’assesseur, si content désormais,
Qui prolongeant sa douce jouissance,
Au clair de la lune, à l’ombre des bosquets
Passe avec vous des momens pleins d’attraits,
Lorsque le tems forçant sa résistance
L’amenera près de nous en ces lieux,
Il trouvera nos plaisirs ennuyeux :
Mais que lui sert helas ! sa prévoyance ?
27Le plaisir collectif des amis réunis se mue en travail collectif qui les séparera en deux camps, exigeant que « l’assesseur » se rende « près de nous en ces lieux » – à Paris, on suppose, vu la référence à « la ville » de la première strophe. Ce travail ne réussit pas pour autant :
Pour nous hélas ! qui trop pleins de prudence
Observons tout avec des yeux discrets,
Sommes nous moins trompés dans nos projets ?
À quoi sert donc hélas ! La prévoyance ?
28Cette même tonalité pessimiste marque l’ouverture de « L’Envoi », lequel, comme nous l’avons déjà signalé, doit être signé par une femme, à l’encontre de la « Ballade » qui le précède. Cette femme raconte sa façon de procéder : quant il s’agit de rencontrer des avocats, elle chante les couplets écrits pour le jour de la Saint-Jean :
Aux avocats je chante les couplets
Qu’au jour de Jean Sedaine nous a faits :
Du Procureur que tout mortel doit craindre
Je vais disant, il ne fffaut pas s’en plaindre.
On me croit folle à chaque occasion […].
29Voici un tableau ravissant de la femme prise dans « [d’] ennuyeux dédales » qui s’en va chantant et rappelant les couplets et refrains de l’amitié. Et en plus, on l’aura vu, elle nomme un auteur, celui qui a fait des vers pour « nous » : c’est le dramaturge Sedaine. Michel-Jean Sedaine (1719-1797) – un « Jean », signalons – est l’auteur du Philosophe sans le savoir (1765) et l’ami de Diderot, qui a travaillé avec lui sur la pièce. On y reviendra.
30Le « Rondeau à ma chère tante » qui suit « L’envoi » nous fournit un autre élément biographique : l’âge du poète véritable ou supposé. Il a treize ans. S’agit-il d’un poète garçon, ou d’une fille ? La première fois qu’on évoque une tante, dans la deuxième « Chanson, sur l’air : c’est deux à deux qu’on voyage etc », le texte indique que c’est « Mademoiselle de Lecé à sa tante » : il est donc probable que la tante et celle qui s’adresse à elle sont les mêmes. Ces vers sont remplis d’autodérision : elle (s’il s’agit bien de Mlle de Lecé) décrit sa mauvaise humeur d’adolescente quand elle voit que ses couplets ne sont pas très bons. Elle est si fâchée qu’elle attache son bonnet de travers et risque de déranger sa coiffe (pour « toupet » on comprend « chignon ») :
Mais à treize ans on risque tout pacquet
Quand je devrois voir siffler mon caquet
Me trouver même au dessous de Jaquet,
Des vers aussi dessous veuil la rage
Sitôt qu’on part.
Il a failli m’en couter mon toupet,
Tout de travers j’en ai mis mon bonnet
Telle fureur ne sied point à mon âge,
Grace ma tante à tout mon bavardage
Que faire helas pour calmer mon regret
Sitôt qu’on part.
31Les trois derniers morceaux poursuivent le thème désormais familier du regret élégant, entre la raillerie et la tristesse de cœur, avec, dans la courte « Chanson sur l’air : O filii. Etc » et le « Rondeau », le motif de la vue (qui reprend celui de la « Bévüe », quoique sur un autre ton) : nous reproduisons ici la « chanson » en entier, et la première strophe du « Rondeau » :
Votre voyage est comparé
Au fameux petit pere André
Qu’on voyoit et ne voyoit pas.
Alleluia.
Quoique nous vous ayons pas vu,
C’est un plaisir inattendu.
Prétieux sont ces plaisirs là.
Alleluia.
Rondeau
Seroit-ce un reve ? Est-ce une illusion ?
De le penser j’aurois tentation.
Pourtant hier, si j’ai bonne mémoire,
Je vous voyois, j’avois peine à le croire,
C’étoit mon cœur en cette occasion
Qui me donnoit pleine conviction,
Plus que mes yeux, il étoit caution ;
Vous ai-je vu ? M’en a t-il fait accroire ?
Seroit-ce un rêve ?
32Ici on voit très clairement l’aspect d’opéra-comique de ce recueil, la façon dont le thème le ficèle mais sur des tons différents, par des voix différentes qui se différencient de plus en plus. La dernière « Chanson. Sur l’air : Jardinier ne vois tu pas etc » exprime ses remerciements enthousiastes pour l’hospitalité à Bourgneuf, et loue les demoiselles de la maison (de Valori et de Lecé) dans une strophe « Jeannette » à « la cervelle bien nette », et dans une autre la « douce et tendre de Lecé ». Voici les deux toutes dernières strophes de la Chanson et du recueil :
Sur ce départ dont j’ai l’ame flétrie
Vous verrez pleuvoir les sonnets.
Pour moi je n’ai point la manie
De défigurer mes regrets.
Des tours de phrase en cimétrie
Sont-ils le langage du cœur !
Le mien ne trouve en sa douleur
Que ces trois mots, Elle est partie !
33Y participent nombre des qualités de ce recueil attachant : sa tendresse, les thèmes réunis du départ et du regret, sa conscience littéraire, la recherche du langage du cœur. Cette « elle », s’agit-il de nouveau de Mme d’Épinay ? Il paraît probable, puisqu’on évoque les demoiselles de Valori et de Lecé qui restent au Bourgneuf dans les strophes précédentes, qu’on a déjà vu un poème adressé « À Madame d’Épinay sur son départ du Bourgneuf ».
34Ce qui nous ramène à la question de départ : ce recueil, de qui est-il ? Et de quand date-t-il ? On sait que Grimm a demandé à Diderot d’écrire un poème pour fêter Mme de Prunevaux, et on sait que Diderot a demandé à Jean Devaines ou Desvaines de le faire à sa place ; on en a déjà parlé. On sait que Grimm a publié un « Hymne à l’amitié » dans la Correspondance littéraire, et qu’il l’attribue à Diderot. On sait même que cet « Hymne » fut composé pour « le jour de la Saint-Jean »16. On connaît également au moins deux autres cas où lui ou d’autres amis fêtent l’amitié en vers – en 1765 c’était au tour de la tante (encore une « Jeanne »), et c’est Sedaine qui en est l’auteur – à la demande de Diderot – tandis que Mme d’Epinay a eu droit à une fête « dans un décor de fausse caverne »17. Il n’est donc aucunement exclu que Diderot soit l’auteur de ce recueil, ou bien l’un des auteurs. Nous pourrions à ce moment-là nous hasarder à identifier la femme scandalisée comme étant Mme Diderot, et la compagne qui manque à l’auteur comme Sophie Volland. Après tout, ce recueil se retrouve dans ses manuscrits et non ailleurs. Mais outre Diderot, nous avons d’autres possibilités : le dramaturge célèbre Michel-Jean Sedaine et Jean Devaines, l’ami de Diderot, également écrivain. Des écrivains femmes nous en avons aussi : Mme d’Épinay, son amie Jeanne de Valori, sa cousine l’adolescente Mlle de Lecé, Jeanne-Catherine de Maux. Enfin, plusieurs Jeans et Jeannes, même si de la tribu des Jeans et Jeannes se trouvent exclus Denis, Louise (Mme d’Épinay), Friedrich-Melchior (Grimm), et Ferdinando (Galiani), un autre ami important, s’il y était. Et qui est l’assesseur ? Quels sont les procès ? S’agit-il d’une querelle ? Laquelle ? Et quelle est la date du recueil, à part le 27e ? On n’a pas de trace d’une visite quelconque de Diderot au Bourgneuf18. Il y a beaucoup de questions à résoudre.
35On peut lire le recueil, l’apprécier, et en parler, attirer l’attention sur sa façon de jouer l’amitié, au rôle du café, à l’humour parfois grivois qui s’y affiche, aux motifs et aux voix entremêlés de chants qui s’entrelacent au cours du recueil, tel un opéra-comique, au courant important de tristesse et d’inquiétude devant le départ, et enfin aux procès qui menacent depuis Paris le bonheur des amis. Il y a bien de choses à démêler ; je ne peux pas le faire toute seule. Il me faut l’aide d’amis érudits et joueurs, de démystificateurs. J’ai une idée ! Si tu restais, Alain ? Ne pars pas ! Reste entre amis et continuons à travailler ! Je ne suis pas poète, et je m’exprime non en vers mais en chapitres parés de notes de bas de page : je suis donc obligée de dire mon émotion par de l’argumentation bien ficelée et par des exemples suggestifs. Et voici l’hommage que je t’offre, un bouquet de paragraphes. Comment ne pas me plaindre de ton départ ? L’amitié l’exige ! Il ffffaut s’en plaindre.
Notes de bas de page
1 Herbert Dieckmann, Inventaire du fonds Vandeul et inédits de Diderot, Genève, Droz, 1951 ; Paul Vernière, Diderot : ses manuscrits et ses copistes, Paris, Klincksieck, 1967.
2 Discourses and representations of friendship in early modern Europe, 1500-1700, Daniel T. Lochman, Maritere López, Lorna Hutson (éd.), Farnham, Ashgate, 2011 ; The Dialectics of friendship, Roy Porter et Sylvana Tomaselli (éd.), London, Routledge, 1989 ; Anne Vincent-Buffault, L’exercice de l’amitié : Pour une histoire des pratiques amicales aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, Seuil, 1995.
3 NAF.24.937, f° 156r-167v.
4 P. Vernière, op. cit., p. 39.
5 H. Dieckmann, op. cit., p. 117.
6 Diderot, Œuvres complètes, Paris, Hermann, 1974-, 25 tomes, publication en cours. Cette édition est connue sous le sigle de DPV, d’après les noms des éditeurs principaux, Herbert Dieckmann, Jacques Proust, et Jean Varloot ; les volumes qui reprennent les poésies de Diderot sont les numéros XIII « Critique I » (Art et lettres 1739-1766), XVIII « Critique II » (Art et lettres 1767-1770), XX « Critique III ».
7 Diderot, Correspondance, Georges Roth (éd.), Paris, Éd. de Minuit, 1955-1970, 16 tomes, t. XI, p. 181 et 184-186 ; DPV XX, p. 431-438 ; p. 431 pour les détails biographiques.
8 « Ma compagne » dans les vers « Ce jeudi 27e » ; « ma femme » dans le sonnet « Aux Messieurs et Dames du Bourgneuf » ; « on me croit folle » dans « Envoi », un poème de 12 vers.
9 Ils se sont connus vers 1760 ; Gerhardt Stenger nous dit qu’« elle fréquentait les cercles des amis de Mme d’Épinay […] et celui du baron d’Holbach » ; ils deviennent amants entre 1769 et 1770, et ils restent liés ; « et Diderot lui dédiera même en 1777 une « petite comédie gaie », La Pièce et le prologue » (G. Stengher, Diderot, Le combattant de la liberté, Paris, Perrin, 2013, p. 496-497).
10 Ferdinando Galiani et Louise d’Épinay, Correspondance I (1769-1770), Georges Dulac et Daniel Maggetti (éd.), Paris, Desjonquères, 1992, p. 59n. Sur l’amitié qui reliait d’Épinay et Diderot, voir la fine étude d’Odile Richard-Pauchet, « Écrans et fumées : Diderot maître de l’ambiguïté dans ses lettres à Mme d’Épinay », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 2008, n° 43, p. 33-48. Voir aussi Blandine MacLaughlin, Diderot et l’amitié, SVEC, 1973, n° 100.
11 Lettre VII de la Correspondance Inédite, André Babelon (éd.), dans Madame d’Épinay, Les Contre-Confessions, Histoire de Madame de Montbrillant, Élisabeth Badinter et Georges Roth (éd.), Paris, Mercure de France, 1989, p. 1557n. Badinter et Roth nous fournissent le détail suivant : « Mlle de Valory se trouve désignée par Mme d’Épinay comme “mon amie et la compagne de mon enfance” dans le testament par lequel elle lui lègue sa “tabatière de sanguine montée en or et se recommande à son souvenir” ». Jeanne de Valori mourra le 25 mars 1788.
12 Caroline Stéphanie Félicité de Du Crest de Saint-Aubin, Comtesse de Genlis, Les Mères rivales ou La Calomnie [1800], lettre LVI, dans Œuvres complètes, Bruxelles, Veuve P.J. de Mat à la Librairie nationale et étrangère, 1829, t. I, p. 282.
13 Mme de Genlis, Les Mères rivales, p. 282-283 (« tripotage » souligné dans le texte).
14 Madame d’Épinay, Les Contre-Confessions, op. cit., p. 1557n.
15 Bedon ou Bedou ? L’écriture est difficilement lisible ici.
16 Jean Varloot, Introduction à l’« Hymne à l’amitié », DPV XX, p. 432 : Varloot pense qu’il s’agit du 27 décembre en se référant en note de bas de page aux travaux de Georges Roth et Jacques Undank.
17 J. Varloot, op. cit., p. 431n, 432n.
18 Il se rend assez souvent aux maisons de Mme d’Épinay, « La Chevrette » (en 1760) et, à partir de 1762, « La Briche ».
Auteur
Jesus College, Oxford
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