Penser à partir du Théâtre
p. 179-180
Texte intégral
1« Penser à partir du théâtre » ! À Avignon, cette idée s’incarne dans chaque spectacle. En créant les Ateliers de la pensée, Olivier Py et Paul Rondin ont fait de ces longues journées de juillet un vaste forum qui déborde le seul cadre des plateaux : pour parler d’actualité, pour confronter sans cesse les points de vue, pour mesurer plus intensément l’histoire du théâtre, pour revivre encore le plaisir infini des spectacles ou se quereller à leur propos. Derrière l’idée des Rencontres Recherche et Création, que nous portions avec Paul Rondin, il s’agissait de faire résonner la pensée des œuvres, leur apport en termes d’intelligibilité du monde ou d’invention des possibles, avec la recherche dans sa diversité disciplinaire : l’observation, la mesure et l’enquête, l’expérimentation, l’analyse et la comparaison en regard de l’intelligence sensible.
2Alain Viala a tout de suite saisi avec enthousiasme la force que pouvait représenter cette alliance entre le Festival d’Avignon et l’Agence Nationale de la Recherche, creuset de multiples projets. Entraînant la collaboration d’universités et la participation de chercheurs contribuant au prestige des Rencontres, il apporta sa profonde connaissance de la recherche internationale dans le domaine des sciences humaines pour la mettre au service de cette dynamique collective.
3En conjuguant des points de vue de recherche qui pourraient paraître hétérogènes, la pluridisciplinarité rend visible les questionnements fondamentaux qui restent souvent en creux dans l’expérience artistique. Les approches expérimentales développées par les sciences et les neurosciences cognitives décrivent les mécanismes de la perception de la durée rythmée par les effets dramatiques de la fiction, ou encore ceux des stimulations mentales suscitées par la qualité réflexive ou stylistique d’une œuvre. Les techniques des corps entraînés dans les rituels d’initiation ou l’expérience du mouvement qui nourrit la danse contemporaine résonnent avec les travaux qui mettent en évidence le lien entre motricité, langage, perception et émotion. Si le théâtre et la littérature nous font vivre par procuration, ils sont autant le témoin des émotions passées qu’un guide d’apprentissage de nos sensibilités. S’il faut imaginer l’autre pour avoir de la compassion, il faut aussi une histoire pour éprouver l’amour.
4Ce n’est pas le moindre des résultats de ces Rencontres, que de rassembler des travaux montrant combien lire des histoires, regarder des corps danser, suivre les conversations des comédiens sur les plateaux de théâtre renvoient à des processus fondamentaux du développement humain et de la communication. En montrant combien l’action observée, imaginée, décrite produit une résonance en nous-mêmes, les sciences expérimentales s’unissent aux multiples travaux des sciences humaines et sociales qui, sans relâche, approfondissent la connaissance des textes et dissèquent les manières dont la culture tisse notre société et notre expérience. Cet horizon mérite bien les heures passées en bibliothèque, en séminaire ou devant un écran – autrement dit, un engagement de tous les instants, qui conduit à ne plus différencier la vie d’étude de la vie même. Ajoutez à cela la curiosité toujours renouvelée du spectateur et du lecteur, et c’est alors l’idée d’une vie bonne pour soi et pour les autres qui s’incarne.
5La conception des Rencontres est un processus cumulatif : les suggestions de chacun s’amassent, se croisent, se complètent ou se confrontent, et le fil commun n’apparaît souvent que tardivement. Cette forme de travail collaboratif exige de ceux qui sont impliqués une ouverture à la pensée de l’autre, une capacité à rassembler les points de vue, autant de qualités dont Alain ne manque jamais, tant il allie la rigueur d’un parcours académique à l’intérêt toujours renouvelé pour la création et à la curiosité joyeuse. La capacité d’Alain Viala à tenir ensemble les enjeux de la recherche, de la transmission et de l’esthétique est au cœur du projet des Rencontres.
6Cette diffraction des œuvres à travers des approches multiples permet d’approcher l’idée du théâtre comme institution, dans son efficacité à construire des images dans lesquelles les sociétés se représentent. Il s’agit bien de montrer que la querelle et la dispute ne séparent pas mais constituent un moment partagé où s’éprouvent les différences.
Auteur
Responsable des Rencontres Recherche et Création
Pour l’Agence Nationale de la Recherche
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