Fêtes galantes
p. 9-10
Texte intégral
1 En 1717, Antoine Watteau est reçu à l’Académie Royale de Peinture avec le titre de « peintre des fêtes galantes ». Cette décision, et cette mention, constituent l’acte de naissance, ou du moins de baptême, d’un nouveau genre pictural. Mais ce nom de genre avait déjà été utilisé auparavant, en un autre domaine, pour désigner des activités festives incluant, entre autres, des formes littéraires et dramatiques. Là aussi, il existe une sorte d’acte de baptême, avec les « fêtes galantes » qui ont eu lieu à Versailles en 1664. Voici donc un genre, ou un nom de genre, appliqué en des domaines artistiques différents. Aussi, dans notre thème de réflexion sur les répartitions des domaines d’activités intellectuelles et artistiques dans la période que l’on appelle en France « moderne » et en anglais « Early Modern », le cas des fêtes galantes me semblait immédiatement intéressant. Car il reste alors à se demander comment s’est faite la circulation du domaine littéraire et festif au domaine pictural, et même à vérifier si sous le même nom on a affaire à un même genre et pour cela à observer quelles sont les possibles similitudes et différences.
2Je pourrais arrêter là mon introduction et passer à l’examen de ces objets. Mais je crois devoir la prolonger un peu, ouvrir en quelque sorte un second tiroir. En effet, je n’ai pas choisi de travailler sur ces « fêtes galantes » exclusivement à l’occasion de nos journées d’étude. L’esprit de ces journées c’est que des gens travaillant sur des objets différents mettent à l’épreuve leurs analyses pour voir si elles ont des points de rencontre, ou, encore mieux, de recoupement. Je crois donc devoir dire en quoi un objet comme les « fêtes galantes » peut être intéressant, ici mais aussi en dehors d’ici. En quoi cet objet est-il intéressant ? Sauf à répondre en critique esthète « parce qu’il me plaît à moi », et donc à sombrer dans l’arbitraire critique et à abandonner ainsi le terrain de la recherche, cette question nous oblige à prendre un peu le risque d’exposer ce que l’on fait, ce que l’on cherche, en faisant nos recherches. Pour ma part, j’essaye de comprendre le présent. Et parmi les trois modes épistémiques de la description, pour identifier une réalité, de la comparaison, pour la classer, et de la narration, je m’attache plutôt à ce dernier. Cela pour une raison épistémologique simple, qui est que pour savoir un peu ce qu’est une chose, il faut savoir comment elle est devenue ce qu’elle est. Or dans le présent, il y a des affleurements d’héritages du passé. Et parmi ces affleurements, en France, il y a, dans le domaine des comportements sociaux, et notamment des rapports entre hommes et femmes, ce modèle de comportement que l’on appelle « la galanterie française ».
3Ce modèle, on peut le voir surgir en de multiples endroits, parfois inattendus, comme le roman policier ou la chanson populaire. Je ne peux ici, faute de temps, en égrener tout un collier de citations, qui sont pourtant bien mignonnes. Mais je donnerai au moins un exemple en forme d’anecdote, qui atteste qu’on le voit affleurer, ce modèle, en des endroits bien inattendus. Comme une high table oxfordienne. Il m’est arrivé qu’au cours d’un dinner un de mes voisins de table me demanda sur quoi je travaillais, et comme je répondais « sur la galanterie française », il se récria : « But it is a pleonasm »… Je me tournais aussi tôt que je pus vers mon autre voisin ; même question, même réponse, et autre réaction intéressante : il leva un sourcil et dit « It is an oxymoron, itsn’t ? ». Depuis, quand on me pose la question, je réponds que je travaille sur Racine… Mais je n’en pense pas moins. Je pense que leurs réactions décelaient qu’il y a là un cliché qui a passé les frontières, un stéréotype, quelque chose qui semble aller de soi ; mais qui, comme tout ce qui semble aller de soi, est probablement bourré d’idéologie, comme le suggèrent leurs commentaires…
4En tout cas, quelque chose qui est le fruit d’une histoire. Qui donc demande qu’on en retrace, si possible, la généalogie. Qui, donc, exige qu’on en recherche les premiers affleurements. Dans le livre que j’ai en chantier sur la question de la galanterie et de son histoire sur la longue durée, ce que je vais présenter ici est un de ces affleurements. Non le premier, mais un des plus visibles.
5J’ajoute, en passant, que je suis heureux que Terence1 nous fasse l’amitié d’être des nôtres, car l’idée d’« affleurement » doit beaucoup à ses propres travaux. Merci Terence. J’ajoute aussi, sur un autre plan, que je ne suis ni historien d’art, ni historien de la Cour, donc que je ne peux prétendre rendre un compte exact et complet de l’objet, ou des objets, dont je vais parler ; je vise seulement à observer ce qui se passe quand les frontières entre des domaines apparemment distincts sont floues, ou se déplacent, bougent, se brouillent, ou (pour reprendre un mot de Terence) se « troublent », et ce que cela peut nous apprendre sur les codes sociaux que sont les genres, dans les arts, et les modèles de comportement, dans la sociabilité.
6Introduction au Colloque Fêtes galantes,
7Oxford, 2014 (inédit)
Notes de bas de page
1 Terence Cave (professeur à Oxford, devenu émérite en 2001), Recognitions. A Study of Poetics, Oxford, Clarendon Press, 1988 et Pré-histoires. Textes troublés au seuil de la modernité, Genève, Droz, 1999.
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