1 Viana, op. cit., fol. 8 (b). Prologue de la traduction. « Notre poète a tout, il écrit l’histoire de l’univers depuis le commencement du monde avec autant d’exemples efficaces que d’élégance et de fraîcheur pour notre contentement, ne laissant de côté la moindre chose d’Astrologie, de Philosophie naturelle et morale et tout le reste ; si bien qu’on peut bien dire de lui, comme le firent les Grecs à propos d’Homère, qu’il est comme l’Océan, parce que de même que toutes les rivières naissent de l’Océan et retournent en lui, toutes les sciences viennent de ce poète et s’épanouissent en lui ».
2 « Entretenimientos » ou « divertissements ». Viana utilise aussi une expression mythologique pour désigner ces moments de délassement qu’il appelle « mis horas alcyonas », « mes heures alcyoniennes ». Cf. op. cit., fol. 3, Prologue.
3 Ibid., Prologue Annotaciones, fol. 1, « ces travaux nés du temps de mes divertissements et pris comme médecine réparatrice seront d’une grande utilité et appréciés par ceux qui les liront avec sollicitude ».
4 Ibid., fol. 4 (a et b). Et pourtant Góngora n’avait pas encore écrit son Polyphème. C’est aussi, semble-t-il, la raison pour laquelle Alonso de Madrigal a cru bon d’adjoindre aux commentaires bibliques de son Libro de las Questiones, dix chapitres sur les dieux de l’Antiquité païenne, fol. CXXIV a(b) : « Servirá esta pequeña obra para entendimiento de muchas cosas poéticas, assí como doctrinal principio en quanto el lector aplicarlo quisiere y supiere siquier por distinguir muchos de los dioses [...] lo qual a los leyentes en las poéticas obras muchas dudas quitara y levantar el ingenio para más entender. », « Ce petit ouvrage servira à la compréhension de beaucoup de choses poétiques comme à la doctrine que le lecteur pourrait ou voudrait y appliquer afin de distinguer un grand nombre de ces dieux [...] ôtant ainsi aux lecteurs beaucoup de doutes tout en élevant leur esprit ».
5 Pérez de Moya, op. cit., « Où, sous des histoires fabuleuses, se concentre une copieuse doctrine profitable à toutes sortes d’études liées à l’origine des idoles ou des Dieux païens. C’est une matière très nécessaire pour entendre les Poètes ».
6 Les Commentaires de Herrera dont nous nous sommes servie abondamment comme d’une mythographie datent de 1580 ; ils furent précédés de ceux du Brocense (1574) et suivis de ceux de Tamayo de Vargas en 1622.
7 Pérez de Moya, op. cit., Livre I, chap. I, fol. 1, « Porque toda fábula se funda en razonamientos de cosas fingidas y aparentes, inventadas por los poetas », « Parce que toute fable repose sur des raisonnements faits à partir de choses fictives et illusoires inventées par les poètes ».
8 Dans ce sens, les commentateurs de Góngora, de l’un ou de l’autre clan, écrivent tous dans le prolongement des mythographes.
9 Pellicer, Lecciones Solemnes a la Obra de don Luis de Góngora y Argote, Madrid, Pedro Coello, 1630, colonnes 254 et 255, « Je suis un bien piètre conteur de fables, et à quoi bon si nous les avons toutes écrites en espagnol dans la Philosophie Secrète et dans le Théâtre des dieux de la Gentilité ? » ; Pellicer parle respectivement des mythographies de Pérez de Moya et de Baltasar de Vitoria.
10 Góngora développe cette conception de la poésie qui rejoint incontestablement l’idée qu’avaient les mythographes des mythes eux-mêmes, réservés aux élites de l’esprit.
11 Viana, Prologue, fol. 3 (b), s’appuyant sur Aristote et rejoignant la définition de la Fable, montre que la poésie est une somme de tout savoir : « Aristóteles dijo ser la poesía no arte alguna de las que por su excelencia son llamadas liberales, mas una cierta cosa mucho más divina, pues la abraça y comprende todas », « Aristote a dit de la poésie qu’elle n’était nullement de ces arts qu’en raison de leur excellence on appelait arts libéraux, mais une chose infiniment plus divine car à elle seule elle les comprend tous sans exception ».
12 Ibid., fol. 4 (a), « D’une manière cachée, le poète écrit des choses fort élevées ayant baigné dans la fontaine éternelle de la divinité ».
13 Il est regrettable que, dans l’étude monographique si documentée que fait Robert Jammes de la famille de Góngora (il est vrai, essentiellement dans une perspective économique et sociale), il n’ait consacré que quelques lignes au contexte culturel au sein duquel vécut le jeune Góngora dont le père, érudit distingué, avait réuni une riche bibliothèque. Cf. Robert Jammes, op. cit., p. 9.
14 À vrai dire, la première manifestation ovidienne dans la poésie espagnole se situe au début du XIIIe siècle avec le Poema de Alexandro qui imite les Métamorphoses, mais où la Fable et les motifs mythologiques apparaissent à peine. Pour les voir jaillir vraiment il faudra attendre Le Laberinto de Fortuna o las Trescientas de Juan de Mena datant du milieu du XVe siècle. C’est sous l’influence de l’humanisme venu d’Italie, par l’intermédiaire de grands poètes comme Boscán et Garcilaso et grâce au développement des ouvrages mythographiques, que la mythologie trouvera son véritable statut dans la poésie lyrique espagnole.
15 María Rosa Lida de Malquiel dans Tradición clásica en España, Barcelone, Ariel, 1975, montre bien l’importance de la mythologie et de l’œuvre d’Ovide chez Juan de Mena ; ce fin poète représente le passage du Moyen Âge à la Renaissance et dans son œuvre « predomina la recóndita alusión que sólo pueden descifrar los que tienen ojeadas las Metamorphoses », « prédomine l’allusion cachée que seuls peuvent déchiffrer ceux qui ont feuilleté les Métamorphoses ».
16 C’est une œuvre que curieusement on n’évoque guère lorsqu’en Espagne on dresse la liste des ouvrages du type mythologique. On cite généralement, pour le Haut Moyen Âge, les Etymologiae d’Isidore de Séville, écrites en latin, notamment dans le livre VIII le chapitre XI, De Diis gentium, pour passer immédiatement à Fray Antonio de Guevara et à Pedro Mexía. Or, ces auteurs accordent bien peu de place à la mythologie : Antonio de Guevara, dans le Libro Aureo del Gran Emperador Marco Aurelio con el Reloj de Príncipes (1529), sur les 160 chapitres qui constituent l’ensemble de l’ouvrage n’en consacre que deux aux divinités païennes. Les chapitres XI et XII, intitulés pompeusement De muchos dioses que tenían los Gentiles et De otros dioses naturales que tuvieron los Antiguos, ne font que passer en revue une quarantaine de divinités en rappelant brièvement les pratiques superstitieuses et les rites auxquels elles donnaient lieu, mais à aucun moment ces remarques ne peuvent s’apparenter à une ébauche d’ouvrage mythologique. Guevara en a tellement conscience qu’à la fin du chapitre XII, il recommande la lecture de Boccace.
17 La première édition moderne de la General Estoria est due à la magistrale compétence d’Antonio G. de Solalinde, elle fut continuée par L. Kasten et V. Oelschläger, Madrid, CSIC, 1930-1957, 2 volumes. Édition seule disponible à l’époque de la première rédaction de notre livre et qui nous a servi de référence ; nous ne disposions pas alors de la publication scientifique réalisée trente ans plus tard sous la direction de Pedro Sánchez Prieto, Biblioteca Castro, Fundación José Antonio de Castro, Madrid 2009, édition mise en ligne le 22 juin 2010. Le travail le plus important réalisé sur la General Estoria nous le devons à Irene Salvo García, une thèse doctorale soutenue en 2012 à l’Université Autonome de Madrid.
18 Parlant de la General Estoria, A. G. Solalinde, Revista de Filología española, 1914, tome I, p. 105, déclare : « No hay historia profana ni alusión a los distintos dioses y personajes de la historia antigua que no proceda de Ovidio. Las Metamorfosis puede decirse que están incluidas en su totalidad dentro de la compilación de Alfonso X », « Pas la moindre histoire profane ni la moindre allusion aux divers dieux et aux personnages de l’Antiquité qui ne provienne d’Ovide. On peut dire des Métamorphoses qu’elles sont intégralement incluses dans la compilation d’Alphonse X ».
19 Un autre ouvrage médiéval, composé une quarantaine d’années plus tard, eut une influence déterminante sur les représentations artistiques de la mythologie chez les artistes de la Renaissance : un texte manuscrit anonyme comportant 72000 vers octosyllabiques. Il semble avoir été rédigé entre 1317 et 1318 et portait la dédicace à Jeanne de Bourgogne, reine de France, épouse de Philippe V le Long. Il s’agit d’une translation des Métamorphoses d’Ovide en ancien français qu’on appela Ovide Moralisé. Il fut universellement connu au moins de nom. Il respecte l’ordre des fables et suit d’assez près sa source pour pouvoir être considéré comme une traduction malgré des ajouts souvent importants.
20 Gregorio Silvestre, Fábula de Narcisso, strophe 63, vers 1 à 3. « À Vénus son visage ressemblait / Au flamboyant Apollon, sa blonde chevelure / Ses belles mains excédaient celles de Bacchus ».
21 General Estoria, tome II, chapitre XLI, p. 168 (b), « Narcisse levait ses mains au-dessus de l’eau, et les gardait ainsi / tendues ; il observait l’image que ses doigts formaient à la surface de l’eau en voyant ses doigts, il les trouvait plus beaux / que ceux de Bacchus, Liber Pater, comme nous le rapporterons plus loin ».
22 Ibid., Livre III, vers 420 à 424 : « Spectat humi positus geminum, sua lumina sidus et dignos Baccho, dignos et Apolline crines / Impubesque gena et eburnea colla decusque / Oris et niveo mixtum candore ruborem in / conctaque miratur quibus est mirabilis ipse » ; « Étendu sur le sol, il contemple ses yeux, deux astres, sa chevelure digne de Bacchus et non moins digne d’Apollon, sa joue imberbe, son cou blanc comme l’ivoire, sa bouche gracieuse, son teint rougissant uni à sa candeur. Bref, il admire tout ce qui est admirable en lui ».
23 Ibid., tome II, chapitre XLI, p. 168 (b), « Et aussi ses cheveux plus beaux que les rayons du soleil, et la joue sans barbe, et le cou plus blanc que le marbre, et la beauté de sa bouche, le vermeil allié à la blancheur ; et Narcisse s’émerveillait devant tant de beauté ; comme pouvaient s’émerveiller les hommes qui le voyaient ; un si joli jeune garçon ; et il s’aimait lui-même sans le savoir ».
24 Il faut, croyons-nous, écarter l’éventualité d’une tradition ovidienne différente, car précisément ces vers du troisième Livre des Métamorphoses ont toujours été considérés comme ne comportant pas de variantes.
25 Bustamante, op. cit., « Lui aussi s’émerveille amplement du beau visage qu’il voit ; il est comme hors de lui-même en contemplant un si beau visage, de si beaux yeux, de si beaux bras, de si belles mains et un si beau corps : un ensemble si admirable qu’il lui sembla n’avoir jamais eu un bonheur égal ni le pouvoir d’en jouir ».
26 « Ses doigts dignes de Bacchus, et sans le moindre doute / si les cheveux sont beaux ce sont ceux du frère de la Lune ». Il serait ici assez logique de penser que Gregorio Silvestre, par l’exemple duquel nous avons commencé, connaissait l’ouvrage de Bustamante, mais la version qu’il donne de l’image des mains de Narcisse est incontestablement plus proche de celle qu’on trouve dans la traduction de la General Estoria. Gregorio Silvestre n’a pas pu en tout cas l’emprunter à Viana dont l’œuvre est nettement postérieure.