Préface : Les hypogées ovidiens
p. 7-9
Texte intégral
Dans le particulier de la mythologie, les hommes de la Renaissance n’ont pas toujours puisé directement aux sources.
Jean Seznec
1À l’origine de ces travaux, la curiosité impérieuse de pénétrer le mystère des mythes tels que, par l’intercession d’Ovide, ils peuplent la poésie auriséculaire au sein du singulier paradoxe de leur emploi. D’abord l’insistante présence de ces reliques païennes dans la très catholique Espagne des XVIe et XVIIe siècles, éprise d’orthodoxie, et de surcroît sous la plume de poètes appartenant à la hiérarchie ecclésiastique ou fort proches de celle-ci. Paradoxe plus surprenant encore si l’on peut établir que, dans leurs puissantes créations, à la faveur de cette appropriation des mythes, s’était opérée une prodigieuse révolution poétique. Non seulement ces poètes ne reniaient nullement le passé mais, fascinés par la lointaine Antiquité, y compris par les ressorts de la langue latine, ils s’étaient engagés dans l’intime fréquentation des Anciens jusqu’à l’adoption de leurs dieux et de leurs héros. Une façon de créer le nouveau ou l’inédit en passant par l’ancien révolu.
2Notre propre recherche, engagée dans cette voie qui prit forme en une thèse d’État1, se précisa par la suite dans des études s’appliquant à montrer que l’insolente modernité de ces grands poètes du Siècle d’Or tenait précisément à celle des Anciens. Ces divinités que la critique taxait de « poussiéreuses » donnaient lieu à un usage d’une insolite originalité et ouvraient des enjeux esthétiques repoussant les limites de la poéticité.
3Dans le même temps, bien des indices nous avaient conduite à une autre nécessité interrogative : celle de savoir par quels chemins annexes, de toute évidence autres que les grandes sources latines, ces mythes païens étaient parvenus jusqu’à ces poètes, depuis la lointaine Antiquité et le haut Moyen Âge. Il nous est apparu qu’il s’agissait d’un secteur bien particulier, celui d’abondants intermédiaires mythologiques qui, pour être souvent modestes quant à leur processus d’écriture, n’en constituaient pas moins un réservoir poétique considérable. Par de longues et patientes inquisitions, nous sommes parvenue à établir que ce secteur – certes d’une curieuse facture et porteur d’une vision assez communément réductrice des dieux rendus parfois méconnaissables – resté inexploré par les chercheurs, avait été un espace de prédilection, amplement visité par les poètes.
4Sur la trace des dieux par Ovide interposé, au hasard de leurs disparitions ou de leurs effacements épisodiques et de leurs résurgences providentielles, s’imposait à nous un tissu mythographique mimant la puissance métamorphique des dieux eux-mêmes, une matière que nous perçûmes comme l’incarnation palingénésique de la continuité dans le discontinu. Matière constituée des différentes formes d’appréhension des mythes qui s’y développaient selon une chaîne de réceptions assurément enrichie par l’empilement des détails mais symboliquement élargie ou rétrécie, au fil des interprétations.
5Nous y poursuivîmes avec intérêt la mission que les mythographes s’étaient donnée, consistant à décliner les réminiscences mythiques en des espaces d’écriture les plus variés. C’étaient des récits factuels, des extrapolations à visée morale, des translations diverses, l’engendrement réciproque du phénomène de la traduction et du copieux travail de commentaire, débouchant sur de pyramidales allégorisations, des hypogées ovidiens.
6Bref, cet intéressant univers d’écriture, en grande partie mis au jour comme espace fécond de recherches, nous avons voulu, pour le faire connaître, le restituer en de larges extraits respectant les différents états du castillan médiéval dont ils étaient marqués2. Ici, nous dûmes en réduire le volume afin de pouvoir les présenter, en vis à vis, dans leur version originelle et leur traduction en français. Les traductions auxquelles nous nous sommes appliquée, étaient l’une des exigences de cette publication consistant à rendre l’ensemble de notre étude accessible à toute curiosité non exclusivement hispaniste.
7Cet ouvrage que nous publions aujourd’hui, reprend donc tout cet univers dans une étude repensée, remaniée, réactualisée et dans une version resserrée en raison même des multiples traductions que nous avons voulues aussi fidèles et aussi plaisantes que possible. L’objectif étant de montrer en quels aliments prosaïques, pragmatiques, linéairement foisonnants ou dilatés, furent servis les mythes comme substance incontestablement utile aux poètes du Siècle d’Or. Eux-mêmes y apparaissent en de nombreux extraits que nous avons aussi voulu traduire. C’était là une manière d’annoncer comment l’avènement des mythes au sein du discours poétique, un discours radicalement opposé à celui des gloses et des commentaires mythographiques, les tirait hors de l’impasse où ils étaient relégués. Les poètes les dégageant de ce contexte pervertisseur, les restituaient à leur pureté originelle avec les clefs de leur mystérieux fonctionnement analogique.
8Le voile médiéval ainsi déchiré, les mythes pouvaient quitter le cosmos matériel qu’ils occupaient, pour s’inscrire dans l’universel poétique où l’Antiquité parlait de nouveau. Cette parole poétique, renouant avec les mythes, les avait extraits du rapport au monde pour les placer dans une apocatastase du monde.
9Tel un trésor retrouvé dans une poétique de la présence, comme un infini dans le fini, les mythes vibraient au rythme du frisson métaphorique des grands poèmes mythologiques auriséculaires. Puissantes créations instaurant le retour des mythes antiques sous la forme d’un avènement poétique si riche qu’il en vint à occulter l’existence même de ce legs, objet de notre étude. Les mythes, dans une véritable reconversion, s’offrent désormais à l’exploration du mystère de leur approfondissement.
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