Introduction
p. 7-16
Texte intégral
1Du 3 au 5 juin 2015, s’est tenue à la Maison de la recherche de l’université d’Artois la dixième édition du colloque franco-roumain, intitulé La phrase, carrefour linguistique et didactique. Cette manifestation scientifique, organisée conjointement par les laboratoires Grammatica (EA 4521) et Circeft-Escol (EA 4384), a réuni des conférenciers d’horizons différents – linguistes, didacticiens, formateurs – en présence d’un auditoire lui aussi diversifié.
2Le présent volume recense dix-huit contributions présentées lors de ces journées. Les réflexions se sont organisées autour de la notion de phrase, envisagée d’un double point de vue linguistique et didactique, dans le but de croiser les regards et de mettre en lumière la complémentarité de ces approches. Le choix d’élargir la réflexion à une perspective contrastive correspond quant à lui à l’esprit qui préside depuis 10 ans maintenant aux rencontres franco-roumaines, alternativement organisées à l’université d’Artois et à l’université de Timişoara.
3Sur le plan linguistique d’abord, la prise en considération des caractéristiques définitoires de la phrase a fait porter la réflexion sur la nature même de cette unité, dont les limites ne font pas consensus dans la littérature. Les études réunies dans le présent volume mettent ainsi clairement en lumière le fait que les critères identificatoires de la phrase varient sensiblement selon les époques et les théories envisagées. Le cadre de la phrase a également rendu possibles des études portant spécifiquement sur certains constituants ciblés, comme la complémentation des noms d’idéalité, ou encore la proposition à fonction sujet du roumain. Dans une perspective plus large enfin, certains contributeurs se sont intéressés à la dimension énonciative et à l’exploitation discursive de la phrase.
4 Corollairement à la complexité qui caractérise l’approche linguistique de la phrase, les contributions didactiques présentées lors du colloque ont montré combien l’identification même de cette unité reste problématique en classe. Parmi les raisons évoquées, se trouve notamment le flottement définitoire propre à certaines approches qui empruntent conjointement - et le plus souvent implicitement – à différents cadres théoriques. À cela s’ajoute aussi que les critères retenus, s’ils « fonctionnent » généralement assez bien sur les « phrases-types » ou les exemples forgés proposés dans les leçons, ne résistent que rarement à l’épreuve de l’usage de la langue en discours, laquelle s’affranchit le plus souvent de la phrase canonique des manuels.
5La première section de ce volume, consacrée à l’approche linguistique de la phrase, explore différentes configurations phrastiques et propose une analyse de certains constituants ciblés, en français mais aussi dans une perspective contrastive, en japonais et en roumain. Ce faisant, ces articles permettent d’interroger – explicitement ou implicitement – les contours de la phrase.
6L’article de Paul Cappeau s’ouvre ainsi sur un inventaire des critères retenus pour définir la phrase à l’écrit : l’auteur montre, à partir de nombreux exemples, la nécessité de réajuster sans cesse ces critères. S’intéressant ensuite à la langue parlée, il énumère d’autres critères définitoires, insuffisants également selon lui pour circonscrire de façon satisfaisante la notion de phrase. Qu’il s’agisse de l’oral ou de l’écrit, l’auteur met ainsi en évidence la difficulté à cerner la notion. Pour ces raisons, Paul Cappeau propose une analyse en deux niveaux : le premier niveau permet de décrire les liens syntaxiques entre les différents constituants, mais ne tient pas compte des unités ne présentant pas de dépendance syntaxique (comme c’est le cas avec les ajouts par exemple). Le second niveau correspond à une approche macro-syntaxique et permet de rendre compte des relations qu’entretiennent préfixes et noyaux (termes empruntés à Debaisieux), en dépassant les relations strictement syntaxiques. Cette approche a le mérite de permettre l’analyse de séquences difficilement analysables dans une perspective strictement syntaxique (cf. Les fourmis avançaient laborieusement. vs Les fourmis avançaient. Laborieusement.)
7Dans une perspective contrastive, Dominique Klingler montre également que la réflexion sur la phrase peut être éclairée par l’adoption d’un double point de vue, syntaxique et énonciatif, menant à l’abandon de la « phrase » au profit de l’énoncé. Après un recensement critique des critères traditionnellement utilisés pour définir les notions de coordination et de subordination en français, l’auteure s’interroge sur la pertinence de ces concepts pour décrire une autre langue. Son raisonnement se base sur l’analyse de l’unité – te du japonais, unité assurant une « jonction » et se présentant comme un suffixe. S’appuyant sur de nombreux exemples, Dominique Klingler montre les spécificités de fonctionnement de cette unité qui résiste au classement et ne correspond que partiellement aux critères définitoires des conjonctions et des subordonnants du français. Pour rendre compte de ce fonctionnement particulier, elle en propose des analyses alternatives : l’une, syntaxique, rend compte des jonctions rendues possibles par – te, l’autre davantage énonciative implique de s’affranchir de la phrase comme unité de base, au profit d’une analyse en termes de « poursuite » de la prédication. Ces analyses complémentaires, qui permettent de mettre en lumière le fonctionnement particulier de cette unité, questionnent corollairement les critères identificatoires de la phrase.
8La contribution de Nelly Flaux porte quant à elle sur un type de séquences internes à la phrase complexe, à savoir la complémentation verbale des noms dénotant des objets idéaux. Sa démarche consiste d’abord à présenter la classe des noms en question, appelés par Husserl « noms d’idéalités » ou « noms d’objets idéaux ». La typologie qu’elle propose met en lumière l’existence de tout un système, basé sur l’existence de plusieurs sous-classes de noms d’idéalités ne présentant pas les mêmes propriétés syntaxiques et sémantiques. Le propos porte ensuite spécifiquement sur la présentation des différents types de séquences verbales susceptibles de compléter certains noms d’idéalités. Sont ainsi successivement examinés le cas de la complétive en que P, de l’infinitive, de la proposition dite « pseudo-relative », et les configurations mettant en jeu du discours rapporté au style direct. Pour finir, Nelly Flaux examine la distribution des différents compléments verbaux en fonction des types de noms d’idéalités mis au jour.
9Dans une perspective contrastive, Eugenia Arjoca Ieremia fait porter l’analyse sur les phrases complexes du roumain formées d’une principale et d’une proposition conjonctive à fonction sujet, ainsi que sur leurs équivalents en français. Après un rappel théorique sur les notions de phrase et de proposition dans la terminologie grammaticale du roumain, ainsi que quelques considérations générales sur la langue, l’auteure s’intéresse en particulier à quatre constructions du roumain comportant une proposition sujet. Elle en présente les caractéristiques syntaxiques et examine également les multiples valeurs modales de ces constructions. Cette analyse met ainsi en lumière les divergences morphosyntaxiques entre le roumain et le français.
10Les articles qui suivent interrogent quant à eux les dimensions discursive, énonciative et interprétative de la phrase, en français ainsi que dans une perspective contrastive roumain-français.
11La contribution de Mariana Pitar s’intéresse au discours de type injonctif / prescriptif à travers le genre du texte procédural, dont le but est d’accompagner la réalisation d’une action. Sa démarche porte plus particulièrement sur le sous-genre des modes d’emploi, qui se caractérise par une organisation textuelle particulière, analysable en termes de structure modulaire. Sur la base d’un corpus constitué de modes d’emploi, Mariana Pitar se livre alors à une analyse sémantique et syntaxique des différents « modules », ou invariants à partir duquel le texte s’organise, en s’intéressant notamment à la contribution de la configuration phrastique au discours. Elle montre ainsi que chacun de ces modules implique une organisation textuelle, une valeur modale et un contenu sémantique propres.
12 Daciana Vlad adopte pour sa part un point de vue énonciatif sur les faits, puisqu’elle s’intéresse aux propositions parenthétiques à fonctionnement métaénonciatif, par lesquelles un locuteur donné introduit un commentaire sur son propre propos, érigeant ainsi son énonciation en objet de discours. Après avoir brièvement présenté les propriétés syntaxiques et la visée pragmatique des propositions parenthétiques, l’auteure s’attache plus particulièrement à l’analyse des fonctions en discours de la sous-catégorie des parenthèses métaénonciatives. Les données du français permettent l’examen successif des parenthèses construites autour d’un verbe de parole, du tour « verbe + nom de parole », et du verbe vouloir. Pour finir, la dernière partie de cette contribution se place dans une perspective contrastive, les constructions analysées en français étant mises en regard de leurs équivalents en roumain.
13La contribution de Mirela-Cristina Pop porte sur l’interprétation et la traduction en roumain d’occurrences dérivées de l’expression On achève bien…, exploitée dans divers contextes discursifs (littéraire, cinématographique, théâtral). À partir d’un corpus constitué de 40 énoncés-titres classés par domaines, et en s’appuyant sur les acquis de la linguistique de l’énonciation (calculs interprétatifs, reformulations intra- et interlinguales), l’auteure propose un parcours interprétatif et traductif de ces occurrences afin de mettre en évidence les similarités de ces différentes structures. Elle insiste par ailleurs sur le fait que ce raisonnement interprétatif pourrait utilement être appliqué en didactique de la traduction, pour des énoncés présentant des allusions culturelles, particulièrement délicates à identifier, à interpréter et donc à traduire, notamment pour des étudiants débutants.
14Dans son article, Adina Tihu propose une analyse comparative de la structure syntaxique des proverbes roumains et français, en prenant appui sur les recherches menées par Conenna (1998 et 2000) sur les proverbes français et italiens en qui/chi (Qui dort dîne). L’auteure consacre son analyse aux proverbes réalisés par des phrases complexes comportant une subordination explicite ou implicite (asyndéthique). Son corpus s’appuie, pour le roumain, sur les ouvrages d’Elena Gorunescu (1975, 1978) et de Gabriel Gheorghe (1986), pour les proverbes français sur le recueil de proverbes, sentences et maximes de Maloux (2006) ainsi que sur Le Dictionnaire de proverbes et dictons publié par les dictionnaires Le Robert (1990) et plusieurs sites Internet. Après un apport théorique sur les caractéristiques syntaxiques, sémantiques et lexicales du proverbe, Adina Tihu montre dans quelle mesure les structures analysées se recouvrent plus ou moins en roumain et en français et confirme que les conclusions de Conenna pour les proverbes en qui se vérifient pour les proverbes en cine, le pronom relatif homologue roumain. L’auteure met ainsi en évidence que les circonstants en question correspondent au même moule proverbial, en français comme en roumain.
15Dans le prolongement du versant linguistique, la seconde partie du volume offre une perspective didactique sur la phrase. Deux types de supports servent globalement de point de départ aux différentes contributions, certains auteurs ayant fait le choix d’analyser des supports d’enseignement ou dispositifs d’apprentissage pour la classe, d’autres ayant pris pour point de départ des productions d’apprenants.
16L’analyse de différents ouvrages scolaires permet d’abord à Jacques David de montrer que la phrase n’a rien d’une « unité d’évidence », contrairement à ce que pourraient laisser penser les programmes d’enseignement, qui la présentent comme essentielle et incontestée. L’auteur revient alors sur les critères définitoires de la phrase, mettant en évidence que ses spécificités prosodiques ou énonciatives orales sont souvent ignorées, cantonnant la phrase au domaine de l’écrit. Dans la littérature existante, certaines approches linguistiques de la phrase en font une unité virtuelle, un artefact, utile pour l’analyse. D’un point de vue didactique, si la phrase n’est pas sans poser de problèmes, elle n’en reste pas moins une unité d’analyse nécessaire à la compréhension par les élèves de notre système linguistique. Pour Jacques David, si la phrase est certes linguistiquement discutable, elle est néanmoins didactiquement opératoire et « enseignable ». Il ne s’agit donc pas selon lui de l’abandonner ou de la supprimer1, mais d’en proposer une description davantage cohérente et exhaustive. Les propositions de l’auteur s’accompagnent ainsi d’un certain nombre d’activités à mettre en place en classe avec les élèves, pour leur permettre de mieux approcher le fonctionnement de la langue.
17Deux contributions proposent une analyse critique des notions de phrase et de proposition, telles qu’elles sont abordées dans les manuels d’enseignement / apprentissage du français. En ce qui concerne le Français Langue Maternelle, Caroline Lachet et Cécile Mathieu analysent la cohérence terminologique et définitionnelle des chapitres consacrés aux notions de phrase et de proposition dans quelques manuels de collège récents. Outre l’absence de consensus terminologique et le caractère généralement non discriminant des définitions proposées, les auteures dénoncent le recours massif à des termes polysémiques non définis, issus d’horizons théoriques hétérogènes. En réponse à la diversité observée des critères proposés aux élèves par les manuels (syntaxiques, sémantiques, logiques, graphiques, structurels…), Caroline Lachet et Cécile Mathieu plaident par ailleurs pour une première approche strictement syntaxique des notions de phrase et de proposition. La démarche de Dagmar Kolářiková, qui analyse le contenu de grammaires destinées à l’enseignement-apprentissage du Français Langue Étrangère, rejoint celle de Caroline Lachet et Cécile Mathieu. Un premier état de la question permet en effet à Dagmar Kolářiková de passer en revue les différents critères traditionnellement retenus pour définir les notions de phrase et de proposition en français. L’analyse didactique de trois grammaires FLE amène ensuite l’auteure à questionner les critères de reconnaissance proposés par ces ouvrages. Il en ressort que ces ouvrages font la part belle aux critères sémantiques et graphiques, le critère syntaxique étant en revanche peu convoqué. Ces observations font apparaître les limites de l’offre didactique dans ce domaine, pourtant essentielle pour permettre aux apprenants d’améliorer leurs compétences en production écrite.
18 Daniela Dincă et Anda Irina Rădulescu se placent du point de vue complémentaire de la formation des enseignants. En partant de la notion de phrase telle qu’elle est enseignée aux étudiants roumains se destinant au métier de professeur de FLE, les auteures mettent au jour un certain nombre de freins aux apprentissages, et font des propositions didactiques pour une meilleure efficacité de cet enseignement. En opposition à l’approche normative des faits de langue traditionnellement proposée en Roumanie, elles plaident en faveur d’un enseignement du FLE qui prenne appui sur les situations de la vie courante et tienne compte de la culture métalinguistique des apprenants, en comparaison avec leur langue maternelle. Concernant la phrase, elles plaident ainsi pour un enseignement discursif (allant des discours ou des textes vers la phrase). Une telle démarche, qui n’exclut pas pour autant la prise en compte du critère syntaxique, favoriserait selon elles un apprentissage plus efficace des règles qui président au fonctionnement du français.
19 Audrey Roig s’intéresse quant à elle à la phrase complexe du français. Sa contribution part du constat que la tripartition traditionnelle « subordination / coordination / juxtaposition » est souvent perçue comme problématique par les usagers, dès lors qu’ils s’interrogent sur le mode d’enchaînement des propositions de la phrase complexe. L’article, qui vise une clarification définitoire des modes de liaison, part de l’analyse critique de supports pédagogiques – manuels et grammaires –, qui met clairement en lumière l’hétérogénéité des approches. Cet éclatement des discours s’explique notamment, dans le cas des manuels, par une volonté de conformité aux attentes institutionnelles, tandis que certaines grammaires proposent une approche plus réflexive des faits. Sur le plan linguistique, Audrey Roig se livre ensuite à un état des lieux de la définition et de l’organisation des modes de liaison dans la littérature existante. Ce parcours critique aboutit finalement à une proposition de redéfinition, basée sur la seule bipartition « coordination / subordination », la juxtaposition étant analysée comme un phénomène d’ordre strictement stylistique. Trois critères sont finalement retenus pour l’identification de la subordination, redéfinie sur la base du concept guillaumien d’incidence externe : le critère du subjonctif régi, de la focalisation en c’est… que, et du partage de la force illocutoire.
20Catherine Delarue-Breton et Belinda Lavieu-Gwozdz font également porter l’analyse sur des manuels scolaires, mais dans une perspective différente. Il s’agit en effet de montrer en quoi les caractéristiques des phrases proposées aux élèves dans ces supports sont susceptibles de permettre ou d’entraver la compréhension des élèves. Les auteurs se livrent donc à une analyse comparative de quatre documents destinés aux élèves dans le domaine de l’Histoire, examinant notamment les modalités énonciatives retenues, les structures syntaxiques et textuelles. Les auteures insistent alors sur la nécessité d’un guidage fort de l’enseignant pour permettre aux élèves d’accéder à l’enjeu discursif du propos. Ces considérations renvoient in fine à la question de la formation des enseignants, qui devraient selon les auteures être de véritables « linguistes », capables de s’interroger eux-mêmes sur les faits de langue.
21 Badreddine Hamma, à partir des représentations des apprenants et d’une analyse critique d’exemples attestés dans les manuels, plaide quant à lui pour l’intégration d’une compétence « diamésique » dans l’enseignement des langues. Le constat du malaise communicatif, voire de la situation d’échec à laquelle se heurtent trop d’apprenants - tant en contexte de FLM que de FLE - ainsi que celui de la place prépondérante de l’oral dans les attendus ministériels et institutionnels, l’amènent à dénoncer les pratiques didactiques qui recourent massivement à une exemplification forgée, totalement éloignée de la réalité de l’usage de la langue en discours. Les enquêtes qu’il a menées auprès d’apprenants de collège, lycée et université, à partir du cas particulier de la litote et du passif, ont ainsi mis au jour une grande méconnaissance de ces faits de langue, qui peut notamment s’expliquer par l’absence d’une exemplification appropriée dans les pratiques scolaires. L’auteur entend ainsi montrer que la prise en compte des énoncés oraux comme objet d’enseignement / apprentissage constitue une nécessité absolue pour sortir de ces situations d’échec.
22Enfin le dernier sous-ensemble du volume rassemble des contributions qui font porter l’analyse sur des productions d’élèves.
23 Véronique Bourhis, qui envisage la phrase comme une production orale contenant a minima une prédication, s’intéresse ainsi aux rapports entre la prosodie et la syntaxe chez le jeune enfant en début de petite section de maternelle. Les données analysées, issues d’un corpus de thèse (Bourhis, 2005), concernent deux enfants en situation écologique d’interaction mère-enfant ou enseignante-enfant. Trois cas de figure sont examinés, selon que la production se fait dans le cadre d’un dialogue « à bâtons rompus », d’une situation didactique d’enseignement-apprentissage, ou lors d’un soliloque de l’enfant. Le lien entre unités prosodiques et unités syntaxiques se fait essentiellement par l’analyse de trois phénomènes : la congruence, la condensation et la dislocation.
24 Nathalie Rossi-Gensane, Marie-Noëlle Roubaud et Véronique Paolacci, qui se placent spécifiquement du côté de l’école primaire, rejoignent d’autres auteurs du volume dans la mesure où elles font également émerger les problèmes relatifs à la définition de la phrase dans les manuels scolaires. Après une revue critique des différents critères généralement utilisés à l’école élémentaire pour définir la notion (critères typographique, sémantique, prosodique, illocutoire…), les auteures prennent finalement position en faveur d’une définition syntaxique de la phrase, envisagée d’un point de vue relationnel comme l’ensemble des rapports de dépendance qui s’instaurent autour d’un pivot syntaxique. La réflexion s’oriente ensuite vers la phrase dite « complexe », et plus précisément vers les cas problématiques de la juxtaposition et de la coordination de propositions. Pour finir, les auteures montrent comment l’analyse en termes de « phrase syntaxique » qu’elles défendent leur permet de rendre compte de l’organisation des productions écrites des élèves, qui dépassent souvent les attendus de l’école élémentaire, notamment en ce qui concerne la subordination.
25La contribution de Pierre Sève, enfin, porte un regard sur l’enseignement de la grammaire dans le cadre de la formation destinée aux futurs enseignants. À partir de productions écrites de jeunes élèves d’école élémentaire, les étudiants sont amenés à réfléchir sur la ponctuation utilisée par les élèves dans leurs écrits. Ce faisant, ce dispositif leur permet d’interroger les critères définitoires de la phrase et les conduit à développer une réflexion sur la langue et son fonctionnement. L’enjeu est de permettre aux étudiants – futurs enseignants – de comprendre que la grammaire scolaire ne se réduit pas à une simple activité d’étiquetage, mais à une véritable réflexion sur la langue : cette démarche expérimentale les amène à dépasser et à modifier leurs représentations de la grammaire et à (re)construire des savoirs enseignables.
26Au bout du compte, si la phrase constitue bel et bien le point de départ de toutes les contributions rassemblées ici, le présent volume illustre aussi clairement le caractère pluriel de la notion, qui se prête à différentes approches et analyses. Loin d’une vision éclatée des faits, plusieurs constats émergent finalement :
- À la question de savoir quels critères retenir pour définir la phrase, les réponses apportées ont été diverses, certains auteurs se rejoignant sur l’idée d’une nécessaire prise en compte des données de l’oral, d’autres insistant avant tout sur le caractère opératoire de la syntaxe pour l’appréhension de la notion en classe. Les approches contrastives ont par ailleurs bien montré que les outils qui peuvent sembler opératoires pour la description d’une langue donnée ne sont pas nécessairement transposables à un autre système linguistique. Tous les auteurs se rejoignent toutefois sur la nécessité d’une approche critique qui résiste à la tentation de critères définitivement figés, compte non tenu de la réalité du fonctionnement de la langue.
- Un des objectifs du colloque consistait par ailleurs à tisser des ponts entre les domaines de la linguistique et de la didactique. De ce point de vue, il est clair désormais – si besoin était – que l’ancrage du didactique dans le linguistique constitue une nécessité incontournable de l’enseignement / apprentissage des faits de langue, tant en FLM qu’en FLE. On a bien vu notamment que les divers flottements terminologiques et contradictions de la littérature scolaire ne peuvent se résoudre qu’à la lumière d’une compréhension linguistique des faits.
- Un autre enseignement du colloque tient au fait que la réflexion sur les supports didactiques et les productions d’apprenants débouche nécessairement sur la prise en compte du pôle enseignant et des dispositifs de formation.
27C’est dire si les perspectives sont nombreuses, et la tradition du colloque franco-roumain permettra sans nul doute de les approfondir, à Arras ou à Timişoara !
Notes de bas de page
1 Voir ici même l’article de Paul Cappeau « Pourquoi et comment se débarrasser de la phrase ? Réponses en syntaxe et en macro-syntaxe ».
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