Autoportraits croisés
p. 391-392
Texte intégral
1Ces derniers portraits sont non seulement croisés, mais indirects. En s’adressant au docteur Moreau de Tours comme à un confrère, Balzac semble ainsi vouloir asseoir son image de romancier scientifique, tout comme Zola qui, dans ses célèbres réflexions sur le roman expérimental, pratique une écriture littéralement palimpseste visant à substituer son image du romancier à celle de Claude Bernard. Dans un texte de jeunesse reprenant la technique de la « physiologie » telle qu’elle était pratiquée dans Les Français peints par eux-mêmes (voir le texte 28), Flaubert livre également, derrière son ironique « cours de zoologie », l’essentiel de ce qui constituera son « écriture au scalpel »1. De même, lorsqu’il fait l’éloge de Lefèvre-Gineau et de son œuvre, l’abbé Delille donne à voir l’image qu’il se fait de son propre travail de poète, voué à la transmission éloquente du savoir.
2Dans tous les cas, la référence équivaut à une profession de foi. Si l’écrivain du XIXe siècle aime à prendre la pose du savant – gage de sérieux, preuve éthique s’il en est –, les autoportraits de savants en poète sont bien évidemment plus rares, car le bénéfice semble moindre. La « guerre des sciences et des lettres » sur laquelle s’ouvrait cette anthologie n’en suppose pas pour autant la totale disqualification du « poète », à une époque où le savant – comme tout grand homme – se doit d’être lettré. En témoignent les nombreuses tentatives littéraires de personnalités scientifiques, que celles-ci relèvent de la création ou de la critique. Bien que le médecin Henri Beaunis minore leur importance, la préface qu’il rédige pour ses Contes physiologiques s’apparente malgré tout à un exercice de style visant à prouver sa maîtrise des codes littéraires. De la même manière, la virulente critique poétique qu’Émile Laurent réalise au nom de la science se place, en frontispice, sous les auspices du jugement esthétique, et révèle la véritable nature de la condamnation qui va suivre : objectif, mais néanmoins sensible, savant et esthète, l’homme de science du XIXe siècle entend circonscrire avec fermeté le champ de sa spécialité, sans pour autant renoncer à sa dimension universelle. C’est ce que révèlent de manière exemplaire le portrait indirect que François Arago dresse de lui-même à travers celui de Condorcet, ou encore les réflexions de Humboldt sur la littérature descriptive et le pont qu’elle peut établir entre compétences savantes et littéraires.
3À leur manière, ces autoportraits croisés témoignent des luttes que se livrent le « poète » et le géomètre » pour annexer le « philosophe » qu’Henri Beyle situait, au début du siècle, « entre deux ».
Notes de bas de page
1 Voir Charles-Augustin Sainte-Beuve, « Madame Bovary par Gustave Flaubert », Le Moniteur Universel, 4 mai 1857 : « Fils et frère de médecins distingués, M. Gustave Flaubert tient la plume comme d’autres le scalpel. Anatomistes et physiologistes, je vous retrouve partout ! ».
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