21. Albert Robida, Le Vingtième siècle. La Vie électrique, Paris, La librairie illustrée, 1890, p. 6-7
p. 137-139
Texte intégral
1Dans Le Vingtième siècle. La Vie électrique, Albert Robida (1848-1926), dessinateur, journaliste et romancier, dresse le tableau d’un monde futur dont l’organisation sociale a été bouleversée par l’omniprésence des sciences et des techniques dans la vie quotidienne. Au sommet de la société se trouve ainsi le savant célèbre, grand industriel, détenteur d’une fortune immense. Robida le dépeint en prenant le contrepied d’une série de clichés concernant l’apparence du savant : maigreur, faiblesse physique, myopie, etc. Philoxène Lorris est, à l’inverse, une force de la nature, doté d’une inépuisable vitalité. En analyste du contemporain, connu pour ses caricatures de l’actualité médiatique dans la presse, Robida souligne à travers ce personnage une évolution du statut du savant déjà en germe dans la seconde moitié du siècle. L’homme de science est en effet directement lié aussi bien aux cercles du pouvoir qu’au monde économique. Philoxène Lorris est homme d’affaires, ingénieur et inventeur, plus que théoricien, et il a su lever des sommes colossales pour ses recherches, en se cotant lui-même en bourse. Ses inventions couvrent une multitude de domaines (transports, médias, armes chimiques…). Utilisant à des fins publicitaires la reconnaissance institutionnelle apportée par le pouvoir, afin de mieux diffuser les produits tirés de ses découvertes, le savant du futur tel que le décrit Robida apparaît, en somme, comme une incarnation du règne de la réclame à la fin du siècle.
2 Nous sommes, avec Philoxène Lorris, bien loin de ce bon et timide savant à lunettes d’antan. Grand, gros, rougeaud, barbu, Philoxène Lorris est un homme aux allures décidées, au geste prompt et net, à la voix rude. Fils de petits bourgeois vivotant ou plutôt végétant en paix de leurs 40 000 livres de rente, il s’est fait lui-même. Sorti premier de l’École polytechnique d’abord et ensuite de International scientific industrie Institut, il refusa d’accepter les offres d’un groupe de financiers qui proposaient de l’entreprendre – suivant le terme consacré – et se mit carrément de lui-même pour dix ans en quatre mille actions de 5 000 francs chacune, lesquelles, sur sa réputation, furent toutes enlevées le jour même de l’émission.
3Avec les quelques millions de la Société, Philoxène Lorris fonda aussitôt une grande usine pour l’exploitation d’une affaire importante étudiée et mijotée par lui avec amour et dont les bénéfices furent si considérables que, sur la grosse part qu’il s’était réservée par l’acte de fondation, il fut à même de racheter toutes les actions de la commandite avant la fin de la quatrième année. Ses affaires prirent dès lors un essor prodigieux ; il monta un laboratoire d’études, admirablement organisé, s’entoura de collaborateurs de premier ordre et lança coup sur coup une douzaine d’affaires énormes, basées sur ses inventions et découvertes.
4Honneurs, gloire, argent, tout arrivait à la fois à l’heureux Philoxène Lorris. De l’argent, il en fallait pour ses immenses entreprises, pour ses agences innombrables, pour ses usines, ses laboratoires, ses observatoires, ses établissements d’essai. Les entreprises en exploitation fournissaient, et très largement, les fonds nécessaires pour les entreprises à l’étude. Quant aux honneurs, Philoxène Lorris était loin de les dédaigner ; il fut bientôt membre de toutes les Académies, de tous les Instituts, dignitaire de tous les ordres, aussi bien de la vieille Europe, de la très mûre Amérique, que de la jeune Océanie.
5La grande entreprise des Tubes en papier métallisé (Tubic-Pneumatic-Way) de Paris-Pékin valut à Philoxène Lorris le titre de mandarin à bouton d’émeraude en Chine et celui de duc de Tiflis en Transcaucasie. Il était déjà comte Lorris dans la noblesse créée aux Etats-Unis d’Amérique, baron en Danubie et autre chose encore ailleurs, et, bien qu’il fût surtout fier d’être Philoxène Lorris, il n’oubliait jamais d’aligner, à l’occasion, l’interminable série de ses titres, parce que cela faisait admirablement sur les prospectus.
6Bien que plongé jusqu’au cou dans ses études et ses affaires, Philoxène Lorris, à force d’activité, trouvait le temps de jouir de la vie et de donner à son exubérante nature toutes les vraies satisfactions que l’existence peut offrir à l’homme bien portant jouissant d’un corps sain, d’un cerveau sagement équilibré. S’étant marié entre deux découvertes ou inventions, il avait un fils, Georges Lorris.
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