18. Jules Barbey d’Aurevilly, « M. Flourens », Les Quarante Médaillons de l’Académie, Paris, Dentu, 1864, p. 98-100
p. 123-125
Texte intégral
1Point de préface, dans cet ouvrage, mais une seule phrase mise en exergue pour résumer le projet de ces quarante portraits : « Rivarol1 a fait, un jour, un Petit almanach des grands hommes. Pourquoi ne ferions-nous pas un Grand almanach des petits ? ». Les scientifiques ne sont certes pas les seuls visés. Le médecin physiologiste Pierre Flourens (1794-1867), membre de l’Académie des sciences en 1828 et successeur de Georges Cuvier (1769-1832) au Collège de France, semble néanmoins bénéficier d’un traitement de faveur : déjà longuement brocardé dans Les Œuvres et les hommes, Flourens est ici de nouveau attaqué pour ses prétentions littéraires. Son élection, en 1840, à l’Académie française au détriment de Victor Hugo avait, il est vrai, soulevé de nombreuses protestations. Quoique Barbey ne soit pas un grand admirateur de Hugo, le « turcarétisme2 » de Flourens ne pouvait que lui déplaire.
2 C’est de la science en papillotes. Délicieux pour les petites filles du Sacré-Cœur. Qui sait ? Les petits garçons, qui deviennent si forts, le trouveraient peut-être un peu faible. M. Flourens est le Petit-Poucet, non mangé, mais pondu par Buffon3. Quelqu’un, que je ne nommerai pas, l’appela un jour Buffonnet, pour lui être agréable, mais je ne crois pas qu’il ait senti le compliment. C’est le plus naturaliste des littérateurs, et c’est le plus littérateur des naturalistes. Aussi est-il des deux Instituts, corbleu ! Très agréable anecdotier scientifique, qui, comme ce diogénique M. Babinet4, bien plus amusant dans le capharnaüm de son appartement que dans ses livres, met la science à la portée de ceux qui ne savent absolument rien. Ils sont, l’un et l’autre, de vocation, professeurs de tous les MM. Jourdain5 de la terre, lesquels crient en les écoutant : Vive la science ! du fond de leur ânerie. Engageant, insinuant, émerillonné, M. Flourens, qui a l’esprit léger, ne craint pas de faire Turlututu à la Science majestueuse, comme s’il revenait de Saint-Cloud6, et de compromettre sa gravité par des thèses paradoxales, qui s’élèvent, sans trembler, jusqu’au ridicule. (Voir sa Longévité.)
3 M. Flourens est le plus joli gazon de l’Académie. Je parle des gazons ! La plus jolie perruque sur une tête fine. Ce n’est pas cette perruque-là, trouvée au coin d’une borne, que Frédérick-Lemaître7, le créateur, brimballe au bout de son crochet (dans le Chiffonnier) et précipite dans sa hotte, en disant avec l’emphase d’un comique gigantesque :
ACADÉMIE FRANÇOISE !
4Déplacé donc par l’esprit, la vie, les manières aimables et la perruque, à l’Académie, c’est le comble de la séduction et du mystère qu’il y soit entré. Comment s’y est-il pris ?
5Il devrait bien le dire à M. Jules Janin8 !
Notes de bas de page
1 Antoine Rivaroli, dit Rivarol (1753-1801), écrivain et journaliste, publie Le Petit Almanach de nos grands hommes en 1788.
2 Du personnage de Turcaret, dans la pièce éponyme de Lesage (1709), modèle de l’arriviste. Barbey emploie cette expression dans son portrait des Œuvres et les hommes, en faisant mine d’en exempter Flourens.
3 Flourens avait édité en 1860 les manuscrits du célèbre naturaliste, édition dont Barbey rend compte dans Les Œuvres et les hommes.
4 Jacques Babinet (1794-1872), mathématicien, physicien et astronome français, réputé pour ses talents de vulgarisateur.
5 Nom du protagoniste du Bourgeois gentilhomme (1670) de Molière, modèle d’une infatuation grotesque pour le savoir.
6 Allusion à la fameuse fête foraine qui faisait accourir le tout-Paris à Saint-Cloud.
7 Célèbre acteur (1800-1876) du « boulevard du crime ». Le Chiffonnier de Paris est un drame de Félix Pyat (1847).
8 Écrivain et critique d’art dramatique (1804-1874), Jules Janin n’est élu à l’Académie française qu’en 1870, après de nombreuses tentatives. Il y remplace Sainte-Beuve.
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