14. Édouard Toulouse, Enquête médico-psychologique sur les rapports de la supériorité intellectuelle avec la névropathie. Émile Zola, Paris, Flammarion, 1896
p. 97-104
Texte intégral
1Médecin en chef de l’asile de Villejuif (1897-1921), fondateur et directeur du laboratoire de psychologie expérimentale à l’École des Hautes Études (1899), Édouard Toulouse est connu pour son expertise clinique de Zola. Son Enquête médico-psychologique devait comporter plusieurs volumes (Alphonse Daudet, Pierre Puvis de Chavannes, Camille Saint-Saëns, Edmond de Goncourt ou Stéphane Mallarmé avaient donné leur accord), mais seules les études consacrées à Zola (1896) et au mathématicien Henri Poincaré (1910) verront le jour. Dans les deux cas, l’enquête conclut à la névropathie des sujets étudiés, mais sans en faire une marque de dégénérescence : la supériorité intellectuelle est dissociée en nature de la pathologie, même si cette dernière peut en être la conséquence. Les deux études ont par ailleurs l’intérêt de croiser les représentations du romancier et du savant : alors que le génie de Zola est méthodique et rationnel, celui du mathématicien se caractérise par la spontanéité et l’imagination. L’originalité de la méthode du docteur Toulouse est de procéder à l’observation directe d’un sujet vivant et consentant, à l’inverse de Réveillé-Parise (Physiologie des hommes livrés aux travaux de l’esprit, 1843 – voir le texte 51), Moreau de Tours (La Psychologie morbide dans ses rapports avec la philosophie de l’histoire, 1859) ou Lombroso (L’Homme de génie, 1889 – voir le texte 32). Le premier extrait (p. 283-285) donne, à travers la table des matières, un aperçu de la précision de l’enquête menée, tandis que le second (p. 279-282) livre la « conclusion » du docteur Toulouse. Ravi de devenir lui-même un « document humain », Zola préface l’enquête dont il est lui-même le sujet clinique : « Mon cerveau, écrit-il, est comme dans un crâne de verre, je l’ai donné à tous et je ne crains pas que tous viennent y lire » (lettre-préface, p. VI).
Observation de M. Émile Zola......................................... 105
CHAPITRE PREMIER. — Antécédents héréditaires...... 108
1. Branche paternelle................................................. 108
2. Branche maternelle................................................ 111
CHAPITRE SECOND. — Antécédents personnels........ 114
1. Évolution physique................................................. 114
2. Évolution psychique............................................... 120
CHAPITRE TROISIÈME. — Examen physique............ 127
1. Examen anthropologique....................................... 128
2. Appareil circulatoire.............................................. 142
3. Appareil respiratoire.............................................. 146
4. Appareil digestif et annexe..................................... 146
5. Motricité................................................................. 151
6. Système nerveux...................................................... l64
CHAPITRE QUATRIÈME. — Examen psychologique . 167
1. Fonctions sensorielles............................................ 169
I. Perceptions tactiles............................................ 169
II. Perceptions visuelles........................................ 170
III. Perceptions auditives...................................... 172
IV. Perceptions olfactives..................................... 173
V. Perceptions gustatives...................................... 175
VI. Perception de l’espace.................................... 176
VII. Perception du temps...................................... 176
VIII. Perceptions en rapport avec les sensations
internes........................................................................ 178
2. Fonctions motrices................................................. 180
3. Langage.................................................................. 181
I. Nature des images mentales.............................. 181
II. Langage parlé................................................... 184
III. Langage écrit.................................................. 184
4. Mémoire.................................................................. 190
I. Mémoire des sensations tactiles........................ 195
II. Mémoire des sensations visuelles.................... 195
a) Forme et couleur associées......................... 195
b) Forme.......................................................... 200
c) Couleur........................................................ 204
d) Mouvement................................................. 205
III. Mémoire des sensations auditives.................. 205
IV. Mémoire des sensations olfactives.................. 205
V. Mémoire des sensations gustatives.................. 206
VI. Mémoire des sensations générales................. 206
VII. Mémoire affective......................................... 206
VIII. Mémoire des idées....................................... 207
IX. Mémoire du langage....................................... 207
a) Lettres......................................................... 207
b) Mots............................................................ 208
c) Phrases........................................................ 211
d) Chiffres....................................................... 221
5. Attention. Observation........................................... 224
6. Temps de réaction................................................... 227
7. Assimilation............................................................ 235
8. Idéation................................................................... 235
I. Association des idées......................................... 236
II. Nature des idées............................................... 247
III. Idées morbides................................................ 250
9. Imagination............................................................ 252
10. Jugement et suggestibilité.................................... 254
11. Émotivité............................................................... 258
12. Volonté.................................................................. 262
13. Caractère.............................................................. 263
14. L’Œuvre : 265
I. Origine des conceptions esthétiques de M. Zola... 265
II Procédés de composition................................... 268
III. Conditions et méthode de travail.................... 274
2[…]
3Conclusion. — Deux questions doivent m’arrêter ici.
4La première et la principale concerne l’enseignement qu’on peut tirer de l’observation de M. Zola au sujet des rapports de la supériorité intellectuelle et de la névropathie.
5Tout d’abord, posons bien ce fait, pour les partisans des théories lombrosiennes1, que M. Zola n’est pas épileptique. Il n’est pas non plus hystérique, ni suspect d’aliénation mentale, bien qu’il ait des troubles nerveux multiples (contracture de l’orbiculaire, tic vésical, spasmes cardiaques, crampes thoraciques, fausse angine de poitrine, hypéresthésies sensorielles, algies2, idées obsédantes et impulsives). Faut-il le dire atteint de dégénérescence mentale ? Je crois que cette étiquette ne lui convient pas tout à fait, à moins de ranger M. Zola dans la catégorie des dégénérés supérieurs (Magnan3), chez lesquels, à côté de brillantes facultés, il existe des lacunes psychiques plus ou moins grandes. Mais encore où sont ces lacunes ? Sa constitution physique et psychique est en somme pleine de force et d’harmonie. Le système nerveux est évidemment hyperesthésié dans certaines de ses parties, et, à ce point de vue, déséquilibré, pour employer un mot assez vague et courant. L’émotivité est en définitive défectueuse. Mais comme tout cela a peu de retentissement sur la sphère cérébrale ! Même certaines idées morbides, quelques obsessions et impulsions n’ont pas été suffisantes pour troubler d’une manière appréciable les processus intellectuels. Ces idées vivent comme des parasites, sans entamer la personnalité intellectuelle de M. Zola, qui reste pondéré malgré elles ; et les formes supérieures de l’intelligence, ce qui constitue le jugement, l’imagination, la volonté, est dans un état de santé et d’équilibre parfaits. Dans l’appréciation diagnostique de ces phénomènes psychiques anormaux, il faut donc apporter une certaine finesse d’analyse. L’obsession et l’impulsion, quand elles sont finalement maîtrisées par le sujet, qu’elles ne l’ont jamais entraîné à commettre des actes déraisonnables, sont une tendance évidemment vicieuse à l’esprit, mais si peu éloignées de l’état normal dans leurs modalités et leurs conséquences ! Et c’est précisément le cas de M. Zola. Je n’ai jamais vu, je l’avoue, un obsédé ni un impulsif aussi pondéré que lui4 ; et j’ai rarement vu quelqu’un indemne de toute tare psychique manifester sa belle stabilité mentale.
6Toutefois il n’est pas niable que M. Zola soit un névropathe, c’est-à-dire un homme dont le système nerveux est douloureux. Pourquoi est-il ainsi ? Ses troubles sont-ils héréditaires ? sont-ils acquis ? Je suppose que l’hérédité a préparé le terrain et que le travail intellectuel constant a peu à peu détruit la santé délicate du tissu nerveux.
7Mais je ne crois pas que cet état névropathique ait été et soit indispensable d’aucune façon à l’exercice des heureuses facultés de M. Zola. C’est là une conséquence peut-être inévitable, et sûrement une conséquence plutôt fâcheuse, mais nullement une condition nécessaire.
8La seconde question est celle-ci : quelle est la personnification psychologique de M. Zola ? Je mets de côté la question de savoir en quoi l’auteur des Rougon-Macquart est un homme d’une intelligence supérieure ; car mes expériences n’ont pas la prétention de montrer dès maintenant ce qui constitue la véritable supériorité cérébrale. À ce point de vue elles ne peuvent encore se substituer complètement à l’œuvre, qui est un témoignage plus significatif, quoiqu’il soit de par sa nature impossible à mesurer. Les hommes que j’étudie ici sont en quelque sorte supérieurs par définition, et je suis parti de cette hypothèse sans chercher à la vérifier immédiatement, bien que j’attende d’une enquête de ce genre et d’autres poursuivies parallèlement auprès de gens moyens un critérium plus simple que l’œuvre. Ce critérium sera-t-il quantitatif ? Probablement non, tout au moins pas au sens restreint accepté en pratique. Il est douteux qu’on puisse jamais déclarer qu’une intelligence est supérieure à d’autres par le seul fait que la mémoire ou l’attention est de ⅓ ou de ¼ plus grande que la moyenne. Ce qui me paraît être la cause la plus immédiate de la supériorité intellectuelle, c’est plutôt l’heureux agencement de toutes les facultés qui permet leur meilleure utilisation.
9Or M. Zola, qui a aussi certaines qualités au-dessus de la moyenne, a surtout l’avantage d’un développement égal, harmonique entre ses diverses facultés – en dehors de quoi il semble n’être rien que d’incomplet – et un pouvoir merveilleux d’utilisation. Ses qualités sont : la finesse et l’exactitude des perceptions, l’intensité de l’attention, une grande éducabilité, la clarté dans les conceptions, la sûreté du jugement, l’ordre dans le travail, l’esprit de coordination, une ténacité extraordinaire dans l’effort, et, par-dessus tout, l’utilitarisme psychologique poussé à l’extrême. Avec cela il était sûr de percer dans n’importe quelle voie, car il avait de puissantes qualités d’arrivage.
10On a reproché à M. Zola de voir de trop loin, et de trop haut, de simplifier les choses, de les symboliser même. Évidemment c’est l’homme des ensembles et de la généralisation. Aussi son art ne pouvait pas être en même temps individualiste ; car ces deux formes d’esprit opposées ne se concilient d’habitude pas. Or, qui peut dire – et sur quoi s’appuyer – que la forme d’esprit généralisateur est, même avec ses défauts, moins élevée que la forme opposée ? C’est l’opinion contraire qui paraît la plus juste. Mais ce qui manque à M. Zola, c’est la fantaisie, c’est la variété des opinions qui crée le dilettantisme, c’est l’esprit de saillie, c’est cette faculté de transformer les menues observations en choses rares et compliquées. Et quand on l’approche, on comprend que ces tendances psychologiques ne pouvaient pas se développer chez M. Zola, qui est l’homme pénétré de ses convictions, croyant à la nécessité de la tâche à remplir et au sérieux du travail, l’écrivain qui ne se sert des faits que pour illustrer une idée générale et dont toute l’intelligence est composée de santé, de solidité et d’équilibre.
Notes de bas de page
1 Selon ces théories le génie et la folie étaient de même nature (pathologique). Voir le texte 32.
2 Douleurs.
3 Pour essayer de différencier axiologiquement le génie et la folie, tout en maintenant leur parenté de nature, plusieurs médecins ont essayé de nuancer l’image négative de la dégénérescence. Valentin Magnan (1835-1916) parle ainsi de « dégénéré supérieur » (Les Dégénérés, 1895), et Charles Richet (1850-1935), dans sa préface de L’Homme de génie, propose le terme de « progénéré », repris ensuite par le docteur Paul Voivenel (1881-1975) dans Littérature et folie (1908).
4 Ces accusations étaient couramment proférées à l’encontre de Zola. Voir le texte 69.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Maurice Carême. « Comme une boule de cristal… » Entre poésie savante et chanson populaire
Textes et contextes
Brigitte Buffard-Moret et Jean Cléder
2012
August Wilhem Schlegel. Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d’Euripide (et autres textes)
Jean-Marie Valentin (dir.)
2013
Octavie Belot. Réflexions d’une Provinciale sur le Discours de M. Rousseau, Citoyen de Genève, touchant l’origine de l’inégalité des conditions parmi les hommes
Édith Flammarion (éd.)
2015
Du fanatisme dans la langue révolutionnaire ou de la persécution suscitée par les barbares du dix-huitième siècle, contre la religion chrétienne et ses ministres
Jean-François Laharpe Jean-Jacques Tatin-Gourier (éd.)
2022