L’Évangile selon saint Carême
p. 239-247
Texte intégral
Le serpent
Trop long ou trop court ? C’est selon
Que vous voudrez me comparer
À la taille d’un puceron
Ou à celle d’un peuplier.
Dangereux ou inoffensif ?
Vous n’êtes pas assez naïf
Pour croire que je vais laisser
Vos pieds me passer sur le corps.
Venimeux ou pas venimeux ?
Là, je n’y suis pour rien. C’est Dieu
Qui m’a pourvu de mon venin
Puisque c’est lui qui m’a créé.
Quant à tout ce que l’on vous dit
Sur Ève dans le paradis,
Comment aurais-je pu savoir
Qu’Ève, avec une seule pomme,
Allait faire chasser son homme
De ce verger avant le soir ?
s.d.
L’annonciation
Ne pouvant venir lui-même
Dieu envoya son ange
Vers Marie filant de la laine
Dans sa demeure blanche.
« Marie, vous aurez un enfant,
Lui cria, par la fenêtre,
L’ange avant même d’apparaître
Comme un vrai soleil blanc.
Et il sera le fils de Dieu »,
Ajouta-t-il, pressé
D’annoncer la chose insensée
Venant tout droit des cieux.
Et Marie ne sait que répondre
À l’ange qui attend.
Elle regarde sur le pavement
La croix que dessinent, dans l’ombre,
Deux clous luisants.
Écrit à Chantilly
le 26 juillet 1974
Hôtel du lion d’or
Heureusement le « Lion d’or »
N’est pas près de la cathédrale.
On ne voit pas, dans ce décor,
Un saint entrant sur ses sandales.
Encor moins Joseph et son âne
Ahuris parmi les autos
Et n’osant présenter sa femme
Et poser son pauvre fardeau.
Les mages déjà installés
À table d’hôte pour dîner
Sont arrivés en train de luxe.
L’étoile luisait sur l’hôtel,
Mais comment, après avoir bu
Le champagne, voir que le ciel
Est là, sous vos yeux, dans la rue ?
Écrit à Reims, dans la cathédrale
le 22 août 1969
Les fleurs du mal
« Les fleurs du mal » sont affichées
Sur la façade de l’église.
Que de gloire, de joies promises
Même à ceux qu’on croyait damnés !
Notre ère étrange ne s’effare
Plus de rien. Le Christ ne revient
Plus qu’en homme à peine bizarre
Dans des films qui se portent bien.
Le démon mange aux mêmes tables
Que l’ange dans les grands hôtels.
Il n’attise plus qu’aux retables
Le brasier du feu éternel.
Écrit à Sarlat (lanterne des morts – cloître de la cathédrale) le 18 août 1975
Le mal
Le mal serait-il un mystère
Dont Dieu seul possède la clé ?
C’est en vain qu’on veut l’arracher.
Et l’homme a beau y réfléchir.
Jésus, cloué sur le calvaire,
N’a pu, lui aussi, que mourir.
Depuis lors, hélas ! sur la terre,
Que d’ombres, de plaies, de misères
Ont enseveli sa lumière
Écrit à Souillac
le 21 août 1975
Le lis
L’homme attendait le Seigneur,
Patiemment depuis des heures
Sur un chemin déserté,
Lorsqu’il vit, boitant
À faire pitié
Venir à lui un mendiant.
Et il lui offrit
Tout ce qu’il avait sur lui,
Puis tranquillement
Lui fit monter le sentier.
Et l’homme attendit encor
Lorsqu’il aperçut, surpris,
À l’endroit où le mendiant,
Sans parler, l’avait quitté,
Pousser soudain un lis d’or
Entre les pavés.
s.d.
Le chaudron d’enfer
Allez, vous me la baillez belle
Avec votre chaudron d’enfer !
À voir voler les hirondelles,
Qui pense au rampement du ver ?
Est-ce ma faute si mes os
Sont taillés en forme de flûte,
Si, ajouré comme un arbuste,
Je suis tout traversé d’oiseaux ?
Allez, n’en faites pas mystère :
Vie d’ange vaut-elle vie d’homme ?
Le paradis est sur la terre ;
C’est le miracle de la pomme.
Écrit à Orval
le 25 août 1960
C’est samedi...
C’est samedi. J’ai pris le train.
Le ciel a mis son nœud marin.
Je dois avoir un cœur en or.
Je l’entends tinter dans mon corps,
Car ce n’est vraiment pas chanter
Que je fais ici, mais crier.
Comme la terre est aujourd’hui
Un adorable paradis,
À quoi rimerait bien, pardi !
De comprendre ce que je dis.
Les chemins sont bordés d’épis.
Le ciel a mis son nœud marin
Et je joue à la cime des pins.
J’ai pris le train. C’est samedi.
Écrit à Bakenbos (Brabant flamand)
le 23 juin 1973
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