Fables
p. 229-238
Texte intégral
La vérité, la vraie !
Je ne sais d’où je viens,
Mais je sais que j’arrive
Tout grelottant de faim,
Disait un Africain.
Et vous, le savez-vous,
Qui vous croyez plus libres
Que des biches captives
Dans un bois ceint de houx ?
Ah ! si vous la voyez
Venir de quelque part
La vérité, la vraie,
Criez-le par pitié
Pour tous les opprimés.
s. d.
Le guet
Un vieux renard guettait un loir
Qui guettait lui-même un martin-
Pêcheur guettant dans le miroir
De l’étang vert un alevin
Qui guettait un petit ver noir.
Mais, près de l’orée, un chasseur
Guettait le renard trop madré
Sans se douter que le Seigneur
Le guettait lui-même, accoudé
Près de la barrière du pré.
Écrit à Itterbeek, près de Bruxelles
le 29 mars 1968
Le singe et le roi
Au fond d’un vieux château,
Le singe découvrit le roi
Tout nu sur son trône en roseaux.
– Que me voulez-vous, dit le roi,
Vous voyez, je n’ai que mes bas.
– Rien, sinon prendre votre place,
Dit le singe. Nul ne verra
La différence. Donnez-moi
Votre sceptre. – Je n’en ai pas,
Lui répondit le roi.
Mon royaume est tombé si bas
Que je règne sur mes bas.
Et, faisant la grimace,
Le singe prit sa place,
Avec dignité sur le trône.
Il se fit faire une couronne,
Un sceptre, des habits royaux
Semé d’astres d’or et d’oiseaux
Et ruina le pauvre royaume.
Deux mois plus tard, on l’égorgeait
Sans même faire de procès.
Et on rappela le vieux roi
Qui revint tout nu sur ses bas.
s. d.
La dinde
« Votre dinde ! » se récria
Le célèbre peintre Hokusai
À un acheteur impatient.
« Asseyez-vous donc un instant. »
Et, en quelques traits fulgurants
Et précis, il la dessina.
« Mais pourquoi ne pas m’avoir fait
Ce dessin depuis de longs mois ? »
Lui dit l’amateur, stupéfait.
Et, sans dire un mot, Hokusai
Retira, rangés dans un coin,
Des dessins, encor des dessins
Où toujours cette même dinde
Marchant, courant, couchée, debout,
Mangeant, criant, tendant le cou,
Se plantait soudain, comme peinte
Par Dieu lui-même, émerveillée
Sur la nudité du papier.
s. d.
J’ai tout
J’ai tout, affirmait-il.
Or il n’avait qu’un chien,
Le plus laid de la ville.
Et je n’envie personne,
Ni prince ni devin,
Ajoutait-il encor.
Et il était heureux
Comme seuls peuvent l’être
Les sages et les dieux
Qui n’ont pas d’autres maîtres Qu’eux.
s.d.
Le chat, la carpe et la souris
Le chat a dit
À ses petits :
« Oncle Souris
Est très gentil.
Il est surtout
Bon à croquer
Dans les lauriers
Au pied du houx.
Marraine Carpe,
Pour vous distraire,
Joue de la harpe
Sur la rivière.
Pourtant, elle est
Encor meilleure
À nos palais
Avec du beurre. »
Le chat a dit :
« Soyez gentils. »
Et ses petits,
La queue en arc,
L’ont bien suivi
Le même soir...
Oncle Souris,
Marraine Carpe,
Eux, n’ont compris
Que bien trop tard.
s. d.
Le kangourou et le pingouin
– J’ai un petit pour vous,
Là, dans mon portefeuille,
Disait un kangourou,
Un petit kangourou
Roux comme un écureuil
Et serviable et doux !
Vous l’auriez pour cent sous.
– Merci, dit le pingouin,
Personne ici n’épargne
Ni ne demande rien.
Gardez le kangourou
Dans votre portefeuille.
Rien ne nous est plus doux
Qu’être pingouin sans sou.
s.d.
Le renard
Un renard n’aimait que les pommes
Et les poires de son jardin.
Mais comment convaincre les hommes
Que jamais, pas même en automne,
Il n’avait chassé dans le thym.
Il fut donc tué par un homme
Qui était mangeur de lapins.
s.d.
Le jardin
Que peux-tu bien avoir de plus
Avec cet immense jardin
Où luisent des fleurs inconnues
Que je ne puis avoir du mien ?
J’ai planté des pois, des laitues,
Des lis, des roses, des genêts.
Mais il est vrai, j’ai par-dessus
Tout le ciel, les oiseaux, les nues
Que tu ne regardes jamais.
s.d.
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