Introduction
p. 9-15
Texte intégral
Je voudrais que ma poésie soit comme une boule de cristal dont on ne verrait plus que la clarté. J’écris pour que même la plus humble des servantes me comprenne.1
Maurice Carême
1Maurice Carême présente le paradoxe d’être un poète à la fois célèbre et méconnu. Qui n’a appris à l’école maternelle ou primaire une « poésie » de lui ? Par exemple, le poème « Pour ma mère », dans son premier recueil pour les enfants, La Lanterne magique (1947)2, ou bien « L’école » de La Flûte au verger (1960), ou bien encore « Le Lézard » de Pigeon vole (1958)...
Pour ma mère
Il y a plus de fleurs
Pour ma mère, en mon cœur,
Que dans tous les vergers ;
Plus de merles rieurs
Pour ma mère, en mon cœur,
Que dans le monde entier ;
Et bien plus de baisers
Pour ma mère, en mon cœur,
Qu’on en pourrait donner.
L’école
L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Au-dedans, c’était plein de rondes ;
Au-dehors, plein de pigeons blancs.
On y racontait des histoires
Si merveilleuses qu’aujourd’hui,
Dès que je commence à y croire,
Je ne sais plus bien où j’en suis.
Des fleurs y grimpaient aux fenêtres
Comme on n’en trouve nulle part,
Et, dans la cour gonflée de hêtres,
Il pleuvait de l’or en miroirs.
Sur les tableaux d’un noir profond,
Voguaient de grandes majuscules
Où, de l’aube au soir, nous glissions
Vers de nouvelles péninsules.
L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Ah ! que ne suis-je encor dedans
Pour voir, au-dehors, les colombes !
Le lézard
Le lézard a dit : « Oui,
Je voudrais être abeille. »
Mais il a trop dormi
Dans les bras du soleil.
Il a pris peu à peu
La couleur de la pierre,
Lui qui était de feu,
De menthe et de lumière,
Lui qui glissait léger
Comme un fil de clarté,
Le voilà plus obscur
Que la fente du mur.
Le lézard a dit : « Oui,
Je voudrais être abeille. »
Mais il s’est rendormi
Dans les bras du soleil.
2Mais en même temps cette étiquette de poète pour la jeunesse a parfois masqué les autres facettes de sa création. Dans ses quelque soixante recueils de poèmes, les pièces « pour enfants » constituent une minorité, et une des premières œuvres qui le fit connaître, Chansons pour Caprine (1930), est un recueil de poèmes d’amour. Maurice Carême lui-même refusait que l’on fît des classifications à l’intérieur de son œuvre. Dans une enquête sur la poésie à destination des enfants, il déclarait :
Il n’y a pas deux sortes de poésie : une pour les enfants et une pour les adultes. C’est de la poésie ou ce n’en est pas. J’appelle poésie pour les enfants une poésie faite sans concession à leur âge, une poésie écrite sous la dictée de l’inspiration, mais qui, spontanément, est coulée dans un style si direct, si simple, si frais qu’elle est accessible aux enfants.3
3Le poète est mort en 1978 mais son œuvre reste vivante : depuis cette date, un grand nombre de poèmes inédits ont été publiés, selon les vœux de l’auteur, par les soins de la Présidente de la Fondation Maurice Carême, Jeannine Burny, qui fut aussi sa secrétaire, son inspiratrice et la « bien-aimée » à qui il dédie le recueil qui porte ce titre.
4Nous avons eu la chance de la rencontrer. Nous avons pu découvrir longuement les lieux où vécut le poète – cette « Maison blanche » dans la commune d’Anderlecht, tout près de Bruxelles, à laquelle il rend hommage en 1949 dans le recueil du même nom. Nous avons eu accès aux importantes archives relatives à l’œuvre et à son auteur – manuscrits, états successifs des poèmes, photographies, correspondance. Et surtout Jeannine Burny, en acceptant la série d’entretiens que nous lui proposions, nous a permis de découvrir comment se construisait, longuement, minutieusement, la poésie de Maurice Carême, et ce qui l’inspirait : lieux, lectures, musique, chansons, petites et grandes choses de la vie, et aussi présences féminines qui ont accompagné le poète tout au long de sa vie. Maurice Carême, poète des enfants, certes, mais aussi poète de l’amour et de la beauté du quotidien...
5En mêlant analyses de l’œuvre, entretiens, photographies et inédits, cet essai voudrait montrer que, chez Maurice Carême, art poétique et art de vivre se rejoignent, et qu’à la simplicité de la vie de tous les jours semble répondre celle de sa poésie. Mais « être simple n’est pas facile »4, dit le poète, et on verra que l’amateur des vieilles chansons populaires qui ont bercé son enfance est aussi un amoureux de la grande poésie : le « doux joueur de flûte »5 sait de bien subtiles mélodies...
Jeannine Burny en août 2006

Notes de bas de page
1 Propos recueillis par Jeannine Burny, Archives de la Fondation Maurice Carême.
2 Pour les références bibliographiques des recueils de Maurice Carême, voir la bibliographie en fin de volume, ainsi que l’index des poèmes cités.
3 Enquête sur la poésie des enfants pour l’URSS, sans date, Archives de la Fondation Maurice Carême.
4 M. Carême, « Être simple », La Flûte au verger.
5 « La Flûte au verger », dans le recueil éponyme.
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Maurice Carême. « Comme une boule de cristal… » Entre poésie savante et chanson populaire
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