1 Quelques exemples de cette manière de signifier dans la perte du sens ordinaire – qu’on ne pourra pas approfondir dans ce contexte – : la jeunesse désemparée et privée de tout projet (Stranger Than Paradise, 1984), l’errance désenchantée (Mystery Train, 1989), les communications impossibles (Coffee and Cigarettes, 2004), l’initiation improbable (Ghost Dog, 1999) ou la rencontre dans un espace brisant la linéarité du temps ordinaire, comme la prison (Down by Law, 1986).
2 Patrizia Lombardo, « Jim Jarmusch “philosophe de la composition” », Critique, n° 692/693, 2005/1, p. 40.
3 Todd Lippy, « Interview with Jim Jarmusch », Juan A. Suárez, Jim Jarmusch, Urbana-Champaign, University of Illinois, 2007, p. 161.
4 Maurice Merleau-Ponty, « Le Cinéma et la nouvelle psychologie », conférence du 13 mars 1945 à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques, Les Temps Modernes, n° 26, 1947, p. 930-947 ; Sens et non-sens, Paris, Gallimard, 1996, p. 74. Sur l’importance des enjeux de l’ontologie merleau-pontienne explorés en relation avec la peinture et le cinéma, cf. Mauro Carbone, La Chair des images, Merleau-Ponty entre peinture et cinéma, Paris, Vrin, 2011.
5 Jean-Baptiste Chantoiseau, « Lavements de l’image et évaporation du sujet : Dead Man (1995) de Jim Jarmusch », Sens public, n° 2, mars 2005. ˂http://www.sens-public.org/spip.php?article172˃ Consulté le 15/10/2015.
6 L’auteur souligne cet aspect formel de sa création en se référant également à Only Lovers Left Alive : « Le premier plan de Only Lovers… est une contre-plongée sur un disque en train de tourner sur une platine. Ce mouvement circulaire traduit celui de l’existence de mes protagonistes, condamnés à vivre indéfiniment, plus que le mouvement intrinsèque du film. Dead Man était un film plus circulaire dans sa forme. D’ailleurs, ces deux films se ressemblent beaucoup. Ce sont mes deux préférés parmi toute ma filmographie ». Thomas Baurez, « Jim Jarmusch : entretien avec un vampire », L’Express, 18 février 2014. ˂http://www.lexpress.fr/culture/cinema/jim-jarmush-entretien-avec-un-vampire_1323679.html#ZM0CVPaPpixVOl1O.99˃ Consulté le 15/10/2015.
7 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible/Notes de Travail [1964], Claude Lefort (dir.), Paris, Gallimard, coll « Tel », 1979, p. 268. La temporalité dans son épaisseur de simultanéité est traitée par Deleuze dans des termes proches des réflexions de Merleau-Ponty. Cf. Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’Image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985. Sur les implications d’une réflexion sur le cinéma dans la pensée des deux auteurs, cf. Olivier Fahle, « La Visibilité du monde. Deleuze, Merleau-Ponty et le cinéma », Alain Beaulieu (éd.), Gilles Deleuze. Héritage philosophique, Paris, P.U.F., 2005, p. 123-143.
8 Nous nous référons à l’ontologie du dernier Merleau-Ponty pour dépasser le dualisme d’une interprétation se focalisant sur le film comme une déambulation métaphysique vers la mort et le sens de l’éternité. Sur le message métaphysique du film, cf. Pascal Couté, « Sens et contemplation dans Dead Man et Ghost Dog », infra. Pour une lecture psychanalytique des tensions en jeu, cf. Jean-Baptiste Chantoiseau, « Lavements de l’image et évaporation du sujet : Dead Man (1995) de Jim Jarmusch », op. cit.
9 L’expression « réhabilitation ontologique du sensible » du dernier Merleau-Ponty intervient déjà dans le texte « Le Philosophe et son ombre », Herman Leo Van Breda et Jacques Taminiaux (dir.), Edmund Husserl 1859-1959, La Haye, Éditions Martinus Nijhoff, 1959 ; rééd. Maurice Merleau-Ponty, Signes, [1960], Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2001, p. 210.
10 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, op. cit., p. 172. Sur ce thème, cf. Pierre Rodrigo, « Voir et Toucher », L’Empreinte du visuel. Merleau-Ponty et les images aujourd’hui, Mauro Carbone (dir.), Genève, MétisPresses, 2013, p. 27-41.
11 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, ibid., p. 173, (nous soulignons).
12 Ibid., p. 177 (nous soulignons). Ce thème est développé à partir d’une confrontation avec la pensée de Husserl et de l’autoconstitution husserlienne du corps comme Leib. Cf. « Le philosophe et son ombre », op. cit.
13 Sur cette notion de l’intentionnalité inverse, cf. Eliane Escoubas, « La question de l’œuvre d’art : Merleau-Ponty et Heidegger », Marc Richir et Etienne Tassin (dir.), Merleau-Ponty : Phénoménologie et expériences, Grenoble, Jerôme Millon, 1992, p. 123-138.
14 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, op. cit., p. 155.
15 Ibid., p. 170 (nous soulignons).
16 Cf. Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’Esprit [1964], Paris, Gallimard, coll. « Follioplus philosophie », 2006, p. 87.
17 Ibid. Pour une analyse qui explore l’importance de la temporalité comme précession dans le travail de Merleau-Ponty, cf. « Ontologie de l’image comme figure de précession réciproque », Mauro Carbone (dir.), La Chair des images. Merleau-Ponty entre peinture et cinéma, op. cit.
18 Mauro Carbone, op. cit., p. 126- 127.
19 Le terme allemand Gestalt se traduit par « forme ». La Gestaltpsychologie indique une théorie selon laquelle les processus de la perception et de la représentation mentale accèdent aux phénomènes comme des formes, c’est-à-dire des ensembles structures, et non comme une simple addition ou juxtaposition d’éléments. Cette théorie a des implications philosophiques, psychologiques et biologiques. Parmi les principaux fondateurs, Max Wertheimer, Wolfgang Köhler et Kurt Koffka sont les pionniers du groupe de Berlin sur la psychologie de la forme dans les années 1920. L’approche thérapeutique Gestalt-thérapie, fondée par Fritz Perls et souvent appelée Gestalt, mobilise la dynamique relationnelle.
20 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, op. cit., p. 297. La note continue en soulignant l’objectif du renouveau de la pensée merleau-pontienne « tout à fait hors de la philosophie du sujet et de l’objet », ibid.
21 Ibid., p. 193.
22 Dans sa volonté de « retour aux choses mêmes », la phénoménologie merleau-pontienne veut penser la genèse de l’être avant la séparation réalisée dans la théorisation et l’idéalisation. Il s’agit donc d’une « réduction radicale » tendue vers la réactivation de ce que Merleau-Ponty nomme un Être Brut en-deçà de toute idéalisation : cet être est affecté d’une négativité constitutive, c’est un « être de déflation », la « chair », et il se déploie dans la distance et l’opacité, contre toute théorisation qui aurait la prétention, par « un regard de survol », d’éliminer cette transcendance originaire inhérente au sensible, son épaisseur. C’est donc la théorie d’un être qui échappe à la partition du sensible et de l’intelligible, qu’est le lieu du débordement réciproque du visible et de l’invisible dans l’in-fini de notre condition sensible.
23 S’agissant du dépassement d’un point de vue unique dans le travail de Jim Jarmusch, il faut souligner sa passion pour William Faulkner, auteur capable de multiplier les récits et les perspectives dans la même histoire, cf. Thomas Baurez, « Entretien avec un vampire : Jim Jarmusch », op. cit.
24 Nicolas Saada, « Entretien avec Jim Jarmusch », Les Cahiers du cinéma, n° 498, janvier 1996, p. 26.
25 Jean-Baptiste Chantoiseau, « Lavements de l’image et évaporation du sujet : Dead Man (1995) de Jim Jarmusch », op. cit.
26 Ce commentaire nous fait saisir une simultanéité narrative qui fait écho à une simultanéité des techniques. Cf. Patrizia Lombardo, « Jim Jarmusch “philosophe de la composition” », op. cit., p. 47.
27 Dans ses films les histoires se multiplient, définissant un anonymat de la narration et non l’affirmation d’un personnage principal. Toutefois ceci ne produit pas la fragmentation typique du post-moderne. De cette généralité de la narration, sans un point de vue précis, surgit donc une signification en train de se faire sans contours définis. Cette structure est typique des films de Jarmusch, notamment dans Coffee and Cigarettes, Mystery Train ou Dawn by Law, où il n’est pas question d’une histoire précise mais d’une multiplicité de mises en abîme et d’une multiplicité de points de vue.
28 Sur l’impossibilité d’identifier la souffrance dans ce film, cf. Jean-Marc Lalanne, « Stranger than hell », Les Cahiers du cinéma, n° 498, janvier 1996, p. 24-33.
29 Sur la synesthésie et l’utilisation du hors cadre, cf. Esther Heboyan, « La poésie du hors-champ musical dans Down by Law : Promenade du maquereau de John Lurie », infra. Sur la vision haptique du cinéma de Jarmusch, cf. Laura U. Marks, The Skin of the Film : Intercultural Cinema, Embodiment, and the Senses, Durham et Londres, Duke University Press, 2000.
30 Cf. André Gide, « Introduction » à William Blake, Le Mariage du Ciel et de l’Enfer, José Corti, 1942 : « L’astre Blake étincelle dans cette reculée région du ciel où brille aussi l’astre Lautréamont ».
31 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, op. cit., p. 303.
32 Sur le thème du voyage, il est possible également de se référer à Homère car Nobody (Personne) est un autre nom pour Ulysse dont L’Odyssée raconte le voyage de retour à Ithaque. Toutefois, la circularité du voyage homérique est brisée par le thème de la mort. Pour Jarmusch le cosmos est un univers non-totalisable dont les contours du point de départ comme celui de l’arrivée restent mobiles.
33 Nicolas Saada, « Entretien avec Jim Jarmusch », op. cit., p. 26. Dans le film, 01 : 24 : 00.
34 « Lorsque la première détermination nécessairement provisoire, de l’essence de l’attitude naturelle comme croyance au monde, comme fluente aperception universelle du monde, s’accomplit à l’intérieur d’elle-même, ce qui est alors décisif est l’éveil d’un étonnement sans mesure sur le caractère énigmatique de cet état de chose (Sachelage). » Eugen Fink, « La philosophie phénoménologique d’Edmund Husserl face à la critique contemporaine » (1933), De la phénoménologie, trad. Didier Franck, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p. 135. Le dernier assistant de Husserl essaie de repenser le transcendantal, non par une interprétation de type néo-kantien d’une conscience parfaitement transparente à elle-même dans son a priori, mais en concevant le sujet transcendantal comme intra-ontique. Le monde, selon Fink, est « le sol » du transcendantal et la condition du transcendantal lui-même. Ces définitions ont influencé, à n’en pas douter, la réception de Husserl par Merleau-Ponty.
35 En se référant à la peinture, Merleau-Ponty affirme que l’art ne célèbre jamais d’autre énigme que celle de la visibilité même. Cf. L’Œil et l’Esprit, op. cit., p. 26.
36 Sur ce « symbolisme originaire » de notre expérience formulée par Merleau-Ponty, cf. Guillaume Carron, La Désillusion créatrice, Merleau-Ponty et l’expérience du réel, Genève, MétisPresses, coll. « Champcontrechamp », 2014 ; Annabelle Dufourcq, Merleau-Ponty : une ontologie de l’imaginaire, Springer, 2012.